1684

Mercure galant, février 1684 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1684 [tome 2].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, février 1684 [tome 2]. §

Sur la libéralité du Roy pour les Pauvres. Sonnet §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 9-10.

SUR LA LIBERALITÉ
du Roy pour les Pauvres.
Sonnet.

La Terre est désolée, on voit s’arrester l’Onde ;
La Nature mourante a perdu ses attraits ;
Le Froid, le triste Froid, perce tout de ses traits ;
Le Peuple fait des vœux, sans que le Ciel réponde.
***
Ce n’est plus qu’en LOUIS que son espoir se fonde ;
Les soins de ce Héros ne sont point imparfaits ;
Il est par sa valeur, il est par ses bienfaits,
Le Pere de son Peuple, & l’Arbitre du Monde.
***
Les plus infortunez alloient fiere leur sort,
Sa libéralité les arrache à la mort,
Il sçait se partager, en Conquérant, en Pere.
***
Ce Vainqueur des Saisons, au grand Astre pareil,
Ranime les Mortels que le Froid désespere,
Et ses royales Mains font l’effet du Soleil.

[Devises pour le Roy] §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 10-12.

C’est sans-doute avec beaucoup de raison qu’on a choisy le Soleil pour la Devise du Roy. Il est, comme ce bel Astre, un des plus grands ornemens du Monde, & l’on y découvre, aussi bien qu’en luy, un des purs rayons de la Lumiere eternelle. Mr Magnin a trouvé dans ces pensées, le sujet de deux Devises, dont le Soleil est le corps. L’une a ces paroles pour ame, Decus immutabile mundi, & il les explique par ce Madrigal.

Il est la gloire du Monde,
Les delices, l’ornement.
De cette Source féconde,
L’Univers uniquement
Tient les Biens dont il abonde.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 12-13.

Rien ne convient mieux à ce que je viens de vous dire de la rigueur de l'Hyver, que ces Paroles que je vous envoye notées.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par Le plus cruel Hyver qu'on éprouva jamais, doit regarder la page 13.
Le plus cruel Hyver qu'on éprouva jamais
Fait sentir ses effets.
D'où vient ce nouveau feu qui s'allume en mon ame ?
Pour éviter du Froid la fatale rigueur,
Il semble que l'Amour avec toute sa flâme
Soit venu se cacher dans le fond de mon cœur.
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Aux deux aimables Sœurs, Ang. & Crist §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 23-56.

Vous avez veu des Galanteries en Vers du Berger de Flore ; en voicy une en Prose, qui vous fera voir le talent qu’il a en toute sorte de genres d’écrire. Elle est sur une matiere qui doit intéresser tout le monde, puis qu’elle regarde l’amitié, & que l’union qui en est formée, est une des choses qui contribuënt davantage au repos & à la félicité de la vie.

AUX DEUX
AIMABLES SOEURS,
ANG. ET CRIST.

Vous estes éclairées de trop de lumieres, Aimables Sœurs, pour ne pas connoistre la nature de l’Amitié dans toute son étenduë. Neanmoins puis que j’ay promis de vous écrire ce que j’en pensois, & que vous souhaitez de voir l’effet de cette promesse, il est juste de satisfaire à vostre desir, & à mon de voir. Sçachez donc qu’il en est, à mon avis, de l’Amitié, comme de l’Amour, ou du Mariage. On peut en proposer des Articles, en dresser des Contracts, y entrer en Communauté, y retenir des Propres, y laisser des Doüaires, y employer la sainteté des Cerémonies, & y engager son Honneur & sa Foy. A la verité j’y remarque deux diférences, qu’il n’est pas possible d’en retrancher, sans détruire leur nature. La premiere, que l’Amitié est une simple liaison des Esprits, au lieu que le Mariage unit les Esprits & les Corps ; & la seconde, que le Mariage est une liaison de deux Personnes, au lieu que l’Amitié peut estre légitimement celle de plusieurs. L’une de ces diférences donne des bornes plus étroites à l’Amitié, qu’à l’Amour, & l’autre luy en accorde de plus étenduës ; mais toutes deux ne laissent pas de retourner à l’avantage de l’Amitié ; la premiere, parce qu’en luy ôtant le commerce du Corps, elle la rend pure, spirituelle, & moins capable de changement ; & l’autre, parce qu’en luy laissant la liberté de s’attacher à plusieurs objets, elle l’afranchit des suplices de la contrainte, & des inquiétudes de la jalousie. Ainsi, Aimables Sœurs, l’Amitié me semble une liaison plus douce, plus noble & plus illustre que le Mariage, & c’est ce que j’en pense ; mais peut-estre n’est-ce pas ce que vous en pensez. Quoy qu’il en soit, je vous envoye les Articles & le Contract que j’en ay dressez ; ils vous expliqueront amplement la maniere dont j’entens que doit estre liée & entretenuë la veritable Amitié, & vous paroistront peut-estre des portraits assez justes de l’idée que vous en avez conçuë. Vous les examinerez s’il vous plaist à loisir, & mesme à la rigueur ; mais je vous supplie d’avoir ensuite la bonté de m’aprendre, si vous ne jugeriez pas digne d’estre aimé de vous, un cœur qui sçauroit garder avec exactitude tous ces Articles de belle Amitié ; afin que vous assurant apres cela, combien je sens dans mon ame d’inclination & de disposition à les observer, & combien je croirois recevoir de gloire & de bonheur, si j’avois l’avantage d’en passer Contract avec vous, il me soit permis de vous en demander la grace. Je ne vous envoye pas les Cerémonies de l’Amitié ; ce sera pour une autre fois. Je vous diray neanmoins par avance, que les principales consistent à faire trois Sermens solemnels. Le premier, qu’on sera Amy jusqu’aux Autels. Le second, qu’on sera Amy dans la mauvaise fortune, comme dans la bonne ; & le dernier, qu’on sera Amy jusqu’au tombeau. Ces trois Sermens estant faits sur les Autels mesmes de la Probité, & de l’Honneur, on doit entrer en confiance, & pratiquer ce qui est porté par les Articles dont voicy le modelle.

Articles d’Amitié.

Il y aura entre les Parties une extréme confiance, & elles se communiqueront jusqu’à leurs plus secrettes pensées ; à la réserve de celles qui regardent les affaires particulieres de leurs autres Amis, desquelles il leur sera défendu de parler ; & de celles qui se forment dans le Sanctuaire de l’Amour, dont il leur sera libre de se taire.

L’une des Parties goustera avec pleine satisfaction tous les sujets de joye que recevra l’autre, & sera de mesme sensiblement touchée de toutes ses douleurs, & de tous ses déplaisirs ; & à la premiere nouvelle qui luy en sera portée, elle ne manquera pas de luy témoigner la part extréme qu’elle prend dans ce qui luy sera arrivé d’agreable ou de fâcheux.

Les Amis & les Ennemis de l’une deviendront les Amis & les Ennemis de l’autre ; & pour les connoistre, elles s’en donneront une déclaration huit jours apres leur Contract signé, afin qu’on évite les béveües, & que s’il se trouve quelqu’un qui soit Amy d’une Partie, & Ennemy de l’autre, elles conviennent ensemble du rang où il devra estre placé. Ce pourra estre par accommodement, parmy les Personnes qui leur seront indiférentes.

Elles ne s’engageront jamais dans aucune affaire d’importance, sans se la communiquer ; deféreront beaucoup aux sentimens l’une de l’autre ; ne manqueront jamais de complaisances honnétes, éviteront la raillerie & la contradiction, & se témoigneront en toutes sortes de rencontres & par toutes sortes de voyes, une mutuelle & particuliere estime.

Elles n’attendront priere ny demande pour se rendre service, mais elles en chercheront les occasions avec ardeur, & les ayant trouvées, elles les embrasseront avec ardeur, sans mesme en desirer de remercîment ny de reconnoissance, & s’accorderont ainsi avec genérosité tout l’adoucissement & tout le secours qu’il leur sera possible de se fournir, dans les traverses & les disgraces que la mauvaise fortune leur suscitera.

Elles auront une fidélité inviolable à se garder le secret, & jamais une Partie ne fera rapport des discours de l’autre, sans sa permission, ny mesme de ce que les conjectures luy donneroient à juger de ses sentimens cachez.

Les plus petits mensonges, & les grandes flateries n’altéreront point la sincerité de leur commerce. Elles ne se feront point mystere de bagatelles, & la verité se débitera entre elles sans déguisement & sans fard.

Elles s’avertiront avec douceur & prudence, des fautes ausquelles elles pourront tomber par négligence, mauvaise habitude, fausse affectation, ou autrement ; & tous les avis qu’elles s’en donneront, seront reçûs d’elles de bonne grace, écoutez sans répugnance, examinez sans passion, & employez, s’il est possible, à leur profit.

Elles parleront réciproquement à leur avantage, par tout où la bienséance en approuvera le discours, faisant gloire de leur Amitié ; & bien loin d’endurer jamais par leur silence les petites médisances & les railleries qu’on pourroit faire de l’une d’elles en présence de l’autre, elles prendront hautement le party de l’absente contre tous.

Elles supporteront, cacheront, & excuseront de mesme leurs foiblesses & leurs defauts ; & neanmoins elles se les remettront de temps en temps devant les yeux, de crainte que l’habitude de se voir souvent ne les ébloüisse, & qu’elles ne tombent enfin dans les erreurs de l’Amour, dont la tromperie ordinaire est de faire former à l’imagination une idée belle & parfaite de l’objet même le plus imparfait & le plus difforme.

Enfin il y aura entre elles une familiarité respectueuse, sans aucun mélange de cerémonie. Elles expliqueront en bonne part tous leurs discours & toutes leurs actions. Elles auront soin de se voir souvent ; & au defaut des visites, elles employeront les lettres à l’entretien de leur commerce ; & pour achever en peu de mots, elles vivront ensemble avec la mesme bonté & le même esprit que les Personnes unies par les plus étroits liens du Sang, dans lesquelles l’envie ny l’intérest n’étouffent point les sentimens de la Nature.

