1683

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1683 [tome 13].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13]. §

Sur le Soleil §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 1-4.

Il est vray, Madame ; j’aurois pû vous envoyer dans ma Lettre du dernier Mois, les trois Sonnets qui vont faire le commencement de celle-cy, & vous avez raison de me dire que l’accablement de la matiere me les a fait réserver. Il estoit indubitable qu’on s’empresseroit à travailler, si-tost qu’on auroit vû le Soleil donné pour sujet de cette sorte d’Ouvrage. On ne peut faire aucune refléxion sur les effets merveilleux que ce grand Astre produit, sans songer à ce que le Roy fait tous les jours d’éclatant. Aussi les Autheurs de ces Sonnets, les ont tous finis par l’éloge de ce Prince. Le premier est de Mr de Grammont ; le second, de Mr Vignier, l’un & l’autre de Richelieu ; & le troisiéme, de Mr Diéreville, du Pontlevesque.

SUR LE SOLEIL.

Bel Astre, dont l’aspect réjoüit les Mortels,
Et dont les longues nuits font regreter l’absence,
Grand Luminaire où Dieu fait briller sa Puissance,
Agreable Canal de ses dons paternels.
***
Ton pouvoir est si grand, & tes effets sont tels,
Que quand je veux songer à ta rare excellence,
Je ne suis pas surpris qu’à ta magnificence,
La Perse ait autrefois élevé des Autels.
***
Il est vray que ce culte est détruit par le nostre ;
Mais pour t’en consoler, mon Roy t’en rend un autre,
Qui sans déplaire à Dieu va t’immortaliser.
***
Le choix t’est glorieux dont il te favorise,
Et l’encens que tu perds n’est pas tant à priser,
Que l’honneur de te voir placé dans sa Devise.

Sur le mesme Sujet §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 4-6.

SUR LE MESME SUJET.

Grand Dieu, que de bontez envers ta Creature !
Quelle profusion de Chef d’œuvres divers !
Que d’ordre ta Sagesse a mis dans la Nature,
Pour affermir la Terre, & retenir les Mers !
***
J’admire tant de biens pour nostre nourriture.
Les Fleurs de nos Jardins, ces Arbres toûjours verds,
Et regardant des Cieux la charmante Structure,
Je ne sçay que choisir pour sujet de mes Vers.
***
Aussitost que la nuit étend ses sombres voiles,
Mes yeux sont enchantez du brillant des Etoiles,
Mais ils sont ébloüis au retour du Soleil.
***
Outre ses qualitez dont mon ame est éprise,
Ce qui me fait juger cet Astre sans pareil,
C’est que LOUIS LE GRAND l’a pris pour sa Devise.

Sur le mesme Sujet §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 6-7.

SUR LE MESME SUJET.

Le Soleil qui répand en tous lieux sa lumiere,
Qui fait naistre les Fleurs, & fait meurir les Fruits,
Qui commence & finit tous les jours sa Carriere,
Détruit le plus souvent les biens qu’il a produits.
***
S’il nous rend quelquefois les yeux tout ébloüis,
Et nous fait malgré nous abaisser la paupiere,
Ses rayons éclatans qui dissipent les nuits
Ne brillent pas toûjours de la mesme maniere.
***
Il arrive des temps que toute sa splendeur
Disparoist à nos yeux, & marquant sa langueur,
Ne nous laisse plus voir qu’une pâleur extréme.
***
Mais regardons LOUIS en bontez sans égal ;
Cet Astre incomparable estant toûjours le mesme,
Fait sans cesse du bien, & ne fait point de mal.

[Devise et son explication]* §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 8-9.

Mr Magnin, Conseiller au Présidial de Mâcon, qui a travaillé aussi sur le Soleil, en a fait une Devise, en y ajoûtant ces paroles pour ame,

Haud falsi Numinis index.

Le Sonnet qui suit, en est l’explication.

Vains & foibles Esprits, dont l’audace insolente
Au sortir du néant brave le Createur,
Et loin de revérer sa Main toute-puissante,
Conteste l’existence au Souverain Autheur.
***
Voyez dans le Soleil sa gloire triomphante,
Tout l’Univers ensemble en est le Spectateur.
Sans cesse il en ressent la vertu bienfaisante,
Et dans son mouvement voit un autre Moteur.
***
Il en fait une preuve éclatante, & sensible,
Il nous découvre un Dieu, puis qu’il rend tout visible.
C’est pour cela qu’il brille & roule dans les Cieux.
***
Mais qui veut voir ce Dieu de plus prés sur la Terre,
Qu’il regarde LOUIS, il verra dans ses yeux,
Il verra comme est fait le Maistre du Tonnerre.

Sur la Mort de la Reyne. Ode §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 13-26.

Mr Magnin, dont vous venez de lire un Sonnet sur le Soleil, ne s’est pas teû dans ce grand sujet de deüil, qui a cousté tant de pleurs à toute la France. Voicy ce que son zele luy a fait produire.

SUR LA MORT
DE LA REYNE.
ODE.

Changez de vos accens la riante allégresse,
Doctes Sœurs, il s’agit d’un grand & triste deüil.
 Soûpirez, & pleurez sans cesse,
Et d’une Reyne auguste honorez le Cercueil.
La douleur de LOUIS vous demande des larmes.
Si vous avez chanté la gloire de ses Armes,
Si le Ciel favorable à ses desseins guerriers,
A remply l’Univers du fruit de ses Conquestes ;
Les funestes Cyprés, tristes fleaux de vos Festes,
Ne laissent pas de croistre à l’ombre des Lauriers.
***
Ne nous promettez rien, félicitez humaines ;
Helas ! encore un coup, ne nous promettez rien.
 Toûjours trompeuses, toûjours vaines,
Que de maux vous meslez avec un peu de bien !
Non, vous ne respectez, cruelles Destinées,
Ny sublimes Vertus, ny Testes couronnées.
Ah, si rien pouvoit estre affranchy de vos Loix,
La mort dont nous pleurons la surprise étonnante,
Feroit-elle à nos yeux, cette mort affligeante,
Gémir le plus heureux, & le plus grand des Roys ?
***
Oüy, le cœur de LOUIS, ce cœur toûjours paisible,
Est vivement touché de ce triste revers,
 Et déja sa douleur sensible
A de ce coup fatal instruit tout l’Univers ;
Mais nul emportement n’exprime sa tristesse,
Affligée par raison, & non pas par foiblesse,
Grave & majestueux sous le poids de ses maux,
La supréme Sagesse à son deüil est meslée ;
Si sa belle ame est triste, elle n’est point troublée,
Et l’Homme ne fait rien aux dépens du Héros.
***
Certes dans ses douleurs tendres & genéreuses,
Quelque ressentiment qui vienne l’émouvoir,
 Par mille routes glorieuses,
Son cœur toûjours égal se rend à son devoir.
Il sçait bien, en pleurant cette Princesse auguste,
Qu’elle plaint sa douleur, & ne la croit pas juste ;
Au comble de la gloire, au centre des plaisirs,
Si la mort luy ravit sa Couronne mortelle,
Elle l’a mise en droit d’en prendre une eternelle,
Dont l’honneur doit borner les plus vastes desirs.
***
Dans la foule des Biens dont l’éclat l’environne,
Seroit-elle sensible à nos foibles regrets ?
 La surprise qui nous étonne,
Annonce à sa belle ame une eternelle paix.
Le coup qui l’a frapée, & qui rompit sa chaîne,
Est une récompense, & non pas une peine ;
C’est ainsi que le Ciel déclare ses faveurs.
Bien souvent par pitié la Parque meurtriere,
Des ans que nous prisons abrege la carriere,
Et ceux que nous pleurons, s’offensent de nos pleurs.
***
La mort, qui se montrant aux Puissances humaines,
De son horrible aspect redouble les horreurs,
 A fait des entreprises vaines
Pour inspirer icy ses affreuses terreurs.
Aux Decrets eternels ma Princesse soûmise,
En a reçeu le coup sans éfroy, sans surprise,
Et dans ce triste instant, où par mille combats
L’ame la plus constante a des chútes fatales,
Hors LOUIS, seul objet de ses amours Royales,
Elle n’a veu que Dieu qui luy tendoit les bras.
***
Elle n’avoit vescu, Seigneur, que pour vous plaire,
Elle n’a pú mourir que pour vous posseder ;
 Et sans paroistre teméraire,
Dans cet état heureux on peut la regarder.
Vous le sçavez, ô vous témoins irréprochables,
Autels toújours sacrez, & toújours adorables,
Si c’est trop présumer de tant de soins pieux,
Et si dans cette mort dont nous pleurons l’outrage,
Bien loin de nous parer d’un injuste présage,
La Terre à nos dépens n’honore pas les Cieux.
***
Seigneur, encore un coup, vous sçavez de quel zele
Elle estoit animée à maintenir vos droits,
 Et quel plaisir c’estoit pour Elle,
De sçavoir l’Herésie à ses derniers abois.
Du seul desir d’en voir une entiere défaite,
Elle faisoit l’objet de sa peine secrete,
Et n’ayant pú goúter ce doux contentement,
Maintenant dans les Cieux sa voix mieux écoutée,
De cette heure fatale, & longtemps souhaitée,
Aura soin de hâter le bienheureux moment.
***
Oüy, sans-doute, l’ardeur de ses vœux exaucée,
De l’auguste LOUIS secondant les projets.
 Cette œuvre si bien commencée,
Par elle finira parmy tous ses Sujets.
De ce juste dessein Dieu connoît le mérite ;
Ceux qui l’ont traversé, sentent bien qu’il s’irrite,
De les voir du party de ses fiers Ennemis.
Qu’ont-ils fait en cherchant à troubler nos conquestes,
Que s’attirer du Ciel la foudre & les tempestes,
Et rendre leurs Etats beaucoup moins affermis ?
***
Raisonnemens trompeurs, maligne Politique,
Il est temps, paroissez vaines illusions,
 On vous démesle, on vous explique,
Et dans vostre faux zele on voit vos passions.
Contr’elles maintenant le vostre s’intéresse,
Vous les voyez de pres, genéreuse Princesse,
Vous voyez leurs efforts frivoles & jaloux ;
On veut nous opposer en vain ce foible obstacle,
Ce Siecle est consacré pour faire le miracle,
La Justice, le Ciel, vos vœux, tous est pour nous.
***
Combien apres cela, combien d’autres merveilles,
Paroistront à vos yeux dans cet heureux sejour !
 Des félicitez sans pareilles,
Bien loin sur vos Neveux tomberont tour-à-tour.
Vous verrez désormais leurs grandes avantures,
Porter l’étonnement chez les Races futures ;
De nouvelles grandeurs nos destins embellis,
Et de tout l’Univers les Nations charmées,
Par les soins de l’Amour à l’envy desarmées,
Ne reconnoistront plus que l’Empire des Lys.
***
Jettez, jettez les yeux sur cet espace immense
Des Siecles à venir jusqu’à la fin des temps ;
 Voyez la gloire de la France,
Et pour la maintenir, les Destins si constans ;
Voyez des beaux succés de cette longue course
L’esprit du grand LOUIS estre l’unique source ;
Malgré ses Ennemis, voyez-le désormais,
Ainsi que le Soleil du haut de sa carriere,
Influer ses vertus, répandre sa lumiere,
Et brillant à vos yeux, ne s’éclipser jamais.
***
De cet Astre divin ce double Parélie,
Dont le Ciel a daigné récompenser vos vœux,
 De la gloire que je publie,
Aux yeux de l’Univers est un présage heureux.
Ces ruisseaux immortels d’une source si pure,
Par leur fécondité, leur grandeur sans mesure,
Se feront revérer de tous les Potentats ;
Et si le Monde entier n’a besoin que d’un Maistre,
Ce DAUPHIN & son Fils que vous avez veu naistre,
Le sçauront faire naistre à leur tour icy-bas.

