1683

Mercure galant, août 1683 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, août 1683 [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1683 [tome 9]. §

[Anagrammes sur le voyage du roi]* §

Mercure galant, août 1683 [tome 9], p. 13-14.

Quand Sa Majesté partit de Versailles pour aller sur la Frontiere, Mademoiselle de Flessel de Vermolet, d’Amiens, fit cette Anagramme à l’occasion de son Voyage. C’est une Personne tres-spirituelle, dont tous ceux qui la connoissent vantent le mérite. Dans ces mots, LOUIS Quatorsiéme, Roy de France & de Navarre, elle a trouvé ceux-cy, à l’exception d’un d, qui est la seule lettre qui manque. Va Roy, l’Armée qui te résistera sera confonduë.

[Madrigal]* §

Mercure galant, août 1683 [tome 9], p. 14-15

Ce mesme Voyage a donné lieu à une Devise, que je vous envoye de Mr Rault, de Roüen. Elle est pour le Roy, faisant la Reveuë de son Armée. C’est un Soleil en son midy, qui jette ses rayons sur les Fleurs d’un grand Jardin. Ces mots qui luy servent d’ame, Lustrat & accendit, sont expliquez par ce Madrigal.

Comme l’Astre du jour qui brillant sur la Terre
Peut animer les Fleurs dont il peuple un Parterre,
 En vertu n’a point de pareil ;
LOUIS, ce grand Héros qui revoit son Armée,
Par un de ses regards la rendant animée,
 N’agit pas moins que le Soleil.

[Nouvelle de la mort de la reine Marie-Thérèse]* §

Mercure galant, août 1683 [tome 9], p. 54-58.

[Alors que la reine venait de mourir, le 30 juillet,] beaucoup de Personnes de la Cour qui estoient sur le chemin, & alloient à Versailles, sur le bruit qu'avoit fait sa maladie, aprirent sa mort avant que d'y arriver. Chacun ne sçavoit plus, ny ce qu'il disoit, ny ce qu'il faisoit, ny le Lieu où il devoit aller. On avoit ordonné un peu auparavant, les Prieres de quarante heures à Paris. Elles furent commencées en quelques Eglises, & quoy que les nouvelles de cette mort eussent esté apportées, le Peuple qui avoit de la peine à croire ce qu'il craignoit, ne cessoit point de prier pour obtenir le recouvrement d'une santé qu'on vouloit encore s'imaginer estre en état de revenir telle qu'on la souhaitoit. Cette nouvelle estant assez répanduë pour avoir déja couru par tout, on ne pouvoit la croire à Paris. Plusieurs allerent sur la route de Versailles pour en avoir le triste éclaircissement, & quoy qu’on ne les assurast que trop de ce qu’ils appréhendoient de sçavoir, ils ne laissoient pas de le demander encore à d’autres, comme s’ils eussent esperé que quelqu’un ressusciteroit la Reyne. Ce bruit s'estant rendu general, passa jusques au Théatre de l'Opéra. On estoit prest de commencer Phaëton, & l'on joüoit déja l'Ouverture ; on ne continua pas, & Mr de Lully ayant fait rendre l'argent qu'il avoit reçeu, renvoya l'Assemblée fort triste. Les Comédiens qui représentoient ce jour-là la Toison d'or, avoient déja joüé le Prologue, lors qu'ils apprirent la mesme nouvelle. Il fut question de congédier l'Assemblée en luy rendant son argent. Celuy qui a de coûtume d'annoncer, ne voulut point faire sçavoir sur un théatre la mort de la Reyne à une grande Assemblée, & dit seulement que le malheur qui venoit d'arriver, estoit cause que l'on ne poursuivroit pas la Représentation de la Piece. Chacun se demanda l'un à l'autre de quel malheur il vouloit parler ; & une Dame qui estoit dans une Loge, l'ayant appris de ce mesme Acteur, fit un si grand cry, que tous ceux qui l'entendirent en ayant esté émeus, apprirent bientost cette fâcheuse nouvelle, & meslerent leur douleur à celle de cette Dame.

Epitaphe de la Reyne §

Mercure galant, août 1683 [tome 9], p. 76-82.

Voila, Madame, un court Eloge de cette Princesse, dans lequel je n’ay cité que des faits sans figures, & sans ornement. Pour peu que l’on y en fist entrer, la matiere suffiroit pour le plus ample Panégyrique, & il paroîtroit d’autant plus beau, que tout en est veritable. Comme on conserve avec soin tout ce qui peut faire souvenir de cette pieuse Reyne, je vous envoye une Epitaphe que les Carmelites de la Ruë du Bouloir luy ont fait faire.

EPITAPHE
DE LA REYNE.

