1682

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11].

2016
Source : Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial) et Vincent Jolivet (Informatique).

Au Lecteur §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. I-IV.

AU LECTEUR.

Quelque réputation où soit la France parmy toutes les Nations du Monde, il est impossible de bien connoistre le grand nombre de ses Habitans, non plus que leur galanterie & leur esprit. C’est un abîme qu’on a beau approfondir pour en trouver le fonds, on ne peut y parvenir. On vient de le connoistre par les Réjoüissances qui se sont faites pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, dont on a esté obligé de faire cinq Volumes. Le premier, qui est celuy du mois d’Aoust, contient, outre les marques d’allégresse que Paris a données, tout ce qui s’est fait & dit à Versailles pendant deux jours & deux nuits que Madame la Dauphine a esté en travail ; & ce Volume, qui a fait verser des larmes, a eu un si grand succés, qu’on est obligé de le r’imprimer. L’Autheur n’a que la moindre part à la gloire de ce succés. La matiere y a surpassé l’Ouvrage, toutes les choses où le Roy a part estant toûjours dignes d’admiration, & tout ce que ce grand Prince fait & dit, méritant d’estre recherché avec empressement. Apres ce Volume, les Nouvelles dont on se trouva accablé, obligerent d’en faire deux pour le mois de Septembre, afin de donner place aux Réjoüissances faites dans les Provinces. En suite de ces deux Parties qui auroient dû tout épuiser, on s’est trouvé dix fois plus de Mémoires qu’auparavant ; de maniere qu’on a esté forcé non seulement de faire deux Tomes pour le mois d’Octobre, mais mesme de les faire imprimer en plus petit caractere, afin d’en renfermer encor plus qu’on n’avoit fait dans les précedens, & d’obliger toutes les Villes du Royaume, quoy que la dépense fust plus grande, & qu’il en coustast plus de temps. Ainsi ces deux Volumes contiennent presque autant de matiere qu’il en faudroit pour en remplir quatre de la lettre dont on s’est servy pour tous les autres. Il y a du moins cent Relations toutes curieuses par l’invention, & remplies de Vers, de Machines, de Passages, d’applications, & d’un tres grand nombre de Devises. Je ne croy pas que la France ait jamais paru si digne de sa réputation que dans ces cinq Volumes. On y voit ses richesses, son esprit, & son amour pour toute la Maison Royale. Si le Monde entier avoit à se réjoüir pour quelque grand Evenement qui le regardast, tout ce qu’il renferme de Villes ne pourroit fournir un aussi grand nombre de Festes éclatantes, que la France seule en a fourny en cette occasion. Par ces cinq Volumes, chaque Ville connoistra les autres, & la France se connoistra elle-mesme ; ce qu’elle n’auroit peut-estre jamais fait sans le Mercure ; & tous les Etrangers pourront apprendre de quelle maniere elle fleurit sous le Prince qui la gouverne aujourd’huy. Outre le grand nombre de Relations qui sont dans ces deux Volumes, on y trouvera beaucoup d’autres Articles. Celuy d’Alger est dans tous les deux. Le premier ne contient pas seulement une Relation de ce qui se vient de passer devant cette Place, mais une Histoire entiere de tout ce qui a précedé, avec un Recit de ce qui s’est fait devant Sarcelle, dont on n’a publié aucun détail. On voit dans le second une Relation de M. de Poincty, Capitaine de la Galiote nommée la Cruelle. On n’y a ny adjoûté, ny diminué ; & comme cette Relation est fort grande, fort exacte, & faite par un Homme intelligent dans son Métier, & qui parle de ce qu’il a vû & de ce qu’il a fait, on a crû que le Public ne seroit pas fâché de la voir.

[Devises] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 1-3.

 

La grandeur du Roy estant montée au point où elle est, je croy, Madame, que vous n’estes pas surprise de l’empressement que chacun témoigne à travailler pour sa gloire. La matiere est assez ample pour occuper tout le monde ; mais quoy qu’on la trouve inépuisable dans les Ouvrages les plus étendus, il en est d’autres qui en trois paroles ne laissent pas d’exprimer beaucoup. C’est un avantage particulier aux Devises. Elles disent tout quand elles sont justes. Mr Bompart, Sr de Saint Victor, Clermontois, en a fait une que l’on estime beaucoup. Le corps est une Médaille qui représente un Soleil, avec ces mots,

Da lumina Cœlo.

 

Le Portrait du Roy est dans le Revers. Il a la teste environnée de rayons, & au dessous se lisent ces Vers,

Sufficit hic terris.

 

Ces deux Hemistiches sont tirez d’un Panégyrique de Sidonius Apollinaris. Mr Bompart le Cadet, a donné l’explication de cette Devise par ce Madrigal.

Soleil, en parcourant tout ce vaste Univers,
As-tu pû remarquer, finissant ta carriere,
 Parmy tant de Peuples divers
 Sur qui tu répans ta lumiere,
Un Roy plus redoutable à ses fiers Ennemis,
Un Monarque plus grand, un Prince plus auguste,
Un Héros plus guerrier, un Conquérant plus juste
 Que l’incomparable LOUIS ?
Si sa conduite seule en prodiges féconde,
Le fait seul regarder comme un Dieu dans le monde,
Et si tout cede enfin au Bras victorieux
  De ce Foudre de guerre,
Soleil, n’éclaire plus désormais que les Cieux,
Loüis le Grand suffit pour éclairer la Terre.

[Sonnet] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 4-5.

 

Jamais Monarque ne mérita mieux ce titre de Grand. Aussi le Ciel a-t-il comblé les Vœux de tous ses Sujets, en faisant qu’il le possede aujourd’huy de toutes manieres. La joye qu’ils en ont n’a point de bornes ; & on peut dire qu’il n’y a point de François qui ne parle par la bouche de l’Autheur de ce Sonnet. Voyez si ces lettres E.F. D.L.I. vous pourront faire deviner son nom.

Sur Loüis le Grand.

Que tous les Noms des Grands cedent au Nom du Roy ;
Les Césars, les Cyrus, les Hectors, les Achilles,
Ont eu moins de mérite, & donné moins d’effroy,
Par cent Combats rendus, par cent Prises de Villes.
***
Ses travaux pour l’Etat, son zele pour la Foy,
Ses vertus de Guerrier, & ses vertus civiles,
Son bon sens & son cœur, doivent servir de Loy,
Et son esprit régler l’esprit des plus habiles.
***
Son bonheur sans égal, ses succés inoüis,
Mettent tous les Héros au dessous de LOUIS.
Et pour les effacer, il n’a plus rien à faire.
***
Sa gloire & ses hauts faits pourront croître sans fin ;
Mais un Fils qui l’imite, un Fils Pere & Dauphin,
Comble le Nom de Grand par celuy de Grand-Pere.

[Dole] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 6-9, 32-33.

 

La Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne est sans-doute un grand bonheur pour la France ; mais les Réjoüissances qui s'en sont faites par tout avec tant d'éclat, n'auroient pas esté poussées si loin, si l'amour que tous les François ont pour le Roy, ne les avoit fait entrer avec un zele extraordinaire dans ce qu'ils ont veu qui faisoit sa joye. La Franche-Comté n'a pas esté la moins empressée des Provinces du Royaume, à faire connoistre qu'elle y prenoit part & ce qu'on a fait à Dole en est une marque. Messieurs du Magistrat ayant receu la nouvelle de l'heureux Accouchement de Madame la Dauphine, donnerent leurs ordres dés le mesme jour pour les Réjoüissances de la Ville ; & si leur impatience eut pû estre secondée, on les auroit faites dés le lendemain ; mais les Ouvriers ayant demandé du temps pour exécuter ce qu'ils projetterent, ils choisirent le 8. Septembre, jour de la Nativité de Nostre-Dame, qui est la Feste principale de Dole, afin qu'en honorant la Naissance de leur Reyne & de leur ancienne Protectrice, ils celébrassent encor celle de leur Prince, & de leur nouveau Protecteur. Cependant Mr de S. Esteve, Commandant des Gardes du Corps du Roy, qui estoit dans la Ville, commença la Feste dés le jour de S. Loüis. Il fit couler une Fontaine de Vin, & régala un grand nombre d'Officiers, & d'autres Personnes considérables. Le lendemain il fit monter les Gardes à cheval, & les divisa en Escadrons. Ils firent le coup de Pistolet, & tous les autres exercices, à la veuë d'un fort grand monde, qui fut tres-content de ce Spéctacle. Toutes choses estant prestes pour le jour que j'ay marqué, on chanta le Te Deum avec beaucoup de magnificence. Mr Phelipes, Lieutenant de Roy & Commandant dans la Ville, y assista, accompagné de la plûpart des Officiers, tant des Gardes du Corps, que de la Garnison, aussi bien que Messieurs de l'Université, la Chambre des Comptes, le Bailliage, le Corps de Ville, & tous les Ordres Religieux. Les Trompetes & les Timbales, qui furent mêlez à la Musique, firent un Concert tres-agreable. Le soir on fit joüer le Feu d'artifice. C'étoit une Pyramide quadrangulaire que les Magistrats avoient fait dresser, parce que selon l'usage des Anciens, cette sorte de monument estant consacré au Soleil, ils avoient occasion d'y faire éclater le symbole du Roy. Cette Pyramide estoit élevée sur un Perron orné d'une Balustrade, & soûtenuë sur une Base d'onze ou douze pieds de haut. [...]

Apres ce Spéctacle, Mr Phelipes traita magnifiquement quantité de Personnes considérables, tant des Officiers de la Garnison, que de tous les Corps de la Ville. Ensuite il donna le Bal & la Comédie, & fit couler plusieurs Fontaines de Vin, qui furent un régale pour le Peuple pendant une partie de la nuit.

[Réjouissances faites à Dole.]* §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 9-33.

Le soir on fit joüer le Feu d’artifice. C’étoit une Pyramide quadrangulaire que les Magistrats avoient fait dresser, parce que selon l’usage des Anciens, cette sorte de monument estant consacré au Soleil, ils avoient occasion d’y faire éclater le Symbole du Roy. Cette Pyramide estoit élevée sur un Perron orné d’une Balustrade, & soûtenuë sur une Base d’onze ou douze pieds de haut. Elle portoit sur quatre Dauphins, qui des quatre coins de la Pyramide devoient jetter une pluye d’or, & elle estoit surmontée d’un Globe semé de Fleurs-de-Lys, sur lequel estoit posé un Soleil, représentant le Roy avec sa Devise. Sa hauteur depuis la Base, alloit à plus de soixante pieds. Cette Base estoit chargée de Devises, dont les mots Latins estoient expliquez par des Vers François. Le haut de la premiere Face avoit cette Inscription,

Serenissimo
Burgundiæ Duci,
Ludovici Magni
Et Theresiæ Austriacæ
Nepoti,
Ludovici Galliarum Delphini
Et Mariæ Bavariæ
Filio,
Hanc Pyramidem,
Perituram quidem ignibus,
Pignus tamen suæ in Regem
optimum
Fidei numquam perituræ,
MagIstratVs DoLanVs et CIVes
EreXerVnt.

 

Vous jugez bien que les lettres capitales qui sont dans ces quatre derniers mots marquent 1682. qui est l’année de la Naissance du Prince. Au milieu de la mesme Face brilloit un Soleil qui formoit deux Parélies,

Geminâ splendens in imagine gaudet.

 

Cette Devise estoit expliquée par ce Sonnet, qui occupoit le bas de la Face.

Des Mortels étonnez je m’attire les yeux
Par cent effets divers que produit ma lumiere ;
Toûjours pourtant égal à moy-mesme en tous lieux,
Je remplis chaque année une illustre Carriere.
***
Mes feux domptent l’orgueil des plus audacieux.
Et par mes traits lancez, l’ame la plus guerriere
Reconnoissant en moy la puissance des Dieux,
Observe avec respect ma course journaliere.
***
Quoy qu’on ne m’ait jamais veu soufrir de Rivaux,
Pour me communiquer je me fais deux Egaux,
Et vois avec plaisir qu’on les prend pour moy-mesme.
***
Mais me donnant entier, bien loin de perdre rien,
Comme c’est de moy seul qu’ils ont leur Diadéme,
L’éclat qui l’environne augmente encor le mien.

 

La premiere Face estoit dédiée au Roy, & avoit pour titre,

Ludovicus Magnus
Sol splendidissimus.

 

On y avoit peint deux Emblêmes, ainsi que dans les deux autres Faces, & chaque Emblême estoit accompagné de quatre Devises.

Le premier Emblême, qui représentoit l’ordre admirable du Gouvernement du Roy, estoit un Apollon sur son Char, traîné par quatre Chevaux, & parcourant les Signes du Zodiaque,

Æquus moderatur habenas.
Toûjours avec justesse il gouverne son Char.

 

La premiere Devise, un Soleil élevé sur l’horison,

Videt omnia primus.
Il voit tout le premier, rien n’échape à ses yeux.

 

La seconde, une Cassolete où brûloit de l’Encens,

Aris fundit opes.
Pour l’honneur des Autels, je répans mes richesses.

 

On sçait que le Roy fait de grandes libéralitez, soit pour les Eglises, soit pour les Pauvres, soit pour la conversion des Héretiques.

La troisiéme, un grand Laurier, d’où sortent deux Rejetons, l’un plus grand que l’autre,

Honos duplex adnascitur.
D’un double Rejetton il augmente sa gloire.

 

Il semble que le Ciel, pour récompenser le Roy du zele qu’il a pour ramener tant d’Enfans rebelles au sein de l’Eglise, luy veut faire voir plusieurs genérations.

La quatriéme, une Main qui tient une Balance dans un juste équilibre,

Examine librat.
C’est par moy qu’on connoît ce que vaut chaque chose.

 

Il n’est rien de plus équitable que le Roy. En matiere de distribution d’Emplois, & de Charges, aucun Prince ne rendit jamais plus de justice au mérite.

Le second Emblême estoit encor Apollon, mais tirant des Fléches du haut du Ciel sur Marsias, qui avoit osé le défier. Ce Dieu irrité, le perça de mille traits, & luy arracha la peau,

Sic hostes vincit,
  spoliatque.
Ainsi sçeut Apollon chastier l’insolence
D’un Mortel orgueilleux qui l’avoit insulté.
Ennemis de LOUIS, vostre temérité,
 Combien de Places d’importance,
De terreurs, & de morts, vous a-t-elle cousté ?

 

La premiere Devise, un Fleuve, dont les Eaux se sont grossies, & qui estant devenu plus grand, plus on luy a opposé de Dignes, a eu ensuite un cours plus rapide,

Auxere repagula vires.
La résistance accroist son cours impétueux.

 

La seconde, une Lionne accompagnée de ses Petits, qu’elle regarde d’un œil doux, sans perdre sa fierté,

Fortior ex prole.
En voyant mes Petits, je sens croistre ma force.

 

La troisiéme, une Aigle, attaquée de plusieurs Oyseaux moindres qu’elle,

Nec pluribus impar.
Je les vaux tous, unis ensemble.

 

La quatriéme, un Foudre qui frape & abat le sommet d’une Montagne,

In culmina sævit.
Il tombe avec éclat sur les Monts orgueilleux.

 

Tant de Puissances qui ont voulu s’élever contre le Roy, ont reconnu par leurs pertes, combien ses Armes doivent estre redoutées.

La troisiéme Face qui estoit pour Monseigneur le Dauphin, avoit ce titre,

Primum parhelium
Ludovicus Galliæ
Delphinus.

 

Le premier Emblême estoit le Soleil instruisant son Fils Phaéton, de la maniere dont il faloit gouverner son Char.

Medio tutissimus ibis.
En tenant le milieu, vous irez seûrement.

 

La sagesse de Monseigneur le Dauphin, & sa prudente conduite, font voir qu’il profitera des Instructions du Roy avec un entier succés.

La premiere Devise, une de ces Fleurs qui portent des lettres sur leurs feüilles,

A teneris.
Les beaux Arts furent ses amours
Dés sa jeunesse la plus tendre.

 

La seconde, une Couronne de Laurier,

Principis hæc decus est.
 Qu’on la prenne sur le Parnasse,
 Qu’on la porte comme Guerrier,
 Une Couronne de Laurier
Sur la teste d’un Prince a toûjours bonne grace.

 

La troisiéme, trois Dards liez,

Rumpere difficile est.
Ils sont trop bien unis ; qui peut les séparer ?

 

La quatriéme, un Oyseau de Paradis, qui prend son essor vers le Ciel,

Quo non ascendet.
Par son vol genéreux, où n’atteindra-t-il pas ?

 

Monseigneur animé par l’exemple de Sa Majesté, n’oubliera rien de ce qui peut le faire monter au plus haut point de la gloire.

Le second Emblême estoit un Aiglon, victorieux de quelques Dragons, & regardant le Soleil fixement,

Se probat obtutu.
Par ses hardis regards, cet Aigle nous exprime
Que des Monstres vaincus dans ses premiers essais,
Pres de l’Astre du Jour luy donnent libre accés,
Puis qu’il tient de luy seul le beau feu qui l’anime.

 

Monseigneur le Dauphin n’a de passion pour la Chasse, qu’afin de s’endurcir au travail, se montrant en cela semblable au Roy.

La premiere Devise est pour Madame la Dauphine. Un Arbre chargé de Fruits,

Gratior ob fructum.
S’il se charge de Fruits, il en devient plus beau.

 

La seconde, encor pour cette Princesse. Un Grénadier chargé de Grénades,

C’est mon fruit qui me couronne.

 

La troisiéme, un Miroir exposé au Soleil, qui recevant tous ses rayons, va former un autre Soleil dans un autre Miroir,

Acceptum reddit.
Ce qu’il rend est égal à ce qu’il a reçeu.

 

La quatrieme, un Dauphin qui s’élance dans les eaux, si-tost qu’il a entendu le son d’un Lut,

Simul ac audivit.
A ce son agreable il tressaille de joye.