[Festes galantes données à Genéve] §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 27-29, 33-35

La quantité d'Etrangers considérables, & sur tout les Princes d'Allemagne, qui se trouvent presque toûjours à Geneve, rendent cette Ville un sejour fort agreable. C'est ce qui me donne lieu de vous parler d'une Partie de plaisir qui s'y est faite depuis peu de temps par les soins de Mr le Prince d'Anhald. C’est celuy mesme qui n’estant encore âgé que de treize à quatorze ans, vint exprés à Besançon dans le mois de Juin dernier, pour avoir l’honneur de faire la revérence à Sa Majesté, & pour voir son Armée. Une si noble curiosité luy attira l’estime du Roy, qui luy en donna des marques par une Réception tres obligeante. Ce jeune Prince, dont la Maison est aussi illustre que les Aliances, estant chez Mr le Comte de Dona, où se rendent ordinairement les Personnes les plus qualifiées, & qui avec sa belle Famille, est comme l'ame de tous les plaisirs qu'on gouste à Geneve, proposa une Partie de promenade, à laquelle la beauté du jour convioit les Dames & les Cavaliers, que le hazard avoit assemblez en assez grand nombre. On accepta le party, & l'on se rendit dans plusieurs Carrosses au Jardin de Madame Baudichon, à deux cens pas de la Ville, du costé de la Porte de Rive, qui est la plus belle situation de Geneve. [...]

Apres le magnifique Régale dont je viens de vous parler, on prit le plaisir de la Promenade, & ce plaisir fut suivy du Bal, où Mr le Prince d'Anhald fit admirer son adresse. Mademoiselle de Dona, dont l'air grand & noble se fait distinguer par tout, y parut d'une beauté achevée, en dançant le Menüet de l'Opéra de Phaëton. Le Bal finy, toute cette aimable Troupe monta en Carrosse, & on vint au Manége de la Ville, où les Cavaliers donnerent aux Dames le divertissement d'une Course de Bague. Chacun animé du desir de plaire, se montra digne du Prix ; mais enfin Mr le Prince d’Anhald qui le remporta, le reçeut des mains de Mademoiselle de Dona. C’estoit une Montre à pendule, peinte en émail, & enrichie de Diamans, & d’Emeraudes. Apres ce triomphe, on accompagna les Dames chez Madame la Comtesse de Dona, qui leur fit servir une tres-belle Collation. On dança encore une partie de la nuit, & la Compagnie se sépara.

A la Belle N. de N. §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 35-39.

Le nom du Berger Fleuriste, n’est pas effacé de vostre mémoire ; il seroit difficile d’oublier les galans Ouvrages qui sont partis de sa Plume. Voicy des Vers qu’il joignit à des Fleurs, qu’il envoya à une aimable Bergere le jour de sa Feste.

A LA BELLE N. DE N.

 Des Fleurs du Parnasse & de Flore,
Viennent s’offrir à vous, par les mains de l’Amour ;
Recevez ce Tribut, & le Porteur encore,
Il est nourry chez moy, mais il vous doit le jour.
***
Vostre Nom veut dire, Victoire.
Quel autre pouvoit mieux assortir vos appas ?
Leur charmante douceur n’a-t elle pas la gloire
De triompher par tout où vous portez vos pas ?
***
 En vous il n’est rien que d’aimable ;
Un grand air de jeunesse embellit tous vos traits ;
Et l’Innocent y cache une adresse admirable,
Qui vous promet en tout les plus heureux succés.
***
 J’ay sçeu des Nymphes de la Seine,
Combien, pres de leurs bords, vostre Empire fleurit.
Helas ! que contre vous toute défense est vaine !
Qui résiste à vos yeux, est pris par vostre esprit.
***
 Cà, mon cœur, mettons bas les armes ;
Seulement pour luy plaire, employons nos efforts.
Adieu, ma liberté, je renonce à tes charmes,
La modeste Angelie en a de bien plus forts.
***
 Ce jour est celuy de sa Feste.
J’ay choisy dans nos Fleurs, ce qui luy sied le mieux.
Il faudroit, ce me semble, en couronner sa teste,
Puis que par son mérite elle regne en ces lieux.
***
 Ce mérite paroist extréme,
Et cependant l’Hymen le rend peu fortuné.
Tout le monde la plaint, car tout le monde l’aime,
Et demande son cœur, quoy qu’elle l’ait donné.
***
 A son seul souvenir j’aspire,
Et ç’en seroit assez pour mon ambition.
Je regle sur mon prix le peu que je desire,
Je voudrois tout avoir, suivant ma passion.
***
 Voila, belle & chere Angelie,
L’hommage que je rends à vos divins attraits.
Je sçay bien que mes Fleurs perdront bientost la vie ;
Mais ma flâme pour vous ne s’éteindra jamais.

[Discours qui fait connoistre que la Pucelle d’Orleans n’a point esté brûlée à Roüen, & qu’elle a esté mariée] §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 39-60.

La jolie Brune dont vous me demandez des nouvelles, a esté mariée depuis quelques mois à un Gentilhomme fort bien fait, dont je ne puis vous dire le nom ; je sçay seulement qu’il est d’une Maison tres-bien alliée, & qu’il se vante d’estre de la Race de la Pucelle d’Orleans, qui est un titre de Noblesse fort avantageux à ceux qui le justifient. J’avois toûjours oüy dire que Charles VII. pour récompenser les services importans rendus à l’Etat par cette vaillante Fille, avoit ennobly ses Freres, & leurs Descendans ; mais ce qui vient de tomber entre mes mains, donne sujet de douter, si ceux qui se disent Nobles de ce costé-là, ne sont point de la Race mesme de cette Héroïne, que l’on prétend avoir esté mariée, malgré le nom de Pucelle, qu’on luy a toûjours donné, & qui par conséquent n’auroit pas esté brûlée à Roüen par les Anglois, comme le marquent toutes nos Histoires. Ce sentiment, quoy que contraire à l’opinion publique, est appuyé sur deux témoignages raportez par un Homme tres-digne de foy, & que son rare mérite, & sa profonde érudition ont rendu fameux. Je parle du Pere Vignier, Prestre de l’Oratoire, si estimé dans cette celébre Congrégation, & qui est mort en 1661. âgé de cinquante-six ans, dans la Maison de S. Magloire. Pour estre persuadé qu’il ne donnoit point dans la bagatelle, il ne faut que lire l’éloge qu’en fait le Pere d’Achery, dans sa Préface du cinquiéme Tome de son grand Ouvrage, intitulé Spicilegium & imprimé à Paris chez Charles Savreux en 1662. Apres avoir fait connoistre qu’il estoit né en Bourgogne de la noble & ancienne Famille des Vignier, il dit que dés l’âge de trente ans ses Ecrits luy avoient acquis la réputation d’estre un des plus Sçavans de l’Oratoire ; qu’il a donné au Public quantité d’Ouvrages, avec un tres-grand travail, sçavoir, la Genéalogie des Seigneurs d’Alsace ; un Suplément tres-utile aux Oeuvres de S. Augustin ; une Concordance Françoise des Evangiles ; & qu’il avoit esté surpris de la mort, lors qu’il estoit prest à faire imprimer un tres-beau Traité de S. Fulgence, inconnu jusques icy ; l’Origine des Roys de Bourgogne ; la Genéalogie des Comtes de Champagne, & l’Histoire de l’Eglise Gallicane ; pour lesquels Ouvrages il avoit employé beaucoup d’années & de veilles, & parcouru toute la France, la Lorraine, & l’Alsace. Il ajoûte, que ce qui estoit le plus fâcheux, c’est qu’apres sa mort, quelque envieux de sa gloire, ou plutost de l’avantage des Lettres, s’estoit emparé de ses Ecrits, sans que ses Heritiers en eussent pû avoir connoissance. Cet éloge fait connoistre que le Pere Vignier ne doit pas estre suspect dans les témoignages que vous allez trouver dans une Lettre de Mr Vignier son Frere, dont je vous envoye la Copie.