Marie Therese d’Austriche,
Reyne de France et de Navarre,
Fille, Femme, Soeur de Roy,
Et Mere d’un Dauphin,
Qui Donnera un jour des Maîtres
a toute la Terre ;
Fut grande par son Sang,
Qui regne aujourd’huy sur tout ce qu’il
y a de plus grand dans l’Europe.
Grande par sa Couronne,
La plus glorieuse & la plus florissante
de l’Univers.
Grande par la Gloire
D’avoir esté Epouse de Loüis le Grand,
D’avoir par sa Vertu possedé son
estime sans interruption pendant
vingt-trois ans.
Merité en expirant ses regrets &
ses larmes,
Et fourny par sa mort à ce Monarque
invincible
Dequoy donner apres mille travaux de
nouvellés preuves de sa Constance
& de sa Fermeté.
Grande enfin,
De ce qu’à costé du Soleil mesme, &
à travers de ses propres Rayons
Qui ternissent tous les autres Astres,
L’éclat de ses vertus se fit toûjours
distinguer, & attira la véneration
de tous les Peuples.
***
Le Ciel qui la destinoit à cette
Alliance auguste,
Seule digne d’Elle, comme Elle estoit seule
digne de Loüis le Grand,
La fit naître
Non seulement dans la mesme année,
mais presque en mesme jour.
***
Elle avançoit à pas égaux,
En Pieté, en Modestie, en Douceur,
en Charité, en Sagesse Chrestienne,
Pendant que Loüis croissoit de son costé
En Vertus, en Lumiere, en Force, en
Prudence, en Courage héroïque.
A mesure que le Bras de Loüis se
fortifioit pour les Vertus qui
l’attendoient,
Le Cœur de Marie Therese se
remplissoit de grace,
Pour mériter d’avoir part un jour par
ses Vœux à toutes ses Conquestes.
***
Le Démon de la Guerre
S’efforça vainement de mettre obstacle
à cette Union sacrée.
Apres vingt-deux ans d’attente,
Cet heureux moment arriva,
Qui redonna la Paix, & la tranquilité
à toute l’Europe.
***
Un Dauphin par sa Naissance remplit
incontinent les Vœux de tout
le Royaume ;
Et comme si le Ciel
Eust crû s’estre acquité par ce Présent
unique de tout ce qu’il sembloit
devoir à la Terre,
Ne luy pouvant rien donner de meilleur,
ny de plus accomply ;
Il ne fit plus que luy prester
Les cinq autres gages, qu’il retira aussitost
pour s’en enrichir luy-mesme ;
Impatient d’orner d’un si pur Sang
ses Palais éternels.
Il ne leur fit voir la lumiere du jour que
pour avoir droit de les placer dans
celle de l’Eternité.
***
Un Petit-Fils, la joye de la France,
& la seûreté de la Couronne,
Avoit déja reparé toutes ces pertes.
Elle estoit dans l’espérance prochaine d’un
second Fruit de ce Mariage
de bénediction,
Dans le comble de sa joye & de
son bonheur,
Dans la pleine Paix, & la paisible
possession du Cœur de son Epoux,
L’unique objet sur la Terre de son
respect & de ses complaisances ;
***
Quand le Ciel,
Au point que ses Vertus toûjours
croissantes par une perséverance
invincible,
De l’aveu du plus auguste Témoin
qu’elles pussent avoir,
Estoient arrivées au sommet de
leur perfection ;
Exigea d’Elle le plus grand de tous
les Sacrifices,
Nulle Créature sous le Ciel n’ayant
jamais eû tant à quitter.
***
La possession d’un Dieu estoit le seul
échange capable de suppléer
à tant de pertes.
Ce fut sa consolation unique dans une
si dure séparation ;
Et ce sera éternellement
Celle des Personnes qui perdent le plus
en la perdant.

[Lettres du roi et de l’archevêque de France]* §

Mercure galant, août 1683 [tome 9], p. 82-88.

Le Roy, apres la mort de cette Princesse, écrivit en ces termes à Mr l’Archevesque de Paris.

MON COUSIN, la douleur sensible que je viens le ressentir par la mort de la Reyne ma Femme, ne peut estre soulagée que par le secours de Dieu, & par la ferme espérance dans laquelle je suis, que par un effet de sa Divine bonté, il a voulu couronner de bonne heure la haute vertu & la pieté insigne qui ont accompagné toutes les actions de sa vie ; & comme c’est par mes prieres, & par celles de tous mes Peuples, que je dois demander à Dieu le repos de son ame, & la consolation dans ma douleur ; je vous écris cette Lettre, pour vous dire qu’aussitost que vous l’aurez reçeuë, vous fassiez faire des Prieres publiques dans l’étenduë de vostre Diocese, & que vous ayez à convier à celles qui se feront dans vostre Eglise, les Corps qui ont accoûtumé d’assister à ces tristes occasions ; & m’assurant que vous tiendrez la main à ce que ces Prieres se fassent avec toute la pieté requise, je ne vous feray la Presente plus longue, que pour prier Dieu qu’il vous ait, mon Cousin, en sa sainte & digne garde. Ecrit à Saint Cloud le dernier du mois de Juillet 1683.