 

Monseigneur le Dauphin se plaist à entendre des Pieces d’esprit, & chérit les Gens de Lettres.

La quatriéme Face, pour Monseigneur le Duc de Bourgogne, avec ce titre,

Secundum parhelium
Serenissimus Dux Burgundiæ

 

Le premier Emblême. Les deux Bourgognes, figurées par leurs Blasons, & se tenant par la main, portoient au Berceau du Prince les Lauriers des anciens Ducs de Bourgogne, & se dévoüoient à son service,

Claro cognomine gaudent.
Leur nom qu’on fait porter au Prince nouveau né,
Les comble d’un plaisir extréme.

 

La premiere Devise, un Fleuve qui retourne à la Mer,

Huc redit unde ortvm est.
On le voit à la fin retourner à sa source.

 

Les premiers Ducs & Comtes de Bourgogne ont esté des Fils de France, & un Fils de France porte de nouveau ce titre.

La seconde, un Miroir ardent, qui refléchit plus de lumieres qu’il ne paroist en avoir receu,

Splendorem reddet et addet.
Tout l’éclat qu’il reçoit, il le rend, & l’augmente.

 

Quelque glorieux que soit le titre de Duc de Bourgogne, que tant de grands Princes ont porté, Monseigneur le Duc de Bourgogne l’ayant receu de Sa Majesté, le va rendre encor plus illustre.

La troisiéme, deux Tulipes, qui ayant esté fermées pendant la nuit, se r’ouvrent au lever du Soleil,

Reddita forma prior.
Nous recouvrons enfin nostre ancien éclat.

 

Les deux Bourgognes, apres tant de révolutions, qui ont esté comme des temps tenébreux, reprennent leur ancienne beauté à la naissance de ce jeune Duc.

La quatriéme la Toison d’or, suspenduë à un Arbre, & brillant dans l’air,

Fulget alumno.
Je brille pour celuy qui pour moy vient de naître.

 

Le second Emblême représentoit des Persans, qui adoroient le Soleil levant,

Jam quantus in ortu est.
 Quelle sera vostre beauté,
Astre dont le lever faisoit nostre espérance !
Si vos premiers regards ont tant de majesté,
Vostre éclat s’augmentant depuis vostre naissance,
 Quelle sera vostre beauté !

 

La premiere Devise, des Fleurs épanoüyes au lever du Soleil,

Vt sensere.
Il se montre, & l’on voit que tout s’épanoüit.

 

La seconde, un Fleuve au commencement de sa source.

Crescet eundo.
On verra dans son court sa grandeur augmentée.

 

La troisiéme, un Girasol, qui panche du costé du Soleil,

Quo cunque sequar.
Je vous suivray par tout où je pourray vous voir.

 

La quatriéme, une Colomne.

Columenque decusque.
Et je sers d’ornement, & je sers de soûtien.

 

Tous ces Emblêmes, & toutes ces Inscriptions, de la façon des Peres Jesuites, se trouvoient pompeusement représentez sur les quatre Faces du Piedestal de la Pyramide, dont le corps estoit pareillement orné & embelly de Peintures. Sur ces mesmes Faces on avoit mis diférentes Armes. Celles du Roy se voyoit sur la premiere, avec ce Sonnet de Mr Tixerand, Medecin de Dole.

Grand Prince, suspendez vos soins victorieux,
Voyez en ce Berceau la Gloire en son enfance ;
Elle qui fait en Vous tout l’éclat de la France,
Devient le tendre Objet de vos soins genéreux.
***
Son Cœur aura pour but vos Exploits glorieux,
Dans son éclat naissant le vostre recommence.
Un Neveu de cent Roys, vous rend par sa naissance,
Des Ayeux le plus grand, des Roys le plus heureux.
***
On n’est pas immortel, quoy qu’on soit invincible ;
Mais la Gloire pour Vous & pour elle sensible,
Appelle à son secours l’Amour contre le Sort.
***
C’est peu pour les Héros de vivre dans l’Histoire ;
Le Sort les fait mourir en dépit de la Gloire,
L’Amour vous fera vivre en dépit de la Mort.

 

Les Armes de Monseigneur le Dauphin ornoient la seconde Face, & au dessous estoit ce Sonnet. Mr Patoüillet, Doyen de la Ville, en est l’Autheur.

Arbitre des Humains, LOUIS, Roy de la Terre,
Sur cent Peuples divers à vostre Loy soûmis,
Vous charmez vos Sujets, domptez vos Ennemis,
Par le Cœur, dans la Paix ; par le Bras, dans la Guerre.
***
Les plus fiers redoutant vostre juste Tonnerre,
Dont l’éclat ne leur laisse aucun espoir permis,
Etonnez, & tremblans, demandent d’estre Amis,
Et pour le devenir, baissent le Cimeterre.
***
Quoy que vous ayez sçeu vous rendre sans égal,
Un nouveau Duc pourtant sera vostre Rival.
Quels sont vos sentimens ? C’est pour nous un mystere.
***
La Gloire ne veut point avoir de Concurrent,
Et la Nature en veut. Que le combat est grand !
Mais on aime un Rival, quand on en est le Pere.

 

La troisiéme Face faisoit voir l’ancien Ecu de Bourgogne. Il estoit accompagné de ce Sonnet.

LOUIS, dont le pouvoir est doux & redoutable,
D’un monde d’Ennemis soûlevez contre Toy,
Les uns ont le bonheur de vivre sous ta Loy,
Les autres le desir d’un sort si favorable.
***
En vain par cent Projets leur Ligue parut stable,
Tu ne peux faire un pas sans les remplir d’effroy ;
Et la necessité de t’engager leur foy,
A leurs yeux maintenant paroist inévitable.
***
Tu peux les dompter tous au gré de tes souhaits ;
Mais s’ils t’ont fait la Guerre au milieu de la Paix,
Tu leur donnes la Paix au milieu de la Guerre.
***
Apres tant de succés & d’exploits inoüis,
Tu fais encore plus en donnant à la Terre,
Dans le Fils de ton Fils, deux fois le Grand LOUIS.

 

L’Ecu de la Ville de Dole estoit peint dans la quatriéme Face. On y lisoit aussi ce Sonnet. Ces deux derniers sont du mesme Mr Tixerand, dont j’ay déja employé le nom.

LOUIS, ce grand Roy que je sers,
Favorisé des Destinées,
Innaccessible à leurs revers,
Comblé de gloire en peu d’années ;
***
Aimé de cent Peuples divers,
Malgré des Guerres obstinées,
A son gré rend à l’Univers
La Paix qui les a terminées.
***
Parmy ses Lauriers & ses Lys,
Il voit naître un Fils de son Fils,
Nez pour régir la Terre & l’Onde.
***
Que peut-il manquer à ses vœux,
Sinon que c’est trop peu qu’un Monde,
Et qu’il en faudroit encor deux ?

 

Le reste de la Pyramide, enrichy de divers agrémens de Peinture, se faisoit aussi admirer par quantité d’Inscriptions Chronographiques. En voicy une, qui aussi bien que les dernieres paroles de la grande Inscription que j’ay rapportée d’abord, signifioit en fort peu de mots l’année qui donne à la France un Prince qu’elle souhaitoit avec tant d’ardeur.

LVDoVICVs MagnVs fit aVVus.

 

Le feu fut mis à cette Machine, apres trois décharges de toute l’Artillerie de la Place, & de la Mousqueterie de la Garnison. La Tour de l’Eglise fut illuminée, & quantité de Trompes à feu & de Serpenteaux en furent jettez sur la grande Place. Les Armes du Roy estoient mêlées aux lumieres qui éclairoient toutes les Fenestres des Maisons depuis le premier étage jusques au plus haut. Apres ce Spéctacle, Mr Phelipes traita magnifiquement quantité de Personnes considérables, tant des Officiers de la Garnison, que de tous les Corps de la Ville. Ensuite il donna le Bal & la Comédie, & fit couler plusieurs Fontaines de Vin, qui furent un régale pour le Peuple pendant une partie de la nuit.

[Montauban] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 35-37, 40-41, 51-58.

 

Le dimanche 30. jour destiné pour le Te Deum, l'Infanterie & la Cavalerie se rendirent autour de l'Eglise Cathédrale à l'heure de Vespres. Mr le Marquis d'Ambres & Mr Foucault y arriverent, le premier accompagné des Consuls & de plusieurs Gentilshommes, & le second à la teste du Présidial. La Cour des Aydes en Robes rouges s'y estoit déjà renduë. Le Te Deum fut chanté par la Musique, & pendant ce temps la Mousqueterie se fit entendre, aussi bien que les Trompetes, les Tambours, les Fifres, & les Hautbois. on fit aussi les décharges de huit Piéces de Canon, que Mr l'Intendant avoit fait venir de Picocos. Ensuite Mr le Marquis d'Ambres à la teste des Consuls, & accompagné de l'Infanterie & de la Cavalerie, alla allumer le Feu qu'on avoit dressé dans la grande Place. Toutes les Troupes défilerent devant ce Feu, & firent leur décharge quatre à quatre, aux cris redoublez de Vive le Roy. Le soir on fit joüer un Feu d'artifice. Sa Majesté y estoit réprésentée, dans son Trône sous un magnifique Pavillon, Monseigneur le Dauphin au dessous, & à ses pieds Monseigneur le Duc de Bourgogne dans un Berceau. Quatre Figures, dans une posture soûmise, estoient aux quatre coins du Theatre. [...]

Il y eut une affluence extraordinaire de Peuple a voir tirer ce Feu, autour duquel les Troupes s'estoient rangées. Quatre Soleils jetterent d'abord un nombre infiny de petites Etoiles; & par un agréable artifice, les quatre Figures qui estoient aux coins de la Machine, s'étant détachées tout d'un coup, allerent mettre leurs Armes devant le Berceau du jeune Prince. Dans le mesme instant, on vit une surprenante confusion de Bombes, de Petards, de Lances-à-feu, & de Fusées, qui s'élancerent en l'air au bruit du Canon, des Trompetes, des Hautbois, des Fifres, & des Tambours; aprés quoy l'Infanterie & la Cavalerie firent leurs Décharges, & défilerent en tres-bon ordre. Les Consuls s'estant retirez à l'Hôtel de Ville, y donnerent un magnifique Repas à quantié de Personnes considérables. Les Feux furent allumez par tout. [...]

Mr le Comte de Jarnac, Lieutenant pour le Roy dans les Provinces de Xaintonge & Angoumois, ayant donné ordre à tous les Habitans de ses Terres de celebrer la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, Mr le Chevalier de Jarnac son Oncle, choisit le jour de Saint Loüis, pour le faire executer dans la Ville de Jarnac. On commença dés le 20. à tirer plusieurs coups ; & le 23. & 24. la Mousqueterie fit une décharge continuelle. Le 25. toutes les Milices de la Ville & du Comté se trouverent sous les armes par les soins de Mr de Montaignes. C'est un Gentilhomme de mérite, qui a passé ses années au service de Sa Majesté, & qui est présentement Capitaine du Chasteau, Ville & Comté de Jarnac. A peine le jour eut commencé de paroître, qu'au bruit des Mousquets, des Tambours & des Trompetes, Mr le Chevalier de Jarnac fit arborer les Armes de France, environnées de Dauphins, au haut d'une des Tours du Chasteau, du costé d'une Isle que la Charente forme, & dans laquelle il avoit fait préparer le Feu de joye. Sur les dix heures, Madame de Pons-de-Bourg & et Madame la comptesse de Miossens sa Fille, arriverent avec Mr le Chevalier de Pons-de-Bourg, Petit-Fils de l'une, & Neveu de l'autre, que Mr le Chevalier de Jarnac avoit prié de venir allumer le Feu. Il n'a encor que sept ans, & est le Fils de Mr le Marquis d'Heudicourt, Grand Louvétier de France. Toute la Noblesse du Voisinage se trouva aussi dans le Chasteau, où après qu'on eut entendu la Messe qui fut celebrée solennellement dans la Chapelle, les Officiers d'Infanterie dans un tres-leste équipage, vinrent à la teste d'une Compagnie d'élite recevoir les ordres de Mr le Chevalier de Jarnac au son des Tambours & des Hautbois. La Cavalerie, qui estoit tres-bien montée, s'estant acquité du même devoir, toute la Milice se retira dans les Places du dehors & du dedans de la Ville, où elle demeura toûjours sous les armes jusques à deux heures après midy, qu'elle se mit en haye des deux costez des Ruës, où la Compagnie devoit passer pour aller entendre le Te Deum à l'Eglise Paroissiale de S. Pierre. Le petit Chevalier de Pont-de-Bourg y fut conduit, comme recevant tous les honneurs de cette Ceremonie, par six Gardes de Mr le Comte de Jarnac, commandez par Mr de Montplaisir qui en est l'Enseigne. Il fut ramené de mesme après que l'on eut chanté le Te Deum, auquel les Recollets du Convent que ce même Comte a fondez, assisterent en procession. Au retour tout le monde s'abandonna à la joye. Les Salles & les Chambres de tous les Appartemens qui sont en grand nombre, pouvoient contenir à peine l'incroyable multitude de Gens qui la faisoient éclater parmy les Hautbois & les Violons. Mais rien n'égaloit les beautez qui se découvroient des Fenestres du Chasteau. Cette petite Isle qu'on avoit choisie pour y préparer le Feu, est jointe à une grande Prairie, qui n'a pour bornes qu'une agréable Colline couverte de Vignobles & de Bosquets. Plusieurs Hameaux qui en sont voisins font une diversité qui a dequoy occuper la veuë. La Charente sépare ce charmant Païsage d'avec un Parterre, qui pour joindre le Chasteau est encore séparé d'un bras de cette Riviere, que l'on passe sur un Pont qui conduit au pied d'un grand Perron, par lequel on entre dans un magnifique Vestibule. Je ne vous dis rien de ces belles Promenades. C'est un lieu où l'Art s'est joint avec la Nature, & où tous les deux ont fait ce qu'il seroit difficile de trouver ailleurs. Pour rendre la Feste encore plus pompeuse, cette grande Prairie estoit entourée d'un nombre infiny de Peuple, qui composoit un Concert d'acclamation, & une Symphonie champestre.

Au sortir du Te Deum toute la Milice alla se mettre en bataille au milieu de la petite Isle, & en attendant que l'on allumast le Feu, la Cavalerie & l'Infanterie s'escarmoucherent, & firent des Combats dans les formes qui suspendirent agréablement l'impatience de toute cette affluence de Peuple. On avança l'heure du Soupé, & plusieurs Tables furent servies avec autant de profusion que de propreté. Ensuite on dança pendant une heure ; après quoy Mr de Montaignes ayant pris par la main le petit Chevalier de Pont-de-Bourg, qui estoit tres-galamment habillé, le descendit sur le Pont du Chasteau, & le conduisit au travers du Parterre, précedé de six Gardes & de l'Officier qui les commandoit & accompagné de toute la Noblesse de l'un & de l'autre sexe, jusqu'au grand Canal de la Charente, où il fut reçeu par une salve de Mousqueterie. [...]

[Jarnac] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 51-58

 

Mr le Comte de Jarnac, Lieutenant pour le Roy dans les Provinces de Xaintonge & Angoumois, ayant donné ordre à tous les Habitans de ses Terres de celebrer la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, Mr le Chevalier de Jarnac son Oncle, choisit le jour de Saint Loüis, pour le faire executer dans la Ville de Jarnac. On commença dés le 20. à tirer plusieurs coups ; & le 23. & 24. la Mousqueterie fit une décharge continuelle. Le 25. toutes les Milices de la Ville & du Comté se trouverent sous les armes par les soins de Mr de Montaignes. C'est un Gentilhomme de mérite, qui a passé ses années au service de Sa Majesté, & qui est présentement Capitaine du Chasteau, Ville & Comté de Jarnac. A peine le jour eut commencé de paroître, qu'au bruit des Mousquets, des Tambours & des Trompetes, Mr le Chevalier de Jarnac fit arborer les Armes de France, environnées de Dauphins, au haut d'une des Tours du Chasteau, du costé d'une Isle que la Charente forme, & dans laquelle il avoit fait préparer le Feu de joye. [...] Toute la Noblesse du Voisinage se trouva aussi dans le Chasteau, où après qu'on eut entendu la Messe qui fut celebrée solennellement dans la Chapelle, les Officiers d'Infanterie dans un tres-leste équipage, vinrent à la teste d'une Compagnie d'élite recevoir les ordres de Mr le Chevalier de Jarnac au son des Tambours & des Hautbois. La Cavalerie, qui estoit tres-bien montée, s'estant acquité du même devoir, toute la Milice se retira dans les Places du dehors & du dedans de la Ville, où elle demeura toûjours sous les armes jusques à deux heures après midy, qu'elle se mit en haye des deux costez des Ruës, où la Compagnie devoit passer pour aller entendre le Te Deum à l'Eglise Paroissiale de S. Pierre. Le petit Chevalier de Pont-de-Bourg y fut conduit, comme recevant tous les honneurs de cette Ceremonie, par six Gardes de Mr le Comte de Jarnac, commandez par Mr de Montplaisir qui en est l'Enseigne. Il fut ramené de mesme après que l'on eut chanté le Te Deum, auquel les Recollets du Convent que ce même Comte a fondez, assisterent en procession. Au retour tout le monde s'abandonna à la joye. Les Salles & les Chambres de tous les Appartemens qui sont en grand nombre, pouvoient contenir à peine l'incroyable multitude de Gens qui la faisoient éclater parmy les Hautbois & les Violons. Mais rien n'égaloit les beautez qui se découvroient des Fenestres du Chasteau. Cette petite Isle qu'on avoit choisie pour y préparer le Feu, est jointe à une grande Prairie, qui n'a pour bornes qu'une agréable Colline couverte de Vignobles & de Bosquets. [...] Pour rendre la Feste encore plus pompeuse, cette grande Prairie estoit entourée d'un nombre infiny de Peuple, qui composoit un Concert d'acclamation, & une Symphonie champestre.

