1682

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14].

2016
Source : Mercure galant, décembre 1682 [tome 14].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial) et Vincent Jolivet (Informatique).

[Description de la Galerie, du Sallon, & du grand Apartement de Versailles & de tout ce qui s’y passe les jours de Jeu] §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 42-57.

[...] Il est à propos de citer les grands Hommes du Siecle, pour acquérir un peu de créance dans la Postérité ; car le Roy estant aussi grand dans tout ce qu’il fait, que dans ses Conquestes, l’avenir aura autant de peine à croire ses Festes que ses merveilleuses Actions. Les peintures des Romans, où les Autheurs se sont donnez l’essor selon toute l’etenduë de l’imagination, & qui dans leurs descriptions de Palais, ont esté au dela du possible & du vray-semblable, ne nous ont jamais fait voir tant de belles choses ensemble, que celles dont je viens de vous parler.

 

[...] Jugez des plaisirs dont on joüit pendant quatre heures dans des Lieux destinez par un si grand Monarque pour les Divertissemens de sa Cour. Il y a plus ; & si les vrais plaisirs sont d'en changer, puis qu'un plaisir trop continué devient moins sensible, on en change aussi souvent que l'on veut. Lors que l'on est las d'un Jeu, l'on jouë à un autre. On entend en suite la Symphonie, ou l'on voit dancer. On fait conversation ; on passe à la Chambre des Liqueurs, ou à celle de la Collation ; & comme on y trouve en abondance tout ce qui peut satisfaire le goust, l'imagination n'a qu'à chercher ce qui luy plaist, les yeux à le regarder, & la main à le prendre. [...]

Epistre à Madame la Présidente de Pommereuil §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 73-83.

 

Je vous envoye des Vers qui sont faits il y a plus de trente ans ; mais comme ils ont peu couru, & qu’il est des Maistres du Mestier dont les Ouvrages sont bons en tout temps, je n’ay pas voulu vous priver du plaisir de voir cette spirituelle & galante Epistre, quoy que faite pour une Personne morte il y a tant d’années.

EPISTRE
A MADAME
LA PRESIDENTE
DE POMMEREUIL.

L’astre du Jour, sortant de l’onde,
A deux fois éclairé le monde,
Depuis le jour que vos beaux yeux
N’éclairent plus dans ces beaux lieux :
Et cependant, belle Silvie,
Vous le voyez, je suis en vie.
Je l’avoue, il est vray, j’ay tort :
Cent fois je devrois estre mort.
Mais aussi depuis cette absence
Je ne vis que de l’espérance
De revoir bientost dans ces lieux
Briller l’éclat de vos beaux yeux.
Pour ces beaux Soleils je soupire,
Plus souvent que je ne respire.
Ces beaux yeux, de leurs moindres traits,
Blessent de loin comme de prés.
De leur pure & brillante flâme
Ils n’éclairent plus dans mon ame :
De leur vive & brulante ardeur
Toujours ils m’embrasent le cœur.
 Que maudit soit l’Homme sauvage
Qui vous conseilla ce voyage :
L’Homme, à la barbe de Judas ;
L’Homme, aux oreilles de Midas.
Qui l’auroit cru, que Barberousse,
Ce fameux Médecin d’eau douce,
Vous auroit ordonné la Mêr,
Des remédes le plus amêr ?
Ah maudit soit ce grand Satrape ;
Ce petit suppost d’Esculape !
Mais trois & quatre fois maudit
Soit Babichon qui vous mordit.
Ouy, vous l’aimiez plus que personne,
Vous l’aimiez plus que Babichonne,
Ah maudit soit le chien de Chien,
A qui vous fistes tant de bien !
Dans vostre sein, Dieux quelle gloire !
Assis sur un Thrône d’ivoire,
Vous lui fesiez mille faveurs ;
Vous lui disiez mille douceurs :
Pour lui seul toujours caressante ;
Pour lui seul toujours complaisante.
Et cet ingrat, cet inhumain,
A blessé vostre belle main.
Ainsi cédant à son courage,
Dioméde écumant de rage,
Dans les campagnes d’Ilion
Plus redoutable qu’un Lion,
Blessa de sa lance acérée
La belle main de Cythérée.
Barberousse en a bien jugé.
Ouy, Babichon est enragé.
Quelle autre chose que la rage
Est capable d’un tel outrage ?
Mais Dieux ! l’excês de mon tourment
M’a-t il troublé le jugement ?
Charmé de vostre main charmante ;
Dans sa passion violante
Babichon la vouloit baiser.
Il ne pensoit pas la blesser.
Mais hélas ! contre sa pensée,
En la baisant, il l’a blessée.
Ainsi, sortant de son halier,
Jadis un affreux Sanglier,
La terreur de son voisinage,
Voyant couché sur le rivage
L’Amant de la belle Cypris,
D’amour pour ses charmes épris,
En voulant baiser sa main blanche,
Lui déchira toute la hanche.
Mais enfin dans les flots amêrs
De la plus terrible des Mérs ;
Plus terrible que n’est l’Egée ;
Par trois fois vous serez plongée.
O bien heureux les Matelots
Qui vous plongeront dans ces flots !
Quel bonheur ! ils vous verront nue
De mille apas divers pourveue.
Quel bonheur ! de vostre beau côrs
Ils verront les riches trésors.
Quand de mille beautez pourveues
Pâris vit les Déesses nues,
Pardon, Vénus, il ne vit pas
Plus d’attraits divers, ny d’apas.
O Dieux le spéctacle admirable !
O des jours le plus souhaittable !
Les flots les plus impétueux
A pas lents & respectueux,
Viendront sur le bord du rivage
Rendre à vos beautez leur hommage,
On verra par vos doux regards
L’air s’éclaircir de toutes parts :
Et les sables les plus stériles
Sous vos pas devenir fertiles :
Et mille fleurs naistre en tous lieux
D’un seul rayon de vos beaux yeux.
Telle autrefois de l’onde amère
Sortit la Reine de Cythère.
Mais hélas ! je tremble de peur :
Ah je meurs ; je meurs de frayeur,
Que le Dieu des Plaines liquides,
Au milieu de ses Néréides,
Charmé de vos charmes nouveaux,
Et pour vous brulant dans ses eaux ;
Ne vous traisne au fond de son onde
Dans une caverne profonde.
Dans ces abysmes de la Mêr
Vous passeriez mal vostre hivêr.
Mais dans cette pompe éclatante ;
Pour vostre personne charmante,
Bien plus que tous les autres Dieux,
Je crains le Monarque des Cieux.
On en conte d’étranges choses.
Vous savez ses Métamorphoses.
 La Fille du Prince Agénor,
La belle Europe aux cheveux d’or,
Avec ses aimables compagnes
Cueuilloit des fleurs dans les campagnes,
Aux bords de la mêr que Sidon
Rendit illustre par son nom.
Elle avoit l’air d’une Déesse :
Et cette adorable Princesse
Qui vit tous les cœurs sous ses loix,
Ut plus de charmes dans sa voix,
Et dans ses yeux, & dans son geste,
Que Vénus n’en a dans son ceste.
Jupiter qui du haut des Cieux
Voit tant de charmes précieux,
Soupire aussitost pour la Belle.
Pressé de son amour nouvelle ;
La plus vive & cuisante ardeur
Qui jamais embrasa son cœur ;
Quittant sa foudre & son tonnerre,
Aussitost il descent en terre :
Et sous la forme d’un Taureau
Il brille au milieu d’un troupeau.
Son côrs est blanc : sa teste, noire :
Ses dents, ses cornes, sont d’ivoire.
Ses yeux sont & vifs & brillants ;
Et ses regards étincelants.
La gorge est large : elle est pendante.
La queue est longue : elle est traînante.
A pas lents & respectueux,
D’un air noble & majestueux,
Il aproche de la Princesse.
Vers la Belle il tourne sans cesse ;
Tantost ses regards amoureux ;
Tantost ses soupirs langoureux :
Et de sa langue entortillée
Lui leichant sa main potelée,
Avec un doux mugissement
Il lui parle de son tourment.
Comme un criminel qui supplie,
A ses genoux il s’humilie ;
Et par mille amoureux soupirs
Il lui parle de ses desirs.
Par ces caresses invitée ;
Par ces tendresses excitée ;
En le flatant de doux propos,
Europe se met sur son dos.
D’un si noble fardeau superbe,
Le Taureau galope sur l’herbe.
Sur son dos la jeune Beauté
Brille d’une noble fierté.
Le Ravisseur, comblé de soye,
Dans la Mêr emporte sa proie.
Pressé de sa nouvelle ardeur,
Qui toujours embrase son cœur,
Il fent les flots ; & d’une traite
Il passe au rivage de Crète.
Elle ut beau prier & pleurer ;
Beau supplier & soupirer ;
Le Taureau se rit de ses larmes.
Il se moque de ses alarmes.
Là, dans un autre plus affreux
Que n’est le Manoir ténébreux,
De sa dent il ront sa ceinture :
Et poursuivant son avanture.…
La Belle enfin passa le pas.
Et tant d’attraits & tant d’apas
Furent sous la pate puissante
D’une beste à voix mugissante.
On dit que le Dieu dans ce lieu
Reprit sa figure de Dieu
Pour jouir de sa belle proie.
Qui le voudra croire, le croie.
 Mais si vous croyez mes desirs :
Si vous en croyez mes soupirs,
Vous reviendrez à la Bretésche
Vous reposer sur l’herbe frêsche.
Vous quiterez vos bains amêrs
De la plus terrible des Mêrs :
Et sans essuier tant d’alarmes,
Vous vous baignerez dans nos larmes,
 Revenez donc, mais prontement,
Rendre à la Cour son ornement.
Venez remplir, belle Silvie,
Tous les cœurs d’amour ou d’envie.
Revenez : rendez à Paris
Les eux, les Graces, & les Ris.
Rendez, adorable Silvie,
Rendez à Ménatque la vie.

[Le Tableau de la Vérité. Discours] §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 127-128.

 

On ne voit ordinairement dans les Poëtes, que des Fictions ; dans les Orateurs, que du fard ; & dans les Philosophes, que des tenebres ; mais la Poësie n’a point d’illusions, que la Verité ne défasse ; l’Eloquence point d’enchantemens, que la Verité ne détruise ; & la Philosophie point de nuages, que la Verité ne dissipe. Oüy, Messieurs, la Verité toute nuë qu’elle est, triomphe des armes de la Philosophie & de l’Eloquence. Sa simplicité confond leur magnificence, leur subtilité, & leur pompe, & sa naïveté renverse tous leurs artifices : Sans chatoüiller les oreilles, elle gagne les cœurs ; & sans estre éloquente, elle persuade les Peuples.

[Histoire] §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 169-190.

