1684

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV).

2017
Source : Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV).
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Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV). §

Du Bon et du Mauvais Usage de la Lecture §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV), p. 1-19.

Je croy, Madame, que je ne vous puis mieux inviter à lire ce XXV. Extraordinaire, qu’en le commençant par un Ouvrage qui traite de la Lecture. Ce n’est pas que je ne sçache que vous connoissez parfaitement l’usage qu’on en doit faire ; mais quelque connoissance que vous en ayez, vous ne serez pas fâchée de voir ce qu’on a écrit sur ce sujet. Il fournit beaucoup, & ce qu’il comprend peut estre d’une grande utilité pour quantité de Gens qui lisent, mais qui lisent mal, c’est à dire, sans réflexion, & sans soin d’en tirer aucun avantage. Mr de la Févrerie, qui pense admirablement, & qui exprime tout ce qu’il pense d’une maniere tres-noble, me fait esperer quelque chose de sa façon sur cette matiere. Je l’attens, & vous prépare d’avance au plaisir que vous avez lieu de vous en promettre.

DU BON
ET
DU MAUVAIS USAGE
de la Lecture.

L’estime que je fais de la Lecture, ne m’inspire que de grands sentimens pour elle. Je la croy non seulement utile, mais outre cela je dirois presque qu’elle est nécessaire à toutes les Personnes raisonnables. Ce pourroit estre un de mes foibles, d’avoir ce sentiment, qu’on peut contester ; on me fera la grace de m’avertir, si je suis dans l’erreur. Je ne décide rien, & bien loin de vouloir enseigner les autres, je parle pour m’éclaircir moy-mesme. Un Pere de l’Eglise croit que nostre esprit est tellement borné, qu’il devient inutile si-tost qu’il se relâche de l’assiduité à la Lecture ; & c’est peut-estre pour cela qu’un bel Esprit disoit, que celuy qui ne lit point, est semblable à ces Maisons qui menacent ruine. Apres tout, il faut avoüer que nous devons nos plus belles lumieres aux Livres ; d’où vient que Cassiodore, & ces sages Philosophes de l’Antiquité ont soûtenu, que la Lecture est la veritable source de pénétration & d’intelligence. Je trouve dans les conseils d’un habile Homme, que si nous voulons devenir polis, & nous défaire de nos defauts, il est nécessaire de lire beaucoup. Que j’aime ce vieux Philosophe qui sacrifia tout son bien pour se former une belle Bibliothéque ! Il avoit tant de passion pour la Lecture, qu’il prenoit son repos sur des monceaux de Volumes, dont il couvroit son Lit. C’est ce qu’il observa jusques à la mort, & nous lisons qu’on le trouva expirant, si j’ose parler ainsi, entre les bras de ses Livres. Le grand Alexandre donnoit tout son loisir à la lecture des Ouvrages d’Homere, qu’il portoit dans ses voyages. Un Marc-Antoine lisoit jusque dans les Jeux publics, & lors qu’il assistoit aux Spectacles.

L’amour des Livres est donc un partage propre aux belles ames, & qui parut si cher aux Peuples d’Abissinie, que la possession des Clefs de la Bibliotéque du Palais, estoit une des principales marques de la souveraine autorité. C’est pour cela qu’ils avoient soin de mettre ces Clefs dans les mains du nouveau Roy, au jour de son élevation sur le Trône de leur Empire. Alphonse Roy d’Arragon, préferoit ses Livres à tous les plaisirs de la Cour. On luy donnoit un jour le divertissement d’un Concert, lors qu’il trouva par hazard un volume des Oeuvres de Ciceron ; ce fut assez pour dégoûter ce Prince des beautez de la Musique. Il prit le Livre, & congédia tout son monde avec ces belles paroles, Je vais m’entretenir plus agréablement avec le Maistre de l’Eloquence Latine. En effet la Lecture me paroist le plus ravissant de tous les plaisirs. Je dirois que c’est un Trésor prétieux, qui se laisse découvrir à tout le monde, & que plusieurs élevent au-dessus des richesses. Un Autheur veut que ce soit la seule nourriture digne de nostre esprit ; aussi lors que j’aperçois des Livres, je m’imagine que je vois des Fleurs toûjours disposées à répandre des douceurs enchantées, pour ceux qui sont capables de les goûter. Combien de Héros ont trouvé dans la Lecture le secret de se rendre redoutables à toute la terre, & de cüeillir des Lauriers jusque dans les Parties du Monde les plus reculées ? Mille Seigneurs dont nous admirons le mérite, suivent l’exemple de LOUIS, le plus grand de tous les Roys. Ils lisent beaucoup, parce qu’ils ont appris de leur Prince, que c’est dans la Lecture que l’on trouve l’Art de bien commander, & de mieux obeïr. Ce Duc dont la science égale le courage, s’est toûjours déclaré pour les Livres. Il brille dans l’Empire des belles Lettres, apres avoir laissé des marques glorieuses de sa valeur & de son courage dans le Champ de Mars. L’Académie Françoise joüit depuis vingt ans de l’honneur de son Alliance, & des momens prétieux qu’il dérobe à ses plaisirs ; toûjours prest à donner des preuves de la vivacité de son esprit, qu’il cultive par l’usage des beaux Livres. Je sçay un de nos plus grands Capitaines, un illustre Maréchal, qui passe les nuits sur les Livres, apres qu’il a consumé les jours à retracer les anciennes limites de la France aux environs du Rhin. Un plus long détail m’engageroit trop ; c’est assez d’ajoûter ce trait de la vie d’un Sçavant de ce siécle. Il se plaignoit du malheureux sort de l’Homme, réduit à relâcher au sommeil la moitié d’une vie qu’il devroit sacrifier toute à la Lecture, & aux fonctions de l’esprit.

C’est donc une de nos foiblesses, de ne pouvoir pas lire continuellement. Il faut partager son temps entre le repos, la Lecture, les réflexions, & le divertissement ; sans compter ce que l’on doit aux diférentes occupations de la vie. La verité est qu’il y a des exemples qui nous montrent je ne sçay combien de grands Hommes tellement passionnez pour les Livres, que les Exercices les plus agréables ne pûrent arrester le zéle qu’ils avoient pour la Lecture. Caton le jeune lisoit presque toûjours, & mesme dans le Barreau. Les Livres eurent tant d’attraits pour Jules César, qu’il les caressoit par tout, sans excepter les Assemblées publiques. Alexandre Sévere fit le plus délicat de ses ragouts d’un bon Livre, qu’il devoroit à la Table, & dans les Festins extraordinaires, selon le témoignage de Lampride. Pline qui a si bien écrit des choses naturelles, affectoit de se faire porter en Litiere, lors qu’il estoit contraint de sortir, afin de lire plus facilement.

Pour parler juste, ce sont de riches modelles ; mais je ne sçay si je serois bien raisonnable de soûtenir, que l’on est obligé de les copier. Il est peu de Personnes qui voulussent s’exposer à ces études empressées de l’Empereur Adrien. N’estoit ce pas outrer les conseils de la raison, que d’entreprendre de lire, d’écrire, & de dicter, en mesme temps qu’il s’appliquoit à répondre à ceux de sa Cour, qui venoient le saluer ? Nous sommes persuadez que ce n’est pas dans la Lecture continuelle, que l’on trouve un veritable profit ; mais plûtost, que le bon usage de la Lecture se reconnoist par ce choix judicieux du temps & des Livres. Faisons réflexion sur ces deux points, qui semblent utiles à toutes sortes de Personnes.

Un Sage de la Gréce lisoit avant que de se coucher, & le matin à la pointe du jour. Il faut avoüer que le matin est le temps le plus propre pour la Lecture. Je sçay qu’il y a de certains Livres, qui ne demandent point ou fort peu d’application ; ce sont ceux-là que je voudrois faire lire pendant le repas, que je conseillerois de porter dans un Carrosse, & dans les voyages, & qui peuvent nous divertir dans plusieurs occasions qu’il seroit inutile de particulariser. Pour ce qui est de ces Lectures sérieuses, qui attirent des réflexions & des remarques, on les fait le matin, depuis quatre jusques à dix heures. C’est dans ce temps que l’esprit est libre & purgé de certaines fumées qui suivent nécessairement le repas. On m’a fort peu conseillé de lire apres le dîné. Le soir peut laisser deux ou trois heures libres à ceux qui n’ont soupé que legérement. C’est, si je ne me trompe, ce que l’on peut déterminer touchant le temps que nous pouvons accorder à la Lecture. J’ajoúte qu’il ne faut pas courir indiféremment de Livres en Livres, sans méthode, & à toute heure.

Que ce seroit un avantage bien considérable, de ne lire que ce que l’on doit sçavoir, & d’apprendre seulement les choses que l’on n’aura jamais honte d’avoir lûës ! On doit se régler sur la portée de sa mémoire ; elle ne veut pas estre fatiguée mal à propos. Les choses nécessaires, & qui méritent d’estre retenuës, se doivent relire. Aussi je ne desapprouverois pas que l’on se fist une régle d’employer une demy-heure chaque jour, pour écrire le précis de ses Lectures. Nous avons de certains Ouvrages que chacun auroit intérest de sçavoir. Ceux qui sont d’un mérite extraordinaire, se doivent presque apprendre mot à mot ; principalement si ce sont des Originaux, pour la pureté d’une Langue, ou bien pour la délicatesse des pensées.

