1683

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1683 [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10]. §

Au lecteur §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. I-II.

AU LECTEUR.

Rien ne peut mieux estre reçeu du Public, que l’a esté le dernier Mercure. Ce n’est pas que ce Livre ne soit toûjours également travaillé, mais la matiere ne se trouve pas toûjours égale. Les Habits qui sortent de la main des bons Ouvriers, sont aussi bien faits avec de la Serge, qu’avec du Brocard d’or, mais les uns brillent moins aux yeux que les autres. On voit dans les Mercures ce que l’Histoire n’apprendra point, & qui demeureroit ensevely dans un oubly eternel. Si du temps des Romains on avoit écrit un pareil détail, nous en sçaurions mille choses à fond, que leurs Histoires n’ont pû faire deviner qu’à ceux qui vivoient de ce temps-là, & qui connoissoient leurs Loix, leurs Coûtumes, leurs Festes, & leurs manieres d’agir en toutes choses. Cela ne suffit pas mesme encore ; car ceux qui auront leu les Gazetes & nostre Histoire, ne pourront par le gros de la Nouvelle, deviner le détail qui est dans les Mercures. On a traité trois matieres à fond le mois passé. C’est ce qui avoit obligé de réserver plusieurs Articles ausquels il a falu donner place dans ce Volume. Cela n’a pas empesché que l’on n’ait fait une Relation tres-curieuse de tout ce qui s’est passé à S. Denys le jour de l’Inhumation du Corps de la Reyne. Jamais en pareille occasion on n’a descendu dans un détail si exact. On y voit des choses qui n’ont point encore esté imprimées, ny peut-estre remarquées. Un si long Article ayant pris beaucoup de place, on n’a pû rien mettre dans ce Volume touchant l’Affaire d’Alger. On en donnera la suite le mois prochain avec la mesme exactitude qu’on a déja fait le commencement. Quant à l’Article de la Conspiration d’Angleterre qu’on avoit promis, & que plusieurs ont demandé, on ne le donnera point que tout ce qui la regarde ne soit finy. Quoy qu’on ait reçeu un grand nombre de Mémoires touchant les Services qui ont esté faits pour la Reyne dans les Provinces, on n’a pû parler que de ceux de S. Denys & de N. Dame, qui n’ont point laissé de place pour les autres. On a crû d’ailleurs qu’il n’en falloit pas tant mettre dans le mesme Volume, parce que la diversité plaist, & que la mesme matiere ennuye, quelque belle qu’elle puisse estre. On en remet donc beaucoup pour le mois prochain, mais on ne parlera que de ceux qui ont eu quelque chose de singulier dans leur Pompe, & l’on en retranchera toutes les choses que l’on sçait qui sont communes à toutes les Cerémonies de cette nature.

[Madrigal de Mlle de Scudéry]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 31-32

Voicy des Madrigaux qui ont esté faits sur cet accident. Le premier est de Mademoiselle de Scudery ; le second, de Mr Diéreville ; & le dernier, de Mr Guyonnet de Vertron, Historiographe du Roy.

MADRIGAL.

Ce Bras qui fit trembler tant de fiers Ennemis,
Fait maintenant trembler les Cœurs les plus soûmis ;
La France l’adoroit, & commence à le plaindre ;
Mais non ! rendons au Ciel des honneurs immortels,
 Un Bras qui soûtient les Autels,
 Ne sçauroit avoir rien à craindre.

[Madrigal de M. Diéreville]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 32.

MADRIGAL.

Ne riez point, fiers Ennemis,
Le Bras blessé du Grand LOUIS,
A Félix n’est pas incurable ;
Craignez plutost qu’aux Champs de Mars,
Ce Bras pour vous si redoutable,
Ne renverse encor vos Ramparts.

[Impromptu de M. Guyonnet de Vertron]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 33.

INPROMPTU.

Vostre chute, Grand Roy, fait du bruit dans le monde.
Vous avez bien connu nostre douleur profonde,
Vous avez dans vos maux éprouvé vos Sujets.
Que seroient devenus tant de nobles Projets !
Que ferions-nous helas ? si....gardons le silence ;
Mais gardez vostre Bras nécessaire à la France,
 Heureusement il est remis,
 Gardez-le pour vos Ennemis.

[Fête de Saint-Louis à l'Académie Française]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 33-34.

Vous attendez le détail de ce qui se passa le jour de la Feste de S. Loüis à l'Académie Françoise, & je vay vous satisfaire. Cette illustre & sçavante Compagnie, regardant ce Saint comme le Patron de Loüis le Grand, en fait faire tous les ans le Panégyrique. Il est précedé d'une Messe, celebrée dans la Chapelle du Louvre par Mr l'Abbé du Pont, qui en est le Chapelain. La Musique y est chantée par un grand nombre des plus belles Voix de France, & jusques icy elle a toûjours esté de la composition de Mr Oudot.

[Discours de M. l’abbé de Savary]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 34-48

Mr l’Abbé Savary a esté choisy cette année pour prononcer le Panégyrique de S. Loüis. Quoy qu’il soit encore fort jeune, il a déja paru avec applaudissement dans les meilleures Chaires de Paris ; mais ce qui doit vous convaincre de son mérite plus qu’aucune chose, c’est le choix de Mrs de l’Académie. Non seulement il faut avoir de l’esprit, & de l’érudition, mais il faut encore sçavoir bien parler, pour soûtenir de semblables actions devant les Maistres de la Langue. Tout cela se trouve dans Mr l’Abbé Savary, & l’on peut dire de luy que le sçavoir n’a point attendu le nombre de ses années. Malgré son air doux & insinuant, l’ardeur de son zele luy donne beaucoup de feu, & il a l’art de penetrer les cœurs agreablement & vivement. Il donna un tour aussi nouveau que spirituel à tout ce qu’il dit. Il ne divisa point son Discours, & cependant les pauses s’y rencontrerent aussi naturellement, que si une division dans les regles y eust donné lieu. Apres avoir fait un Portrait des Roys parfaits, il fit voir que ce Portrait convenoit à S. Loüis ; & toutes les choses qu’il marqua estant reconnuës dans les actions du Roy, chacun le nomma sans que le Prédicateur parlast de luy. De pareilles loüanges ne sont point forcées, & il faut qu’elles ayent un raport parfait à la Personne à qui on les applique, lors que l’Auditeur, ou le Lecteur, en fait luy-mesme l’application. Comme il avoit pris pour texte ces paroles de l’Exode, Quis similis illi in fortibus ? Magnificus in sanctitate, terribilis atque laudabilis, faciens mirabilia ? il dit, Qu’on ne devoit point estre surpris que les Roys eussent l’avantage pardessus le reste des Hommes, d’estre appellez les vivantes Images de Dieu ; qu’à la verité il n’y avoit personne, qui outre ce caractere universel de sa Divinité que nous tenons de nostre origine, ne pust encore se faire remarquer par quelque trait particulier de ressemblance à cet Estre infiny ; mais que les Roys seuls estoient capables de les porter tous ensemble, & qu’on pouvoit dire mesme qu’il n’y avoit qu’eux, qui eussent bonne grace à vouloir se parer de la gloire de la plus parfaite conformité avec Dieu ; Que sa douceur, sa bonté, sa miséricorde, sa justice, sa patience, & tous les autres attributs, qui l’ont fait nommer le Dieu Saint, & le Saint des Saints, estoient des choses sur lesquelles les Hommes ordinaires devoient tâcher de se former ; mais que sa magnificence, sa force, sa grandeur, sa majesté, estoient plus particulierement le partage des Souverains ; Qu’il n’appartenoit proprement qu’à ceux que Dieu avoit substituez en sa place sur la Terre, d’affecter de la ressemblance avec luy, lors qu’il se fait appeller le Dieu Fort, le Dieu Terrible, le Dieu Puissant, le Dieu des Armées, & qu’il sembleroit mesme que ce seroit deshonorer en quelque sorte le rang où sa Providence les avoit placez, s’ils aspiroient à la gloire des Saints au mépris de celle dont il vouloit que brillast leur Diadéme ; Qu’il falloit qu’une heureuse alliance réünist en eux ces vertus éclatantes & magnifiques, qui ne conviennent qu’aux Princes, & les vertus douces & tranquilles, qui font les Chrestiens & les Saints ; Que leurs mains ne devoient jamais cesser d’immoler des Victimes, & d’offrir de l’Encens sur les Autels du Tres-Haut ; mais que cet employ religieux & saint, ne devoit pas les rendre moins propres à lancer la foudre sur des testes orgueïlleuses ou criminelles ; Qu’il falloit qu’ils écoutassent avec respect, & exécutassent avec humilité ces Loix adorables, qu’un Dieu avoit voulu qui leur fussent communes avec le moindre de leurs Sujets ; mais que lors qu’à leur tour, pour user du droit qui n’apartient qu’aux Souverains, ils vouloient imposer des Loix aux Peuples qui leur estoient soûmis, il falloit qu’ils les prononçassent avec ce ton de grandeur, & cet air de majesté qui sied si bien aux Roys ; Qu’il falloit que toutes leurs actions fussent & héroïques, & saintes ; qu’une extréme valeur, qu’une prudente conduite, assurast le succés de leurs Armes toûjours justes ; que l’équité, ou la modération, en pust arrester le cours au milieu mesme de la victoire ; que la Paix fust l’unique prix qu’ils en espérassent ; qu’ils ne joüissent de ses douceurs que pour le bien de leurs Etats, & pour la gloire de celuy qui prend entre ses plus beaux Titres celuy de Dieu pacifique ; qu’ils ne laissassent aucun crime impuny, aucune vertu sans récompense ; que leur nom fust l’effroy de l’Impie, & l’espérance du Juste ; enfin qu’ils fussent la terreur de leurs Ennemis, la protection de leurs Alliez, l’admiration des Etrangers, l’ornement de leur propre Cour, les délices de leurs Peuples, le plus ferme appuy de la Religion, & que l’Univers s’il se pouvoit ne vist rien de plus grand, ny de plus saint.