 

On a fait depuis quelques années une Comédie des Trompeurs trompez. Voicy dequoy ajoûter à cette Piece de fort agreables Scenes. Un jeune Marquis, assez connu dans le monde & par sa naissance, & par son esprit, apres avoir eu bien des affaires de galanterie, où il avoit mis assez peu du sien, devint enfin amoureux tout de bon d’une jolie Dame, que la mort d’un Mary avoit laissée libre, & maîtresse d’un bien fort considérable. On pouvoit trouver son compte & à l’aimer & à l’épouser, l’agreable & le solide se rencontrant dans cette aimable Personne. Aussi le Marquis la regarda-t-il par ces deux endroits. Il mit en usage toute la science de plaire, qu’il avoit acquise aupres des Dames ; & au bout de quelque temps, il fut en état de concevoir des espérances assez raisonnables. On le voyoit de bon œil, & tous les jours, & à toutes heures. On ne faisoit point de Parties sans luy, & déja mesme on le recevoit dans de certaines confidences. Tout ce progrés ne luy avoit pas cousté trop de temps à faire ; mais quand il l’eut une fois fait, il remarqua qu’il n’en faisoit point du tout. Comme il estoit accoûtumé à avancer toûjours, il ne s’accommoda point de cette lenteur. Il en recherchoit la cause, & ne la devinoit point. La verité estoit que la belle Veuve qui sçavoit bien jusqu’où elle en estoit venuë, ne vouloit plus faire aucun pas qui l’engageast davantage avec le Marquis, à moins que d’estre tout-à-fait résoluë de l’épouser ; or de s’y résoudre, c’estoit la difficulté. Elle connoissoit toute l’importance de l’affaire. Rien ne la pressoit, & elle pouvoit prendre le loisir de se bien marier. Le Marquis ayant bien médité sur la situation où il voyoit sa Maîtresse, alla s’imaginer que les commencemens de passion qu’elle avoit pour luy, languissoient, faute d’estre excitez, & soûtenus par quelque jalousie, & qu’il en seroit tout autrement aimé, dés qu’elle auroit, ou croiroit avoir une Rivale. Il avoit pris ces principes-là dans les commerces qu’il avoit eus avec plusieurs autres Femmes, dont il avoit veu que l’amour se fortifioit, à mesure qu’elles pensoient estre trahies ; & en effet, ses refléxions estoient bonnes, mais par malheur elles furent mal appliquées. Il commença à faire entrevoir à l’aimable Veuve qu’il avoit assez de disposition à aimer une Dame qui estoit de la mesme Province que luy, & qui demeuroit alors à Paris. Il devoit naturellement la connoistre, & c’estoit pourquoy il se servoit de son nom. Cependant il ne la connoissoit presque point, & ne l’avoit peut-estre pas veue quatre fois en sa vie ; mais il ne faisoit pas grand scrupule de mentir dans l’occasion, sur tout aupres des Femmes, qu’il croyoit aisées à appaiser sur ce chapitre-là. Il se mit donc à citer souvent cette Dame de Province, à faire valoir son mérite, quelquefois hors de propos, & à donner à entendre qu’il en estoit un peu piqué. Si on parloit de Femmes d’esprit, c’estoit celle-là qui l’emportoit. S’il estoit question de décider sur quelque chose, il rapportoit des décisions assez fines qu’il suposoit estre d’elle. Tout cela estoit semé avec assez d’adresse dans les conversations qu’il avoit avec la belle Veuve, car devant d’autres, il se gardoit bien d’en parler ; mais pour elle, elle n’avoit nul commerce avec la Dame de Province, qui estoit logée à l’autre bout de Paris, & vivoit dans un autre monde. On sçait combien il y a de Villes dans Paris, & de Villes qui ne se connoissent point. L’artifice du Marquis produisit dans le cœur de sa Maîtresse un effet bien opposé à son intention. Loin de prendre feu sur cette Rivale suposée, elle fut choquée de l’entendre nommer si souvent, & aima mieux par dépit luy abandonner le Marquis, que de prendre la peine de le luy disputer. Comme les affaires en estoient là, il arrive malheureusement pour le Marquis, qu’elle vient à démêler qu’il ne voyoit point cette Dame de Province chez elle, & qu’à peine la connoissoit-il. Un reste d’intérest qu’elle y prenoit, fit qu’elle se servit d’une occasion qui se présenta par hazard, d’apprendre ce que le Marquis croyoit qui luy seroit toûjours fort inconnu. Une autre qu’elle eust peut-estre fait des refléxions tendres sur les motifs de la tromperie qu’on luy avoit faite ; mais il eust falu pour cela aimer beaucoup le Marquis, & elle ne l’aimoit plus. Son procedé luy avoit déplû d’abord ; & ce qui est ordinaire, elle n’estoit point revenuë de cette premiere impression. Elle ne songea donc qu’à se vanger, & y réüssit assez heureusement. Un jour qu’elle s’estoit destinée à des visites, elle se fit accompagner par le Marquis. Apres qu’elle eut esté en quelques Maisons, elle dit qu’on la menast chez cette Dame dont le Marquis luy avoit tant parlé. Jamais il ne fut plus surpris. Il luy demanda si elle la connoissoit. Elle répondit qu’une petite affaire luy donnoit occasion de l’aller voir, & effectivement elle s’estoit ménagée exprés cette affaire-là. Le pauvre Marquis soûtint qu’à l’heure qu’il estoit, elle ne la trouveroit pas, & luy conseilla de faire d’autres visites plus pressées en des lieux qu’il luy nomma ; mais malgré tout cela, elle s’obstinoit à y aller. Pendant tout le chemin, il changea vingt fois de couleur, & parut fort interdit. Il souhaitoit des embarras de Carrosses, des Rouës qui rompissent, & toutes sortes de malheurs. Sa derniere espérance estoit qu’on ne trouveroit point la Dame chez elle ; mais quand on fut arrivé, il pensa mourir à la voix du Laquais, qui dit qu’elle y estoit. Il falut monter. Il se résolut à payer de hardiesse, puis qu’il n’y avoit pas moyen de s’en dédire, & il tâcha de prendre des airs qui pussent faire croire que la Dame de Province & luy estoient en quelque sorte de familiarité, mais elle ne le secondoit pas de son costé. Elle luy faisoit de certaines questions qu’on n’a pas coûtume de faire à des Gens que l’on voit quelquefois, jusqu’à luy demander depuis quand il estoit à Paris, & s’il y seroit encore longtemps. Tout cela le desespéroit, car rien ne s’accordoit moins avec les manieres qu’il eust voulu affecter, & il paroissoit qu’il l’avoit veuë assez souvent, mais qu’elle ne l’avoit presque jamais veu. Apres qu’ils furent sortis, l’aimable Veuve & luy, il s’attendoit à essuyer d’elle quelques plaisanteries sur ce qui venoit de se passer, & il se préparoit déja à les soûtenir en galant Homme ; mais elle demeura dans un grand sérieux, qui luy fit d’abord croire qu’elle ne s’estoit apperçeuë ny de son embarras, ny du ridicule qui avoit esté dans la visite qu’ils venoient de faire. Ils se séparerent sans qu’elle luy eust parlé de rien, & il se tint le plus heureux Homme du monde d’en estre quitte à si bon marché ; mais les jours suivans, ce mesme air sérieux de la belle Veuve continuoit encore, & il commença à s’en inquiéter. Il voyoit qu’elle avoit changé de manieres avec luy. Enfin pressé par son amour, il ne pût s’empescher de luy en demander la raison. Dieu sçait comme elle desavoüa qu’elle fust changée à son égard ; mais en le desavoüant, elle laissoit bien paroistre qu’il estoit vray. Apres avoir fait toutes les façons necessaires, elle feignit de se rendre, & de ne pouvoir plus longtemps renfermer son secret. Elle lâcha la parole, qu’elle estoit jalouse de l’amour qu’il avoit pour cette Dame de sa Province, qu’elle l’avoit bien soupçonné de cette nouvelle passion sur tout ce qu’il luy avoit dit d’elle, mais qu’elle en avoit esté pleinement convaincuë à la visite qu’elle luy avoit faite. Aussitost il se jette dans les justifications, & dans les protestations d’une eternelle fidelité. Ah ! luy dit-elle en joüant son personnage, comme la meilleure Comédienne du monde, j’ay veu trop de marques de vostre tendresse pour ma Rivale. Quand je vous menay chez elle, dans quel embarras, dans quel desordre ne tombastes-vous pas en y allant ! Je n’eus qu’à prononcer son nom, pour causer de l’agitation à vostre cœur. Vous voulustes me détourner de cette visite-là, par un reste de considération pour moy, & pour m’empescher d’estre témoin de vostre passion pour cette nouvelle Maîtresse. De quel artifice ne vous servistes-vous pas tous deux pour me tromper ? Il paroissoit que vous ne vous connussiez pas, & je sçavois déja bien que vous vous aimiez. Que je fus vivement blessée de ce qui me parut d’intelligence entre vous deux ! Jamais deux Amans ne se sont si bien entendus. Vos regards, vos paroles, vos manieres, tout estoit concerté ; & apres cela, combien de fois suis-je entrée dans vos discours ? Combien vous estes vous moquez de ma simplicité, que vous croyiez pourtant bien plus grande qu’elle n’est ? Le Marquis qui avoit craint qu’on ne le plaisantast sur ce qu’il ne connoissoit point cette Dame, fut bien étonné qu’on luy reprochast de s’entendre si bien avec elle. Il jura cent fois qu’il la sacrifioit de tout son cœur à la belle Veuve ; mais quand il vit qu’on ne se rendoit point à ses sermens, il se mit à tenir un langage bien contraire, & jura qu’il ne la connoissoit point. On fit semblant de ne croire ny l’un ny l’autre, mais moins encore le dernier. Là-dessus entra justement la Dame dont il estoit question, qui venoit rendre la visite qu’elle devoit. Autant que le Marquis avoit affecté la premiere fois de faire paroistre qu’il estoit de ses Amis, autant il affecta alors de faire voir, comme il estoit vray, qu’il ne la connoissoit point ; mais la Dame qui l’avoit assez goûté, luy dit beaucoup de choses obligeantes, qui venoient si juste pour le faire enrager, qu’on eust crû qu’elle les disoit par malice ; & si-tost qu’elle fut partie, cela fut bien reproché au Marquis. Enfin comme il persistoit à soûtenir la verité qu’on avoit eu bien de la peine à luy arracher, la belle Veuve pour finir la Comédie, luy dit en éclatant de rire, qu’elle sçavoit bien qu’il disoit vray, qu’elle avoit seulement voulu avoir le plaisir de l’embarrasser dans ses propres artifices, qu’elle ne seroit jamais que sa tres-humble Servante, & qu’elle luy conseilloit de ne se plus mêler de donner des jalousies à des Femmes comme elle, qu’il faloit gagner par d’autres voyes. Le Marquis demeura fort confus & fort chagrin. C’estoit pour la premiere fois qu’il voyoit dans une Femme de ces sortes de fiertez, & cela servit à modérer une assez mauvaise opinion qu’il avoit conçeuë du Sexe.

[Chastillon sur Seine] §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 193-195, 197-202, 214-216.

 

La Ville de Chastillon sur Seine, dont les Magistrats ont esté longtemps occupez à pourvoir au Logement des Gardes du Roy, qui ont passé par là au mois de Septembre, n'a point voulu se servir de ce prétexte, pour se dispenser de marquer la joye que la Naissance de Mr le Duc de Bourgogne luy avoit causée. Ainsi, aussi-tost que ces Magistrats eurent satisfait sur cet article à l'obligation de leurs Charges, leurs premieres pensées furent d'ordonner tout ce qui leur parut necessaire pour une Réjoüissance d'éclat. Elle commença le Dimanche 25. Octobre, par le carillon de toutes les Cloches de la Ville. La Bourgeoisie se mit sous les armes, & l'Artillerie se fit entendre en divers endroits. [...]