A MONSIEUR
DE GRAMMONT.,
A Richelieu ce 2. Nov. 1683.

Vous m’avez trouvé bien hardy, Monsieur, de vous dire que Jeanne d’Arcq, dite la Pucelle d’Orleans, n’a point esté brulée à Roüen. Vous m’estimerez encore plus teméraire aujourd’huy, de soûtenir qu’elle a esté mariée, qu’elle a eu des Enfans, & que ceux qui descendent de cette illustre Source, en font leur plus grande gloire. Je sçay tout ce que les Historiens disent de la cruelle mort de cette Héroïne, & je ne fais pas de doute que cecy ne soit mis au nombre des Fables. Peut-estre aussi, qu’il se trouvera quelqu’un qui fera refléxion sur la force de mes Preuves, & sur l’autorité de celuy de qui je tiens une Histoire si surprenante. Il n’estoit pas impossible au Dieu des Armées, qui avoit envoyé miraculeusement la Pucelle d’Orleans, pour délivrer la France de l’oppression de ses Ennemis, de la tirer aussi de leurs mains, apres l’examen d’un sordide Cochon, Evesque de Beauvais, & de plusieurs Docteurs canonisez, Esclaves de la tyrannie Angloise. C’est ce qu’on peut inférer de ce que vous verrez dans la suite de cette Lettre, & ce qui fit que les Anglois exposerent aux flâmes en sa place quelque malheureuse Criminelle, pour ne jetter pas la terreur dans leurs Troupes, si elles eussent sçeu en liberté le Bras qui les avoit mises tant de fois en fuite. Je vous ay déja dit, Monsieur, que le Pere Vignier de l’Oratoire, mon Frere, fut celuy qui découvrit ce que les Anglois & les François mesme ont tâché d’étoufer. L’étroite amitié qu’il avoit liée avec Mr Vignier, Marquis de Ricey, son proche Parent, le fit résoudre de faire avec luy le Voyage de Lorraine, où il alloit Intendant de Justice. Ce fut là qu’en passant dans toutes les Villes, Bourgs, & Villages, il mettoit en pratique ce qu’il dit dans sa Préface de la Genéalogie de la Maison d’Alsace, s’informant soigneusement des antiquitez & particularitez des Lieux. Il fit dans Metz une fort exacte recherche qui ne luy fut pas inutile, puis que le bonheur luy fit tomber entre les mains un ancien Manuscrit, des choses arrivées en cette Ville. Je l’ay vû, & je vous envoye la Copie de l’Extrait, qu’il en fit faire à Nancy par un Notaire Royal, & qu’il me donna quelque temps apres son retour. Elle est en ces termes.

L’an mille quatre cens trente-six, fut Mre Echevin de Mets Phlin Marcou, & le vingtiéme jour de May l’an dessus dit, vint la Pucelle Jehanne qui avoit esté en France, à la Grange oz Ormes pres de S. Privé, & y fut amenée pour parler à aucun des Sieurs de Mets, & se faisoit appeller Claude ; & le propre jour y vindrent voir ses deux Freres, dont l’un estoit Chevalier, & s’appelloit Messire Pierre ; & l’autre, Petit-Jehan, Ecuyer, & cuydoient qu’elle fust Arse. Et tantost qu’ils la virent, ils la cognurent, & aussi fit elle eux. Et le Lundy vingt & uniéme jour dudit mois, ils amenent leur Sœur avec eux à Boquelon, & luy donnoit le Sr Nicole, comme Chevalier, un Roussin au prix de trente francs, & une paire de Houssels ; & Sr Aubert Boulle, un Chaperon ; & Sr Nicole Grognet, un Epée. Et ladite Pucelle saillit sur ledit Cheval tres-habillement, & dit plusieurs choses au Sieur Nicole. Comme donc il entendit bien que c’estoit elle qui avoit esté en France, & fut reconnuë par plusieurs enseignes pour la Pucelle Jehanne de France, qui amenet Sacré le Roy Charles à Reins ; & virent dire plusieurs qu’elle avoit esté Arse en Normandie, & parloit le plus de ses paroles Paraboles, & ne disoit ne fut ne ans de son intention, & disoit qu’elle n’avoit point de puissance devant la S. Jean Baptiste. Mes quant ses Freres l’eurent mené, elle revint tantost en Feste de Pantecoste, en la Ville de Marnelle, en Chief Jehan Renat, & se tient-là jusqu’à environ trois sepmaines, & puis se partit pour aller à Nostre-Dame d’Alliance le troisiéme jour, & quant elle volt partir, plusieurs de Mets l’allent voir à ladite Marnelle, & luy donnent plusieurs Inelz, & ils cognurent proprement que c’estoit la Pucelle Jehanne de France. A donc l’y donnet Sr Geoffroy dex un Chlx, & puis s’en allait à Erlon en la Duché de Luxembourg, & y fut grande presse, jusqu’à ten que le Fils le Comte de Wnenbourg la menet à Cologne de costé son Pere le Comte de Wnenbourg, & l’aimoit ledit Conte tres-for. Et quant elle en vault venir, il l’y fit faire une tres-belle Curasse pour le y armer, & pris s’en vint à ladite Erlon ; & la fut fait le Mariage de Mr de Hermoise Chevalier, & de ladite Jehanne la Pucelle, & puis apres s’en vint ledit Sr Hermoise avec sa Femme la Pucelle demeurer en Mets, en la Maison que ledit Sieur avoit devant Sainte Seglenne, & se tinrent là jusqu’à tant qu’il leur plaisit aller.

L’Article cy-dessus, est extrait d’un ancien Manuscrit de certaines choses arrivées en la Ville de Mets, & se conformement le sein du souscript Notaire Royal, demeurant à Nancy ; cy mis pour témoignage, ce jourd’huy xxv. Mars 1645.

COLIN.

Le Pere Vignier n’auroit pas ajoûté beaucoup de foy à ce Manuscrit, s’il n’eust esté fortifié par une preuve qu’il crut incontestable, & que je laisse au jugement des Sçavans. Comme il estoit fort aimé de toutes les Personnes de qualité de Lorraine, il les visitoit souvent, & se trouvant un jour à dîner chez Mr des Armoises, d’une illustre Maison, & de l’ancienne Chevalerie, il fit tomber la conversation sur la Genealogie de ce Seigneur ; mais comme ce n’est pas toûjours le fort des plus nobles, de bien connoistre ceux dont ils sont descendus, il luy dit qu’il en apprendroit plus dans son Trésor, que de sa bouche. Nostre Curieux ne demandoit autre chose. Aussi le dîner ne fut pas plûtost achevé, qu’en luy mettant un gros trousseau de Clefs entre les mains, on le conduisit à ce Trésor. Il y passa le reste de la journée, à remüer quantité de Papiers, & de Titres fort anciens. Enfin il trouva le Contract de Mariage d’un Robert des Armoises Chevalier, avec Jehanne d’Arcq, dite la Pucelle d’Orleans. Je vous laisse à penser, Monsieur, si le Pere Vignier fut surpris de cette confirmation ; & quelle fut la joye de son Hoste, quand il sceut ce qu’il avoit ignoré jusqu’alors, & qu’il descendoit de cette illustre Personne, qu’il préferoit à toutes les grandes alliances ! Je croy vous avoir conté la rencontre que je fis de Mr son Fils, dans la Galerie de Conflans. Il estoit arresté devant le Portrait de cette genéreuse Pucelle, & disoit à son Gouverneur, Voila celle de qui je viens. A quoy, sans l’avoir jamais connu, je fis réponse, Vostre nom, Monsieur, est donc des Armoises ? Et le vostre, me dit-il incontinent, doit estre Vignier. Mr des Moulins qui estoit présent, vous peut témoigner les civilitez que ce jeune Gentilhomme me fit, quand il apprit que j’estois Frere de celuy qui avoit déterré ce qu’il estimoit de plus honorable dans sa Famille. Il est vray, Monsieur, que vous m’avez dit des raisons capables de détruire une Nouveauté, contre laquelle tout le monde se soûlevra ; mais vous m’avouërez qu’un Contract de Mariage, ensuite d’un Manuscrit dont vous voyez l’Extrait, est digne de considération.

Apres la mort du Pere Vignier, l’Original de cet ancien Manuscrit, eut la mesme destinée que tous ceux dont il est parlé dans l’éloge que le Pere d’Achery a fait de luy ; mais comme il pourroit faire découvrir ceux qui se sont emparez des autres à mon préjudice, je n’attens pas qu’on le mette en lumiere tant que je seray vivant. S’il estoit en mon pouvoir, je le donnerois de tout mon cœur au Public, aussi-bien que l’Extrait, & j’aurois une joye extréme d’exercer les esprits des Curieux sur une si belle matiere. Je suis, Monsieur, vostre tres, &c.

Vignier.

[Avanture] §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 60-73.

Il y a des naufrages dans le commerce des Dames comme dans celuy des Mers, & un jeune Cavalier, nouveau venu dans la principale Ville d’une Province fort voisine de Paris, en a fait depuis un mois une assez fâcheuse épreuve. Comme il entroit quelquefois dans les belles Assemblées, il reçeut dans l’une l’honneur du Bouquet. Cela engage selon la coûtume à continuer la Feste. Un autre auroit fait de ce Bouquet, un usage qui eust tourné à sa gloire ; mais cette faveur ne surpassant pas moins l’espérance du Cavalier, que ses talens en galanterie, il en demeura aussi étourdy, que s’il se fust vû accablé de la plus rude disgrace. Il fut si longtemps à en revenir, que quand il voulut s’acquiter des premiers devoirs de sa Feste, la Dame à qui il la devoit, & qui sçait parfaitement bien son monde, luy fit dire qu’on ne s’en souvenoit plus ; & non seulement sa Porte luy fut refusée, mais encore celle de toutes les Belles de ses Amies, qui aprirent l’avanture. Cecy peut servir d’éxemple, pour faire éviter de pareils écueils. Le monde est comme une Ecole nécessaire, où la Jeunesse trouve à s’instruire de beaucoup de choses que l’on n’apprend point ailleurs ; & si les Leçons qu’y donnent les Dames, sont quelquefois dangereuses, elles ne laissent pas d’estre utiles, pour qui se veut perfectionner dans la Science des honnestes Gens.