Je m’avise d’un moyen que l’on m’a donné autrefois, pour profiter des bons Livres. C’est d’en lire trois ou quatre fois de suite environ vingt lignes, avant que de s’endormir. L’esprit s’occupe de cette Lecture pendant le sommeil, l’imagination s’accoûtume à des idées nobles, & l’on trouve insensiblement, que la mémoire se cultive ; on se rend les expressions faciles, & l’on apprend à reconnoistre, & à profiter des beautez d’une Langue. Joignez à cela, que si ces Ouvrages sont aussi solides que bien écrits, nous nous formons des habitudes de penser juste ; nous nous familiariserons, pour ainsi dire, avec des manieres relevées d’écrire & de parler, qui viendront à nostre secours, sans qu’il soit nécessaire de les appeller. Les veilles immoderées, ces Lectures avides & sans méthode, ne sont point de mon goust ; c’est beaucoup lire, que de se reserver pour ce qui est utile. Ce sont les bons Livres, & non pas le grand nombre, qu’il faut rechercher. Je trouve que celuy-là railloit avec assez de justice, qui comparoit un amas indiscret de toutes sortes de Livres, à un monceau de bled que l’Avare conserve pour cultiver de la pourriture. Senéque ne s’arrestoit pas aux Bibliotéques bien fournies, mais il conseilloit seulement le choix des bons Livres, parce qu’une Lecture fixe profite, au lieu que celle qui est trop vague, ne sert qu’à divertir. Je ne sçache point que l’on se soit fort étudié à marquer les Livres utiles pour les sciences diférentes. Si je croyois qu’on voulust souffrir ce que j’en ay reconnu, je pourrois en faire part dans la suite. Ce n’est pas mon dessein d’écrire contre les mauvais Livres ; on sçait assez qu’ils portent leur reproche avec eux, & qu’il n’y a que tres peu de Personnes qui puissent tirer un bon suc de ces sortes de fruits. Aussi Démocrite reprochoit à un certain, qu’il abusoit de son temps, & qu’il s’appliquoit à recüeillir les épines, au lieu de s’arrester aux fleurs ; on me permettra de transcrire le passage Latin, qui m’a paru tres-beau. Non enim, quod tu facis, legendis libris spinas eorum seligo ; sed ea tantùm consector, quæ utilissima sunt, & ubivis commemoranda.

Virgile répondit agreablement à ceux qui luy vouloient faire une affaire de la fréquente Lecture d’Ennius, Je cherche de l’or dans le fumier. Il est donc vray de dire que c’est aux bons Livres, aux Livres utiles, qu’on doit s’arrêter. Les méchans Livres ne se doivent point souffrir, disoit un Ancien, parce qu’ils sont opposez à la pureté des mœurs. Le mauvais usage de la Lecture se reconnoist assez, en prenant le contraire de tout ce que nous venons de dire. Si l’on trouve que j’aye suivy des routes particulieres en traitant cette Question, on aura la bonté de se souvenir qu’elle est assez étenduë, pour me permettre cette liberté.

L. M. D. S. B.

Discours en Vers sur le mesme Sujet, Du bon & mauvais usage de la Lecture §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV), p. 19-49.

DISCOURS EN VERS,
SUR LE MESME SUJET,
Du bon & mauvais usage de la Lecture.