Mr l’Archevesque fit le Mandement suivant, pour satisfaire à cette Lettre du Roy.

FRANÇOIS par la grace de Dieu & du Saint Siege Apostolique, Archevesque de Paris, Duc & Pair de France, Commandeur des Ordres du Roy, Proviseur de Sorbonne ; A tous les Doyens, Chapitres, Curez & Communautez, tant Séculieres que Régulieres de nostre Diocese. Salut. Nous ne sçaurions assez témoigner de douleur de la mort de la Reyne, dont les vertus faisoient l’ornement de la France, ny satisfaire suffisamment à nos obligations en faisant faire des Prieres, soit publiques, soit particulieres, pour le repos de son ame, d’autant plus que nous y sommes conviez d’une façon toute singuliere, par la Lettre que le Roy nous a écrite sur ce sujet, dans laquelle nous ne sçavons qui des deux nous devons admirer davantage, ou la bonté de son cœur, ou la pieté de son zele. A ces causes, Nous vous mandons, apres en avoir conferé avec nos venerables Freres les Doyen & Chanoines de nostre Eglise Métropolitaine, que Lundy deuxiéme du mois prochain, vous fassiez sonner toutes les Cloches à cinq heures du matin, pour avertir les Peuples du Service solemnel qui sera fait dans chacune des Eglises de ce Diocese, à neuf heures le mesme jour, où toutes les Messes basses seront employées durant ce jour-là, & les deux autres suivans, pour prier Dieu qu’il fasse misericorde à une Princesse qui a exercé si souvent durant sa vie la misericorde envers les Pauvres. Et afin d’exciter par nostre exemple la reconnoissance des Ecclesiastiques & des Peuples à s’acquiter de ce devoir, Nous ferons aussi Lundy un Service public dans nostre Eglise, où nous officierons en Personne avec les Cerémonies accoûtumées. Fait à Paris, dans nostre Palais Archiépiscopal, le 30. Juillet 1683.

[Embaumement du corps de la reine]* §

Mercure galant, août 1683 [tome 9], p. 93-97.

 

L'apresdînée du Samedy 31. on ouvrit le Corps de cette Princesse pour l'embaumer. On trouva qu'elle estoit morte d'un abcés, qui en se crevant avoit saisy le cœur, & teint le poulmon. Toutes les parties du Corps estoient tres-saines, & marquoient qu'elle auroit pû vivre longtemps. Sa fiévre n'avoit esté causée que par l'ardeur de son mal, & c'est icy qu'on peut s'écrier, que les Sciences sont vaines, & leurs lumieres douteuses. Le Corps ayant esté embaumé, on en sépara le Cœur, & les Entrailles. Le Cœur fut aussi embaumé, & enfermé dans un Cœur d’argent, sur lequel on mit cette Inscription. C’est le Cœur de Marie Thérese, Infante d’Espagne, Epouse de Loüis le Grand XIV. du nom, decedée le 30. Juillet 1683. Ses Entrailles furent pareillement embaumées, & mises dans une Urne. Cette Princesse fut revétuë par ses Femmes de Chambre de l’Habit du Tiers-Ordre de S. François dont elle estoit, & on enferma ensuite son Corps dans un Cercueil de plomb, sur lequel cette Inscription fut mise. C'est le Corps de Tres-Haute, Tres-Excellente, & Tres-Puissante Princesse Marie Thérese, Infante d'Espagne, Epouse du Roy Loüis le Grand XIV. du nom, laquelle est décedée au Chasteau de Versailles le Vendredy 30. Juillet 1683. âgée de 45 ans. On le porta dans son grand Cabinet, qui estoit tendu de deüil depuis le haut jusqu'au bas, avec plusieurs Bandes de Velours chargées d'Ecussons aux Armes de cette Princesse. Entre les Ecussons, on voyoit sur les mesmes Bandes un nombre infiny de Fleurs-de-Lys, & de Larmes, & entre les Bandes de Velours plusieurs Plaques d’argent à deux branches, garnies de Bougies. Pendant qu'on porta le Corps dans ce Cabinet, les Missionnaires, les Feüillans, & les Récolets, chanterent le De profundis, & d'autres Prieres. On le posa sur une Estrade élevée de deux pieds, sous un Daiz de Velours noir à grandes Crêpines d'argent, & tout remply d'Ecussons aux Armes de France & d'Espagne.