Puis que nous sommes sur les Avantures, j’ajoûte la Galanterie que le serment d’une Belle a fait naistre, dans une Ville où il se trouve quantité de Personnes considérables de l’un & de l’autre Sexe. Elle avoit juré de ne plus joüer à l’Hombre, & d’en déchirer les Cartes la premiere fois qu’on luy en présenteroit, parce que le Jeu ne luy avoit pas esté favorable pendant quelques jours. Un de ses Amis ennuyé de ce serment, résolut un soir de se déguiser, & sçachant qu’elle avoit chez elle grande Compagnie, il luy porta un Momon d’une grande partie des Cartes de ce jeu, sur lesquelles il avoit écrit les Vers suivans.

SPADILLE.

A l’Hombre je commande au Roy,
J’y suis le premier Matadore ;
Mais à quoy me sert mon employ,
Lors qu’Iris que chacun adore,
Est en colere contre moy.
Estant banny de sa mémoire,
Et chassé de devant ses yeux,
Je ne puis plus avoir de gloire,
Ny de plaisir dans ces beaux Lieux.

MANILLE.

Apres l’affront qu’Iris vient de faire à Spadille,
 Moy qui ne suis qu’une Manille,
 Je devrois bien me consoler ;
 Mais estre mal avec la Belle,
 Ce m’est, à ne vous rien celer,
 Une avanture trop cruelle,
 Pour la souffrir sans en parler.

BASTE.

 Mon sort est des plus inhumains,
 Iris maintenant me rebute ;
 Je suis à sa colere en bute,
Et dois craindre, dit-on, de tomber dans ses mains.
 Quelque effort que sur moy je fasse,
 Pour suporter cette menace,
Je sçay qu’il est si doux de vivre sous ses Loix,
Que le rang qu’on me donne au dessus de nos Roys,
Ne peut me consoler de ma triste disgrace.

LE PONTE DE COEUR.

Voyez comme icy-bas chaque chose se passe ;
La belle Iris estoit hyer au soir sous mes Loix,
Et voila qu’aujourd’huy la Cruelle se lasse
 De me chérir comme autrefois.
Ce changement subit m’a causé tant d’allarmes,
 Que je voulus prendre les armes
 Pour me vanger de sa froideur.
Mais helas ! qu’auroit fait un aussi tendre cœur,
 Contre tant d’appas & de charmes ?

UN DES ROYS.

N’estoit-ce pas assez que par un sort bizarre
On nous mist au dessous & des Deux & des As,
Sans que l’aimable Iris nous mist encor plus bas,
Par les cruels tourmens que sa main nous prepare ?
Qui pourroit suporter ses injustes mépris ?
Jamais aucun de nous ne quitta sa Personne ;
Et moy, qui fus toûjours de ses charmes épris,
Je viens soûmettre encore à ses pieds ma Couronne.

UNE DES DAMES.

 Contre la coûtume des Dames,
 Qui murmurent quand leurs Epoux
Vont porter autrepart leurs amours & leurs flâmes,
Ce nous estoit, Iris, un plaisir des plus doux,
De voir que nos Marys abandonnoient leurs Femmes,
 Pour se ranger aupres de vous.
Quoy que souvent par vous nous fussions écartées,
 Bien loin d’en estre rebutées,
 Malgré nostre sort inhumain,
 Chacune de nous avec joye
 Cherchoit subtilement la voye
 De retomber dans vostre main.
 Mais aujourd’huy qu’on nous rebute,
 Jusques à vouloir nous brúler,
Il est vray, belle Iris, que d’une telle chûte
 Rien ne sçauroit nous consoler.

UN DES VALETS.

 Helas ! qu’a-ton fait contre vous,
 Pour mériter vostre courroux,
 Et pour nous condamner aux flâmes ?
N’estoit-ce pas assez de vos yeux pleins d’appas,
Sans joindre au feu qu’ils ont, des suplices infames,
 Pour avancer nostre trépas ?
Je suis tout prest encore, & j’en serois fort aise,
De brúler aupres d’eux, c’est mon plus grand souhait ;
 Mais de brûler sur de la braise,
 Ma foy, je suis vostre valet.

La Dame a esté touchée des plaintes de ces pauvres Cartes, & elle joüe comme auparavant. Le Momon luy parut si spirituel, qu’elle défia celuy qui l’avoit imaginé d’en trouver un autre qui le surpassast en galanterie. Il accepta le défy, & le lendemain il luy porta un Miroir de prix dans une grande Corbeille, couverte de Fleurs ; & comme elle demanda ce qu’elle jouëroit contre cet autre Momon, le Cavalier répondit qu’il n’y avoit rien qui pust payer ce qu’elle verroit dans la Corbeille, quand elle la découvriroit. En mesme temps il luy donna le Madrigal qui suit, qui fut une Enigme à cette belle Personne, jusqu’à ce qu’elle eut aperçeu le Miroir caché sous les Fleurs.

Je suis, charmante Iris, un Momon d’importance,
  Chacun me fait la Cour en France,
  En Espagne, & dans chaque Etat.
 Je suis toûjours plus transparant que l’onde ;
 Et du Soleil la lumiere féconde,
A chez vous moins que moy de lumiere & d’éclat.
 Heureux l’Objet qui trouve en moy des charmes,
 Et qui se plaist comme vous à me voir !
Malheureux qui me hait, & qui de desespoir,
  Pour me détruire, prend des armes !
Sur tout je suis naïf, fidelle & délicat,
Je satisfais toûjours la Beauté brune, ou blonde ;
Enfin vous allez voir, en découvrant ce Plat,
  Une des Merveilles du monde.
Mais il faut prudemment se comporter icy ;
Car si dans ce moment vous me faites la mouë,
  Quoy que je vous aime, & vous louë,
  Je vous feray la mouë aussi.

La Dame gagna le Momon, & le Cavalier gagna la Gageure. Voila de quelle maniere le tout se passa. Ce qui me reste à vous dire là-dessus, c’est que ces spirituelles Galanteries, sont de Mr de Grammont, de Richelieu.

[Vers sur la mort de la Reine] §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 104-105.

Je vous envoye quelques Vers, sur la mort de cette auguste Princesse.

 Mourir est le sort des Humains ;
 Les Sujets, ny les Souverains,
Ne peuvent appeller de cet Arrest funeste.
 On le reçoit diféremment,
 Selon que la grace celeste
 Nous imprime son mouvement.
Mais jamais dans un rang si haut & si charmant,
Où l’on ne trouve rien qui ne flate & ne plaise,
 On n’a veu ce fatal moment
Avec que tant de joye & de détachement,
Que l’a veu l’auguste Therese.

[Madrigal]* §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 105-106.

Ce Madrigal est de Mr le Président de la Tournelle de Lyon. Mr Rault de Roüen, a choisy l’Apus, ou l’Oyseau de Paradis, pour en faire une Devise, dont ces mots sont l’ame. Terræ commercia nescit. L’Oyseau de Paradis, qui est d’une beauté merveilleuse, & d’une espece rare & particuliere, füit toûjours la Terre, & vole incessamment vers le Ciel. Aussi tient-on que cet Oyseau est sans pieds, & que la Nature luy a donné un filet, avec lequel il s’accroche aux Arbres, pour se reposer la nuit.

 Si l’Apus d’une aîle legere,
Fuit la Terre, & s’éleve au haut de l’Hémisphere,
Pour y joüir d’un air pur & délicieux,
Que ne fait pasTherese, à qui son origine
Dit que son estre vient d’une Source divine ?
Elle s’enfuit du monde, & va la joindre aux Cieux.

Sur la Mort de la Reyne §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 106-108.

Mr Dumats de Joigny, est Autheur du premier des deux Sonnets qui suivent. Mr Avice de Caën, a fait le second.

SUR LA MORT
DE LA REYNE.

Les plus brillantes Fleurs passent dans un Parterre ;
Et la Loy des Destins qui ne pardonne à rien,
Sans avoir nul égard pour le plus beau lien,
Fait à tout ce qui vit une mortelle guerre.
***
THERESE, cette Fleur l’ornement de la Terre.
La gloire des François, leur Reyne, leur soûtien,
Apres avoir esté leur plus solide bien,
Paroist en un moment comme un fragile Verre.
***
Lecteurs, qui prenez part aux regrets de sa mort,
Arrestez-vous un peu pour apprendre son sort,
Vous estant avancez pour voir son Mausolée.
***
Sçachez que si le Ciel l’enlevant à nos yeux,
Fait le deüil de la France, & la rend desolée,
Elle augmente des Saints le nombre glorieux.

Sur le mesme Sujet §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 108-110.

SUR LE MESME SUJET.

La Parque nous ravit une Reyne adorable,
Que l’on vit toújours humble au sein de la grandeur ;
Son égalité d’ame, & sa rare douceur,
Aux Siecles à venir la rendront mémorable.
***
Cette sage Princesse en tout incomparable,
Donnoit à la vertu tout pouvoir sur son cœur.
Jamais dans l’Oraison vit-on plus de ferveur,
Et dans ses charitez eut-elle son semblable ?
***
Attachée à remplir ses devoirs chaque jour,
Par son pieux exemple elle instruisoit la Cour,
En livrant aux pechez une eternelle guerre.
***
Toy qu’a charmé sa vie, & que sa mort surprend,
Etonne-toy plutost dans un malheur si grand,
Qu’un Ange ait demeuré si longtemps sur la Terre.

[Questions académiques soûtenues devant Messieurs de l’Académie d’Arles] §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 155-186.