Au sortir du Te Deum toute la Milice alla se mettre en bataille au milieu de la petite Isle, & en attendant que l'on allumast le Feu, la Cavalerie & l'Infanterie s'escarmoucherent, & firent des Combats dans les formes qui suspendirent agréablement l'impatience de toute cette affluence de Peuple. On avança l'heure du Soupé, & plusieurs Tables furent servies avec autant de profusion que de propreté. Ensuite on dança pendant une heure ; après quoy Mr de Montaignes ayant pris par la main le petit Chevalier de Pont-de-Bourg, qui estoit tres-galamment habillé, le descendit sur le Pont du Chasteau, & le conduisit au travers du Parterre, précedé de six Gardes & de l'Officier qui les commandoit & accompagné de toute la Noblesse de l'un & de l'autre sexe, jusqu'au grand Canal de la Charente, où il fut reçeu par une salve de Mousqueterie. [...]

[Bourg sur Charente] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 59-63.

 

Madame la Comtesse de Miossens qui vouloit aussi signaler son zele dans sa maison de Bourg sur Charente, qui n'est éloignée de Jarnac que d'un quart de lieuë, & dont l'heureuse situation luy donne la plus belle veuë du monde, avoit donné des ordres si justes, que le Feu qui s'y devoit faire dans un lieu tres-éminent, parut presque au même instant que celuy de Jarnac fut allumé. La décharge que firent quantité de Mousquetaires qui bordoient ses Terrasses, & un nombre infiny de coups que tirerent des Pieces de Campagne, faisoient une espece de tonnerre qui fut entendu de loin. Mais ce qui achevoit d'embellir tout ce spectacle, c'est que depuis le Port de Bourg, où quelques heures auparavant on avoit chanté le Te Deum dans l'Eglise Paroissiale, il y eut des Feux non seulement dans les Villages des Terres de Madame de Miossens, mais jusqu'à ceux qui bornoient la veuë du Chasteau de Jarnac. [La nuit venue, les spectateurs assistent à l'illumination du château puis aux feux d'artifice.] Un grand Pavillon jaspé de diférentes couleurs, dans lequel il y avoit un tres-grand nombre de Petards & de Fusées, avoit esté élevé entre le premier Pont & le Bassin d'un jet d'eau, qui est au milieu du Parterre. Le feu y fut mis par une figure de Dragon, descendit du haut de la Montagne de feu dont je viens de vous parler. Pendant plus d'une heure que le Pavillon fut à bruler, on jetta quantité d'autres Fusées, qui monterent dans les nuës, les unes en Lances, d'autres en Serpens, & d'autres unies avec des Petards à la queuë. Tous les feux qu'elle lançoient, divertissoient d'autant plus, qu'ils estoient multipliez dans les eaux de la Charente, dont tous les Spectateurs estoient entourez. Le Pavillon ayant esté consumé, on recommença le Bal, plus grand & plus régulier. Toutes les Personnes qui s'y trouverent, de quelque âge & de quelque sexe qu'elles fussent, firent paroistre la joye qu'elles ressentoient. Madame de Pont-en-Bourg oublia le nombre de ses années pour autoriser par son exemple une action aussi singuliere. Elle alla prendre un vieux Gentilhomme, nommé Mr de la Barde, & tous deux dancerent avec toute la justesse & la legereté qu'un siecle & demy qu'ils partagent le pouvoit permettre. Cependant la Milice ayant repassé l'eau, alla au bruit des Trompetes, des Tambours & des Mousquets allumer les Feux qui se firent devant les Portes de toutes les Maisons de la Ville. Il y eut par tout des Illuminations, & peu de Feux autour desquels on ne dançast jusques à minuit au son des Hautbois. [...]

[Cognac] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 65-67.

 

La joye n'a pas esté moindre dans la Ville de Cognac, & ce qui s'est fait par les ordres de Mr le Comte d'Aubigny son Gouverneur, & de Mr Daniaud qui en est Maire, marque le zele qu'elle a pour le Roy. Je passe tout ce qui peut estre commun aux autres Villes, pour m'attacher à une réjoüissance que vous trouverez tres-singuliere. Ce fut un combat de deux Escadrons de Cavalerie qui se fit dans la Riviere au mesme temps qu'un tres-beau Feu d'artifice joüoit dans une Isle, qui fait face à la Terrasse du Chasteau. Le choc de ces Escadrons se fit dans la Riviere mesme à grands coups de Pistolet, les Chevaux nageant lors qu'ils perdoient terre, pendant que l'Infanterie qui bordoit cette Riviere du costé de la Terrasse, faisoit un feu continuel aussi bien que celle qui estoit rangée sur le Pont à costé de cette mesme Terrasse. Joignez à cela le bruit des Canons, des Boëtes, des Pétards. Saucissons & Fusées, & vous trouverez que toutes ces choses doinoient l'idée en petit de la fameuse Journée du Passage du Rhin, où LOÜIS LE GRANDS traçoit à la posterité des leçons de vaincre les Fleuves de mesme que les Bastions les plus redoutables. La Feste finit par un Bal, qui avoit esté précedé de deux splendides Repas que Mr le Comte d'Aubigny donna à Madame la Comtesse de Miossens, & à une infinité d'autres Personnes de qualité de l'un & de l'autre Sexe. Cet illustre Gouverneur avoit fait faire des Fontaines de Vin à la Porte de chaque Capitaine de quartier, tant de la Ville que des Fauxbourgs, avec un ordre admirable, qui laissa un libre cours à la joye, & empescha la confusion.

[Blaye] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 67-71.

 

Je vous ay parlé dans ma Lettres d’Aoust des Réjoüissances que Mr le Duc de S. Simon fit faire icy devant son Hostel pendant trois jours, pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Il en donna aussitost la nouvelle à Blaye, dont il est Gouverneur, avec ordre de n’oublier rien de ce qu’on pouvoit faire d’éclatant dans une pareille occasion. Dés qu'on l'eut reçeuë, le bruit de l'Artillerie l'annonça au Peuple. Mr Dastor, Lieutenant de Roy, accompagné des Magistrats, se rendit le soir dans l'Eglise de S. Romain, où il assista au Te Deum. Ensuite il vint allumer le Feu qu'on avoit dressé dans la Place du Port, & autour duquel toute la Milice estoit rangée sous les armes. On entendit diverses décharges de l'Artillerie de la Citadelle, ausquelles il fut répondu dans les intervales par la Mousqueterie de la Garnison qui estoit sur les Remparts, & par celle de la Milice, parmy laquelle se méloit le bruit de plusieurs Canons, & de quantité de Boëtes qu'on avoit rangées dans la mesme Place. On tira aussi un fort grand nombre de coups de Canon d'un navire de guerre qui estoit au Port. Un Feu d'artifice que l'on avoit attaché à sa Poupe brûloit à quelques distance sur la Riviere. Toutes les extrémitez de ces Mats, de ces Vergues, & de ses autres manœuvres, estoient garnis de Falots. Un autre navire d'un Bourgeois de Blaye estoit éclairé de mesme, ce qui faisoit un effet assez agréable sur une Riviere fort agitée. Apres ce Feu qui dura plus de deux heures, les Magistrats conduisirent Mr Dastor dans une Salle ornée de Meubles tres-propres, & de quantité de fort beaux Lustres. La lumiere qu'ils rendoient donnoit un brillant éclat à un grand nombre de Dames qu'on y avoit assemblées. On leur servit une magnifique Collation de Fruit & de Confitures, avec des Liqueurs & de la Limonade en abondance. Dans ce mesme temps on servit deux autres Collations fort propres dans les Chambres séparées, l'une pour les Femmes de toute la Bourgeoisie, dont un des plus notables Bourgeois fit les honneurs, & l'autre pour les Officiers de la Milice. Le Peulple estoit régalé de son costé par trois Fontaines de vin qu'on fit couler sur le Port. Mr Dastor s'estant retiré dans la Citadelle où il ramena les Dames qui en estoient descenduës, les Magistrats se joignirent à la Bourgeoisie avec laquelle ils formerent plusieurs Dances dans la Place du Port. On en fit aussi dans tous les endroits où l'on alluma des Feux.

[Beziers] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 71-72, 80-83.

 

Je passe aux Réjoüissances de Beziers. Cette Ville ayant toûjours esté tres zelée pour la gloire de son Prince, vous jugez bien qu'on ne manqua pas à s'y mettre sous les armes, à illuminer les Fenestres des Maisons, & enfin à faire toutes les choses qui peuvent marquer une grande joye. La Feste fut commencée le Dimanche 13. du dernier mois. On avoit dressé un Theatre des mieux ornez dans la Place où estoit autrefois la Citadelle, & sur ce Theatre il y en avoit un second au milieu duquel estoit élevée l'Eternité figurée par une Femme debout, [...].

Le lendemain, les Penitens Noirs firent une Feste particuliere, où la pieté fut jointe à la joye. Leur Chapelle, qu'ils firent parer magnifiquement, estoit ornée d'une riche Tapisserie à fond de soye, qui representoit l'Histoire du petit Joseph, Fils de Jacob, appellé dans l'Ecriture Sauveur de l'Egypte; & comme c'estoit le jour de l'Exaltation de la Croix qu'ils celébrent toüs les ans avec beaucoup de solemnité, ils avoient mis sur le Platfond de l'Autel une Croix en l'air, soûtenuë par deux Anges, dans un Ciel de gloire en perspéctive, ce qui inspiroit beaucoup de devotion. Il y avoit sur les Balustrades qui entourent la Chapelle, six-vingts Flambeaux de cire blanche dans les Lanterne transparentes, sur lesquelles estoient peintes les Armes du Roy, de Monseigneur le Dauphin, & de Monseigneur le Duc de Bourgogne, le tout parsemé de Fleurs-de-Lys & de Dauphin. La Messe fut celebrée avec Musique & Symphonie. On chanta les Vespres de mesme ; & la Cloche ayant commencé à sonner sur les huit heures du soir, les Confreres au nombre de soixante, prirent leurs Sacs, & sortirent de la Chapelle en procession, portant chacun un Flambeau de cire blanche, du poids de quatre livres, & chantant le Benedictus Dominus Deus Israel. Mr de Sartre, Président, Juge-Mage, & leur Prieur, suivoit la Procession, portant un Flambeau aussibien que tous les Domestiques; & apres qu'on eut fait le tour de la Chapelle, on alla au lieu où le Feu estoit dressé. Deux cens Hommes s'y trouverent rangez en haye sous les Armes. La Procession ayant fait le tour du Feu jusques à trois fois, en continuant le mesme Cantique, Mr de Sartre, & en suite tous les Penitens, l'allumerent. Le bruit de la Mousqueterie, des Bombes, Boëtes, & Petards fut incontinent meslé aux cris de Vive le Roy que poussa la Peuple. Pendant ce bruit, la Procession rentra dans la Chapelle, où l'on rendit graces à Dieu par le Te Deum qui y fut chanté ; apres quoy on fit joüer le Feu d'artifice. C'estoit un Theatre à quatre faces, dont chacune avoit deux toises & demie en quarré. Les Bordures estoient de Laurier, entrelassées de Fleurs-de-Lys & de Dauphins. Aux quatre angles du Theatre estoient quatre grandes Figures en relief, qui représentoient les quatre Parties du Monde. Leur habillement estoit magnifique, & les distinguoit les unes des autres. Au milieu de ce Theatre, on voyoit le Roy sur une piédestal. [...]

[Devises faites à Bézier.]* §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 73-78.

La Figure choisie pour le dessein de ce Feu, estoit de l’invention de Mr le Pul, aussi bien que huit Devises qui ornoient les Piédestaux des Pyramides. J’ajoûte icy ces Devises avec l’explication qu’il en a faite.

 

La premiere avoit pour corps trois Fleurs-de-Lys, qui représentoient le Roy, Monseigneur le Dauphin, & le jeune Prince. Ces paroles luy servoient d’ame,

Numero Deus impare gaudet.
Le nombre de nos Lys & de nos Demy-Dieux,
 Est un nombre agreable aux Cieux.

 

La seconde, un Amour avec une Fleche à la main, & ces mots Italiens,

Non e’ il minore de gli Dei.
 Ce n’est pas le moindre des Dieux,
Ce petit Dieu d’Amour, qui ne vient que de naître.
Déja l’on reconnoît sa grandeur en tous lieux.
Son Trait doit estre un Sceptre, & comme ses Ayeux,
 Cet Enfant sera nostre Maistre.

 

La troisiéme, un Jet d’eau au pied des Montagnes,

E montibus altior exit.
Ce Jet d’eau dans ces lieux si longtemps attendu,
Au sommet de ces Monts a sa source féconde.
Il montera bien haut, s’il éleve son onde
Aussi haut que les Monts dont il est descendu.

 

La quatriéme, un Soleil, & deux Planetes,

Obscurantur qua luce micant.
Ces Planetes un jour dans le plus haut des Cieux
 Pourront éclater à nos yeux,
 Et prendre soin de nous conduire.
Dans un Char lumineux on doit les voir assis ;
 Maintenant ils sont obscurcis
 Par le Soleil qui les fait luire.

 

La cinquiéme, un Aigle en l’air, portant la Foudre en son bec, & deux Aiglons à terre qui le regardent, & semblent commencer à voler,

Ex me discite pacem quærere.
 Aiglons, qui sçavez par mes faits
Avec combien d’honneurs j’ay porté le Tonnerre,
 Ne vous servez de la Guerre
 Que pour aller à la Paix.

 

La sixiéme, une Perle dans sa Coquille au bord de la Mer,

No ay origen mayor.
 Est-il rien de plus prétieux,
Et qui soit comparable à la haute origine
De ce riche Bijou, de la Perle divine,
Présent de l’Ocean, aussibien que des Cieux ?
 Si bientost le Soleil luy donne
 Ce lustre qui peut tout ternir,
 Et cet éclat qui l’environne,
Comme luy quelque jour elle va devenir
 Tout l’ornement d’une Couronne.

 

La septiéme, un Lys soûtenu de sa Tige, d’où sort un Lys à demy épanoüy, & plus bas un Bouton,

Quomodo crescunt.
Ce Lys incomparable, appuyé sur sa Tige,
Est du siecle présent la gloire & le prodige.
 Le beau Lys qu’il a mis au jour
 En est la merveille & l’amour.
 L’aimable Lys qui vient d’éclore,
 Dont tout le Peuple est réjoüy,
Pour montrer son éclat du Couchant à l’Aurore,
 Attend qu’il soit épanoüy.

 

La huitiéme, un Soleil qui en forme deux autres dans les nuages ; & au dessous, le Globe de la Terre,

Orbis non sufficit unus.
De ces nouveaux Soleils veus sur nostre horizon,
En mille biens déja la lumiere est féconde.
Comme le grand Soleil est sans comparaison,
Qu’en force, qu’en bonté, qu’en vertus il abonde,
 Ils seront tels en leur saison,
 Il leur faut à chacun un Monde.

[Balade] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 87-90.

 

On ne doit pas s’étonner si tous les Peuples s’intéressent à l’envy à celébrer la Naissance de Monseigneur le Duc du Bourgogne. Le Ciel ne pouvoit faire un plus grand don à la France sous le Regne d’un Monarque dont les glorieux exemples sont les plus nobles leçons qui puissent estre données dans l’Art de régner, aux Princes qui naissent de son Sang auguste. La Ballade que je vous envoye, vous marquera d’une maniere plus agreable que je ne fais, combien ce don nous doit estre cher. L’Autheur m’en est inconnu. Quel qu’il puisse estre, il mérite beaucoup de loüanges pour un si galant Ouvrage.

SUR LA NAISSANCE
de Mr le Duc de Bourgogne.
Ballade.

Or est venu dedans nostre Univers
Cet Heritier d’un assez bel Empire,
Cet Enfant cher à cent Peuples divers,
Cher à LOUIS, & cela c’est tout dire.
C’en est assez pour obliger les Dieux
A conserver des jours si prétieux,
Jours où leur main tous leurs trésors enserre.
Depuis qu’on voit la lumiere des Cieux,
Plus beau présent ne s’est fait à la Terre.
***
Nostre Apollon dans ses divins Concerts
Chante déja cet Enfant sur sa Lyre.
Je vois pour luy méditer tant de Vers,
Qu’impossible est aux Neuf Sœurs d’y suffire.
Bien que ma Muse aux grands efforts n’aspire,
Je m’écrieray d’un ton audacieux,
Aux bords lointains puisse passer la Guerre,
Puisse la Paix s’affermir en ces lieux,
Plus riches dons ne se font sur la Terre.
***
Il nous promet des Printemps sans Hyvers,
Point d’Aquilons, un éternel Zéphire.
Bien peu de cœurs éviteront ses fers,
C’est ce qu’un Sage aux Astres m’a fait lire.
Amour l’appelle avec un doux soûrire,
Bellone aussi le rendra glorieux.
LOUIS sera, d’un soin laborieux,
Son Précepteur à lancer le Tonnerre,
A soûtenir cet air impérieux,
Plus beau talent ne regne sur la Terre.

ENVOY
A Madame la Dauphine.

Princesse aimable, & d’esprit gratieux,
Regardez bien ce qui s’est fait de mieux
Depuis qu’Amour de ses doux nœuds nous serre.
Ce don ne peut trop repaître vos yeux,
Plus beau Patron n’est pourvous sur la Terre.

[Sonnet] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 90-91.

 

J’ajoûte des Bouts-rimez fort heureusement remplis par Mr Vignier de Richelieu, sur cette mesme Naissance.

SONNET.

Dans le fond des Forests de Monomotapa,
A Maroc, au Tonkin, le long du sein Persique,
Où l’eau coula du Roc que Moïse frapa,
Des Colomnes d’Hercule à la Mer Arabique.
***
Dans les fameux Jardins d’un Aabalipa,
Depuis le Pôle Austral jusques au Pôle Artique,
On sçaura qu’un Dauphin est à présent Papa
D’un Fils qui remettra l’ancienne Bazilique.
***
LOUIS l’ayant donné pour Duc au Bourguignon,
Est-il rien sous le Ciel qui luy porte guignon ?
Il verra de ses jours ce cher Enfant Grand-Pere.
***
C’est comme Dieu benit celuy qui suit ses Loix,
Qui remet les Errans dans le sein de leur Mere,
Et qui fait tout calmer quand il entend sa voix.