[Convoi du corps de la reine à Saint-Denis]* §

Mercure galant, août 1683 [tome 9], p. 118-123.

Je viens à la triste Cerémonie du transport du Corps, qui fut fait à l’Eglise de S. Denys le 10. de ce mois. Cinq Princesses de la Famille Royale & du Sang, avoient esté choisies pour faire le Deüil, & les Honneurs de la Pompe. Elles devoient estre dans cinq carosses, remplis de Duchesses & de Dames invitées pour les accompagner. Ces cinq Princesses estoient Mademoiselle, Madame la Grand’Duchesse de Toscane, Madame la Duchesse, Madame la Princesse de Conty, & Mademoiselle de Bourbon. Elles arriverent sur les six heures du soir à Versailles, & furent conduites dans la Chambre de la Reyne, où les Dames du Païs s’estoient renduës. Longtemps avant leur arrivée, plusieurs Compagnies du Régiment des Gardes Françoises & Suisses, avoient esté rangées en double haye dans l'Avant-Court du Chasteau avec leurs Armes traînantes, la bouche du Mousquet, & le fer des Piques en bas, les Drapeaux renversez & pliez couverts de Crêpe, ainsi que les Tambours qui ne furent frapez que d'un seul coup pendant que la Pompe funebre passa entre leurs rangs. Lors que les cinq Princesses furent arrivées dans la Chambre de la Reyne, Mr de Coislin, Evesque d’Orleans, Premier Aumônier du Roy, revétu de ses Habits Pontificaux, alla jetter de l’Eau-benîte sur le Corps, & commença les Prieres. Elles furent continuées par les Prêtres de l’Eglise Paroissiale de Versailles. Douze Gardes du Corps du Roy, conduits par Mr le Comte de Montesson, Exempt des mesmes Gardes, & qui servoit ordinairement aupres de la Reyne, monterent sur l’Estrade, & ayant élevé le Corps, teste nuë, ils le porterent sur un Chariot fait exprés pour le conduire à S. Denys. Ce Chariot estoit couvert d'un grand Poesle de Velours noir, croisé de Moire d'argent, & bordé d'Hermine, avec plusieurs Ecussons fort larges en Broderie d'or & d'argent. Les Chevaux qui le tiroient au nombre de huit, estoient carapaçonnez de Velours noir croisé de Moire d’argent, avec quatre Ecussons en bronderie. Il y en avoit un cinquiéme sur le front de chaque Cheval. Le Cocher & le Postillon, estoient vétus de Velours noir. Les Entrailles furent portées dans le memse Chariot par deux Gardes, aussi teste nuë. Pendant que l'on y plaça le Corps, la Musique de la Reyne chanta un De profundis.

[Interdiction dans les collèges des représentations théâtrales pendant le deuil]* §

Mercure galant, août 1683 [tome 9], p. 148-155.

Mr le Recteur de l’Université ayant fait afficher dés les premiers jours de cette mort, des Défenses de représenter dans les Colleges aucuns Jeux de Théatre, & d’y rien faire paroistre qui n’eust des marques de deüil, elles ont esté observées avec une entiere exactitude. Ainsi au lieu des Tragédies que l’on a coûtume d’y représenter, on n’y a fait pour distribuer les Prix, que des Déclamations qui faisoient connoistre la douleur que la perte de la Reyne causoit à la France.