 

La Feste dura trois jours. Le premier, Mr le Maire donna un magnifique Dîné à Messieurs de sa Chambre, à tous les Capitaines, Lieutenans, Enseignes, & autres Officiers de la Milice. La Table estoit dressée dans une des Places publiques, & couverte de tout ce qu'il peut y avoir de Mets exquis. Tous ceux qui passoient, Religieux, Prestres, Gentilhommes, Bourgeois, Etrangers, bûvoient la Santé du Roy au bruit des Fanfares des Trompetes. Ce qu'on desservoit, estoit aussi-tost donné aux Pauvres ; & pour le Dessert, qu'on avoit servy en profusion, il fut distribué au Peuple, Spéctateur de ce Repas. Lors qu'il fut finy, les Magistrats se retirerent en la Chambre de Ville, & les Officiers de Quartier firent batre le Tambour, pour rassembler ceux qui composoient leur Milice. Peu de temps apres, on vit dans un tres-bel ordre deux Compagnies de Soldats, chacune de plus de deux cens Hommes, tous fort lestes, & bien faits. Ils marchoient quatre de front, & par intervales leurs rangs estoient meslez de Hautbois, de Fifres, & de Tambours. Estant arrivez à l'Hôtel de Ville, ils formerent une double Haye, au milieu de laquelle passerent les Officiers du Bailliage, & les Magistrats de Ville, les uns, & les autres précedez de leurs Huissiers. Ils se rendirent ainsi en l'Eglise de S. Nicolas, où une partie de la Milice estoit encor rangée en haye jusques au Choeur. Les Ecclésiastiques, Prestres & Religieux s'y estoient déjà rendus en fort grand nombre. Messire Henry Lenet, Abbé de Nostre-Dame de Chastillon, paroissoit à leur teste, comme Chef du Clergé Séculier & Régulier. [...] Le P. Cinget, Prieur de la mesme Abbaye, & les Chanoines Réguliers qui ont les droits honorifiques dans la Paroisse de S. Nicolas, chanterent solemnellement le Te Deum, apres lequel, les uns & les autres reprirent leurs rangs, & accompagnerent les Magistrats à l'Hôtel de Ville, où Mr le Maire faisant ouvrir la Fontaine, bût le premier les Santez Royales. Mr le Procureur du Roy suivit son exemple ; & apres que les autres Officiers de sa Chambre eurent fait la mesme chose, la Milice s'avança, pour en faire autant, sans qu'il arrivast aucun désordre dans une si grande confusion de monde. [...]

 

Le Mercredy 28. fut un jour extraordinaire, accordé par les Magistraux aux prieres de la Milice. On la vit paroistre ce jour-là au mesme nombre, & dans le mesme ordre, mais beaucoup plus leste qu'auparavant. Un de ces zelez Soldats portoit la Renommée ; & quatre autres des mieux faits, soûtenoient le Berceau de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Ils passerent toute la journée dans cet appareil, & promenerent ainsi par toutes les Ruës la Représentation du jeune Prince. Le soir ils se rendirent devant la Maison de Mr le Maire, avec les Violons, Hautbois, Fifres, & Tambours. Ce Magistrat y avoit fait allumer un tres-grand Feu, & apres qu'il eut fait boire toute la Milice, il l'invita à mettre les armes bas, & à dancer avec luy autour de ce Feu. Les Dames se meslerent dans la Dance, & elle dura jusques à minuit. Je ne vous dis rien des marques de joye que donnerent les Maisons Religieuses, & entr'autres les Peres Feuïllans, par un beau Feu d'artifice allumé sur une Tour de leur Convent ; & les Dames Ursulines, par un merveilleux Concert, où les Voix meslées avec les Instrumens, charmerent également tout le monde.

[Devises à Chatillon sur Seine] §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 205-210.

[...] Ces Tours exprimoient les Armes de Chastillon. Les quatre Amours que la Ville témoignoit luy consacrer, estoient l’Amour de la Fidelité, ayant aupres de luy un Chien pour simbole ; l’Amour de la Gloire, portant une Couronne de Laurier sur sa teste, avec une branche à la main ; l’Amour de la Religion, appuyé sur une Autel ; & l’Amour de la Paix, tenant une branche d’Olivier, & ayant à ses pieds des Armes brisées. On lisoit ces Vers aux quatre faces du Piédestal.

SUR LES CLEFS QUE
la Ville présentoit à Monseigneur le Duc de Bourgogne.

Prince, cette Ville fidelle
Te consacre ces quatre Amours,
Et t’ofre ses Clefs & ses Tours,
N’ayant rien à craindre pour elle.

SUR LA POMME QUE
tenoit ce jeune Duc.

 Qui pourroit te la disputer ?
 La Beauté l’assure à ton âge ;
 Ton bras, ton esprit, ton courage,
Te la feront un jour justement emporter.

SUR L’AIGLE QUI ESTOIT
d’un costé aux pieds du Berceau.

L’Aigle comme un foible Moineau
Est abaissé par ta Naissance.
Déja tremblant sous ta puissance,
Il te connoist dés le Berceau.

SUR LE LYON QUI
estoit de l’autre costé, aux
pieds du mesme Berceau.

Tes cris, & le bruit de ton Nom,
Eclatant par toute la Terre,
De mesme qu’un Foudre de guerre,
Donnent de la crainte au Lyon.

 

Les quatre faces du Théatre estoient ornées de Devises, avec quatre Vers au bas de chacune. Au milieu de la premiere, on avoit représenté un Soleil levant, éclipsant les autres Astres. Ces mots servoient d’ame à la Devise, Unius ortu.

Fuyez, Ennemis de la France,
Cédez à ce nouveau Soleil.
Vostre éclat n’a rien de pareil
A la grandeur de sa Naissance.

 

Au milieu de l’autre face, estoit peint un Aigle présentant son Aiglon au Soleil, avec cette Inscription, Probatque tuendo.

Cet Enfant tout brillant d’appas,
Qui dans le fort de ta carriere
Soûtient l’éclat de ta lumiere,
Soleil, ne le connois-tu pas ?

 

Au milieu de la troisiéme, on avoit tracé un Soleil formant son Parélie, avec ces mots, Par si durabit imago.

 Les Héros seront effacez.
 Ses traits, ses yeux, & son visage,
 En sont un assuré présage,
Il ressemble à LOUIS. Qu’il vive, c’est assez.

 

Au milieu de la derniere, on voyoit un Lys, & des Serpens qui fuyoient, Arcet odore.

 En vain l’Herétique perfide,
Autour de ton Berceau nous montre des Serpens,
 On ne les y voit que rampans,
Craignant l’odeur du Lys, & la valeur d’Alcide.

[Devises à Semur] §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 216-238.

 

Il me reste à vous parler de ce que Semur a fait sur cette mesme Naissance. Semur est la Capitale d’Auxois, dans le Duché de Bourgogne. Quoy que cette Ville n’ait pas encor eu le loisir de respirer, sortant à peine d’un accablement de grandes debtes, elle n’a pas laissé de faire paroistre beaucoup de pompe dans les Réjoüissances publiques qu’elle a ordonnées ; le tout par les soins de Mr l’Emulier, Lieutenant Particulier au Bailliage & à la Chancellerie d’Auxois, & Maire de la Ville ; de Mrs Lasseret, Chifflot, Devercy, & Lestre, Echevins ; & de Mr de Varenne, Procureur-Sindic, qui tous s’employerent à faire parer les principales Avenuës jusques à l’Hôtel de Ville.

 

Dans la Place proche la Porte de Savigny, entre le grand Fauxbourg & la Ville, on voyoit un Théatre quarré, sur quatre Colomnes hautes de quatorze pieds. A chaque face on lisoit des Vers Latins, qui faisoient connoistre que des trois Branches de la Lignée Royale de Hugues Capet, celle de Bourbon seule, avoit honoré la Bourgogne d’un premier né pour Duc, en la Personne du Fils de Monseigneur le Dauphin, les deux autres n’ayant regardé le Duché que comme un Apannage des Cadets. En effet, Robert le Vieux, premier Duc de la premiere Race, eut pour Frere aîné Henry I. Roy de France ; & Philippes le Hardy premier Duc de Bourgogne, de la seconde Race, estoit le Cadet de Charles V. dit le Sage, aussi Roy de France. Sur ce Théatre s’élevoient cinq Pyramides, la plus grande au milieu, les quatres autres dans les angles, toutes semées de Fleurs-de-Lys, de Dauphins, & d’Ancres fleur-delisez, avec ces mots, Sic firmatur. Chaque Pyramide avoit un Etendart aux Armes de France, de Dauphiné, de Bavieres, & de Bourgogne, & sur celle du milieu on lisoit ce Vers Latin.

Speranti majora de dit Burgundu nomen.

 

A la pointe, estoient des Grenades pleines de Petards, & de Fusées. A quelques pas de distance, on découvroit un Arc de Triomphe, au dessus duquel on avoit représenté le jeune Prince nouveau Duc. Au bas, des deux côtez de cet Arc, estoient les Figures des quatre derniers Ducs dans leurs Habits de cerémonie, avec leurs Devises sur des Cartouches, sçavoir, celle de Philippes le Hardy, Moult me fâche ; celle de Jean Sans-peur, Je le tiens ; celle de Philippe le Bon, Je frape ainsi ; & celle de Charles le Terrible, J’ay empris. Le jeune Prince estoit revestu des Ordres du Roy, avec la Couronne Ducale sur sa teste. Au dessous de ces quatre derniers Ducs, estoient ces Vers de Mr Forteau, Avocat.

Ne redoutons plus d’Ennemis,
LOUIS les dompte par les armes,
Et nostre Duc les rend soûmis
Par la puissance de ses charmes.
***
Que fera cet Astre croissant
Vers le milieu de sa carriere.
Puis qu’on le voit encor naissant
Briller avec tant de lumiere ?
***
Son Berceau déja triomphant,
Ne nous annonce que Victoires,
Et nous prédit que cet Enfant
Fera l’honneur de nos Histoires.
***
Il pourra bien mieux dire icy,
Nous prenant en sa sauvegarde,
Je le tiens, & je frape ainsy,
Je l’ay empris, & moult me tarde.
***
En attendant qu’un Sangissa
D’une Source en gloire féconde,
Se puisse former un tissu
Des Couronnes de tout le monde.

 

Dans un autre Cartouche, on lisoit ces autres Vers de Mr Boucard, aussi Avocat, sur les Prodiges qui ont précedé la Naissance de ce Prince.

Que pensez-vous que la Comete
Voulust nom présager de bon,
Sinon que du Sang de Bourbon
La gloire de viendroit parfaite ?
***
En formant un Prince si digne,
Le Ciel honora son Berceau,
Voulant que cet Astre nouveau
Fust précedé d’un nouveau Signe.
***
La Terre estant toute entreprise
Sous le grand poids de ce Héros,
Troubla son naturel repos,
Pour en témoigner sa surprise.
***
Par un heureux & doux augure,
On la sentit en mouvement,
S’efforçant jusqu’au tremblement,
Présager sa grandeur future.
***
Bourgogne, sur cette espérance,
Que ne dois-tu pas concevoir
D’un Prince qui sçeut émouvoir
Ciel & Terre avant sa naissance ?

