1683

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11].
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Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11]. §

[Devise de M. Magnin]* §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 10-11.

Voyez, Madame, si quand ce grand Prince fait tant de choses dignes du haut rang où Dieu l’a placé, Mr Magnin, dont je vous ay déja parlé tant de fois, n’a pas eu raison de dire, apres avoir fait une Devise qui a le Soleil pour corps, & ces paroles pour ame, Proximus à primo.

 Qu’il est brillant dans sa carriere !
 Qu’il est grand ! Qu’il est glorieux.
 Ainsi l’Autheur de la lumiere
 Trace son Image à nos yeux.
Ce Dieu, dont la Sagesse, & sublime & profonde,
Gouverne tout, fit tout de rien,
N’a jamais fait d’Ouvrage au monde,
Qui le représente si bien.

[Devises pour le service de la reine fait à Chauny]* §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 27-34.

Le mesme jour 19. les Minimes de la Ville de Chauny, firent un Service des plus solemnels. Leur Eglise estoit tenduë de noir, & de violet, & un Crespon noir à fleurons d’or couvroit tout le Tabernacle. Dans le milieu de l’Eglise, il y avoit un Lit de parade de Satin noir à Crespines d’argent, soûtenu d’une Estrade, & couronné de Fleurs-de-Lys, & de Cierges. Il renfermoit une Représentation de Velours noir, sur laquelle estoit une Couronne Royale, couverte d’un Crespe. Au fond de l’Eglise paroissoit un autre Poële de Velours, qui faisoit une Perspective lugubre d’une seconde Représentation. Toute l’Eglise estoit environnée d’Ecussons, de Chifres de la Reyne, & de sept Devises qui exprimoient sa vie, sa mort, & sa gloire dans le Ciel. Celle du milieu, qui estoit une Lune éclipsée, avoit ces paroles pour ame, Ecce Luna etiam non splendet. Elles servirent de texte au Pere d’Auvergne, Religieux du mesme Ordre, & Prédicateur de la Ville, qui prononça l’Oraison Funébre. Les six autres Devises estoient, un Soleil & une Lune, avec un Monde au milieu, & ces paroles, Et soror & conjux ; Une Lune éclairant le Monde, Dispulit umbras ; Un Soleil répandant une pluye d’or, & une Lune répandant une pluye d’argent, Sparsit & ipsa ; Un Soleil sans Lune, Sufficit orbi ; Une Lune au Ciel, Luceat ipsa ; & enfin une Lune entourée d’Etoiles, Præsit & Astris. Ce Pere raporta tout son Discours à ces Devises. Il dit Que le Soleil estant le Hiérogliphe du Roy, il pouvoit comparer la Reyne à la Lune ; que comme la Lune est la Compagne & la Sœur du Soleil, dont elle porte le nom de Phœbé, de mesme la Reyne avoit esté la Compagne & la Sœur du Roy, selon l’expression de l’Ecriture, qui appelle Freres & Sœurs les Enfans de Frere & de Sœur ; que les avantages de la Lune consistant en sa beauté, en sa lumiere & en ses influences, les mérites de la Reyne avoient consisté dans la beauté de son Corps, dans l’éclat de ses Vertus, & dans la profusion de ses Graces ; que par sa beauté, elle avoit touché le cœur du Roy ; que par ses vertus, elle avoit instruit la Cour ; que par ses libéralitez, elle avoit soulagé son Peuple ; & qu’ainsi toute la France avoit sujet de pleurer sa mort, puis que le Roy perdoit une aimable Epouse, la Cour une Sainte Souveraine, & le Peuple une tendre Mere. Il prouva toutes ces choses avec beaucoup d’éloquence, & fit voir, que comme une Lune éclatante, elle avoit dissipé les obscuritez de la Cour, Dispulit umbras, en y faisant briller la pieté, la modestie, & la modération. Il dit entr’autres choses sur sa pieté, qu’avant qu’elle fist son Entrée publique à Paris en 1660. elle voulut faire ses Devotions dans le Convent des Minimes de Vincennes. Il ajoûta sur sa modération dans les Richesses, que si le Roy comme un Soleil, avoit versé sur son Peuple une pluye d’or dans tous ses Voyages, la Reyne comme une Lune, avoit versé une pluye d’argent, Sparsit & ipsa, & qu’il l’avoit veuë recevoir les Placets des Misérables avec une bonté surprenante. Il termina son Discours par l’explication des autres Devises ; & dit que cette Lune, apres avoir charmé le Roy par sa beauté, instruit la Cour par ses vertus, soulagé le Peuple par ses influences, estoit enfin éclipsée, Ecce Luna etiam non splendet ; que Marie-Thérese d’Autriche estoit morte avec la consolation de laisser sur la Terre un Epoux capable de la gouverner, Sufficit orbi ; qu’un Roy Tres-Chrestien esperoit sa résurrection, Luceat ipsa ; & que toute la France souhaitoit qu’elle regnast dans le Ciel, comme elle avoit regné sur la Terre, Præsit & Astris.

[Feste Funébre représentée aux Jésuites de Roüen, au lieu de la Tragédie] §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 54-62.

Ce que les Jesuites de Roüen ont fait, mérite bien de trouver icy sa place. Quoy que la mort de la Reyne y ait donné lieu, ce n'est point une suite de Services dont je vay vous faire la description. C'est quelque chose de fort singulier, inventé avec esprit, & digne d'estre sçeu des Curieux. Au lieu de la Tragédie & des Ballets dont ils ont accoûtumé de donner le Spéctacle tous les ans dans le mois d'Aoust pour la distribution des Prix, ils suprimérent la Piece que l'on avoit préparée, & en firent représenter une autre par leurs Ecoliers, sur la mort de la Reyne, le 13. Septembre, en présence du Parlement, qui a fondé les Prix, & des principaux Membres des autres Corps de la Ville. La Salle, dont on se servit pour cette Action, estoit tenduë de Drap noir depuis le haut jusqu'au bas. Il y avoit tout autour deux Bandes de Larmes, d'où pendoient les Ecussons de France & d'Autriche, entremeslez des quartiers d'Espagne, & de quantité d'Emblémes & de Devises sur cette Princesse. La piece estoit divisée en trois Parties. Dans la premiere, quelques Acteurs parurent sur le Théatre ordinaire, comme pour commencer la Tragédie & le Ballet ; mais ils en furent empeschez par le Génie de la France, qui leur apprit la mort de la Reyne, & par Thémis, qui leur ordonna de changer les Jeux qu'ils avoient préparez par son ordre, en des Spéctacles lugubres, & de prendre part à la douleur genérale de la France. En mesme temps la Scene changea, & l'on vit paroistre tout d'un coup au commencement de la seconde Partie, un second Théatre en deüil, sur lequel estoit élevé un grand Tombeau de marbre. Sur ce Tombeau estoit une Urne, que quatre Amours pleurans tenoient embrassée. Chacun avoit son symbole. L'un éteignoit son Flambeau avec ses larmes. L'autre accablé de douleur, se perçoit le cœur d'une de ses Fléches. Le troisiéme brûloit des Parfums ; & le quatriéme jettoit des Fleurs sur le Tombeau. La Religion & la Pieté estoient au pied, aussi avec leurs Simboles. Au dessus de l'Urne estoit une Mort, & au dessus de cette Mort, paroissoit la Renommée. Elle tenoit l'Image de la Reyne, victorieuse de la Mort, & s'élevant vers le Ciel. Pour marquer le triomphe de cette Princesse sur la Mort, au lieu de Cyprés, on avoit mis autour du Tombeau des Palmiers qui occupoient toute la Scene. Ils estoient chargez de trois sortes de Couronnes ; d'une Couronne Royale de France, d'une Couronne de Fleurs, & d'une Couronne d'Etoiles. Ce Spéctacle, auquel on ne s'attendoit pas, surprit d'abord toute l'Assemblée ; mais elle fut beaucoup plus surprise, quand les Statuës de marbre qui estoient sur le Tombeau, & ausquelles il sembloit qu'il ne manquast que la voix, commencerent à parler, apres en avoir reçeu l'ordre de Thémis. Chacune de ces Statuës pleura la Reyne selon le caractere qu'elle soûtenoit. La Religion exprima par ses Vers le deüil de l'Eglise ; la Pieté, la douleur des Pauvres & des Misérables, pour la perte de leur Bienfaictrice. Les quatre Amours firent entendre les regrets du Roy, de la Famille Royale, de la Cour, & de toute la Nation Françoise. Ces Vers lugubres furent suivis d'un Concert de Musique formé par Apollon & par les Muses, qu'on suposoit avoir élevé ce Tombeau dans le Parnasse. Des Echos qui estoient dans le Tombeau, répondoient à ces Concerts. La troisiéme Partie estoit une espece d'Apotheose. D'abord les Amours, en suite Apollon & les Muses, le Génie de la France, & Thémis, celébrerent tantost par des Vers, tantost par des Chants, le triomphe de la Reyne dans le Ciel. Tout cela fut terminé par un Compliment au Parlement, que prononça Mr l'Abbé de Médavi de Grancé, Petit-Fils du Maréchal de ce nom, & Petit-Neveu de Mr l'Archevesque de Roüen.

Relation de ce qui s’est passé à Venise, dans le temps du Jubilé §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 71-102.