Je sçay bien, Aimables Sœurs, qu’il est de l’ordre dans les Mariages, que les Dames donnent les Articles ; mais il est indiférent d’où ils viennent dans l’Amitié. Je ne vous envoye pas ceux-cy comme des Loix, ce ne sont que des propositions ; vous y pouvez changer, retrancher, & ajoûter tout ce qu’il vous plaira, & vous le devez mesme, afin qu’ayant vostre agrément, ils puissent estre signez de vous sans répugnance & sans repentir. Je n’y ay pas joint la déclaration de mes Amis & de mes Ennemis, parce que je ne juge pas à propos de vous en éclaircir, avant que de sçavoir si vous serez d’humeur à me faire part de vostre Amitié. Cette confiance demande de la précaution, & vostre prudence ne desapprouvera pas que je prenne mes sûretez. Apres les Articles accordez & signez, on peut passer le Contract qui suit.

Contract d’Amitié.

Pardevant … comparûrent en leurs Personnes … lesquelles Parties, en présence & par l’avis de … ont dit & volontairement reconnu en faveur de la bonne estime qu’elles ont l’une pour l’autre, & encore de l’étroite bienveillance qu’elles se portent, avoir promis de se prendre en Amitié, & de la faire solemniser suivant les Cerémonies accoûtumées, à la face des Autels de l’Honneur & de la Probité, le plutost que leur commodité le permettra ; & cependant estre demeurez d’accord d’entrer en Communauté de Secrets, de Réjoüissance & d’Affliction, d’Amis & d’Ennemis, & de garder inviolablement tous les autres Articles dont elles sont convenuës de l’aveu & consentement de leurs Amis ; & en outre, de se prendre avec leurs perfections & leurs defauts, mœurs, actions & passions, telles qu’il leur en pourra appartenir au jour qu’elles se jureront Amitié ; sans toutefois que l’une des Parties soit tenuë des faits de l’autre, du moins quant au passé ; desquelles perfections, defauts, mœurs, actions & passions, elles ont accordé que les perfections & defauts leur demeureront en Propre, que les mœurs entreront en Communauté, & que des actions & passions, partie entrera pareillement en Communauté, & partie leur sortira nature de Propre ; étant enfin convenuës qu’arrivant la dissolution de l’Amitié, le Survivant aura pour Doüaire les Amis du Décedé, tant ceux qu’il aura au jour de l’Amitié contractée, que ceux qui seront avenus depuis .... si comme ... promettant ... obligeant ... Fait & passé le

Voila, Aimables Sœurs, la maniere dont je conçois qu’on se peut engager en Amitié par les formes du Mariage ; & si vous me répondez que la Signature des Articles & des Contracts ne peut estre regardée que comme une chaîne qui captive, je vous répliqueray que la captivité est douce quand on s’aime, & qu’on mérite d’estre puny par son lien, quand on cesse de s’aimer, puis qu’on a eu le choix de le prendre, ou de le refuser. C’est à vous à voir apres cela ce qu’il vous plaist de faire. L’assurance que je vous puis donner, est que je ne suis point sujet au changement, & que si vous me recevez au nombre de vos Amis, la mort seule sera capable de me ravir cet honneur. Je sçay qu’il y a une Etoille qui se peut opposer au bien où j’aspire, mais je sçay aussi que les Personnes sages sont au-dessus des Astres. Il ne tiendra donc qu’à vous de triompher de cet obstacle ; & j’ose esperer de vos bontez, que vous voudrez bien prendre ce soin en faveur de vostre passionné Serviteur,

Le Berger de Flore.

AUX MESMES.
Apres les Articles signez.

Se mettre au-dessus des Astres, c’est imiter les Divinitez dont vous estes les vives images ; & me donner vostre Amitié, c’est me favoriser d’une grace beaucoup au-dessus de mon mérite. Je la reçois aussi comme un bien venu du Ciel, & j’en feray un si bon usage, que vous n’aurez jamais de regret de me l’avoir accordée. Vos paroles m’auroient tenu lieu de Contract, quand vous y auriez borné vos engagemens ; mais, trop aimables Sœurs, vous prenez plaisir à pousser la generosité aussi loin qu’elle peut aller, & vous me renvoyez mes Articles signez de vous, sans y avoir rien changé, avec assurance d’en passer Contract avec moy, sans aucune reserve ; c’est signaler vos bontez d’une maniere qui n’a point d’égale. Le commencement de reconnoissance que je vous en puis témoigner, c’est de vous apprendre quels sont mes Amis & mes Ennemis, avec les veritables sentimens que j’ay d’eux, & pour eux. Recevez donc de la sorte cette grande marque de confiance que je vous envoye ; elle en est aussi une d’estime, mais tenez la secrette, & m’en ouvrez vos pensées avec la même sincerité que je vous explique les miennes, puis que l’Amitié vous y oblige aussi-bien que moy.

Déclaration des Amis & des Ennemis du Berger de Flore.

Je vous avoüeray, Aimables Sœurs, que je suis Amy de sept Belles, qui m’ont reçû dans leur Societé Galante, & qui passent pour les sept merveilles de la Contrée que j’habite ; de la Souveraine, par devoir ; de la Spirituelle, par inclination ; de l’Officieuse, par reconnoissance ; de la Sage, par estime, de la Fiere, par habitude ; de la Civile, par bienséance ; & de la Douce, par plaisir.

Je compte aussi au nombre de mes Amis, tous les Galans de la mesme Societé, sans en excepter mon Frere, bien que l’Amitié fraternelle soit assez rare ; & je régle l’Amitié que j’ay pour ces chers Voisins, par celle dont je les juge capables, reconnoissant l’Epoux de la Souveraine pour un Amy d’honneur, comme aussi ad honores, (ce mot ne vous est pas inconnu, je vous l’ay ouy dire ;) le Génereux, pour un Amy au besoin ; le Divertissant, pour un Amy de Table ; l’Emporté, pour un Amy de débauche ; le Politique, pour un Amy de Cour ; le Sincere, pour un Amy du cœur ; l’Intrépide, pour un Amy au-delà des Autels.

Sçachez encore que j’ay quatre intimes Amis, Messieurs de.… dont je compare l’Amitié aux quatre Elemens. Celle du premier, au Feu, parce qu’elle est ardente ; celle-du second, à l’Air, parce qu’elle est insinuante ; celle du troisiéme, à l’Eau, parce qu’elle est pure, agreable dans ses transports, & mesme bonne dans sa froideur ; & celle du quatriéme, à la Terre, à cause de sa solidité. Ajoûtez à cela, que le premier est mon Conseil dans mes affaires ; que le second est le Confident de tous mes secrets ; que le troisiéme me sert de Miroir dans mes defauts ; & que le dernier seroit mon Azile, s’il m’arrivoit des disgraces.

Apprenez enfin, que je mets au rang de mes Amis toutes les Personnes de ma Maison, parce qu’il me semble que le bon sang ne doit jamais mentir, & que l’intérest du Nom ne se doit jamais quitter.

Quant à mes Ennemis, les plus mortels sont mes Rivaux, & apres eux les Jaloux, les Espions, & tous les Donneurs d’avis qui me traversent dans mes Amours. Je ne les marque point en particulier, puis que s’il est permis par nos Articles de taire l’Objet qu’on aime, il doit estre permis aussi de cacher ce qui en pourroit donner la connoissance. De plus, comme je fais gloire d’estre bon Parent, qui choque quelqu’un des miens m’offense, & je le tiens pour mon Ennemy. Vous connoissez assez ceux dont ma Parenté a sujet de se plaindre, pour me dispenser de ce détail.

Outre ces Ennemis que mes passions & mon devoir me suscitent, j’ay encore ceux que me font mes inclinations naturelles. Ce sont les Médisans ; & en verité je sens mon ame prévenuë d’une si forte aversion pour ces lâches assassins de Gens endormis, s’il m’est permis de les nommer de la sorte, que je n’en souffre la conversation & la présence, qu’avec peine. On se garantit aisément de ses autres Ennemis ; mais quel moyen de se défendre de ceux qui empoisonnent de cent lieües ?

Pour tous les autres, ils ne valent pas que je les marque ; la plûpart me sont communs avec les Personnes qui ont un peu d’esprit ; & comme ces Ennemis ont plus d’envie que de malice, je les juge aussi plus dignes de pitié que de haine, & c’est ce me semble toute la vangeance qu’on en doit tirer.

Voila donc, Aimables Sœurs, la déclaration de mes Amis & de mes Ennemis. Voyez s’il y en a quelqu’un parmy eux, qui ait le malheur de vous déplaire, afin que s’il est de mes Ennemis, j’augmente la haine que j’ay déja pour luy ; ou que s’il est de mes Amis, & qu’il n’y eust pas moyen de le remettre en grace auprés de vous, je le regarde comme coupable, & que je cesse par là de l’aimer. J’attens une pareille déclaration de vostre part, pour vous en dire mon sentiment avec franchise. Lors que toutes les racines de division sont ôtées, la liaison en devient plus étroite, & ne court jamais les dangers du refroidissement ny de la rupture. Ne diférez donc pas, s’il vous plaist, à m’envoyer cette déclaration, afin de régler au plûtost de part & d’autre ce qui pourroit causer un jour du diférend entre nous Il ne manque à la mienne pour sa perfection, que d’y voir les Noms de la charmante Angel. & de la galante Crist. parmy ceux de mes belles Amies ; & vous ne doutez pas que je ne les y mette avec beaucoup de joye ; mais que j’en auray bien davantage de vous voir écrire le mien parmy ceux de vos vrays Amis ! Mon impatience pour ces heureux momens ne peut s’exprimer, elle est trop grande ; excusez-la, c’est avec raison, parce qu’apres cela,

 Si le Ciel écoutant mes vœux,
Entretient dans nos cœurs une ardeur mutuelle,
Amour n’aura jamais formé de si doux nœuds,
 Et ses plus grands & plus illustres feux
 Ne vaudront pas une étincelle
 D’une Amitié si belle.

Sur la Convalescence de Mr l’Archevesque de Lyon. Sonnet §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 67-69.

SUR LA CONVALESCENCE
DE Mr L’ARCHEVESQUE
de Lyon.
SONNET.