 

Ces sortes de Prodiges sont presque toûjours des présages assurez de la grandeur des Princes, & de la félicité des Peuples. L’année que Charlemagne fut couronné Empereur, il y eut un tremblement de terre general dans tous ses Etats. Deux Cometes prédirent les avantages que devoit tirer la France du Regne de Charles V. & de nos jours, le bonheur extréme dont l’a comblée le Mariage du Roy, fut auguré par le tremblement des Pyrenées.

Apres qu’on avoit passé la premiere Porte de la Ville, on en trouvoit une seconde ornée des Armes de France, & de Bourgogne. Cette Porte donnoit entrée à la plus belle des Ruës de Semur, où l’on rencontroit un second Arc de Triomphe. La Figure du Roy estoit posée au dessous avec sa Devise, Nec pluribus impar. On lisoit ces mots dans cinq Cartouches qui l’accompagnoient. Loüis le Grand, Arbitre de l’Univers, Maistre de la Guerre & de la Paix, Invincible, toûjours Victorieux. Au dessous estoit écrit.

Grand dans la Paix, Grand dans la Guerre,
Grand sur la Mer, Grand sur la Terre,
Grand plus que les plus grands Guerriers,
Grand, couvert de mille Lauriers,
Grand, plus grand que le Diadéme,
Grand, qui n’a d’égal que luy-mesme,
Grand parmy toutes les saisons,
Grand sur toutes comparaisons,
Puis que luy seul a plus de gloire
Que tous les Héros de l’Histoire.
Comptez tous les Siecles passez,
C’est beaucoup, ce n’est pas assez.

 

Encor plus bas estoit un Cartouche, avec plusieurs ornemens, & ces mots, Herculi Gallico, Sua Alexia. Les deux premiers conviennent au Roy, digne Heritier des Vertus & de la Devise du Grand Henry son Ayeul ; & les derniers sont particuliers à Semur, l’Auxois tirant son nom des hauts sommets du Mont Auxois, où Hercule, au rapport de Denys d’Halicarnasse, avoit basty la fameuse Cité d’Alize, à laquelle il donna son nom, ainsi qu’à tout le Païs. On l’appelloit Alexicacos, parce qu’il assuroit le repos des Peuples, en purgeant la Terre de Monstres & de Brigans, & de là est venu Auxois. La Ville d’Alize subsista toûjours en grandeur, jusques au temps de César qui s’en rendit maistre. C’est de sa ruine entiere arrivée depuis par les Vandales, que la Ville de Semur s’est accrûé, & est devenuë en sa place Capitale de l’Auxois, dés le temps mesme des Roys de Bourgogne.

Aupres, & dans un autre Cartouche, estoit encor ce Quatrain.

Quelque force que l’on m’oppose,
Rien ne resiste à mon pouvoir.
Pouvoir en moy, comme vauloir,
Est toûjours une mesme chose.

 

 

Au bas de la Figure du Roy, estoit d’un costé celle de Monseigneur le Dauphin, & pour Devise, un Miroir ardent, d’où refléchissoient les rayons d’un Soleil, avec la mesme force que ce Miroir les avoit reçeus. Ces paroles servoient d’ame à la Devise,

Ut speculum reddo speciem.

 

De l’autre costé, estoit la Figure de Madame la Dauphine, & au dessous un Soleil, & un Aigle qui luy présentoit un petit Aiglon, avec ces paroles,

Cognosce et sustine.

 

Au bas de toutes ces Figures, estoit celle de Son Altesse Serénissime Monsieur le Duc, Gouverneur de la Province, & pour Devise un Cadran exposé au Soleil, avec ces mots,

Hoc duce vivimus.

 

A l’entrée du Donjon qui conduit à l’Hôtel de Ville, estoit un troisiéme Arc de Triomphe, sur lequel on voyoit Henry le Grand, & Loüis le Juste, représentez ; le premier à la droite, avec sa Devise qui estoit la Massuë d’Hercule,

Erit hæc quoque cognita monstris.

 

Et au bas, ces Vers.

Il ne doit sa gloire à personne,
Elle est la Fille de son cœur,
Et son sang est à sa valeur
Redevable de sa Couronne.

 

Semur fut toûjours tres-fidelle à Henry IV. dans les temps les plus fâcheux de la Monarchie. Aussi ce grand Roy la jugea si digne de sa bienveillance, que pour luy en donner une marque, il y transféra le Parlement de Bourgogne durant les troubles.

Loüis XIII. estoit représenté à la gauche, avec cette Devise,

Justus ut palma.
La Vertu le rendit auguste ;
Et le Ciel propice à nos vœux,
A permis que dans ses Neveux
On vist fleurir le sang du Iuste.

 

L’Hôtel de Ville se trouvoit enfin à l’issuë de ce dernier Arc ; & à l’endroit le plus éminent, estoit un grand Buste du Roy, & au bas cette Inscription en lettres d’or dans un Marbre.

Ludovico Magno, totius Orbis Arbitro, ob restitutam pristinam libertatem, Præfatus & Ædiles posuerunt, annom. dc. lxxxii.

Ces mots ont esté gravez pour la Posterité, afin qu’on n’oublie jamais les bontez du Roy, qui a bien voulu aider Semur de sommes immenses, pour l’acquitement des debtes que les Necessitez publiques avoient fait créer.

Le jour choisy pour la Feste estant arrivé, on ne vit par tout que marques de joye. Cinq cens Hommes, les mieux faits & les plus propres de la Bourgeoisie, parurent en appareil militaire dans un tres-bon ordre. La Jeunesse de la Ville composa de son costé une Compagnie fort leste. Toute cette Milice marcha séparément au son des Fifres, Tambours, & Hautbois, vers l’Eglise de Nostre-Dame, l’une des plus anciennes, & de la plus rare Structure de Bourgogne. C’est un Ouvrage du premier Duc. On chanta le Te Deum. Le Corps du Bailliage, précedé du Vicebailly d’Auxois, & de ses Archers, y assista & prit sa place à la droite, au Chœur de l’Eglise. Le Corps de la Magistrature estoit à la gauche. On ne voyoit que Lumieres qui formoient des Fleurs-de-Lys. La Milice par ses Fanfares & par ses décharges, le Peuple par ses acclamations, les Clochers par leur son, & les Canons par leur bruit, contribuerent également à la solemnité de cette Cerémonie. Sur les huit heures du soir, les Magistrats précedez d’un grand nombre de Pertuisaniers, de Tambours, de Violons, & de Hautbois, sortirent de l’Hôtel de Ville, & eurent peine à se rendre au travers d’une multitude de Peuple incroyable, dont les Ruës estoient remplies, jusques en la Place où le Feu d’artifice avoit esté préparé. Il fut allumé par Mr le Maire, & fit un effet tres-agreable. Il y eut des Pots remplis d’artifice posez sur les Clochers, & sur les Arcs de Triomphe. Ainsi tout parut en feu dans le mesme temps.

Au Roy. Sonnet §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 238-240.

 

J’acheve ce que j’avois encor à vous dire, sur la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, par un Sonnet de Mr du Périer, qui n’a pas moins de génie pour les Vers François que pour les Latins.

AU ROY.
SONNET.

Grand Roy, quelle est ta gloire & ta félicité !
Ton Peuple te chérit, te révere, t’adore ;
De tous les autres Roys l’Ottoman redouté,
Te redoute luy-mesme, & craint pour le Bosphore.
***
Le Ciel à ton Dauphin, dont la noble fierté
Brûle de te soûmettre & le Scythe, & le More,
Donne un Fils, par qui seûr de ta Postérité,
Dans le long avenir tu regneras encore.
***
Si-tost qu’il voit le jour, nos Villes & nos Champs
Ne font voir en tous lieux que jeux, que ris, que chants,
Dont les ardens transports ont ton ame attendrie.
***
Poursuis ; & quelque soit le nom de Conquérant,
Pense que reconnu Pere de la Patrie,
Tu brilleras d’un Nom plus durable, & plus grand.

Madrigal §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 240-242.

 

Rien n’est plus commun que d’entendre condamner le trop de fierté des Belles. On proteste tous les jours qu’on se vangera de leurs mépris ; mais quelques sermens que l’on en fasse, ce sont des desseins qu’on ne peut exécuter. On sent toûjours que l’on aime, & il n’y a point de ressentiment qui puisse tenir contre l’Amour. Les Vers qui suivent vous confirmeront cette verité. Ils sont de Mr Diéreville du Pontlevesque.

MADRIGAL.

Je sortis de chez vous l’autre jour en colere.
  Oüy, je pestois, Iris,
 Contre vostre humeur trop severe,
 Et le dessein estoit bien pris,
 De me vanger de vos mépris,
  Si je l’avois pû faire.
  Mais je fus fort surpris,
 Quand je voulus me satisfaire,
 La colere m’avoit quitté,
 Et j’avois oublié l’offence
 Qui m’avoit si fort irrité.
 Loin de songer à ma vangeance,
Jeme vis tout changé dans le mesme moment,
  Sans connoistre comment
Se faisoit dans mon cœur ce changement extréme.
 Jen’y pouvois rien remarquer
Que certaine langueur qu’on ne peut expliquer ;
 Jen’ay jamais rien eu de mesme.
 Helas ! je le sentois trop bien,
 Et si ce n’est que je vous aime,
 Belle Iris, je n’y connois rien.

Feste galante du jardinier de Cléranton §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 253-279.

 

Il semble qu’il n’appartienne qu’aux Personnes de qualité de faire des Festes. Cependant la description de celle que vous allez voir, quoy que donnée par un simple jardinier, mérite bien vostre curiosité. Je vous l’envoye dans les mesmes termes que je l’ay reçeuë. On l’assure vraye dans toutes ses circonstances.

FESTE GALANTE
DU JARDINIER
de Cléranton.