Les malheurs qui estoient inévitables, si les Turcs eussent pû venir à bout de prendre Vienne, ayant obligé Sa Sainteté de recourir à l’assistance divine contre des forces si redoutables, Elle accorda une Indulgence pleniere, ou Jubilé universel, à tous ceux qui accompliroient en veritables Chrestiens, les choses contenuës dans son Bref du 11. du mois d’Aoust dernier. Il y a eu des devotions extraordinaires à Venise pendant ce temps, & je croy que vous ne serez pas fâchée de les apprendre. La Lettre de Mr Chassebras de Cramailles à Madame Chassebras du Breau, sa Belle-Sœur, vous en instruira. Je vous en envoye une Copie. Rien n’est plus curieusement remarqué que tout ce que vous y trouverez. Tous les Officiers qui composent la Seigneurie, y sont dans leur ordre, avec la diférence des Habits qui les distinguent. C’est ce qu’on n’a jamais veu ensemble dans une mesme Relation. Vous observerez deux choses dans celle-cy ; l’une, que le Patriarche de Venise n’a étably les Stations que dans trois Eglises, à l’imitation de Rome, où elles estoient seulement dans celles de S. Jean de Latran, de S. Pierre du Vatican, & de Sainte Marie Majeure ; & l’autre, que les charitez qui se sont faites, n’ont point esté pour les Eglises, où estoient les Stations.

RELATION
De ce qui s’est passé à Venise, dans le temps du Jubilé.

Sa Sainteté n’eut pas plûtost envoyé son Bref à Venise, pour le Jubilé Universel, que le Patriarche en fit faire la publication dans toutes les Paroisses de la Ville, & établit les Stations dans l’Eglise Patriarchale de Saint Pierre, dans l’Eglise Ducale de S. Marc, & dans l’Eglise Patriarchale & Collegiale, dédiée aux Saints Apostres, qu’on appelle vulgairement Sant’Apostolo, & qui se trouve presque dans le milieu de la Ville. Le Jubilé ayant commencé le Dimanche 22. du mois d’Aoust, le Patriarche alla en Procession visiter ces trois Eglises le Mercredy au matin 25. de ce mois, qui estoit l’un des trois jours du Jeûne prescrit par le Bref. Il estoit à la teste de son Chapitre, & de la plus grande partie des Curez, des Prestres, & des Ecclesiastiques de Venise. Un nombre extraordinaire de Peuple le suivoit, la teste nuë, chacun un Cierge à la main ; & l’Ecole, ou Confraternité de S. Pierre précedoit le Clergé avec cent Flambeaux de cire blanche, tous de dix-huit à vingt livres, & trente ou 40 grands Chandeliers d’argent de six à sept pieds de haut, que l’on portoit au bout d’un Baston.

Les Magistrats qui composent le College de Venise, & quelques-uns des principaux Officiers, firent ensuite leurs Stations dans les mesmes Eglises. Ils estoient en Corps, & alloient le long des Canaux, qui sont de petits Bastimens de Mer, couverts, peints, & dorez. On leur avoit préparé dans les Eglises des Prié-Dieu de Damas, & de Velours rouge, & le Clergé les reçeut avec la Croix, & l’Eau-benîte. Voicy en peu de mots les noms de ces Officiers, suivant le rang dans lequel ils marchoient à l’entrée, & à la sortie des Bucentaures. Vous remarquerez que les Habits dont ils estoient vétus, sont ceux qu’ils portent ordinairement l’Eté dans les Tribunaux, & qui les distinguent les uns des autres, parce que quelques-uns sont vétus d’une autre maniere dans les grandes cerémonies.

Les Capitaines marchoient les premiers. Ils avoient de courtes Vestes en manieres de long Juste-au-corps, ou de Hongrelines à demy-jambe, d’Etofe de Soye rouge ; une autre Veste sans manches, par dessus, de Camelot violet ; les Bas rouges, & le Poignard ou Stilet à la ceinture.

Ensuite alloient plusieurs Ecuyers du Doge, en Habit & Manteau de Tafetas noir ordinaire, avec le Rabat uny.

Le Capitaine-Grand, qui est comme le Grand Prevost, alloit à costé du Maistre des Cerémonies du Doge. Le premier estoit en Veste de Damas rouge figuré. Cette Veste luy descendoit jusqu’au bas des jambes, & il avoit par dessus, une seconde Veste de Camelot violet tabisé, doublée aussi de Damas rouge, fenduë, & liée par les costez avec des cordons & houpes de soye, la Ceinture à l’Indienne, les Bas & les Souliers rouges. Le second estoit en Pourpoint, Haut-de-chausse, Bas & Souliers rouges, avec une Veste sans doublûre, de Camelot violet tabisé.

Les Secretaires du Sénat, qui sont tous de l’ordre des Citadins, estoient en Veste de Drap noir, la Stole de mesme, & les Manches courtes, qui est l’Habit des Gentilshommes & des Citadins La Stole est une piece d’Etofe d’environ un quartier de large, & d’une aune de long. Elle se met sur l’épaule gauche, comme le Chaperon des Graduez en France.

Le Grand Chancelier, qui est aussi un Citadin, en Veste de Camelot violet tabisé, à Manches Ducales. Ces Manches ont autant de tour que le bas de la Veste, & sont si amples qu’elles descendent jusques à terre.

Le Doge ou Chef de la République, en Veste de Satin rouge uny, à grandes Manches ; une petite Coëfe de toile blanche fine, descendant en pointe sur les oreilles, qui luy sert de Diadéme ; la Couronne ou Corne Ducale de Satin rouge par dessus ; les Bas, & les Souliers rouges. Sa Veste estoit soûtenuë par deux de ses Ecuyers en Manteau noir, qui ne la quitoient point encore qu’il fust à genoux.

Les six Conseillers de la Seigneurie, en Veste de Camelot rouge tabisé, à Manches Ducales. Ces six Conseillers sont pour assister le Doge dans toutes les affaires, & sont choisis de six diférens Quartiers de la Ville.

Les trois Chefs de la Quarantie Criminelle, en Veste de Drap violet, la Stole de mesme, & les Manches étroites à l’ordinaire. Cette Quarantie est une Compagnie de quarante Magistrats pour juger les Affaires criminelles. Ces trois Chefs, les six Conseillers, & le Doge, composent la Seigneurie de Venise, où l’on juge les Causes privilegiées qui se plaident au College.

Les six Sages Grands, en Veste de Camelot violet tabisé, à Manches Ducales. Ce sont ceux qui consultent, & proposent les Affaires qui doivent aller au Sénat.

Les trois Avogadors, en Veste de Camelot noir tabisé, les Manches Ducales, & la Stole de Drap rouge. Leur fonction approche de celle des Procureurs & Avocats Genéraux des Tribunaux de France.

Les trois Caï, ou Chefs du Conseil des Dix, vestus comme les Avogadors. Ce Conseil est de dix des principaux Magistrats, qui connoissent des crimes d’Etat, & de Leze-Majesté publique. Ces trois Chefs ont le soin de beaucoup de choses, concernant la Police, & la seûreté de la Ville.

Les deux Censeurs, en Veste de Camelot noir tabisé, les Manches Ducales, & la Stole de Drap violet. Ils ont veuë sur les mœurs des Particuliers, sur les fausses brigues qui se font pour obtenir les Charges, & assistent aux Causes criminelles.

Les cinq Sages de Terre-ferme, en veste de Camelot noir tabisé, les Manches Ducales. Ils consultent, & proposent au Sénat les Affaires de la Milice & de la Guerre.

Les cinq Sages des Ordres, en Veste de Drap violet, la Stole de mesme, & les Manches étroites, comme les trois Chefs de la Quarantie criminelle. Ce sont de jeunes Gentilshommes, qui ont entrée au College, & au Sénat, pour se former aux Affaires, sans y avoir de voix délibérative, sinon dans quelques Affaires de Mer, d’où vient que leur veritable nom est Sages de Mer. On les appelle aussi Petits Sages, à cause de leur jeunesse ; car ce nom de Sage est icy donné à certains Magistrats, pour montrer qu’ils doivent surpasser les autres en prudence & en sagesse.

Les cinq Sages des Ordres, les cinq Sages de Terre-ferme, les six Sages Grands, & la Seigneurie, faisant en tout le nombre de vingt six Personnes, composent le College, où s’examinent toutes les Affaires d’Etat, & où les Ambassadeurs ont Audience. Tous ces Magistrats & Officiers, le Doge excepté, ont tous la Barete. C’est un petit Bonnet de Laine noire, que les Gentilshommes & Citadins portent en tout temps. Il a tout autour un Cordon de deux travers de doigt, qui est fait avec les bords de la Laine.

Quoy qu’il manquast en cette Cerémonie quelques-uns des Magistrats que je vous ay nommez, qui pouvoient estre malades, j’ay crû vous devoir marquer le veritable nombre qu’ils devoient estre. Vous remarquerez encore, que le Camelot dont la plûpart des Officiers sont habillez, est une Etofe de poil de Chevre, ou d’autre Animal, qui a cela d’avantageux par dessus la Soye, qu’elle ne s’engraisse point, & qu’en conservant son lustre, elle ne reçoit pas aisément la poudre.

A l’exemple du Patriarche, les Paroisses de Venise au nombre de soixante-douze, la plus grande partie des Convents de Religieux, les Hôpitaux, & quantité de Sufrages & Confrairies, ont visité chacun une fois les trois Eglises des Stations, en sorte que pendant les quatorze jours du Jubilé, l’on ne pouvoit passer par les Ruës qu’avec beaucoup de difficulté, pour le grand nombre de Processions que l’on rencontroit soir & matin. Celles des Paroisses alloient en cette maniere.

D’abord venoient soixante, quatre-vingts, cent, & jusqu’à 180. Personnes vestuës de longs Habits de Toile, avec des Capuces sur la teste, tenant chacune un Flambeau de cire blanche, de dix-huit, vingt, vingt-cinq & trente livres de pesanteur, la plûpart ayant des bricoles de cuir, pour les soûtenir, comme nos Porteurs de Bannieres. Quantité d’autres en pareil Habit, portoient des Chandeliers de six à sept pieds de haut, & des Flambeaux de poing au dessus. D’autres avoient des Fanaux, ou de grandes Lanternes dorées ; & au milieu de cette abondance de lumieres, marchoient trois Gentilshommes Venitiens, portant alternativement, une grande Croix avec un Christ, toute enrichie de Fleurs, de Rubans, de Points, de Dentelles d’or & d’argent, de Brocards, de Perles, & de Pierreries. Ils estoient vétus en Penitens, avec de longues Robes de Toile blanche ou noire, des Cordons de soye garnis de grosses Houpes & Campanes pour Ceintures, le visage couvert, & les pieds nus dans des Sandales. C’estoient eux qui faisoient la dépense des Flambeaux.