De deux rudes Saisons cruelle ressemblance,
Mélange intemperé de froid, & de chaleurs
Accés, qui sur nos fronts répandit la pasleur,
Et du cœur le plus ferme étonna la constance.
***
Fiévre, Monstre odieux, malgré ton insolence,
Nous sommes échapez du plus fâcheux malheur,
CAMILLE vit encore, & demeure vainqueur
Des assauts violens de ta double puissance.
***
Ce n’est pas que sa vie en un corps consumé
Des travaux que luy donne un Peuple trop aimé,
Ne dust enfin ceder à la Parque cruelle.
***
Trente horribles frissons, suivis d’autant de feux ;
Auroient pû luy donner une atteinte mortelle,
Mais, quoy, que pouvoient-ils contre cent mille vœux ?

[Devise sur la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne] §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 69-71.

Voicy une Devise de Mr Rault de Roüen, sur la Naissance de Monseigneur le Duc d’Anjou. Elle a pour corps une Colomne chargée de Fleurs-de-Lis, soûtenuë d’une Base chargée aussi de ces Fleurs, & portant en son Chapiteau une Couronne Royale. Ces mots qui luy servent d’ame, Hoc fulcro perennis, sont expliquez par ces Vers.

 O France, quand tu vois qu’une ferme Colomne
 Soûtient aujourd’huy ta Couronne,
Tu peu bien te vanter, qu’entre tous les Etats,
 Où sont les plus grands Potentats,
 Tu vois ton Trône inébranlable ;
 Et que malgré tant de revers,
 Qui peuvent troubler l’Univers,
 La Base en est solide & stable.
***
 Cette Base est donc aujourd’huy,
 De ton Roy l’invincible appuy ;
Et l’illustre faveur, qui du Ciel t’est donnée,
 Et qui rend nos Princes féconds,
 Marque l’heureuse destinée,
Qui s’attache au beau Sang des augustes Bourbons.

[Réjoüissances faites en plusieurs Villes de France pour cette naissance] §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 71-90.

 

Les Réjoüissances que l’on a faites pour la Naissance de ce jeune Prince, ont fort éclaté dans tout le Royaume. Le Dimanche 9. de Janvier ayant esté choisy à Grenoble pour le jour de cette Feste, une partie de la Milice s’assembla dans la Place S. André, & ensuite forma deux Hayes depuis le Palais jusques à l’Eglise Cathédrale, au milieu desquelles Mrs du Parlement en Robes rouges, & Mrs de la Chambre des Comptes, passerent pour aller à l’Eglise, Mr le Marquis de S. André Virieu estant à la teste du Parlement, & Mr de Sautereau, Premier Président en la Chambre des Comptes, estant à la teste de ce Corps. Ces deux illustres Compagnies, aussi venérables par l’attachement qu’elles ont pour Sa Majesté, que par le mérite & la naissance de ceux qui les composent, estoient devancées par leurs Huissiers & Secretaires, & par la Compagnie de la Maréchaussée, avec leurs Armes & leurs Casaques. Les quatre Consuls s’y rendirent aussi en Robes Consulaires, avec la suite de l’Hôtel de Ville. Mr le Camus, Evesque de Grenoble, si recommandable par sa pieté, & par les soins vrayment paternels qu’il a de son Peuple, entonna le Te Deum qui fut chanté en Musique, & suivy de l’Exaudiat, & des autres Prieres pour Sa Majesté ; apres quoy Mr de S. André marcha vers la Place où estoit dressé le Feu, precedé de son Gentilhomme, & suivy de toute sa Maison. Les Officiers de Milice, tous fort proprement vestus, alloient les premiers deux à deux suivant leurs rangs ; & immédiatement entre eux, & le Gentilhomme de Mr le Premier Président, estoit placé un Concert de Hautbois, dans lequel un Enfant encore à la Robe, tenoit sa partie d’une maniere qui le faisoit admirer de tout le monde. [...] Vous jugez bien qu’on n’oublia pas les Feux dans toutes les Ruës

Il s’en est fait un de joye à Dijon, dont tout ce qui s’y trouva de Gens Connoisseurs, admirerent le dessein. Une Figure qui représentoit la France assise dans son Trône, estoit posée sur un Piedestal, au milieu d’un grand Théatre, orné de Peinture & d’Architecture. Elle tenoit sur elle Monseigneur le Duc d’Anjou d’une main & de l’autre un Sceptre, & aupres d’elle estoit Monseigneur le Duc de Bourgogne. Sur la Face antérieure de ce Piédestal, on lisoit ce Vers Latin.

_____________________ Nec olim
Romula se tellus tantis jactavit alumnis.

Il estoit expliqué de cette sorte, sur une des Faces de ce Piédestal à costé.

Rome si fertile en Héros,
Dont la haute valeur, & les fameux travaux,
Ont étendu si loin son nom, & sa puissance ;
Rome, à qui l’Univers donna le premier rang,
N’a jamais dans son sein rien formé de plus grand,
Que ces deux Nourrissons que possede la France.

Sur la Face postérieure du Piédestal, estoient ces paroles.

Magni spes altera Regni.

Ces Vers écrits sur l’autre Face à costé, les expliquoient.

Que notre espoir est grand ! Que notre sort est doux !
Le Ciel sur LOUIS, & sur nous,
Signale ses bontez par d’éclatantes marques.
On demande un Dauphin, il l’accorde à nos vœux ;
On luy souhaite un Fils, il en fait naistre deux.
Est-il dans l’Univers de plus heureux Monarques ?
Est-il un Peuple plus heureux ?

Quatre petits Amours sur les Angles à l’entour du Piédestal, portoient, l’un un Caducée, l’autre une Corne d’abondance, l’autre un Laurier, & l’autre une Ancre ; marques de la seûreté, & de la félicité publique.

Sur les quatre coins du Théatre, au milieu duquel estoit le grand Piedestal, on voyoit quatre grandes Figures oposées sur leurs Piédestaux proportionnez.

La premiere estoit un Hercule représentant le Roy, avec ce Vers écrit sur son Piédestal.

Ex me virtutem discent, verimque laborem

Au bas, dans un Tableau, on lisoit ces quatre Vers.

Pour les Héros passez on seroit incrédule,
Si par des Exploits inoüis
On ne voyoit le grand LOUIS,
Faire plus que ne fit Hercule.

La seconde estoit l’Immortalité, couronnée d’Etoiles, tenant d’une main la Fleur nommée Immortelle, & de l’autre un Zodiaque. Cette Figure représentoit la Reyne défunte. Sur son Piédestal on lisoit le Vers qui suit.

Illis nec metas rerum, nec tempora ponam.

Au bas dans un Tableau estoit ce Quatrain.

LOUIS par tout triomphe aux Conseils, aux Combats,
Et si ses Descendants le prennent pour Modelle,
Ils rendront quelque jour, ayant suivy ses pas,
Leur Empire sans borne, & leur gloire éternelle.

La troisiéme estoit un Apollon, représentant Monseigneur le Dauphin, avec cet Hémistiche.

Eritque simillima proles.

Ces Vers en donnoient l’explication ; ils estoient au bas dans un Tableau.

Plein d’esprit & de cœur, l’air charmant, fait pour plaire,
Enrichy des Vertus qui forment un grand Roy,
C’est par là qu’on me voit digne Fils de mon Pere,
Et qu’un jour on verra mes Fils dignes de moy.

La quatriéme estoit la Fécondité, tenant des Lys dans ses mains, & représentant Madame la Dauphine, avec ces paroles,

Manibus dabo lilia plenis

Plus bas on lisoit ces Vers,

LOUIS est satisfait, mes vœux sont accomplis,
Pour sa gloire & la mienne également féconde,
Je feray sur son Trône éclorre assez de Lys,
Pour en remplir un jour tous les Trônes du monde.

Il y avoit six Emblêmes autour du Théatre entre les Tableaux. Le premier faisoit voir un Ciel, au milieu duquel estoit le Signe où le Soleil entre en Decembre pour retourner à nous ; & le petit Prince naissant, sur un Tapis Royal, venu au monde dans le mesme temps que le Soleil commençoit une nouvelle Carriere. L’ame de l’Emblême estoit,

Simul confurgimus ambo

Dans le second on voyoit un Lys naissant parmy les neiges & les frimats, pour marquer la Naissance du jeune Prince au cœur de l’Hyver, & que la France n’a pas besoin d’attendre l’Eté, pour faire éclorre des Lys.

Etiam inter frigora surgunt.

Le troisiéme représentoit une Lune qui se couche, & l’Etoile nommée Hesper, qui paroist immédiatement apres son coucher, pour marquer la Naissance du petit Prince peu de temps apres la mort de la Reyne.

Cùm cadit, exorior

Dans le quatriéme estoit la Planete de Jupiter avec deux petites Etoiles, nommées par les Astronomes, ses Satellites, regardées par le Soleil, pour marquer que comme cet Astre donne à ces Etoiles toute la vertu & leur lumiere, le Roy donne à son Fils & à ses Petits-Fils tout leur éclat.

Virtutem & lumen ab uno.

Le cinquiéme faisoit paroistre un Dauphin sur une Mer tranquille, Hercule sur le bord, avec ses Colomnes, & des Monstres abatus, & dans le Ciel les deux Etoiles de Castor & Pollux, qui marquent le calme, comme le Dauphin la sûreté, à cause qu’il écarte par sa présence les Monstres de la Mer, comme Hercule ceux de la Terre ; ce qui figuroit le Roy, Monseigneur le Dauphin, & les deux Princes ses Fils.

Dans le sixiéme estoit un Paon, qui avoit sa queüe épanouie. Ce bel Oyseau, qui a esté autrefois le Symbole de la Fécondité, représentoit Madame la Dauphine.

Me beat & formæ, & numerosæ copia prolis.

SONNET
A LA FRANCE.

A ton Auguste Roy tu dois, heureuse France,
Le Bonheur, le Repos, les biens dont tu joüis ;
Ses illustres Vertus, & ses Faits inoüis
Font par tout l’Univers éclater ta Puissance.
***
Nos Voisins contre toy font-ils une alliance ?
Au premier pas que fait l’invincible LOUIS,
Il les voit dissipez aussi-tôt qu’ébloüis,
Et contraints à la fin d’implorez sa Clémence.
***
Pour ce Prince & pour toy que peux-tu desirer,
Toy dans cette grandeur qui te fait admirer,
Luy chargé de Lauriers que produit la Victoire ?
***
Demande seulement au Ciel par mille vœux,
Que tous les ans on voye augmenter ses Neveux,
Comme on voit tous les jours qu’il augmente sa Gloire.