Le jardinier de l’aimable Lieu de Cléranton s’estant mis dans l’esprit, qu’il devoit du moins une fois en sa vie, payer sa Feste à sa Dame, luy en fit la proposition la veille de la S. Jean derniere. La Dame trouva cette proposition assez plaisante ; & comme elle est bonne, elle l’accepta, & luy dit que pour l’aider à accomplir ses honorables volontez, elle luy donnoit une douzaine de Poulets, deux douzaines de Pigeonneaux, six pots de Confitures, & la permission de choisir dans sa Cave douze Bouteilles du meilleur Vin. Le jardinier charmé de ces avances libérales, luy demanda ses ordres pour le jour du Régale, & pour la Compagnie qu’elle desiroit d’avoir. Elle les luy donna aussi, mais elle luy défendit les Violons, parce qu’elle est encor dans le temps du deüil de son Veuvage. L’invitation fut donc faite dés le jour mesme, pour le lendemain de la Feste de la S. Jean, à dix Personnes de la Ville voisine, qui avec la Dame & son Beaufrere devoient faire le nombre de douze, porté par l’ordre que le jardinier avoit reçeu. Il arriva neantmoins qu’une des Dames invitées, amena de surcroist un de ces Hommes que la necessité fait honorer. Les autres Dames voulant l’obliger à venir seule, elle leur dit qu’un Amy en pouvoit mener un autre. On luy remontra que si chacun se servoit de cette liberté, on se trouveroit vingt au lieu de dix, ce qui troubleroit la Feste, & n’accommoderoit pas le jardinier. On eut beau dire, on ne gagna rien. L’Homme de surcroist, qui estoit un Medecin, vint avec la Compagnie. Le jardinier qui ne sçavoit pas ce qui l’amenoit, ne le vit pas plûtost, qu’il luy alla dire qu’il n’y avoit point de Malades à la Maison, graces à Dieu, & qu’il estoit son Serviteur. Il crut le congédier par ce compliment ; mais le Medecin luy répondit qu’il le sçavoit bien, qu’il ne luy demanderoit rien aussi de sa visite ; & qu’un Cavalier de la Compagnie qu’il luy nomma, l’avoit amené à son Régale. Le jardinier qui avoit entendu dire que ce Cavalier & deux autres de l’Assemblée, avoient de la répugnance à se mettre à une Table où l’on fust treize, convaincus par plusieurs exemples, que ce nombre estoit de mauvais augure pour la vie de quelqu’un des treize dans l’année, repliqua vigoureusement au Medecin, que cela estoit bon à faire à croire à d’autres qu’à Petit-Jean, (c’est le nom du jardinier ;) qu’il le remercioit de l’honneur qu’il luy vouloit faire d’estre de son Festin ; qu’il pouvoit s’en retourner comme il estoit venu ; qu’il n’y avoit point de place pour luy. Le Medecin qui n’estoit pas Homme à reculer, s’irrita de ces paroles, & luy dit que c’estoit un Incivil, qu’il ne sçavoit pas son monde, & qu’il apprist à parler. Petit-Jean qui a la teste proche du bonnet, & qui se pique d’honneur, se fâcha de la résistance & des reproches du Medecin. Ils s’échaufferent, & peu s’en falut qu’ils ne se batissent. Le Beaufrere de la Dame, averty de la querelle, la trouva assez divertissante, & en fit rire les Des-intéressez. Enfin pour accommoder les choses, il dit qu’on feroit manger le Medecin avec la Fille de la Maison. C’est une jeune Demoiselle qui n’a que sept ans, mais qui a de l’esprit & des lumieres, beaucoup au dessus de son âge. Le jardinier un peu adoucy, apporta alors un grand Bassin plein de Fleurs, aux Dames qu’il avoit invitées. Elles estoient six, en comptant la Maîtresse du Logis. Il y avoit autant de Bouquets. Chacune en prit un, & le Bassin demeurant sans Fleurs, on y apperçeut un Papier qu’elles couvroient. La Dame qui avoit fait venir le Medecin, prit aussitost ce Papier, pour voir ce qu’il contenoit, & elle n’eut pas plutost jetté les yeux dessus, qu’y remarquant des Vers ; Quoy, dit-elle ; il n’est pas jusqu’au jardinier de ce Lieu qui ne soit galant ! Il joint les Vers aux Fleurs, & se mesle aussi de nous donner de l’encens. Petit-Jean luy répondit qu’il avoit esté en bonne école, & qu’il avoit autrefois servy un Maistre, dont il avoit copié quelques Pieces, qui luy estoient d’un grand secours dans l’occasion, & que celle-là estoit du nombre. La Dame qui la tenoit, la lût tout haut, & y trouva ces paroles.

LES FLEURS DU JARDIN
de Cleranton,

Aux Roses & aux Lys qui forment le teint des Dames invitées à la Feste de son jardinier.

Cheres Sœurs qui formez le teint de ces six Belles,
 Nous ne venons pas aupres d’elles
Pourvouloir avec vous faire comparaison.
 Le Ciel en nous a mis plus de raison.
Nous sçavons ce qu’on doit à des Fleurs eternelles,
Nous connoissons trop bien vos rares qualitez,
 Et tout ce que vous méritez.
Nous venons seulement vous rendre nos hommages.
 O Dieux ! combien vous éclatez !
 Que vous parez bien les visages !
 Nos attraits sont brillans & doux,
 Nous avons d’autres avantages,
Mais helas ! tout cela s’efface aupres de vous.

 

Durant cette lecture, les autres Dames prirent garde qu’il y avoit un petit Billet caché sous un Ruban vert qui lioit le pied de leurs Bouquets, & chacune tirant le sien, le déploya, le lût, & y rencontra des loüanges particulieres des mesmes Fleurs, pour celles de son teint. Voicy les Vers qui les contenoient.

Pour Mad. la L.G.

Nous sommes tout au plus l’ornement d’un Parterre,
Vous l’estes de toute la Terre.

Pour Mad. la P. du R.

Nous n’avons rien d’uny comme vostre Satin.
Si nostre lustre est grand, le vostre est tout divin.

Pour Mad. la C.

Nos graces, nos couleurs, sont toutes naturelles.
Les vostres sont de mesme, & mille fois plus belles.

Pour Mad. la R. des T.

L’Hyver est nostre mort, & nous n’avons qu’un temps,
Mais toutes les Saisons vous servent de Printemps.

Pour Mad. V.

Hors les Zéphirs, pour nous nul Amant ne s’empresse,
 Et tout le monde vous caresse.

Pour la Dame de CL.

Nostre regne est charmant, mais passe en peu de jours ;
Vous régnez, vous brillez, & vous durez toûjours.

Le jardinier voyant les Dames à la fin de leur lecture, dont elles se firent part les unes aux autres, j’ay esté bien meilleur ménager de ces Vers, dit-il, que mon premier Maistre. Il ne les avoit faits que pour une seule Personne, & j’ay trouvé le moyen d’en régaler six ; & si, en voila encor de reste pour nostre Demoiselle. Il luy avoit déja donné un Bouquet, & il luy présenta alors ces Vers.

Nos cheres Sœurs, on nous conseille
De croître bientost sous les pas
De cette jeune & charmante Merveille ;
Mais pour cela, ne nous méprisez pas.
Nous vous laissons le soin de son visage.
 Croissez donc avec son bas âge ;
Pour peu qu’Amour & vous, augmentiez ses beautez,
 Tous les Mortels en seront enchantez.

On trouva tous ces Vers d’un caractere bien galant ; & comme le jardinier avoit esté au Beaufrere de la Dame, on jugea qu’ils estoient de sa façon, & qu’il les avoit faits pour Madame la M. de R. du vivant de sa Fille. On luy en parla ; il s’en défendit, & dit aux Dames qu’assurément la Déesse Flore avoit esté la Muse assistante qui avoit inspiré le jardinier à leur gloire ; & qu’il ne falloit point chercher d’autre source de ces Vers. Celles qui s’en crurent trop flatées, les voulurent donner à la jeune Demoiselle, en luy témoignant qu’ils luy estoient mieux deuës qu’à elles ; mais cet aimable Enfant les refusa avec honnesteté, & eut l’esprit de leur répondre, que son teint devoit, comme cadet, le respect aux leurs, aussi-bien que les Fleurs du Iardin. Cependant l’heure de dîner estant venuë, on servit. La jeune Demoiselle qui ne devoit avoir que le Medecin à sa table, y eut encor trois Personnes de l’Assemblée, charmées de sa gentillesse. Le Repas fut honneste, & principalement ais Dessert, où le jardinier joignit les Fruits de réserve, aux Fruits nouveaux ; & la Patisserie aux Confitures, ayant entremeslé tous ses Plats & toutes ses Assietes, d’un grand nombre de Fleurs arrangées avec adresse. Il avoit destiné la grande chere pour le soir, parce qu’il desiroit que la Feste durast toute la journée, & finist par le meilleur, pour en laisser une plus agreable impression. Apres la Conversation enjoüée qui suivit le dîner, on alla se divertir dans la grande Allée couverte, que la Seine embellit par son cours ; & quand on y eut fait quelques tours de promenade, on y joüa à ces Ieux d’exercice, qui sont ordinaires à la campagne, dans les journées sombres & fraîches, telle qu’estoit celle-là. Deux Dames de la Compagnie, d’une pieté singuliere, s’estant lassées de ces Ieux, s’en retirerent doucement, & feignant d’aller voir le petit Bois, le Bocage, l’Allée déserte, & les autres endroits solitaires de cet aimable Lieu, elles en sortirent pour se rendre à la Chapelle du Village qui est consacrée à la Vierge, sous le Titre de l’Assomption. Elles avoient oüy dire qu’on y venoit autrefois en Procession pour obtenir de la pluye ; & comme tout le Pais en avoit alors un tres-grand besoin, elles firent leurs Prieres à cette intention. L’air plein de nuages depuis deux ou trois jours, sembloit bien la promettre, mais rien ne venoit, & on eust dit que le Ciel estoit en balance, s’il accorderoit ses graces à la Terre. La ferveur des Prieres de ces deux Devotes l’émût, les nuages se grossirent, & leur donnerent lieu d’espérer bientost l’effet de leurs demandes. Dans cette attente le jardinier servit le Souper. Il y donna tout ce que la saison luy avoit pû fournir de meilleur, & n’oublia pas les petits Pois, les Féves nouvelles, les Asperges, les Artichaux, & les autres Fruits de son Jardinage. Si la Compagnie fut surprise de son joly Régale, elle le fut encor plus, lors qu’estant sur le point de sortir de table, elle ne vit point apporter un certain Bassin plein de Fleurs & de Rubans, où l’on est obligé honnestement de mettre la main, avec quelque reconnoissance pour la bonne chere qu’on a faite ; & qu’au lieu de cela, elle entendit Petit-Jean luy faire de tres-humbles remercîmens de l’honneur qu’il avoit reçeu, avec des vœux pour le recevoir encor dans trente ans. Un des Cavaliers luy dit que le dernier Mets d’un jardinier, estoit ce Bassin plein de Fleurs qui manquoit ; qu’il apportast donc ce Plat de son mestier ; que c’estoit la coûtume du Païs. Mais Petit-Jean qui a plus de cœur qu’il n’est gros, luy répondit que cette coûtume n’avoit point de lieu à Cléranton, & qu’il avoit oüy dire à son dernier Maître, que quand on estoit à Rome, il falloit vivre à la Romaine. On admira cette genérosité, & ce bon sens ; & chacun luy promit plus qu’il ne luy auroit donné. On ne diféra guére à sortir de table apres cela ; & les premiers qui approcherent du Vestibule de la Salle d’Amour, où l’on avoit mangé, vinrent bien tost avertir les autres qu’ils entendoient quantité de Hautbois dans la Court. La Dame leur apprit que c’estoient des Filles du Village, qui contre faisoient fort bien ces Instrumens, & qui faisoient résonner trois Echo qui estoient dans l’enceinte de ses Murs. Toute la Compagnie accourut aussi-tost pour prendre ce divertissement, qui luy parut assez agreable ; mais comme elle estoit attentive à écouter ces feints Hautbois, ils se tûrent tout-à-coup, & une Voix assez jolie prenant leur place, fit repéter aux Echos le Récit qui suit.