[Retour de Monseigneur le Dauphin de Chambord à Versailles] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 98-99.

 

Je vous manday la derniere fois, le départ de Monseigneur le Dauphin pour Chambord, & la diligence avec laquelle s’y rendit ce Prince. Il alloit trouver le Roy, & l’on a toûjours beaucoup d’impatience quand on va voir ce Monarque. La Chasse, le Jeu, & la Comédie, sont les divertissemens que l’on a pris à Chambord, où une Troupe de Comédiens de Campagne s’estoit renduë. Le 6. de ce mois Monseigneur le Dauphin en partit, apres avoir soupé avec le Roy, pour venir dîner le lendemain à Versailles avec Madame la Dauphine.

[Lettre en Prose & en Vers] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 104-120.

 

Je vous envoye une Lettre écrite par une Dame de qualité à une grande Princesse. Ce seroit retarder vostre plaisir, que perdre du temps à vous la vanter. Lisez. La matiere est noble, & auroit pour vous un tres-grand charme, quand elle seroit traitée avec moins d’esprit.

A MADAME ***

La bonté que vous avez euë, Madame, en me faisant l’honneur de me témoigner que ce que j’écris ne vous déplaist pas, & l’envie que j’ay de vous marquer ma respectueuse reconnoissance, m’ont fait penser que vous agréerez que j’aye cherché à vous divertir quelques momens, par le recit de ce qui m’est arrivé dans un Voyage que j’ay fait à Versailles depuis peu. Je n’y avois nulle affaire, & rien ne m’y menoit que le dessein de faire ma Cour, & sur tout de voir pour la premiere fois cet illustre Enfant, dont la naissance allume des Feux de joye par toute l’Europe. L’heureuse Etoile qui présida à ce Voyage, & qui voulut me le rendre agreable dés son commencement, fit que je m’embarquay avec Madame la Comtesse de Brégy, dont la charmante conversation pourroit empescher de sentir la fatigue d’un chemin beaucoup plus long & plus pénible. J’arrivay, Madame, un peu plus tard que je ne pensois, car j’avois compté que je pourrois avoir le loisir de voir Monseigneur le Duc de Bourgogne avant le Dîné du Roy ; cependant j’entray seulement comme Sa Majesté s’alloit mettre à table. J’aurois pû aller faire un tour, & revenir avant que le Roy eust achevé de dîner ; mais par l’effet d’un charme qui attache à sa personne si-tost qu’on a l’honneur de le voir, je ne pensay plus à autre chose.

Sa présence suspend tous les autres desirs,
Et l’on trouve à le voir toûjours nouveaux plaisirs.

 

Je demeuray donc au Dîné tant qu’il dura. C’estoit, Madame, le jour de la Naissance du Roy ; & quoy que sa bonne mine éclate, & le distingue toûjours, quelque Habit qu’il puisse avoir, il en avoit un si magnifique ce jour-là, que de cette parure, jointe au grand air qui fait si bien voir qu’il est le Maistre, il résultoit quelque chose qui m’enchantoit. Mais quand il tournoit par hazard les yeux du costé où j’estois, il me sembloit aussitost que je voyois ouvrir une source de félicitez, & que le moindre de ses regards jettez à l’avanture, alloit me rendre heureuse. Il faut, Madame, que j’avouë que dans ces momens-là je ne pouvois m’empescher de porter envie à Madame de Brégy, qui non seulement estoit regardée avec préference de ce Grand Monarque, mais encor qui l’entretenoit avec beaucoup d’agrément, aussi-bien que la Reyne. Cette illustre Princesse que je trouve toûjours belle, me la parut ce jour-là plus qu’à l’ordinaire. Elle avoit, Madame, le plus riche & le plus agreable Habit que j’aye jamais veu, & elle estoit toute éclatante de Pierreries.

A l’éclat des Vertus l’auguste Majesté
 Estoit jointe en cette Princesse,
 Et la plus brillante Jeunesse
N’auroit pû de son teint effacer la beauté.

 

Madame la Grand’ Duchesse, & Madame de Guise, extrémement parées aussi, remplissoient & ornoient parfaitement la place qu’elles tenoient dans cette Royale Compagnie, où j’eus beaucoup de regret de ne pas voir Monseigneur le Dauphin, qui estoit à la Chasse, non plus que Monsieur & Madame qui estoient à S. Clou. J’eus aussi le malheur de ne point voir Madame la Dauphine, dont la Porte ne s’ouvroit pas encor à tout le monde, & j’en fus bien fâchée, car j’ay pour le mérite & les vertus de cette charmante Princesse une admiration, & si j’ose prendre la liberté de parler ainsi, une respectueuse inclination, que je ne puis bien exprimer. Je trouve dans tout ce qu’elle dit & tout ce qu’elle fait, de la grandeur & de l’agrément, qui luy attirent en mesme temps le respect qu’on luy doit, & l’attachement du cœur.

Du plus sublime esprit, d’une aimable bonté,
Il se fait dans ses yeux un mélange admirable.
D’une grande Princesse on luy voit la fierté
Mélée à la douceur qui la rend adorable.

 

Il faut donc demeurer d’accord, Madame, que lors qu’on voit toute la Famille Royale, on voit ce que la grandeur & le mérite peuvent montrer de plus digne d’estre admiré. Mais je n’eus pas ce plaisir entier pour cette fois, & enfin je pris le chemin de l’Apartement de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Je trouvay dans sa Chambre Madame la Maréchale de la Mothe, qui non seulement remplit dignement sa Charge à l’égard du Prince, mais encor qui charme toutes les Personnes qui vont pour avoir l’honneur de le voir, par une civilité tout-à-fait engeante, & qui m’alloit arrester aupres d’elle, si elle-mesme devinant bien l’envie que j’avois de voir le Prince, n’eust eu la bonté de me faire approcher du Lit où il estoit entre les bras de sa Nourrice ; & ne le voyant pas tout-à-fait à mon aise, pendant que Madame la Maréchale entretenoit Madame de Brégy aupres des Fenestres, je m’appuyay dans un coin, attendant qu’on le changeast de place ; & comme je resvois à l’heureuse destinée de cet illustre Fils de tant de Héros, j’entendis pres de moy prononcer ces paroles, par la plus agreable Voix qui ait jamais frapé mes oreilles.

Que de gloire le Ciel destine à cet Enfant,
Et qu’il imprime en luy d’illustres caracteres !
Je croy déja le voir dans un Char triomphant
Marcher avec éclat sur les pas de ses Peres.

 

Dans ce moment-là, Madame, en remit le Prince dans son Berceau. Je crûs que c’estoit quelqu’un de l’autre costé du Lit qui avoit commencé ces Vers, & n’entendant plus rien, sans autre refléxion, je m’attachay à regarder ce Royal Enfant.

 Tout charme en luy, tout y surprend,
Et parmy tous les traits de cette tendre enfance,
 Je luy trouvay l’air grand,
Et qui marque déja son illustre Naissance.

 

Apres que je fus sortie de sa Chambre, Madame, pendant que Madame de Brégy alloit faire quelques autres visites, je proposay à une Dame de mes Amies qui estoit aussi venuë avec nous, d’aller faire un tour de promenade.

 Dans ces Jardins délicieux,
 Dans ces charmantes Allées,
Qu’on prendroit aisément pour le sejour des Dieux,
 Où pour les Champs Elisées.

 

Cette Dame estant avec moy dans ces Lieux enchantez, voulut aller voir l’Arc de Triomphe ; & moy, Madame, me trouvant un peu lasse, je demeuray assise dans un endroit parfaitement beau, que je ne sçaurois pourtant vous dépeindre, ne m’estant remply l’idée que de ce qui m’y arriva, aussitost que je fus seule. Il y avoit à costé de moy une Palissade fort épaisse, contre laquelle je ne fus pas plutost appuyées, que j’entendis plusieurs Personnes qui parloient, parmy lesquelles je crûs remarquer cet aimable son de voix que j’avois oüy chez Monseigneur le Duc de Bourgogne. Je voulus d’abord aller vers l’endroit où j’entendois parler ; mais outre que je pensay que mon Amie seroit en peine, si elle ne me retrouvoit pas où elle m’avoit laissée, je vis qu’il y avoit un assez long chemin à faire pour trouver l’autre costé de la Palissade. Ainsi, Madame. j’aimay mieux demeurer pour tâcher d’oüir ce qu’on disoit. J’entendis donc une de ces Personnes qui reprenoit ainsi son discours. Il faut avoüer, disoit-elle, que si nostre Grand Monarque est heureux, il mérite bien de l’estre. Si l’on vouloit se former l’idée d’un Homme digne de commander à tous les autres, quelque étenduë que puisse avoir l’imagination, pourroit-elle faire autre chose que le Portrait du Roy ? En verité, si les Dieux ont jamais deû faire part de leur immortalité à quelqu’un, c’est à ce Héros. Mais, divin Génie de la France, poursuivit-elle, les Nymphes mes Compagnes, Habitantes de cet heureux Sejour, vous demandent toutes par ma bouche, que vous leur appreniez quel doit estre ce merveilleux Enfant dont la naissance porte la joye jusques dans les Païs les plus éloignez. Celles de son auguste Ayeul, ny de son illustre Pere, n’en inspirerent pas davantage, quoy que le premier dust estre le plus grand de tous les Hommes, & le second, digne Fils d’un Pere qui luy a marqué le chemin de la Gloire par de fameux exemples que ce jeune Héros brûle de suivre, & qu’il imitera si bien, à ce que vous nous dites tous les jours, que sa valeur mettra le comble à toutes les vertus qu’il possede déja. Dites-nous donc si nous devons croire la voix des Peuples, qui semble présager de si grandes choses de ce charmant Enfant qui vient de naître. Cette Personne, Madame, fit là une pause ; & moy, bien étonnée d’apprendre que cette conversation n’estoit pas entre des Personnes mortelles, comme je l’avois crû, je redoublay mon attention, ne doutant pas que ce Génie de la France à qui la Nymphe parloit, ne fust celuy que j’avois oüy chez Monseigneur le Duc de Bourgogne, & j’en fus certaine aussi-tost que j’entendis cette charmante Voix qui répondit ainsy.

Sur ce Prince on s’efforce à l’envy de prédire.
L’un dit, ce sera Mars ; un autre, c’est l’Amour ;
Mais sans chercher si loin ce que l’on en doit dire,
Il tient des Demy-Dieux qui luy donnent le jour.
Il aura la bonté de son illustre Pere,
L’esprit, les agrémens de sa charmante Mere ;
De la Reyne il aura la haute pieté,
Et de Loüis le Grand la Royale équité,
La mine, la valeur, la force, & la prudence.
Il fera comme Luy le bonheur de la France,
Craint de ses Ennemis, aimé de ses Sujets,
Toûjours beny du Ciel dans ses justes Projets.
Tout le monde adorant ses vertus sans pareilles,
Il fera voir un temps si remply de merveilles,
Que l’Univers enfin à sa grandeur soûmis,
Ne reconnoistra plus que l’Empire des LYS.

 

Si j’avois esté surprise, Madame, au commencement de la conversation, je fus si ravie en cet endroit-là, que ne pouvant plus me contenir, je courus du costé que cette divine Compagnie s’entretenoit de ces grandes choses, espérant que je pourrois la voir ; mais je perdis mes pas, & quand je fus au bout de l’Allée, je ne vis & n’entendis plus rien que mon Amie qui m’appelloit pour me dire qu’on m’attendoit pour partir. Je luy parus toute préoccupée, & sans luy en dire le sujet, je la suivis hors du Parc ; mais avant que de m’en aller, je montay un moment à l’Apartement des Filles d’honneur de Madame la Dauphine, parmy lesquelles j’ay l’honneur d’avoir trois Parentes, qui sont Mesdemoiselles de Biron & de Jarnac. Ie les trouvay toutes parées des Pierreries que le Roy leur a données ; & par ce brillant éclat, joint à celuy de leurs charmes, elles vouloient embellir le jour de la Naissance de ce Grand Monarque ; & en effet, elles me parurent si aimables, que je me trouvay toute consolée de n’avoir pas veules Nymphis de Versailles, car toutes immortelles qu’elles sont, je ne puis m’imaginer qu’elles soient plus agreables à voir que ces charmantes Filles. Il falut pourtant les quitter, & je revins à Paris, Madame, sans rien dire de tout ce que j’avois oüy, craignant qu’on ne m’accusast d’avoir resvé. Cependant apres y avoir bien pensé, si c’est un songe, il est si vray sur tout ce que nous voyons dans le présent, & si vray-semblable pour l’avenir, que je me suis résoluë de n’en faire plus un secret ; & j’en trouveray, Madame, dés aujourd’huy l’effet bien agreable pour moy, si j’ay pû vous divertir quelques instans, & vous témoigner au moins par mes bonnes intentions le profond respect que j’ay pour vous, Madame, & la passion &c.

Cette Fiction du Génie de la France, & ses Nymphes de Versailles, ne pouvoit estre tournée plus galamment, ny sur un augure plus favorable que celuy qu’on peut tirer de l’empressement des Peuples à celébrer l’heureuse Naissance du Jeune Prince,

[Riom] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 120-124, 126-129.

 

[L'article est précédé par une lettre divertissante en prose et en vers]

Cette Fiction du Génie de la France, & ses Nymphes de Versailles, ne pouvoit estre tournée plus galamment, ny sur un auguste plus favorable que celuy qu'on peut tirer de l'empressement des Peuples à celébrer l'heureuse Naissance du Jeune Prince. La nouvelle en fut reçeuë à Riom en Auvergne avec une joye extraordinaire, & aussitost Messieurs Archon, Molierat, Chassaing, & Vayssier, Consuls de la Ville, firent publier une Ordonnance, par laquelle il fut enjoint à tous les Chefs de Famille de fournir un Homme équipé pour porter les armes, chacun sous le Capitaine de son Quartier. Les Milices s'estant assemblées, se firent entendre par le bruit des Fifres, Hautbois, Tambours, & de la Mousqueterie, quelques jours avant qu'on chantast le Te Deum ; & la Reveuë ayant esté faite, on choisit sept ou huit cens Hommes des mieux faits & des plus lestes, qui furent distribuez sous les Capitaines des quatre Quartiers. Non seulement tous les Officiers estoient superbement vêtus, mais les premiers & les derniers rangs de ces Compagnies avoient quelque chose de remarquable. Les uns parurent avec des Habits tout chamarez de Galon & de Frange d'or & d'argent, ayant des Laquais vestus en Mores, ausquels le secours de l'Art les avoit fait ressembler; & les autres avoient diverses Livrées, mais toutes fort propres. Il y avoit dans chaque Compagnies deux rangs de Pertuisaniers, habillez en Janissaires. D'autres estoient vestus à l'Arménienne, d'autres à la Polonoise & à l'Espagnole, & enfin de toutes manieres. Le dernier des Sous-Enseignes qui estoient tous dans un superbe équipage, portoit en forme d'Etendard l'Ecus de France appuyé sur trois Colomnes, avec ces mots au-dessous,

TRIBUS SUFFULTA.

Le jour de la Céremonie étant arrivé, toutes ces Troupes se rangerent dans un fort bel ordre le long des Ruës depuis l'Eglise de Saint Amable, où le Te Deum fut chanté en présence de tous les Corps, jusques à la Porte du Palais, par où l'on devoit aller au Pré Madame, où le Feu de joye estoit préparé. Les Magistrats & les Consuls sortant de l'Eglise pour s'y rendre, furent saluez par toutes les Compagnies qui firent leurs Salves, & partirent aussitost. Leur marche fut lente, parce qu'elles s'arresterent en divers endroits, pour y faire des décharges ; & quand elles furent arrivées au lieu où estoit le Feu, on en forma quatre Bataillons avec une entiere exactitude des regles de l'Art Militaire. Si-tost que les Magistrats & les Consuls parurent, on tira plusieurs volées de Canon, que l'on redoubla pendant que le Feu brûloit. La maniere dont on l'avoit élevé estoit toute singuliére. On avoit joint deux Arbres l'un au bout de l'autre, avec des Boucles de fer, dans la maniere d'un Mast de Navire; & comme il avoit plus de 50 pieds de quille, il paroissoit d'une hauteur extraordinaire, planté au milieu d'une grande Place. [...]

Au retour du Feu, on tira quantité de Fusées du Dôme du Marturet, qui estoit illuminé, & où les Chanoines de ce Chapitre avoient fait monter un Orgue, qui se fit entendre pendant que leur Feu de joye brûloit devant leur Eglise. On en tira aussi un grand nombre de la Tour de l'Horloge ; & comme on s'avança dans les Ruës, on y trouva une Illumination generale aux Fenestres, & des Feux par tout. Les Consuls traitérent splendidement la plûpart des Magistrats & d'autres Personnes qualifiées, & ce Repas fut suivy du Bal. Le Colonel des Milices dnna aussi un magnifique Soupé, où il fit servir trois Tables. Chaque Capitaine régala de son costé les Principaux de sa Compagnie.

Le jour suivant, une partie des Milices les plus lestes, parut encor sous les armes ; & sur le soir Mr de Vernaison, Trésorier de France de la Generalité de Riom, qui a fait la Charge de Colonel, & qui s'est fort distingué dans cette action, fit joüer un tres-beau Feu d'artifice, qu'il avoit fait faire à ses dépens, au coin du Bois. Toutes les Maisons d'alentour estoient éclairées, & les Milices s'y estant renduës, firent plusieurs salves; apres on tira quatre Pieces de Canon qu'on avoit fait mettre aux Avenuës des quatre Ruës qui aboutissent à cet endroit. Le soir, le mesme Mr de Vernaison donna à souper à plusieurs des Officiers de la Milice, & le Bal aux Dames qu'il régala de Liqueurs. Les Prisonniers & les Pauvres de l'Hôtel-Dieu, & de l'Hopital Géneral eurent part à cette Feste, puis qu'il leur fit porter à manger à tous.