On doit ce Sonnet, les autres Vers, les Devises, les Emblêmes, & enfin tout le Dessein de ce Feu de Joye, à Mr Moreau Avocat Géneral de la Chambre des Comptes de Dijon, qui dans cette occasion, comme dans celle de la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, a voulu donner des marques publiques de son zèle, & seconder celuy de Mr Joly son Parent & son Amy, Maire & Vicomte-Majeur de la Ville, Magistrat d’un mérite consommé.

[Réjouissances pour la naissance du duc d’Anjou à Chaulny]* §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 90-91.

 

Mr de Vaillant, Maire de la Ville de Chaulny, y fit mettre toute la Bourgeoisie sous les Armes. Elle fut conduite en tres-bon ordre à l’Eglise de Nostre-Dame, où l’on chanta le Te Deum en Musique.

[Réjouissances pour la naissance du duc d’Anjou à Joigny]* §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 92-97.

 

La Ville de Joigny, qui a fait paroître sa fidélité & son zéle pour le Roy en toutes rencontres, en a donné d’éclatantes marques en celle-cy. Sur les Ordres qu’on y reçût de Mr de Prâlin, Gouverneur de Champagne, tous les Bourgeois se mirent en armes. Chaque Compagnie avoit son Drapeau & ses Tambours, qui joints avec le son des Musettes, des Hautbois, des Flûtes & des Fiffres, composoient une harmonie des plus agréables. Ces Compagnies en formant leurs Défilez, se trouvérent sur les deux heures devant le Château, du costé qui regarde la Riviere, vis-à-vis duquel on avoit dressé le Feu. Elles s’y mirent en haye, & se retirérent ensuite les unes apres les autres, lors qu’elles eurent fait une Salve, pour revenir s’y rejoindre chacune selon son rang, pendant que l’on chanteroit le Te Deum à Nostre-Dame. Il y fut chanté solemnellement, & suivy d’une Procession de tout le Clergé, assisté des Officiers de la Ville & de la Justice, au bruit du Canon & de plusieurs Décharges redoublées. Cette Procession fut à peine faite, que les Maire & Echevins se rendirent sur la Platte-forme, pour y allumer le feu. Il y avoit une Fontaine de Vin, dont le jet estoit de trente-six pieds de hauteur. Au-dessus de la Porte du Château on voyoit un Tableau sur un Tapis. Le Quadre en estoit environné de Laurier, & orné d’un nombre infiny de Rubans blancs & bleus, ces deux couleurs faisant la Livrée du Roy. Ce tableau estoit rempli de ce Sonnet de Mr du Mas, avec cette Inscription.

SUR LE FEU DE JOYE
de la Ville de Joigny,
Pour la Naissance de Monseigneur le Duc d’Anjou.
Sonnet.

QUE LOUIS est heureux, & qu’il doit à la Gloire,
Qui couronnant ses soins, rend ses vœux accomplis,
Lors que durand la Paix il voit que LA VICTOIRE
Luy produit des moyens pour affermir ses Lys !
***
Il remplit les endroits les plus beaux de l’Histoire ;
Mais que sera-ce un jour, quand il verra son Fils,
Pour donner de l’ouvrage aux Filles de Mémoire,
Vaincre par ses Enfans ses plus fiers Ennemis ?
***
France, bény le Ciel qui te donne des Princes,
Qui doivent rétablir tes plus belles Provinces,
Et remettre sur pied la Bourgogne & l’Anjou.
***
Tes Peuples sont charmez du dernier qu’il t’envoye ;
Mais sur tout admirant ce précieux Bijou,
Joigny paroist tout feu, pour exprimer sa joye.

[Réjouissances pour la naissance du duc d’Anjou à Nogent-le-Roi]* §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 97-101.

 

Les mesmes Réjoüissances ont esté faites à Nogent-le-Roy, où le jour des Roys on chanta le Te Deum à l’issuë de Vespres, par l’ordre de Mr le Marquis de Cœuvres. On tira du Château quantité de coups de Canon, qui furent secondez d’un Jeu d’Orgues. C’est une Machine de Guerre, composée de plusieurs Tuyaux ou Canons, qui tirant tout à la fois, font autant de bruit & d’effet que six Arquebuses à croc. Les Feux furent allumez le soir de toutes parts, & ce fut à la clarté de ces Feux qu’on vit paroistre un Bataillon d’Infanterie fort leste, qui apres avoir fait les Evolutions, l’Exercice du Drapeau, & plusieurs Décharges de Mousqueterie, voulut pour marque de reconnoissance & de soûmission, offrir à Dieu un magnifique Etendart, écartelé aux Armes de France. Cela fut cause qu’on rentra dans l’Eglise, où pour la seconde fois on chanta le Te Deum au bruit des Tambours, aux Fanfares des Trompetes, & au son des Fiffres, des Flûtes, & des Basses de Viole.

Les Carmes du Convent de la Fléche, qui ont pour leur Eglise la Chapelle Royale nommée Nostre-Dame du Chef-du-Pont, l’un des plus venérables Lieux de toute la Ville, marquérent leur joye pour cette mesme Naissance, le 16. du dernier mois. Ils commencérent par un Te Deum, que la beauté de la Musique, jointe à l’agrément des Voix, fit admirer de tous ceux qui l’entendirent. Ils continuérent par un Feu qu’ils avoient fait élever au milieu de la Riviere du Loir. C’estoit une grande Pyramide portée par quatre Globes, & ornée d’une Devise, dont le corps estoit un Lys, avec un Sep de Vigne entrelassé par le pied. Ce sep avoit des feüilles & des grappes de Raisin, & au bas estoient ces mots, Gloriosæ Fœcunditati. Quatre Obélisques ornées de Drapeaux, de Fleurs de Lys, & de branches de Laurier, accompagnoient cette Pyramide, au haut de laquelle estoit une Couronne Royale, & au-dessus, un Drapeau avec son Ecusson Royal couronné. Mr de la Crochiniere, Maire de la Ville, conduit par les Peres Carmes, alluma ce Feu, qui fut suivy de quelques autres Feux d’artifice, & de plusieurs Décharges d’Artillerie.

[Histoire] §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 102-116.