Le Lundy 16. de ce mois, les Jesuites du College de Loüis le Grand, s’imposant d’eux-mesmes une semblable défense, changerent leur Spéctacle accoûtumé en une Pompe funebre. Au lieu du Théatre magnifique qu’on éleve tous les ans sur les quatre faces de la Court, on choisit l’Eglise, comme un Lieu propre à des Funérailles. Elle estoit toute tenduë de noir ; & dés l’entrée, un grand Tableau qui faisoit voir le Sceptre de France, & la Main de Justice, croisez avec des Ossemens, le Manteau Royal étendu avec un Suaire, & des Testes de Mort couronnées, préparoit les Spéctateurs à cette lugubre Cerémonie par une Inscription Latine, renduë en ces mots. Entrez, & voyez avec des larmes quelle Tragédie la mort nous représente cette année. Un Théatre élevé au mesme lieu où se dresse tous les ans celuy des Enigmes, faisoit voir un grand Tombeau de marbre, aupres duquel la Poësie, la Musique, la Tragédie, & l’Eloquence, pleuroient, & abandonnoient leurs Instrumens. Au dessus de la couverture du Tombeau, estoit une Teste de Mort couronnée, traversée de deux Ossemens, le tout avec des Inscriptions convenables au sujet. Sur ce Tombeau paroissoit un grand Arc-en-Ciel, qui fut remarqué de tout le monde au Convoy funebre qui se fit de Versailles à S. Denys, puis qu’au moment que le Soleil se leva du costé de cette Ville, il fit un grand Arc-en-Ciel du costé du Bois de Bologne, d’où sortoit le Convoy. L’Ame de la Reyne estoit élevée sur cet Arc-en-Ciel, Simbole de la Paix qu’elle trouve dans le Ciel, apres l’avoir donnée à la Terre par son heureux Mariage avec le Roy. Au dessus de cette Figure, la Justice, & la Paix, apportoient à l’Ame de la Reyne la Couronne de Gloire, que S. Paul appelle une Couronne de Justice. Tout cet appareil se faisoit à l’occasion des Prix qu’on devoit distribuer. On avoit représenté dans les trois faces de l’Eglise, la distribution de ceux que la Justice Divine fait dans le Ciel aux admirables vertus de cette Princesse. Ces Prix, qui estoient ceux de la Foy, de l’Espérance, de la Charité, de la Pieté, de la Religion, de la Modestie, & de la Candeur, se voyoient représentez par autant de Couronnes diférentes, sçavoir, de Girasols, de Feüilles vertes, de Roses, de Verveine, de Grenatilles, de Violetes, & de Lys. Il y avoit encore plusieurs Devises qui marquoient les divers évenemens de sa vie. Le Pere de Jouvency, l’un des Professeurs de Rhétorique, prononça l’Oraison Funebre en Latin, en présence de Mr l’Archevesque, de plusieurs autres Prélats, & d’un tres-grand nombre de Personnes considérables par leur rang & leur mérite. On fit en suite la distribution des Prix fondez par le Roy, sans y employer la pompe qui a de coûtume de l’accompagner.

[Cérémonies au collège du Plessis]* §

Mercure galant, août 1683 [tome 9], p. 155-157.

Le lendemain 17. on fit la mesme distribution des Prix au College du Plessis, sur un Théatre tout tendu de deüil, éclairé de divers Lustres, & orné de tous costez des Armes de la Reyne. Cinq Bergers venoient se plaindre de la perte qu’ils avoient faite depuis peu de jours d’une illustre Nymphe, dont ils firent l’Apothéose, en feignant qu’ils l’avoient veuë monter au Ciel, avec toutes les marques par lesquelles les Ames bienheureuses peuvent estre reconnuës. Cela fut meslé de Vers Latins & François, & précedé par un Prologue Latin, que fit le Fils de Mr Guéton à la gloire de la Reyne. Ce qu’il y eut d’admirable, c’est que de cinq cens Vers Latins qui entroient dans cette Action, il y en avoit pres de la moitié de la composition d’un petit Abbé, Fils de feu Mr le Camus des Touches, Controlleur general de l’Artillerie, qui est Rhétoricien, & qui avoit donné l’idée de cette Piece. On a fait beaucoup de Vers sur cette mort. Je les réserve pour le mois prochain, faute de place, & vous envoye seulement trois Sonnets de Mr Magnin, Conseiller au Présidial de Mâcon.

[Trois sonnets de Mr Magnin]* §

Mercure galant, août 1683 [tome 9], p. 157-162.

SUR LA MORT
DE LA REYNE.
Sonnet.

Triste & cruel écüeil des Grandeurs Souveraines,
Impitoyable Mort, terribles sont tes coups,
Ils nous ont enlevé la plus sage des Reynes.
Quel revers impréveu, de nos destins jaloux !
***
Victoire, Exploits guerriers, que vos pompes sont vaines !
Lauriers, en vous cueillant, que nous présagiez-vous ?
Est-ce ainsi que le Ciel, prospéritez humaines,
Vous répand icy-bas, pour cacher son couroux ?
***
A quel prix, à quel prix, a-t-il mis nos Conquestes ?
D’un air tranquille & froid, LOUIS en vit les Festes,
Et son cœur aujourd’huy de douleur est fendu.
***
S’il fut si peu touché du succés de ses armes,
Ah ! que ne valoit point le bien qu’il a perdu,
Puis qu’il luy fait répandre au deluge de larmes !

SUR LE MESME SUJET.

Vous avez donc suby la Loy des Destinées,
Reyne auguste, & la Parque au milieu de vos jours
Annonce encore un coup aux Testes couronnées,
Que la grandeur humaine a de tristes retours.
***
Que vostre heureux aspect, Etoiles fortunées,
Contre nostre misere est d’un foible secours !
A quoy bon nous donner de si belles années,
Si vous ne sçavez pas en alonger le cours ?
***
A cette mort, LOUIS le plus grand des Monarques,
De sa félicité ne connoist plus les marques,
Tout l’Univers l’entend gémir & soûpirer ;
***
Et nous pouvons juger en l’état où nous sommes,
De quel poids est le coup qui nous fait murmurer,
S’il couste tant de pleurs au plus heureux des Hommes.