Le troisiéme jour, le Colonel accompagné des principaux Officiers, & suivy de tous les Sergens, Tambours, Fifres, & Hautbois, & d'un nombre de Mousquetaires, alla remettre les Etendards à la Maison de Ville, où les Consuls leur firent les remerciemens qu'ils méritoient. Ces Messieurs estant sortis, continuërent de marquer leur joye, dançant dans les Ruës le reste du jour au son des Hautbois & des Violons. Les Communautez Religieuses montrerent la leur dans la même occasion, & les Carmes Déchaussez firent tirer un Feu d'artifice dans la Court qui est au devant de leur Eglise. Les Consuls avoient aussi fait dresser une Fontaine de Vin d'une façon fort particuliere. Elle estoit vis-à-vis la Tour de l'Horloge, & coula par une Aigrete, qui alloit d'une élevation fort considerable, parce qu'on avoit mis la Machine d'où ce Vin sortoit, au second étage de cette Tour, & qu'on avoit fait ouvrir les Voûtes pour y faire passer les Tuyaux de Plomb. [...]

[Billet galant sur une devise de Riom.]* §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 135-138.

 

Les Réjoüissances ont continué pendant huit jours à Riom. Ainsi on ne peut donner trop de loüanges à cette Ville, qui en 1638. & en 1661. lors de la Naissance du Roy, & de celle de Monseigneur le Dauphin, fit encor des Festes d’un fort grand éclat, qui la distinguerent. Voicy un Billet galant sur une Devise de cette derniere.

A MADEMOISELLE DE ***

Ouy, Mademoiselle, j’ay fait la Devise dont vous me parlez. Elle a servy d’ornement à l’Etendard qu’a porté la Milice de Riom dans les Réjoüissances publiques. Ce sont les Armes de France, soûtenuës de trois Colomnes couronnées. La Colomne du milieu a une Couronne Royale ; la droite, celle de Monseigneur le Dauphin ; & la gauche, celle de Monseigneur le Duc de Bourgogne, avec ces mots,

Tribus suffulta,
J’ay trois Appuys.

 

Si cette Devise a eu l’approbation de quelques Personnes de mérite, je sçay qu’elle n’a pas échapé à la Critique de quelques autres ; mais n’en déplaise à M *** elle est tres-avantageuse au Roy. I’ay Philon Iuif pour garand de ce que j’avance. Cet habile Historien, & tout ensemble cet excellent Orateur, apres avoir prouvé avec son éloquence ordinaire, que le Royaume électif est de beaucoup inférieur au Royaume heréditaire, conclud que les Peuples qui vivent sous la Monarchie, doivent souhaiter à leur Souverain un grand nombre d’Enfans mâles ; & la raison qu’il en donne, c’est qu’ils sont l’appuy & la force de l’Etat. Vous voyez bien que le raport est fort juste. Ie souhaiterois qu’il y en eust entre vous & moy, comme il y en a dans nos Armes, car de vostre Rocher & de ma Flâme, il en résulte un Mont Etna. I’y adjoûte pour ame ces mots,

Sa durée est la Mienne.

Cela veut dire, que comme les charmes de vostre beauté & de vostre esprit sont en seûreté, de mesme j’auray toute ma vie des sentimens d’estime & a’amour pour vostre aimable Personne, & que je me dis avec beaucoup de respect vostre tres &c.

De Granville.

A Riom, 1. Oct.

[Angers] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 138-144.

 

Mr Arnaud, Evesque d'Angers, fit chanter le Te Deum dans son Eglise Cathédrale de Saint Maurice, le Dimanche 23. Aoust. Le Présidial, le Corps de Ville, la Prevosté, l'Election, & le Corps des Marchands, y assisterent, le Présidial en Robes rouges, & les autres dans leurs Habits de cerémonie. Mr d'Autichamp Gouverneur du Château, estoit à leur teste. Tout le Clergé s'y trouva aussi, composé de huit ou neuf Chapitres d'Eglises Collégiales, & des Communautez des Mandians. Apres le Te Deum on se rendit en la Place publique des Hales, où le Feu fut allumé au bruit des Boëtes & du Canon. On choisit pour les Feux du soir la Place qui est devant les Minimes, appellée le Champ de Foire, l'une des plus belles du Royaume. Elle est bornée d'un costé d'un grand Fossé revestu, & des Murs de la Ville, qui sont fort élevez en cet endroit. La Contrescarpe de ce Fossé fait une espece d'Amphithéatre, qui rend ce Lieu tres-propre aux Spéctacles. On fit une grande Illumination le long des Murs de la Ville, & l'on éleva dans le milieu de la Place la figure d'un gros Rocher, environné de feüillages éclairez de toutes parts. Dans l'enfoncement de ce Rocher estoit un tres-bel Enfant, à demy couvert des Armes de France. Il carressoit des Syrenes & des Dauphins, qui faisoient couler du Vin de diférentes couleurs. Les Fifres & les Tambours furent mis dans un costé de la Place, des Trompetes dans un autre, & l'on avoit dressé un Theatre pour les Violons, proche l'entrée de l'Avant-Mail, qui paroissoit toute en feu. Les Piliers de cet Avant-Mail, qui sont d'une belle Architecture, estoient couverts en quelques endroits de Feston de Pampre, & de Fanaux et de Vases pleins de feu, & l'espace qui est entre ces Piliers estoit couronnés d'Illuminations, qui faisoient briller des Chifres & des Devises. A costé de ces Piliers on en avoit élevé douze autres entourez de feuillages, & ornez aussi de Festons de Pampre. Chaque Pilier portoit un Vase de Feu, & tous ensemble formoient une chaîne fort agreable. Tous les Clochers, qui sont en grand nombre & fort élevez, principalement ceux de Saint Maurice & de Saint Aubin, estoient tous remplis de feux jusques à leurs pointes. Un peu avant huit heures du soir, la Musique de la Cathédrale, accompagnée d'Instrumens, & placée sur un Balcon du Clocher, fit retentir un Motet qui fut entendu de loin. A huit heures, la fameuse Cloche du gros Guillaume ayant donné le signal, toutes celles de la Ville commencerent leur Carillon, qui dura une heure. Pendant ce temps on alluma les Feux qui avoient esté dressez sur les bords de la Place. Les Trompetes, les Fifres, & les Tambours, firent leurs fanfares. Les Canons & les Boëtes les suivirent, & tout d'un coup il partit du haut d'une des Tours des Murs quantité de Feux d'artifice, qui firent paroistre en l'air plusieurs Figures en feu. Les Habitans s'en retournant de ce Champ par la Porte de Saint Michel, furent agreablement surpris des magnifiques Illuminations qui leur parurent au dela de leur Riviere, au Convent des Capucins, situé à l'Orient de la Ville. Ces Peres avoient disposé un nombre infiny de Lampes en pyramides & autres figures d'Architecture sur la Terrasse de leur Jardin, ce qui de loin fit un effet merveilleux, avec des Feux d'artifice tres-bien entendus. Les Trompetes & les Tambours reconduisirent Mr Charlet, Maire de la Ville, dans sa Maison, avec les Officiers du Corps de Ville qui l'avoient accompagné. Les plus considérables de l'un & de l'autre Sexe s'y estant rendus, trouverent les Violons, & l'on passa dans ce Lieu une grande partie de la nuit avec beaucoup de plaisir. Le lendemain jour de la S. Barthelemy, la Feste publique fut suivie d'une Feste particuliere en chaque Paroisse & Communauté Religieuse. Les Paroissiens de Sainte Croix se signalerent entre les autres, ayant dressé des Tables autour de la Place qui est devant leur Eglise, & régalé les Passans. Le mesme jour, le Corps des Marchands, qui est tres-nombreux, fit chanter un Te Deum dans la Chapelle de leur Palais, & donna le soir un fort grand Repas.

[Sainte-Maure en Touraine] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 144-146.

 

Le Dimanche 30. Aoust, on fit les Réjoüissances à Sainte Maure en Touraine. Il y eut une Fontaine de Vin devant la Maison du Senéchal, Maire perpétuel de la Ville ; & les Capitaines des Quartiers ayant mis les Habitans en bataille, les menerent au Chasteau, où ils firent leurs décharges. Voicy dans quel ordre ils allerent à l'Eglise. Le Capitaine & le Senechal marchoient les premiers précedez des Gardes. Tout le Corps de la Justice suivoit, & une Brigade d'Archers du Grand Prevost de Touraine & Maine, avec leurs Casaques, alloient derriere ce Corps. Ensuite venoit une Troupe de Hautbois, apres laquelle marchoient les Habitans sous les armes. Le Capitaine & le Senéchal allumerent le Feu dans la Place des Halles, qui est tres-belle & tres-spatieuse. Les décharges y furent réïterées, & on alla au sortir de là les continuer dans le Chasteau. La Dame Prieure de Sainte Maure, fit aussi faire de grandes Rejoüissances dans son Convent. Toute sa Maison estoit pleine de Lumieres.

[Feste galante de Xaintonge] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 146-150.

 

Je vous ay déjà parlé de la Feste de Jarnac [cf. Mercure 1682.10.23]. Elle fit naistre l'envie à trois ou quatre Demoiselles de Xaintonge d'en faire une en leur particulier, que vous trouverez tout-à-fait galante. Elles firent courir un Billet dans toute la Noblesse de leur Voisinage, pour convier les Gentilhommes & les Dames de se rendre le 25. d'Aoust, à une Maison de Campagne, nommée Bardon, où elles devoient faire un Feu de joye pour la Naissance du jeune Prince. Cependant elles choisirent un endroit propre pour leur dessein. Bardon est une petite Maison fort jolie, situé sur la Riviere de Lantenne à trois lieuës de Cognac. Un Bois de Futaye qui est tres beau luy sert d'accompagnement, aussi bien que de grandes Prairies, qui comme le Bois sont environnées de la Riviere. Ce fut dans cet agréable Lieu qu'elles trouverent assez prés de l'eau un grands Chesne verd qu'elles destinerent à être brûlé. Elles firent entourer cet Arbre de Fagots secs. On en attacha un nombre incroyable à toutes les branches, depuis le haut jusqu'au bas, & il devint par leurs soins un fort Grand Bucher. Il estoit vis-à-vis d'une grande Allée couverte, & y avoit en perspective un beau Cabinet. Un gros Laurier qui voit résisté à la gelée de plus de cinquante Hivers, en faisoit la couverture. Mademoiselle de Bardon, l'une de ces aimables Personnes, donna ordre qu'on le coupast, & avec beaucoup de cérémonie, elle le fit mettre au milieu de ce Bucher, disant que puis qu'on en donnoit des branches pour couronner les Empereurs, ce n'estoit point trop qu'elle en donnast en entier, pour marquer à nostre auguste Monarque la joye qu'elle avoit de la Naissance de son Petit Fils. Les meilleurs Hautbois de la Province avoient esté mandez pour la Feste, & la Noblesse invitée s'estant renduë à Bardon au nombre de cinquante Personnes, Hommes & Femmes, Mademoiselle de Bardon & Mesdemoiselles ses Soeurs, avec vingt de leurs Amies, parurent en Amazones magnifiquement vestuës, & tenant chacune un Pistolet à la main. Tout le reste de la Compagnie les suivoit. Mademoiselle de Bardon, Chef de l'entreprise, s'avança à la teste de cette brillante Troupe, alluma le Feu, & tira son coup de Pistolet. Toutes ces belles Amazones en firent autant, & en suite on n'entendit que coups de Fusils, de Pistolets, de Mousquetons, & autres Armes à feu. Les Tambours de Guerre & de Basque mêlez au son des Hautbois, & autres Instrumens champestres, faisoient une Symphonie des plus agreables. Apres cela Mr de Courserac, Gentilhomme d'un fort grand mérite, & Pere de Mesdemoiselles de Bardon, régala toute l'Assemblée dans une des Allées du Bois. [...]

[Sonnet] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 150-152.

[...] A ce Repas succeda la Dance, qui donna lieu à ces aimables Demoiselles de faire paroître combien elles ont l’oreille juste. Mr de Courserac leur Pere s’est converty depuis peu avec sa belle & grande Famille, composée de treize Enfans. Il a deux Fils qui servent le Roy depuis douze ans. L’un qu’on appelle Mr de Bardon, est Capitaine dans le Régiment du Maine. L’autre est Lieutenant au Régiment Colonel, & tous deux tres-braves. Je ne puis mieux finir cet article, que par un Sonnet de Mademoiselle de Bardon leur Sœur, sur le Laurier qu’elle a fait brûler. Il vous fera voir que si son cœur d’Amazone la rend Amie de Pallas, elle ne l’est pas moins des Muses.

SONNET.

Quoy ? nous verrons encor des Lauriers dans la France,
Comme l’on en voyoit aux Siecles de jadis ?
Nous choquerions du Ciel la divine Ordonnance
Qui nous donne en effet ce que fust Amadis.
***
D’un Duc tant desiré la Royale Naissance,
Fatale à tout Tyran plus que je ne prédis,
Nous fait tout espérer, la joye, & l’abondance.
Ses grands destins déja sont par tout applaudis.
***
Brûlons donc ce Laurier, n’épargnons point la Palme,
Tout sous Loüis le Grand est en paix, tout est calme,
Chez les Roys éloignez il prendra des Lauriers.
***
Il en composera sa gloire & sa Couronne ;
Mais ses Peuples verront son auguste Personne
Se couronner pour eux de Festons d’Oliviers.

[Stances] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 153-156.

Mr Amoreux de Digne, Avocat au Parlement d’Aix, a fait les Stances que j’ajoûte à ce Sonnet.

A MONSEIGNEUR
LE DUC
DE BOURGOGNE.
Stances.

 Heureux Rejeton de nos Roys,
 Issu de deux illustres Tiges,
 De qui les glorieux Exploits
 Doivent estre autant de Prodiges,
 Le Ciel par un Astre nouveau
 Prend soin d’éclairer ton Berceau,
Pour marquer aux Mortels tes nobles Avantures ;
Et mille & mille Feux en cent Climats divers,
 Sont déja comme autant d’augures
Des beaux jours que ton Sort promet à l’Univers.
***
 Déja cette vivante flâme
 Qui brille toûjours dans tes yeux,
 Nous fait voir de tes grands Ayeux
 Les Vertus germer dans ton ame.
 Sur ton front auguste & charmant,
 L’on voit paroître noblement
La fierté, la douceur de ton aimable Pere ;
Tous ses traits de grandeur sont en toy répandus ;
 Et parmy tous ceux de ta Mere,
Ceux de Loüis le Grand s’y trouvent confondus.
***
 Bientost au milieu de ta course,
 Descendu d’un si grand Héros,
 L’on te verra par tes travaux
 Monter aussi haut que ta source.
 Lors que ta valeur agira,
Loüis le Grand t’animera,
Luy seul par ses conseils reglera ta conduite,
Et marchant comme Luy sur l’orgueil abbatu,
 Toûjours la Fortune à ta suite,
Fera voler ton Char guidé par sa vertu.
***
 Passe les frivoles delices,
 Dont les Enfans font leurs joüets,
 Les Princes comme Toy sont faits
 Pour de plus nobles Exercices ;
 Haste, précipite le temps,
 Tu dois dans ton premier printemps,
A l’Assaut, au Combat, conduire tes Cohortes.
L’Herétique chassé, le Barbare soûmis,
 Pour remplir le Nom que tu portes,
Sont les dignes Lauriers que le Ciel t’a promis.

Le mesme Autheur fit cette Epigramme pour Madame la Dauphine, lors que l’Histoire de Baviere luy fut présentée.

Princesse, les Héros que j’expose à vos yeux,
 Dont vous tirez vostre origine,
 Trouvent en vous une Héroïne,
Qui releve l’éclat de leurs Noms glorieux.
Tout ce qu’on voit de beau, de rare en cette Histoire,
 Vostre mérite le comprend ;
 Mais le comble de vostre gloire,
C’est le choix que de vous a faitLoüis le Grand.

[Libourne] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 157-160, 162-164.

 

Peut-estre, Madame, ne connoissez-vous pas le nom de la Ville de Libourne, à cause de sa petitesse, & encore plus de son éloignement ; mais je suis seûr que vous ne l'oublîrez jamais quand je vous auray appris combien Libourne s'est distinguée par le zele qu'elle a marqué. Le 23. d'Aoust on y chanta un Te Deum, avec une Musique que les soins de Messieurs de la Cour des Aydes, principalement de Mr Darches Procureur General, y avoient fait venir. Le 28. on publia un Ordre à tous les Bourgeois de se tenir prests à se metre sous les armes le 30. & à faire éclater leur joye par tous les moyens qu'ils pourroient imaginer. Le 30. estant venu, on ouvrit cette Journée par un grand bruit de Tambours, de Fifres & de Trompetes, qui allerent par toute la Ville assembler les Bourgeois sous les armes. Il se trouva mille Hommes bien faits & en bon ordre dans la Place publique, qui est une des plus belles Places de Ville qui soit dans tout le Royaume. Ce fut là que toute la matinée se passa à ranger cette Infanterie en Bataille, & à faire des Reveuës. Mr de Gombaut Major, s'acquitta fort bien de cet employ. Tous les Magistrats allerent dîner chez le Sr Mathieu, un des plus fameux Négocians de cette Ville. Il avoit fait conduire devant sa Maison, qui est sur la Place, quelques Piéces d'Artillerie, de sorte que pendant le Repas qui fut magnifique, on n'entendit au dehors que le bruit du Canon, & au dedans la douce harmonie des Violons, des Hautbois, & des Musettes. Cependant tout le Peuple dançoit sur la Place, & les Gens mesme les plus considérables, ne dédaignoient pas de se mêler à ces Dances, pour faire voir que le bonheur qu'on reçoit par la Naissance de nostre nouveau Prince, regarde également tout le monde. A cinq heures apres midy on alla chez les Peres Cordeliers à un Te Deum qui y fut chanté, apres quoy le Gardien du Convent à la teste de ses Religieux, présenta à Mr le Chevalier de Gourgueux Maire, un Flambeau de cire blanche pour allumer un Feu qu'on avoit dressé devant l'Eglise. Au retour de là on trouva un nouveau Spéctacle dans la Place. On avoit fait aux quatre coins quatre Fontaines de Vin, & préparé quatre longues Tables pour les Officiers & les Soldats de chaque Quartier. [...]