Devant le Christ, alloient à reculons les Battuti, ou Flagellans, se donnant sur le dos de grands coups de Discipline, faites de plusieurs Cordes, où estoient attachées de petites Etoiles ou Pointes de Fer. Il y en avoit en la plûpart des Processions. Ils estoient vestus de méchante Toile, avec le visage dans un Sac, le dos découvert, tout ensanglanté, & la plûpart les pieds nus. Quelques-uns avoient des Capuces sur leurs testes, élevez jusques à trois pieds de haut. On voyoit venir en suite un grand nombre de Penitens gris, bleus, blancs, ou noirs, selon les Sufrages & Confraternitez dont ils estoient, ayant tous le visage couvert, & un Cierge d’une livre & demie, ou de deux livres, à la main.

Apres alloient les Prestres & le Clergé, puis tous les Paroissiens deux à deux, un Cierge à la main, & la teste nuë, les Gentilshommes & Citadins tenant la gauche par humilité, & les Marchands & Artisans ayant la droite.

En suite venoient les Femmes. Plusieurs avoient le visage voilé, & estoient vestuës de Toile en Penitentes. L’une des principales portoit une grande Croix de bois comme les Hommes, & les autres de gros Flambeaux de cire blanche. Quelques Prestres alloient avec elles autour de la Croix, chantant les Litanies ; & toutes les autres Femmes suivoient deux à deux dans leurs Habits ordinaires, y en ayant quelqu’une d’espace en espace, qui chantoit aussi les Litanies, & à laquelle répondoient toutes les autres. Dans quelques Paroisses, les Filles estoient separées des Femmes. Elles marchoient à droite avec un Voile de Toile blanche qui leur couvroit le visage ; & les Femmes à gauche en Voile de Tafetas noir. Il se trouva mesme quelques Femmes qui alloient à reculons devant le Crucifix, & qui se disciplinoient comme les Hommes ; mais ce fut en petit nombre.

Les Convents des Religieux avoient aussi quantité de Penitens avec des Croix, & de gros Flambeaux, plusieurs Confraternitez de devotion accompagnant leurs Processions. Celle de S. François s’estoit jointe aux Cordeliers ; celle de S. François de Paule, aux Minimes ; celle de S. Dominique, aux Jacobins, & ainsi des autres. Les Confreres estoient vestus d’un Habit pareil à celuy des Religieux. Ils avoient la teste cachée dans une maniere de Sac de la mesme Etofe de l’Habit, avec des Cartons de testes & d’os de Mort cousus au dessous du menton, & des Chapelets à la ceinture. Tous les Particuliers qui accompagnoient la Procession, portoient aussi un Cierge à la main.

Les Administrateurs & Gouverneurs des quatre grands Hôpitaux, marchoient avec les Filles du Chœur, que l’on éleve & qu’on entretient pour la Musique. Elles estoient toutes voilées, & portoient un Habit simple & modeste, de la couleur qui est particuliere à chaque Hôpital. Celles des Mendicantes estoient vestuës de gris ; celles des Hospitaletes, de blanc ; celles de la Pieté, de rouge ; & celles des Incurables, de bleu. Tous les petits Enfans de l’Hôpital, & les Pauvres qui pouvoient marcher, alloient les premiers habillez de la mesme couleur. Ces Administrateurs sont des Gentilshommes, des Citadins, & des Marchands des plus considérables. Les premiers avoient cedé la droite aux derniers dans cette Cerémonie.

Outre ces Processions genérales on rencontroit encore plusieurs Personnes qui alloient ensemble par devotion, vestuës en Penitens, avec des Croix & des Flambeaux, psalmodiant dans tout le chemin. Il y avoit des troupes de Femmes toutes voilées, qui faisoient aussi des Processions particulieres. Quelques-unes alloient seules chargées de Croix & de Disciplines. J’en vis une monter à genoux les degrez de l’Eglise de S. Marc. Elle alla en cette posture humiliante jusqu’à la Porte du Chœur, & s’en retourna de mesme à reculons, toûjours à genoux, avec une grosse Croix de bois sur ses épaules, dont la pesanteur sembloit l’accabler à tous momens. Au sortir de S. Marc, elle se leva, portant toûjours sa Croix, marchant les pieds nus, la teste couverte, & entra de mesme à genoux dans les Eglises de S. Pierre & de Sant’ Apostolo.

Il est difficile de s’imaginer la quantité de Cire qui s’est consumée durant ce temps. A la Procession de Sant’ Apostolo, il y avoit des Cierges de trente livres. Il y en avoit de quarante à celle des Religieux de S. François de la Vigne, & cela ne doit pas vous étonner. C’est l’usage à Venise d’en mettre quelques gros aux Processions. On voit icy des Particuliers, qui s’estant sauvez de quelque péril considérable, offrent à la Vierge un Cierge d’une grosseur extraordinaire, dont ils font présent à une Eglise en maniere d’Ex Voto. Il y en a deux dans le Monastere de la Madonna de la Miracoli. Le plus gros a dix pieds de haut sur un pied de diametre, & pese du moins cent cinquante livres. Il est attaché contre la Muraille avec des Cercles, & de gros Crampons de fer.

Toutes les Aumônes qui se sont faites dans les trois Eglises des Stations à l’occasion du Jubilé, ont esté distribuées au Monastere des Religieuses Converties, où l’on reçoit les Filles Penitentes, qui se retirent de la Débauche, & aux quatre grands Hôpitaux de la Pieté, des Incurables, des Mendicantes, & des Hospitaletes.

La grande devotion des Particuliers, & le zele ardent de tout le Peuple, ayant occupé presque tous les Confesseurs dans ces deux semaines, le Patriarche a remis le Jubilé des Religieuses, apres celuy des Religieux & des Séculiers. Ainsi on l’a publié dans les Monasteres des Filles le Dimanche 5. de ce mois de Septembre, & il doit finir demain Dimanche 19. Les charitez qui se seront faites dans ces Monasteres par les Abbesses, les Vicaires ou Prieures, les Religieuses & les Pensionnaires, doivent estre données aux pauvres Religieuses de Candie, qui se sont retirées à Venise, à mesure que les Infidelles se sont rendus maistres de cette Isle. Leur Monastere est dans l’Isle de San Servolo, à un ou deux milles d’icy. Il y en a de l’Ordre de S. Benoist, de l’Ordre de S. Dominique, & de celuy de S. François ; & ce qui est de fort singulier, elles logent toutes dans le mesme Convent, quoy qu’elles ayent chacune leur Abbesse, & Vicaire ou Prieure particuliere, & qu’elles observent la Regle de leur Ordre. Elles sont en tout quatre-vingts cinq, & chaque Ordre a son Autel séparé dans la mesme Eglise, avec le mesme Patron qu’elles avoient en Candie, sçavoir, les Dominicaines, Sainte Catherine ; les Franciscaines, S. Jerôme ; & les Benédictines, Nostre-Dame du Rosaire. Je suis, Madame, vostre &c.

A Venise ce 18. Septembre 1683.

[Histoire] §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 111-135.