LA LUNE ECLIPSEE,
& ces mots pour ame, Ni
terra obstaret amanti.

Quand le Corps de la Terre, à la Lune opposé,
Aux rayons du Soleil la rend inaccessible,
On diroit que l’esprit du monde est divisé,
Tout tremble, tout frémit à cet aspect terrible.
***
Mais ce n’est qu’un Spéctacle, où l’œil est abusé ;
Et l’obstacle, qui rend cet Astre moins visible,
Trouble pour un instant l’ordre du Composé,
Et ne fait dans les Cieux nul changement sensible.
***
Ainsi lors que la mort vous ouvre le cercueil,
Reyne auguste, LOUIS, dans la nuit de son deüil,
Voit errer son grand cœur, il soûpire, il s’égare.
***
Cette Eclipse étonnante a troublé ses beaux jours ;
Mais si dans ce moment la Terre vous sépare,
Un amour immortel vous unira toûjours.

[Cinq devises de Mr de la Salle de l’Estang, de Rheims]* §

Mercure galant, août 1683 [tome 9], p. 162-165.

Voicy cinq autres Devises sur la mort de cette auguste Princesse. Elles sont de Mr de la Salle de l’Estang, de Rheims.

I.

Une Fontaine qui s’élance dans l’air à travers les goutes d’eau qui retombent dans son Bassin.

C’est au milieu des pleurs que je quitte la terre.

II.

Une Iris, ou l’Arc-en-Ciel, qui commence à disparoistre ; pour montrer l’avantage que la Reyne avoit d’estre l’Epouse de Loüis le Grand.

L’Astre le plus brillant faisoit tout mon éclat.

III.

Sur sa charité envers les Pauvres. Un Arbre dépoüillé de Fruits, au bas duquel on en voit des Corbeilles toutes remplies.

Hæc sibi non ferebat opes.

IV.

Sur sa tendresse envers Monseigneur le Dauphin. Une Aigle qui conduit ses Petits vers le Soleil.

Cura mihi soboles, dum conspicit illa Tonantem.

V.

Sur son humeur bienfaisante envers tous ceux qui avoient l’honneur de l’approcher. Une Fontaine, qui n’arrose pas moins les Fleurs qui sont sur ses bords, que les moindres Herbes.

Si je cesse mon cours, je cesse mes bienfaits.

[Lettre concernant les Otomans aux portes de Vienne]* §

Mercure galant, août 1683 [tome 9], p. 252-265.

On a parlé fort diversement de ce départ ; vous en trouverez des nouvelles assurées dans la Lettre que je vous envoye. Elle est d’un Homme de qualité, & contient tout ce qui s’est passé à l’égard de S. M. Impériale, depuis qu’Elle est sortie de Vienne, jusqu’à son arrivée à Passau.

A Passau, ce 16. Juillet 1683.