Le lendemain 31. la matinée se passa à entendre une Messe solemnelle que le Maire & les Jurats firent chanter aux Cordeliers, & à visiter l'Hôpital de la Ville, où ces Messieurs répandirent beaucoup d'aumônes. Le Chef de la Magistrature, qui est un Conseil Politique composé de seize Personnes choisies, donna un Dîné magnifique aux plus considérables Officiers ; & le soir toute la Milice estant rangée sur le bord de la Dordoigne, on se mit dans des Bateaux, qui furent suivis des Violons & des Hautbois ; & la nuit on joüit de la veuë d'un Feu d'artifice qui fut tiré sur la Riviere. Le premier de Septembre, un des Jurats donna un grand Dîné ; & sur les quatre heures apres midy, le Maire s'étant mis à la teste de la moitié de l'Infanterie, & ayant donné l'autre moitié à commander au Major de la Ville, les Trompetes & les Fifres sonnerent la charge, & ces deux Corps s'attaquerent fort vigoureusement. Cependant apres un combat assez long, ny l'un ny l'autre ne put se rendre maistre du Champ de Bataille, & ils se séparerent avec un avantage égal. Le soir, le Maire régala chez luy toute la Magistrature, & les principaux Bourgeois ; & comme il allumoit devant sa Maison un Feu de joye, & en alloit faire tirer un d'artifice, il arriva dans ce mesme moment un Garde de Mr le Marquis d'Ambres, l'un des Lieutenans de Sa Majesté dans cette Province, qui portoit ordre à la Magistrature de celébrer la Naissance de nôtre nouveau Prince, le plus magnifiquement qu'il seroit possible ; mais il trouva que les ordres de son Maistre avoient esté prévenus, & il fut luy-mesme témoin des Dances, des Feux, des Festins, & des réjoüissances du reste de cette nuit, qui luy firent juger quelle avoit dû estre la Feste des jours précedens.

[Compliment de M. le Comte de S. Aignan […]] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 164-167.

Vous sçavez que Madame la Duchesse de S. Aignan est heureusement accouchée d’un Garçon. Ce jeune Seigneur est d’une Maison où l’esprit brille dés le Berceau. En voicy des marques.

COMPLIMENT DU
Comte de S. Aignan, âgé de
deux jours, A Monseigneur
le Duc de Bourgogne, âgé de deux mois.

Auguste Petit-Fils du plus grand Roy du Monde,
Je viens de voir le jour pour me donner à vous.
Le Ciel m’a destiné pour estre à vos genoux,
Pour suivre tous vos pas sur la terre & sur l’onde ;
Alors, devant vos coups les Ennemis fuiront,
Ou j’écarteray ceux qui vous attaqueront.
***
Cependant, Monseigneur, dans l’état où nous sommes,
Nous tettons l’un & l’autre, & c’est tout nostre but ;
Mais un jour l’Univers vous doit rendre un tribut,
Et quand avec le temps nous serons de grands Hommes,
On vous verra combatre, & moy je combatray,
Vous irez à la Gloire, & je vous y suivray.
***
Né d’un Pere charmant, d’une Mere adorable,
Grand en toutes façons, bien fait, bien élevé,
Comme dans tout le monde on n’aura point trouvé
Aucun jeune Héros qui vous soit comparable.
Vous ne trouverez point, en recevant ma foy,
De Guerrier qui vous soit plus attaché que moy

Le Comte de S. Aignan.

 

Ne reconnoissez-vous pas dans ces Vers l’esprit de Mr le Duc de S. Aignan, & l’ardeur de son zele pour toute la Maison Royale ? Ils ont reçeu de grands applaudissemens à la Cour ; & chacun en ayant recherché des Copies avec empressement, le soin que je prens de recueillir tout ce qui se fait de beau pour vous l’envoyer, me les a fait tomber entre les mains. Je ne doute point que ce que vous venez de lire dans ces Vers n’arrive un jour, & je souhaite d’estre encor en état d’en écrire l’Histoire.

[Madrigaux] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 167-172.

[...] Voicy ce qu’une Dame tres-distinguée par sa qualité, a dit en parlant de la Naissance de ce jeune Comte.

 Espérons tout de sa Naissance ;
On sçait que cette Année est fertile en Héros ;
Il fera bientost voir la noble impatience
 Qui le doit rendre ennemy du repos.
 C’est à cet heureux caractere
Qu’on le reconnoistra digne Fils de son Pere.

 

Mr l’Abbé Gaultier a fait aussi le Madrigal suivant sur le mesme sujet. Il est adressé à Mr le Duc de S. Aignan.

MADRIGAL.

 Sans consulter les Astres, ny les Cieux,
Sur le destin du Fils que le Ciel t’a fait naître,
 Je juge de ce qu’il doit estre
Par les Héros qu’il compte pour Ayeux ;
Il joindra leur valeur & leurs vertus ensemble ;
Mais pour estre parfait, il faut qu’il te ressemble.

 

Mr Petit de Roüen, dont je vous ay déja parlé du mérite & de la naissance dans plusieurs de mes Lettres, en vous envoyant quelques-uns de ses Ouvrages, ayant sçeu que Madame la Duchesse de S. Aignan estoit accouchée, fit aussitost ce Rondeau, que vous trouverez en quelque façon du stile de Marot.

RONDE AU.

De cet Enfant on peut prédire
 Qu’il doit estre un merveilleux
 Sire,
Fils qu’il est de Mars, & d’Amour ;
Et qu’il brillera dans la Cour
De nostre florissant Empire.
***
Ce n’est pas un Conte pour rire ;
Ainsi l’on n’en sçauroit trop dire
De ce qu’on peut attendre un jour
  De cet Enfant.
***
Son Papa, que la Gloire attire,
Des Régles luy sçaura prescrire,
Pour se signaler dans l’Estour.
Bref rien n’est contre, & tout est pour
L’Horoscope heureux que je tire
  De cet Enfant.

 

La veine de Mr Boursault n’est pas demeurée inutile en cette occasion. Il a fait le Sonnet que vous allez lire.

SONNET.

Grand Duc, de mes transports je ne suis pas le maître,
Je suis tout à la joye en ce bienheureux jour ;
Par les vœux de l’Hymen, & les soins de l’Amour,
De tes hautes vertus l’Heritier vient de naître.
***
Fidelle au digne Sang dont il a reçeu l’estre,
Il sçaura, comme toy, se montrer tour-à-tour
Intrépide à la Guerre, & Galant à la Cour ;
Et tel que tu parois, tu le verras paroître.
***
Pour en faire un Héros qui brave le danger,
Tu n’auras pas besoin d’un secours étranger ;
S’il luy faut des Leçons, ta vie est assez belle.
***
Et pour l’accoûtumer à bien servir son Roy,
Si tu veux le former sur un parfait Modelle,
Tu n’en trouveras point qui le soit plus que toy.

[Entrée de M. Amelot Ambassadeur de Venise] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 172-176, 184-188, 190-191.

 

Ce que je vous ay mandé plusieurs fois des Opéra de Venise, vous a fait connoistre que c’est une des Villes du monde où les divertissemens se trouvent le plus. Aussi voit-on plusieurs Princes qui vont souvent y passer le Carnaval. Il y a plusieurs Festes d’Etat dans l’année, pendant lesquelles tout le Peuple se réjoüit extraordinairement. Chaque Entrée d’Ambassadeur met toute la Ville en joye. Ces jours sont ceux que les Nobles appellent d’Indulgence pleniere, parce qu’ils ont la liberté d’entrer dans la Maison de l’Ambassadeur, & de s’entretenir avec ses Gens, ce qui ne leur est permis que dans ces occasions, excepté les jours de Masque, & dans les Ridotti, où l’on jouë, & où il y a quelque Indulgence, quoy qu’elle ne soit pas pléniere. Les Concerts de Voix & de Musique sont tres-fréquens, & on connoist certaines Eglises dans lesquelles ces Concerts se font tous les Dimanches & toutes les Festes. Quand on élit un Procurateur, il y a Masque, Bal, & distribution de Liqueurs les trois premiers jours apres son élection, & quelques temps apres, il fait son Entrée qui est magnifique, comme si on recevoit un Prince. La Mercerie sur tout est tres-richement parée, les Merciers prenant le soin d'orner leur Boutiques de ce qu'ils ont de plus beau, en sorte qu'on croit estre à une Foire. La République a perdu beaucoup par la mort des Procurateurs Morosini & Sagredo. Mr Ruzini, qui a succedé à ce dernier, prit possession de sa Dignité nouvelle avec les cerémonies ordinaires le Mardy 22. de l'autre mois. On avoit dressé des Arcs de Triomphe dans toutes les Places qu'il falloit qu'il traversast, & il y passa accompagné de vingt Procurateurs, & de deux cens soixante Nobles, tous en Robe d'écarlate. Vous pouvez juger de la Feste qui se fit à son Palais. Les Liqueurs & les Rafraîchissemens y furent distribuez en abondance ; & comme les Concerts de Voix & d'Instrumens n'y manquerent pas, les Masques y vinrent en foule.

Le lendemain 23. de Septembre, M. Amelot nostre Ambassadeur, qui estoit à Venise incognito depuis quelque temps, y fit son Entrée publique. Le Sénat avoit esté averty dés le 12. du jour qu'il avoit choisi pour cette cerémonie. Voicy le détail de ce qu'on n'a veu qu'en abregé.

Mr l'Ambassadeur partit de son Palais sur les deux heures de France, dans ses Gondoles, avec plusieurs Gentilhommes de sa Suite, quelques Officiers de sa Maison, & cinquante autres Gentilhommes, parmy lesquels estoient six Chevaliers de l'Ordre de S. Michel, Sujets de la République. Dix ou douze gros Marchands François, qui demeurent à Venise depuis longtemps, & qui y sont en quelque considération, avoient esté avertis par des Billets aussi bien que le reste du Cortege, qui se trouva fort nombreux. [...]

A peine eut-on fait un mille qu'on rencontra une grande Peote, conduite par des Rameurs habillez à l'Arménienne. Elle estoit ornée de riches Tapis, & chargée de plusieurs de ces Lévantins, qui sont ordinairement à Venise, Perses, Arabes, Arméniens. Ils alloient de cette sorte deux cens pas avant les Gondoles, brûlant des Parfums que le vent alors favorable portoit, & faisoit sentir à tout le Cortege; & par le bruit de six Trompetes; ils annonçoient la venuë d'un nouvel Ambassadeur. Ce fut une galanterie dont le Sieur Rouplis, Marchand Persan, s'avisa par reconnoissance pour le Roy, qu'il voulut bien il y a quelques années, entrer dans la discution d'un tres-grand Procés qui fut jugé en sa faveur. Je vous en ay parlé dans mes Lettres, & vous vous souvenez sans-doute, Madame, du bruit que fit cette Affaire. Elle estoit envelopée de tant de difficultez, que les plus habiles Juges ne le pouvoient pas démêle. Sa Majesté estant entrée au Conseil, voulut entendre le raport, & par ses lumieres ayant découvert la verité, fit rendre justice à l'Etranger. C'est avec plaisir qu'on parle plusieurs fois d'une chose qui fait connoistre que le Roy est grand en tout.

L'on vint dans l'ordre que je viens de vous marquer, jusqu'au Palais de Mr l'Ambassadeur, où le Cortege sur la fin de la Marche, s'empressa d'arriver pour y recevoir l'Ambassadeur, qui ne descend de la Gondole que le dernier. Mr le Chevalier Cornaro & les Sénateurs l'ayant conduit jusques dans sa Chambre d'Audience, Mr Amelot remena ce Chevalier jusqu'à la Rive où estoit sa Barque, & se retira ensuite sur la Porte de son Palais, pour remercier les Sénateurs à mesure qu'ils passerent. Si-tost qu'il y fut rentré, les Chambres en furent ouvertes à tout le monde. Le concours y fut extraordinaire, & comme ce jour estoit un de ceux que je vous ay dit, qu'on appelle d'Indulgence pleniere, les Nobles vinrent tous chez Mr l'Ambassadeur aussi bien que la plûpart des Gentilhommes. Les Appartemens estoient fort ornez, & tout y brilloit par la quantité des lumieres. Les Violons se faisoient entendre dans la Salle, & il n'y avoit presque aucune Chambre, où l'on ne trouvast des Concerts particuliers. Les Confitures seches, & les Eaux fraîches de toutes les sortes, y furent servies en abondance par les Pages & les Officiers de la Maison, jusqu'à onze heures du soir que l'affluence dura. On y en bût plus de quinze mille Verres.

Le lendemain 24. sur les huit heures du matin, le mesme Chevalier & les mesmes Sénateurs vinrent reprendre Mr Amelot, & le conduisirent où il devoit avoir sa premiere Audience publique. Chaque Sénateur marchoit à costé du mesme Gentilhomme, qu'il avoit mené le jour précédent. L'on arrive dans cet ordre à la petite Place de Saint Marc, & apres avoir traversé la grande Court du Palais, parmy un tres-grand concours de Peuple, on monta fort doucement l'Escalier qui conduit au College.

Il donna à dîner à tout son Cortege, & sur les trois heures apres midy, les Portes de son Palais furent encore ouvertes à tout le monde. Les mesmes Concerts & les mesmes Rafraîchissemens du jour précedent se trouverent dans toutes les Chambres. Vous voyez, Madame, par ce détail, que tout répond fort à ce que je vous dis de Mr Amelot, quand je vous parlay de luy, dans le temps qu'il fut nommé pour cette Ambassade.

Le Lion, et le Rat. Fable §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 191-196.

 

Il est bon de se faire des Amis de toutes sortes. On tombe quelquefois dans des malheurs, où les moins considérables sont d’un utile secours. Mr Daubaine nous le fait connoistre agreablement par une Fable qu’il a faite depuis peu. Je vous en envoye une Copie.

LE LION,
ET LE RAT.
FABLE.

 Au grand plaisir de tout le voisinage,
 Sur un tas d’herbe & de feüillage,
Sire Lion dormoit. Un Rat mal-à-propos
 Vint interrompre son repos.
Ce petit Etourdy luy couroit sur le dos,
Comme s’il eust esté dans quelque Galerie.
Les Roys n’entendent pas quelquefois raillerie ;
Celuy-cy, de sa pate attrapa le Coureur
Aussi facilement que la jeune Sylvie
 Prend une Puce. Un si fâcheux malheur
 Fait que le Rat implore sa clémence.
Pour fléchir le Lion, il vante sa puissance.
 Sire, dit-il, voudriez-vous
 Contre moy vous mettre en couroux ?
 Méritay-je vostre vangeance ?
Puissiez-vous en moy seul détruire tous les Rats,
A de plus grands exploits vous devez vostre bras.
Vaincre des Eléfans est l’unique victoire
 Qui vous donnera de la gloire.
***
 On sçait que tous les grands Seigneurs
 Aiment assez les Gens flateurs.
 Dans ce discours le Lion donne,
 Il eut pour luy de doux appas.
 Hé bien, dit-il, je vous pardonne,
 Allez, mais n’y retournez pas.
 Maistre Rat décampe au plus viste,
 A si bon compte heureux d’en estre quitte.
 A peine eut-il fait trente pas.
 Que le Lion tombe en des Laqs.
De ses rugissemens les Echos retentirent.
Quelques bons Animaux firent tous leurs efforts,
Mais inutilement, pour le mettre dehors.
 Dans sa prison d’autres le virent,
 Sans luy vouloir prester aucun secours.
Il est bien, dit le Tygre, en s’adressant à l’Ours,
 De le voir pris je me fais une joye.
Au moins quand nous aurons desormais quelque proye,
 Il n’y pourra plus prendre part,
C’estoit un vray Tyran, qu’il créve, qu’il périsse.
Autant en dit le Loup, autant Maistre Renard
La Brébis & la Chévre, avecque la Genisse,
 Crûrent sa mort un attentat permis.
Ainsi donc le Lion, faute de vrais Amis,
 S’en alloit servir de curée
 Peut-estre à plus de trente Chiens ;
Mais le Rat, qui sans luy voit sa perte assurée,
N’avoit pas oublié leurs derniers entretiens.
***
  Sire, quand vous eustes l’envie,
  Dit-il, de m’arracher la vie,
 Pour me punir de ma temérité,
  Il ne tint qu’à vous de le faire.
Vous ne le fistes pas ; au contraire écouté
   De Vostre Majesté,
Loin de soufrir la mort, je me tiray d’affaire.
  Tout confus de vostre bonté,
Aujourd’huy qu’il s’agit de vous rendre service,
  Si je vous en faisois refus,
Je croirois mériter le plus cruel suplice.
Mais c’est perdre le temps en discours superflus,
  Venons à l’œuvre ; & là-dessus
Il ne donne aux Filets coups de dent qui ne vaille.
  Il fait tant qu’il ronge une Maille.
 Ce ne fut pas sans peines, sans sueurs.
Le Lion, de sa pate étend les ouvertures,
Et sort sans recevoir dommage, ny blessures
  Des Chiens, non plus que des Chasseurs ;
Mais convaincu sur tout que les plus grands Seigneurs
  N’ont jamais trop de Créatures.

[La Haye] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 196-198, 206-207.