Apres avoir fait connoistre par un détail éloquent, que ce Portrait magnifique qu’il venoit de faire des Roys, convenoit admirablement à Saint Loüis, il ajouta, Qu’il n’y avoit jamais que l’équité de la fin que l’on se proposoit dans la guerre, qui la pust justifier ; Qu’elle entraînoit trop de malheurs apres elle, pour n’en faire pas d’abord concevoir une idée qui donnoit une secrete horreur ; qu’on y voyoit des Villes désolées, des Campagnes arrosées de sang, des Moissons embrasées, des Peuples éperdus, des Autels profanez, des Temples détruits, le culte du Seigneur, ou détruit, ou abandonné ; & qu’encore que ce ne fust là qu’une partie des maux dont elle estoit cause, il falloit souvent que les Princes fermassent les yeux sur tant de miseres, pour ne plus voir que les justes sujets qui les devoient obliger à prendre les Armes ; qu’alors réduisant la brutale fureur du Soldat aux termes d’une veritable valeur, & empeschant par une severe discipline, la licence, le desordre, & l’impieté, il leur estoit permis de profiter ou de leur bonheur, ou de leur science, dans ce grand Art si digne des Héros, & qui a donné si souvent des Maistres à l’Univers ; & que c’estoit sur des motifs aussi saints qu’équitables, que le grand Roy dont il faisoit le Panégyrique, avoit porté la guerre en Orient. Il décrivit ses deux Voyages au dela des Mers, sa Prise dans l’un, & sa Mort dans l’autre, & finit en disant, Que dans l’état glorieux, & fortuné où estoit la France, si nous avions quelque chose à obtenir par les prieres de S. Loüis c’estoit que Dieu fixast nostre félicité, à laquelle il ne manquoit plus rien qu’une durée eternelle, puis que nous avions pour Maistre Loüis le Grand, l’Invincible, l’Aimable, le Pacifique & que dans un don si prétieux le Ciel avoit pris soin de rassembler tous ces dons divers, qui répandus separément sur plusieurs Peuples diférens, pourroient leur faire croire qu’ils seroient les seuls heureux. Il mesla un court éloge de la Reyne, dont la perte venoit d’interrompre ce long cours de gloire & de bonheur, dont il auroit eu à tracer l’image. Il dit, que cette Princesse ayant esté la plus grande de nos Reynes, & un des plus beaux Ornemens de la Cour, si quelque chose pouvoit nous consoler de sa mort, c’estoit l’assurance certaine que ses vertus nous donnoient, qu’elle n’avoit que change de lieu pour regner, & qu’on ne pouvoit douter qu’elle n’eust reçeu dans le Ciel une Couronne plus belle, plus éclatante, & plus durable que celle qu’elle portoit icy-bas.

[Remise des prix de l’éloquence et de la poésie]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 48-51.

L’apresdînée de ce mesme jour, les Prix de l’Eloquence & de la Poësie qui se donnent tous les deux ans, furent distribuez dans l’une des Salles du Louvre, où Mrs de l’Académie s’assemblent. Le Sujet de celuy de l’Eloquence, estoit sur ces paroles, Ecce enim ex hoc beatam me dicent omnes generationes. Quia fecit mihi magna qui potens est. Ce Prix fut remporté par Mr Tourreil, Fils de feu Mr Tourreil, Procureur General au Parlement de Toulouse. C’est le second qu’il a eu dans une pareille occasion. Le Sujet du Prix de la Poësie, estoit Sur les grandes choses que le Roy a faites pour la Religion Catholique. Mr de Santeüil, Chanoine de Saint Victor, dont vous connoissez l’excellent génie, avoit fait une Ode Latine sur cette mesme matiere, sans prévoir qu’elle seroit proposée pour le Prix des Vers de cette année. Mr de la Monnoye, de Dijon, la trouva si belle, qu’il crut ne pouvoir mieux mériter le Prix, qu’en la traduisant en Vers François. Il ne se trompa pas. Une partie de l’Académie l’en jugea digne, & l’autre se déclara pour un autre Ouvrage. Cette égalité de voix fut cause, que pour rendre justice aux deux Autheurs, ces Messieurs résolurent de séparer la Médaille qui devoit servir de Prix. Ainsi l’on en fit deux de moindre valeur, l’une pour Mr de la Monnoye, l’autre pour son Concurrent. Mr de la Monnoye ayant appris le succés que sa Traduction avoit eu, envoya aussi-tost une Procuration à Mr de Santeüil, afin qu’il reçeust le Prix qu’il déclaroit luy appartenir, puis qu’il n’avoit fait que traduire ses pensées.

[Lectures de M. l’abbé de Régnier, de Quinaut, de l’abbé Tallemant, de Ménage et de Boyer]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 51-54.

Ce fut donc Mr de Santeüil qui le remporta. Le procedé de Mr de la Monnoye fut fort estimé de l’Assemblée, devant laquelle on lût cette Procuration, aussi-bien que les trois Pieces, qui avoient remporté les Prix. Mr l’Abbé Régnier, qui a esté depuis peu éleu Secretaire perpétuel de l’Académie en la place de feu Mr de Mezéray, lût tous ces Ouvrages. Quoy qu’ils soient remplis de grandes beautez, la maniere dont il les lût sembla leur en prester de nouvelles. Ensuite plusieurs Académiciens voulurent bien donner à l’Assemblée le plaisir d’entendre quelques-uns des leurs. Mr Quinaut, lût un Madrigal sur le Voyage du Roy. Mr l’Abbé Tallement le jeune, recita une maniere de Fable qui parut tres-belle. Elle estoit sur une Fontaine d’une Maison qui appartient à Mrs Perrault ; & comme Mr Perrault de l’Académie Françoise y a répondu, il lût sa Réponse, avec une Ode sur ce qui s’est passé devant Alger, depuis que l’Armée Navale de France est devant cette Place. Les expressions en sont si fortes, que l’Auditeur croyoit entendre le bruit des Bombes, & voir le fracas qu’elles ont fait. Mr de Benserade, lût la galante Epistre que je vous ay envoyée dans ma derniere Lettre, sur le retour de Monsieur le Prince de Conty. Jamais Ouvrage ne fut applaudy, ny plus hautement, ny plus genéralement. Toute l’Assemblée se récria presque à chaque Vers. Mr Boyer finit par un Madrigal, auquel on donna beaucoup de loüanges.

[Relation de la fête célébrée à Asnières pour l'anniversaire de la naissance du Duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 54-57, 79-80.Voir cet article qui informe de la fondation d'une grand'messe, d'un Te Deum et d'un Salut tous les 6 août pour célébrer la naissance du duc de Bourgogne.

Je ne vous répete point ce que je vous ay déja dit en d’autres occasions, de la fondation de ces Prix. Il vaut mieux que je vous entretienne de ce qui se fit au commencement du dernier mois, dans une Solemnité, fondée par Mademoiselle Martineau à Asnieres sur Oise, pour y estre celebrée tous les ans le 6. Aoust, jour de la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. La mort de la Reyne a esté cause qu'on en a retranché cette année toutes les marques de joye qui devoient l'accompagner ; mais si la Musique, les Concerts de Voix & d'Instrumens, les Feux d'artifice, & d'autres choses semblables y ont manqué, le zele de la Fondatrice y a paru d'autant plus exact, qu'elle a voulu qu'on ait commencé la Feste par des Prieres publiques pour le repos de l'Ame de cette Princesse. C'est ce que va vous apprendre la Relation qui suit. Elle est de Mr Comiers d'Ambrun, Professeur des Mathématiques à Paris, dont le mérite vous est si connu par ses Ouvrages.

RELATION
DE LA FESTE
CELEBREE A ASNIERES
le 6. Aoust 1683.

[...] La Messe estant achevé, on chanta le Te Deum ; & apres que la Benédiction eut esté donnée, on fit les Prieres solemnelles pour le Roy, & pour toute la Maison Royale. Au sortir de l'Eglise, on se rendit chez Mademoiselle Martineau. Il y avoit dans toutes les Chambres plusieurs Tables si bien servies, que toute la Compagnie, quoy que tres-nombreuse, y trouva par tout un Dîné splendide.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 93-94.

Je vous envoye un Air nouveau, que je suis fort assuré que vous chanterez avec plaisir. Il est de l´illustre Mr Lambert. Ce nom vous dit tout.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Rien n'est ëgal [à] ma douleur, doit regarder la page 94.
Rien n'est égal à ma douleur,
Je me sens mourir en langueur
Pour les yeux de Climene.
Ah, pourquoy faut il que mon coeur
Adore une Inhumaine !
***
Beaux yeux dont j'adore les coups,
La crainte de vostre couroux
M'oblige à me contraindre,
Je ne me plains pas devant vous ;
Qu'avez-vous à vous plaindre ?
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Sonnets sur le Paon §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 94-102.

J’ay reçeu quatre Sonnets sur le Sujet qui avoit esté proposé d’un Paon étalant sa queuë. La moralité en peut estre utile à ceux qui voudront en profiter. Je vous les envoye. Les deux premiers sont de Mr Vignier de Richelieu, & le troisiéme de Mr Diéreville du Pontlevesque. L’Autheur du dernier m’est inconnu.

SONNETS
SUR LE PAON.

I.

Incomparable Oyseau, dont la richesse extréme,
De mesme que le Ciel fait voir mille splendeurs,
Paon qui desires plaire, & te plais à toy-mesme,
Lors qu’en voyant ta Rouë, on fait des cris flateurs.
***
Petit échantillon de la Beauté supréme
Qui se fait admirer dans tes vives couleurs,
Ce n’est pas sans raison que le monde les aime,
Elles ne passent point comme celles des Fleurs.
***
Mais que te revient-il d’un si charmant Plumage,
Si loin de t’élever à la Terre il t’engage.
S’il te rend plus pesant, plus vain, plus glorieux ?
***
Vous qui brillez par-tout avec plus d’avantage,
Faites que vostre amour n’estant que pour les Cieux,
Vous unisse aux Beautez dont vous estes l’Image.

II.

Que d’yeux, que de Soleils, que de magnificence,
Quand le Paon fait la rouë, ébloüissent nos yeux !
Et que ce Favory de la Reyne des Cieux
Eut du Grand Aléxandre une juste *Ordonnance !
1
Ce bel Arc que Dieu fit en signe d’alliance,
Lors qu’il paroist là-haut, est bien moins gracieux,
Que les vives couleurs de ce Paon glorieux,
Simbole de concorde ainsi que d’abondance.
***
Mais toutes ces beautez ne durent pas toûjours,
Elles ont leur éclat, elles ont leur decours,
Et celuy qui les perd se va cacher de honte.
***
Pour n’estre point sujet à l’instabilité,
Pour trouver icy-bas & dans le Ciel ton compte,
Chrestien, brille en tous lieux par ton humilité.

III.

Je ne veux point aimer, importune Lisete,
Pour les Jeux innocens je n’ay plus de loisirs ;
Avec un autre Amant accorde tes desirs,
Ou dance toute seule au son de ta Musete.
***
Pour me faire quiter ma paisible retraite,
En vain tu me promets les plus charmans plaisirs.
Si j’allois t’écouter, bien-tost mille soûpirs
Troubleroient le repos de ma douceur parfaite.
***
Le Monde est comme un Paon, dont la queuë ébloüit
Au moment qu’à nos yeux elle s’épanoüit,
Mais dont l’éclat se perd si-tost qu’il la resserre.
***
Les plaisirs qu’icy-bas on peut se procurer,
Passent comme un Eclair qui prévient le Tonnerre,
Et le mal qui les suit ne sçait que trop durer.