L’Armée Otomane ayant décampé d’aupres Raab pour marcher vers Vienne, Mr de Lorraine qui en fut averty, mais un peu trop tard, leva d’abord son Camp qui estoit sur la Riviere de Leïta, pour se retirer sous le Canon de cette Ville. Trois mille Tartares qui s’estoient avancez pour piller, voyant que l’Arriere-garde des Bagages de ce Prince n’estoit pas trop bien gardée, donnerent dessus, & la mirent en déroute. Quelques Régimens vinrent l’un apres l’autre pour la secourir. Ils furent traitez de la mesme sorte. Ainsi peu de temps apres, on vit arriver à Vienne un débris de Gens batus qui mirent l’alarme par tout. Mr de Lorraine arresta pourtant les Tartares, avec quelques Regimens qu’il eut de la peine à tenir ensemble, & fit sa retraite le mieux qu’il luy fut possible, mais toûjours fort en desordre. Il ne se sauva des Bagages, que ce qui avoit pris la fuite d’abord. Ces nouvelles ayant esté raportées à l’Empereur, il fit assembler son Conseil, qui conclut que Sa Majesté Impériale, les Impératrices, les Princes & les Princesses, sortiroient de Vienne ce mesme jour 7. du Mois. Il estoit déja six heures du soir, de sorte qu’on eut à peine le temps de faire atteler les Carosses. Ils partirent tous environ trois heures apres. Ce départ inopiné, mit toute la Ville dans un desordre qu’on ne sçauroit exprimer. Tous les Ministres Etrangers, & autres, suivirent, ainsi qu’un grand nombre de Personnes de toutes sortes de conditions. Cela mit un tel embarras aux Portes, que les Officiers de la Garnison furent obligez de les fermer. J’eus pourtant le bonheur de faire sortir auparavant ce que j’avois de meilleur, que je fis jetter en desordre dans mon Carosse qui estoit attelé de six bons Cravates, & moy je montay à cheval, suivy d’un autre Cheval de main, qu’on me menoit en cas de quelque pressante necessité. L’Empereur passa le Danube, & vint souper à une petite Ville qu’on appelle Cronneubourg, c’est à dire, manger dans des Ecuelles de bois, ce qu’il y avoit dans un méchant Cabaret d’Allemagne qui ne l’attendoit point. Il s’y reposa trois ou quatre heures sur de la paille, & marcha tout le jour suivant pour arriver à une autre petite Ville qui s’appelle Crems, sur le Danube. Pendant cette marche, l’épouvante estoit si grande, que peu de Tartares auroient tout batu. On croyoit à tous momens les voir arriver. Ils avoient mis le feu à plusieurs Villages qui nous paroissoient fort proches de nous. La seconde nuit, lors que nous pensions estre en seûreté dans Crems, plusieurs Personnes qui s’y sauvoient d’au dela du Danube à trois heures du matin, assurerent que les Tartares y estoient, & l’alarme fut si grande, que tout le monde ne pensa d’abord qu’à fuïr. Mr le Marquis de Sepville, voyant qu’on ne songeoit point à garder le Pont, par où il falloit que ces Tartares passassent pour venir à nous, y courut, & moy avec luy, & quelques Païsans que nous ramassâmes. Nous nous mîmes en état de rompre le Pont, si nous eussions esté pressez ; mais l’alarme s’estant trouvée fausse, nous le laissâmes. entier. Cependant l’Empereur jugeant à propos de faire par eau, la journée de Crems à Melch, s’embarqua sur le Danube, & fit faire le chemin par terre à toute sa Suite pour se mettre à couvert des Ennemis. On vint ce jour-là nous dire souvent qu’on découvroit les Tartares. Nous voyions de tous costez les Païsans, qui fuyoient d’une vitesse incroyable. Ils estoient suivis de quantité de Femmes échevelés, portant leurs Enfans, & à qui la peur avoit osté l’usage de la parole. Enfin ce n’estoit par tout que spectacles chagrinans. Cependant nous gagnâmes Melch sans accident. L’Empereur y sejourna un jour, à cause que ses Equipages n’en pouvoient plus. De là il vint à Lints en trois jours, sans avoir reçeu d’alarmes dans tout le chemin ; mais cette tranquilité dura peu de temps. Comme nous songions à nous établir à Lintz, & qu’on y dormoit profondement la seconde nuit de nostre sejour, des Courriers venus de plusieurs endroits, avertirent l’Empereur que vingt mille Tartares, conduits par des Rebelles, le suivoient. En effet, ayant eu avis de la marche de ce Prince, ils avoient forcé les Bois de Vienne, & s’estoient mis sur la piste ; mais par bonheur ils ne pousserent pas loin. Ces nouvelles obligerent pourtant l’Empereur à sortir de Lintz avec autant de précipitation qu’il estoit sorty de Vienne ; mais il partit le matin, & cela causa bien moins de confusion. Cependant comme l’Empereur craignoit que quelqu’un des Mécontens n’eust des intelligences dans sa Cour, il cacha si bien sa marche, qu’aucun de ses Courtisans, horsmis ceux qui sont absolument necessaires aupres de sa Personne, ne sceut en quel lieu il avoit dessein de se retirer. L’Impératrice & les Princes ses Enfans, couchoient tantost d’un costé du Danube, & tantost de l’autre. Tout le reste de la Cour prit le grand chemin de Lintz à Passau, où nous sommes tous arrivez en bonne santé, mais avec grand nombre de Chevaux estropiez. Les Tartares ont couru jusqu’à Ems apres le Trésor de l’Empereur, qui s’est pourtant sauvé à Lintz ; mais les Archives de l’Empire, & la plûpart des Papiers de l’Empereur, sont demeurez dans Vienne. Les Turcs ont saisy le Fauxbourg de l’Isle, qui oste toute la communication qu’on pouvoit avoir avec la Ville par le moyen du Danube. Mr de Lorraine a encore esté contraint d’abandonner l’Isle de Vienne, & de se retirer avec son reste de Cavalerie prés de Cronneubourg, où il prétend ramasser les Secours qu’on espere de l’Empire. La Garnison de Vienne est de quinze mille Hommes. On y a jetté tout ce qui restoit d’Infanterie à l’Empereur en ce Pais-cy.