Si le panchant de la Nature
Nous sollicite à la lecture,
N’ayons point l’esprit si méchant
Que de négliger ce panchant ;
Il est doux, il est raisonnable,
Il est instructif & loüable,
Car la lecture a des appas
Dont tout sensé doit faire cas,
Et l’on peut dire qu’on est sage
Quand on en fait un bon usage.
Elle éclaire l’entendement,
Elle forme le jugement,
Elle inspire la politesse,
Elle aime la délicatesse.
Du Juste elle accroist la ferveur,
Elle convertit le Pécheur,
Où sont des Chardons met des Roses,
Et fait plus de métamorphoses
Sur les mœurs d’un Chrestien zelé,
Que n’en fit le Poëte exilé,
Qui pour avoir esté trop libre,
Fut contraint de quitter le Tibre,
Et d’aller en des lieux deserts
Gémir au bout de l’Univers.
Grénade, le fameux Grénade,
Cet Autheur qui n’a rien de fade
Dans ses Livres pleins d’onctions,
A plus fait de Conversions
Qu’il n’est de lettres dans les pages
Qui composent ses beaux Ouvrages ;
Aussi la lecture est vrayment
Vne espece d’enchantement,
Un charme qui nous rend capables
Des emplois les plus remarquables,
Vne sçavante illusion,
Vne agreable vision,
Vne occupation modeste,
Un amusement tout celeste,
Qui condamnant l’oysiveté,
Nous instruit de la verité,
Et nous éleve jusqu’aux nuës
Par des lumieres peu connuës.
N’est-ce pas un beau passetemps
De s’étendre par tous les temps,
Et de courir de siecle en siecle
Depuis le temps de Sainte Tecle ?
Que dis-je ? depuis Jézabel,
Depuis Caïn, depuis Abel,
Depuis mesme le premier Homme,
Qui nous perdit par une Pomme.
Dieu ! quelle consolation,
De voir une Relation
De mille Batailles passées
Dans une lecture amassées,
Et mille beaux évenemens
Qui causent nos ravissemens,
Par la lecture d’un beau Livre
Qui de cent chagrins nous délivre !
Nous connoissons à juste prix
Quels ont esté les grands Esprits,
Les faits, les exploits, & la gloire
De ceux qui brillent dans l’Histoire.
Sans la lecture, sçauroit-on
Les Harangues de Cicéron,
Les Plaidoyers de Démosthenes,
Ceux qui fleurirent dans Athenes,
Et ces Héros dont les Combats
Ont fait tant de bruit icy-bas ?
Où sans elle seroit Plutarque ?
Où sans elle seroit Pétrarque ?
Et qui pour leurs fameux hazards
Auroit estimé les Césars,
Les Augustes, les Aléxandres,
Si leurs noms restoient dans les cendres
Honteusement ensevelis ?
La grande & petite Bélis,
Seroient-elles par nous connuës,
Et jusques à nous parvenuës,
Si Mathiolle & Dalechamps,
Qui coururent souvent les champs,
N’avoient par un travail immense
Donné la chasse à l’ignorance,
Ainsi que Fusch & que Belon,
Gens de teste, Gens de renom,
Ingénieux Naturalistes,
Et des plus fameux Botanistes,
Qui soigneux de les expliquer,
Nous ont si bien fait remarquer
Les proprietez excellentes
Des Fleurs & des plus belles Plantes ?
Et vous, Simpliste à tour de bras,
Dioscoride, on ne doit pas,
Quoy que vous fustes un peu rogue,
Vous obmettre en ce Catalogue,
Puis que vos curieux Ecrits
Charment nos yeux & nos esprits.
D’où vient souvent que le vulgaire,
Peu soucieux de nous complaire,
Et de s’expliquer avec art,
Donne des souflets à Ronsard,
Parle & s’énonce sans justesse,
Sans esprit, & sans politesse ?
D’où viennent tant d’absurditez,
De fautes, d’incongruitez,
De locutions enfantines,
Qui choquent les oreilles fines,
Et qui blessent les délicats,
Sinon qu’on fait fort peu de cas
De faire de bonnes lectures,
Qui sont les sources les plus pures
D’une correcte expression,
Et d’une belle diction ?
Avoüons tous que la lecture
Réjoüit toute la Nature,
Et que par là les Morts sçavans
Instruisent les grossiers Vivans,
Les débourent, les humanisent,
Et leurs ames débarbarissent.
Mais pour lire avecque profit,
Il faut entendre ce qu’on lit,
Penétrer le sens des paroles,
Soit Enigmes, soit Paraboles,
Soit Commentaires, soit Centons,
Autrement l’on marche à tâtons,
Et dans un Païs de tenebres,
Où l’on ne voit qu’objets funebres.
Que si l’esprit est rebuté
Par la profonde obscurité
De quelque verité cachée,
Où l’ame se trouve empeschée
Dans les matieres de la Foy,
Il ne faut que dire, Je croy,
A cette verité j’adhere,
Sans vouloir sonder ce mystère ;
Car le Scrutateur curieux
Qui prend sa raison, ou ses yeux,
Pour les Juges de sa créance,
Perd le fruit de l’obeïssance,
Et doit se voir accravanté
Par le poids de la Majesté,
Cela dicte la conscience.
Dans les matieres de Science,
Où s’exercent tant de Vivans,
On se regle sur les Sçavans.
Ces Prodigieux, ces grands Hommes,
Ces Flambeaux du Siecle où nous sommes,
Pour le bien de tous les Humains,
Sçavent la route & les chemins,
Et c’est de leur bouche diserte,
A nos necessitez offerte,
Qu’on apprend l’explication,
Le sens, & l’explanation
D’un impénetrable Passage.
Or quand on a l’aveu d’un Sage,
Et l’autorité d’un Sçavant,
Que chacun consulte souvent,
On demeure l’ame tranquile ;
Et sur un Texte difficile,
Où l’on faisoit un long sejour,
On voit aussi clair qu’en plein jour.
De plus, pour lire sans dommage,
Il faut que l’Homme se ménage,
Et qu’il use fort sobrement
De ce chaste contentement,
En s’appliquant à la lecture
Comme on s’applique à la pâture,
Faisant refléchir son esprit
Sur sa lecture ; Quand on lit,
Il faut que dans l’ordre on se range ;
Car comme celuy qui trop mange,
Se créve au lieu de se nourrir,
S’étouffe au lieu de se remplir,
Tuant la chaleur naturelle
Par une abondance cruelle ;
De mesme lors qu’avidement,
Et par excés d’empressement,
On précipite sa lecture,
Cette mystique nourriture
Devient inutile au Lecteur,
Comme elle l’est à l’Auditeur,
Toute nourriture indigeste
Estant dommageable, funeste,
Et dangereuse à nostre bien,
Si nous en croyons Gallien,
Et l’honneur de la Medecine,
Qui de Cos prit son origine.
Jadis dans l’ancienne Loy
(C’est dont l’Ecriture fait foy)
Dieu ne vouloit en sacrifice,
Pour se rendre aux Hommes propice,
Que des Animaux ruminans,
Et leur pâture remâchans.
Dans l’Ordonnance Evangélique,
Toute illustre, & toute héroïque,
Il veut, mais d’un vouloir de Roy,
Qu’un Chrestien médite sa Loy,
Et que son ame possedée
D’une si précieuse idée,
Conserve inviolablement
Ce délicieux aliment.
Quand on lit trop à la légere,
Et d’une façon passagere,
Cette lecture que l’on fait
Est sans fruit comme sans effet.
On lit en dépit de Minerve ;
De sa lecture on ne conserve
Qu’un infructueux souvenir
Que le moindre objet sçait bannir.
Si l’on ne médite & digere
De sa lecture la matiere,
Quoy qu’on la relise souvent,
Autant en emporte le vent.
Il faut donner à la manie
D’un trop tumultueux Génie,
Et donner à sa vive ardeur
Un tempérament de lenteur ;
Car quelquefois on perd la veuë,
Quoy que d’organes bien pourveuë,
Si l’on a trop d’entestement
Pour ce beau divertissement.
Chaque Livre a son caractere,
Pour les Devots il faut Taulere,
Et lire avec affection
La pieuse Introduction
Du Bienheureux François de Salles,
De qui les vertus sans égales
Ont éclaté jusques aux Cieux,
Aussi-bien que dans ces bas Lieux.
Cette admirable Philothée
Pourroit convertir un Athée,
Et relancer dans les Chartreux
L’Homme le plus voluptueux.
Vne ame n’est point abusée,
Qui s’occupe à lire Buzée,
Lansperge, Bruno, Bonnefon,
Capiglia, Suffren, Talon,
Hayneufve, & le bon Pere Eustache,
Dont les Ecrits n’ont point de tache ;
Caignet, l’orthodoxe Abelly,
Par ses Ouvrages embelly,
Dont la Grace a conduit la plume
Pour faire maint & maint Volume.
Quand vous aurez trouvé Stella,
Vous pouvez vous arrester là ;
Son Livre du Mépris du monde
Est une Piece sans seconde,
Aussi-bien que ce qu’il a fait
Sur Saint Luc ; tout en est parfait,
Tout y respire une ame pure,
Bien morte à toute Créature.
Climachus est aussi sort bon
(Tout le monde en connoît le nom ;)
Tous les degrez du Ciel qu’il marque,
Sont beaux, & dignes de remarque,
Et rien n’est plus délicieux
Que son stile sententieux.
Lisez les Oeuvres de Saint Jure,
Ils sont ravissans, je vous jure,
Pour imprimer dans nostre cœur
Vne ardente & noble ferveur.
Les Oeuvres de Sainte Thérese
Ne contiennent rien qui ne plaise,
Et qui ne marque ce grand feu
Dont tout son cœur brûloit pour Dieu.
Binet est un Livre agréable,
Avila n’a point son semblable,
Cassiagnere est estimé,
Gontren est un peu plus limé,
Bérulle est un Devot mystique,
La Serre un pieux Politique.
Vous pouvez planter le Bourdon
Sur les Ecrits du bon Boudon,
Ce véritable Archidiacre
Qui tout son temps au Ciel consacre,
Et qui pour l’intérest de Dieu,
Presche, agit, travaille en tout lieu.
C’est à cet intérest unique
Que tout son beau Livre s’applique.
C’est un savoureux entretien
Que le petit Pensez-y-bien ;
Et ce qu’a fait le Pere Alphonce,
Dont les mots se pesent à l’once,
J’entens Alphonce de Madrit,
Est profitablement écrit.
Gygés, Autheur des plus sincéres,
Développe bien des mystéres,
Et d’un stile fort racourcy
Les Intrigues de ce temps-cy.
Feüilletez fréquemment l’Histoire
De ces grands Héros, dont la gloire
Pleine de la Divinité,
Brillera dans l’Eternité
De ces Saints, dont la belle vie
A fait désespérer l’Envie.
Lisez tous les jours les hauts faits
De tant d’Hommes rares, parfaits,
Et dont la lumiere féconde
Eclate en tous les Lieux du Monde ;
De tant de fervens Confesseurs,
De bons Freres, de bonnes Sœurs,
De Martyrs, & de Patriarches,
Qui furent de vivantes Arches,
Si vous voulez, des Coffres forts,
Où Dieu renferma ses trésors,
Et des Portraits en mignature
D’une Charité toute pure.
A ce dessein vous aidera
Le Pere Ribadeneyra,
Monsieur du Val, dont l’ame bonne
Fut un Soleil de la Sorbonne ;
Surius, & Monsieur Benoist,
Qui partout, ce qu’il est paroist.
Braillon, Prestre de l’Oratoire,
S’est acquis aussi de la gloire
A travailler sur ce sujet,
Qui n’a rien de vil & d’abjet,
Ecrivant l’Histoire Chrestienne ;
Qui bien la lira, la retienne ;
Ces Histoires ayant du poids,
Il les faut lire plusieurs fois.
J’oubliois encor à vous dire
Qu’il ne faut pas manquer de lire
Avec forte application
La divine Imitation,
Cet Ouvrage si Catholique,
Mais d’autrepart si pathétique,
Si brûlant d’un celeste feu,
Si remply de l’esprit de Dieu,
Si capable de mettre une ame
Dans l’ardeur d’une sainte flâme.
En ce beau Livre de Gerson
Chacun peut trouver sa leçon,
Chaque ame y devient aguerrie,
Soit pour Marthe, soit pour Marie,
Soit pour la recollection,
Pour la priere, ou l’action,
Pour le jeûne, & pour l’abstinence,
Pour l’aumône, & pour le silence.
Vers & Prose de Cerisy,
Vous n’avez rien que de choisy,
Vostre éloquence est des meilleures.
Magnon a fait de bonnes Heures.
Les Pastorales de Godeau
N’ont rien que de chaste & de beau,
Aussi-bien que ses Paraphrases,
Qui peuvent causer des extases ;
C’est un Esprit vif & brillant,
Dont le tour est étincelant.
Vous pouvez parcourir sans crainte
Tous les Tomes de la Cour Sainte
Du Revérend Pere Caussin,
Dont le noble & pieux dessein
Estoit d’engager les grands Princes,
Seigneurs, Gouverneurs de Provinces,
Dames, Prélats, Souverains, Roys,
A faire de nobles Exploits,
Pour placer aupres du Ballustre
La Vertu dans son plus haut lustre.
A l’ombre de vos Alisiers
Vous pouvez lire Cerisiers,
C’est un Autheur de bonne trempe,