Je me suis informé, Madame, de ce qu’on vous a dit qu’il y avoit eu de particulier aux Theses soûtenues à Arles dans le College des Peres Jesuites. Voicy ce que j’en ay sçeu. Le Pere Prost, Professeur de la Rhétorique, ayant lié amitié avec la plûpart de ceux qui composent l’Académie Royale de cette fameuse Ville, crût qu’il ne pouvoit mieux réüssir à leur donner des marques publiques de l’estime qu’il faisoit de leur Compagnie, qu’en leur faisant dédier des Theses de son Art, comme aux Juges les plus éclairez dans toutes les belles connoissances. Dans ce dessein, il jetta les yeux sur un jeune Gentilhomme de la Famille de Mrs Eymin, dont la capacité & l’esprit pouvoient luy faire espérer un heureux succés de cette entreprise, & qui se fit un honneur de soûtenir la dépense d’une Action, qui devoit avoir pour témoins tout ce qu’il y a dans Arles de Personnes distinguées par leur qualité & par leur mérite. Le sçavant Mr Roullet, revenu de Rome depuis quelque temps, se chargea du Dessein & de la Gravûre de la Planche, pendant qu’on se prépara d’un autre costé à répondre de toutes les Regles de l’Eloquence, de celles de la Poësie Latine & Françoise, & de celles de l’Histoire, tant de la sacrée que de la prophane. La plûpart des Gens ne pouvoient croire qu’un jeune Homme eust pû acquerir en si peu de temps tant de connoissances si curieuses & si vastes ; & les autres qu’étonnoit la nouveauté d’un pareil dessein, mouroient d’envie d’en voir le succés. Le 26. du mois d’Aoust ayant esté choisy pour cet Acte, tout le monde se rendit en l’Eglise du College des Jesuites, où il y avoit un Concert d’Instrumens pour divertir l’Assemblée, en attendant que l’on commençast. Mrs de l’Academie Royale prirent place au premier rang qui n’estoit destiné que pour eux. Derriere ce premier Cercle estoient trois autres rangs de Fauteüils, qui furent remplis d’un costé par des Personnes tres-considérables ; & de l’autre, par un grand nombre de Dames, que quelques Académiciens avoient invitées, à cause que les Disputes Académiques, telles que devoient estre celles de cette Action, ne sont pas si seches & si mystérieuses que celles de la Philosophie, & que mesme la plûpart du temps on devoit proposer en François. Le Soûtenant commença par un Compliment Latin qu’il adressa à Mrs de l’Académie. Il leur dit, Qu’il pourroit sembler étrange que les Muses Latines fissent hommage aux Françoises, & que les Aînées recherchassent avec tant d’empressement la protection de leurs Cadetes ; Que cependant elles ne croyoient pas se faire tort, ny ménager mal leur réputation, en se soûmettant à leurs Rivales, si elles pouvoient mériter par la leur protection ; Que l’Académie Royale ne pouvoit leur refuser cette faveur, puis qu’elle leur estoit redevable de tant de grands Hommes consommez dans les Sciences, & qui avoient cuëilly les Lauriers sur le Parnasse Latin, avant que d’en cueïllir sur le Parnasse François. Il ajoûta, Que quelque fierté que dûssent avoir les Muses Latines, elles n’estoient pas si entestées de leur mérite, qu’elles n’avoüassent, que c’estoit à eux qu’on devoit la gloire d’avoir relevé celle des beaux Arts ; Qu’ils avoient frayé le chemin à la Noblesse, qui regardoit auparavant les Sciences comme une occupation indigne d’un rang un peu distingué ; Qu’apres que Mr le Duc de S. Aignan avoit fourny si glorieusement cette Carriere, personne ne pouvoit refuser d’y entrer, ny mépriser une Compagnie, où pendant la Paix tant de grands Hommes, aussi fameux par leur bravoure que par leur politesse, avoient cultivé les Sciences avec une exacte assiduité, sans les accuser de mauvais goust, & sans blesser la sagesse du plus grand des Roys, qui s’estoit déclaré si hautement le Protecteur de tous les Sçavans, & qui faisoit refleurir les Arts par tout son Royaume avec tant de gloire. Ce Compliment estant achevé, le Concert recommença pendant qu’on distribua les Theses. La Dispute fut ensuite ouverte par des Questions que le Préfet du College proposa sur les Regles de la Comédie & de la Tragédie, sur les raports qu’elles ont l’une avec l’autre, & sur leur diférence ; Si les Femmes peuvent estre le sujet d’une Tragédie, ce qui fut bientost décidé par les exemples des Anciens & des Modernes ; Si la Tragédie donne plus de plaisir que la Comédie, & en quoy consiste la finesse de ces sortes de Poëmes. On continua, en agitant les diférens qui sont entre les Latins & les François ; S’il faut mesler beaucoup de figures dans le Discours, & sur tout de celles qui outrent d’ordinaire la pensée ; S’il faut mettre parmy les Ornemens de l’Eloquence, les Iérogliphes, les Enigmes, les Devises, les Emblêmes, & les Fables ; S’il faut faire les Inscriptions de l’Arc de Triomphe, & des Monumens publics, en François, ou en Latin. Ce furent les Propositions qu’attaqua Mr l’Abbé Fleche, qui s’estant détaché de l’Académie en faveur du Soûtenant, luy donna lieu de déveloper tous les mysteres des Sçavans avec une facilité surprenante. Comme il estoit échapé une Proposition dans les Theses, qu’on croyoit une malice que l’on vouloit faire aux Femmes, Mr de Montblanc, Frere de Mr le Lieutenant General, qui s’est distingué par plusieurs Campagnes en Sicile & ailleurs, se crút obligé de soútenir leur party. Il le fit de la maniere du monde la plus délicate. Il cita en leur faveur les traits les plus curieux de l’Histoire sainte & de la prophane, & tâcha de justifier leur innocence par plusieurs endroits de l’Ecriture, qu’il toucha fort adroitement. La Dispute passa à l’origine & aux regles de l’Histoire. Mr Arnaud en rapportoit la naissance au Niloscope de Memphis, qui estoit une Colomne d’une prodigieuse grandeur, sur laquelle on gravoit tous les ans les accroissemens du Nil, & fit paroistre là-dessus une érudition tres-profonde. On répondit à toutes ses difficultez, & l’on montra qu’on devoit l’origine de l’Histoire aux deux Colomnes que les Hommes dresserent avant le Deluge, pour immortaliser les Préceptes des Arts, & les Noms de ceux qui les avoient inventez. Mr Fraischier finit la Dispute en Vers François, & fit voir autant de galanterie que d’esprit, dans le Sujet qu’il traita. Apres qu’il se fut fait éclaircir de l’origine de la Poësie, & des premiers Poëtes, tant parmy les Hébreux, que parmy les Grecs & les Latins, il s’arresta à la Poësie rimée, & soútint que c’estoit aux Provençaux, & non aux François, que l’on en devoit la gloire. On rapporta des Poësies en l’une & en l’autre Langue, de plus de cinq cens ans, & on dit mille jolies choses sur cette matiere. On parla en suite des caracteres de toutes les petites Poësies Latines & Françoises, dont le Soútenant donna les Regles. L’admiration qu’on eut pour la maniere dont il se tira de tant de Disputes, redoubla par une nouvelle épreuve qu’on fit des avantages qu’il a dans les belles Lettres. On présenta une centaine de Billets à tirer au sort, dont chacun renfermoit une Question curieuse & difficile, qu’il s’engageoit à déveloper sur le champ. On fut étourdy de cette avance ; & Mr le Chevalier de Romieu, Directeur de l’Académie, ayant tiré un de ces Billets, trouva qu’il renfermoit toute l’Histoire d’Aléxandre le Grand. Il n’y eut personne qui ne renouvelast son attention pour voir comment on se tireroit d’affaire ; mais on eut lieu d’estre satisfait, quand ce jeune Soútenant rapporta les plus curieux endroits de l’Histoire de Quinte-Curse, les causes de la Guerre des Grecs contre les Perses, les préparatifs prodigieux du costé de Darius, & ceux d’Aléxandre, qui estoient si peu considérables ; la rencontre des deux Armées aupres du Granique, les suites de cette Bataille, & les avantages que les Grecs remporterent de leur victoire. Apres cet essay, il ne restoit plus qu’à répondre des caracteres des Empereurs Romains depuis Jules-César, jusqu’à Léopold-Ignace qui regne aujourd’huy. C’estoit un Ouvrage que le Professeur de la Rhétorique avoit ajoûté aux Theses, que le Soûtenant devoit reciter & expliquer à tous ceux qui auroient voulu se satisfaire sur ce sujet. Il contenoit 149 Quatrains, sans compter les caracteres des Roys de France, & des Empereurs Turcs, sur lesquels on s’estoit obligé de répondre. On se contenta d’en demander cinq ou six, quoy que l’on eust prié l’Assemblée d’en demander davantage ; mais l’Acte avoit déja duré trois petites heures, & l’on commençoit à se ressentir des incommoditez de la saison. Le Soûtenant fit donc son dernier Compliment, pour remercier Mrs de l’Academie de la protection dont ils l’avoient honoré ; & toute l’Assemblée, des applaudissemens qu’elle luy avoit donnez ; Plûtost, dit-il, fort modestement, pour le rassurer dans ses combats, que pour accompagner son triomphe. Apres qu’il eut cessé de parler, toute la Compagnie s’arresta pour entendre Mr le Chevalier de Romieu, Directeur, qui devoit complimenter ce jeune Gentilhomme de la part de l’Academie. Voicy les termes dont il se servit, en adressant d’abord le Discours aux Académiciens.