Ces Réjoüissances ont donné lieu à une Avanture des plus singulieres. Le jour qui fut choisy pour les faire dans une des principales Villes du Royaume, chacun s’empressa de marquer sa joye ; & les Bourgeois à l’envy de la Noblesse, n’épargnerent rien pour se signaler. Cette ardeur passa jusqu’aux Ecclesiastiques. On illumina beaucoup de Clochers, & il y eut des Convents, qui par des Feux d’artifice, firent éclater publiquement la part qu’ils prenoient au nouveau bonheur de Sa Majesté. Parmy ceux qui eurent le plus de zele, un jeune Religieux chercha à se distinguer. Il s’attachoit aux Mathématiques, avec la plus forte application ; & les lumieres, qu’une étude de plusieurs années luy avoit fait acquérir dans cette Science, luy ayant fait croire qu’il estoit capable des choses les plus extraordinaires, il résolut d’en faire l’essay à l’occasion de cette Feste. La gloire luy en devoit estre particuliere, puis qu’il n’y avoit que luy seul dans son Convent qui se mêlast des Réjoüissances. Aussi voulut-il attendre à faire paroistre les diférentes merveilles dont il devoit donner le Spéctacle, que toute la Ville eust commencé à se mettre en joye. Il prenoit un temps tres-favorable pour luy. Il estoit d’une Maison, où l’on ne se levoit qu’à quatre heures pour chanter Matines, & il pouvoit agir sans obstacle, tandis que tout y dormoit. La crainte qu’il eut que les raretez dont il devoit régaler le Peuple, ne fussent pas dignes de la gravité de ses Anciens, luy fit tenir la chose secrete, & il aima mieux que le bruit qu’elles feroient dans la Ville les en instruisist, que de les prier d’en estre témoins. Sa Cellule, quoy que séparée par une Court, d’une grande Place, où il pouvoit s’assembler quantité de Spéctateurs, ne laissoit pas de se découvrir de loin. Il en orna la Fenestre de toutes les gentillesses que son Art luy put fournir. Le dedans estoit remply de Figures, ausquelles par le moyen de quelques Machines soûtenuës de contrepoids, il donnoit du mouvement. Quantité de petites Bouteilles de verre de diférentes couleurs, & illuminées diféremment, ornoient le dehors de cette Fenestre. Astres, Chifres, Cœurs enflâmez, Fleurs-de-Lys, rien n’y manquoit. Sur tout, les Dauphins y brilloient de toutes parts. Le mouvement qu’ils recevoient des Machines, attira bientost le Peuple. Chacun accourut pour voir cette nouveauté, & les acclamations qu’entendoit le Machiniste, luy ayant enflé le cœur, il redoubla tous ses soins pour donner plus de justesse à ce qu’il voyoit si digne de l’attention des Regardans. Jusques-là rien ne pouvoit aller mieux ; mais la Figure de la Lune qu’il avoit placée au milieu de la Fenestre, gasta ce brillant Spéctacle. C’estoit un Globe de verre, remply d’une Liqueur diaphane, & fort transparente, & qui approchoit de la couleur de cet Astre de la nuit. Cette Figure estoit éclairée par le feu qui sortoit d’une Urne de terre, pleine d’une matiere combustible allumée. Poix-résine, Salpestre, Esprit-de-Vin raffiné, & plusieurs autres ingrédiens de cette nature, composoient une espece de Phosphore, qui ébloüissoit les yeux. L’Autheur de tant de merveilles s’applaudissoit en luy-mesme de l’heureux succés de son entreprise ; & sur les cris qui luy marquoient l’admiration du Peuple atroupé, il s’estoit mis dans l’esprit qu’il l’emportoit sur Euclide, lors qu’un accident aussi triste qu’impréveu, trompa tout à coup ses espérances. Ce jeune Religieux voulant remuer un Piédestal sur lequel la Machine estoit posée, le Vase de terre, qui estoit élevé au dessus de luy, se fendit par le milieu, & la matiere enflâmée se répandant dans son Capuce, & sur ses Habits, il fut en un moment tout en feu. Il s’enfonça soudain dans sa Chambre, pour ne pas donner à rire à ceux qui pouvoient l’apercevoir ; mais il fit en vain tous ses efforts pour arrester l’incendie. La composition estoit visqueuse, & tres-adhérente. Plus il la touchoit, plus il imprimoit ce qui le faisoit soufrir. Sa douleur estant trop sensible pour le laisser en repos, il n’oublia rien de ce qu’il croyoit pouvoir en oster la cause, & fit pour cela toutes les contorsions imaginables. Enfin ne pouvant plus endurer l’ardeur du feu, il fut contraint de crier. C’estoit le plus court expédient. Il entra dans le Dortoir, & élevant sa voix de toutes ses forces, il demanda du secours ; mais minuit estoit sonné. Eh le moyen à cette heure-là d’éveiller des Religieux, qui fatiguez par l’austerité & par les prieres, peuvent dormir jusqu’à quatre ? Ses hurlemens estant inutiles, il frapa enfin à une Cellule. Pour vous faire concevoir cette circonstance dans ce qu’elle eut de plus remarquable, il faut vous apprendre qu’il estoit mort depuis peu de jours un Religieux de ce Convent, assez jeune encore, avec des convulsions si violentes, qu’un des Anciens qui ne l’avoit point abandonné jusqu’à son dernier soûpir, en avoit pris des impressions qui le tenoient sans cesse en frayeur. Il l’avoit toûjours devant les yeux, & cette image ne le quittant point, il soûtenoit qu’il le voyoit paroistre toutes les nuits entouré de flâmes, & demandant du secours d’un ton lamentable. Malheureusement pour le Machiniste, la Cellule à laquelle il s’avisa de fraper, estoit occupée par ce bon Pere, qui estoit persuadé que le Mort ne manquoit pas à luy apparoistre. Il entr’ouvrit en tremblant, & celuy qui se brûloit eut à peine dit, Eh, pour Dieu ; secourez-moy, que ce bon Pere, épouvanté de la vision, referma sa Porte brusquement, en luy disant qu’il se retirast, & qu’on feroit des prieres pour le repos de son ame. Ces mots luy firent connoistre qu’on le prenoit pour une apparition du Religieux défunt. Sa voix enroüée à force de cris, & ses lévres toutes brûlées, le laissant à peine articuler, donnoient quelque lieu à cette créance. Il eut beau dire qu’il n’estoit pas mort, on ne le crut point sur sa parole ; & apparemment le Pere qui refusoit de le secourir, avoit grand besoin qu’on le secourust luy-mesme. Enfin le désolé Machiniste fit si bien par ses remuëmens, & par les rudes secousses qu’il donna à cinq ou six Portes des autres Cellules, qu’il éveilla un de ses Confreres, un peu plus hardy que le premier. Celuy-cy, qui n’avoit point le Défunt en teste, le reconnut pour vivant, & le secourut le mieux qu’il luy fut possible. Cependant comme son mal estoit fort considérable, & qu’il avoit la peau enlevée en beaucoup d’endroits, il fallut du temps pour luy en faire revenir une nouvelle, & on tient mesme qu’il n’est pas encore tout-à-fait guéry. Les vives douleurs qu’il a ressenties, l’ont fait renoncer aux Machines pour toûjours, & il a juré que quelque Naissance qui arrivast, il laisseroit la Lune dans le Ciel, & les Dauphins dans la Mer, sans se mettre en peine de les montrer dans sa Chambre, à ceux qui ne les demandoient pas.

A Madame des Houlières, sur sa derniere Ballade §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 141-143.

Les Vers qui suivent vous paroistront galamment tournez ; ils sont de Mr de Losme.

A MADAME
DES HOULIERES,
Sur sa derniere Ballade.
On n’aime plus comme on aimoit jadis.

J’en demeure d’accord, charmante DES-HOULIERES ;
Mais si chaque Beauté possédoit vos lumieres,
On reverroit bien-tost le siécle d’Amadis.
 Le bon-goust, la délicatesse,
 Le sçavoir, & la politesse,
 Régnent par tout dans vos Ecrits.
 Quel cœur ne seroit point épris,
 Voyant avec quelle finesse
 Vous sçavez parler de tendresse ?
 Rien n’égale vos tendres dits.
 Si comme vous toutes les Femmes
 Avoient l’art de toucher les ames,
On aimeroit bien-tost comme on aimoit jadis.

Sur un bouquet présenté à une Belle §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 143-144.

Voicy d’autres Vers, qui ne vous déplairont pas. Ils m’ont esté envoyez d’Aix en Provence, comme venant d’un veritable Romain, qui n’est en France que depuis trois mois, & qui a passé une partie de ses plus belles années à la Cour de Savoye.

SUR UN BOUQUET
présenté à une Belle.

Vous vous plaignez, Amarillis,
Qu’au Bouquet que je vous présente
On ne voit ny Roses ny Lys.
Voulez-vous que je vous contente ?
Permettez, Belle, que ma main
Cueille des Lys sur vostre sein,
Et que mes lévres demy closes
Sur vostre teint cueillent des Roses.
Si rude Hyver ne soufre pas
Qu’on trouve telles Fleurs écloses
Ailleurs qu’en vos charmans appas.

Present d’un Cœur à Iris §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 144-145.

PRESENT D’UN COEUR
à Iris.

Voulez-vous me faire une grace ?
Iris, ayez soin de ce Cœur,
Donnez-luy chez vous une place
Qui soit digne de son ardeur.
***
Le Présent est petit selon mon impuissance ;
Il est, je croy, pourtant conforme à vostre humeur ;
 Et ce qui me donne assurance
 Que vous luy ferez quelque honneur,
 C’est qu’il est un Présent de Cœur.

Sur le mesme sujet §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 145.

SUR LE MESME SUJET.

Iris, les Cœurs indiférens
Ont moins de bonheur qu’on ne pense.
Leurs plaisirs ne sont jamais grands,
Et n’ont souvent que l’apparence.
Fuyons, fuyons le sort terrible
 D’un Cœur à l’amour fermé.
 Le plaisir le plus sensible
 Est d’aimer & d’estre aimé.

Etrennes §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 145-147.

Un Cavalier qui a infiniment de l’esprit, & qui l’a fait paroistre en plusieurs Ouvrages que le Public a fort estimez, est Autheur des deux Madrigaux que j’ajoûte icy. Ils ont extrémement plû à toute la Cour. Le premier est sur un Pary qu’il avoit fait avec une tres-belle Personne, de luy faire recevoir un Présent. Il fit relier tout ses Ouvrages avec une entiere propreté, & les luy envoya, accompagnez de ce Madrigal. Il n’y avoit pas moyen de refuser cette Etrenne. Aussi se résolut-elle à perdre la Discrétion.

ETRENNES.

Vous refusez, jeune Climene,
Tout ce qu’on ose vous offrir,
Et vous ne voudriez point souffrir
Que je vous fisse quelque Etrenne.
Mais il faut vous desabuser.
Quittez cette rigueur extréme.
Vous ne sçauriez me refuser,
Lors que je viens m’offrir moy-même.

Absence §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 147-148.

ABSENCE.

Je ne vous vois donc plus, jeune & belle Climene,
Un destin trop jaloux m’éloigne de vos yeux.
Est-il rien de plus dur que la cruelle peine
De ne voir nulle part ce qu’on cherche en tous lieux ?
Aux plus sombres ennuis mon ame s’abandonne,
Je paye à chaque instant le tribut d’un soûpir,
 Et je n’ay plus que le plaisir
 De ne me plaire avec personne.

Etrennes sur M. le Duc de Chartres §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 148-151.

Ce Madrigal d’Etrennes me fait souvenir de celles qui ont esté données à Monsieur le Duc de Chartres, par un jeune Gentilhomme appellé Mr d’Armançay, qui luy fait sa cour avec beaucoup d’assiduité depuis trois ans, & qui n’en a encore que douze. Vous sçavez, Madame, que ce Prince, qui n’est que dans sa dixiéme année, est un prodige d’esprit. Il n’est pas seulement admirable par sa vivacité, qui luy donne une penétration & une facilité surprenante à apprendre tout ce qu’on luy montre ; mais il l’est encore plus par un jugement fort au-dessus de son âge, & une application juste de tout ce qu’il sçait, selon les occasions. Ces Etrennes consistoient en un Ecran, dans le haut duquel estoit représenté le Soleil sur un Char brillant. Cet Astre en recommençant son cours, invitoit les quatre Saisons qui forment l’année, à faire leur cour à Monsieur le Duc de Chartres. Il s’expliquoit par ces Vers.

Saisons qui commencez une nouvelle Année,
A ce Prince charmant offrez des jours heureux ;
Parlez-luy de sa grande & belle destinée,
Qui le rendra semblable à tous nos Demydieux.
***
Sur les pas du grand Roy qui gouverne la France
Il sçaura s’acquerir un renom immortel,
Et déja le destin luy marque par avance
De ces jours que PHILIPPE a fait voir à Cassel.
***
Mille faits éclatans rempliront son Histoire,
On verra sa prudence égaler sa valeur ;
Et le Ciel fait bien voir qu’il a soin de luy plaire,
Quand d’un Héros fameux il fait son Gouverneur.

[Poésies de Mme d’Armançay sur les quatre saisons]* §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 151-156.

Au-dessous de ces Vers estoient les Quatre Saisons, avec ce qui peut les faire connoistre, c’est à dire, le Printemps entouré de Fleurs, l’Eté d’Epys, & l’Automne avec des Fruits. Il n’y avoit que l’Hyver, qui au lieu des tristes marques qu’on a de coûtume de luy donner, paroissoit environné de Lauriers, pour marquer que les François animez de l’exemple de leur auguste Monarque, & des Princes de sa Maison, ne font point de diférence de cette Saison aux autres, quand il s’agit de la gloire. Voicy ce que les Saisons disoient à Monsieur le Duc de Chartres.