Dont je voudrois avoir l’Estampe.
Vous pouvez lire Villeloüin,
Et les Emblémes de Baudoüin ;
Là sous des Figures s’êtale
Vne belle & sainte Morale.
Vous pouvez aussi jetter l’œil
Sur les Ouvrages de Montreüil,
J’entens de Montreüil le Jesuite,
Homme d’esprit & de mérite,
Dont la plume avec verité
Ne respire que pieté.
La Paraphrase de Beccasse,
Toute autre Paraphrase efface,
Au sujet du Miserere,
On n’y trouve rien d’altéré,
Et qui ne porte une belle ame
A quelque douloureuse flâme,
A quelque sentiment caché
D’aversion pour le peché.
Ses Pseaumes de pareille force,
Ont plus de moëlle que d’écorce ;
Tout en est fort & vigoureux,
Et je m’estime bien heureux
D’estre lié de parentage
A cet excellent Personnage,
Qu’un grand Chapitre revéroit,
Et que la Sorbonne admiroit.
Visitez aussi le Calvaire,
Dont son illustre & sçavant Frere,
Ce digne & ce fameux Curé,
Qui dans la Brie est honoré,
Nous a tracé la belle route.
Ce chemin peut mettre en déroute
Tous les Suposts de Lucifer,
Et tous les piéges de l’Enfer.
De Grénaille a pour moy des charmes,
En le lisant je rends les armes.
Laval, Guillebert, & Senault,
Ont écrit juste, & comme il faut ;
Leurs Traductions sont fidelles,
Et leurs Locutions si belles,
Qu’il est au monde peu d’Esprits
Qui ne respectent leurs Ecrits.
Lisez aussi tout à vostre aise
Les Oeuvres du pieux Nervese ;
Quand on cherche Dieu seulement,
On s’y délecte innocemment,
Sur tout, lisant sa Solitude,
Beau charme de l’inquiétude.
Pour le Pédagogue Chrestien,
C’est un Livre qui porte au bien,
Il peut vous tenir lieu d’azile,
Joignant l’agreable à l’utile ;
Les autoritez, les raisons,
Et les justes comparaisons
Qui relevent tout cet Ouvrage,
Luy donnent un grand avantage ;
Il ne peut estre décrié,
Quoy qu’il soit diversifié
Par tout de mainte & mainte Histoire,
Qu’il seroit malaisé de croire,
Si l’Autheur, Homme d’entretien,
Ne les autorisoit fort bien,
Et n’en faisoit venir la course
D’une pure & sçavante Source.
Lisez fréquemment Rodriguez,
Ce docte & pieux Portuguais,
Qui tient les Vertus comme à gages,
Vous apprendrez cent beaux passages.
Que du Pont soit bien vostre Amy,
Ne le lisez point à demy,
Mais depuis un bout jusqu’à l’autre ;
Que sa ferveur devienne vostre,
Et de ses Méditations
Tirez des spéculations
Pour bien conduire vostre vie
Malgré la Critique & l’Envie.
Lisez aussi tres-fervemment
Ce qu’a composé sçavamment
Le devot Saint Bonnaventure ;
Son Livre est la bonne-avanture
D’un Chrestien qui brûle pour Dieu ;
Là le cœur s’échauffe, & prend feu,
D’une maniere inconcevable.
Lisez, ou faites lire à table
Quelque chose de Blosius,
Ou du devot Dréxellius,
Ou bien soufrez les doux régales
De la lecture des Annales
Du Cardinal Baronius,
De Torniel, de Bsovius,
De Salian, ou de la Peyre,
Qui des Autheurs n’est pas le pire.
Il n’est rien de mieux secondé
Que les Oeuvres de Marandé.
Cet Ecrivain de belle mise,
Qui défendit si bien l’Eglise,
L’Illustrissime Bossuet,
Qui rend un Ministre muet
Par les rayons de sa doctrine,
Et connu jusqu’en Palestine,
Par sa grande devotion
Et profonde érudition,
A fait aussi de beaux Ouvrages
Que le temps verra sans outrages,
Pour desabuser les Errans,
Et les Sectaires ignorans ;
Avec plaisir on les peut lire,
En les lisant on peut s’instruire.
Mais se trouve-t-on jamais las
De feüilleter Décambolas
Dans son docte & pieux Modelle
Qui sert de guide à tout Fidelle ?
Si vous vous sentez moins en feu,
L’ame moins élevée à Dieu,
Si la colere vous attrape,
Si la constance vous échape,
Si vostre cœur est rallenty,
Lisez les beaux Faits de Renty ;
Ce Gentilhomme charitable,
Ce Marquis si considérable,
Ce Chrestien si devotieux,
Qui thésaurisoit pour les Cieux,
Et qui par un miracle étrange
Sembloit avoir visage d’Ange.
La Sainte Mere de Chantal
Ne vous apprendra point de mal,
Quand vous sçaurez toute la suite
De sa merveilleuse conduite.
Le sage Prélat de Maupas
Vous y guidera pas-à-pas ;
Vous verrez son cœur tout de flâme,
La fidélité de son ame,
Son grand des-intéressement,
Son surprenant avancement ;
C’est là que vous verrez dépeintes
Dans les pratiques les plus saintes,
Ses vertus dans leur plus beau jour,
Sa douceur, & son chaste amour,
Son incomparable innocence,
Sa vertueuse obeïssance
Dans les états où son Vainqueur
A voulu promener son cœur ;
Dans une diférente épreuve
Vous la verrez, & Fille & Veufve,
Mariée, & dans un Convent.
Lisez donc son Livre souvent,
J’entens l’Histoire de sa Vie,
Et que vostre ame soit ravie
Du desir de suivre ses pas
Dans tous ses diférens états,
Dans le monde, ou bien en retraite,
Vous la verrez toûjours parfaite,
Toûjours vers Dieu s’acheminant.
Cela suffit pour maintenant ;
Avecque cette tablature
Vous pourrez faire la lecture.
Parcourant le Monde Chrestien,
Vous n’y trouverez que du bien ;
C’est un Autheur sçavant & sage
Qui nous a tracé cet Ouvrage,
Autheur d’esprit & de renom ;
La Barre est son illustre nom.
Dieu ! qu’aux pechez on fait escarre
Avecque ces grands coups de Barre,
Et que l’Enfer contrecarré
S’y trouve à propos rembarré,
A la confusion du Schisme,
A l’honneur du Christianisme,
A la gloire du Tout-Puissant,
A la ruine du Croissant,
Au mépris de l’Idolâtrie,
Au grand bien de nostre Patrie !
L’Intérieur nommé Chrestien,
Est un Livre dont l’entretien
Peut insinuer la pratique
Des grandes vertus qu’il explique,
A la gloire du Roy des Roys ;
C’est peu que le lire une fois.
Le soir avecque sa Bougie
On peut feüilleter Philagie ;
C’est là la plus propre saison
A lire le point d’Oraison.
On trouve une utilité seûre
A parcourir la nuit obscure,
D’un Homme qui seul en vaut trois,
Le Bienheureux Jean de la Croix ;
C’est un Homme de l’autre monde,
Dont la doctrine tres-profonde,
Qu’on peut nommer trésor caché,
Peut aneantir le peché.
Le spirituel Cathéchisme
Etablit le Christianisme,
Et la sainte devotion,
Par mainte interrogation ;
On apprend là ce qu’il faut croire,
Joignant le cœur à la mémoire,
Et mettant son affection
A chercher la perfection.
Pour la spirituelle adresse,
C’est un Livre qui rien ne blesse,
Mais qui peut faire un grand profit
A quiconque ardemment le lit.
Tout est plein de choses sensées ;
Chez vous, ô Chrestiennes pensées,
Les Ouvrages de Scapoly
Sont fervens, passent le joly,
Font qu’à méditer on arrive,
Et sont d’une force excessive
Pour combatre les passions
Par les mortifications,
Et par la haine de soy mesme,
Vertu digne du Diadéme.
Voila, pour le dire en deux mots,
Le passe-chagrin des Devots.
Que les Sçavans lisent les Peres,
Ces Flambeaux, ces grandes Lumieres
Qui par leurs Ouvrages divers
Ont éclairé tout l’Univers ;
C’est dans ces sources toutes pures
Qu’on puise les belles lectures.
Peut-on voir un plus beau Festin
Que de lire Saint Augustin,
Saint Ambroise, Saint Chrysostome,
Saint Athanase, Saint Jérôme,
Saint Basile, Saint Cyprien,
Saint Athanase, Salvien,
Leon, Prosper, Eucher, Maxime,
Ces Docteurs que l’Eglise estime,
Et qu’à jamais estimera
Le Chrestien qui bien les lira.
Dans un respect meslé de crainte,
Venez à l’Ecriture Sainte,
L’objet de nos devotions,
Et de nos venérations.
Les véritez incontestables,
Et les préceptes admirables
Que contient ce Livre divin,
Empeschent l’Homme d’estre vain,
Superbe, insolent, adultere,
Aux conseils du Ciel réfractaire ;
Et pour estre un Homme de bien,
Homme d’honneur, Homme Chrestien,
Suffit de se rendre facile
Ce que nous apprend l’Evangile ;
Qui sur ses maximes fait fond.
De la verité se répond.
Ces Ecritures salutaires
Sont des Troupes auxiliaires,
Qui nous serviront au besoin,
Si l’on veut se donner le soin
D’en faire une sainte lecture,
En gros, ou bien en mignature,
C’est à dire par petits points.
J’en prens pour Juges & Témoins
Tant d’Illustres, tant de Notables,
Tant de Docteurs irréprochables,
Qui font presque en toute saison
Sur l’Ecriture l’Oraison,
Apres l’avoir luë & reluë
Avec beaucoup de retenuë.
Or sortant d’un grand sérieux,
On peut parfois jetter les yeux
Sur quelques Livres de Voyage,
Cette lecture à rien n’engage ;
On peut ainsi facilement,
Mesme fort agreablement,
Sans argent, sans Valet, ny Bottes,
Sans craindre la Mer, ou les crottes,
Les Bandis, ou les Armateurs,
Sans prendre Boussolle, ou Hauteurs,
D’une vîtesse sans seconde
Visiter l’un & l’autre Monde,
Voir le Normand & le Picard,
Aller jusqu’à Madagascar,
Sans une nouvelle Machine
Donner jusqu’à la Cochinchinne,
Porter le moule du Jupon
Jusques au dela du Japon,
Se promener seul & sans suite
Sur les épaules d’Amphitrite,
Enfin roder tout l’Horison,
Sans décamper de sa Maison ;
Visitant toutes ces Demeures.
On passe d’agreables heures,
Vous pouvez lire Thévenot,
Villamont, Laët, & Linschot,
Jean Moquet, le Goulx, la Boulayes,
Colomb, Pirard, Baudier, Deshayes,
Aloüisio de Canda,
Razilly, Michon, d’Aranda,
Belleforest l’Homme historique,
Jambolo Pere pacifique,
Jean Lyon, Bartheme, Lopez,
Frere Eugene, Frere Alvarez,
Le Laboureur de Calchondille,
Fernandez de Pinto l’habile,
Bellon ce Medecin Manceau,
Vincent le Blanc ce bon cerveau,
Jean de More, Jacques le Maire,
Puis Cevallos le débonnaire,
Dom Garcia de Loaysa,
Dom Garcia de Mendoza,
Sandifs, Tavernier, François Draque,
Qui ne vit jamais Andromaque,
Olivier de Sarmiento,
Qui couroit la Poste ut octo
Sur les flots salez de Neptune,
Afin d’établir se fortune,
Sarto Seguizi, Jacque Albert,
Et le fameux César Lambert,
Zagachrist Roy d’Ethiopie,
L’Original, ou la Copie,
Dont les Ecrits, pour leur beau tour,
Ont charmé l’ancienne Cour.
J’oubliois Paolo de Venise,
Homme d’intrigue & d’entreprise.
Quand vous aurez veu tout cela,
On vous pourra bien dire hola.
Apres de si longues lectures,
Jettez les yeux sur les figures,
Il faut faire profession
D’une immortelle aversion
Pour les lectures criminelles,
Ou qui tiennent des bagatelles,
Car c’est un pauvre passetemps
Que de lire, & perdre son temps.
Brulez tous les Livres magiques,
Aussi-bien que les herétiques,
Et ces Livres pleins de fatras,
Qui des Souverains & Prélats,
A qui l’on doit obeïssance,
Pourroient obscurcir l’innocence.
Il faut toûjours se faire honneur
D’épargner les Oings du Seigneur,
Malgré la rage invéterée
D’une plume inconsidérée,
Ou d’une langue sans respect,
A qui le bien mesme est suspect.
Bannissez le Décatonphile,
Artemidore, & Théophile ;
Sur tout, ne feüïlletez jamais
Machiavel, & Rabelais,
L’un est plein de fausses maximes,
L’autre est tout degoutant de crimes,
D’impuretez, d’impiétez,
Et de profanes saletez.
Vous ne devez point donner place
Au Décameron de Bocace,
Moins au Moyen de parvenir,
Livre à brûler, Livre à bannir.
Fuyez l’opprobre des Familles,
Qu’on nomme l’Ecole des Filles,
Et ce Livre à chasser dehors,
Les Bigarrures des Accords,
Par qui l’ame est toute obsédée
Des illusions d’Asmodée ;
Tous ces Livres malicieux
Méritent le couroux des Cieux.
Pour lire donc en Homme sage,
Et pour faire un heureux usage
De la lecture, il faut en tout
Lire les Livres du bon goust,
Livres chastes & raisonnables,
Polis, éloquens, profitables,
Les lire avec attention,
Et sans préoccupation.