Il y auroit plus d’Amans heureux que l’on n’en voit, si on laissoit l’amour maistre de ses entreprises ; mais s’il peut toucher les cœurs quand il luy plaist, il n’a pas toûjours le pouvoir de les unir. Des obstacles invincibles renversent souvent ses plus grands desseins, & ce qui est le plus chagrinant, c’est qu’il se rencontre des occasions où il se nuit par luy-mesme. Un jeune Homme de qualité, qui ayant un Marquisat estoit Marquis à bon titre, devint amoureux d’une des plus aimables Personnes de la Ville où il demeuroit. Elle estoit d’une Famille de Robe, & un Frere unique qu’elle avoit, estoit Conseiller au Parlement de sa Province, mais il s’attendoit bien à monter avec l’âge dans des Charges plus considérables. Ce Frere estoit alors sur le point de revenir d’un voyage d’Italie, & quoy que son retour fust fort proche, le Marquis ne laissa pas de faire assez de progrés dans le cœur de cette Belle, avant qu’il fust revenu. Elle estoit vive naturellement, pleine de soins & de zele pour ce qu’elle aimoit, & si sensible à l’amitié qu’on luy témoignoit, qu’il y avoit sujet d’esperer que les empressemens de l’amour ne luy seroient pas indiférens. Elle trouva le Marquis assez aimable, pour se persuader qu’elle en pouvoit estre aimée, & elle estoit trop sincere pour douter longtemps de la sincerité des autres, sur tout quand ils estoient agreables. Enfin de la maniere dont le Conseiller vit les choses disposées à son retour, il jugea bien qu’il ne seroit plus chargé de sa Sœur, qu’autant que des Articles de mariage à regler le demanderoient, car elle ne dépendoit que de luy. Le Marquis fit tous les pas necessaires, & les Amans alloient estre heureux, s’il n’y eust point eu d’autre amour que le leur dans leur Famille. Le Marquis avoit une Cousine germaine, qui estoit demeurée seule Heritiere d’un grand Bien, par la mort de son Pere & de sa Mere. Elle estoit tombée sous sa Tutelle, parce qu’un autre Tuteur qu’elle avoit eu d’abord, estoit mort depuis six mois. C’estoit au jeune Tuteur à disposer de sa jeune Pupille ; mais elle avoit disposé elle-mesme de son cœur, sans avis de Parens. Un Gentilhomme fort spirituel, & qui avoit assez de naissance, pour pouvoir prendre le titre de Comte, avoit entrepris de plaire à la Belle, & luy avoit plû. Il avoit fait diverses Campagnes avec beaucoup de dépense, & assez de réputation. Cela ébloüissoit fort l’aimable Héritiere, qui avoit le cœur tres-bien placé. Par malheur pour le Marquis, le Conseiller la vit trop souvent, & son cœur en fut touché. Elle avoit tout l’air d’une Fille de naissance, une certaine fierté qui luy seyoit bien, moins de beauté que de manieres agreables, & un art particulier de se faire extrémement valoir, sans avoir pourtant d’orguëil qui choquast. Peut-estre auroit-il choqué dans une Personne, qui eust eu moins de naissance, moins de jeunesse, & moins de Bien. Elle ne regardoit guére les Hommes qu’avec une espece de dédain. Le Comte estoit le plus excepté ; encore le traitoit-elle quelquefois comme les autres, quand elle en avoit envie. Tout cela charma le Conseiller. Il estoit assez riche pour ne devoir pas estre soupçonné d’aimer la jeune Heritiere pour son Bien. Cependant il ne laissa peut-estre pas d’avoir quelques veuës de ce costé-là. Ce qui luy parut d’un fort bon augure pour sa passion, ce fut l’amour du Marquis & de sa Sœur. Il trouvoit mesme quelque chose d’agreable à s’imaginer la double alliance de leurs Maisons, & l’échange qu’elles feroient entre-elles de ces deux jeunes Personnes. Il découvrit son dessein au Marquis, & luy exagera fort le plaisir qu’il se feroit de devenir son Cousin germain, en mesme temps qu’il deviendroit son Beaufrere. Le Marquis ne reçeut point cette proposition avec autant de joye qu’il eust deû naturellement la recevoir. Il luy parut aussi-tost, sans qu’il sçust trop pourquoy, que c’estoit une difficulté survenuë à ses affaires ; il eust beaucoup mieux aimé qu’on n’eust parlé que d’une alliance. Cependant quand il y eut fait refléxion, il ne trouva pas que le mariage du Conseiller avec sa Parente, dust estre une chose si malaisée, & il se persuada, ou il tâcha de se le persuader, que quand mesme il ne se feroit pas, cela n’apporteroit point d’obstacle à son bonheur. Il alla donc proposer le Conseiller à sa Cousine, avec toute l’adresse dont sa passion le rendoit capable ; mais elle luy fit connoistre combien elle estoit peu disposée à songer à ce Party. Il prit encore trois ou quatre fois le temps le plus favorable qu’il put, pour traiter la mesme matiere, mais ce fut toûjours inutilement. Le Comte n’estoit point trop connu pour un Amant de la Parente du Marquis, & moins encore pour un Amant qu’elle aimast. Elle avoit avec luy une maniere d’agir si inégale, que l’on estoit bien embarassé à pouvoir juger de ce qui estoit entre eux. Ainsi le Marquis ne sceut pas précisement s’il devoit se prendre au Comte, de l’éloignement que sa Cousine montroit pour le Conseiller, ou s’il ne devoit s’en prendre qu’au peu d’inclination qu’elle faisoit voir en general pour la Robe, ce qui sembloit estre assez naturel à une jeune Personne, dont les yeux sont plus flatez de l’équipage d’un Cavalier, que de celuy d’un Magistrat, & dont les oreilles se plaisent davantage au récit d’une Campagne, qu’à celuy du jugement d’un Procés. Le Marquis fit entendre au Conseiller, le plus honnestement qu’il luy fut possible, le mauvais succés de sa négotiation. Il ne luy en dit qu’une partie, pour l’accoûtumer doucement au déplaisir d’estre refusé, & il quita ce discours fort viste, pour luy parler de ce qui le regardoit ; mais le Conseiller luy parut fort refroidy sur le mariage de sa Sœur, & le Marquis jugea bien déslors qu’il auroit de la peine à estre le Beaufrere du Conseiller, s’il ne devenoit aussi son Cousin. Il fit de nouveaux efforts sur sa Parente, qui luy parut toûjours moins disposée à faire ce qu’il vouloit. Il loüa le Conseiller & toute la Robe, & dit tout le mal qu’il put des Gens d’Epée. Il alla mesme jusqu’à tourner le Comte en ridicule, & jusqu’à le décrier, sans épargner que son nom ; mais tout cela ne gagna rien sur cette Parente. A la fin voyant qu’il ne pouvoit luy donner de goust pour le Conseiller, il crut devoir le dégoûter d’elle. Il luy dit en confidence qu’elle n’estoit pas d’une humeur aisée, & qu’elle donneroit assez de peine à un Mary ; que mesme elle n’avoit pas autant de Bien qu’on s’imaginoit, & qu’il le sçavoit mieux qu’un autre, puis qu’il estoit son Tuteur ; mais le Conseiller ne se rendit point à ces artifices. Il soupçonna que le Marquis ne les employoit que pour se dispenser de le servir de tout son pouvoir, & dans l’humeur chagrine où il se trouva, il luy déclara fort nettement que le seul moyen d’obtenir sa Sœur, estoit de le faire aimer de sa Parente. Le Marquis qui estoit for amoureux, fut au desespoir. Il représenta au Conseiller, avec toute la force & toute la vivacité imaginable, qu’il ne devoit pas estre puny des bizarreries de sa Pupille ; mais le Conseiller fut inéxorable. Sa Sœur commença à sentir pour la jeune Heritiere, toute la haine qu’elle eust pû avoir pour une Rivale. Elle n’en parloit jamais que comme d’une Demoiselle de Campagne, qu’une fierté ridicule rendoit insuportable par tout, & qui se croyoit d’une meilleure Maison qu’une autre, parce que ses Parens n’avoient pas coûtume de demeurer dans les Villes. Le Comte estoit charmé de la résistance qu’on faisoit pour luy aux volontez du Marquis ; mais il fut au desespoir, quand le Marquis dit un jour à sa Cousine, d’un ton ferme & presque absolu, que si c’estoit à cause du Comte qu’elle refusoit le Conseiller, elle devoit s’asseurer qu’il s’opposeroit toûjours de tout son pouvoir aux prétentions de cet Amant. Elle nia que le Comte fust son Amant, & qu’elle l’eust jamais regardé sur ce pied-là. Le Comte qui vit ses affaires en désordre, s’avisa d’un expédient assez extraordinaire. Il considera que s’il pouvoit rompre l’union du Marquis, & de l’aimable Personne à qui il estoit si fort attaché, le Marquis ne s’obstineroit plus à vouloir donner sa Parente au Conseiller ; mais comment mettre mal ensemble deux Personnes qui s’aimoient si tendrement ? Il estoit entreprenant, ne desesperoit jamais de rien, & sur tout il comptoit beaucoup sur l’inconstance des Femmes. Ainsi de concert avec la jeune Heritiere, il résolut de se feindre Amant de la Sœur du Conseiller, & de la conduire à faire une infidelité au Marquis. Il se rendit peu à peu & sans marque d’affectation, plus assidu à la voir. Comme il n’estoit pas Amant déclaré de l’Heritiere, sa conduite ne parut pas si étrange. Le Conseiller luy-mesme qui le soupçonnoit d’estre son Rival, estoit bien aise de commencer à avoir lieu d’en douter. L’Heritiere de son costé, qui vouloit favoriser les assiduitez du Comte chez la Sœur du Conseiller, recevoit le Conseiller bien plus agreablement, depuis que le Comte alloit moins souvent chez elle. Ainsi il n’y avoit que le Marquis à qui le nouvel attachement du Comte ne plaisoit pas trop. Elle estoit née pour la tendresse, mais non pas pour la constance. Elle avoit un cœur qui recevoit des impressions assez vivement, mais encore plus facilement. Enfin elle estoit faite comme la plûpart des Femmes ont accoûtumé de l’estre. Le Comte avoit de l’ascendant sur le Marquis. Il l’étoufoit, & l’empeschant de paroistre en sa présence, il poussoit la conversation jusqu’à un ton de gayeté & d’enjouëment, où le Marquis ne pouvoit aller, & avoit l’adresse de mettre toûjours son Rival hors de son génie naturel. La diférence qui estoit entre eux, frapoit trop les yeux de la Belle, pour ne la pas déterminer en faveur du Comte. D’abord elle luy applaudissoit bien plus qu’au Marquis. Ensuite elle le trouva beaucoup plus à dire quand il n’estoit pas chez elle, que quand le Marquis n’y estoit pas. Enfin soit par ses regards, soit par ses manieres, elle luy donna une préference si visible, que le Marquis, apres plusieurs plaintes qui furent assez mal reçeuës, ne put douter qu’il ne fust trahy. Le Conseiller qui se crut heureux, sur ce qu’il ne trouvoit plus le Comte en son chemin, & qui s’apercevoit qu’il estoit mieux dans l’esprit de l’Heritiere, s’imagina que le temps estoit favorable pour presser le Marquis d’achever ce qu’il avoit commencé ; mais le Marquis luy répondit sechement, que sa Sœur avoit changé, qu’elle l’avoit quité pour un autre, qu’il ne songeoit plus à elle ; & vous ne devez pas trouver mauvais, poursuivit-il, que je vous redise ce que vous m’avez dit si souvent, que nous ne pouvons faire aucune alliance, si nous n’en faisons deux à la fois. Jamais le Conseiller ne fut plus surpris. Il querella sa Sœur, & luy fit mille reproches. Il éloigna tout-à-fait le Comte de chez luy, & le Comte en fut tres-content. La Sœur mesme qui soupçonna quelque trahison, auroit souhaité de tout son cœur se raccommoder avec le Marquis. Le Conseiller y travailla de tout son pouvoir ; mais le Marquis ne put digerer l’injure qu’on luy avoit faite. Le Comte qui estoit cause de toute cette révolution, ne fut pas plus heureux que les autres. Son dessein luy avoit paru plaisant à imaginer, & à executer ; mais il n’en avoit pas assez-bien préveu les suites. Le Marquis conceut pour luy toute la haine que l’on peut avoir pour un Rival. Il mit bon ordre à empescher qu’il ne pust voir souvent la jeune Heritiere, & il souleva tellement toute la Parenté contre luy, qu’il n’auroit pas esté bien reçeu à parler de Mariage. Ainsi personne ne se maria ; ce ne fut que division de tous costez. Peut-estre quand la belle Heritiere sera en âge de disposer d’elle, elle fera choix du Comte qui l’aime toûjours ; mais dans le temps qu’il faudra attendre, c’est grande merveille, si l’une des deux passions ne s’affoiblit. Apres tout pourtant, elles pourront ne s’affoiblir pas, car les deux Amans ne se voyent guére.