LE PRINTEMPS.

De mes plus belles Fleurs le charmant assemblage,
Prince, peut bien donner des plaisirs à vostre âge ;
Mais quand vous concevrez d’héroïques desseins,
Je mêne au Champ de Mars aussi bien qu’aux Jardins.

L’ETÉ.

Vous ferez tous les jours des Conquestes nouvelles,
Si de la France encore il est des Ennemis.
Prince, je vous verray terrasser ces Rebelles,
Comme les Moissonneurs abatent mes Epis.

L’AUTOMNE.

Celuy qui vous aprend la divine Science,
Verra de beaux effets de ses soins assidus,
Et de mes Fruits divers la nombreuse abondance
Ne surpassera pas celle de vos Vertus.

L’HYVER.

L’on voit que les Héros de vostre illustre Race
Se mocquent de l’Hyver par leurs Exploits Guerriers ;
Aussi, Prince, je viens, sans vous parler de glace,
Comme une autre Saison vous offrir des Lauriers.

Ces Vers sont de Madame d’Armançay, Mere du jeune Gentilhomme qui les présenta. C’est une Dame d’un fort grand mérite. Elle est Fille de feu Mr Sabathier, qui estoit de la Famille de Mrs Sabathier d’Arles Ce sont des Gentilshommes, dont l’Histoire de Provence fait une mention fort honorable. Leur Ayeul Jean Sabathier, estant Consul de la Noblesse, fut tué à une Sortie de la Ville pendant les Guerres civiles. Le Pere de Madame d’Armançay, l’un de ses Petits-Fils, estant Cadet, avec peu de Bien, & beaucoup d’esprit, prit party dans les Affaires, du vivant de Mr le Cardinal de Richelieu, qui luy ayant fait faire une fort grande fortune, le maria à une de ses Parentes, Sœur de Mr le Marquis de la Roche-posée, & de Madame de S. Loup. Ces noms sont assez connus.

[Mort de Mademoiselle Tinnebac, noyée sous la glace] §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 169-182.

L’accident que je vay vous raconter est digne des pleurs de tout le monde. Aussi en a-t-il fait répandre à tous ceux qui ont connu Mademoiselle Suson de Tinnebac de Saumur. Cette aimable & jeune Personne, l’une des plus belles de toute la Ville, alla le Lundy 7 de ce mois se promener sur la glace avec une de ses Amies. Elle estoit accompagnée d’un de ses Freres, & cette Amie avoit aussi son Frere avec elle. Elles se divertirent longtemps à rouler dans un Traîneau, que les Freres conduisoient chacun à son tour. La Loire n’estoit point glacée dans le milieu de son cours, & la glace de ses bords, quoy que fort épaisse, ne s’étendoit pas fort loin. Le Traîneau, apres avoir glissé quelque temps sans faire craindre aucun accident, roula enfin trop pres du courant de la Riviere, & tombant dans l’eau, y précipita les deux Demoiselles. Le Frere de Mademoiselle Tinnebac se jetta aussi-tost à la nage, & fit si bien, aidé du secours de l’autre Frere, qui estoit demeuré sur le bord pour leur donner la main, qu’il y remit une Personne à demy-noyée. Il ne put ressentir la joye de l’avoir sauvée, lors qu’il s’apperçeut que ce n’estoit pas sa Sœur. Il exposa de nouveau sa vie pour la secourir, mais il luy fût impossible de la rencontrer. Cette belle Personne, regretée de tout Saumur, périt dans la Loire, d’où quelques-jours apres elle fut retirée morte, toûjours éclatante d’une beauté extraordinaire, & n’ayant sur son visage aucune marque d’une violente mort. Ses bras estoient entrelacez l’un dans l’autre, & pressez contre son estomach. Un galant Homme qui a beaucoup de talent pour la Poësie, mais qui ne fait jamais entendre sa Muse que dans des événemens d’une grande joye, ou d’une grande tristesse, n’a pû se taire dans l’occasion de cette mort. Voicy ce qu’il en a dit.

LA MORT DE Mlle SUSON
Tinnebac.

Témoin infortuné d’une lugubre Histoire,
J’en entreprens en Vers le lugubre récit ;
Et si dans son projet ma Muse réüssit,
Je suis sincere, on doit m’écoûter, & me croire.
***
 Sur les Bords glacez de la Loire
Couroit dessus un Char, comme un Trait emporté,
Avecque Célimene une rare Beauté,
Le Chef d’œuvre du Ciel, de la Terre la gloire,
Iris est le nom feint, par son choix emprunté.
 Chaque Bergere
 Au lieu d’Amant avoit un Frere,
Et pour donner au Char plus de legereté
Chacun d’eux tour-à-tour ne songeant qu’à leur plaire,
 Le poussoit de quelque costé.
 Il alloit & venoit sans cesse,
Et la Loire en son cours avoit moins de vitesse.
 Longtemps la Troupe sur ce Bord,
 Sans qu’aucun péril la menace,
 Va, revient sur la mesme glace,
 Et toûjours arrive à bon port ;
Mais enfin d’une course impréveuë, & subite,
Le Char change de route, & disparoist aux yeux,
Et dans l’Onde courant entraîne, & précipite
Iris & Célimene, Ornemens de ces Lieux.
Damon, Frere d’Iris, & de ce nom seul digne,
A l’Amie, à la Sœur offrit un prompt secours,
 Et dans l’Onde exposant ses jours,
 Signala sa tendresse insigne.
A la fin d’une proye heureusement chargé,
Nageant sous ce doux Fais, vers le bord il s’avance,
 Et plein d’impatience
Veut voir quel est ce Corps du péril dégagé ;
Mais enfin sur le bord, sans poulx, & sans haleine,
Déja demy noyée il connut Célimene,
Et par elle jugeant du triste état d’Iris,
 D’une nouvelle ardeur épris
Il retombe dans l’Onde où sa pitié l’entraîne ;
Mais inutile ardeur d’un Frere genéreux !
L’Onde refuse Iris à ses soins, à ses vœux ;
Iris par d’autres mains à la Loire ravie,
 Fut retrouvée enfin sans vie.
***
Du funeste accident par ma Muse conté,
 Telle est l’exacte verité.
On peut dans un récit, plus briller & plus plaire,
Mais un récit brillant rarement est sincere.

Comme cette Belle avoit quantité d’Amans, l’un d’eux a fait ainsi parler sa douleur.

SUR LA MESME MORT.

O Nimphe de la Loire, en ses Ondes cachée,
Comment as-tu pû voir sans en estre touchée
Iris, l’aimable Iris, finir ses tristes jours
Dans le sein de ces eaux dont tu regles le cours ?
Si ton cœur a pris part à son sort déplorable,
Pourquoy n’arrester pas ton Onde impitoyable ?
Pourquoy de sa fureur ne la pas garantir ?
A cette mort funeste as-tu pû consentir ?
Puis que tu voulus bien qu’elle te fust ravie,
Pourquoy la rendre morte, & non encore en vie ?
Pourquoy toy mesme enfin, volant à son secours,
N’as-tu pas conservé de si prétieux jours ?
Hélas ! bien loin qu’Iris, à tes yeux froide & bléme,
Eprouvast ton secours dans son malheur extréme,
Son Frere dans tes eaux, digne objet de pitié,
Cherchant à signaler une tendre amitié,
En vain demande à l’Onde une si chere proye,
L’Onde luy cache Iris ; Iris fuit, & se noye ;
Et Saumur voit périr sur les bords de ton eau,
De tous ses Ornemens l’Ornement le plus beau.
Iris n’est plus à nous, & pour jamais la Parque
L’a forcée à passer dans la fatale Barque.
Pour jamais ! Ah, ce mot épouvante mon cœur.
Destins, cruels destins, quelle est vôtre rigueur ?
Quoy, mes yeux condamnez à d’éternelles larmes,
De l’adorable Iris ne verront plus les charmes ?
O Bords, funestes Bords, témoins de son malheur,
Soyez aussi témoins de ma vive douleur.
Pour jamais la lumiere icy luy fut ravie,
Icy je veux pleurer le reste de ma vie.
Je veux par mes sanglots, & mes lugubres cris,
Nimphe, te reprocher la mort de mon Iris ;
Et les jours, & les nuits pleurant mon infortune,
Eteindre dans mes pleurs une vie importune.
Un trépas imprévû d’Iris m’a séparé,
Mais par le mien dans peu je m’en raprocheré.
En vain en l’entraînant dans la nuit éternelle,
La Parque pour longtemps crut me séparer d’elle.
Mes pleurs vers le tombeau précipitent mes pas,
Et mes jours malheureux ne s’entasseront pas.
Bien-tost connu des Morts j’iray croître leur nombre,
Et comme Iris bien-tost je ne seray qu’une Ombre.
Si-tost qu’un doux trépas m’aura ravy le jour,
Je voleray vers elle avecque mon amour,
Et l’on verra là-bas, sans que rien me retienne,
Mon Ombre incessamment rendre hommage à la sienne ;
Et cependant mes pleurs, & mes cris douloureux,
Comme la mort d’Iris, rendront ces Bords fameux.
Je veux que mon Histoire à la sienne meslée,
Peigne à tout l’Univers mon ame désolée,
Et que sans séparer mon destin de son sort,
On parle de mes pleurs en parlant de sa mort.

J’avois d’autres Vers à vous faire voir sur cette triste matiere, mais je les ay confiez à un Amy qui les a perdus. J’espere que l’Autheur me les renvoyera.

Seconde Ballade de Monsieur le Duc de S. Aignan §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 223-229.

Il court icy de nouvelles Ballades, ajoûtées depuis peu aux premieres par Mr le Duc de S. Aignan, & je vous avouë, Madame, qu’elles m’ont embarassé. J’ay crû qu’il y auroit de l’injustice à refuser aux Curieux, ce qui a esté si agreable à toute la Cour, & j’ay craint en mesme temps de faire soufrir la modestie de ce Duc, comme cela m’est arrivé plusieurs fois ; mais enfin je me suis déterminé à les rendre publiques dans cette Lettre, voyant qu’elles le sont déja, par le grand nombre de Copies qui en ont esté faites, la plûpart pleines de fautes, aussi-bien que de celles de Madame des Houlieres.