IV.

Orseau, couvre tes pieds de ce charmant plumage
Qu’aux yeux des Spéctateurs tu veux faire éclater ;
Pour avoir moins d’orgueil, tu dois les consulter,
Leur extréme laideur t’instruira davantage.
***
Du vain faste des Grands tu me fournis l’Image.
Ces hautes Dignitez où je les voy monter,
Ces honneurs dont le charme a sçeu les enchanter,
Ne sont que des éclairs qui précedent l’orage.
***
Leur cerveau penétré de subtiles vapeurs,
Fait donner de l’éclat aux plus sombres couleurs,
Et produire à grands frais de pompeuses sottises.
***
En vertu du brillant dont ils sont revestus,
Un progrés d’amour propre, un art de convoitises,
Passent pour les effets des plus rares vertus.

Je ne doute point, Madame, que ces sortes de Sonnets ne vous plaisent davantage que ceux qui se font sur des Bouts-aimez qui en déterminent toûjours la pensée, & la rendent fort souvent extravagante. On n’en peut avoir que de relevées sur le Soleil, si on veut choisir cette matiere.

[Histoire]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 109-153.

L’amour le plus violent n’est pas celuy qui dure le plus, & on a toûjours à se défier de ces Amans trop passionnez, qui n’ont pour but dans leurs marques de tendresse, que de satisfaire leurs desirs. C’est de cette source que sont venus les malheurs d’une jeune Damoiselle, à qui mille belles qualitez faisoient mériter une moins cruelle destinée. Outre les charmes du corps, & la beauté de l’esprit, elle avoit une vertu naturelle, qui estant fortifiée par une heureuse éducation, l’avoit toûjours défenduë des foiblesses ordinaires à celles de son sexe & de son âge. Son cœur estoit tendre, mais quelque tendre qu’il fust, son seul devoir en régloit les mouvemens, & il ne pouvoit luy faire aucune surprise, dont sa raison ne vinst aisément à bout. A peine eut elle seize ans, que son mérite fit bruit. On parloit d’elle avec admiration, & il y avoit d’autant plus d’empressement à luy donner des loüanges, que sa sagesse répondant à sa vertu, on voyoit en elle une Personne accomplie. Un Gentilhomme voisin, assez riche, & fort bien fait, âgé seulement de vingt-six ans, qui l’avoit connuë dés son enfance, commença alors à la regarder d’un œil moins indiférent qu’il n’avoit fait jusque-là. La Mere de la Demoiselle s’en apperçut aussitost, & le Gentilhomme ayant laissé échaper quelques paroles qui faisoient connoître les sentimens qu’il avoit, elle disposa sa Fille à l’écouter favorablement. Son Pere entra dans la mesme complaisance. Le Party luy ayant paru assez sortable, il dit seulement que sa Fille estant trop jeune pour la marier sitost, il falloit toûjours ménager le Gentilhomme, sans prendre avec luy trop d’engagement. C’estoit un Homme d’esprit, qui avoit sa politique. Il ne doutoit point que la beauté de sa Fille ne luy attirast force Adorateurs, & il estoit bien-aise de se tenir en état de pouvoir choisir ce qui tourneroit le plus à son avantage. Les choses se passerent de cette sorte pendant un an tout entier. Le Gentilhomme redoubloit ses soins aupres de la Belle ; & cette aimable Personne, autorisée par ceux à qui elle devoit tout, en ne luy montrant que de l’estime, prenoit insensiblement de tendres impressions, contre lesquelles elle croyoit n’avoir pas à se précautionner. Enfin parmy quantité d’Amans qui se présenterent, malheureusement pour le Gentilhomme, un Cavalier beaucoup plus riche que luy, prit le dessein de se déclarer. Il n’avoit veu qu’une fois la Belle, & cette premiere veuë l’avoit tellement frapé, qu’il ne perdit point de temps. Il alla trouver le Pere, qui luy voyant de grands Biens, reçeut sa recherche avec beaucoup de plaisir. La Belle ayant eu ordre de le regarder comme celuy qu’elle devoit épouser dans peu de jours, sentit tout d’un coup que son cœur estoit plus engagé qu’elle n’avoit crû. L’effort qu’il luy falut faire pour en arracher le Gentilhomme, qu’elle voyoit depuis si longtemps, avec quelque sorte d’espérance de vivre toûjours pour luy, luy fit connoistre qu’une habitude agreable ne se perd pas aisément. Sa Mere, qui avoit aidé à faire naître les sentimens qu’il falloit qu’elle étoufast, ne fut pas moins touchée qu’elle de cette cruelle nécessité. Le Gentilhomme avoit tant de bonnes qualitez, que si l’affaire eust dépendu de son choix, elle l’auroit préferé, quoy que moins riche, au Cavalier qui se présentoit ; mais elle tâcha inutilement de gagner l’esprit de son Mary. Il voulut la chose d’une autorité si absoluë, que l’obeïssance fut le seul party qu’elle vit à prendre. Dans ce triste état, elle pria le Gentilhomme de ne la plus voir, & ne pût luy refuser la vaine consolation de luy apprendre que si on l’avoit laissée maîtresse de ses volontez, elle auroit trouvé beaucoup de plaisir à luy prouver que son cœur estoit sensible au mérite plus qu’à aucune autre chose. Rien ne peut estre plus tendre que le fut l’adieu du Gentilhomme. Il dit à la Belle les choses du monde les plus touchantes ; & si elle ne se fust retirée tout-à-coup sans luy répondre, toute sa vertu n’eust pû l’empescher de laisser paroistre plus qu’il ne sembloit luy estre permis. Se voyant contrainte de se donner à un autre, elle demanda du temps pour y préparer son cœur. Ce fut inutilement qu’elle fit cette demande. Le Cavalier devint amoureux si éperduëment, qu’il ne laissoit nul repos au Pere. Ses empressemens alloient jusqu’à le porter à l’extravagance. Pour peu qu’on parlast de retarder, c’estoit résoudre sa mort, & il auroit acheté de toutes choses le prompt accomplissement du bonheur qu’il souhaitoit. Vous jugez bien que le Pere qui estoit habile, le voyant si plein d’ardeur, profita comme il devoit de l’aveuglement de sa passion. Il donnoit fort peu de chose à sa Fille, & ne laissa pourtant pas de trouver moyen de luy assurer par le Contract une Dot considérable. Tout fut signé, & le Mariage se fit en six jours. Quoy que cette aimable Fille fust remplie du trouble d’abandonner un Amant qui ne luy déplaisoit pas, elle sçeut si bien se posseder, qu’on n’en pust rien découvrir, ny sur son visage, ny dans aucune de ses actions. Son cœur se soûmit à sa raison, & elle parut aussi contente qu’une grande modestie luy pouvoit permettre de le laisser voir. Elle ne fut pas si-tost mariée, qu’envisageant l’étroite obligation où elle estoit d’aimer son Mary, elle n’eust en veuë que de luy donner ses soins & toutes ses complaisances. Si ses devoirs furent partagez, ce fut seulement du costé de Dieu. Encore estoit-elle si persuadée qu’elle trouvoit Dieu dans tout ce qui la rendoit agreable à son Mary, qu’elle ne donnoit à ses exercices de religion & de pieté, qu’autant de temps qu’elle en pouvoit ménager sans luy déplaire. Comme il n’avoit rien dans sa personne qui fust capable de la dégoûter, elle l’aima veritablement, & en peu de temps elle se sentit si dégagée de ce qui avoit occupé son cœur, que le Cavalier en fut seul le maistre. Mais si sa tendresse augmenta pour luy de jour en jour, il n’en alla pas ainsi du Cavalier pour la Belle. Sa passion avoit eu d’abord trop de violence. La possession l’ayant satisfaite, il la laissa rallentir, & peu-à-peu, ce qui avoit esté l’objet de tous ses desirs, le piquant moins vivement, il tomba dans des négligences de froideur, dont il luy fut impossible de se garantir. La Belle les eut bientost remarquées ; & comme les continuelles marques d’amour qu’elle luy donnoit, commençoient à estre payées de beaucoup d’indiférence, elle luy en faisoit quelquefois la guerre, & luy disoit d’une maniere toute engageante, que le mariage les avoit changez tous deux, puis qu’elle faisoit le personnage d’Amant, & luy celuy de Maîtresse réservée. Cependant quelque déplaisir qu’elle reçeust de ce changement, elle déguisa ce qu’elle soufroit, pour luy paroître toûjours de belle humeur, & tâcher par là de le ramener ; mais quand on néglige de remédier aux premiers dégoûts que produit le mariage, rien n’est plus à craindre que les malheurs qui en naissent. Le Cavalier guéry de sa passion, en prit aussitost une autre. Il fit connoissance avec une jeune Veuve, bien moins belle que sa Femme, mais dont la personne & les manieres avoient je-ne-sçay-quoy de si attirant, qu’il fit tout son bonheur de la voir. Ses soins firent grand éclat, & en peu de temps toute la Ville en fut informée. La Belle, qui avoit le principal intérest à cette nouvelle, l’apprit apres tous les autres. Ce fut pour elle un coup de tonnerre. Lors qu’elle en fut un peu revenuë, elle se crût obligée de s’expliquer avec luy, & ayant pris pour cela toutes les précautions qui estoient à prendre, elle luy dit avec une honnesteté mêlée de douleur & de tendresse, que Dieu luy estoit témoin qu’elle ne trouveroit jamais rien à condamner dans ce qui feroit sa joye ; que si elle se voyoit assez heureuse pour estre en pouvoir de faire tout son bonheur, comme il faisoit tout le sien, elle luy sacrifiëroit avec plaisir tous les momens de sa vie ; qu’elle vouloit croire que ses complaisances pour la Dame qu’il voyoit, estoient remplies d’innocence, mais que la malignité des Hommes les portant à mal juger des intentions les plus sinceres, il ne pouvoit la voir si assiduëment sans luy faire tort ; que la réputation des Femmes estoit délicate au point d’estre blessée de fort peu de chose ; qu’il devoit d’ailleurs se défier de luy-mesme ; que ce qui n’estoit d’abord qu’un amusement de galant Homme, pouvoit devenir une veritable affaire de cœur ; qu’il avoit à craindre pour ses propres intérests de se trop abandonner aux emportemens d’une passion qui n’a ny regles ny bornes, & qui luy estant infructueuse, ne serviroit qu’à luy faire perdre son repos. Le Cavalier reçeut cet avis fort indignement, & se permettant jusqu’à la menace, il répondit à la Belle, que si jamais elle s’avisoit de luy tenir de pareils discours, ce ne seroit pas sans qu’elle eust sujet de s’en repentir. Elle se tût, & ne chercha plus à le gagner que par quelques larmes qui luy échaperent ; mais loin d’en estre touché, il devint plus assidu aupres de la jeune Veuve. Tous ceux qui voyoient la Belle affligée, faisoient tomber l’entretien sur ses griefs de chagrin, dans le dessein de la consoler. C’estoit inutilement qu’ils la mettoient sur cette matiere. Elle leur fermoit aussitost la bouche, en les assurant d’un visage satisfait, que les soupçons qu’on prenoit de son Mary estoient fort injustes ; qu’il avoit pour elle les plus obligeans égards, & que s’il voyoit des Femmes, c’estoit sans luy rien oster de sa tendresse, & par le seul usage du monde. Le Gentilhomme, qui l’avoit aimée avec tant de passion, l’ayant rencontrée dans une visite, elle luy fit la mesme réponse sur ce qu’il luy dit de son malheur ; & quelques instances qu’il put faire en luy demandant permission de la voir, il n’en pût rien obtenir. Elle demeura ferme sur le refus, & luy fit connoistre combien ce qu’il souhaitoit luy seroit injurieux, puis que tout le monde voulant se persuader qu’elle avoit lieu de se plaindre, on publiëroit