[Assemblée de l’Académie nouvellement établie à Nismes] §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 135-139.

Le 29. du dernier mois, l’Académie des belles Lettres établie à Nismes par Edit de Sa Majesté, fit une Assemblée publique pour honorer la mémoire de la Reyne. Tous les Académiciens se rendirent en Habit de deüil chez Mr de la Baume, Conseiller au Présidial, dans une Salle tenduë de noir, & se rangerent en la forme accoûtumée autour d’une longue Table, couverte d’un Tapis noir, & environnée de Chaises garnies de mesme, au bout de laquelle on avoit mis un Fauteüil plus élevé que les autres, pour celuy qui devoit parler. L’Assemblée estoit composée des Personnes les plus qualifiées de la Ville, & d’un fort grand nombre d’Etrangers. Mr le Comte du Roure, Lieutenant General pour le Roy en Languedoc, fut présent à cette Solemnité. Il estoit placé dans un Fauteüil garny de Velours noir, sur une grande Estrade couverte d’un Tapis de pied, vis-à-vis de l’Orateur à quelque distance de l’Assemblée, & avoit à sa gauche un peu derriere, les Consuls de la Ville en Chaperon, & à sa droite sur la mesme ligne des Gentilshommes qui l’accompagnoient. Tous les Auditeurs estoient sur des Sieges noirs, & il n’y avoit rien dans ce lieu que de lugubre, & qui ne servist à exprimer la douleur de cette Académie, qui fait paroistre dans toute sa conduite un attachement particulier au service du Roy, & une extréme sensibilité pour ce qui regarde les intérests de son auguste Famille, & la gloire de son Regne. La Séance fut ouverte par Mr Mustret Directeur, qui adressa son Discours à Mr le Comte du Roure, & exposa en peu de paroles, mais avec beaucoup de politesse, le Sujet que l’on avoit à traiter. Apres cela Mr Ménard, Prieur d’Aubers, l’un des Académiciens, prononça l’Eloge Funebre de la Reyne. Ce fut un Discours d’une heure, fort patetique & fort éloquent, dont toute la Compagnie témoigna une satisfaction entiere.

[Autres Services faits pour la Reyne] §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 143-144, 148-152, 164-166.

[...] [Le] premier jour de Septembre, [...] les Religieuses de l'Abbaye de la Trinité, Ordre de S. Benoist de la Congrégation du Calvaire [célébrèrent un service solennel pour la reine]. Elles firent un Chœur de Musique, qui répondoit au Plein-chant d'une maniere entierement propre à cette lugubre Cerémonie.

[...] [Le jour précédent le service solennel célébré par l'évêque de Mende, les] Cinq Cliqueteurs de la Ville, revestus de leurs Habits de deüil, précedez par le Roy d'Armes du Comté de Corbie, en deüil, aussi avec sa Cotte-d'Armes, & son Baston couvert d'un Crêpe noir abaissé, accompagné de deux Sergens à Verge, de deux Cercles de nuit, avoient esté dans toutes les Rües, sonnant leurs Clochetes, & annonçant la mort de la Reyne.

Le 4. du mesme mois, tous les Ordres Religieux de Pamiers, les Confrairies, & la Congrégation qui est dans le College des Jesuites, précedant le Chapitre de la Cathédrale, & celuy de l'Eglise Collégiale, se rendirent à l'Hostel de Mr le Marquis de Mirepoix, Gouverneur de la Ville. Apres que l'Officiant eut aspersé le Drap Mortuaire, qui fut porté par les quatre Consuls en Robes de cerémonie, on marcha vers l'Eglise Cathédrale. Les Religieux & les Chapitres gardoient leur rang ordinaire, & tous les Corps les suivoient dans l’ordre qu’ils doivent tenir. Un Exempt, & quatre Gardes, précedoient cinquante Filles, couvertes d’un Drap gris, qui leur tomboit sur la teste en forme de Capusson. Deux Brigadiers, & quelques Gardes, marchoient devant le Poële lugubre. Mr le Marquis de Mirepoix n’en estoit séparé que par le reste de ses Gardes. Il n’y avoit rien de plus magnifique que son deüil. Trois Gentilshommes portoient la queuë de son Manteau ; & comme ils avoient eux-mesmes des Manteaux fort longs, d’autres Officiers portoient leur queuë. La Noblesse de la Province qui avoit accouru en fort grand nombre, se tenoit aupres de Mr le Gouverneur. Le Corps du Senéchal & du Présidial venoit en suite. Mr de Malentant, Juge-Mage, Président, estoit à leur teste en Robe rouge, & en Manteau d'Hermine. Quantité de Femmes en grand deüil fermoient cette Marche, qui fut accompagnée du bruit lugubre & touchant que firent les Tambours & les Trompetes. Le Chapitre de l'Eglise Cathédrale, assisté de celuy de l'Eglise Collégiale, celébra l'Office ; & l’Oraison Funebre fut prononcée par Mr l’Abbé de Rodeille, Chanoine d’Alet, avec l’aplaudissement que ses Sermons ont tant de fois mérité dans les Chaires de Paris

Mr l'Evesque, Duc de Langres, que je vous ay marqué pour le Prélat Celébrant, dans la description du Service solemnel de S. Denys, estant de retour en son Diocese, en fit un tres-magnifique le Lundy 20. du mesme mois dans l'Eglise de l'Oratoire, qui est Ouvrage admirable dans toutes ses parties. Mr Amatte, Supérieur de cette Maison, & Grand Vicaire de Langres, prit soin de la faire orner. Le Mausolée estoit élevé de dix degrez. Sur le dernier, estoit posée la Représentation, couverte d’un grand Poële de Velours noir, croisé de Moire d’argent, & au dessus une Couronne fermée, le tout sous un Daiz de Velours noir à grandes Crépines d’argent, avec des Bouquets de Plumes, & des Aigretes aux quatre coins. La Musique fut excellente ; & Mr l'Abbé de Boulogne, Grand Archidiacre, qui prononça l'Oraison Funebre, remplit parfaitement l'attente de tous ceux qui estoient présens. C’est un Homme qui joint la pureté du langage, & la bonne grace du corps, à une grande capacité & à une profonde érudition.

[Harangues faites par M. le Recteur, au Roy, à Monseigneur le Dauphin, & à Madame la Dauphine] §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 251-260.

Je vous ay marqué dans ma Lettre de Septembre, que le Lundy 6. du mesme mois, l’Université de Paris avoit esté à Fontainebleau, faire ses Complimens de condoleance à Sa Majesté. Les Députez de ce Corps s’estant rendus dans la grande Salle des Gardes au nombre de vingt, avec leurs Habits de cerémonie, précedez de huit Massiers, dont les Masses estoient couvertes de Crêpe, Mr de Saintot, Maistre de Cerémonies, les y vint prendre, & les conduisit dans le Cabinet du Roy. Ce Prince qui n’estoit point habillé à cause de sa blessure, estoit environné de plusieurs Seigneurs, & de ses principaux Officiers, & vétu d’une grande Robe violete. Mr Tavernier Recteur, porta la parole en ces termes.

SIRE,

Le coup impréveu qui vient de nous enlever la plus grande & la plus vertueuse Princesse de la Terre ne laisseroit aucun adoucissement à nostre douleur, si nous n’estions fortement persuadez que ses hautes vertus, qui faisoient icy une partie de nostre bonheur, font tout le sien présentement dans le Ciel. Nous la considérons, SIRE, comme un de ces Anges de Paix, & un de ces Génies du premier Ordre, que Dieu veut bien envoyer sur la Terre de temps en temps, pour donner aux plus grands Princes, & à leurs Peuples, des marques visibles de sa protection, et des assurances infaillibles de ses soins sur eux, & qu’il rappelle aussi-tost à luy, lors qu’ils ont remply leur ministere, afin de les rejoindre à leur centre, qui est la Divinité mesme, et de les remettre dans leur premier repos, qu’ils goûtent sans trouble & sans agitation.

L’incomparable Princesse, dont la perte nous est aujourd’huy si douloureuse, avoit contribué infiniment à assurer le repos de ce grand Etat, par l’Alliance auguste dont vous l’honorastes par la Faix des Pyrenées que vous donnastes à toute l’Europe, & dont elle fut tout-ensemble le gage & le prix. Elle en affermit les assurances peu de temps apres par la naissance heureuse de Monseigneur le Dauphin, dont les suites pleines de benediction ne promettent rien moins à ce triomphant Empire, qu’un bonheur sans fin, & une étenduë sans bornes. Elle soûtenoit par ses vœux & par la force de ses prieres, le Bras puissant de V. M. dans l’exécution de ses glorieuses entreprises, dont les succés surprenans font l’admiration de toute la Terre ; mais-le Ciel n’a pas jugé necessaire qu’elle fust visible plus longtemps pour attirer sur nous tous ces fameux avantages. Il a remply ses desirs ; il l’a placée dans ce lieu où son ame s’élevoit une infinité de fois chaque jour, ou plutost elle s’y est retirée elle-mesme par la force de ses transports vers le Ciel, afin d’ajoûter une Couronne de gloire à celle qu’elle possedoit icy avec V. M.