L. Bouchet, ancien Curé de Nogent le Roy.

Relation d’un Voyage fait en Amérique. A Mademoiselle de S §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV), p. 68-84.

RELATION
D’UN VOYAGE
FAIT EN AMERIQUE.
A MADEMOISELLE DE S.

Je ne puis, Mademoiselle, vous envoyer par cet Ordinaire le détail du grand voyage que j’ay fait en Amerique, avec tout le bonheur possible, & toute la diligence imaginable. Le peu que je vous en écris, est dans la pure sincerité ; les choses y sont si belles par elles-mesmes, que je croirois leur faire injure, d’emprunter les ornemens de l’Eloquence, pour relever leur éclat naturel, que je gâterois, comme font la pluspart des Voyageurs, par des fictions Romanesques, semblables à celles des Sevarambes.

Je dis donc dans la pure verité, que j’arrivay, & vis presque en mesme temps les plus beaux endroits qui sont le long de la Riviere de Suriname, qui est la plus belle de toutes les Rivieres de l’Amérique. Je n’ay eu faute de rien, ny en allant, ny pendant mon séjour, ny dans mon retour, bien que je n’eusse fait provision que des Instrumens de Mathematique necessaires pour reconnoistre la diférence du Méridien du lieu de mon depart, à celuy de l’embouchure de Suriname, par de bons Horloges à pendule, & par l’observation des quatre Satellites, ou Lunes qui tournent autour de Jupiter.

Nous passâmes sous le Tropique d’Eté, & vîmes à Midy l’ombre de nos testes entre nos deux jambes, & le Soleil dans le fonds d’un Puits tres-profond ; enfin à six degrez de latitude, nous fûmes dans la Mer de Cust, & montâmes la grande Riviere de Suriname. Nous trouvâmes bien-tost sur la main droite Paramaribo. C’est une Ville à cinq Bastions, apartenante aux Hollandois ; elle est comme la Clef, qui ouvre ou ferme la porte pour le Commerce de cette grande Province habitée par des Sauvages Noirs, dont les uns sont entrez dans les intérests des Hollandois. Paramaribo est un des plus beaux séjours du monde, à cela prés, qu’il y pleut pendant trois mois sans discontinuation aucune ; ce qui arrive régulierement toutes les années, comme je l’ay observé pendant mon peu de sejour.

Bien que Plutarque ait autrefois écrit de la cessation des Oracles, on ne laisse pas d’entendre tous les jours dans Paramaribo ceux qui y sont rendus dans un Auguste Temple, par la Déesse Loüise-Lucie de Suriname. Elle estoit autrefois une des principales Divinitez Etrangeres du Pantheon de l’ancienne Rome. Cela peut servir à l’Histoire, pour démontrer que l’Amérique n’estoit pas anciennement inconnuë. Poussez par la curiosité qui est naturelle à ceux de nostre Nation, nous courûmes au Temple de cette Déesse, nous y trouvâmes tous les Drüides occupez devant la Déesse, pour plaider une Cause de la derniere importance. Ils prétendoient faire condamner une Vestale à estre enterrée vive, pour le seul crime d’avoir fait un Vers, bien qu’il ne sentist qu’un peu indirectement l’amour. M. Æn. Senec. l’Orateur l’expliqua en toutes langues. Voicy ses termes Latins,

Felices nuptæ ! moriar, nisi nubere dulce est.
 Qu’heureux est l’Hymenée !
 Je meure s’il n’est doux
 D’avoir un Epoux.

Un Accusateur des plus animez faisoit des exclamations sur chaque mot de ce pauvre Vers, Qu’heureux est l’Hymenée, ce sont, disoit-il, des termes partis du fonds du cœur, & qui marquent ses ardens desirs. Je meure, c’est un Serment qui ne peut estre soufert à une Vestale. Je meure, s’il n’est doux, d’embrasser un Epoux. Ou elle jure à faux, ou elle jure apres l’avoir expérimenté. Elle doit mourir, &c.

Je m’informay du nom de ce Procureur, on le nomma Porcius Latro, à latrando ; car au Royaume de Suriname on appelle les choses par leur nom, un Chat, un Chat, &c.

Enfin la Déesse prononça l’Arrest d’Absolution. Voicy en nôtre Langue les termes de son Oracle,

Les Poëtes ne sentent pas tout ce qu’ils disent.

La Déesse nous honora d’un petit coup d’œil, accompagné d’un agréable mouvement de teste, bien diférent de celuy que la teste de l’Idole d’Abelanecus fait à Madame de Clerimont dans la Comédie de la Devineresse. Elle profera ensuite quelques mots en langage Sauvagin. Plusieurs de nos François en furent aussi effrayez que s’ils avoient esté conviez au Festin de Dom Pédro ; Mais le Grand Prestre nous les fit expliquer par un Dragomant, qui nous assûra que cette belle Déesse avoit dit, Braves Etrangers, soyez les bien-venus. Estant donc rassûrez, quelques Dames de nôtre troupe voulurent éprouver la bonté & le sçavoir de cette Déesse, pour estre instruites par ses Oracles, des choses qui ne concernent l’avenir, dont Horace mesme défendoit aux Hommes sages de chercher la connoissance. Elle répondit à toutes les demandes fort obligeamment, & mesme en Vers François. Cela étonna nos Dames, autant que les Sauvages, qui n’avoient jamais oüy leur Déesse parler un tel jargon. Pour moy, je n’en fus pas surpris ; car les Déesses sont du moins d’un esprit aussi sublime que bien des Personnes de qualité, qui sçavent tout sans avoir rien appris. Je vous envoye une partie des Questions que nos Dames firent à la Déesse de Suriname, & les réponses Oraculaires qu’elle rendit. Vous m’obligerez de m’en apprendre vostre sentiment.

QUESTION DE M. D.

Lequel flateroit plus vos sens & vostre cœur ?
Ou d’un Amant jaloux, qui toûjours en fureur,
 Ne vous donnast aucune patience ;
Ou d’un autre, de qui la tranquille constance
Ne vous marquast jamais aucun transport jaloux,
Et qu’il se reposast sans nulle défiance
 Et sur son mérite & sur vous ?

REPONSE DE LA DEESSE
de Suriname.

Ny l’un ny l’autre en verité
Ne me pourroit donner de la tendresse.
Un Amant si jaloux n’a que de la rudesse ;
 L’autre avec sa tranquillité,
Qui veut se reposer sur ma fidelité,
Marque trop peu d’amour, ou trop de vanité.

QUESTION DE M. D.

 Lequel vous paroist plus honteux,
 Ou de cesser d’aimer, ou n’estre plus aimée ;
 Quitter l’Amant qui vous auroit charmée,
Ou-bien luy devenir un objet odieux ?

REPONSE.

Lors qu’on prétend aimer avec délicatesse,
A quitter son Amant, jamais, je le confesse,
 On ne devroit s’autoriser ;
 Mais à ne vous rien déguiser,
Deust estre mille fois ma conduite blâmée,
Je ne sçaurois aimer, si je ne suis aimée.

QUESTION DE M. D.

 Lequel cause plus de douleur,
 De voir que vostre Amant fait une perfidie,
Et que portant ailleurs & ses soins, & son cœur,
Il marque que pour vous sa tendresse est finie ;
Ou vous aimant toûjours, qu’il manque à son honneur,
 Et se couvre d’ignominie ?

REPONSE.

 Mon Amant eust-il mille appas,
 S’il manque à son honneur, je consens qu’on l’assomme.
 Qu’il aime ailleurs, je n’y balance pas,
Et j’aime mieux qu’il soit le dernier des ingrats,
 Que de le voir mal-honneste Homme.

QUESTION DE M. D.

 Lors que sans l’avoir mérité,
 Nous voyons qu’un Amant nous quitte, & se dégage,
 Que sans foy, sans honnesteté,
Il devient malgré nous & perfide & volage,
Et que d’un autre objet il s’est laissé charmer,
Ailleurs ainsi que luy ne doit-on pas aimer ?

REPONSE.

Il ne faut point d’excuse à la legéreté,
Il n’est point de raison pour l’infidelité ;
Malheur à vostre cœur, s’il trouve un infidelle ;
Mais lors qu’il l’a trouvé, si l’amour vous rapelle,
Gardez-vous bien, Iris, d’en écouter la voix.
Aimer, & bien aimer, ne se doit qu’une fois.

Les Messieurs demandérent audiance à leur tour, & les Dames en estant convenües, l’un d’eux commença ainsi.

QUESTION DE Mr D.

 Lors que sans l’avoir souhaité,
 Et sans rendre aucuns soins, je rencontre une Belle
Dont le cœur se défait de toute sa fierté,
Et veut estre pour moy tendre, ardente & fidelle,
 Faut-il avoir même amour, même zéle ?
 Luy dois-je enfin de la fidelité ?

REPONSE.

Lors qu’à vous plaire ainsi vous voyez qu’on s’empresse,
Si vostre cœur ne peut aimer cette Maîtresse,
 Pour la tromper n’ayez aucuns détours,
Ne luy marquez jamais une fausse tendresse,
Et desabusez-la, s’il se peut, sans rudesse.
Mais si vous luy jurez d’éternelles amours,
Et soûtenez par là ce qu’elle a fait d’avance,
 Soit par amour ou par reconnoissance,
N’en doutez point, il faut l’aimer toûjours.

L’Oracle prononçoit le dernier mot, lors qu’un grand bruit frappa mes oreilles. Je m’éveillay en sursaut, avec un grand Hélas ! J’éprouvay avec douleur ce que Seneque disoit dans sa 102. Epître à son Amy Lucille.

Qu’il est doux d’estre heureux, quoy que ce soit en songe !
Qui nous éveille a tort, nous privant des plaisirs
De posseder un bien qui comble nos desirs,
Quoy qu’il ne soit en tout qu’un aimable mensonge.

Voila, Mademoiselle, la pure verité de mon Voyage. Je me trouvay couché contre une palissade du Jardin du Luxembourg, d’où j’estois party en dormant, & avois fait dans une heure ce grand Voyage sans faire aucune dépense, & sans courir aucun risque par terre ny par mer, n’ayant senty aucune des incommoditez ordinaires du cœur, contre lesquelles en 1654. le R. P. Alexandre de Rhodes de la Compagnie de Jesus, voulant aller au Tonquin, m’avoit ordonné pour reméde souverain, de mettre une piéce d’hyvoire sur la bouche de l’estomac, & de manger grillé quelque Poisson qu’on trouveroit dans le ventre d’un autre Poisson.