 Dans ces Lieux consacrez à Flore,
Autrefois honorez du nom de son Palais,
 On vit briller les doux attraits
D’une jeune Beauté plus fraîche que l’Aurore ;
 Mais aujourd’huy l’on en voit six,
Qui mieux que celle-là vallent qu’on les adore.
Si leurs teints n’ont pas plus de roses & de lys,
 La moindre d’elles la surpasse
En beaux yeux, en beaux traits, & mesme en bonne grace.
 Galans, Amans, Esprits fleuris,
 Aimez-vous les jeux, & les ris ?
 Estes-vous constans & fidelles ?
 Vous pouvez estre au rang des Favoris
  De ces six Belles,
 Ou du moins de quelqu’une d’elles.
 La Nymphe Echo vous le prédit ;
 Profitez-en, si le cœur vous en dit.

Ce fut la Femme du jardinier qui chanta ce Récit d’une maniere assez agreable, & ce fut aussi l’endroit par où finit la Feste de son Mary La nuit approchoit, & estoit mesme un peu avancée par les nuages qui s’estoient épaissis. Les Invitez remercierent le jardinier & la jardiniere du double Régale, & prirent congé de la Dame, pour s’en retourner à la Ville. C’estoient toutes Personnes qu’elle considere, & qu’elle aime. Elle voulut pousser la promenade, en les reconduisant jusqu’à prés de la moitié du chemin. On la laissa venir apres quelques complimens. Les deux Devotes continuoient cependant leurs Prieres en marchant, comme si elles eussent esté à la Procession, & elles pressoient si fort le Ciel par leur zele, qu’enfin elles obtinrent ce qu’elles demandoient. Un nuage se creva, & il plût en abondance ; mais comme ce miracle se fit avant leur arrivée à la Ville, & avant le retour de la Dame à Cléranton, chacun en eut sa bonne part, & ne manqua pas de matiere pour remercier le Seigneur de ses graces. Le jardinier sur tout s’acquita de ce devoir, parce qu’il avoit eu d’autres choses à faire ce jour là qu’à arroser son Jardin, & que le Ciel supléa de la sorte heureusement à son défaut. Il n’oublia pourtant pas de courir luy-mesme au devant de sa Dame, & de son Beaufrere, pour leur porter dequoy se garantir de la pluye. Ce Beaufrere luy avoit promis un Loüis d’or pour les frais de la Feste. Il satisfit à sa promesse ; & le jardinier plein de joye de l’honneur qu’il avoit reçeu, du Régale qu’il avoit donné à sa Dame & à ses Amis, de la bonne chere qu’il avoit faite luy-mesme, des bons restes qu’il en avoit encor, & sur tout, de ce qu’il ne luy coûtoit rien de cela, s’alla coucher plus content qu’un Roy. Il faut le laisser dormir, & finir par-là la description de cette galante Feste.

Le Bucheron, le Loup, et le Chasseur. Fable §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. [289-295]*.

 

Je vous envoye une nouvelle Fable de Mr du Ruisseau, Autheur de celle des Arbres choisis par les Dieux, qui vous a tant plû, & dont je vous fis part le dernier Mois.

LE BUCHERON,
LE LOUP,
ET LE CHASSEUR.
FABLE.

Je vais, si je le puis, conter en peu de mots
Une Fable, drapant les Traîtres à merveille.
Sganarelle un peu las de faire des Fagots,
Entra dans sa Cabane. Il tenoit sa Bouteille,
 Et s’en alloit boire le premier coup,
 Lors qu’on vint fraper à sa Porte.
En cet état, il dit, qui va là ? C’est un Loup,
Répondit-on, pressé d’étrange sorte
 Par des Chiens, & par un Chasseur.
Ouvrez, ou je suis mort, ouvrez, & je vous jure
 Que desormais aucune injure,
 Aucun encombre, aucun malheur
N’arrive à vos Moutons. Ils auront sauv-garde
Chez vous, & passeport dans les Prez, dans les Bois.
Les Chiens ny les Bergers ne feront plus de garde,
Nous serons tous amis. Ah je suis aux abois !
Ouvrez, & me cachez. Là-dessus Sganarelle
 Bût, puis ouvrit. Le Loup dedans,
Dit, & de tout son cœur. Jupiter soit ceans.
L’offre qu’il avoit faite, avoit paru tres-belle,
Sganarelle y trouvoit le bien de son Troupeau.
Avec toy mes Moutons vivront d’intelligence,
Luy disoit-il joyeux. Cela sans-doute est beau,
 Je vais te mettre en assurance.
Foure-toy dans ce trou façon de Cabinet,
 Je te promets de garder le secret.
***
 De promettre & tenir en France,
 On se pique ordinairement ;
Mais du Loup Sganarelle entrant en défiance,
Il ne s’en piqua point. Enfin voicy comment
Tout se passa. Le Chasseur vient, s’avance,
Entre dans la Cabane, & dit au Fagotier.
N’as-tu point veu de Loup passer par ce sentier ?
Parle, tu me feras une faveur insigne,
 Je récompenseray ton soin.
Je n’ay rien veu, répond Sganarelle, & fait signe
De la main & des yeux, que le Loup n’est pas loin.
***
Le Chasseur échausé du plaisir de la Chasse,
 Ne prit point garde à sa grimace ;
 Et croyant ce qu’il avoit dit,
 Dans le mesme moment sortit.
Or le Loup voyoit tout par une grande fente,
Car par bonheur pour luy la Porte estoit méchante.
***
Le Chasseur éloigné, Sganarelle approcha,
Ouvrit le Cabinet, en fit sortir la Beste,
Mais la Beste en sortant, à ce qu’on dit, hocha
 Deux ou trois sois fort brusquement la teste,
Et fit ce compliment à nostre Bucheron.
J’avois donné ma Bource à garder au Larron,
On ne m’y prendra plus. Adieu fourbe, adieu traître.
 Eh tout doux, tout doux, nostre Maître,
Repartit Sganarelle au mensonge affermy,
 Je viens de vous rendre un service
Qui me fait croire avec quelque justice,
 Que je dois estre vostre Amy.
Vous mon Amy ? repliqua le Loup, zeste,
 Il s’en faut plus de la moitié.
Je ne veux point d’Amy qui n’ait de l’amitié,
Dans le cœur, dans la bouche, & mesme dans le geste.

[Tout ce qui s'est passé dans le Voyage de Madame la Dauphine à Paris, touchant l'accomplissement des Voeux que cette Princesse avoit faits] §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 306-308, 317-320.

 

Madame la Dauphine, dont la pieté n'est pas moins connuë que l'esprit, & qui donne tous les jours des marques de l'un & de l'autre, ayant fait plusieurs Voeux avant ses Couches, est venuë icy pour les accomplir. Voicy une Rélation fidelle de tout ce qui s'est passé dans les Eglises qu'elle a visitées en un mesme jour. Le 23. du dernier mois, Mr l'Abbé Langeron, l'un des Aumoniers ordinaires de cette Princesse, ayant averty les Peres Theatins que le Jeudy 25. du mesme mois, elle viendroit en devotion dans leurs Eglise de Sainte Anne la Royale, pour rendre graces à Dieu, de ce que par l'intercession de cette Sainte, & de S. Gaëtan, elle estoit heureusement accouchée de Monseigneur le Duc de Bourgogne, ils preparerent toutes choses pour la recevoir. [...]

 

Au sortir de Nostre-Dame, elle vint à l'Abbaye de S. Germain des Prez, & y fut reçeuë par les Religieux de cette Maison, avec tout le respect, & toute la pompe possible. Dés qu'elle approcha du Fauxbourg, on sonna les grosses Cloches, qui sont les plus harmonieuses du Royaume. Les Religieux, au nombre de prés de quatre-vingts, estoient en haye depuis la Porte de l'Eglise jusqu'au Grand-Autel. Le Pere General de la Congrégation de S. Maur, revetu des plus riches Ornemens, accompagné d'un Diacre & d'un Soudiacre, & précedé par quatre Chantres, chacun avec une Chape, présenta la Croix à cette Princesse, qui la baisa, & qui reçeut l'Eau-benite. Elle estoit à genoux sur un tres-beau Carreau, sous un Daiz de Broderie, porté par quatre Religieux, aussi revétus de Chapes. Apres cela, les Chantres entonnerent un Répons qu'on chante ordinairement lors qu'on reçoit des Princesses. L'Orgue le continua, & on conduisit ainsi Madame la Dauphine, devant le Grand-Autel qu'on avoit paré avec beaucoup de magnificence, & au bas duquel la Chasse de Saint Germain estoit exposée. Apres que l'on eut chanté quelques Prieres, pendant lesquelles elle se tint à genoux sur un Prié-Dieu ; toûjours sous le Daiz, on la conduisit dans le mesme ordre devant l'Autel de Sainte Marguerite, qui estoit aussi tres-superbement paré. On y chanta un Répons de la Sainte, dont on luy présenta la Relique, qu'elle baisa. [...]

[Voyage de Madame la dauphine à Paris.]* §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 321-322.

 

Quelques-jours apres, cette Princesse revint à Paris avec Monseigneur le Dauphin, pour voir l’Opéra d’Alceste, dont ils furent tres-contens, tout ce qui regarde cette Représentation ayant esté d’une justesse admirable. Monseigneur le Dauphin, & Madame la Dauphine, estoient placez sur l’Amphithéatre, où Son Altesse Royale leur-fit porter une tres-belle Collation. Mr le Chevalier de Flamarin, reçeu depuis peu Premier Maistre d’Hôtel de Monsieur, eut l’honneur de les servir. Il s’en acquita tres-bien. Quand on a aussi bon air que luy, on fait tout de bonne grace. Madame la Dauphine a sujet d’aimer Paris, puis que toutes les fois qu’elle y est venuë, ses Habitans ont fait paroistre à l’envy une extréme joye de la voir.

Lettre en forme de relation à Mr le Duc de S. Aignan §

Mercure Galant, décembre [tome 14], 1682, p. 322-342

Messieurs de l’Académie Royale d’Arles ont fait une Feste particuliere pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Je ne puis mieux vous en informer, qu’en vous faisant part de ce que Mr le Marquis de Robias, l’un des Académiciens, en a écrit à l’illustre Protecteur de la mesme Académie.

LETTRE
EN FORME DE RELATION,
A Mr le Duc de S. Aignan.

MONSEIGNEUR,

C’est un grand malheur pour la Ville d’Arles, qu’estant toute noble comme elle est, brave, fidelle, & amoureuse de la gloire de son Roy, elle se trouve dépourveuë en cette occasion de tout ce qui pouvoit faire éclater sa joye, à la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Elle s’est mise elle-mesme dans cette fâcheuse impuissance, par un excés de fidelité, & de soûmission, (si cela se peut dire.) Elle a donné sans hesiter, toute son Artillerie à la seule apparence du nom du Roy, lors que ce mesme : nom qu’elle adore, semble l’accuser aujourd’huy de ne répondre pas dignement au bel exemple, à l’éclat, au grand bruit dont toutes les Villes du Royaume ont solemnisé cette Feste.