SECONDE BALLADE
DE MONSIEUR
LE DUC DE S. AIGNAN,
Pour réponse à celle qui commence par ces mots, Duc plus vaillant, &c.

O l’heureux temps, où les fiers Paladins
Alloient par tout cherchant les avantures,
Où sans dormir non plus que font Lutins,
Sans estre las de porter leurs armures ;
Princes & Roys, de Vins & Confitures
Les régaloient au sortir des Festins !
Dame, à bon droit des beaux Esprits chérie,
Qui faites cas de Guerriers valeureux,
Est-il rien tel qu’Art de Chevalerie ?
Fut-il jamais un Métier plus heureux ?
***
Ces Damoisels s’ébatoient aux jardins
Bien atournez de pompeuses vestures.
Là plus vermeils qu’on ne peint Chérubins,
Chapeaux de Fleurs mis sur leurs chevelures,
Se déduisoient en superbes parures,
Gentils surcots, toiles d’or & satins.
De les voir tels toute ame estoit ravie,
Tant avoient l’air de Gens victorieux.
Dame sans pair, dites-nous, je vous prie,
Fut-il jamais un Métier plus heureux ?
***
S’il avenoit que félons Assassins
En dur combat leur fissent des blessures,
Ja nul métier n’avoient de Médecins ;
Filles de Roys, moult belles Créatures,
Qu’on renommoit pour leurs sçavantes cures,
Sur Lits mollets & sur riches Coussins,
Chacune à part de leur douleur marrie,
Les consolant & se tenant prés d’eux,
Rendoient bien-tost leur Personne guérie.
Fut il jamais un Métier plus heureux ?
***
Moy, qui toûjours surpassant maint Blondins
En vrais effets ainsi qu’en Ecritures,
Ay depuis peu mis au jour deux Bambins,
Dont on feroit d’agréables peintures,
Dans la vigueur qu’on voit en mes allures,
Je veux encor par moult nobles desseins
Des Ennemis voir la face blêmie,
Et leur donner un assaut vigoureux,
Puis tost apres retourner vers m’amie.
Fut-il jamais un Métier plus heureux ?

ENVOY.

Que puissiez-vous, Dame au cœur génereux,
Voir en honneurs toûjours vostre Mesgnie,
Et qu’un Germain bien digne de vos vœux,
Puisse bien-tost posséder Abaïe,
D’un bon rapport, commode, & fort nombreux,
Si que mîtré, content & glorieux,
En tel déduit quelquefois il s’écrie,
Fut-il jamais un Métier plus heureux ?

Vous remarquerez, Madame, que dans la Ballade à laquelle celle-cy sert de Réponse, & que je vous envoyay le dernier mois, on a mis par mégarde,

D’encombriers vous sortez sans furie.

Il falloit mettre,

D’encombriers vous sortez sans faërie.

Troisième Ballade de Monsieur le Duc de S. Aignan §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 230-233.

TROISIÉME BALLADE
DE MADAME
DES HOULIERES,
AMr le Duc de S. Aignan.

Los immortel que par fait héroïque
Chevalerie en tous lieux acqueroit,
Vous fait aimer ce temps hyperbolique.
Quant est de moy, ce qui plus m’en plairoit,
Ce n’est combat, vesture magnifique,
Tournoy fameux, mais bién Amour antique,
Dont triste mort seule voyoit le bout.
Bon Chevalier, que tout craint & revére,
Ainsi le monde en sentimens difére ;
Opinion chez les Hommes fait tout.
***
L’un rit de tout ; l’autre mélancolique
D’Arlequin mesme en mille ans ne riroit.
L’un pour joüer fait devenir hétique
Son train & luy ; l’autre ne trocqueroit
Pour mines d’or sa verve Poëtique.
L’un de toute œuvre entreprend la Critique,
Et fait souvent conte à dormir debout.
L’autre à son gré réglant le Ministere,
De se régler ne s’embarasse guére ;
Opinion chez les Hommes fait tout.
***
Espoir de gain fait faire aux flots la nique,
Désir de gloire en périlleux endroit
Conduit Guerriers. Nature pacifique
Aux Magistrats met en teste le Droit.
Ambition fait que le coffre on pique.
Vanité fait que Philosophe explique
Comment tout vient, en quoy tout se résout.
Chaque Mortel coiffé de sa chimere,
Croit à part-soy que mieux on ne peut faire ;
Opinion chez les Hommes fait tout.
***
Non moins diverse en chaque République
Est la Coûtume ; icy punir on voit
Sœur avec qui son Frere prévarique,
Et la Persane en son Lit le reçoit.
Germains font cas de la liqueur Bachique,
Le Musulman en défend la pratique.
Subtil larcin Lacedémone abjout.
Où le Soleil monte sur l’Hémisphere,
Par piété le Fils meurtrit son Pere ;
Opinion chez les Hommes fait tout.

ENVOY.

DUC, dont le los vole du sein Persique
Jusqu’où Phébus finit son tour oblique,
De mon Germain point ne sçavez le goût.
Grosse Abbaïe à la Mître il préfere,
Trop lourd, dit-il, est sacré Caractere.
Opinion chez les Hommes fait tout.

[Madrigal du duc de S. Aignan]* §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 233-234.

Mr le Duc de S. Aignan a répondu à Madame des Houlieres par ce galant Madrigal.

Puisqu’aupres de vos Vers tous les autres sont fades,
Aujourd’huy pour longtemps je renonce aux Ballades,
Et ne fais qu’applaudir à celle que je voy.
Les plus charmans Ecrits ne valent pas les vostres ;
Mais tous les beaux Esprits jugeront comme moy,
Q’estant vaincu par vous, on peut vaincre les autres.

[Divertissement donné à Madame la Dauphine par le mesme Duc] §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 234-240.

Ce n’est pas tout ce que je vous diray de ce Duc. Je ne puis m’empescher d’ajoûter icy un Divertissement, qu’il a donné à Madame la Dauphine dans les derniers jours du Carnaval. Ç’a esté par un Concert de Voix & d’Instrumens, pour lequel il fit quelques Paroles, & mesme un des Airs, de naturel seulement, sans qu’il sçache la Musique. Ce petit Concert eut tout le succés qu’il en pouvoit esperer. En voicy les Vers.

RECIT DE LA VICTOIRE.

Moy qui dans ses fameux Exploits
Ay suivy le plus grand des Roys,
Et l’ay fait triompher sur la Terre & sur l’Onde,
En le rendant l’amour ou la terreur du monde ;
Apres avoir chargé le front de ses Guerriers
D’un nombre infiny de Lauriers,
Je mets enfin toute ma gloire
En mon attachement pour une autre VICTOIRE.

 

UN DES SUIVANS de la Victoire.

Elle joint la sagesse à de si doux appas,
Qu’il n’est rien de tel icy-bas ;
Elle impose des Loix à tout ce qui respire,
Et m’engage à luy dire

 

GAVOTE.Avis pour placer les Figures : le Menüet & la Gavote doivent regarder la page 240.

Incomparable Dauphine, Voir cet article pour la publication des deux danses mentionnées.
Qui charmez toute la Cour,
Donc, par la bonté Divine,
Un second Fils vois le jour.
***
Que de bonheur, que de gloire
La France reçoît de vous,
Et que l’aimable VICTOIRE
Plaist à son Auguste Epoux !
***
Que vostre grace charmante
A vostre abord nous surprit,
Et qu’une clarté brillante
Eclate dans vostre Esprit !
***
Que d’un bonheur sans limite
Le Ciel comble vos souhaits ;
S’il est égal au mérite,
Il ne finira jamais.
***
Que vos deux aimables Princes
Fassent un jour leur devoir,
Et que toutes les Provinces
Reconnoissent leur pouvoir.

 

UN AUTRE DES SUIVANS de la Victoire.

Fasse le Ciel que suivant nos désirs
La gloire, & les plaisirs,
D’une prospérité qui surpasse l’envie,
Couronnent vostre belle vie.

 

MENUET.Avis pour placer les Figures : le Menüet & la Gavote doivent regarder la page 240.

Que de biens cette VICTOIRE donne !
Que le Ciel favorise nos voeux !
Voyez, Mortels, l’éclat qui l’environne,
En la servant vous serez trop heureux.
***
Si le feu de ses yeux vous enchante,
A les voir bornez tous vos désirs ;
Ce seroit trop qu’une flame innocente,
Et sa Vertu défend jusq’aux soûpirs.

 

TOUS ENSEMBLE.

Qu’un grand Prince digne de vous,
Et d’un aimable Epoux,
Confirme de nouveau bientost par sa naissance
Le bonheur de la France.

Quoy que tous les Airs ayent esté fort applaudis, estant de la Composition du Sr Daches, de la Musique du Roy, ceux de la Gavote & du Menüet ont paru si agreables, & si propres aux Paroles qu’on voudra faire dessus, que je vous les envoye notez, afin que vos illustres Amies ayent dequoy vous divertir par une chose qui a esté trouvée si galante.

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[Madrigal en italien au duc de S. Aignan.]* §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 240-241.

Voicy un Madrigal Italien adressé au mesme Duc, sur sa Réponse à la Ballade de Madame des Houlieres, dans laquelle sont ces deux Vers.

Don de mercy seul il n’a pas en veuë,
On n’aime plus comme on aimoit jadis.

MADRIGALE
DEL SIGNOR MARCO.
Antonio Campo Pio.

Appena appeua intriso
Era ne l’oro uno amoroso strale ;
E facea tempo fa piaga mortale,
E la piaga sanava un guardo un riso.
Ora il dardo di Amore,
S’ei tuti’oro non è, non giugne al core.
 Così cantava su la dotta Cetra
Saffo novella ; e fea l’amor venale,
Quando il gran Titiro, in cui la sua faretra
Vuotò spesso l’Amore, in lei si affisse.
O saffo taci ! e da me apprendi or, disse,
Che nostra età non vende no il decoro,
E la fede, e l’amor non è ne l’oro.

[Mariage] §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 254-257.