C’est de ce sejour heureux, & de ce Trône de lumiere, que jettant continuellement sur Vous des yeux de tendresse, & sur vos Peuples des regards d’affection & de bonté, elle secondera puissamment vos desseins, & inspirera à vos Sujets de nouveaux sentimens de zele, de soûmission & de respect pour V. M. Nous nous appercevons déja qu’ils s’augmentent dans nos cœurs, & nous venons d’en éprouver un sensible effet, par la frayeur que les premiers bruits de l’Accident arrivé depuis peu de jours à V. M. nous a causée, & à tous ceux qui sont sous nostre conduite ausquels nous n’enseignons rien avec tant d’application & de soin que l’obligation indispensable où ils sont aussi bien que nous, d’employer leurs biens, de verser leur sang, & de donner leurs vies pour la conservation de celle de V. M. qui nous est infiniment plus prétieuse que toutes les nostres ensemble.

Le Roy, avec cet air de bonté qui luy est si naturel, répondit qu’il estoit tres-satisfait de la part que cette Compagnie prenoit aux choses qui le regardoient ; qu’il conservoit toûjours beaucoup d’estime pour elle, & qu’il luy feroit sentir les effets de sa protection en toutes rencontres. Ces Députez furent ensuite conduits chez Monseigneur le Dauphin, auquel le mesme Mr Tavernier fit ce Compliment.

MONSEIGNEUR,

Le don que la Reyne fit aux François, lors que le Ciel voulut bien estre secondé par Elle pour vous donner la naissance, est quelque chose de trop prétieux pour n’en pas goûter la possession avec un plaisir parfait. En effet quoy que la perte de cette auguste Princesse nous soit tres-sensible, nous ne pouvons croire qu’avec peine que nous en soyons privez, tant que nous avons le bien de voir revivre en Vous toutes les grandes qualitez qui l’ont fait aimer de tous les Peuples. Sa pieté qui efface celle des Théodoses & des Constantins, sa grandeur d’ame égale à celle des Henrys & des Charles, sa douceur bienfaisante semblable à celle des Tites & des Antonins, sa candeur pareille à celle de sa Couronne ; tout cela, MONSEIGNEUR, brille en Vous, avec mille autres vertus, dont le glorieux assemblage fait voir que le Ciel vous a formé pour estre avec justice l’unique Heritier de Loüis le Grand, & de Marie-Thérese d’Austriche.

C’est dans la veuë de toutes ces perfections, & dans la pensée des biens dont elles sont une source abondante pour nous, que nous poussons à chaque moment des vœux vers le Ciel, pour luy demander la continuation de ses soins sur Vous & sur vos Descendans, qui font aujourd’huy nos plus cheres espérances, & qui dans tous les temps à venir feront le bonheur de nos Successeurs.

Voicy ce qu’il dit à l’Audience de Madame la Dauphine.

MADAME,

L’auguste Alliance qui vous a fait entrer dans la Famille Royale de France, nous console d’autant plus de la perte que nous avons fait, que vous nous retracez d’une maniere toute éclatante les grandes qualitez de la Reyne. Ses Vertus, dont vous estes l’Heritiere, jointes à mille autres perfections personnelles, sont en Vous une disposition bien avantageuse pour l’estre un jour de sa Dignité avec tout le mérite qu’elle demande. Il en faut beaucoup pour succeder à Marie-Thérese d’Ausriche ; mais, MADAME, quand on a déja la gloire d’avoir donné à Loüis le Grand des Successeurs, qui en marchant sur ses pas, puissent quelque jour gouverner son Empire, & soûtenir sa Couronne, on est bien digne de porter son Sceptre.

Que le Ciel benisse cette belle Posterité ; qu’il vous donne la joye, & à nous la consolation de voir naître bientost de Vous un second Héros, pour la satisfaction entiere de nostre invincible Monarque, & pour l’eternel affermissement de ses Etats.

[Autres Services faits pour la Reyne] §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 261-262, 266-267, 279.

Le Mercredy 13. de ce mois, [l'] Université [de Paris] fit celébrer un Service solemnel pour la Reyne, dans l'Eglise du College Royal de Navarre. Le jour en fut marqué par un Mandement exprés, que Mr le Recteur fit afficher dans toutes les Places de cette Ville. On avoit dressé au milieu du Chœur une tres-belle Représentation sur une Estrade fort large, & élevée sur quatre degrez. Elle estoit couverte d'un Poële de Drap d'or, avec un grand Daiz au dessus, pendu à la Voûte. Les quatre costez du Daiz estoient repliez, & attachez au haut des Piliers du Chœur. Quatre Devises faisoient l'ornement des quatre Piliers du Lit Funebre.

[...] Lorsque tout le monde fut placé, Mr l'Archevesque de Paris entra, précedé de ses Assistans, des Officiers, & du Hérault de l'Université. Il s'habilla sur son Estrade, & commença la Messe, qui fut chantée par une excellente Musique de la composition de Mr Mignon, Maître de Chant de l'Eglise de Paris. Lors que l'on eut fait l'Offerte, le Recteur quita sa place, & alla d'un bout du Chœur à l'autre, précedé de quatorze Massiers jusques à la Chaire, d'où il prononça l'Eloge Funebre en Latin, avec une entiere satisfaction de l'Assemblée. [...]

Mr des Auzieres, Curé de S. Sillain de Périgueux, a fait paroistre sa reconnoissance, pour l'honneur que Mr des Auzieres son Frere a reçeu d'avoir servy la Reyne, en qualité de Valet de Chambre, par un Service qu'il a fait faire dans sa Paroisse, avec la Musique de la Cathédrale. Mr Doria, Docteur en Theologie, y prononça l'Oraison Funébre. [...]

[M. Fieubet, Chancelier de la feuë Reyne, monte à la mesme Dignité] §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 288-289.

Mr de Fieubet, Chancelier de la feuë Reyne, Homme d’une égale réputation pour la probité & pour l’esprit, a esté fait Conseiller d’Etat ordinaire dans le mesme temps. Il sçait parfaitement les belles Lettres, & a une finesse & une délicatesse dans l’esprit, qui se trouvent rarement. On a veu de luy des Vers Latins & François, qui sont admirables. Mr de Fieubet son Pere, estoit Trésorier de l’Epargne. Il a un Frere Maistre des Requestes. Madame de Fieubet sa Femme est continuellement employée aux œuvres de pieté, & dans une grande réputation parmy les veritables Devots.

Pour Monsieur le Marquis de Louvoys, Ministre d’Etat. Sonnet §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 293-296.

Mr de Louvoys servant toûjours le Roy avec une égale activité dans les diférens Emplois dont Sa Majesté se repose sur ce Ministre. Mr Magnin, dont vous avez déja veu tant de beaux Ouvrages, a fait pour luy le Sonnet que je vous envoye. C’est une Allusion à la Devise de ce grand Monarque, Nec pluribus impar.

POUR MONSIEUR
LE MARQUIS
DE LOUVOYS,
MINISTRE D’ETAT.
SONNET.

D’un Ministre agissant, le soin laborieux
Doit seconder les soins des suprémes Puissances ;
Dans sa gloire supréme ainsi le Roy des Cieux,
Pour agir au dehors, a ses Intelligences.
***
Un Monarque chargé d’un Sceptre glorieux,
Seul, ne sçauroit fournir à ses devoirs immenses.
Il faut que pour tout voir, il emprunte des yeux,
Et des bras, pour s’étendre aux plus vastes distances.
***
Un Roy, plus élevé que tous les Potentats,
Trouve dans Louvoys seul tous ces yeux, tous ces bras,
La prompte activité, la sagesse profonde,
***
Un assemblage heureux de talens inoüis ;
Et si LOUIS suffit à régir plus d’un Monde,
Quelle gloire à Louvoys de suffire à LOUIS ?

[Feste Romaine] §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 300-321.

La Lettre qui suit, vous plaira par sa matiere. Vous aimez les Tableaux, & plus encore, ce qui regarde la gloire du Roy. Vous y trouverez dequoy estre satisfaite sur ces deux Articles. Sa date vous fait connoistre qu’il y a déja quelque temps que je l’ay reçeuë.

A Rome ce 22. Juin 1683.

Dans la Relation que je vous envoyay l’année passée des Réjoüissances que l’on fit icy pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, je vous marquay particulierement celles de Mr de la Chausse, Agent de feu Mr le Cardinal de Retz. On trouve dans tout ce qu’il a fait quelque chose de particulier, & qui découvre la délicatesse de son esprit, & c’est pour cela que je veux vous faire part de ce qu’il a fait depuis quelques jours. C’est une ancienne coûtume à Rome, d’exposer des Tableaux à certaines Festes, soit pour y attirer un plus grand concours de Peuple, soit pour satisfaire le goust des Curieux, ou pour exciter la Jeunesse au travail, en luy faisant voir les Ouvrages des grands Hommes. Ceux qui sont chargez du soin de ces Festes, empruntent pour cet effet un grand nombre de Tableaux des meilleurs Peintres ; de sorte que si l’on doit la satisfaction que l’on y trouve au soin de quelque Particulier, on peut dire que tout le Public y contribuë. Mr de la Chausse s’est voulu épargner cet embarras, en faisant luy seul, ce que plusieurs Personnes auroient eu de la peine à faire ensemble. Ce fut le jour qu’on celebre le Mystere de la Trinité, qu’ayant fait tapisser le Cloistre des Peres Minimes de la Trinité du Mont, il y fit porter plus de cent cinquante Tableaux de son Cabinet, ornez de riches Bordures, & peints par les plus excellens Maistres. Vous en conviendrez, lors que vous sçaurez qu’il y en avoit un du Titien, représentant la Sainte Famille.

Un d’Annibal Carache.

Un d’Augustini Carache.