MESSIEURS,

Qu’il est beau de voir fleurir les Sciences, quand le plus grand des Roys les protege, & qu’il est avantageux d’assister au Triomphe des Muses, où l’on voit accourir un si grand nombre d’honnestes Gens ! Apollon a ses Héros aussi bien que Mars ; les Lauriers que remportent les Vainqueurs, ne sont pas plus glorieux que ceux qu’obtiennent les Sçavans ; & les uns & les autres, sont placez indiféremment dans le Temple de la Gloire. On n’en peut douter, Messieurs. Les avantages que procurent les belles Lettres, sont tres-considérables. Elles sont bien souvent la cause des Actions les plus éclatantes, & donnent de grandes prérogatives à ceux qui les possedent. C’est par leur moyen que s’entretiennent les nœuds de l’honneste societé, que l’esprit communique éloquemment ses pensées, & que le cœur exprime avec politesse ses nobles mouvemens. Le commerce des belles Sciences n’est pas incompatible avec la Noblesse. J’ose dire sans vous flater, Messieurs, que l’étroite alliance que vous en avez faite, donne des marques convainquantes de cette verité. Vous marchez glorieusement sur les pas de Monsieur le Duc de S. Aignan, vostre fameux Protecteur, qui a sceu divinement bien allier les plus profondes Connoissances avec une Noblesse distinguée. Vostre Corps est autant recommandable par la haute naissance de ceux qui le composent, que par la beauté de leur génie- Oüy, Messieurs, vous estes Illustres par vos Ancestres ; & par l’éclat que vous tenez de vous mesmes, vous avez pris des moyens infaillibles pour arriver à l’immortalité. Vostre noblesse soûtenuë d’un courage intrépide, vous a donné lieu d’y prétendre, mais les talens dont vous estes enrichis, vous l’assurent malgré l’envie.

Ne tirez pas toute vostre gloire de vous estre signalez dans le Champ de Mars ; la Fortune peut avoir quelque part aux Actions de valeur ; & vostre ardeur pour les belles Lettres, qui vous a fait obtenir l’alliance de la premiere Académie du Monde, vous distingue par vostre mérite particulier. Glorifiez-vous d’estre de nobles Sçavans, comme d’estre de nobles Guerriers, & continuez à faire chanter à vos Muses les prodiges de guerre, que vous avez vûs en servant sous les Etendars deLoüis le Grand, qui soûmet les Nations les plus fieres, par la seule approche de ses Armes toûjours triomphantes. Faites-vous un honneur de ne devoir qu’à vous la haute réputation que vous avez si justement acquise, par la délicatesse de vos pensées, par la fécondité de vostre imagination, & par la politesse de vos Ouvrages. Aussi personne ne s’étonnera que le juste discernement des Revérends Peres Jésuites, les ait obligez à vous offrir les premiers fruits des travaux de leur Disciple. Vous leur estes pourtant redevables, de vous avoir publiez par cette Action celébre comme les Arbitres de l’Eloquence.

Que vous estes heureux, Monsieur, d’avoir de si parfaits modelles à imiter parmy vos Concitoyens, & de trouver chez vous de si beaux sujets d’émulation, pour répondre au panchant que vous avez reçeu de la Nature ! Il est certain que l’Homme est naturellement porté à priser la Vertu. Ces loüables mouvemens luy sont inspirez par le Createur, qui répand dans son ame, en luy donnant l’estre, les semences du bien. Il n’est pas moins veritable que l’on juge du prix des Gens par leur inclination, & par le desir qu’il font paroistre de posseder les belles Lettres. Que ne doit-on point attendre de vous, qui secondez cette disposition naturelle, & qui faites voir tant de ferveur dans les Etudes, en faisant tous vos efforts pour devenir sçavant ? Vous avez des sentimens héroïques, & vous commencez dés vos jeunes ans à travailler pour l’immortalité. Ah qu’il est glorieux d’y aller par une route qu’on se trace soy-mesme, & qu’il est charmant de porter des Couronnes dont le brillant n’est pas emprunté ! Vous estes sans-doute convaincu, que ces Messieurs tiennent aujourd’huy par les belles connoissances un si haut rang dans le Royaume, & qu’ils tirent leur plus grand éclat de cette source féconde en lumiere. Animé par l’exemple de ces Juges souverains des Lettres, guidé par les Revérends Peres Jésuites, vos fidelles Conducteurs, & les véritables Oracles des Sciences, dont les vertus ont toûjours fait l’admiration de la Chrestienté, par les solides avantages qu’elle en reçoit chaque jour, & merité l’estime des plus sages Monarques ; cette illustre & sainte Compagnie estant d’une aussi grande utilité à l’Etat, qu’à la Religion. Enfin instruit par les leçons d’un si habile Homme, vous pouvez esperer d’avoir une glorieuse part aux récompenses que distribuë le grand Apollon, & vous mériterez en persistant dans vostre loüable entreprise les mesmes honneurs que le Maistre du bien dire. Les doute subtils que vous venez d’éclaircir sur la Poësie, & sur l’Histoire, les justes définitions que vous avez données de l’Eloquence, nous persuadent que vous estes un digne Nourrisson des Muses Latines. Les Françoises, leurs cheres Sœurs, auront un plaisir extréme de faire voir en vous leur parfaite union sous les auspices deLoüis le Grand, & toûjours le mesme, je veux dire, veritablement Grand ; Grand dans l’execution, comme dans le projet ; aussi Grand dans ses actions, que dans ses discours ; plus Grand par luy-mesme, que par les avantages qu’il tient de la Fortune, & encore plus Grand par sa rare pieté qui luy attire les Benédictions celestes, dont on voit des effets si charmans, par la fécondité de son auguste Famille qui fait le bonheur des François, & celuy de ses Alliez. Les faveurs de ces grands Protecteurs de toutes les Académies, vous donneront moyen d’occuper une place dans la nostre, & je puis vous promettre, Monsieur, sans craindre d’estre desavoüé, qu’elle sera reservée à vostre merite.

Ce Discours, qui fut suivy d’un applaudissement general, termina cette Action. Peu de jours apres, on rassembla l’Académie Royale au College, avec une grande foule de Gens de qualité, pour entendre Mr l’Abbé de Grille, Fils de Mr le Marquis de Robias-Estoublon, qui n’avoit pû parler le jour que se soútinrent les Theses, à cause du peu de temps qu’il y avoit pour tant de matieres. Tout ce qu’il dit pendant une demy-heure, fut dit avec tant de grace & de justesse, que tout le monde fut étonné de voir tant d’esprit & de noble hardiesse dans un jeune Gentilhomme de douze ans. Il expliqua les mysteres de la Planche faite par Mr Roulet. Il en découvrit toutes les beautez & tout l’artifice, & fit une infinité d’Allusions ingénieuses. Le Soútenant se rendit huit jours apres au Lieu où les Académiciens s’estoient assemblez, pour les remercier de nouveau de l’honneur qu’on luy avoit fait de luy assurer une Place dans une Compagnie si illustre.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 186-187.

Les paroles de l'Air nouveau sont de Mr de Messange. Le fameux Mr d'Ambruys les a notées.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Vous voulez que je vive, doit regarder la page 187.
Vous voulez que je vive, afin que je vous aime,
Et vous ne voulez pas de la moindre faveur
Payer les feux de mon amour extréme.
Quel barbare plaisir vous donne ma douleur ?
Ah, finissez mes maux, inhumaine Sylvie,
Ou laissez-moy finir mon amour & ma vie.
images/1683-11_186.JPG

[Avanture] §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 189-193

J’ay appris une chose fort surprenante d’un Homme tres-digne de foy, qui assure qu’il s’estoit trouvé à Orange le 25. du dernier mois chez Mr l’Evesque, lors que ce Prélat reçeut une Lettre d’un Gentilhomme, qui luy mandoit ce qui suit. Une Femme de la Religion Prétenduë Réformée, demeurant dans un Bourg de la Principauté d’Orange, eut querelle avec une Femme Catholique. Elles estoient grosses toutes deux, & n’attendoient l’une & l’autre que le moment d’accoucher. Elles s’échauferent insensiblement dans leur dispute, dont tout le Bourg fut témoin, & les raisons particulieres leur manquant, elles y mélerent celles de la Religion. La chose alla dans un telle excés, que la Femme Calviniste pria Dieu de vouloir permettre que celle des deux qui estoit dans la fausse Religion, accouchast d’un Diable. Trois jours apres, à cinq heures du matin, cette Femme sentit de grandes douleurs, & ces douleurs luy firent pousser de si effroyables cris, qu’ils donnerent l’alarme à tous ceux du Bourg. On accourut en foule chez elle. Le Ministre y vint pour la consoler ; & ce qu’il luy vit soufrir l’ayant fait mettre en prieres, à peine y eût-il esté quelques momens, qu’elle accoucha, non pas d’un Enfant, mais d’un Monstre, qui n’avoit que des grifes & une bouche toûjours ouverte. Il aboyoit comme un Chien, & tout le monde en fut effrayé. Rien ne sçauroit estre égal à la consternation où demeura le Ministre, voyant un si grand concours de Peuple témoin de cet accident. Le Gentilhomme qui l’a écrit à Mr l’Evesque d’Orange, estoit dans la Chambre de la Calviniste, & n’en sortit point qu’il n’eust veu la fin du Monstre, qui fut étoufé entre deux Matelats. Vous tirerez telles conséquences qu’il vous plaira de cette Avanture. Je vous dis le fait sans raisonnement.

[Mémoire présenté aux Etats Généraux, par M. le Comte d’Avaux] §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 242-255.

Il interrompt le cours de ses Victoires, & fait délivrer par écrit le Mémoire suivant aux Etats de Hollande. Il a esté présenté par Mr le Comte d’Avaux.

MESSIEURS,

Comme l’intention du Roy, mon Maistre, a toûjours esté & est encore présentement, d’affermir la Paix, tant avec l’Empire, qu’avec l’Espagne, avec des conditions qui soient convenables à la justice de ses prétentions, & qui puissent établir pour toûjours la sûreté de ses Sujets, & la tranquilité de toute l’Europe, Sa Majesté a résolu d’en donner connoissance à tous les Princes & Etats qui s’y interessent le plus, afin que s’ils s’engagent à soûtenir l’opiniastreté des Espagnols, & les hostilitez que le Marquis de Grana a commencé d’exercer contre les Sujets de Sa Majesté, ils soient informez des facilitez qu’Elle apporte à la conclusion d’un bon Accommodement.