Le Mercure Galant vous l’aura sans-doute appris, comme elle fust la premiere de trois Provinces, quoy que la plus eloignée de la Cour, qui s’empressa d’allumer des Feux, de faire sonner ses Cloches, de répandre du Vin dans les Ruës, & de faire enfin tous ses efforts pour témoigner sa joye à cette heureuse Nouvelle ; mais elle est trop glorieuse pour en demeurer là. Elle ne peut estre contente d’elle-mesme, si elle laisse faire à son impuissance. Elle emprunte donc aujourd’huy toutes les Pieces du Parnasse, toute l’ardeur, & le feu de nos Muses, pour tâcher de se distinguer. L’Académie Royale qui vous doit son estre ; & sa conservation, luy donne la main dans son besoin, luy preste toutes ses Armes, c’est à dire, ses Vers & sa Prose, ses Récits & sa Simphonie, & tout son Opéra. Il est bien vray que tout cela ne fait pas grand feu, ny grand bruit, & que vos Canons du Havre ont porté beaucoup plus loin le bonheur de la France, que ne peuvent faire toutes nos machines d’esprit, & tout le grand courage de vos illustres Parnassiens. Mais, Monseigneur, en bonne justice, c’estoit à vous, qui estes le Chef de l’Académie Royale, à faire toute la dépense ; à vous, dis-je, qui estes l’ame & l’esprit de ce petit Corps. Vous pouviez luy fournir vous seul plus de traits, & plus de lumiere que cinquante autres Apollons, s’il s’en trouvoit autant dans le Monde. Quoy qu’il en soit, & quoy qu’il en couste à vos Amis, ils avoüeront toûjours qu’on achete à fort bon marché, la gloire, & le mérite de loüer nostre invincible Monarque. Je voudrois pouvoir vous envoyer son Panégyrique, tel qu’il fust prononcé par Mr d’Ubaye, Lundy dernier dans l’Assemblée generale de l’Académie. Vous aimeriez ce Gentil-homme, Monseigneur, pour lequel vous m’avez souvent témoigné de l’estime. Sa sagesse & sa modestie, dans un âge où l’on le pardonne à ceux qui n’en ont pas tant ; son amour pour la vertu, son zele pour le Roy, son éloquence, son air enfin, & toutes ses manieres en parlant, vous eussent charmé, & je ne doute point qu’un Orateur de cette force dans Madrid, ou dans Bruxelles, ne fit regner le Roy de France souverainement dans le cœur de ses Ennemis. Le sujet de son Panégyrique, estoit l’Immortalité deLoüis le Grand. Il fit voir que toutes les Vertus d’accord avec sa Fortune, le portoient là ; que la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, estoit un gage, une promesse infaillible de son immortalité. Il prouva tout cela par des raisonnemens solides & forts, par des paroles également belles & brillantes. Que vous diray-je enfin, Monseigneur ? Il s’en falut peu que nostre Orateur ne fut digne de son sujet. Mr de Sabbatier, ouvrit & ferma l’Assemblée en qualité de Directeur. Il fit un Discours éloquent & succint, pour apprendre à tous le dessein de cette Feste. On admira son adresse, en donnant au Roy seul tout le mérite, & le bonheur de l’Académie, & remerciant pour elle l’Auditoire qui estoit nombreux, de cette avide curiosité, qu’il témoignoit à vouloir oüyr les loüanges de Sa Majesté. Il est vray que depuis la naissance de l’Académie, elle n’avoit point veu une aussi grande multitude de Gens d’esprit, d’Hommes, & de Femmes de qualité, s’empresser ainsi pour luy rendre visite. Cela n’est pourtant pas difficile à croire, si l’on vous dit que nos augustes Prélats nous firent l’honneur d’y assister, c’est à dire, d’inviter par leur exemple, toute la Ville, & d’en emmener avec eux la plus illustre partie. Ils y vinrent en Rochet, & en Camail, avec tout l’appareil & la pompe de leur dignité, pour enseigner à bien des Gens qui se picquent de spiritualité, le culte & la devotion (s’il faut ainsi dire) qu’on doit aux loüanges du Roy Tres-Chrestien. Je vous l’avoüe, Monseigneur, leur présence nous fut un surcroist de joye, non seulement pour la gloire du Monarque dont il s’agissoit, mais encor pour celle de l’Académie Royale. Qu’un grand Prélat, venérable par tant de titres, qu’un saint Archevesque ; & le plus appliqué à la santification de son Diocese ; que son digne Coadjuteur, si bien instruit de la Morale Chrestienne, & le mieux persuadé des obligations de sainteté ; qui sont inséparables de sa charge ; que ses deux modelles d’honneur & de vertu estiment assez, & honorent comme ils font, nos petits Exercices Académiques ; qu’ils augmentent par leur présence l’amour, & la haute idée qu’on doit avoir pour la Majesté ; qu’ils écoûtent ses loüanges avec la mesme venération, qu’on écoûteroit le Panégyrique de S. Loüis. Je vous l’avoüe encore une fois, cela me sembla fort glorieux pour l’Académie. Elle estoit hautement vangée par-là d’une trop austere vertu, qui voudroit luy preférer la Retraite & le Cabinet, & faire à croire aux Gens, qu’elle est quelque chose de profane. L’Assemblée se faisoit dans la Chapelle des Pénitens gris. C’est une vaste Nef fort exhaussée, & fort éclairée. Les Portraits du Roy, de Monseigneur, & de Madame la Dauphine, estoient posez selon leur rang, sur une Tapisserie de Point, qui cachoit cette partie du fonds de la Chapelle, où l’on avoit placé la Musique. Les Airs de cet Opéra ont esté composez par le Sieur Campa, jeune Homme à la verité, mais expert en son Art, & Maistre de la Musique de Saint Trophine d’Arles, lequel paroist presque inimitable dans les belles inventions, dans les varietez, & les douceurs de sa Symphonie. Au dessous de la Royale Famille, on voyoit vostre Portrait de la maniere de cet excellent Homme, qui ne peint plus que les Aléxandres, apres avoir eu congé de peindre une seule fois Ephestion. On ne crût pas qu’il fallust d’autre décoration. Celle-là charmoit les yeux & les cœurs. Nosseigneurs les Archevesques furent reçeus à la Porte avec toute la cerémonie qu’on doit à leur Personne & à leur Dignité. Ils furent conduits à leur place, qu’ils prirent sur de superbes Fauteüils qu’on leur avoit préparez. Mrs les Consuls à leur droite & à leur gauche, achevoient une ligne droite, qui répondoit de chaque costé aux Fauteüils des Académiciens. Personne ne se croyoit incommodé dans cette grande presse. Il est vray qu’on le pardonnoit aisément à l’Académie en cette occasion, où chacun souffroit agreablement la foule & la chaleur, pourveu qu’il pust oüir le nom deLoüis le Grand. Mrs les Consuls qu’on respecte beaucoup en cette Ville, comme les Peres de la Patrie, les Tuteurs & les Gouverneurs, estoient attachez à écoûter nos petits Ouvrages. Cent jeunes Creatures, belles & délicates, furent enfermées dans ce lieu trois heures durant, avec plus de patience & de tranquilité qu’elles n’en eussent eu au Sermon. Enfin, Monseigneur, vostre Empire académique s’est accrû de plus d’une moitié. Toutes nos Dames sont Académiciennes dans l’ame, sous vôtre bon plaisir. Mr de Sabbatier commença nos petits Exercices par un Sonnet de sa maniere à l’honneur du Roy & de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Je vous l’eusse envoyé avec tous les autres Ouvrages de nos Confreres, s’ils m’eussent fait l’honneur de me les remettre. Mr le Marquis de Boches leut une Critique sur une version en Vers François, que l’on estima beaucoup. Mr le Chevalier de Romieu, leut une Traduction de la premiere Satyre d’Horace, du troisiéme Livre, qui surprit les Gens, dans la prévention où l’on peut estre que les Chevaliers de Malte ne sont faits que pour détruire les Turcs. Mr Gifon leut un Madrigal qui traduisoit les pensées Latines de Mr Dabbes sur les Conquestes deLoüis le Grand. Tous ceux enfin qui s’y estoient engagez à la precédente Assemblée, lûrent quelque Ouvrage en Vers, le tout avec autant de relation qu’il se pût à la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Je ne pûs m’en dédire, non plus que nos autres Confreres. Je vous envoye nostre Melpomene, qui sous vôtre faveur doit faire nos complimens au Prince nouveau né. Mrs les Abbez de Verdier, & du Port, Mr le Marquis de Chasteau-Renard, de Mejanes, & de Gageron, Mr Cays, & tous les autres, donnerent leurs petits soins avec beaucoup de zele & d’application à l’ordre & à la perfection de cette Feste, & sur tout de la Musique, laquelle sur la bonne foy des Connoisseurs, ne le cede qu’au seul Mr de Lully que vous aimez tant. On leut encor quelques Vers Latins sur les Villes de Strasbourg & de Casal soûmises au Roy, sur la Paix, sur la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, le tout de la maniere de Mr Dabbes, Académien Royal, & Iuge de la Primatie de Narbonne pour Mr le Cardinal de Bonzy. Cet Autheur est illustre & connu de tous les Sçavans du Royaume par ses Vers Latins, & par ses autres qualitez. On a traduit icy quelques-unes de ses pensées en Vers François. Je vous envoyeray tout cela, Monseigneur, si la paresse ou la modestie de nos Amis ne s’y oppose. Il fallut apres cela que la Feste s’achevast & j’eus l’honneur d’estre fait Directeur. On me trouva passablement digne de cette dignité. Chacun se sçavoit bon gré d’avoir fait les honneurs du Roy & de son auguste Petit-Fils durant le jour. Je fis celebrer leur santé, & la vostre durant une partie de la nuit, selon le dû de ma nouvelle Charge, & sans nous vanter de rien, tout cela se passa fort académiquement. Les 24. Violons du Parnasse n’y manquerent pas. Melpomene & ses Compagnes souperent avec nous, mais avec toute l’honnesteté & la pruderie de telles Divinitez. Elles firent des Inpromptus & des Pronostics fort heureux. Je les reserve pour une autre Lettre ; & suis, Monseigneur, vostre tres, &c.

Melpomene presentée à Mr le Duc de Bourgogne §

Mercure Galant, décembre [tome 14], 1682, p. 342-348

J’ajoûte l’Ouvrage que Mr le Marquis de Robias leut dans l’Assemblée.