Un du vieux Bassan.

Un du Lanfranque.

Trois de l’Albane.

Un d’André Camaséo.

Un du Guarchin.

Quatre de Mole.

Un du Masteletti.

Un de Pietro de Cortone.

Un d’Aléxandre Véronese.

Un de Cornelio Satira.

Deux du Bourguignon.

Une Bataille du Jesuiste.

Un du Brandi.

Sept de Carlo Maratta, entre lesquels on peut dire qu’il y en avoit trois qui sont des Chef-d’œuvres ; sçavoir, un Mariage de Sainte Catherine, que plusieurs Sçavans auroient pris pour un des plus beaux Tableaux de Paul Véronese, si la vivacité des couleurs n’eust fait connoistre qu’il est peint depuis peu d’années. Le second représente une Vierge qui enseigne à lire au petit Jesus. Le coloris, la disposition, la force du dessein, & la grace, se font également distinguer dans ce Tableau, & semblent se vouloir disputer la préference. Le troisiéme est le Portrait de Mr de la Chausse, sur une Toille de cinq palmes, & large de quatre. On ne peut assez faire l’éloge de ce Tableau ; il suffit de dire que le Sr Carlo Maratta a voulu faire voir que l’Art peut en quelque façon arriver à la verité du naturel.

Six de Filippo Laori.

Un Païsage de feu Claude Lorain.

Deux du Bolognese.

Six Païsages de Gasparo Poussin.

Un de Michelange des Batailles.

Un du Bambocce.

Plusieurs Perspectives, & Païsages avec des Figures, de Michelange des Batailles, & de Filippe Laori.

Une Guirlande de Fleurs, de Mario de Fiori.

Quatre de feu Mr Bodeson.

Sept grands Tableaux, représentant des Animaux vivans & morts, peints par le Sr David de Coeninch, Flamand. C’est un des plus habiles Hommes qu’il y ait jamais eu en ce genre.

Plusieurs autres Tableaux de Batailles, de Païsages, de Perspectives, de Fleurs & de Fruits, que je ne marque point icy, pour n’estre pas ennuyeux.

Un Cabinet remply d’aussi beaux Tableaux, que celuy de Mr de la Chausse, est une marque assurée de son bon goust ; mais ce n’estoit pas assez pour luy d’avoir donné cette satisfaction au Public. La fidelité pleine de zele qu’il a pour son Roy, ne luy permettoit pas d’en demeurer-là, & c’est pour ce sujet qu’il fit peindre trois grands Tableaux chargez de Devises, qu’il plaça dans les trois costez du Cloistre.

Celuy du milieu, qui estoit le plus grand, estoit orné de huit Cartouches, & de cette Inscription au milieu.

REGI OPT. MAX.
Semper invicto, semper triumphanti
LUDOVICO MAGNO
Orbis Pacatori,
et Benefactori.

Au dessus estoit peint un Soleil, avec ces paroles, Omnia ab illo. Tous les Biens dont nous joüissons, du nombre desquels est la Paix, sont des Présens du Roy.

Au dessous de l’Inscription, estoit peint le mesme Soleil, avec ces autres paroles. Quid sine illo. Toute la Terre est assez persuadée qu’on ne peut rien entreprendre de glorieux, sans le secours de Sa Majesté.

Dans le troisiéme Cartouche, estoit représenté cet Astre de Lumiere dans un Ciel serain. Ces mots estoient autour, Tranquillitas temporum. C’est aux bontez de Sa Majesté que toute l’Europe doit son repos.

Dans le quatriéme, on remarquoit le Soleil parcourant le Zodiaque, avec ces paroles, Indefessus agit. Les plus grandes fatigues ne sont pas capables d’arrester le Roy, lors qu’il s’agit de sa gloire, & du bien de ses Sujets.

On voyoit dans le cinquiéme, un Soleil avec un Globe terrestre au dessous. Ces mots estoient au dessus, Ex se cuncta videt. La vigilance du Roy, qui ne luy permet pas de se reposer sur ses Sujets du poids de sa Couronne, en est une preuve convainquante.

La sixiéme, représentoit ce mesme Astre, qui par ses influences & son favorable aspect, faisoit croistre quantité de Fleurs & de Plantes sur la Terre. On lisoit ces paroles autour, Non sibi, sed nobis. Nous éprouvons assez que le Roy travaille moins pour luy, que pour le bonheur de ses Peuples.

Dans la septiéme, estoit peint un Soleil levant dont les rayons dissipoient d’abord une grande quantité de nüages. Ces mots estoient dessus, Venit, vidit, vicit. La Conqueste de la Hollande en deux mois de temps, fait assez connoistre que la présence du Roy peut tout, & que ces paroles luy conviendroient mieux qu’à cet ancien Romain, si sa modestie pouvoit les soufrir.

On voyoit dans la huitième ce mesme Soleil, perçant de ses rayons les nüages les plus épais, qui sembloient vouloir s’opposer à luy. On lisoit ces paroles, Nil illi impervium. Sa Majesté a des lumieres qui luy font connoistre toutes les entreprises de ses Ennemis, & non seulement il trouve moyen de les dissiper, mais il en sçait profiter par sa prudence, & par son courage.

Le second Tableau estoit chargé de cinq Cartouches, un au milieu, & les autres aux quatre coins.

Dans celle du milieu, on voyoit un Soleil, & un Olivier au dessus, à l’ombre duquel reposoient un Aigle & un Lion. Ces paroles estoient autour, Tutos dedit esse sub umbra. La Paix que le Roy a donnée à ses Ennemis, estoit seule capable de les mettre en seûreté.

La seconde représentoit une Lune dans un Ciel serain, avec ces mots, Tranquillum post fulmina tempus. On est assez persuadé que les peines de la Reyne, n’ont pas peu contribué à la Paix dont nous joüissons.

On remarquoit dans la troisiéme un Aigle regardant fixement le Soleil. Ces paroles estoient au dessus, Sustinet immotis oculis. Quel autre, que Monseigneur, peut soûtenir l’éclat, & la majesté d’un si grand Roy ?

La quatriéme estoit faite pour Madame la Dauphine, & représentoit un Arbre chargé de Fleurs, avec ces mots, Novos in tempora fructus. Cette Devise marque les vœux de tous les François, qui attendent avec une loüable impatience les nouveaux Fruits que sa grossesse leur fait espérer.

La derniere faisoit voir un petit Aiglon, qui à l’imitation de l’Aigle, commençoit à s’accoûtumer à la splendeur du Soleil. On lisoit ces paroles autour, Juvenis sequitur vestigia Patris. Nous ne devons pas attendre autre chose de Monseigneur le Duc de Bourgogne.

Le troisiéme Tableau contenoit quatre Devises. Dans le milieu du Tableau estoit une grande Cartouche, où l’on voyoit un Trophée de Couronnes, de Chapeaux de Cardinal, de Mitres, de Croix du S. Esprit, de Canons, de Bastons de Maréchaux de France, & d’Ancres, qui sont les Dignitez qu’a possedées, & que possede encore aujourd’huy l’illustre Maison d’Estrées. Les Armes de cette grande Famille estoient au dessus, avec ces paroles, Claro cum sanguine virtus. Ce n’est pas seulement la naissance qui a mis tant de dignitez & d’honneurs dans leur Maison ; la vertu dont tous les grands Hommes qui en sont sortis, ont fait, & font encore aujourd’huy profession, fait assez connoistre, qu’en France, & particulierement sous un Regne aussi éclairé que celuy deLoüis le Grand, les honneurs & les dignitez sont la récompense de la vertu.

La premiere Devise représentoit un Soleil, & un Chapeau de Cardinal au dessus. Ces paroles estoient autour, Tegit illustratus. Ces paroles se font assez entendre d’elles-mesmes. Si Mr le Cardinal d’Estrées a esté honoré du Cardinalat, cette Eminence rend du moins autant de lustre au Chapeau, qu’elle en reçoit.

La seconde faisoit voir un Ciel étoilé, avec ces mots au dessus, Sapiens dominabitur illis. La prudence de Mr le Duc d’Estrées, Ambassadeur de Sa Majesté en cette Cour, a bien fait voir pendant le Pontificat passé, que le Sage sera toûjours au dessus des Astres.

La troisiéme & la quatriéme, estoient pour Mr le Maréchal d’Estrées. Dans la premiere estoit un Vaisseau de France, dont toutes les Voiles enflées par le vent, luy faisoient cingler la Mer avec rapidité. Ces mots estoient autour, Nusquam meta mihi. Ce Genéral a fait assez connoistre par sa valeur, que les Vaisseaux de Sa Majesté passent facilement d’une Mer à l’autre, & ne trouvent pas mesme de bornes dans le Nouveau-Monde.

La seconde représentoit un Foudre qui tomboit dans la Mer, avec ces paroles, Terret utrumque. Les Mers des deux Mondes ont éprouvé le courage, & l’intrépidité de ce Maréchal. C’est le Neptune de la France, & pour tout dire, le digne Frere de Mr le Cardinal, & de Mr le Duc d’Estrées.

Tout ce qu’il y a de Curieux à Rome, se trouverent à cette Feste. Mr le Cardinal d’Estrées, & Mr l’Ambassadeur, l’honorerent de leur présence, comme plusieurs autres Cardinaux, Princes, Prélats, & Cavaliers. La disposition des Tableaux, & le bon goust, n’y furent pas moins admirez que la quantité ; & l’on avoit peine à croire, qu’une seule Personne eust pû fournir assez de Tableaux, pour en remplir un si grand Cloistre, sans en emprunter à d’autres. Je suis vostre, &c.

[Planche notée]* §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 321-323.