infailliblement, qu’elle ne l’auroit reçeu chez elle que pour se vanger des prétenduës infidélitez de son Mary. Tant de vertu redoubla l’admiration qu’on avoir pour elle. Elle pleuroit dans sa Chambre, se consoloit au pied des Autels, & ne recevoit personne dans la confidence de ses déplaisirs. On ne laissa pas de les penétrer, & de chercher à les adoucir. On fit parler à la Veuve, & on luy représenta le tort qu’elle se faisoit de mettre ainsi la division dans un mariage ; mais soit qu’elle eust pris trop d’attachement pour le Cavalier, soit que sa vertu ne fust pas fort scrupuleuse, elle ne put se résoudre à le bannir. Il soupoit souvent chez elle, & n’en revenoit qu’à une heure apres minuit. A son retour il trouvoit la Belle, toûjours complaisante, toûjours sans aigreur, & dans une apparence de tranquillité qui cachoit ses déplaisirs ; mais si elle s’empeschoit de luy faire des reproches, sa veuë, à ces heures-là, luy en faisoit de cruelles. Il voulut enfin se les épargner, & luy dit un jour, qu’il rentra fort tard, que n’estant pas juste qu’il la fist attendre, ny qu’il l’éveillast en revenant, il luy laisseroit son Apartement à l’avenir, & coucheroit dans un autre. Cela fut fait dés le lendemain, malgré les prieres que luy fit la Belle de ne point s’inquiéter si elle veilloit ou non, & de soufrir qu’elle eust toûjours soin de voir s’il ne manquoit de rien quand il revenoit la nuit. Comme les Domestiques n’ont point de secret, cette espece de divorce fut sçeuë aussitost dans toute la Ville. On en conçeut beaucoup d’indignation contre la Veuve qui en estoit cause, & vous pouvez vous imaginer les contes qu’on fit de ce que le Cavalier passoit la plûpart des nuits chez elle. Tous les Parens de la Belle luy conseillerent de se séparer, mais elle rejetta cette proposition comme une pensée tres-criminelle. Elle disoit que les injustices de son Mary, quand elles seroient encore plus grandes, ne pouvoient l’autoriser à manquer à son devoir ; qu’elle estoit toûjours sa Femme, & dans l’obligation de ne se pas rebuter d’un égarement qui pouvoit finir ; que sa présence luy faisoit toûjours garder beaucoup de mesures, & que si elle n’estoit plus aupres de luy, il pourroit tomber dans des desordres qu’elle auroit sans cesse à se reprocher. Ces raisons estoient d’une Personne tres-sage ; mais son Pere, qui estoit un Homme violent & entreprenant, se lassa d’y déférer. Un jour qu’elle vint le voir, il l’arresta malgré elle, & envoya dire à son Mary qu’il la retenoit pour la mener avec luy le lendemain passer quelques jours à la Campagne. Le Cavalier fit répondre qu’il le laissoit maistre de sa Fille, & qu’il la pouvoit garder autant qu’il voudroit. On fit le voyage, & huit jours apres le Pere revint, la laissant avec sa Mere, & quelques Dames, qui s’empresserent pour la divertir. Elle écrivit plusieurs fois à son Mary, & n’en recevant aucunes nouvelles, elle demanda à revenir seule, puis qu’on ne parloit point encor du retour ; mais elle eut beau presser son depart, elle s’apperçeut bientost qu’on n’estoit pas d’humeur à y consentir, & qu’on la tenoit comme prisonniere. Deux mois se passerent de cette sorte, & son Pere l’estant enfin venu retrouver, luy apprit qu’il l’avoit mise en repos, & que par un Jugement qu’il avoit fait rendre contre son Mary, elle en estoit séparée de biens & de corps. Il avoit beaucoup d’Amis dans la Ville, où il estoit fort consideré ; & le Cavalier qui ne demandoit qu’à vivre sans Femme, s’estant défendu légerement, avoit mieux aimé abandonner une partie de son Bien, que de demeurer dans la contrainte où le retenoit un reste d’honnesteté. La douleur que cette affaire causa à la Belle, fut égale à sa surprise. Les avantages qu’elle en retiroit, ne pûrent la consoler, & elle ne fut pas si-tost de retour, avec son Pere, qu’elle alla chez son Mary, desavoüant tout ce qui avoit esté fait sans qu’on l’en eust consultée, & s’ofrant à demeurer avec luy comme auparavant. Le Cavalier traita sa soûmission de feinte, & d’adresse concertée. Il luy dit que puis qu’elle avoit voulu l’abandonner, c’estoit pour toute sa vie, & qu’elle ne devoit jamais espérer qu’il la reprist. Elle refusa longtemps de retourner chez son Pere, mais il le voulut absolument, & la laissa seule toute en pleurs, avec protestation de ne point rentrer chez luy qu’apres qu’il sçauroit qu’elle en fust sortie. Ce sentiment de vertu qui la faisoit renoncer à son repos, luy attira de fâcheux reproches. Son Pere se prétendit offensé de ce qu’elle condamnoit par cette démarche ce qu’il venoit de faire pour elle ; & toute soûmise qu’elle estoit à son devoir, elle eut à soufrir des deux costez. Sa patience la mit au dessus de ces traverses. Quoy qu’elle sçeust qu’elle s’exposoit à la violente humeur de son Pere en se montrant résoluë à le quitter, elle fit prier vingt fois son Mary de la vouloir recevoir, & ses prieres furent toûjours suivies d’un refus. Il y avoit un an que ce divorce duroit, lors qu’on luy apprit qu’il estoit tombé malade. Elle ne balança point sur ce qu’elle avoit à faire. Son devoir l’occupant uniquement, elle voulut luy servir de Garde, & se rendit dans sa Chambre sans l’avoir fait avertir. Il ne l’eut pas plutost apperçeuë, qu’il tourna la teste de l’autre costé, & quoy qu’elle pust luy dire d’honneste & de tendre, il luy répondit toûjours qu’elle le laissast soufrir en repos. Sa venuë l’avoit si fort agité, & il entra dans une si grande impatience de ce qu’elle s’obstinoit à ne vouloir pas sortir, que les Medecins luy conseillerent de se retirer, dans la peur qu’ils eurent que le secours qu’elle venoit luy ofrir, ne produisist un effet contraire à ce qu’elle souhaitoit. Elle sortit toute en larmes, mais ce ne fut que pour s’arrester dans l’Antichambre, où elle passa les jours & les nuits tant qu’il demeura au Lit, pour prendre soin de ce qui pouvoit le plus contribuer à sa guérison. On n’osa luy dire pendant tout ce temps, ce qu’elle faisoit pour luy ; & quand apres sa santé entierement recouvrée, on luy fit connoistre ce qu’il devoit à cette aimable Personne, il reçeut avec dédain tout ce qu’on luy dit à son avantage, & ne voulut entendre parler d’aucun raccommodement. La Belle contrainte de retourner chez son Pere, eut à essuyer de nouveaux rebuts. Elle les soufrit sans murmurer ; mais quoy que l’austere vertu qu’elle pratiquoit luy fist suporter avec une entiere résignation les infortunes qu’elle méritoit si peu, elle ne put résister longtemps à l’accablement où elles la mirent. Elle tomba insensiblement dans une langueur, qui estant suivie de fiévre, donna bientost lieu d’appréhender pour sa vie. La premiere chose qu’elle fit, fut de demander à voir son Mary. Il dit à ceux qu’on luy envoya, que rien ne pressoit encore, & qu’il la verroit quand il seroit temps. Pendant tout le cours de sa maladie, elle ne parla que du regret qu’elle avoit de ce que son Pere avoit fait en dépit d’elle ; & la violence du mal l’ayant enfin emporté sur l’habileté des Medecins, qui ne luy promettoient pas encore trois jours de vie, elle demanda tout de nouveau, mais avec les instances les plus fortes, qu’on fist venir son Mary. L’état où il sçeut qu’il la trouveroit, ne luy permit pas de refuser ce que souhaitoit une Mourante. Il s’approcha de son Lit, & en voyant la mort peinte sur son visage, il ne laissa pas de remarquer dans ses yeux toute la tendresse qu’une Femme doit à son Mary. Elle le conjura d’abord de luy pardonner la séparation forcée qui avoit pû donner lieu à son entier refroidissement. Elle l’assura qu’elle ne gardoit aucun souvenir des injustices qu’il luy avoit faites ; luy dit qu’elle mouroit d’autant plus contente, que depuis longtemps la vie luy estoit insuportable, non seulement parce qu’elle n’avoit pû se rendre digne de sa tendresse, mais parce que cette vie qu’elle se voyoit preste de quiter, estoit un obstacle à son salut ; que ses assiduitez aupres de la Dame, qui estoit pour luy plus aimable qu’elle, toutes innocentes qu’elle les croyoit, ne laissoient pas de causer un scandale genéral ; qu’il alloit estre en pouvoir de le reparer en l’épousant ; qu’elle le prioit de le faire si-tost qu’elle seroit morte, & en mesme temps de n’avoir des yeux que pour elle seule, & de ne soufrir jamais qu’aucune autre Femme partageast son cœur ; que Dieu qui par sa bonté pardonne souvent les premieres fautes, s’armoit de rigueur contre les secondes ; qu’elle luy souhaitoit dans ce nouveau mariage tout le repos & tout le bonheur qu’elle eust tâché de luy procurer, si elle eust pû se faire aimer veritablement ; & que si apres sa mort, ses prieres pouvoient avoir quelque force, elle n’en feroit que pour attirer sur luy les graces du Ciel. Elle ajoûta beaucoup d’autres choses qui firent pleurer tous ceux qui estoient présens ; & s’estant tournée vers son Confesseur, elle luy parla encore, & expira un quart-d’heure apres. On ne sçauroit exprimer l’effet que ce discours, & la mort qui le suivit, firent sur l’esprit du Cavalier. Il demeura immobile, & dans une espece de stupidité, qui luy osta toute connoissance. Il ne pleura point, il ne parla point, & se laissa remener chez luy sans sçavoir où il alloit. Si-tost qu’il y fut, il se jetta sur un Lit, où ayant passé plus de trois heures sans dire un seul mot, il poussa de longs soûpirs, versa quelques larmes, & dit qu’il estoit le plus criminel de tous les Hommes. Ses Amis le vinrent voir, & crûrent d’abord que sa douleur estoit affectée ; mais il en donna des témoignages si vifs, qu’ils virent bientost qu’il en estoit penétré. Il rappelloit toute la vertu & tout le mérite de sa Femme, & se voyant cause de sa mort, il détestoit l’aveuglement qui l’avoit perdu. La jeune Veuve luy envoya faire compliment, & il pria qu’on luy répondist ce qu’on voudroit. Il passa la nuit dans un état pitoyable, régla tout le jour suivant quelques affaires, & sur le soir, il se retira dans un des plus austeres Convents de la Ville. La plûpart voulurent croire qu’il n’avoit choisy cette retraite que pour mieux cacher aux yeux du monde l’embarras où il estoit d’avoir à se contrefaire, & on se persuada qu’il en sortiroit peu de jours apres. La Veuve le crût comme beaucoup d’autres, & n’en eut pas grande inquiétude ; mais il y passa trois mois entiers sans y vouloir recevoir aucune visite, & on fut fort étonné lors qu’apres ce temps on luy vit prendre l’Habit. Ce changement fit beaucoup d’éclat. Chacun vouloit démentir ses yeux ; & la Dame qui s’estant flatée d’estre maîtresse de ses volontez, avoit peine encore à croire qu’il pust se résoudre à l’abandonner, mais il demeura inébranlable dans sa résolution. L’année de son Novitiat s’écoula, & il fit ses Vœux sur la fin du mois de Juin dernier. La Veuve desesperée d’avoir hazardé sa gloire inutilement, n’a pû soufrir le mépris où elle s’est veuë dans toute la Ville. La honte l’a obligée de se retirer à six lieuës de là dans une Maison de campagne qui est à elle, & on ne croit pas qu’elle en revienne si-tost.