 

Le 15. de ce mois, Messire François-René le Tellier, Conseiller en la Cour des Aydes, épousa Mademoiselle Mariane Chevalier, Fille de Messire Jacques Chevalier, Seigneur du Bauchet, Vicomte de Courtavant & de la Montagne, & de Dame Anne Olier de Bourzeis, Niêce de feu Mr l’Abbé de Bourzeis de l’Académie Françoise, l’un des plus sçavans Hommes de ce siecle. Cette nouvelle Mariée n’a que treize ans & demy, & est encore fort petite, mais il seroit mal-aisé d’avoir plus de belles qualitez qu’elle en a. Il n’y a presque point d’Art qu’elle ne sçache ; & une Personne de grand mérite qui la connoist à fond, a dit fort agreablement d’elle, qu’il ne falloit pas demander ce qu’elle sçavoit, mais ce qu’elle ne sçavoit pas. Comme elle a l’esprit extrémement vif, & l’imagination tres-prompte, on a eu fort peu de peine à luy apprendre presque en mesme temps ; l’Histoire, la Langue Italienne, le Blason, la Geographie, l’Arithmétique & la Musique. Elle dance finement, joüe du Clavessin comme les plus habiles Maistres, peint assez bien, & ne s’entend pas mal à dessigner. Il seroit mesme assez dangereux de parler Latin devant elle, si on ne vouloit pas en estre entendu. Cependant elle seroit fâchée qu’on crût dans le monde qu’elle eust appris cette Langue, qu’elle abandonne aux Sçavans.

[Festes Galantes] §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 257-266.

 

Il s’est fait ce Carnaval une Societé entre un certain nombre d’honneste Gens, dont les plaisirs, quoy que sans éclat, ont esté fort agreables. Ils se traitoient tour à tour, & la Compagnie se rendoit dés le matin chez celuy qui devoit estre le Héros de la Feste. Le Déjeûné par où l’on commençoit, & qui ordinairement servoit de Dîné, duroit depuis neuf heures jusqu’à onze. On quittoit la table pour entrer dans une Chambre, où plusieurs Bureaux estoient disposez pour le Jeu ; & comme en établissant la Societé, ceux qui la composoient s’estoient fait des regles pour leurs divertissemens, il avoit esté résolu que l’on ne joüeroit que jusqu’à trois heures, & que les Plaisirs de l’apresdînée seroient toûjours diférens. Ainsi, l’Opéra, la Comédie, le Bal, & les Concerts, succédoient les uns aux autres, & par cette charmante diversité, chaque journée se passoit d’une maniere agreable. Quoy que tous ceux qui avoient à régaler, s’en acquittassent tres-bien, Mr de... l’emporta sur tous les autres. Il s’estoit commencé chez un des premiers qui avoient traité, une Plaisanterie qui luy fournit le sujet d’un nouveau plaisir. Il le voulut donner à la Compagnie, & en fit part à quelques-unes des Dames, qui s’engagerent à y tenir leur partie. Ces Dames ayant trouvé à un des Repas qui s’éstoient faits, un Gentilhomme qui n’étoit point de leurs plaisirs, & qu’elles sçavoient n’être pas d’humeur à faire aucune dépense, elles le tournérent en tant de façons, qu’elles l’obligérent à prendre jour pour leur donner un divertissement semblable à celuy dont il estoit le témoin. Elles poussérent la plaisanterie jusqu’à luy demander une Caution, & il falut que le Maistre du Logis luy en servist ; mais au jour nommé pour le Régale, le Gentilhomme fit dire qu’il ne pouvoit pas se dispenser de partir en diligence pour aller en Province, où l’appelloient des affaires qui ne souffroient point de retardement. Les Dames se plaignirent à la Caution, qui blâma comme elles la honteuse excuse du Gentilhomme, sans songer pourtant à satisfaire pour luy. Ce fut sur cela que le divertissement qui suit fut résolu. Le jour qu’il se donna, avoit esté marqué pour un Concert. Ainsi l’heure estant venuë de quitter le Jeu, toute la Compagnie se rendit dans une Salle, où elle trouva une nuit tres-agréable. Les Rideaux estoient tirez devant les Fenestres, & un fort grand nombre de Bougies éclairoit la Salle. Chacun fut surpris de n’y point voir de Musiciens, ny mesme de préparation pour un Concert. Cet étonnement duroit encore, quand une espéce de Cloison que couvroit une tapisserie, se séparant en deux, laissa voir une Décoration telle que celle de l’Acte d’Arlequin Protée, dans lequel on plaide la Cause du Chien du Docteur. On voyoit une Tapisserie & des Sieges Fleurdelysez, & tout ce qui pouvoit faire connoistre que cet endroit estoit disposé pour y rendre la Justice. Au-dessus du Siége du principal Juge estoit une Carte, sur laquelle estoit écrit en Lettres d’or, Tribunal de la Bonne Foy. La même Cerémonie qui s’observe dans l’endroit où Arlequin fait le Personnage d’Avocat, fut observée sur cette maniere de Théatre. On entendit un Paix-là, & l’on vit en mesme temps paroistre nombre de Personnes toutes en Robes, qui prirent leurs places. La Cause du Clerc fut appellée, & deux jeunes Garçons la plaidérent avec applaudissement. Cela estant fait, les Dames qui avoient part à la plaisanterie, allérent aux pieds du Juge, & luy présentérent une Requeste qu’une d’elles tenoît en sa main. Il la répondit, & un Sergent l’ayant prise, alla sur le champ la signifier à la Caution du Gentilhomme dont il a esté parlé, qui ne sçavoit pas à quoy devoient aboutir toutes ces Cerémonies. On luy en donna bien-tost l’éclaircissement, par la lecture de la Requeste, de l’Ordonnance du Juge, & de l’Assignation. On trouva cette plaisanterie admirable, & chacun, aussi-bien que le Juge, condamna la Caution à satisfaire les Dames. Le Cavalier estoit trop galant pour ne pas recevoir de bonne grace tout ce qu’on luy dit sur ce sujet. Il pria qu’on ne fist plus de poursuites, & promit qu’il se tireroit d’affaires ; ce qu’il fit quelques jours apres, par une nouvelle Feste. Aussi-tost que le Sergent eut remply sa fonction, la Cloison se referma, & tous ces Juges, qui estoient autant de Musiciens, ne tardérent pas à se mettre en état de divertir la Compagnie par un Concert dans ce mesme endroit, qui pour seconde Décoration fit voir une Alcove d’une grande propreté. Jugez des loüanges qu’on donna au Maistre de La Maison, sur la maniere galante dont il avoit assaisonné le Régale.

[Devise sur la liberalité du roi]* §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 270-271.

Tant de bonté, de prudence, & de conduite, fait connoistre ce que l’on doit espérer de luy dans l’Administration des Finances. Mr Magnin a eu beaucoup de raison de joindre ces mots pour ame, Quis amantior æqui ? à un Equerre dont il fait le corps de sa Devise. Il l’a expliquée par ce Madrigal.

 Ma droiture réguliere
 Dans tous mes emplois divers,
 D’une sensible maniere
 Me distingue quand je sers.
Je ne puis rien souffrir d’inégal ny d’oblique,
 Et je montre avec succés
 Ou le defaut, ou l’excés
 Des choses où l’on m’appli que.

[Sur le prix de l’Académie et Mr de Senteuil]* §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 369-370.

Le nom de Mr de Santeüil me fait souvenir que j’estois mal informé quand je vous dis il y a six mois, que Mr de la Monnoye de Dijon, avoit traduit son Ode Latine, dans la pensée d’emporter le Prix de Poësie que l’Académie Françoise distribuë tous les deux ans. La verité est que cette Traduction estoit faite avant qu’on eust proposé le Sujet du Prix. Lors que ce Sujet fut proposé, Mr de Santeüil qui avoit la Traduction Françoise de son Ode entre les mains, en retrancha quelque chose parce qu’elle estoit trop longue, & la fit mettre parmy les Pieces qui devoient prétendre au Prix. Elle l’obtint, sans que Mr de la Monnoye qui n’avoit point travaillé pour cela, en eust connoissance. Ainsi il en partage l’honneur également, quoy que le Prix soit demeuré à Mr de Santeüil, par la Procuration qu’il luy envoya pour le recevoir.

[Comédies Françoises] §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 380-381.

 

Les Comédiens François nous ont donné ce mois cy deux Pieces nouvelles. L’une est Arminius, de l’Autheur de Virginie. Les Vers en sont beaux, & fort aisez ; & outre les Scenes d’amour qui sont touchantes, elle est remplie de sentimens de fierté contre la grandeur Romaine, qui la rendent digne du succés qu’elle a. L’autre est la Dame invisible, de Mr de Hauteroche. C’est une Piece purement d’Intrigues, dont l’Original est Espagnol, & qu’on estime une des plus belles du fameux Don Pedro Calderon, qui l’a intitulée la Dama Duende. Feu Mr Douville traita ce mesme Sujet il y a environ quarante ans sous le titre de l’Esprit Follet ; & cette Comédie, quoy que sans aucune vray-semblance, & plutost en Prose rimée qu’en Vers, parut si divertissante par ses incidens, qu’elle eut un tres-grand succés. Mr de Hauteroche les a rectifiez d’une maniere, qui satisfera tous ceux qui entendent le Théatre.

[Sur le Jugement de Pluton sur les Dialogues des Morts] §

Mercure galant, février 1684 [tome 2], p. 381-382.

Je vous envoye le Jugement de Pluton sur les deux Parties des Dialogues des Morts, que les Sieurs Blageart & Quinet debitent depuis huit jours. Il plaist fort icy ; & l’on y trouve une Critique fine & délicate, qui fait honneur à l’Autheur, sans qu’elle blesse celuy à qui nous devons les Dialogues. Elle est fort honneste à son égard, & ne laisse pas de renfermer tous les defauts qu’on a prétendu avoir découverts dans cet Ouvrage. Je vous prie de me mander si vous croyez que les Arrests que donne Pluton, doivent luy faire grand tort. On a traité la matiere avec assez d’enjoüement ; & si de pareilles conversations se faisoient souvent parmy les Morts, beaucoup de Vivans ne les vaudroient pas.