Quoy que les anciens Noëls soient communsAvis pour placer les Figures : la Planche notée, doit regarder la page 321., parce que l´Eglise nous les fait entendre tous les ans pendant le temps de l´Avent, Mr Gigault, Organiste de S. Nicolas des Champs, a trouvé moyen de leur donner un tour particulier qui les renouvelle, & qui les rend tres-agreables à estre touchez, non seulement sur l´Orgue, & le Clavessin, mais aussi sur les Violes, Violons, & Flustes. La Planche que je vous envoye, vous en fera voir un modelle. Il est nouveau, & n´a point encore paru. Ce Noël estant le premier de ceux sur lequel tant de Maistres de Musique ont travaillé, vous le voyez neantmoins avec un accompagnement nouveau & particulier, ce qui peut donner envie aux Sçavans en Musique de le toucher. Comme il peut se faire à deux & trois Parties sur l´Orgue, le Clavessin, la Harpe, la Viole, la Flute, & sur le Violon, l´Autheur de ce Noël y a travaillé, afin que chacun pust se satisfaire selon son goust. Il vend un Livre, où tous les autres Noëls sont, & dans lequel on les trouvera diversifiez de plusieurs manieres. Il en fait un autre d´Orgue, qu´il mettra dans peu au jour.

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[Mariage de M. de Seve & de Mademoiselle de Bernage] §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 323-332.

Mr de Seve, Sr de Gomerville, qui a esté Capitaine au Régiment des Gardes, a épousé depuis peu Mademoiselle de Bernage, de la Famille des de Bernage, Seigneurs de Maurepas, originaire de Flandre. Feu Messire Loüis de Bernage, Aumônier du Roy, & ensuite Evesque de Grace, estoit de cette Famille. Mr de Bernage reçeu en 1643. Conseiller au Grand Conseil, en est aussi. Elle est alliée aux Chevalier, le Picart, le Maçon-de-Bucy en Bourgogne, du Voyer-d’Argenson, le Gras, Hémand du Perron, le Tonnelier de Breteüil, & porte Facé de gueules, & d’or, de six Pieces.

Mr de Seve de Gomerville a deux Freres. Son aîné est Guillaume de Seve, Sr de Chastillon-le-Roy, Premier Président au Parlement de Metz, & auparavant Maistre des Requestes, Intendant de Justice en Guyenne & Languedoc, qui a épousé Anne le Clerc de Lesseville, Sœur de Nicolas le Clerc de Lesseville, Président en la Cinquiéme des Enquestes, & Fille de feu Nicolas le Clerc de Lesseville, Maistre des Comptes, & de Marie de Suramond, à présent sa Veuve. L’autre Frere, est Guy de Seve de Rochechoüart, Evesque d’Arras, Président né des Etats d’Artois, Abbé de S. Michel en Tiérache. Leur Sœur estoit Claude Françoise de Seve, Femme de Henry Testu de Balincourt, Conseiller au Grand Conseil. Ils sont Fils de feu Aléxandre de Seve, Seigneur de Chantignonville, Conseiller au Grand Conseil, puis Maistre des Requestes, Prevost des Marchands de la Ville de Paris pendant huit années, en suite Conseiller d’Etat, & au Conseil Royal des Finances, qui a rendu des services considérables à l’Etat. Madame de Seve leur Mere, estoit Magdeleine de Rochechoüart, Dame de Chastillon-le-Roy, de l’illustre Maison de Rochechoüart. Leur Ayeul, Guillaume de Seve, Sr de S. Julien, avoit épousé Catherine Catin, Fille de Jean Catin, Sr de Plotard, & de Catherine de Rochefort, descenduë des Chartier d’Alainville, & des Fondateurs de la Maison & College de Boissy à Paris, alliée aux de Mégrigny-Vandeuvre, Molé de Champlatreux, de Montholon, Baillet de Vaugregnan, de Longueil-Maisons, de Belleforiere-Soyecourt, Chassebras du Breau, le Doux de Melleville, de Sainctes, de Bragelongne, &c. Pierre de Seve, Sr de Montely, leur Bisayeul, avoit pris pour Femme Marguerite Camus, de la Famille des Camus, Seigneurs de Pontcarré, du Perron, de Bagnols, & de S. Bonnet, dont il y a eu des Intendans des Finances, Conseillers d’Etat, Maistres des Requestes, Conseillers au Parlement, & autres Compagnies Supérieures, & dont estoit Jean-Pierre Camus, Evesque du Bellay, qui a donné au Public un si grand nombre d’Ouvrages.

La Famille des de Seve est originaire d’Italie, & porte Facé d’or & de sable de dix Pieces, à la Bordure componée de l’un en l’autre. Elle a diférentes Branches, dont l’une qui est établie à Lyon, y a donné plusieurs Lieutenans Genéraux, & Présidens au Parlement de Dombes. Celles des de Seve, Seigneurs d’Aubeville, Fromentes, la Forest, & Stainville, ont donné plusieurs Maistres des Requestes, Conseillers au Parlement de Paris, & un Premier Président de la Cour des Aydes.

Feu Jean de Seve, Sr de Plotard, Président en la Cour des Aydes, Frere aîné de Guillaume de Seve, Conseiller au Conseil Royal, avoit épousé Renée de Guénegaud, dont est venuë une Fille unique Claude de Seve, Femme d’Antoine Girard, Sr de Villetaneuse, Procureur General au Grand Conseil. Claude de Seve, Sœur du mesme Guillaume de Seve Conseiller au Conseil Royal, avoit esté mariée à Loüis Tronson, Secretaire du Cabinet du Roy. De ce Mariage sont sortis Charles Tronson, mort en 1682. Conseiller de la Grand’Chambre ; Guillaume Tronson, Secretaire du Cabinet du Roy ; Loüis Tronson, Prieur de Chandier, Supérieur du Séminaire de Saint Sulpice ; Antoine Tronson, Abbé ; Jean Tronson, Capitaine au Régiment de Picardie, Jean-Pierre Tronson, Sr de Chenevieres ; & Aléxandre Tronson, Sr de Mauleon.

[Comédie d’Arlequin Prothée & Avocat] §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 332-334.

Jamais la Comédie Italienne n’a esté ny si applaudie, ny si suivie en France, qu’elle l’est présentement. Aussi les Comédiens Italiens ne sont-ils jamais si bien entrez dans nos manieres, qu’ils y entrent depuis quelque temps. Ils joignent l’utile à l’agreable, & il y a beaucoup à profiter dans toutes leurs Pieces, sur tout dans la derniere, où l’on connoist par le grand nombre de Procédures d’Arlequin Avocat, combien il est dangereux de plaider, & qu’il n’y a point de Procés qui ne puisse ruiner un Homme, quand mesme il ne s’agiroit entre les Parties que d’une chose de peu d’importance. Si Arlequin est inimitable dans les divers rôles qu’on luy voit joüer dans cette Piece, ses deux Filles ne le sont pas moins. Les diférens Personnages qu’elles soûtiennent sont si bien remplis, qu’elles se sont attiré l’applaudissement de tout Paris, qui ne se peut lasser de les admirer. Jamais on n’a veu tant d’intelligence pour la Comédie, avec une si grande jeunesse. Il n’y a point de caractere dans lequel elles n’entrent, & elles s’en acquitent de si bonne grace, que lors qu’elles paroissent dans quelque Scene, elles semblent estre uniquement nées pour le Personnage qu’elles représentent.

[Nouveaux Dialogues des Morts traduits en Italien & en Anglois] §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 334-336.

Les Nouveaux Dialogues des Morts n’ont pas moins plû aux Etrangers, qu’aux François. Un fort habile Romain en a traduit la Premiere Partie en sa Langue, avec une fidelité si exacte, qu’il s’est attaché à suivre l’Autheur jusque dans le tour des Vers. On me mande que cette Premiere Partie est imprimée, & que le Traducteur ayant donné ordre qu’on luy envoyast la Seconde, si-tost qu’elle paroistroit, il a commencé déja à y travailler. Comme vous aimez extrémement cette Langue, je vous envoyeray les deux Parties dans le mesme temps que je les auray reçeuës. La Premiere a esté aussi traduite en Anglois, à ce qu’on m’a assuré. Apparemment la Seconde suivra au plûtost ; mais la Langue Angloise vous est inconnuë, & je chercherois inutilement à lier commerce en ce Païs-là, pour vous les faire venir.

[Refléxions nouvelles sur l’Acide, & sur l’Alkali] §

Mercure galant, octobre 1683 (premiere partie) [tome 11], p. 336-339.

Le Sieur Amaulry, Libraire de Lyon, a imprimé depuis peu un Livre tres-curieux, intitulé, Réfléxions Nouvelles sur l’Acide, & sur l’Alkali. Quoy que cette matiere soit toute de Physique, & mesme de Chimie, Mr Bertrand, Aggregé au College des Medecins de Marseille, l’a traitée avec tant d’ordre & de netteté, qu’on la peut entendre facilement, pourveu qu’on ait quelque teinture de Philosophie. L’Acide & l’Alkali, sont deux especes diférentes de Sels, dont l’action est tres-remarquable dans une infinité d’effets de la Nature ; mais les Chimistes qui sont fort sujets à s’entester, ont poussé plus loin qu’il ne falloit la vertu de ces deux sortes de Sels, & ont prétendu en faire les premiers principes de toutes choses. Mr Bertrand réfute tres-solidement cette erreur, & en mesme temps renferme l’Acide & l’Alkali dans leurs veritables bornes, en faisant voir que quoy qu’ils ne soient pas premiers principes, ils sont neantmoins les causes cachées d’un tres-grand nombre de Phénomenes. Il découvre par leur moyen, la source des maladies les plus considérables, & entr’autres des maladies contagieuses, & explique sur ce principe, quels remedes y doivent estre propres. Tout cet Ouvrage est remply d’Expériences tres-curieuses, & de raisonnemens les plus justes que puisse fournir la nouvelle Phisique qui est si exacte. Il se vend à Paris, chez le Sieur Blageart Libraire, Court-Neuve du Palais.