[Etats de Bretagne]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 153-156, 158-161.

Le Roy ayant convoqué les Etats de Bretagne à Vitré, Mr le Duc de Chaunes en fit l'ouverture le Lundy 2. du mois d'Aoust. On avoit dressé dans le Palais un grand Théatre, tendu tout autour de Tapisserie. Au fond du Théatre estoient les Sieges des Présidens des Trois Etats. Mr de Lavardin Evesque de Rennes, occupoit celuy de la droite, comme Président du Clergé. Mr le Marquis de Coislin avoit celuy de la gauche, comme Président de la Noblesse, en l’absence de Mr le Duc de Rohan, qui n’arriva que quatre jours apres ; & Mr l’Aloüé de Rennes estoit au dessous du Clergé, comme Président du Tiers Etat. L’on avoit placé des Sieges élevez, l’un pour Mr le Duc de Chaunes Gouverneur de la Province ; & les autres plus bas, pour Mr de Lavardin Lieutenant de Roy, & pour Mrs les Commissaires. Les Trois Etats estant assemblez, députerent selon la coûtume, vers Mr le Duc de Chaunes, qui estoit logé au Chasteau, pour le prier de venir faire l'ouverture. Il se rendit au Palais, accompagné de Mrs de Lavardin & de Caumartin, Commissaires du Roy, & de beaucoup de Personnes de la premiere qualité, précedé des Maréchaussées, à la teste desquelles estoit Mr le Grand Prevost, & de ses Gardes, ayant leurs Casaques vestuës, & le Mousquet sur l’épaule. Lors qu’ils furent arrivez à la Porte du Palais, les Etats députerent les plus considérables de leurs Corps pour les recevoir. Ils entrerent au son des Trompetes, & ayant salüé les Dames qui estoient dans un lieu élevé, ils prirent chacun leurs places.

[...] Le reste du jour fut employé à se divertir. Les Trompetes, les Hautbois, & les Violons, se faisoient entendre par tout. Les Dames estoient dans leur plus magnifique ajustement, & parmy elles on voyoit briller Madame de Lavardin, & Madame la Marquise du Bois de la Roche. Le Lendemain, les Etats s'assemblerent, & les Tables estant ouvertes, il se trouva grande Compagnie au Dîné de Mr le Duc de Chaunes, qui fut servy au son des Trompetes, & des autres Instrumens. Chacun ne pensoit qu'à faire grand'chere, lors qu'une Lettre qu'on luy apporta le fit changer de visage. Tout le monde remarqua que cette Lettre luy apprenoit quelque chose de fâcheux. Ce Duc soûpira, & dit tout haut ; Trompetes, Hautbois, & Violons, taisez-vous ; & vous, Messieurs, pleurez avec moy la perte que la France vient de faire par la mort de la plus grande, de la plus sage, & de la plus pieuse Princesse, qu'elle ait jamais euë pour Reyne. On sortit de table, & ce fut bientost dans toute la Ville une désolation genérale. Chacun prit le deüil, & on congédia les Comédiens qui devoient faire ce jour-là l'ouverture de leur Théatre. Les Etats ont duré un mois, & pendant ce temps on a travaillé aux Affaires de la Province.

[Suppression des activités théâtrales dans les collèges suite à la mort de la reine]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 162-165

La mort de la Reyne ayant causé un deüil general en France, on en a donné des marques par tout, & en toutes choses. Je vous ay déja mandé que cette mort avoit fait suprimer dans les Colleges les Jeux de Théatre, qui précedent tous les ans la distribution des Prix. Cette distribution se fit au College d’Harcourt le Mardy 24. du dernier mois, apres qu’on eut fait entendre les Eloges de cette vertueuse Princesse. Ils tinrent lieu de la Tragédie que l’on devoit représenter dans la Court, & dont les préparatifs estoient déja fort avancez, lors que cette perte changea toutes les réjoüissances en tristes regrets. L’on abatit le Théatre qui devoit servir à la Tragédie, & l’on en dressa un autre dans la Salle, sur lequel Mr le Chevalier Turgot de S. Clair prononça une Oraison funebre, avec autant de grace que de hardiesse. Toute l’Assemblée qui estoit nombreuse, & composée de Personnes considérables par leur qualité & par leur sçavoir, luy marqua par ses loüanges combien on estoit content de cette Action. Douze autres reciterent des Vers Latins & François de plusieurs sortes, & ils furent tous écoutez avec plaisir. La Salle estoit tendue de noir, avec des Ecussons aux Armes de la Reyne. Il y avoit une tres-belle Décoration en peinture, éclairée de plusieurs Lustres, & dans le fond du Théatre estoit la représentation d’un magnifique Tombeau.

[Lettres du Parlement, de la Cour des Comptes et des marchands au roi sur la perte de la reine]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 165-171.

Les Députez du Parlement, de la Chambre des Comptes, de la Cour des Aydes, & de la Cour des Monnoyes, s’estant rendus à Fontainebleau, y firent les Complimens à Sa Majesté sur la mort de la Reyne le Mercredy 18. Aoust. Ils furent conduits à l’Audience par Mr le Marquis de Rhodes Grand-Maistre des Cerémonies, & par Mr de Saintot Maistre des Cerémonies. Mr le Marquis de Seignelay, Secretaire d’Etat, les présenta. Voicy ce que Mr de Novion, Premier President du Parlement, dit au Roy.

SIRE,

Il faut que Dieu ait bien aimé la France, pour luy donner un Roy commeVôtre Majesté. Il faut que la France l’ait bien offencé, pour luy oster une Princesse aussi vertueuse que la Reyne. Vostre valeur, SIRE, est venuë à bout de tout ce qu’Elle a entrepris. Rien ne luy a pû résister ; le Ciel n’a jamais rien refusé aux prieres de la Reyne. Quand Elle estoit parmy nous, tous ses souhaits estoient pourV. Majesté ; & dans le Ciel où elle est, nous sçavons que ses vœux seront toûjours François. Nous espérons, SIRE, que c’est icy la derniere perte que fera V. Majesté, & que ce que le Ciel a retranché des jours de cette grande Reyne, sera joint aux vostres pour les prolonger. Régnez, SIRE, régnez heureux. Régnez longtemps pour nostre bonheur, & pour celuy de la France. Ce sont les souhaits que font incessamment pour V. Majesté ses tres-humbles, tres-obeïssans & tres-fidelles Sujets.

Ce Compliment reçeut beaucoup d’aplaudissemens. Il me seroit inutile d’en rien dire, puis qu’il parle assez de luy-mesme. Ceux de Mr Nicolaï, Premier Président de la Chambre des Comptes, & de Mr le Camus, Premier Président de la Cour des Aydes, leur attirérent de grandes loüanges. Mr de Chauvry, Premier Président de la Cour des Monnoyes, fit en ces termes les Complimens de sa Compagnie.

SIRE,

Nous estions encore dans la joye de l’heureux retour deV. Majesté ; elle paroissoit sur nos visages, & sa conduite merveilleuse faisoit nostre plus ordinaire entretien. A présent tout est malheureusement changé. On voit une consternation publique & universelle. L’exemple de la charité & de la bonté, la vertu & la pieté mesme, n’est plus, & dans cet accident funeste il ne nous reste que des pleurs & des gémissemens. Nous n’entreprenons pas, SIRE, la consolation d’une perte aussi sensible que celle que V. Majesté vient de faire Elle la trouvera dans la grandeur de son ame, & dans la force de son esprit. Nous venons nous consoler nous-mesmes par la présence de V. Majesté. Elle et la source de nos espérances, & le remede à nos maux. Nous la suplions avec un profond respect, d’agréer le devoir, que luy rend en cette occasion de douleur, une Compagnie pleine de zele & d’affection pour son service.

[Compliments de l’Académie Française au roi, au dauphin et à la dauphine sur la perte de la reine]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 179-195.