MELPOMENE,
PRESENTÉE A Mr
LE DUC DE BOURGOGNE

Suivant l’ordre receu de sa Troupe Royale,
Melpomene aux beaux Arts, sçavante & sans égale
Avoit apris du Ciel, qu’elle peut consulter
Le destin de l’Enfant qu’elle va visiter.
Sur l’aîle de l’Amour cette Muse portée
(Du Parnasse Royal elle estoit députée)
Part, arrive, se montre, & son empressement
Du Prince nouveau né perce l’Appartement,
Lors que ce brave Hylas que la France renomme
Comme l’original du parfait honneste Homme ;
Ce Duc dont la bravoure, & le noble maintien
Entre ceux de son rang le distingue si bien,
Pour faire plus d’honneur à nôtre Melpomene,
Luy presente la main aussi-tost, & la meine.
Chere Sœur, luy dit-il, malgré tous vos appas,
Le Héros nouveau né ne vous connoistroit pas.
Souffrez qu’on ce moment je vous serve d’organe,
Et n’appréhendez pas la bouche d’un Profane,
J’entre quand je le veux, dans ces Réduits sacrez,
Qu’au Sçavant Apollon le temps a consacrez.
Eraton, Calliope, & l’aimable Thalie,
M’ont inspiré des Vers l’agreable folie.
Je parle quelquefois comme parlent vos Sœurs,
Et quand j’en ay besoin j’ay part à leurs douceurs.
Cette Reyne du Nort, qui sur la Mer Balthique
Trouva tous les ressorts de nostre Rhétorique,
Malgré le Capitole, & son cœur tout Romain,
Estima mon esprit, & mon cœur, & ma main ;
Et ce Roy, ce grand Roy que l’Europe révere,
A dit plus de cent fois que j’avois l’art de plaire.
Voyez donc, chere Sœur, que sans trop nous flater,
La loüange est un bien que l’on peut accepter.
Lors qu’on est approuvé des Testes à couronne,
On ne refuse point l’estime qu’on nous donne ;
Qui refuse ce don, ne l’a pas mérité,
Et de pareils refus sont une lâcheté.
Muse ne craignez rien pour vôtre Astrologie,
Je vay la debiter avec grande énergie,
Et je feray comprendre au Prince nouveau né
A quel point de grandeur le Ciel l’a destiné.
Ce Duc luy tient parole, & quand sous sa conduite
Dans ce lieu de respect la Muse est introduite,
Elle admire le Prince, & le sacré Berceau,
A qui toute la France offre un encens nouveau ;
Mais voulant par ses vœux honorer sa naissance,
De ses propres desirs elle craint l’excellence,
Et que le grand destin de Loüis triomphant,
N’accable quelque jour ce prétieux Enfant.
Bornons, bornons nos vœux.
 C’est assez, disoit-elle,
Qu’il soit toûjours Héros, sage, vaillant, fidelle.
Qu’il regarde de loin ce modele des Rois,
Mais qu’il n’espere point égaler ses Exploits ;
Sa fortune peut estre assez bien assortie,
Lors qu’il n’en remplira que la moindre partie.
Puis voulant repasser les miracles divers,
Dont Loüis a lassé nostre Prose & nos Vers,
Ce détail éclatant ébloüit Melpomene,
Et de tant de hauts faits dont nôtre Histoire est pleine,
Le grand nombre & le poids accablant ses esprits,
Elle en dit beaucoup moins qu’elle n’en a compris.

[Limoux] §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 349-353, 360-363.

 

Je vous ay parlé de tant de tant de Villes, qui ont fait des Festes pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, que celle de Limoux auroit sujet de se plaindre, si je ne vous disois pas, qu'apres avoir fait comme les autres, de grandes Illuminations pendant trois jours, & donné le Spéctacle d'un Feu d'artifice, elle a voulu encor se mieux signaler huit jours apres, par une Réjoüissance aussi galante que magnifique, dont Mr d'Aoustene, Procureur du Roy au Présidial de cette Ville-là, a fait toute la dépense. Il commença cette Feste le Samedy 3. Octobre, & leva une Compagnie de trois cens Mousquetaires, des plus apparens Bourgeois de la Ville, tous tres-propres, avec quantité de Rubans gris-de-lin, couleur de Madame la Dauphine. Mr d'Aoustene, vétu magnifiquement, marchoit à la teste de la Milice, accompagné de quelques Gentilshommes fort lestes. Au milieu de la Compagnie, marchoient quatre autres Gentilshommes fort bien faits, qui portoient quatre Drapeaux gris de lin & bleu, à la garde desquels on avoit commandé huit jeunes Cadets de qualité, qui par leur adresse ajoûtoient beaucoup d'ornement au bel ordre de la marche. Elle se fit au son des Tambours, des Flûtes, & des Hautbois. La Compagnie s'estant ainsi montrée sous les armes dans toutes les Rües, s'arresta devant la Maison de Mr le Procureur du Roy, chez lequel il y eut des rafraîssemens, & sur le soir, de grandes Illuminations par tout, des Feux de joye, & un Bal public.

Le lendemain 4. Mr le Procureur du Roy, accompagné de tous ses Officiers, & de quantité d'autres Personnes considérables, se rendit à l'Eglise Paroissiale, ou il fit chanter une grande Messe, pendant laquelle on entendit une excellente Musique. La Messe achevée, chacun se remit sous son Drapeau; & les Officiers ayant donné les ordres, on fit le tour de la Ville, comme on l'avoit fait le jour prédécent, avec des décharges continuelles. Sur les quatre heures du soir, le Te Deum fut chanté au bruit du Canon, & de la Mousqueterie. [...]

 

Sur l'entrée de la nuit, les Peres Trinitaires se rendirent processionnellement au lieu où l'on devoit tirer le Feu d'artifice, & ils y chanterent le Te Deum, en faisant le tour. La Cerémonie achevée, Mr le Procureur du Roy, accompagné de Mr le Lieutenant Principal, & de Mrs les Consuls en Robes rouges, alluma ce Feu avec beaucoup de solemnité. Il y eut un tres-grand succés; & les Habitants joignirent leurs acclamations au bruit du Canon, & de la Mousqueterie. Au sortir de là on se rendit chez Mr le Procureur du Roy, où tous les Mousquetaires furent priez à souper avec tous les autres Officiers, Gentilshommes, & autres Personnes considérables. Pendant ce régale, deux Fontaines, l'une de Vin blanc, l'autre de Vin rouge, coulerent devant sa Porte.

La Feste fut continuée le jour suivant 5. du mois, par une Messe que ce mesme Magistrat fit chanter avec Musique, dans l'Eglise des Peres Cordeliers de l'Observance ; par de nouvelles Illuminations ; par de nouveaux Feux de joye, & enfin par un Repas beaucoup plus splendide que n'avoit esté celuy du jour précedent. [...]

[Université de Caën] §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 363-366.

 

L’Université de Caën a fait aussi une Solemnité particuliere en l’honneur de la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Elle partit de chez les Peres Cordeliers, Eglise ordinaire où elle fait faire ses Services, précedée de ses cinq Massiers, des Prestres des Paroisses de la Ville, des Religieux des Abbayes du Voisinage, & de quantité d’honnestes Gens de la Ville, & mesme de Gentilshommes, qui tiennent à honneur d’y avoir des Charges. La Musique, qui est l’ame des plus belles Cerémonies, n’y manquoit pas, non plus qu’un tres-beau Feu d’artifice. Le lendemain Mr de S. Martin, Docteur en Théologie, Aggregé à cette Université dont il a esté Recteur, & qui s’est signalé par ses Harangues publiques à feu Mr le Duc de Longueville, & à plusieurs autres grands Seigneurs, fit un Feu devant sa Porte, où l’on tira beaucoup de Mousqueterie. L’Université de Caën est fort ancienne, & composée de cinq Facultez, à sçavoir des Arts de la Medecine, des Droits, & de la Théologie. Le Roy y a étably un Professeur en Eloquence, un autre pour la Langue Greque, & d’autres pour d’autres Sciences. On y distribuë de fort beaux Prix au Palinod, pour toute sorte de Poësies tant Françoise que Latine. Celuy de l’Ode Françoise, est une Bourse de cent Jetons d’argent. Dans les jours, où le Jugement des Prix se fait, le Recteur & les cinq Docteurs des Facultez, s’y trouvent en Robes rouges doublées de Velours, & font lire publiquement les Ouvrages de Poësie.

[M. de la Rapiniere] §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 372-375.

 

Les Comédiens François ont joüé depuis trois semaines une Piece de Théatre, intitulée, Monsieur de la Rapiniere. Il paroist que l’on ait eu dessein d’attaquer Mrs les Intéressez aux Fermes du Roy. Cependant en examinant cet Ouvrage avec quelque attention, on trouvera que tout ce qui le compose, sert à les justifier. On ne voit pendant trois Actes que des Gens qui mettent tout en usage, pour frauder les Droits établis, ce qui doit engager les Traitans à prendre de grande précautions pour n’estre pas trompez. Il est vray que parmy les Commis il s’en rencontre de Fourbes, mais ce sont défauts attachez à la Personne, & non à l’Employ. En effet, si ces défauts venoient de l’Employ, tous les Commis seroient aussi Fourbes les uns que les autres, ce qu’il seroit tres-injuste d’avancer. Il auroit esté à souhaiter que l’on eust fait quelque distinction dans la Piece, de ceux qui font des exactions, & de ceux qui ne prennent que ce qui leur est deub par leurs Traitez. Celuy qui passe les volontez du Prince, doit estre en horreur ; & celuy qui en demeure aux termes qu’on luy prescrit, ne sçauroit estre blâmé, puis qu’il ne leve qu’un droit que l’Eglise défend publiquement qu’on ne fraude. Si de pareils droits ont esté toûjours estimez justes, ils le sont beaucoup davantage sous le Régne d’un Monarque, qui ne les leve que pour la gloire & l’agrandissement de son Etat. Cette Comédie-se soûtient par quantité de Portraits, dont il y en a beaucoup de fort bien touchez, & tres-naturels. Elle est le coup d’essay de Mr Robe, qui a l’avantage de voir tout Paris courir en foule aux Représentations que l’on en donne.

[Air de violon]* §

Mercure galant, décembre 1682 [tome 14], p. 386-387.

Vous n´aurez point d´Airs notez de moy ce Mois-cy.Avis pour placer les Figures : la Figure de Musique doit regarder la page 386. Je vous en envoye de Violon à la place. Ils sont faits par un illustre Allemand, nommé Jean-Paul Kesthoff, Musicien de la Chambre de Monsieur l´Electeur de Saxe. Son mérite en ce qui regarde sa Profession, l´ayant fait souhaiter dans plusieurs Cours, il a passé icy en revenant de Londres & il a eu l´honneur de joüer du Violon devant le Roy & devant toute la Cour. Sa Majesté a mesme donné le nom de la Guerre à un de ses Airs, qu´Elle luy a fait repéter plusieurs fois. Comme il a reçeu des marques de la libéralité du Roy, c´est une preuve que ses Airs ont plû à ce grand Monarque. Il avoit dessein de repasser en Italie, mais ayant reçeu des ordres de Son Altesse Electorale de Saxe, il est obligé de retourner auprés d´Elle.

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[Sur le livre Les Dialogues de Mort.]* §

Mercure Galant, décembre [tome 14], 1682, p. 389-391

Le Sieur Blageart imprime un Livre nouveau, qu’il doit debiter au commencement de Février. Si l’on en croit les Connoisseurs les plus délicats, c’est une Copie qui égale les beautez d’un tres-excellent Original. Ce Livre a pour Titre, Les Dialogues des Morts. Ils sont faits à l’imitation de ceux de Lucien, dont vous aimez tant les Ouvrages, & contiennent des Satyres genérales sur tous les défauts des Hommes. Rien n’est ny plus finement, ny plus agreablement tourné. Tout ce qui peut contenter l’esprit, s’y trouve. Chaque Dialogue finit par une Morale, dont ceux qui voudront en profiter, pourront se faire une tres-utile application. Les Matieres y sont traitées avec beaucoup d’enjouëment, & il est impossible qu’elles ennuyent, puis que leur diversité y mesle un grand charme.