Nous ne manquâmes point d’eau, & n’eûmes pas lieu d’adoucir un Tonneau d’eau de la Mer, le roulant apres y avoir jetté un mélange fait avec du jus de Citron distilé, & le quart de Farine fole, &c.

Ces belles Dames, qui dans leur charmante conversation avoient fait & récité ces Vers pendant mon sommeil, furent surprises de voir lever de terre un Homme tout debout, qu’elles n’avoient pas crû qui fust couché si prés d’elles. Leur étonnement augmenta, lors que je leur eus fait connoistre que ma mémoire estoit si heureuse, mesme en dormant, qu’elle me fournissoit les beaux Vers qu’elles avoient si tendrement prononcez. Elles sont toutes belles & tres-spirituelles, & ont dans les yeux le mesme feu qui paroist dans leur esprit. Je ne connois de nom que Madame de D. Je vay m’attacher à devenir beau Dormeur, & j’espere par cette adresse d’apprendre la suite des Réponses de la Déesse de Suriname de Sommeldiks, dont je vous feray part. Je suis, &c.

COMIERS, Prevost de Ternant.

[Explications en Vers sur les deux Enigmes de la sillabe Mi] §

Extraordinaire du Mercure Galant, quartier de janvier [tome 25], 1684, p. 84-92.

 

Voicy, Madame, ce que j’ay reçeu d’Explications en Vers sur les Enigmes du mois de Decembre, qui avoient esté faites toutes deux sur la sillabe Mi.

 

I.

Je voy bien, aimable Caliste,

Et vous aussi, Berger Fleuriste,

Que pour m’embarrasser vous estes de concert ;

Mais cela ne vous sert de guére ;

De vostre énigmatique Affaire

Tout le secret m’est découvert ;

Et pour vous dire enfin ce qui m’en semble,

Ainsi que vos deux coeurs n’en forment qu’un ensemble,

De vos deux Enigmes aussy

Vous n’en faites qu’une, & c’est Mi.

Diereville, du Pontlevesque.

 

II.

L’Autre jour la jeune Angélique,

En me voyant triste & rêveur ;

Qu’as-tu fait de ta belle humeur,

Pour estre si mélancolique,

Me dit-elle d’un ton railleur ?

Ah ! cruelle, c’est ta rigueur,

Luy dis-je, qui fait ma douleur.

Il faut soulager ton martyre,

Dit-elle, faisant un soûrire ;

Ecoute-moy chanter un Recit d’Amadis,

Tous les Airs en sont aplaudis ;

Je vais te charmer par l’oreille.

Elle chante, & si-tost que son Air fut finy,

La Folette me dit, n’ay-je pas fait merveille ?

Je n’ay pas manqué d’un seul Mi.

Il est vray que ta voix enchante,

Luy dis-je, & ta méthode a beaucoup d’agrément.

Mais helas ! que me sert qu’elle soit si charmante,

Si je n’en reçoy pas quelque soulagement ?

Le mesme.

 

III.

Vous méritez beaucoup, admirable Calliste ;

Cependant pouvez-vous donner le nom d’Amy

Au galant & sage Fleuriste ?

Non, vous ne le pouvez, sans la sillabe Mi.

Cyges.

 

IV.

Peut-on, divin Courrier, qu’on aime & qu’on estime,

Se bien se ressouvenir que l’on est vostre Amy,

Sans découvrir le Mot de l’une & l’autre Enigme,

Puis qu’on ne peut donner son suffrage qu’à Mi ?

Le mesme.

 

V.

Quoy ! l’on a quatre pieds, un Plumet sur l’oreille,

Sans estre Fille, ny Garçon,

Et mesme ny Chair, ny Poisson.

Fut-il jamais chose pareille ?

Vous nous l’enseignerez, Mercure nostre Amy ;

Je croy pourtant que c’est un Mi.

L’Exilée de la Ville-Françoise.

 

VI.

Je fais plus de cas des deux Mi

Que j’ay reçeus, Galant Mercure,

Par vostre derniere voiture,

Que de tout ce qu peut me venir d’un Amy.

Que ce travail me plaist ! Il est de deux Aimables,

Que je veux croire Amans inséparables.

Il n’est rien de plus achevé,

Les plus fâcheux l’ont approuvé.

La Belle Nourriture.

 

VII.

Tout jeune que je suis, j’ay l’esprit vif souvent,

Je descens de quelqu’un qui voit courir le vent ;

Des Enigmes du mois j’ay déchiffré l’Arabe,

J’y trouve de mon nom l’une & l’autre sillabe ;

Et pour ne rien dire à demy,

C’est que l’on m’appelle Mimi.

Mimi-Mi... de la huitiéme Classe de Geneve.

 

VIII.

J’estois encor presqu’endormy,

Quand on m’apporta le Mercure,

Des Enigmes pourtant je cherchay la lecture ;

Mais quoy, toutes les deux ne contenoient qu’un Mi.

Alcidor, du Havre.

 

IX.

Me trompay-je, Mercure, ou bien ay-je raison,

De croire que les deux Enigmes

Ont une telle liaison,

Que dans l’une on voit l’autre, & que toutes leurs rimes

Ne cachent à nos yeux que la sillabe Mi ?

Je l’ay gagé contre un Amy.

Le mesme.

 

X.

Aux Autheurs des deux Enigmes.

 

Admirables Bergers, dont les charmans Ouvrages

Ont autant de raport que de perfections,

Vous faites juger aux plus sages

Qu’on n’en trouve pas moins dans vos affections ;

Car lors que l’on a veu de l’aimable Caliste

Une Enigme sur la Beauté,

Elle avoit seulement le droit de primauté

Sur le galant Berger Fleuriste ;

Et le Si merveilleux, avec tous ses détours,

Fut-il pas déguisé par le mesme secours ?

Ainsi cette union qu’on trouve inséparable,

Nous fait voir en ce mois, d’un stile incompparable,

Que vous, belle Caliste, imitant vostre Amy,

Vous vous estes encor rencontrez sur le Mi.

Le mesme.

 

XI.

Vous ne nous étrennez, Mercure, qu’à demy,

Dans ce premier mois de l’Année.

Croyez-vous que je sois satisfaite d’un Mi ?

Non, Seigneur, j’espérais estre mieux étrennée.

Sylvin, du Havre.

 

XII.

Le chagrin d’avoir veu mon Berger me quitter,

M’avoit fait renoncer, Mercure, à ces Enigmes ;

Mais depuis que je voy qu’il revient m’en conter,

Je reprens du plaisir à rêver sur leurs rimes.

Lors que pour un Amant on ressent de l’amour,

Et que son changement chagrine,

A quoy sert de faire la fine ?

On est bien-aise du retour,

Pour moy, tant que dure le jour.

Pour en marquer mon allégresse,

Apres un rigoureux ennuy,

Je ne fais que chanter sans cesse

Ut re mi fa, fa sol fa Mi.

Il ne faut pas que l’on me blâme

De l’aveu que je te fais là,

Mercure, car malgré cela,

Je suis toûjours la Belle à l’Anagramme.

Libre d’amour, de la Ruë du Bac.

Portrait à Madame*** §

Extraordinaire du Mercure Galant, quartier de janvier [tome 25], 1684, p. 92-96.

Portrait à Madame***

 

Voicy la premiere fois, Madame, que je vois une grande réputation se soûtenir. Il y en a tant de fausses, que j’avois une foy fort chancelante pour la vôtre ; mais le moment où j’ay eu l’honneur de vous voir, a finy mes doutes, & je suis plus persuadé que personne, que vostre esprit est étendu, vif & penétrant, vostre discernement juste, que vous avez le goust fin & délicat ; & non seulement je suis convaincu que vostre esprit a ces divers avantages ; j’ay remarqué qu’il est soûtenu du bon sens, que son feu est moderé, ses productions digerées, ses efforts modestes, & qu’il a autant de solidité que de brillant. En verité, Madame, on a raison de dire, que vous n’estes pas moins propre à donner des conseils, toute jeune que vous estes, qu’à vous faire admirer par vostre Chant & par vostre Lut. Pourquoy ne croiray-je pas ce qu’on m’a dit de vostre coeur, puis que je trouve tant de fidelité dans l’éloge qu’on m’a fait de vostre esprit ? Vous avez, dit-on, les plus beaux sentimens du monde ; les intérests de vos Amis vous sont plus chers que les vostres ; vous estes sincere jusques à la bagatelle, bonne & genereuse, honneste naturellement, engageante sans dessein, d’une humeur si douce, & d’une societé si agreable, qu’on tient à vous par vostre seul mérite, plus fortement qu’on ne tient aux autres Femmes par tout ce que les plaisirs ont de plus sensible. On parle de vous, Madame, comme de ces Femmes extraordinaires, qui ne sont pas seulement le Modele de leur Sexe, mais qui donnent de la honte au nostre. Si je trouve tout cela, que deviendray-je ? Doit-on défendre son cœur contre tant de mérite ; & quand le mien sera prest de vous ceder, ce cœur tres-tendre, quel sera son destin ? Que je vous crains, Madame, & que j’ay raison de vous craindre ! On dit que vous écrivez comme vous parlez, c’est à dire, parfaitement bien, qu’il n’est rien de plus naturel que vos Lettres. Phébus n’y a point de part. Cependant elles sont pleines d’esprit & de raison. Ce n’est point un assemblage de grands mots, qui ne veulent rien signifier ; c’est quelque chose de si fin & de si singulier, qu’il n’y a que vous qui écriviez comme cela. Pour des Vers, j’en ay vû de vostre façon ; je ne m’y connois pas, ou vous les faites fort facilement. On y remarque un air libre & dégagé, qui ne sent nullement le soin ny la peine ; sur tout ils me paroissent si tendres,

 Qu’en les lisant, je sentois naître
 Un doux panchant à m’enflâmer ;
 Et l’on n’a pas peine à connoistre,
Que si vous n’aimez pas, vous sçauriez bien aimer.

Seroit-il possible, Madame, que l’insensibilité fust vostre defaut ? J’aurois mille choses à vous dire sur ce sujet, s’il m’estoit permis de m’expliquer. Je suis, &c.