Le Roy ayant marqué le 28. du mois d’Aoust, pour recevoir le Compliment de l’Académie Françoise sur la mort de la Reyne, cette Compagnie se rendit à Fontainebleau le jour de devant, & le matin du 28. elle s’assembla dans la Salle des Suisses, proche celle des Gardes du Corps. Sur les dix heures du matin, Mr le Marquis de Rhodes, Grand-Maistre des Cerémonies de France, l’y vint prendre, & se joignit à Mr Charpentier, qui devoit porter la parole, & qui marcha accompagné de Mr l’Evesque de Meaux, Chancelier de la Compagnie. Ensuite marcherent selon l’ordre de leur reception, Mrs le Villayer Doyen des Conseillers d’Etat, le Duc de Saint Aignan, l’Abbé Testu, l’Abbé Tallement le jeune, le Marquis de Danjeau, l’Abbé Renier, Quinault, Mr l’Archevesque de Paris, Mrs Perrault, l’Abbé Fleschier, Racine, & Rose Secretaire du Cabinet. Mr le Marquis de Seignelay, Secretaire d’Etat, qui les vint recevoir à la Porte de la Chambre, les présenta au Roy qui estoit assis, ayant à sa droite Monseigneur le Dauphin, debout & à gauche Monsieur le Duc & plusieurs autres Princes & Seigneurs ; & apres deux profondes revérences, Mr Charpentier dit.

SIRE,

Il est arrivé enfin dans la vie deVostre Majestéun évenement dont il nous seroit plus avantageux de nous taire que de parler. La sagesse de vos Conseils, la prosperité de vos Armes, vos Victoires, vos Triomphes, ont servy jusqu’à présent de matiere à nos discours. Nous n’avons esté en peine que de trouver des paroles assez nobles pour répondre à la dignité de nostre sujet ; aujourd’huy, SIRE, nous n’en sçaurions trouver qui répondent à l’excés de nostre douleur ; & l’occasion qui nous amene devant V. M. semble ne demander que le silence. Il faut étouffer dans le fonds de nos cœurs nos plus tendres ressentimens, pour ne point aigrir la playe dont toute la France vient d’estre frapée. Il faut dérober à l’incomparable Reyne que nous pleurons, les Eloges qui luy sont deubs, de crainte de retracer à vos yeux les funestes images de sa mort précipitée. Pardonnez-moy donc, Divine Princesse, qui m’entendez du Ciel, où vous serez desormais un des Anges tutelaires de la France, si parlant dans un Palais dont vous avez esté le bonheur & l’ornement, je ne dis rien, ny de vostre auguste naissance, ny de vostre fervente pieté, ny de vostre tendresse cordiale envers les Pauvres, qualité si rare dans les Personnes de vostre rang, ny de vostre heureuse fécondité qui a affermy le bonheur de l’Etat, ny de tous les autres avantages périssables que la chair & le sang vous avoient donnez, ny de toutes les Couronnes que vous avez portées, puis que vous en possedez une dans le sein de la Divinité, qui efface l’éclat de toutes les autres. Pardonnez-moy, si je ne m’attache point à tant de titres sublimes, qui vous avoient élevée presque au dessus de la condition humaine ; aussi-bien, dans quel esprit pourrois-je l’entreprendre en présence de vostre auguste Epoux ? Si c’est pour exagérer la grandeur de vostre perte, ne l’a-t-il pas sentie plus vivement que nous ? Si c’est pour l’en consoler, est-ce de nous qu’il attend les grandes résolutions qu’il sçait prendre ? Non, SIRE, vostre constance ne doit point estre l’effet des exhortations d’un Orateur, elle ne peut estre que le fruit de vostre propre courage. Tout est original dans les Héros comme vous ; ils font les grands exemples, ils ne les imitent point. Leurs actions sont les idées de nos préceptes, nos préceptes ne sont point les motifs de leurs actions. Le Ciel qui veille si visiblement sur vostre Personne sacrée, & qui vous a fourny les occasions d’exercer tant de vertus de magnificence & d’éclat, vous devoit aussi faire naître une occasion pour exercer vostre patience & vostre force. Il l’a fait, SIRE, en un temps que V. M. ne s’y attendoit pas. Il vous a surpris par cette visite douloureuse ; Eh combien de fois vous a-t-il surpris par des victoires & par des conquestes au dela de vostre espérance ? Peut-estre qu’en ce moment mesme il vous prépare quelque nouvelle gloire que toute la prudence humaine ne sçauroit dècouvrir. C’est par ces coups impréveus, qu’il distingue du commun des Roys, ceux sur qui il imprime plus efficacement le sceau de sa toute-puissance. Il ne faut rien que de surprenant, il ne faut rien que d’extraordinaire dans une vie toute pleine de miracles.

En suite, l’Académie passa dans le mesme ordre à l’Apartement de Monseigneur le Dauphin, à qui Mr Charpentier dit.

MONSEIGNEUR,

L’Académie Françoise auroit fort desiré, que la premiere fois qu’elle vous rend ses tres humbles respects, c’eust esté pour un sujet moins triste que celuy-cy. Mais son devoir ne luy laissant pas liberté du choix, elle se tient toûjours tres-honorée de paroistre devant Vous, en un temps où les Premieres Compagnies du Royaume s’empressent de vous témoigner la part qu’elles prennent à vostre douleur. Les faveurs que nous avons reçeuës deLoüis le Grand, ont surpassé nos espérances, & nous devrions vous en parler, si nous osions mesler nostre reconnoissance avec la tristesse, & si vous pouviez maintenant écouter autre chose que des soûpirs & des plaintes. La mort de nostre auguste Reyne, occupe aujourd’huy toutes vos pensées & toutes les nostres, & nous croirions mesme faire un effort injuste, si nous voulions nous opposer aux mouvemens de vostre tendresse & de vostre pieté. Il faut, Monseigneur, vous laisser le temps de vous accoûtumer à une séparation si amere & si peu attenduë. Il faut vous laisser le temps de profiter des secours que vous pouvez tirer de la Philosophie & de l’étude des belles Lettres. Veritablement à vous regarder de ce costé-là, vous paroissez invincible aux passions, apres vous estre fortifié avec tant de soin contre toutes leurs attaques. Mais à dire la verité, la Philosophie n’a point pour but, d’éteindre dans un bon cœur, tous les sentimens que la Nature inspire. Elle ne défend point au Sage de s’affliger quelquefois, elle ne prétend pas le transformer en une Plante insensible, ou en une Statuë qui marche. Il est juste, il est honeste, de sentir vivement les grandes pertes, qui ne se peuvent jamais reparer. Permettez-nous seulement de vous dire, Monseigneur, que le Fils deLoüis le Grandne doit point avoir de douleur inconsolable, tandis que le Ciel nous conservera son auguste Pere.

De là, cette Compagnie toûjours conduite par le Grand-Maistre des Cerémonies, se rendit chez Madame la Dauphine, à laquelle Mr Charpentier parla en ces termes.

MADAME,

La perte que la France vient de faire, vous doit avoir esté tres-sensible. Vous avez perdu la meilleure de toutes les Meres, nous avons perdu la plus vertueuse de toutes les Reynes. Ceux qui s’approchent des Personnes de vostre rang en de pareilles occasions, semblent avoir dessein de les consoler. Oseray-je dire, Madame, que c’est aujourd’huy tout le contraire, & que c’est Vous qui nous consolez ? Le Prince que vous nous avez donné, celuy que nous attendons de Vous, sont les remedes infaillibles à nostre douleur. Par ces gages précieux, le Sang deLoüis le Grandest assuré à nos Descendans, il n’y a point de tristesse qui puisse tenir contre cette pensée. D’ailleurs,Madame, qui peut nier que la DivineThereseen disparoissant à nos yeux, ne soit entrée dans la gloire ? C’est de là qu’Elle obtiendra de nouveaux Triomphes à son auguste Epoux, à son cher Fils, & à toute vostre Royale Postérité. Donnons donc à la Nature & à la coûtume, les larmes, les crêpes, & tout cet appareil funebre ; mais gardons-nous bien de pleurer à la maniere ordinaire, une Princesse dont le nom sera réveré sur nos Autels, & dont la mort fera quelque jour une de nos Festes.

Ces trois Discours reçeurent les applaudissemens de toute la Cour, & vous ne vous en étonnerez pas, Madame, sçachant qu’ils sont de Mr Charpentier. Les beaux Ouvrages qu’il a publiez par le passé, & les deux Volumes qu’il vient de nous donner touchant l’Excellence de la Langue Françoise, justifient assez que sa réputation n’est pas établie par cabale.

[Des livres de M. Charpentier]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 195-197.

Vous serez peut-estre bien-aise de sçavoir le jugement qu’un grand Ministre d’Etat avoit fait de ce dernier Ouvrage peu de temps avant sa mort, quand il dit, Que l’éloquence avec laquelle Mr Charpentier avoit soûtenu l’Excellence de nostre Langue, estoit la plus convaincante de ses preuves ; je ne vous en diray pas davantage, puis qu’il n’y a pas deux avis sur ce sujet. Il vous souviendra sans-doute, qu’il y a cinq ou six ans, que Mr Charpentier fit imprimer un autre Livre, intitulé Défence de la Langue Françoise, pour l’Inscription de l’Arc-de-Triomphe, dans lequel il fait voir par des argumens invincibles, que l’Arc-de-Triomphe qu’on éleve à la gloire de Sa Majesté, doit estre accompagné d’une Inscription Françoise. C’est ce premier Volume qui a fait naître les deux derniers, où il acheve d’établir si fortement le mérite & les droits de nostre Langue, qu’il n’y a plus que la prévention & l’opiniâtreté qui s’y puissent opposer.

[Décoration de l’église aux funérailles de la reine]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 244-270.

Il faut vous dire présentement en peu de mots quelle estoit la Décoration de l’Eglise, dont l’invention est deuë au Pere Menestrier Jesuite.

A l’entrée du Chœur estoit une Perspéctive, qui faisoit paroistre un Temple ouvert. On voyoit des deux costez les Tombeaux des Roys de France. Les Images de la Mort, & de l’Immortalité, portoient une Inscription Latine, qui faisoit entendre ce qui suit. Manes des Monarques inhumez dans ces Tombeaux, venez au devant du Corps de Marie-Thérese, Reyne de France. Voila où se réduisent toutes les grandeurs de la Terre. La Majesté Souveraine qui par tout ailleurs est si puissante & si réverée, n’est icy qu’un peu de cendre.

Dans un Fronton élevé au dessus de ce Temple, paroissoient les Saints de la Maison Royale, sçavoir, Clovis, Dagobert, Charlemagne, Robert, S. Loüis, Sainte Bathilde, Sainte Radegonde, Sainte Isabelle Sœur de S. Loüis, la Reyne Blanche leur Mere, & plusieurs autres. Ils montroient tous un Trône de lumiere préparé pour l’ame de la Reyne. Il y avoit au dessous du Trône quelques mots Latins, qui sembloient faire dire à tous ces Saints, comme s’ils eussent parlé à la Reyne,

Passez d’un Trône à l’autre, & régnez parmy nous.