C’est pour cet effet, Messieurs, que dans le mesme temps que Sa Majesté a ordonné à Mr le Maréchal de Humieres, d’attaquer quelqu’une des Places de Flandres appartenant au Roy Catholique, Elle m’a commandé de déclarer à Vos Seigneuries, de bouche, & par écrit, que pour parvenir à un Accommodement juste & raisonnable, qui établisse une Paix ferme & stable dans toute l’Europe, & qui termina tous les démeslez qui la pourroient troubler, Elle avoit bien voulu remettre tous les diférens qu’Elle a avec le Roy Catholique, à l’Arbitrage du Roy d’Angleterre ; & qu’encore que la Ville de Luxembourg, environnée des Places & Païs qui appartiennent à Sa Majesté, ne soit plus guére en état de nuire à ses Sujets, ny mesme d’estre à Sa Majesté d’une grande utilité lors qu’elle sera démolie, & que les Espagnols la voudront ceder, avec le peu de Villages qui en dépendent ; neantmoins comme cette Ville ne peut donner aucune atteinte à la Barriere que vos Seigneuries ont toûjours crû necessaire au maintien de la Paix, Sa Majesté avoit offert de s’en contenter, pour l’Equivalent de ses Prétentions sur le Comté d’Alost, Vieux Bourg de Gand, & sur tous les autres Lieux qui ont esté demandez par son Procureur General aux Conférences de Courtray.

Cependant la lenteur des Espagnols à prendre un party raisonnable, a enfin obligé Sa Majesté de faire avancer ses Troupes en Flandres, pour porter Mr le Marquis de Grana à luy donner la juste satisfaction qui luy est deuë ; mais n’ayans répondu aux instances qui luy en ont esté faites, que par des actes d’hostilité peu convenables à l’état présent des Affaires d’Espagne, Sa Majesté n’a pas crû devoir diférer plus longtemps à se servir des moyens que Dieu luy a mis en main, pour se faire raison. Toutefois comme le principal but de Sa Majesté, a toûjours esté, & est encore, d’affermir la Paix dans toute l’Europe, Elle a esté bien aise de faire sçavoir à Vos Seigneuries, les Conditions dont Elle veut bien se contenter pour l’Equivalent de ses Droits, & Prétentions, sur Alost, Vieux-Bourg de Gand, & autres.

I.

L’Equivalent qui peut terminer le plus promptement le diférent que Sa Majesté a avec l’Espagne, est la cession de la Ville de Luxembourg en l’état qu’elle est, ou mesme démolie, avec le peu de Villages & Hameaux qui en dépendent, & qui ne consistent qu’en quatorze ou quinze.

II.

Si toutefois les Espagnols s’opiniastrent à refuser cette Proposition, le second Equivalent auquel Sa Majesté consentiroit, seroit Dixmude, & Courtray, avec leurs dépendances, dont neantmoins la Ville de Dints, la dépendances (quoy que ce soit une des Verges qui composent la Chastellenie de Courtray) demeureroit à l’Espagne, & les Fortifications de Dixmude & de Courtray seroient rasées, mesme la Citadelle de Courtray, en sorte qu’il ne resteroit qu’une Muraille de closture, pour la sûreté de la Manufacture, & du commerce de ces deux Villes. Plus, les Villages de la Chastellenie d’Ath, qui ont esté cy-devant joints au Gouvernement de Tournay, & à la distraction desquels Sa Majesté a bien voulu donner les mains par le Traité de Nimégue, pour ne pas apporter du retardement au rétablissement de la Paix ; Beaumont & Bouvine, avec les Villages & Lieux qui en dépendent, desquels il ne reste que quatre ou cinq, tous les autres ayant esté mis sous l’obeïssance de Sa Majesté, par la possession qui en a esté prise en son nom avant la levée du Blocus de Luxembourg. Finalement Chimay, avec ses dépendances. Et comme par le moyen de cet Accommodement il ne resteroit plus dans la suite du temps aucun sujet de rupture ; toutes les prétentions de part & d’autre estant réduites à la seule possession dans laquelle on est depuis plus d’un an, sans qu’il y eust aucun autre changement que ce qui doit composer cet Equivalent, on n’auroit pas de peine à maintenir dans les Pais-Bas, la tranquilité que Vos Seigneurie témoignent desirer.

III.

Que si le Roy Catholique aime mieux donner à Sa Majesté un Equivalent dans la Catalogne, ou dans la Navarre, Sa Majesté se contenteroit à l’égard de la Catalogne, de ce qui reste à l’Espagne du Comté de Sardaigne, dont Puicerda qui est entierement démoly fait partie, de la Suë-Durge, de Canredon, & de Castel Folit, avec leurs dépendances.

IV.

Ou bien de Roses. Gironne. & Cap-de-Quieres, avec leurs dépendances.

V.

Et à l’égard de la Frontiere de Navarre, Sa Majesté prétendroit Pampelune & Fontarabie, avec leurs dépendances.

Ce sont là, Messieurs, les conditions sur lesquelles on peut encore établir avant la fin de l’année, une bonne & sûre Paix ; & pour ne donner aucun sujet de la troubler du costé de l’Empire, le Roy, mon Maistre, veut bien aussi que j’aye l’honneur de déclarer de sa part à Vos Seigneuries, que pourveu que l’Empereur & la Diete de Ratisbonne, acceptent dans le mesme temps la Tréve que Sa Majesté a offerte, soit pour trente, vingt cinq, ou mesme vingt années, Elle donnera encore pouvoir au Comte de Crecy de la conclure, & elle consentira que tous les Princes & Etats de l’Europe, soient Garands de ces deux Accommodemens.

Mais si aucune de ses Propositions, dont Sa Majesté laisse le choix au Roy Catholique, n’est acceptée avant la fin de cette année, & si les Lieux qu’Elle offre de prendre pour Equivalent, ne sont remis en la possession de Sa Majesté, non seulement Elle ne prétend plus estre tenuë aux mesmes Conditions, mais encore, Elle croira estre bien fondée à se faire donner un juste dédommagement, des dépenses extraordinaires qu’Elle aura esté obligée de faire, pour se mettre en possession de ce qui luy appartient ; & l’on ne pourra imputer qu’à l’Espagne, & à l’appuy que luy donnent ses Alliez, tous les malheurs d’une Guerre qu’elle a commencée, apres avoir refusé toutes les voyes d’Accommodement.

[Mort de Madame de Chate, autrefois Mademoiselle des Jardins] §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 267-269.

On me vient d’apprendre la mort d’une Dame, que son esprit a renduë illustre, & qui a paru dans le monde sous trois noms ; sçavoir, de Mademoiselle des Jardins, de Madame de Villedieu, & de Madame de Chate. Elle avoit une maniere d’écrire aussi galante que tendre, & peu de Personnes ont un stile aussi aisé. Les Ouvrages qu’elle a donnez au Public, sont

Les Amours des Grands Hommes.

Les Annales Galantes.

Carmante, Histoire Greque.

Les Exilez.

Les Fables Allégoriques.

Les Galanteries Grenadines.

Les Nouvelles Afriquaines.

Les Oeuvres meslées.

Le Journal Amoureux.

Les Désordres de l’Amour.

Le Sr Barbin qui a imprimé tous ces Ouvrages, en a encore beaucoup d’elle, & le premier qu’il mettra au jour, a pour titre, Le Portrait des Foiblesses humaines. Ils ont tous eu un si grand succés, qu’on peut en attendre un pareil de ce dernier.

[Oraisons Funébres] §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 302-305.

Depuis toutes les Oraisons Funébres que je vous ay dit avoir esté faites pour la Reyne, on en a encore prononcé plusieurs en cette Ville avec beaucoup de succés. Le Pere Mothier Jesuite en fit une tres-belle dans l’Eglise des Filles Religieuses Augustines Penitentes de la Ruë S. Denys, lors que les Maistres & Gardes des Six Corps des Marchands firent celébrer un Service. Je ne vous en puis décrire la pompe, faute de temps & de place. Les Nouvelles Catholiques en ont fait aussi un tres-beau. Mr l’Abbé Héron y fit l’Oraison Funébre, dont il s’acquita parfaitement bien. On en a fait deux Latines ; l’une au College du Plessis-Sorbonne, & l’autre au College de la Marche. Mr Hersan, Régent de Rhétorique dans le premier, charma tout son Auditoire, comme il fit à la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Mr l’Archevesque, qui connoist l’étenduë de son esprit, y assista. L’Assemblée y fut nombreuse, aussi-bien qu’au College de la Marche, où Mr de Hault prononça l’autre Oraison Latine, en présence de Mr le Recteur. Mr l’Abbé Anselme en a fait une dans l’Eglise de S. Germain de l’Auxerrois, où il s’attira de grands applaudissemens. Ce Service qu’on doit au zele des Marguilliers, fut trouvé tres-beau. On en estima la Musique ; & les Aumônes qu’ils distribuerent, leur firent donner beaucoup de benédictions.

[Avanture navale] §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 331-340.

On a déja recommencé à faire de fausse Relations, comme on en voyoit du temps du Siege de Vienne. On a fait sur prendre Bude, & égorger toute la Garnison ; & l’on a fait une Histoire de la mort du Grand Vizir. Je ne sçaurois publier toutes ces choses, quand je sçay qu’elles ne sont pas veritables. Ceux dont je pourray estre blâmé d’abord, me loüeront ensuite. Je ferois tort à l’Armée Chrestienne, si je répandois des faussetez, qu’on sçauroit bien ne pouvoir venir d’autre part. Elle est triomphante ; & quand je diray vray, je n’en puis parler qu’avantageusement.