Sur un Bracelet de Cheveux reçeu §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV), p. 97-100.

SUR UN BRACELET
de Cheveux reçeu.

Le Présent que vous eustes hier la bonté de me faire, m’est extrémement cher pour sa beauté, mais sur tout pour la maniere obligeante dont vous me le fistes. Je vous avoüe, Madame, qu’encore que je sois persuadé que vous estes libérale & genéreuse, je n’avois pas esperé qu’il dust estre si riche, ny accompagné de tant de graces, bien que je sçache qu’elles logent toutes chez vous. En verité il n’est rien de si galant. Plus je le considere, plus je l’admire ; & quand je pense qu’il vient de vous, & qu’il est peut-estre l’ouvrage de vos belles mains, mon admiration se change en amour, & mon amour tient un peu de l’idolâtrie. Mais, Madame, lors que je me souviens que c’est un tissu de vos beaux cheveux (car vous ne viendrez jamais à bout de me persuader le contraire) je ne puis moderer ma joye. Elle éclate visiblement sur mon visage, toutes mes actions la font pariostre ; & dans le ravissement où je suis, je me laisse aller aux saillies & aux emportemens qui m’entraînent. Quoy, dis je, est-il possible que j’aye une partie de ces beaux Cheveux, qui ont contribué à ma prise, & m’ont servy de liens ? Est-il possible qu’ils soient enchaînez à leur tour ? Non, il n’y a point d’apparence ; je serois trop heureux. C’est un songe agreable, c’est une illusion flateuse. Mais mes yeux qui ne peuvent soufrir qu’on les démente, me disent que c’est une verité, mais une verité qui charme & qui enchante ; de sorte, Madame, que vous me réduisez à la nécessité de n’estre pas quite avec vous apres cette vie, & de mourir ingrat malgré moy. Au reste s’il faut que je sois redevable à quelqu’un, j’aime mille fois mieux que ce soit à vous, qu’à personne. J’ay une secrete inclination à ne me pas aquiter des obligations que je vous ay, aussi-bien ne le pourrois-je faire. Il m’est glorieux, Madame, de tenir de vous tout mon bonheur, & je ne vous fais à dessein qu’un mauvais remerciement, afin que je vous doive la grace entiere.

[Sentiments en vers de Mr de la Févrerie sur cinq questions du XXIII. Extraordinaire]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV), p. 100-114.

A UNE DAME,
Sur la perte de son Procés, contre un
prétendu Mary, par son Avocat.

Qu’un Homme est malheureux, Madame, lors qu’il entreprend de soûtenir des intérests qui luy sont chers, & qu’il n’y reüssit pas ! Oüy, Madame, j’ose dire que je suis plus à plaindre que vous, & que je sens mieux que personne, la petite disgrace dont je vous vis hier alarmée. Neantmoins apres y avoir bien pensé, je trouve de grands sujets de consolation pour vous & pour moy dans cette Affaire. Nous haïssons tous deux la perfidie, & vous ne perdez qu’un Perfide. Essuyez donc vos pleurs, Madame, & ne les prodiguez pas ainsi. On n’a jamais fait l’honneur aux Traîtres, de les regreter apres qu’on les a perdus.

Vous n’avez veu jusqu’icy que des Ouvrages en Prose de Mr de la Févrerie. Voicy des Réponses en Vers de sa façon, aux cinq Questions du XXIII. Extraordinaire.

S’IL EST PERMIS A UN
Homme qui aime avec passion, de souhaiter que la Personne qu’il aime, ne luy survive que d’un moment.

 He ! quelle jalouse fureur,
 Pauvre Amant, embraze ton cœur,
Quand la mort va finir ton amour & ta vie ?
 Que t’importe apres le trépas,
 Qu’un autre possede Silvie,
 Qu’elle t’aime, ou ne t’aime pas ?
***
 Car enfin je croy que la mort
Bannit le souvenir de nos amours passées,
Et ne laisse à nostre ame aucune des pensées
Qui pour l’Objet aimé, la tourmentoient si fort.
***
 Ou s’il est vray, qu’en l’autre Monde,
 On aime ce qui nous fut cher ;
 C’est dans une paix si profonde,
Que sa legereté ne sçauroit nous toucher.
***
 Mais je veux mesme qu’aux Enfers,
 Un Amant porte encor ses fers,
 Et soit Esclave de sa Belle ;
S’il ne peut pas douter de sa fidelité,
 C’est une grande cruauté,
De souhaiter sa mort, pour mieux s’assurer d’elle.
***
Et si cette jeune Bergere
A mille autres Bergers, prodiguoit ses appas,
 Si l’inconstance estoit son caractere,
Elle sera toûjours infidelle, & legere
 La mort ne la changera pas.
***
 Par des raisons plus sérieuses,
 Je combatrois ce sentiment ;
Mais pour les ames genéreuses
Ce seroit inutilement.
***
 Et que me serviroit de dire,
 Aux Brutaux que l’amour inspire,
 Que c’est un grand aveuglement,
Que c’est choquer les mœurs, les Loix, & la Nature ?
Ces Gens-là d’ordinaire, ont la teste trop dure,
Et ne goûteroient pas un tel raisonnement.
***
Mais Herode, sans doute, est l’exemple fidelle
 De ce qu’on propose aujourd’huy ;
Jaloux de Marianne, aussi chaste que belle,
Ce Tyran ordonna, s’il mouroit devant elle,
 Qu’on la fist mourir apres luy.
***
 Le cruel Epoux de Monime,
 Fit aussi le mesme souhait ;
 Mais il passa jusqu’à l’effet,
Et mesme avant sa mort offrit cette Victime.
Vaincu par sa Captive au Siege de Millet,
 Il en avoit fait une Reyne ;
 Mais à cet éclatant bienfait,
 Monime préferoit sa chaîne.
***
Ses Fers furent dorez, sans en estre plus doux.
Assise sur le Trône, elle resta Captive ;
 Mithridate devint jaloux,
Et cette Ame barbare, inquiete, craintive,
Fut un Bourreau pour elle, & non pas un Epoux.
***
Veritables Amans, qu’une flâme plus belle,
Jusqu’au dernier moment, anime vos soûpirs ;
 Mais sur un semblable modelle
 Ne formez jamais vos désirs.

Laquelle est à préferer, de la beauté de la Bouche, ou de celle des Yeux ; de la beauté des Cheveux, ou de la beauté du Teint.

Antre sacré d’amour, & de Cypris,
Source de flâmes & d’esprits,
Palais de volupté, la merveille des choses ;
 Bouche, dont je suis enchanté ;
Je m’enyvre d’amour dans des Coupes de Roses,
 Quand je contemple ta beauté.
***
C’estoit ainsi que dans mes jeunes ans,
Aux attraits de Philis j’abandonnois mon ame ;
Sa bouche me donnoit des transports ravissans,
Mais ses beaux yeux me mettoient tout en flâme.
***
 Je l’avouë, un bel œil me touche,
 Encor plus qu’une belle bouche ;
 Et soit que de l’azur des Cieux,
 La Nature ait peint de beaux yeux,
Soit que d’un verd naissant son pinceau les colore,
 Ou soit qu’une sombre noirceur
Releve de leurs feux & l’éclat, & l’ardeur,
De toutes ces couleurs mon ame les adore.
***
 Astres vivans, Globes mobiles,
 Miroirs du cœur & de l’esprit ;
Je prens à vous loüer des peines inutiles,
Car que dire de vous,que ce qu’on en a dit ?
***
Graces, charmes, attraits, agrément, éloquence,
En faveur de la bouche, engagez tous les cœurs ;
Sur elle de beaux yeux seront toûjours vainqueurs.
Et toûjours en amour auront la préference,
***
Jadis de beaux cheveux m’ont vivement atteint,
 Et souvent d’une belle teste,
 Je suis devenu la Conqueste ;
Mais encor plus souvent Esclave d’un beau teint.
***
Ces chaînes aujourd’huy ne sont plus à la mode,
 On rompt bien-tost ces foibles nœuds ;
Et des cheveux d’autruy depuis qu’on s’accommode,
On ne se laisse plus prendre par les cheveux.
***
Mais toûjours d’un beau teint on se trouve enchanté,
 Il n’est point de cœur qu’il ne blesse ;
C’est l’ornement des traits, la fleur de la beauté,
 Et la marque de la jeunesse.

Du bon & du mauvais usage de la Lecture.

On dit que nuit & jour, vous lisez les Romans,
Et les petits Livres galans ;
Vostre Directeur en murmure,
Et dit que c’est perdre le temps ;
Mais pour éviter sa censure,
Et lire en toute seûreté ;
Belle Iris, lisez le Mercure,
Vous joindrez dans cette lecture
Le plaisir, & l’utilité.

De quelle maniere les images des Objets sensibles sont reçeuës dans les facultez corporelles.

En vain, ma Muse, tu te flates
De remporter icy le prix ;
Il faut laisser aux beaux Esprits,
Des Questions si délicates.
***
 Mais peut-estre que tu proposes
 De luy donner un autre tour ;
 Je t’entens, tu crois que l’amour
Nous fait comme le Vin, dire de belles choses.
***
 Hé-bien, j’approuve ton dessein,
D’une flâme amoureuse échaufe-moy le sein ;
 Pourvû que la Philosophie
Me conduise toûjours & l’esprit & la main,
Je veux-bien par ces Vers contenter ton envie.
***
 Iris, vostre charmante Image
 Dans tous mes sens trouve passage,
Par tout je la rencontre, & par tout je la vois,
Depuis que je vous vis pour la premiere fois.
***
Si-tost que vos beaux yeux dans les miens se peignirent,
Aussi-tost vostre Image entra dedans mon cœur ;
Et pour la recevoir avec plus de chaleur,
D’un sang pur & subtil les esprits se joignirent.
***
Alors de chaque trait, ces atômes brûlans
 Prennent la forme & la figure ;
Dans la masse du sang tracent cette peinture,
Passent de veine en veine, & la portent aux sens ;
Jugez si ces portraits tirez d’apres nature
 Doivent estre bien ressemblans.
***
C’est donc ainsi que des plus Belles,
L’amour imprime les portraits,
Dans les facultez corporelles.
Nostre ame conçoit les objets
Par ces Images naturelles,
Et nos sens courent apres elles.
***
 Si quelqu’un d’une ame peu tendre,
Et pour faire valoir l’école & l’argument,
 N’approuve pas ce sentiment,
Qu’il raisonne en Docteur, je suis prest de l’entendre ;
 Pour moy, je raisonne en Amant.