Au dessus de ce Fronton estoient des Ecussons de la Reyne, & l’on voyoit une Teste de Mort avec des aîles de Chauvesouris dans le haut, qui séparoit les Armoiries de France & d’Espagne. On voyoit aussi pour simboles de la Résurrection, une Croix entre deux Lampes allumées, Elle surmontoit un Globe du Monde. Deux Phares allumez sur des Rochers, exprimoient la mesme chose.

On avoit opposé huit Devises les unes aux autres, & ces Devises marquoient l’incertitude de cette vie, & l’espérance de la vie eternelle, dont joüissent les Bienheureux. Elles avoient toutes pour ame des paroles Latines, que vous trouverez icy renduës par autant de Vers François.

La premiere estoit une Horloge de sable.

Son cours se précipite en ce Vase fragile.

La seconde, qui luy estoit opposée, faisoit paroistre un Oyseau de Paradis, qui déchargé des soins de la vie, ne regarde que le Ciel.

Je vivray pour le Ciel, en vivant de l’Esprit.

La troisiéme, un Bucher d’Apothéose, où les Romains brûloient les Corps de leurs Empereurs, avec des dorures, des parfums, & des meubles prétieux.

Et tout cela bientost ne sera plus que cendre.

La quatriéme, le mesme Bucher, d’où une Aigle s’élevoit, si-tost que le fil qui l’y retenoit, estoit brûlé.

Au milieu de la mort il conserve sa vie.

La cinquiéme, un Arc-en-Ciel.

D’un grand éclat, mais de peu de durée.

La sixiéme, un Flambeau fumant, qui se rallumoit à un autre.

Et d’un peu de fumée il tire un grand éclat.

La septiéme, la constellation de Cassiopée, où l’an 1572. parut une nouvelle Etoile, qui ne fut veuë que pendant deux ans.

Où jadis on la vit, elle ne paroist plus.

L’Echelle de Jacob, au haut de laquelle ce Prophete vit la Divinité, & par laquelle montoient & descendoient des Anges.

Le Ciel nous l’a donnée, & le Ciel la retire.

Deux Inscriptions, & deux Revers de Médailles, estoient aux bases des Piédestaux. La premiere Inscription vouloit dire, Sa mémoire sera immortelle, parce qu’elle a esté connuë de Dieu & des Hommes. La seconde, Tandis qu’elle a vescu, elle a esté un Modele à imiter. On la desire apres sa mort, & entrant dans l’Eternité, une Couronne immortelle y fait son triomphe.

Le premier Revers estoit d’une Médaille de Tite. La Paix que l’on y voyoit représentée avec ces mots, Pax æterna, faisoit connoistre que la Paix qu’elle nous avoit apportée par son Mariage, luy avoit fait mériter une Paix eternelle dans le Ciel. L’autre Revers estoit une Imitation d’une Médaille de Trajan, & d’une autre de Pertinax. On voyoit la Reyne tendre les bras à un Globe qui descendoit du Ciel, & fouler aux pieds un autre Globe, avec ces paroles, Providentiæ augustæ, pour faire entendre que par une sage prévoyance, la Reyne avoit pensé à l’Eternité au milieu des plaisirs du monde. Sur la frise régnoient quelques mots Latins, qui signifient,

Pratiquer la vertu, c’est se rendre immortel.

Le reste de la Nef, qui estoit toute tenduë de deüil depuis le haut jusqu’au bas, avoit pour ornemens de grandes Armoiries de cette Princesse, avec des Sceptres croisez, & au dessus une Couronne Royale.

Une Chapelle ardente, composée de six Colomnes de lumieres, estoit dans le Chœur au dessus du Corps, avec autant de Consoles, qui portoient une Pyramide de lumiere. On n’y avoit point dressé de Mausolée, parce que toute l’Eglise sert de Mausolée par elle-mesme à nos Roys & à nos Reynes. Ainsi l’on n’y fait jamais qu’une Chapelle ardente.

Au dessus des six Colomnes, élevées au zele, à la charité, à la pieté, & aux autres vertus de la Reyne, comme autant de monumens des victoires qu’elle a remportées sur les grandeurs & les vanitez du monde, estoient l’Image & les Chifres de cette Princesse, & au dessus de son Corps, une Couronne de lumiere, avec des paroles de l’Ecriture, qui marquoient que cette Couronne ne luy seroit jamais ostée.

Quatre Devises faisoient l’ornement des quatre costez de cette Chapelle ardente.

La premiere, représentée par une Flâme de feu, estoit pour la Reyne.

Elle estoit pour le Ciel, & non pas pour la Terre.

La seconde estoit un Phénix mourant.

Si je meurs, c’est le sort des choses naturelles.

La troisiéme, un Phénix qui renaissoit en regardant le Soleil.

Et je dois au Soleil une immortelle vie.

La quatriéme, pour Monseigneur le Dauphin, estoit a constellation du Dauphin attachée à la Voye de lait.

Attaché par amour, & par reconnoissance.

Seize Figures couchées sur les ceintres des huit Arcades qui entourent le Chœur, représentoient les divers avantages de la Fortune, que la Reyne n’avoit regardez que comme des moyens offerts pour arriver à une plus parfaite pratique de la vertu.

La Naissance estoit représentée par une Figure, dont l’Habit estoit semé des Tours de Castille, & des Lyons de Léon. Elle tenoit une Branche de Grénadier, dont les Fruits sont couronnez.

Le Rang avoit son Habit semé d’Etoiles. Les Etoiles sont toûjours placées dans le mesme ordre.

L’Autorité tenoit un Caducée.

La Puissance avoit un Faisceau Romain.

La Majesté, le Sceptre & la Couronne.

La Magnificence, son Habit semé de Lys.

L’Abondance, sa Corne pleine de Fruits.

Le Mariage, son Habit semé de Jougs & de Cœurs entrelassez de Nœuds d’amour.

L’Indépendance, une Robe volante sans ceinture, avec une Hirondelle à la main.

La Reputation estoit peinte comme la Renommée.

La Conduite avoit Niveau entre les mains, & le Cofret des Sceaux pour le Secret.

Le Domaine avoit son Habit en Carte de Géographie.

Le Repos estoit dans la posture d’un Homme dormant, avec des Pavots en main.

La Délicatesse avoit son Habit semé de Fleurs, & un Voile delié.

La Distinction, son Habit en Echiquier.

La Félicité, ses Simboles ordinaires.

Le Chœur estoit tendu de noir, avec trois Lez de Velours, chargez de Larmes d’argent, de Fleurs-de-Lys d’or, de Chifres & Armoiries de la Reyne, de Testes de Mort, d’Ossemens croisez, & de Festons de crêpe, pendans au dessous des Consoles. Vous observerez, Madame, qu’il n’y a que les Souverains qui ayent ces trois Lez ou Bandes. On en met ce nombre, pour marquer leurs trois supérioritez sur les trois Etats du Royaume.

Il y avoit de grands Draps noirs placez au dessous des Chaises du Chœur, avec ces dix-neuf Devises sur les principaux évenemens de la vie de la Reyne, & sur ses vertus.

Pour sa naissance le 20. Septembre. Le Globe de la Terre sous le Signe de la Balance.

Tout est auguste en vous depuis vostre naissance.

Pour les vertus de son enfance. Le Soleil levant.

En un moment tout paroist lumineux.

Pour ses premieres actions. Le Plan d’un grand Bastiment.

On voit quelle sera son élevation.

Pour son Mariage. Une Pistole d’Espagne, qui sous le Balancier des Monnoyes, change de figure, & devient un Loüis d’or.

Il m’est avantageux de changer de figure.

Pour son respect envers le Roy. Un Girasol qui suit le Soleil, la teste panchée.

Son respect est amour, & son amour respect.

Pour la naissance de Monseigneur le Dauphin. Une Perle dans une Nacre.

Ce Fruit est digne d’elle, & digne des Couronnes.

Pour ses soins donnez également à Dieu & au Roy. Un de ces Tableaux canelez à trois figures, dont l’une est un Christ ; l’autre, le Roy ; & celle du milieu, la Reyne.

Sous diférens aspects on y voit l’un & l’autre.

Pour ses Communions fréquentes. La constellation du Poisson Austral, qui selon les figures de nos Globes, voit un Fleuve de lumiere dans le Ciel.

Sa nourriture est celeste & divine.

Pour sa conduite reglée en toutes choses. Un Compas de proportion.

Rien sans mesure & sans proportion.

Pour son obeïssance envers Dieu, accompagnée de la crainte de l’offencer. Une Boussole, dont l’Eguile cherche le Pôle en tremblant.

C’est en tremblant qu’elle suit ses attraits.

Pour l’accord de ses plus petites actions de pieté avec celles de cerémonie. Une Harpe, dont les Cordes inégales de Basses & de Dessus, font un Concert agreable.

Quel accord merveilleux de Cordes inégales !

Pour sa charité envers les Pauvres. Une Grénade ouverte, d’où sortent les grains.

L’abondance du cœur fait ses profusions.

Pour sa puissance, qui estoit plutost un effet de sa vertu que de sa grandeur. Une Pierre d’Ayman.

Son pouvoir est l’effet d’une vertu secrete.

Pour cette mesme puissance. Le Roy des Abeilles, qui n’ayant point d’éguillon, ne laisse pas de se faire suivre par amour.

L’exemple est l’Eguillon qui par tout le fait suivre.

Pour son sage discernement dans le choix des Personnes, & la pratique des choses. Une Main qui tient la Balance d’un Trébuchet pour peser des Pieces d’or, & qui a aupres une Pierre de touche pour les éprouver.

Pour en faire un bon choix, & pour les bien connoistre.

Pour son desir ardent de voir Dieu. Le Soleil caché sous des nuages, & un Aigle qui le cherche.

Le desir de le voir, l’oblige à le chercher.

Pour l’innocence de sa vie. La Voye de Lait.

Ce qu’on en voit n’est que lumiere.

Pour son application à faire justice à tout le monde. Un Bastiment commencé, avec un Equerre, un Plomb, une Regle, &c.

Que de soins pour le rendre agreable & solide !

Pour le temps qu’elle donnoit à penser à la mort. Une Chapelle ardente, avec une Représentation, sur laquelle estoient une Couronne & un Sceptre.

Il ne reste des Roys que ces tristes dépoüilles.

Pour sa mort. Un Bastiment achevé, où l’on met le couronnement.

Apres un long travail, la fin est la Couronne.

On voyoit un superbe Pavillon entre le Daiz qui couvroit l’Autel, & celuy que l’on avoit élevé au dessus de la Chapelle ardente. Les Pentes de ce Pavillon, qui estoit semé de Larmes & de Fleurs-de-Lys, & bordé d’Hermines, estoient attachées aux quatre Piliers de la grande Croisée de l’Eglise, & servoient comme de Couronne au lieu où se devoient faire les Cerémonies. Toute cette enceinte estoit flanquée de quatre Pyramides, chacune à deux faces, feintes de marbre, & semées de Larmes, avec huit Camayeux antiques pour ornemens.