Je viens d’apprendre une avanture navale, dans laquelle vous trouverez des choses singulieres. Mr du Quesne estant de retour à Toulon, apprit par des Pescheurs qu’il y avoit depuis huit jours une Barque à Porquerolles, l’une des Isles d’Hieres, dont l’Equipage s’informoit avec beaucoup desoin de l’état de nos Vaisseaux, & de ce qui se faisoit à Toulon. Il eut la curiosité de s’informer à son tour, de ce qu’elle faisoit elle-mesme. Pour cet effet il fit équiper en diligence une Barque de cent Hommes, dont il donna le commandement à Mr de Monros son Fils, Enseigne de Vaisseau. Il partit de Toulon le vingtiéme Novembre, à neuf heures du soir. Il avoit ordre de visiter cette Barque, & en cas de refus, de s’en rendre maistre. Il envoya d’abord son Canot avec un Officier. On ne le voulut pas laisser approcher, & apres l’avoir insulté de parole, on luy jetta des pierres. Mr de Monros s’approcha avec sa Barque, & fit crier qu’il estoit François. On ne luy répondit que par des injures ; & mesme comme il s’approchoit, ceux qui estoient dans la Barque luy tirerent cinq coups de Mousquet, dont ils tüerent un Garde de Marine. Il aborda aussi-tost la Barque, & luy jetta cinquante Hommes sur son Pont, qui ne trouverent aucune résistance. Comme la nuit estoit obscure, les Matelots entrerent les premiers dans la Chambre ; ils y trouverent un Homme qui leur estoit inconnu, ils le dépoüillerent, & le blesserent mesme à la teste, avant que la présence des Officiers put arrester le desordre, parce qu’ils avoient d’abord esté à la Dunete, à cause qu’il y avoit paru du monde. Les choses estoient en cet état, lors que le bruit se répandit que le Prince de Montesarchio estoit dans cette Barque. Mr de Monros le fit aussi-tost chercher, & il se trouva que l’Homme blessé & dépoüillé, & ce Prince, n’estoient qu’une mesme chose. Mr de Monros luy fit civilité, & luy dit que s’il s’estoit fait connoistre, ce malheur ne luy seroit pas arrivé. Il luy offrit toute sorte de secours, mais sa blessure se trouva legere. Ce Prince dit qu’il alloit à Madrid par ordre du Roy son Maistre, & qu’il avoit laissé l’Armée d’Espagne, dont il estoit General, sous le commandement de son Fils. Ses réponses n’ont pas esté justes, & il a parlé diversement. Ce qu’il y a de constant, c’est qu’il s’est informé pendant huit jours de l’état de nos Vaisseaux à Toulon. Ce n’est pas à moy à juger de ce qu’on en doit croire, ny de la suite que cette Avanture pourra avoir. Je dois seulement vous dire que ce Prince estant un peu remis de sa frayeur, dit qu’on luy avoit volé une Cassete où il y avoit beaucoup de Pierreries. Mr de Monros, apres une recherche fort exacte, sçeut qu’elle avoit esté prise par un Matelot. Il l’avoüa, mais il dit qu’il avoit tout jetté dans la Mer, ce qui causa une nouvelle frayeur au Prince ; mais enfin le Matelot s’expliqua, & fit connoistre qu’ayant ouvert le Cofre où estoient les Pierreries, il les en avoit tirées, les avoit mises dans un Sac, & avoit jetté le Sac dans la Mer, mais qu’il estoit attaché, & qu’il sçavoit comment l’en retirer, ce qui fut fait. Cette Avanture me donnant lieu de vous entretenir des Isles dont je vous viens de parler, je vous diray que Porquerolles est une des Isles d’Hieres, situées à cinq lieuës au Levant de Toulon. Ces Isles estoient appellées par les Anciens, Isles Stacades, à cause du Stacas, qui est un Simple rare, & d’une grande vertu, qui s’y trouve en abondance. Elles sont encore nommées Isles d’or, & Isles d’Hieres, parce qu’elles sont vis-à-vis de la Ville qui porte ce nom, & depuis on les a nommées Isles de Porquerolles ; cela vient de ce que les Porcs d’une Barque qui en estoit chargée, & qui y fit naufrage, y multiplierent si fort en peu d’années, qu’on a esté longtemps sans en pouvoir épuiser l’Isle où il y en avoit encore grande quantité en 1660.

[Lettre de Flandres] §

Mercure galant, novembre 1683 [tome 13], p. 365-372.

Je viens de recevoir une Lettre qui devroit m’avoir esté renduë trois semaines plutost ; ce qu’elle contient auroit trouvé place dans l’Article du Siege de Courtray, & rien n’y auroit manqué. Cependant j’aime mieux vous parler deux fois d’une mesme chose, que de donner lieu de se plaindre de moy aux Braves, dont vous verrez les noms dans la Lettre que je vous envoye.

A Courtray le 6. Nov. 1683.

L’Armée du Roy commandée par Mr le Maréchal de Humieres, ayant campé pendant deux mois au Bourg de Lessines, à deux lieuës d’Ath, en partit le Dimanche 31. Octobre, & alla camper à Renay. Le premier Novembre elle alla camper à Pont-Alés, apres avoir passé l’Escaut. La nuit du premier Novembre, la Ville de Courtray fut bloquée par Mr le Marquis de Boufflers ; & le 2. à midy toute l’Armée estant arrivée, on forma la Circonvalation. Le Mercredy 3. tous les Quartiers estant pris, la Tranchée fut ouverte de trois costez. La premiere Attaque fut faite par le Régiment des Gardes Françoises & Suisses, & commandée par Mr de Maulevrier, Lieutenant General de jour. La seconde, par Picardie, commandée par Mr le Comte de Broglio, Maréchal de Camp, & par Mr le Marquis d’Harcourt, Brigadier. La troisiéme, qui estoit la fausse Attaque, fut faite du costé de la Citadelle. Elle estoit commandée par Mr le Chevalier de Sourdis, Lieutenant General. Si la nuit, dont le clair de Lune faisoit un petit jour, servit aux Ennemis à pouvoir ajuster leurs coups sur nos Gens qui estoient à découvert, elle ne fut pas inutile pour les nostres, puis qu’elle leur fit pousser leurs Lignes justes, & que le Soldat exposé hasta si fort son Ouvrage, qu’à onze heures du soir on estoit couvert, que l’Ouvrage estoit poussé, & que le Logement estoit fait sur le Glacis aux deux Attaques des Gardes & de Picardie, avec une Ligne de communication. Du moment que l’on posa la premiere Fascine, Mr le Prince de Conty, Mr le Comte de Vermandois, Mr le Duc de Nortumbelland, & soixante tant Princes qu’autres Seigneurs de la premiere qualité, & l’élite de la Noblesse de France, tous Volontaires, s’exposerent si à découvert, que les Ennemis pouvoient choisir le rouge ou le bleu, & tirer dessus à leur fantaisie. Comme cela attiroit un fort grand feu sur nos Travailleurs, & que l’on craignoit fort pour les Princes, Mr le Maréchal leur envoya Mr le Marquis de Flamanville, qui faisoit la Charge d’Ayde de Camp, pour leur déclarer qu’il en écriroit au Roy, s’ils ne se retiroient, & qu’il seroit contraint de lever le Siege. Le Travail avançant toûjours, peu-à peu tous les Volontaires se retrouverent aux deux Attaques dans le temps que l’on approchoit le Glacis, & que le Logement de la Contrescarpe se fit. Le feu des Ennemis fut grand sur les dix heures & demie du costé des Gardes, & se réchauffa fort du costé de Picardie. Cependant les Ouvrages estant avancez, & le Logement fait, l’on acheva de se couvrir avec assez de tranquilité. Le Jeudy matin, le Magistrat fit batre la Chamade, les Espagnols s’estant retirez dans la Citadelle. L’accord fut fait sur le pied de 1667. que cette Ville se rendit au Roy ; & la nuit du 4. au 5. on ouvrit la Tranchée devant la Citadelle. Cette Ville a cousté deux cens trente Soldats, onze Officiers morts ou blessez, parmy lesquels sont Mr le Chevalier d’Artagnan, Lieutenant aux Gardes ; Mr Ménil, Capitaine Suisse ; Mr du Tremblay, Lieutenant aux Gardes, qui commandoit les Enfans perdus ; Mr de Périgny, Lieutenant aux Gardes ; Mr de Vauban, Ingénieur, Parent du Maréchal de Camp ; Mr le Chevalier de Cominge, Volontaire. Mr le Comte de Konigsmarck a eu ses Habits percez. Mr d’Hauteville, Officier dans son Régiment, qui estoit aupres de luy, a esté blessé à la jambe. Un Lieutenant, & le Major des Vaisseaux. Les noms des Blessez portent leur éloge. Celuy de Mr le Chevalier d’Artagnan en porte un qui parle plus que ce que j’en pourrois dire. Mr de Périgny est Fils du Président de ce nom, & ne promet pas moins d’éclat dans les Armes, qu’en a fait Mr son Pere dans la Robe. Mr du Tremblay ne soûtient pas moins bien l’illustre Sang dont il sort. La Campagne d’Alger a déja donné sujet de parler du Chevalier de Cominge comme d’un brave & digne Rejeton de cette illustre Famille, qui a donné tant de grands Hommes. Il fut blessé dans une Chaloupe d’un coup de Mousquet qui luy traverse l’omoplate, dont il est estropié du bras droit, & dans cette occasion d’un coup de Mousquet au travers la cuisse. Mr d’Hauteville est un Homme d’esprit, & d’une valeur distinguée, qui a du service, & l’estime d’une partie de cette belle Noblesse. On le dit Gentilhomme Suédois de nation. Mr du Ménil, Capitaine Suisse, & M.… Lieutenant des Vaisseaux, & Mr le Chevalier d’Artagnan, sont les plus dangereusement blessez, ayant les os des jambes cassez. Presque toutes les blessures sont du ventre en bas.

Je ne sçay point par qui cette Lettre m’a esté écrite, mais elle ne peut venir que d’un galant Homme, puis qu’il a soin de la gloire des Braves, & que sans luy je n’aurois point rendu à plusieurs toute la justice qui leur est deuë.