 

Mr le Comte d'Avaux, Ambassadeur Extraordinaire de France à la Haye, voulant faire des Réjoüissances publiques pour marquer son zele dans l'occasion de la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, choisit pour cela le 25. Aoust, jour de la Feste de S. Loüis. L'Office fut chanté le matin dans sa Chapelle par une excellente Musique ; & l'apres-dînée, apres qu'on eut prononcé le Panégyrique du Saint, la mesme Musique chanta les Vespres & le Te Deum. Cela fait, on commença le Régale qui avoit esté préparé pour le Peuple. C'estoient deux Fontaines qui couloient fort gros, l'une de Vin rouge, & l'autre de blanc. Le Vin sortoit par deux nazeaux d'un grand Dauphin couronné, posé sur un Piédestal qui estoit dans une Niche enfoncée. Cette Niche accompagnée de Pilastres sur les trois costez, estoit dans la Face qui occupoit le milieu d'un Edifice que l'on avoit élevé pour former ces Jets contre la Façade de l'Hostel de Mr l'Ambassadeur. On bût largement à la santé du jeune Prince au bruit des Trompetes & des Timbales ; & pendant ce temps, Mr le Comte d'Avaux s'estant mis à la Fenestre la plus avancée de son Hostel, fit des largesses extraordinaires au Peuple. Il ne se contenta pas de jetter quantité de toutes sortes de Pieces de monnoye, il alla jusqu'aux Ducats d'or. A l'entrée de la nuit, toute la Façade de sa Maison fut illuminée ; & comme on avoit voulu laisser les premieres Fenestres libres, afin qu'on pust joüir du spéctacle d'un Feu d'artifice préparé devant la Porte, on avoit élevé une Galerie au dessus des secondes Fenestres. [...]

Le Feu eut un succés admirable, & on ne doit pas en estre surpris, puis que tout estoit de l'invention de Mr le Chevalier de S. Disdier, & que chaque chose en particulier y fut executée par son ordre avec une exactitude qui alla au dela de tout ce qu'on en peut dire. On y estoit accouru de tous les costez de la Hollande, & tout le monde avouä qu'on n'avoit jamais rien veu de plus magnifique. La Feste finit par un splendide Soupé, où il y eut deux Tables servies. A la premiere estoient tous les Ministres des Princes, & plusieurs Personnes du premier rang du Païs. La seconde fut remplie de tout ce qu'il y avoit de plus considérables François à la Haye, & de quelques Officiers Hollandois. Les Trompetes & les Timbales estoient proches de la Table, & ce fut à leurs fanfares qu'on bût toutes les Santez Royales. [...]

[Madrigal] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 207-208.

[...] Je ne puis finir ce grand Article, sans vous faire part d’un Madrigal qui fut présenté à Mr le Comte d’Avaux sur la Naissance du jeune Prince.

 C’est aujourd’huy que de trois Lys
 Nos Ecussons sont embellis,
 Et que le Ciel, pour récompense
De la Paix qu’à l’Europe accorda la clémence
 Du plus Chrestien de tous les Roys
 Qui l’asservissoit à ses Loix,
 Pendant que Mars & que Bellonne
 Pour luy former une Couronne
 Epuisoient Délos de Lauriers,
Favorise nos vœux, & comble nostre attente.
Partez, allez, courez, volez, heureux Courriers,
 Qu’il pleuve, qu’il tonne, qu’il vente,
 Passez les Fleuves & les Mers,
 Et dites plus loin que l’Europe,
Que d’un Demy-Dieu né j’ay tiré l’Horoscope
   En ces trois Vers.
Il sera du Dauphin une vivante Image,
Et de Loüis le Grand imitant le courage,
Il portera sa gloire aux bouts de l’Univers.

[Toulouse] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 209-218, 220, 227-228, 230-233, 235-236, 238-240, 242-251.

 

Il me faudroit un Volume pour vous rapporter tout ce qui s'est passé à Toulouse. Chacun s'y est empressé à faire éclater sa joye, & il n'y a point eu de Communauté, ny de Compagnie, qui n'ait signalé son zele par des Réjoüissances particulieres. La Nouvelle de la Naissance du Prince, y ayant esté portée le Samedy 15. Aoust par le Courrier ordinaire, les Capitouls firent aussitost monter sur le Donjon de l'Hostel de Ville plusieurs Pieces d'Artillerie, qui par des décharges réïterées la firent sçavoir à tout le monde. Le jour ayant commencé à disparoistre, ils firent illuminer ce mesme Donjon, & toutes les Fenestres de l'Hostel de Ville. La grosse Cloche de l'Eglise Metropolitaine de S. Etienne sonna, aussi-bien que celle du Palais ; & leur son ayant esté suivy des carrillons de toutes les autres, toute la Ville fut éclairée par les Feux qu'on alluma dans toutes les Ruës, & par une infinité de Lumieres qu'on mit par tout aux Fenestres. Le Chapitre de S. Saturnin, que le vulgaire a nommé S. Sernin, fut le premier à donner des marques publiques de la joye qu'il ressentoit de cette Naissance. Ce Chapitre est si illustre par la sainteté de son Eglise, par le nombre des Corps Saints qui y reposent, parmy lesquels sept Apostres sont comptez, par l'ancienneté de sa Fondation, par la protection de nos Roys, par les Privileges qui luy ont este accordez, & par la forme mesme de son Temple, dans lequel on ne peut entrer sans se sentir touché de repect, qu'il seroit bien difficile de trouver ailleurs un assemblage pareil qui pust rendre une Eglise venérable. Le carrillon de toutes ses Cloches se fit entendre d'abord. Toutes les Pieces de Canon, qu'on a disposées depuis longtemps sur la Voûte de ce Temple pour la garde de tant de prétieux Dépôsts, tirerent depuis midy jusqu'au soir; & la nuit estant venuë, on fut agreablement surpris de voir tout le dehors de l'Eglise & au Clocher éclairé d'un nombre presque infiny de Lumieres qui brillerent jusqu'au jour. Le lendemain Dimanche 16. du mois, les Chanoines, apres avoir fait une Procession particuliere, chanterent solemnellement le Te Deum. Cependant les Capitouls ayant assemblé un Conseil de Ville, où deux Commissaires du Parlement présiderent, on y résolut trois jours de Feste, qui commenceroient le Samedy 29. pendant lequel jour, & le Lundy suivant, toutes les Boutiques seroient fermées. On mit sur pied un Corps d'Infanterie tiré des Corps des Métiers, sous le commandement de Messieurs de la Guarrigue & d'Espagne, Capitouls d'épée. Le Sr Rivats Architecte de la Ville, fut chargé de la conduite d'un Feu d'artifice qu'on luy fit dresser sur la Garonne. Le Samedy, jour du Te Deum, les Métiers, au nombre de quatre mille Hommes, tous fort proprement vestus, s'estant rendus dans la Place de S. George, y furent mis en bataille par les deux Capitouls qui les commandoient ; & sur les dix heures du matin, le Parlement sortit du Palais en Robes rouges, pour aller à l'Eglise de S. Estienne, où les autres Compagnies se trouverent. Dans le mesme temps, les Chanoines de S. Sernin sortirent de leur Eglise, devant laquelle, les Métiers partis de la Place de S. George, les deux Capitouls en teste, allerent faire une Salve. En suite ils se rangerent en haye des deux costez des Ruës par où la Procession devoit passer ; & les Chanoines de S. Sernin se rendirent à S. Etienne, précedez des Religieux de tous les Ordres, qui estoient venus dans leur Eglise, tant pour accompagner les Reliques des Saints, qui devoient faire la plus belle partie de la solemnité de ce jour, que pour les porter selon leur coutume. La Procession se fit, les Religieux marchant les premiers sous leurs Croix, les Paroisses apres eux, puis toutes les Châsses des Corps Saints, portez sous de riches Poëles par des Religieux de divers Ordres, & en suite le Chapitre de S. Sernin, avec le prétieux Reliquaire de la Sainte Epine, que quatre Religieux de S. Dominique portoient. Les Capitouls en Manteau de cerémonie environnoient la Relique, & estoient suivis de leurs Anciens. La Procession estant rentrée, Mr l'Archevesque commença le Te Deum, & la Musique le continua au bruit du Canon, & des décharges de l'Infanterie que l'on avoit rangée dans la Place. Messieurs les Evesques de Comeinge & de Beziers assisterent à cette Cerémonie. L'apresdînée, les Capitouls précedez des Trompetes & des Hautbois, & suivis de plusieurs de leurs Anciens, se rendirent à la Place de S. Etienne, où Mr Reynal, Capitoul de ce Quartier, alluma le Feu de joye. L'Infanterie rangée en bataille sur cette Place, fit plusieurs salves, qui répondirent au bruit de dix-huit Pieces de Canon que l'on avoit amenée sur les Ramparts. Tous les Tuyaux de la Fontaine de la mesme Place, jetterent du Vin pendant tout le jour. On fit couler de pareilles Fontaines de Vin les deux jours suivans, deux le Dimanche à l'entrée de la Place du Pont, & deux autres le Lundy aux deux costez du grand Portail de l'Hostel de Ville. Le mesme jour, Mr l'Archevesque, apres une grande distribution de Pain & de Vin, fit dresser des Tables dans la Court de l'Archevesché, où ses Officiers servirent tous ceux qui se présenterent. Lors que la nuit fut venuë, il fit jouer un Feu d'artifice, dont la décoration estoit superbe. On l'avoit dressé dans l'Avancourt de son Palais. Elle estoit tenduë de riches Tapisseries, avec des Portiques tout autour, ornez de Devises à l'honneur du Roy & de toute la Maison Royale. Sur le haut de ces Portiques, & dans toute leur étenduë, estoient rangées les pieces du Feu d'artifice; & au milieu de la Court, on avoit planté une Girandole de Fusées sans nombre. A l'entrée de la Place, tout proche la Porte de l'Eglise Métropolitaine, il y avoit trois Arcs de Triomphe embellis des Armes de Sa Majesté, de Monseigneur le Dauphin, & du Jeune Prince. Toutes les Devises estoient de Peinture Fine rehaussée d'or & d'argent. Les Hautbois & les Trompetes s'estant fait entendre tour à tour des Fenestres de l'Archevesché, un Dauphin qui descendit d'une Tour, porta le feu à un Angle de la Place, & tout l'artifice joüa avec un ordre admirable. Ensuite la Girandole fut allumée. Il en sortit tout à coup un nombre infiny de Fusées volantes, qui formerent en l'air une Fleur de Lys, que les Habitans des Villages voisins distinguerent. Je passe les Illuminations de toutes les Places, qui furent un spéctacle fort brillant. La Maison Royale de la Trésorerie se distingua. [...]

Mr le Premier Président fit distribuer le Samedy quantité de Pain & plusieurs tonneaux de Vin. Le lendemain il donna une magnifique Collation aux Personnes les plus qualifiées de l'un & de l'autre Sexe, avec un Concert de Voix mêlé de Symphonie ; & le Lundy il fit joüer dans sa grande Court un Feu d'artifice, orné de Figures de relief. Mr le Procureur General, apres une parcille distribution de Pain et de Vin, donna dans sa Court un grand Dîner au Public. [...]

Mr le Grand Prieur de Toulouse prit part à la joye publique avec beaucoup de distinction. Le Te Deum ayant esté chanté par les Prestres de son Eglise de S. Jean apres la grande Messe, les Officiers de l'Hostel Prioral firent plusieurs décharges de Mousqueterie qui retentissoient dans le grand Vestibule, comme si on eut tiré du Canon. On avoit mis un gros Tonneau d'un tres-bon Vin à chaque Piédestal de la grande Porte, sur lesquels on doit poser les Colomnes de Marbre, & on prenoit soin de les remplir à mesure que le Peuple en venoit prendre, ce qu'on luy laissoit faire à discretion. [...]

Toutes les Communautez Religieuses ont marqué leur zele pendant ces trois jours, non seulement par des Te Deum chantez avec beaucoup de solemnité, mais par des Feux & par des Lumieres mises par tout en grand nombre à leurs Clochers & à leurs Fenestres. Les Benédictins du Monastere de la Daurade, dont la Maison qui a veuë sur la Riviere, est d'une grande étenduë, l'avoient toute illuminée; & cette grande clarté, jointe à la décharge de plusieurs Pieces de Campagne qu'ils avoient fait mettre sur leur Plate-forme, leur attira les loüanges de toute la Ville.

Les Prestres de l'Oratoire, outre les Illuminations & les Feux, qui furent des marques de joye communes à toutes les autres Maisons Religieuses, allumerent une tres-grande quantité de Flambeaux de Cire blanche, au haut d'une grande Tour qui donnoit du costé du Feu d'artifice de la Ville. Au milieu de cette Tour estoit une Machine qui tournoit de toutes parts. Le Lundy 31. leur Clocher ayant esté éclairé tout autour, & tout le long de la pointe, ils y arriverent avec leur Communauté Ecclesiastique, au son des grosses Cloches & du Carrillon, & y chanterent l'Exaudiat, chacun tenant à la main un Flambeau de Cire blanche.

Ce mesme Lundy, les Carmes du Grand Convent firent dresser un Theatre devant leur Porte. Sur ce Theatre estoit élevée une Pyramide de 36. pieds, à six faces, peinte d'azur, & semée de Lys, de Dauphins, de L couronnées, & autres Armes de France. On l'avoit toute remplie d'Artifice, aussi-bien que quatre petites Pyramides qui estoient aux quatre coins du mesme Theatre. Le soir venu, le Clocher, & les Fenestres des Voûtes de l'Eglise & du Convent, estant fort illuminées, les Religieux revestus de Chapes blanches, s'assemblerent dans le Choeur, où on leur distribua des Flambeaux & des Bougies, tandis que les Officiers prenoient leurs plus riches Ornemens comme dans les Processions les plus solemnelles. Tout estant disposé de cette sorte, cette grande Communauté sortit dans la Ruë, précedée de la Croix, au bruit des Cloches & de la Baterie rangée sur les Voûtes, chanterent le Pseaume Domine in virtute tua. Elle fit le tour du Feu d'artifice, en continuant le Pseaume, & l'Officiant y mit le feu. Toute la grande Ruë, & sur tout le voisinage, qui cette nuit-là se surpassa en Illuminations, furent surpris de ce mélange de pieté & de joye, qu'ils n'avoient point encor veu. [...]

Les Religieux du Grand Convent de l'Observance de S. François, apres les réjoüissances des trois jours, en firent encor de particulieres le Mercredy 2. de Septembre. Ce jour-là, Mr Baladier, Capitoul, donna un magnifique Soupé dans ce Convent à Messieurs les Capitouls, qui en sont les particuliers Protecteurs, & à toute la Communauté, composée de cent Religieux. Pendant ce Repas, on n'entendit que Tambours, Trompetes, Hautbois, & bruit de Mousqueterie, & en mesme temps on vit leur Clocher, & le tour de leur Eglise, illuminez par un tres-grand nombre de Lustres, rangez de distance en distance, & de diverses couleurs. Apres le Soupé, ces Peres allerent chanter un second Te Deum dans leur Eglise, qui estoit éclairée d'un tres-grand nombre de Cierges & de Lampes. Le concours de monde y fut surprenant. [...]

Le Seminaire des Irlandois, quoy que pauvre, a crû devoir surpasser ses forces. Pendant les trois jours des réjoüissances publiques, il y eut devant leur Porte un grand Feu de joye ; & sur une Galerie qui répond à la Ruë, estoit un Concert de Harpes, Guitarres, Flageolets, & Flûtes douces, le tout accompagné de quelques Voix, qui, quoy qu'Etrangeres, ne laissoient pas de former une harmonie agreable, qui duroit jusqu'à minuit. Toutes les Fenestres des Salles & des Chambres estoient éclairées, & comme dans ce Seminaire il n'y a point encor de Clocher, on en bâtit promptement un de bois, qui environné d'un fort grand nombre de Lampes, parut singulier à toute la Ville. Ce qui fut encor tres-particulier, c'est qu'un Irlandois tomba du haut de ce Clocher, où il préparoit quelques Lanternes, & cria tout haut en tombant, comme si sa chûte eust dût estre sans danger, Vive Monseigneur le Duc de Bourgogne.

Les Capucins firent suivre le Feu qu'ils allumerent dans leur Jardin, de la décharge de plusieurs Pieces de Campagne d'une invention nouvelle. C'estoient de gros Troncs d'Arbres, dans lesquels ils avoient fait faire des trous qu'on avoit remplis de Poudre. Le bruit en fut entendu de toute la Ville. Leur joye ne se borna point aux trois jours choisis. Ils la firent encor paroistre le Mercredy 2. de Septembre, par un beau Feu d'artifice dressé devant la Porte de leur Convent, & accompagné de Fusées volantes. Les Capitouls leur presterent six Coulevrines, outre lesquelles ils eurent quatre Bateries de Petards, & cinquante Mousquetaires, qui firent cinq salves au son des Hautbois. [...]

La mesme Feste de S. Loüis fut celebrée avec des solemnitez extraordinaires dans l'Eglise des Jesuites de la Maison Professe. Sur les quatre heures après midy de la veille de ce jour, on entendit tout à coup sonner toutes les Cloches, & en mesme temps on fit plusieurs salves de Mousqueterie au Belvéder de l'Eglise dans la Court de la Maison, & dans les Ruës voisines, accompagnées du son des Tambours, des Fifres, des Hautbois, & des Trompetes. A ce bruit, une foule prodigieuse de monde se rendit de toutes parts dans l'Eglise. Elle estoit tenduë d'une double Tenture de Tapisserie, & tres-éclairée. On avoit placé au fonds l'Image de S. Loüis, & au dessous, les Portraits du Roy & de toute la Maison Royale. Le devant de l'Eglise estoit tout tapissé au dehors, avec les Armes de France, soûtenuës par deux Anges sur le grand Portail; & proche le grand Autel, magnifiquement paré, il y avoit plus de cent cinquante Jesuites des trois Maisons qu'ils ont à Toulouse, tout en Bonnets quarré & en Manteau. Un Concert de Trompetes, de Hautbois & de Violons, commença les Vespres, qui furent chantées par une excellente Musique, composée de toutes les belles Voix des deux Chapitres, & de la Ville. On fit plusieurs décharges des Fauconneaux que l'on avoit placez sur l'Eglise. Le Belvéder, tout le dessus de l'Eglise, le Clocher, & toutes les Fenestres de la Maison, furent éclairées le soir d'une infinité de lumieres, & les salves de Mousqueterie recommencerent au bruit des Trompetes & des Tambours, qui pour estre entendus de plus loin, s'estoient mis au Belveder. Ce qu'on admira le plus, fut une Machine en forme de Rouë, remplie de mille petits Globes tout en feu. Elle estoit placée au dessus du Toit de l'Eglise, & on la promenoit de tous costez. Le lendemain Feste de S. Loüis, Mr l'Abbé de Glattens, Fils d'un Conseiller du Parlement, prononça le Panégyrique du Saint, & fit l'Eloge du Roy avec beaucoup d'éloquence. La solemnité fust continuée les deux jours suivans, & finit par le Te Deum chanté en Musique, & suivy d'une Illumination plus belle que la premiere.