[Cérémonie funèbre à Saint-Denis]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 270-271.

Toutes les choses estant ainsi disposées, & les séances ayant esté prises, Mr l'Evesque de Langres, qui avoit officié pontificalement aux Vespres & aux Vigiles, que les Religieux de l'Abbaye avoient chantées le jour précedent, commença la Messe, revestu de ses Habits Pontificaux. Mrs les Evesques de Troyes & de S. Omer, en Chape & en Mitre, luy servirent d'Assistans ; & ceux de Châlons & de Boulogne, firent les fonctions de Diacre & de Sous Diacre, l'un & l'autre en Dalmatique. Ses Aumôniers, les Officiers de la Chapelle de la Reyne, & plusieurs Religieux de l'Abbaye, faisant Chœur avec la Musique de la Chapelle & de la Chambre du Roy, estoient aussi Assistans.

[Devises de l’abbé Tallemant]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 294-303.

Vous ne seriez pas contente, si je n’ajoûtois toutes ces Devises avec leur raport aux Inscriptions. Rien ne peut estre plus digne de vôtre curiosité, puis qu’elles sont de Mr l’Abbé Tallemant le jeune, de l’Academie Françoise, Intendant des Devises du Roy.

Marie-Thérese d’Austriche.

Un Jet d’eau fort élevé, & ces paroles pour ame,

Sublimes arguit ortus.
Il montre en s’élevant, la hauteur de sa source.

Les nobles & admirables qualitez de la Reyne marquoient la grandeur de sa naissance.

Reyne de France & de Navarre.

Un Lys, & ces mots,

Candore imperat.
Il est par sa blancheur préférable à toute autre.

La candeur & la vertu de la Reyne, la rendoient digne de commander.

Tres-digne Epouse de Loüis le Grand.

Une Aigle.

Una hæc digna jove.
Seule elle a mérité le choix de Jupiter.

La Reyne seule estoit digne d’estre l’Epouse de Loüis le Grand.

Sa tres-chere Compagne.

L’Etoile de Vénus.

Comes fidissima solis.

Elle ne quitte point le grand Astre du jour.

Cette Devise s’explique par elle-mesme.

De laquelle il n’a jamais reçeu aucun déplaisir que celuy de sa mort.

Un Oyseau de Paradis.

Terris morari metuens.

S’arrester sur la Terre, est ce qu’il craint le plus.

Cet Oyseau estant sans pieds, craint de s’arrester sur la Terre, de peur de ne pouvoir plus s’élever pour prendre son vol. Il semble que la Reyne ne soit morte si jeune, que parce qu’elle craignoit de s’attacher aux grandeurs, si elle s’arrestoit trop sur la Terre.

Mere auguste de Monseigneur le Dauphin.

Un Phénix qui se consume sur son Bucher.

Non omnis moritur.

Il ne meurt pas entier, il laisse son semblable.

La Reyne ne meurt pas tout-à-fait, puis qu’elle nous laisse un Fils heritier de ses vertus.

Femme d’un rare exemple.

La Reyne des Abeilles qui suit son Essain.

Omnibus exemplum præbet.

A toutes, sans relâche, elle donne l’exemple.

La Reyne estoit exacte à tous ses devoirs, & servoit d’exemple à toute la Cour.

Tres pieuse.

Un Cierge allumé sur un Autel.

Tota sacris vita.

Il se consume entier pour les sacrez Offices.

La Reyne employoit toute sa vie aux exercices de pieté.

Tres-illustre.

Une Grénade qui créve.

Clarior dum dissolvitur.

Ce qui la fait périr, augmente son éclat.

La Reyne devient plus éclatante par sa mort, puis qu’elle partage dans le Ciel la gloire des Saints.

Née pour le bien du Royaume.

Une Perle dans sa Nacre.

E cælo delapsum munus.

Le Ciel par sa rosee a soin de la former.

La Reyne est un veritable don du Ciel.

Uniquement attachée à la France.

Un Cygne sur une Riviere, suivy de ses Petits.

Tota suis, patriæ immemor.

Tout aux Siens, sans songer aux lieux de sa naissance.

Comme cet Oyseau, dés qu’il a fait ses Petits, ne conserve plus aucun desir de retourner aux lieux où il est né, la Reyne n’avoit dans le cœur que l’intérest de la France, par l’attachement qu’elle avoit pris pour le Roy, & pour Monseigneur le Dauphin.

Tres fidelle à la Religion.

Un Phare.

Dirigit errantes.

Au milieu des écueils je montre le chemin.

La Reyne montre à toutes les Reynes, & à tous ceux qui vivent dans les vanitez & dans les grandeurs, le chemin qu’ils doivent tenir pour se sauver.

Recommandable par toutes sortes de vertus.

Une Boussole.

Cælo medijs in fluctibus hærens.

Toûjours malgré l’orage elle est tournée au Pôle.

La Reyne, au milieu de la Cour, estoit uniquement attachée à Dieu.

La France affligée.

Une Hirondelle qui passe la Mer.

Tempora læta, valete.

Apres l’avoir perduë, il n’est plus de beaux jours.

L’application de cette Devise est aisée.

Pleurant sa perte trop précipitée.

Une Flâme.

Impatiens cælo reddi.

Le Feu cherche toûjours à monter à son centre.

La Reyne attachée à Dieu, semble avoir eu impatience de se joindre à luy.

Luy rend si-tost, contre son attente, les derniers devoirs.

De l’Encens qui brûle sur un Autel.

Deo moritur.

Il meurt pour rendre à Dieu le Culte qu’on luy doit.

La Reyne meurt pour aller à Dieu.

[Mort de Colbert : la création de l’Académie des Sciences et des gratifications aux gens de lettres]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 332

Il établit une Académie des Sciences, comme du temps du feu Roy on en avoit étably une pour la Langue Françoise. Il fit bastir l’Observatoire pour la plûpart de ceux qui composent cette Académie des Sciences, & donna un fond pour faire chaque année des gratifications aux Gens de Lettres, tant François qu’Etrangers.

[Mort de M. Pelletier, amateur de belles lettres]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 360

On doit estre convaincu qu’un Homme qui aime les belles Lettres comme Mr le Pelletier, n’a rien fait faire qui ne soit tres-digne d’estre conservé. Le Public sçait que celles des Fontaines, qui sont de Mr de Santeüil, ont esté fort estimées. Je dois, à propos de ces Inscriptions, vous dire une chose surprenante de la modestie de Mr le Pelletier.

[Madrigal de M. Magnin sur Louvois]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 377-378

Mr Magnin, Conseiller au Présidial de Mâcon, a fait une Devise sur la promptitude de ce vigilant Ministre à exécuter les desseins du Roy. Un Eclair qui sort de la Nuë en fait le corps, & elle a ces mots pour ame,

Præcursor fulminis erit.

Le mesme Mr Magnin en a donné l’explication par ce Madrigal.

 Une activité surprenante
  Le fait passer en un instant
 De l’Orient à l’Occident ;
 Par tout il seme l’épouvante.
Du Tonnerre, en marchant, il annonce le bruit ;
Dés qu’on le voit paroistre, on n’a qu’à se résoudre.
Le Monarque des Cieux, dont l’esprit le conduit,
Ne fait pas apres luy toûjours suivre la Foudre,
 Mais tres souvent elle suit.

[Seconde Partie des Dialogues des Morts]* §

Mercure galant, septembre 1683 [tome 10], p. 380-385.

Enfin, Madame, je vous envoye la Seconde Partie des Dialogues des Morts, si souhaitée, & tant de fois demandée depuis six mois. Quand elle n’auroit pas esté déja fort avancée dés le temps que la Premiere parut, l’Autheur n’auroit pû la refuser à l’empressement du Public, qui s’est imaginé qu’il devoit une Suite au grand & presque incroyable succés de ses premiers Dialogues, & qui l’a attenduë, comme ne pouvant douter qu’il ne la donnast. Ainsi il s’est senty obligé à revoir avec grand soin ce qu’il avoit déja fait de cette Seconde Partie, & à la continuer. Ce travail est d’autant plus long & plus pénible, que ne s’agissant que de Faits, il faut sçavoir à fond l’Histoire genérale du monde. Un seul Dialogue renferme la Vie de deux grands Hommes, ou de deux Personnes distinguées par des choses, dont la mémoire se conservera eternellement, & bien souvent mesme l’Histoire de tout un Siecle s’y trouve dépeinte. Comme ces deux Volumes contiennent une espece de Recueil des plus belles actions des grands Hommes, ou de ce que d’autres ont fait de sottises éclatantes, le Public y peut beaucoup profiter, & s’instruire en se divertissant. La Morale qui rebute ordinairement le beau Sexe, est si agreablement meslée dans l’un & dans l’autre, qu’elle y est leuë des Dames avec beaucoup de plaisir. Ce n’est pas assez que de ramasser des traits historiques, il en faut trouver qui frapent, & qui donnent lieu à cette Morale insinuante qui se fait sentir d’abord par les veritez qu’elle découvre. Ce sont ces traits fort heureusement choisis, qui font estimer ces Dialogues. On en peut faire de tres-galants, & qui seront mesme tres-bien écrits ; mais comme ces sortes d’Ouvrages veulent plus de Faits resserrez avec esprit, que de Discours étendus avec moins de Faits, je ne sçay si l’assortiment seroit semblable, & si l’on n’y remarqueroit pas la diférence qu’il y eut toûjours d’un Original à une Copie. Quoy qu’il en soit, en vous envoyant la Seconde Partie des Dialogues, je ne vous dis point ny qu’elle est meilleure, ny qu’elle est moins bonne que la Premiere. C’est ce qui me paroist impossible de décider. Si ces deux Parties ne contenoient chacune qu’un Dialogue, la matiere pourroit rendre l’une plus agreable, & mesme plus forte que l’autre, sans qu’il y eust de la faute de l’Autheur ; mais je ne croy pas que de deux Volumes contenant chacun dix-huit Dialogues sur des sujets diférens, on fust bien fondé à dire que l’un l’emporteroit de beaucoup. Il y a mesme une impossibilité absoluë à cela, & les dix-huit nouveaux Dialogues de la Seconde Partie ne peuvent estre tous plus parfaits que ceux de la Premiere. On peut dire qu’il y en a de plus & de moins beaux dans chaque Partie ; encore cette diférence ne peut-elle estre que selon les gousts, les uns admirant souvent ce que les autres condamnent, & les autres trouvant moins de beautez dans ce que les premiers approuvent.