Un nommé Chauvin, Fils du Capitaine des Gardes de Mr de Lorraine, & Major d’un Regiment qui avoit conduit le Trésor de l’Empereur à Lintz, retournant joindre l’Armée avec deux cens Chevaux, est tombé sur l’Arriere-garde de trois mille Tartares qui avoient essayé de l’attraper, & qui se retiroient en brûlant, avec plus de deux cens Prisonniers qu’ils avoient faits de l’un & de l’autre Sexe. Ce Major les a délivrez ; & la nouvelle vient d’arriver, que le General Dunnevaldt qui les cherchoit, les a rencontrez dans leur retour, & que de trois mille, il en a tué deux mille, & pris presque tout le reste, leur ayant heureusement coupé le chemin.

Je prie Dieu de tout mon cœur, qu’il luy plaise nous tirer bientost d’icy. C’est la plus vilaine situation du monde. Passau est environné de toutes parts d’afreuses montagnes, nous font respirer un tres-méchant air. Le fourage y est d’ailleurs d’une cherté extraordinaire.

A Madame la Princesse de Conty §

Mercure galant, août 1683 [tome 9], p. 278-283.

Les Vers que j’ajoûte icy peuvent suivre un Article d’Allemagne, puis que sans la guerre que l’on y voit allumée, ils n’auroient pas esté faits. Il n’y a personne qui ne sçache que l’illustre Sang de Condé, boüillant dans les veines de Monsieur le Prince de Conty, l’impatiente ardeur de se signaler, le fit partir pour en aller chercher les occasions qu’il ne trouvoit point en France. Le Roy envoya plusieurs Courriers apres luy, parce qu’il n’estoit pas juste qu’un si grand Prince s’exposast en Avanturier. Son courage murmura, mais sa raison & son devoir l’emporterent. Il revint, & c’est sur son retour que Mr de Benserade a fait ces Vers. Son nom vous persuadera aisément qu’ils méritent l’approbation genérale qu’ils ont reçeuë.

A MADAME
LA PRINCESSE
DE CONTY.

Consolez-vous, belle Princesse,
Que vostre inquiétude cesse ;
Il est party, ce cher Epoux ;
Mais, cela soit dit entre nous,
Il faut avoir l’ame bien haute,
Pour commettre une telle faute.
On n’imagine rien de mieux,
Mais il faut obeïr aux Dieux.
C’est beaucoup d’estre jeune & sage.
Trop pressé sur l’apprentissage
Qu’il veut faire, est-ce son mestier ?
S’il s’égare dans le sentier,
En ce malheur plus il témoigne
De courage quand il s’éloigne,
Plus il est digne des apprests
Que l’on fait pour courir apres.
Juste est la crainte où l’on se trouve
D’empescher ce que l’on approuve.
Un grand Roy force un grand Sujet
De ne pas suivre un grand Projet
La Gloire entr’eux est mutuelle ;
Ce que l’avenir dira d’elle,
L’un aura fait ce qu’il a dû,
L’autre aura fait ce qu’il a pû.
Ne soyez donc plus dans les trances,
Il faut qu’il cede aux remontrances,
Quand elles partent d’un tel Roy.
Ce tendre Epoux a pour la Foy
Une chaleur que rien n’égale ;
Et quant à la foy conjugale,
Il souffriroit d’estre Martyr,
Plutost que de s’en repentir.
Il a raison, ne luy déplaise,
Il en parle bien à son aise.
Il a fâché plus d’un Parent,
Mais contr’eux c’est un bon garant
Que le sang qui bout dans ses veines,
Qui doit rendre leurs plaintes vaines
LOUIS & CONDÉ, ces Héros
Ennemis du lâche repos,
S’attendoient ils que leur Pupille
Fust les bras croisez & tranquile ?
Au Neveu, l’Oncle ardent & vif,
N’a pas inspiré d’estre oisif,
Non-plus que le Beaupere au Gendre ;
Et sont-ils en droit de prétendre
Qu’il mette un frein à sa valeur,
S’ils n’en ont pû mettre à la leur ?
Apres tout, il est dans les regles
Que les Aiglons suivent les Aigles.
Quand il va pour se signaler,
Plus loin qu’il ne falloit aller,
Dans le devoir dont il s’aquitte,
Que ne fait-il point ? il vous quitte.
Rien n’est si grand, rien n’est si fort ;
On a beau dire qu’il a tort,
A personne on n’en fait accroire
Touchant la veritable gloire.
Il sçait mieux que nous ne disons ;
Et s’il ne faut que des raisons,
Vous sçavez qu’il en a de belles,
D’estre contre les Infidelles.
Quel prodige enfin aujourd’huy !
Il revient vous voir malgré luy,
Et quand vous le verrez paroistre
Dans les bonnes graces du Maistre,
Vostre cœur seroit desolé,
S’il ne s’en estoit point allé.