Les Jesuites du College ne furent pas moins zelez que ceux de la Maison Professe. Ils firent dresser au milieu de leur Basse-court un tres-beau Feu d'Artifice, dont le dessein estoit un Apollon qui invitoit les Neuf Muses à célebrer la Naissance du jeune prince. Quantité de Devises servoient d'ornement à la Décoration. Toutes les Fenestres de la Bassecourt remplies de Flambeaux, faisoient un Spectacle tres-brillant. On y avoit peint dans des Figures régulieres les Armes du Roy, de Monseigneur le Dauphin, de Madame la Dauphine, & de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & les Bougies disposées derriere les faisoit paroître dans un éclat suprenant. Sur les neuf heures un Dauphin mit le feu à la Machine. La Tour estoit illuminée d'un infinité de Lumieres, qui faisoient voir à toute la Ville un Globe qui rouloit incessamment. Une couronne de France estoit au dessus.

Les Dames Chanoinesses de S. Pantaleon, après de tres-grandes Illuminations faites au dehors & au dedans de leur Convent les deux premiers jours, chanterent le Te Deum, qui fut commencé par Madame de Lahas de Lamezan leur Abbesse, Parente de Messieurs les Archevesques de Sens & de Toulouse. Elle estoit revestuë de son Surplis, la Crosse à la main, comme dans leurs plus grandes Solemnitez. Les Hautbois & les Trompetes placez dans le Ravelin de leur Eglise, faisoient un agréable Concert. Cependant Mr de la Garrigue Capitoul, qui estoit en marche avec la Compagnie, fit faire une Décharge de Mousqueterie devant leur Eglise, où il passoit pour aller à l'Hostel de Ville. Le Te Deum finy, elles firent allumer un grand Feu par leur Directeur, qui estoit en Chasuble, & accompagné d'un grand nombre d'Ecclésiastiques tous en Surplis. Le soir, elles redoublerent leurs Illuminations. Les Lumieres qu'elles avoient fait mettre dans des Lanternes de plusieurs couleurs sur la plate forme de leur Clocher, estoient disposées de telle sorte qu'elles représentoient admirablement une Couronne Royale. On tira quantité de Fusées volantes de la Plate forme, que couvroit entierement cette Couronne.

Les Religieuses de Sainte Claire du Salin firent un Feu d'Artifice au Dôme de leur Eglise. On y vit une Couronne Royale fort illuminée, qui avoit un mouvement continüel. La Tour des Religieuses de Sainte Ursule estoit aussi éclairée d'une maniere, que les Flambeaux qui l'illuminoient, y formoient une Couronne.

Le Jeudy 3. de Septembre, les Dames Maltoises, apres une grande distribution de Pain, de Vin, & de Viande, finirent leur Feste par un beau Feu d'Artifice au son des Trompetes, des Hautbois, & des Violons.

Le Lundy 7. du mesme mois, Messieurs les Collegials du Collége de Foix, de Fondation Royale, firent chanter une Te Deum en Musique dans leur Chapelle au bruit des Boëtes & des Fauconneaux ; & le lendemain ils dresserent une Table devant leur Portail, avec une Fontaine de Vin à chaque costé. [...]

Ce mesme jour, Feste de la Nativité, les jeunes Marchands firent chanter le Te Deum dans l'Eglise des Jacobins du Grand Convent, en présence des Capitouls qui s'y trouvérent en Robes de Cerémonie. L'apresdînée ils formérent une Compagnie de Cavalerie; & au nombre de deux cens, tous lestes & tres-bien montez, ils marchérent par toute la Ville, le Sabre à la main. Mr le Perat, Fils d'un ancien Capitoul de ce nom, estoit à leur teste. Le soir ils firent joüer un Feu d'Artifice dressé sur un Terrain élevé en Plate forme, qui est hors la Porte de Montolieu.

Le Mercredy 9. Mr Costecaude, Prieur du Collége de Magueronne, accompagné de plusieurs Collegials, alluma un grand Feu devant la grande Porte du Collége, au bruit des Fifres, des Tambours, & des Mousquets. Toutes les Fenestres & tous les Créneaux de la grande Tour estoient éclairez, & il y eut distribution de Vin à tous ceux qui en voulurent.

[Avanture] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 251-257.

 

Les Réjoüissances que je viens de vous conter ont donné lieu à une Avanture que je vay vous dire en peu de mots. Un Cavalier Espagnol s’estant trouvé à Toulouse dans le temps qu’on y préparoit la Feste, voulut en estre témoin. Il estoit galant, & ne pouvoit voir les Belles sans se montrer prest à l’engagement. Un soir qu’il entra dans l’agréable Frescati, qui est une espece de Jardin, auquel on a eu lieu de donner ce nom, puis qu’il ressemble à l’ancien Frescati, s’étant enfoncé dans un Labyrinte de Verdure il y trouva une Dame qui s’y promenoit appuyée sur les bras de sa Suivante. Il s’approcha d’elle, & l’abordant d’une maniere civile, insensiblement il luy fit noüer conversation. La Dame avoit l’esprit fort brillant ; & ce charme joint à celuy de sa beauté, fit impression sur le cœur de l’Espagnol. Il la remena chez elle, & le mérite de cette aimable Personne fut une flateuse Image qui s’offrit à luy toute la nuit. Il avoit sçeu d’elle que quelques Dames l’avoient engagée à venir le lendemain prendre le divertissement du Feu d’Artifice qu’on devoit tirer sur la Garonne, & il désesperoit de la voir, lors qu’un Gentilhomme de ses Amis qu’il instruisit de son Avanture, luy dit qu’il avoit fait dresser un Théatre où les principales Dames de la Ville luy avoient demandé place, & qu’assurément celle dont il luy parloit se mettroit de la Partie. Le Cavalier suivit son Amy sur ce Théatre, & vit arriver la Dame avec plusieurs autres dans le temps que les Trompetes donnoient le signal du Feu. Les décharges de six mille Mousquetaires placez dans la petite Isle de Gravier, qui est au dessus du Pont, & de trente Piéces de Canon rangées sur le Quay, firent entendre un si grand Tonnerre, que toutes les Dames commencerent à crier, & à vouloir fuïr. Celle pour qui l’Espagnol estoit venu, eut plus de peur que les autres, & la frayeur l’ayant fait tomber évanoüie, on eut de la peine à la faire revenir. Lors qu’elle eut repris ses sens, on la mit dans son Carosse, & on l’emporta. Le lendemain le Cavalier l’alla voir. Elle estoit au lit, & disputoit avec ses Amies, qui sur l’Ordonnance de son Medecin vouloient qu’on luy appliquât des Ventouses. Il se mit de leur party, la pressant fort de se servir d’un Remede qui luy pouvoit estre utile ; & pour luy persuader que les Ventouses n’avoient rien de violent, quoy qu’il n’en eust jamais fait l’épreuve, il dit qu’il alloit s’en appliquer une sur l’estomac. Il le vouloit, on le laissa faire. La Ventouse mise sur une partie aussi peu charnuë que l’estomac, luy fit souffrir plus qu’il n’avoit crû. On rit de le voir sensible à une douleur qu’il avoit dit estre si legere ; & plus on voyoit qu’elle estoit vive pour luy, plus on redoubloit les éclats de rire. Les piqueures qu’il sentoit commencerent à luy estre insupportables. Il alla s’asseoir sur un Lit de repos, pour se défaire plus commodément de la Ventouse. Dans ce moment il entra des Dames qui venoient voir la Malade. Elles n’en eurent aucune réponse sur le Compliment qu’elles luy firent, parce qu’elle tenoit son Drap dans sa bouche, pour ne pas rire de l’embarras où elle voyoit le Cavalier. Il estoit connu des Dames ; & comme quelques Plaintes luy échaperent, & qu’elles le virent tenant ses mains sur son estomac, l’une d’elles luy demanda s’il estoit tourmenté de la Colique. Il se tourna de l’autre costé sans luy répondre, & la Malade qui ne put plus se contraindre, s’étant mise à rire de toute sa force, les Dames déconcertées crurent qu’on se moquoit d’elles, & sortirent fort irritées, quoy qu’on pust faire pour les arrester. Le Cavalier les laissa partir sans s’en mettre en peine, & ne songea qu’à se décharger du fâcheux fardeau qui l’incommodoit. Je ne vous puis dire si la Dame luy a tenu compte de sa Ventouse. Je sçay seulement que l’épreuve qu’il en fit ne donna pas envie à la Belle de suivre l’avis de son Medecin.

[Mariages] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 257-258.

 

Si avant que nous sortions de Toulouse, vous voulez en apprendre des nouvelles, je vous diray que Mr le Président Parade y est mort, & que Mr d'Orbessan & Mr de Lombrail, tous deux Conseillers au Parlement, s'y sont mariez depuis peu de temps. Le premier a épousé Mademoiselle Caulet, & l'autre Mademoiselle d'Avisard. C'est une fort belle Personne, qui a beaucoup d'esprit, & qui chante & jouë parfaitement bien du Lut & du Clavessin. Elle est Fille de Mr le Président d'Avisard. [...]

[Faremoutiers] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 258-262, 264-265.

La Lettre qui suit vous apprendra les Réjouïssances de Faremonstier. Elle est d'une Religieuse de cette Abbaye.

 

A MADEMOISELLE ***

A Faremonstier ce 28. Aoust.

Il me semble, Mademoiselle, que c'est toûjours à vous que j'adresse mes Relations. Cela me fait croire que si jamais je fais un Livre, je vous le dédieray. N'auriez-vous pas de la joye de voir vos loüanges dans une Epistre Dédicatoire ? Mais il n'est pas question presentement de sçavoir si vous en seriez bien aise, ou non ; il s'agit seulement de vous apprendre combien nous l'estions Mardy. Il n'est point de témoignage de joye que l'on n'ait donnez publiquement. C'estoit le jour que nous avions choisi, comme celuy de la Feste du Roy, pour le Te Deum & le Feu de joye. Vous ne croiriez jamais les merveilles qui se passérent à Faremonstier, vous qui le connoissez ; mais rien n'est impossible à un véritable zéle. On se crut mesme plus obligée qu'en aucun autre lieu de France de faire une Feste particuliere pour la Naissance de nostre nouveau Prince. Sainte Fare, nostre Fondatrice, estoit Bourguignonne, sans parler de Madame l'Abbesse qui l'est aussi. La Feste commença la veille par le Carillon de nos trois Clochers. Heureux les Sourds ; mais le lendemain ce fut bien pis, lors que le bruit des Tambours & de l'Artillerie se joignit à celuy-là. Le matin la grande Messe fut chantée solemnellement. [...] A la fin de la Messe, les Chanoines en Chappes, le reste du Clergé en Surplis, la Justice en Robes de Palais, monterent auprés de la Grille du Choeur, où nous estions toutes rangées avec nos grands Habits & des Cierges allumez. Le Clergé en avoit aussi. Madame l'Abbesse, sa Crosse en main, entonna le Te Deum, qui fut poursuivy alternativement par les Religieuses & par les Chanoines, avec les Orgues, & ensuite l'Exaudiat. Au sortir de là elle traita magnifiquement les uns & les autres. L'apresdînée on fit dresser un grand Feu au son des Tambours & des Fifres dans le milieu de la Court du dehors ; & apres Complies, l'Intendant de la Maison l'alluma au son des mesmes Instrumens, du Carillon, d'un Concert de Violes, de Clavessins & de Voix, & des acclamations de Vive le Roy. [...]

Madame l'Abbesse fit défoncer plusieurs Muids de Vin dans la Court, pour donner au Peuple. Plusieurs dançoient autour du Feu, & il n'y eut pas jusqu'aux Pigeons, qui quittant leur Colombier ne vinssent en voltigeant faire une espece de Dance. S'il m'estoit permis de rappeller le temps des Augures, je dirois que ç'en seroit un merveilleux, mais du moins cela s'appelle qu'il n'y eut ny Bestes ny Gens ny dedans & dehors qui ne donnassent des marques de joye. On fit mesme des Chansons à la gloire du Roy & de Monseigneur, où l'on mesloit le Nom du petit Prince ; mais sur cela vostre curiosité ne sera pas satisfaite, car ce qu'on fait avec précipitation, on ne le retient qu'avec peine, & ma mémoire n'en voulut point prendre dans un jour de plaisir. La Ville de son costé fit un grand Feu avec les mesmes Décharges, les Fifres, & les Tambours.

[Madrid] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 266-269.

 

Leurs Majestez Catholiques marquérent une joye extraordinaire, lors qu'elles apprirent l'Accouchement de Madame la Dauphine, par les Lettres du Roy que Mr le Comte de la Vauguyon Ambassadeur leur porta le 16. d'Aoust. Peut estre ne s'estoit-il jamais pratiqué, qu'en de pareilles occasions, les Roys mesmes fissent des Réjoüissances publiques mais quelles distinctions les Monarques mesmes n'ont-ils pas pour celuy qu'ils regardent comme leur Modele ? Dés le 17. d'Aoust le Roy d'Espagne fit éclairer tout son Palais. Ce ne furent que Flambeaux dans toutes les Courts, & sur les Balcons. Il se montra au Peuple tous les trois jours que l'Illumination dura. On vit les Dames parées aux Balcons du Quartier de la Reyne, ce qui est une marque de joye réservée pour les grands Evenemens. Le Palais de la Reyne Mere fit les mesmes magnificences que celuy du Roy. Ces exemples furent suivis par les plus grands Seigneurs, par tous les Conseils d'Espagne, & par l'Hostel de Ville de Madrid. Après ces réjoüissances des Espagnols, vous ne serez pas surprise, Madame, de celles de Mr l'Ambassadeur de France. Le soir mesme du 16. d'Aoust tout Madrid fut étonné de voir non seulement un grand nombre de gros Flambeaux de Cire blanche, dont tout son Hôtel estoit éclairé depuis le haut jusqu'en bas, & plus de cinquante Pieux de huit pieds de hauteur qu'on avoit placez dans les Ruës voisines, & sur lesquels on avoit mis des Falots ardens ; mais encore un fort beau Feu d'Artifice, & trois mille Fusées volantes qui firent des merveilles. Il n'estoit pas aisé de concevoir comment tout cela avoit esté prest en moins de dix heures. Pendant que le Feu d'Artifice joüoit, il y avoit aux deux aisles de la Maison de Mr l'Ambassadeur, dans deux Balcons, des Trompetes & des Timbales, dont les airs retentissoient, & dans le Balcon du milieu un Concert de toutes sortes d'Instrumens à la mode d'Espagne. [...]

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 272-273.

Je vous envoye un Air nouveau d´un Autheur illustre, dont je vous en ay déjà envoyé plusieurs. Vous n´aurez aucune peine à estre persuadée de sa beauté quand je vous auray nommé Mr d´Ambruis. Ses Ouvrages luy ont acquis une grande réputation, & on ne peut estre plus connu ny plus estimé qu´il l´est.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Berger, dans ce beau sejour, doit regarder la page 272.
Berger, dans ce beau sejour,
Tout invite à faire l'amour.
Voy ces deux Tourterelles
Si tendres & fidelles,
Par mille baisers amoureux,
Soulager l'excés de leurs feux.
Berger, si tu veux
Que nous soyons heureux,
Faisons comme elles.
images/1682-10a_272.JPG

[Balade] §

Mercure galant, octobre 1682 (première partie) [tome 11], p. 273-275.

BALADE.

Dans ce Hameau je voy de toutes parts
De beaux atours mainte Fillete ornée ;
Je gagerois que quelque jeune Gars
Avec Catin unit sa destinée.
Elle a l’œil doux, elle a les traits mignars,
L’air gratieux, l’humeur point obstinée,
Mais grand defaut gaste tous ses attraits,
Point n’a d’écus. Pour belle qu’on soit née,
L’Amour languit sans Bacchus & Cerés.
***
De doux propos & d’amoureux regards
On ne sçauroit vivre toute l’année.
Jeunes Marys deviennent tost Vieillards,
Quand leur convient jeûner chaque journée ;
Soucis pressans chassent pensers gaillards.
Tendresse alors est en bref terminée ;
S’il en paroist, ce n’est qu’ad honores.
Par maints grands Clercs l’Affaire examinée,
L’Amour languit sans Bacchus & Cerés.
***
L’Atre entouré d’un tas d’Enfans criards,
De Creanciers la Porte environnée,
D’un triste hymen tous les autres hazards,
Font endurer peine d’Ame damnée,
Et donnent joye aux Voisins babillards.
Mirthes dont fut la teste couronnée
Voir on voudroit transformez en Cyprés.
D’un tel desir point ne suis étonnée,
L’Amour languit sans Bacchus & Cerés.

ENVOY.

Vous, qui d’amour suivez les Etendars,
Point ne croyez cauteleux Papelars,
Disans, Beauté suffit pour l’hymenée.
Si vous voulez en tout faire florés,
Qu’avec Beauté grosse dot soit donnée,
L’Amour languit sans Bacchus & Cerés.