S’il est plus seûr & plus avantageux, quand on est malade, de se servir de la méthode de Gallien, opposant contraria contrarijs, que de celle de Paracelse, opposant similia similibus, pour le recouvrement de la santé.

Vous le sçavez, Iris, je languis nuit & jour,
 Et mon mal devient incurable ;
En vain jusqu’à present j’ay tenté tour à tour,
Ce qu’un juste dépit a de plus raisonnable,
 Je voy trop bien qu’au mal d’amour,
 Il faut un remede semblable.
***
 C’est à dire qu’il faut, Iris,
 Pour soulager ma peine extréme,
Qu’une aimable douceur succede à vos mépris,
Et qu’enfin vous m’aimiez autant que je vous aime,
***
 N’imitez pas ces cruels Medecins,
Qui toûjours à nos maux appliquent les contraires ;
 Il est malgré ces Assasins,
 Des remedes plus salutaires ;
Un peu de complaisance, & de soins amoureux,
Guérit en un moment un Amant langoureux.
***
 La méthode de Galien,
 En amour ne vaut jamais rien ;
Celle de Paracelse est d’un meilleur usages
 Et dans les amoureux combats,
Elle a comme à la guerre, empesché le trépas.
Mais pour en profiter, ce n’est rien d’estre sage,
Il faudroit estre heureux, & je ne le suis pas.

De la Fevrerie.

Sur la Lettre à Monseigneur le Duc de S. Aignan §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV), p. 114-132.

SUR LA LETTRE S,
A MONSEIGNEUR
LE DUC DE S. AIGNAN.

Monseigneur,

Je ne sçaurois assez déclamer contre l’injustice de l’Ortographe nouveau, qui voudroit malgré l’Usage ancien, supprimer la Lettre S des termes les plus ordinaires, les plus beaux & les plus nécessaires dans nostre Langue. Ces vingt-trois Filles de l’Alphabet François, ne doivent pas estre séparées d’une Sœur à qui elles sont soûmises, & elles prétendent avec justice, qu’un Accent ne suffit pas pour suppléer au defaut d’une telle Lettre. Puis qu’elle entre la premiere au Sénat, & qu’elle rend à chacun le Sien, pourquoy ne luy pas rendre ce qui luy est dû ? Sans S, le Dictionnaire François de Messieurs de l’Académie ne seroit jamais achevé, & celuy de l’illustre Morery ne seroit pas remply de tant de choses curieuses ; on seroit privé de voir les Conquestes de Loüis le Grand le Pere des Lettres, & les belles actions de ses braves Capitaines ; on ignoreroit ce qui s’est passé à Strasbourg, à S. Omer, à Stenay, à Spire, dans les Forts de Sckenk, de S. André, de Sainte Anne, & de Sar-Loüis ; dans les Combats de Seneff, de Scorendoff, & de Sommerhoüen, dans les Isles de S. Christophe, de S. Eustache, & dans une infinité d’endroits. L’Académie Royale d’Arles ne vanteroit point tant son S. Aignan, Alby sa Viguiere de Salvan de Saliés ; en un mot, la France ses Sapho, la Suse, Scudéry, Serment, & tant d’autres qui font la gloire & l’ornement de leur Sexe.

Il faut avoir recours à S, pour connoistre la Substance, la Subsistance & la Solidité des choses. Son caractere est sublime. En effet, c’est elle qui fait les Souverains, qui est le principe de la Santé, la porte des Sciences, & la voye du Salut ; c’est elle qui commence les noms de Sauveur, de Seigneur, de Sainteté, de Sire, de Serénissime ; elle entre dans ceux de Majesté, de Hautesse, d’Altesse, de Princesse, & de Maistresse ; elle forme les Surnoms ; elle entretient la Societé des beaux Esprits. Les Poëtes luy sont redevables de leurs Saillies & de leurs Sonnets ; les Grammairiens ne connoîtroient point la Signification des termes, ils ne feroient point des regles de Syntaxe ; les Orateurs n’auroient pas recours aux Synedoches, aux Sustentations, ny à tant de Synonimes ; le nombre Singulier ne seroit pas distingué du pluriel, non plus que les Substantifs des adjectifs, dans la Grammaire. Les Sophistes ne mettroient point en avant leurs Subtilitez, ny les Logiciens leurs Syllogismes ; les Sourds ne s’entendroient point, puis qu’il n’y auroit point de Signes ; les Musiciens ne feroient point de Symphonie, & ne donneroient point de Serenades, puis qu’il n’y auroit point de Sons ; les Mathematiciens ne discoureroient pas des Sections, ny des Superficies. Y auroit-il dans les Ecoles des Sectateurs, des Sçavans dans les Universitez, des Docteurs en Sorbonne, des Secretaires dans les Etats, des Sénateurs dans les Parlemens, des Soldats dans les Armées, des Sentinelles aux Portes, des Substituts au Parquet, des Surintendans des Finances, des Sommes au Trésor Royal, des Seneschaux, des Sousbrigadiers, des Souslieutenans, & des Sousgouverneurs ? Comment feroit-on des Soûtenemens, des Salvations, des Sommations & des Saisies ; & que deviendroient les Sergens ? Pourroient-ils Soufler des Exploits, & Surprendre les Parties ? Car sans S, on ne signifieroit plus, les Syndics seroient sans employ, les Prestres sans Sousdiacres, les Archevesques sans Suffragans, les grands Seigneurs sans Serviteurs, les Souverains sans Sujets & sans Suite, la terre mesme seroit privée des influences Sublunaires.

Les Curieux de l’Histoire ne feroient point tant de cas des Mémoires de Sully ; les Personnés de Pieté, des Lettres de S. Cyran ; les Theologiens Scolastiques, de Sylvius, de Scot & de Suarés ; les Philosophes Moraux, des Stoïciens, de Socrate & de Seneque ; ny les Génealogistes, des Soubises & des Seguiers. En vain les Geographes citeroient-ils Sanson ; la Seine, la Saone, la Scarpe, la Saverne & la Sambre ne seroient point remarquez dans la Carte ; & la Gazette ne parleroit point de ce Camp dernier sur la Sarre, des Exploits du grand Sobiesky, du Siege de Strigonie, du Voyage du Comte de S. Amand ; nous ne recevrions point de Nouvelles de Stokolm, de Sardagne, de Savoye, de Sicile, de Syrie, ny de Siam. On n’écriroit point les vies des Solitaires de l’Arabie & de la Thebaïde, ny des Sages de la Grece ; les mœurs des Sauvages, des Satrapes, des Scythes, des Sarmates, & des Saxons, nous seroient encore inconnuës, & nous ne serions point alliez avec les Suisses.

Les Mythologistes n’exposeroient point à nos yeux les charmes des Syrénes, la Feste des Saturnales, celle des Sybarites, les Satyres, les Sylvains, les tourmens de Sisiphe, ny le monstre de Sphinx. Les Oracles des Sybilles passeroient pour des Fables, aussi-bien que les Sylphes & les Salamandres parmy les Cabalistes. Les Chymistes n’estimeroient point tant leur Soulfre ny leur Sel ; les Astronomes ne raisonneroient point tant du Soleil, ny de la Sphere ; les Theologiens Moraux, de la Suspension, de la Symonie, de la Superstition & des Sacremens. Les Astrologues ne compteroient point parmy les Planettes un Saturne, & la Semaine seroit sans Samedy. Ainsi le Sabath ne seroit pas chez les Juifs dans une si grande venération ; le nombre de Sept, qui est si considérable parmy eux, ne seroit pas plus regardé que les autres nombres, quoy que dans les Ecritures Saintes il marque la perfection, & qu’il explique celuy des jours de la Semaine, des Planetes, des Sages de la Grece, des Portes de Thebes, des Embouchures du Nil, & des Merveilles du Monde. Sans ces nombres la Secte de Pithagore seroit meprisée.

Sans la Lettre S, les Fondeurs seroient embarassez, puis qu’ils n’auroient point le Salpestre ; les Sculpteurs avec leurs Scisseaux, & les Anatomistes verroient leurs Arts inutiles, car ils ne pourroient faire ny des Statuës ny des Squelettes. Les Comédiens n’auroient ny Sujets, ny Scenes ; les Faiseurs de Romans ne feroient point entrer si souvent en conversation les Sylvandres & les Sylvies ; les Voltigeurs ne feroient point de Sauts périlleux. Il n’y auroit point de ces Spectacles qui surprennent les yeux des Spectateurs ; l’Ecole de Salerne ne publieroit pas si hautement les vertus des Sirops, du Séné, & du Sublimé, les Symptomes des madies, la Siatique, la Strangurie, la Squinance, le Spasme, la Suffocation, les Syncopes, les Saisissemens, les Sueurs, les Serositez, ne seroient pas des termes de Médecine ; & Messieurs de la Faculté de Paris, qui tiennent pour la circulation du Sang, n’ordonneroient pas si fréquemment la Saignée.

L’expérience nous apprend que c’est par S qu’on distingue les Sens & les Saveurs, qu’on obtient des Sentences, qu’on donne des Suffrages, qu’on décrit des Sieges, qu’on compose des Sermons, qu’on découvre des Sources, qu’on forme des Souhaits, qu’on fait des Signatures, qu’on met les Scelez, qu’on appose les Sceaux, que l’on compte la durée des temps par les Siecles, & leur diversité par celle des Saisons ; qu’on marque la diférence des Sexes, qu’on se sert de Supposts dans les Armoiries, & de Symboles dans la Religion, comme autant de Similitudes, pour mieux faire entendre les choses Sublimes, Spirituelles, Saintes & Sacrées, par des choses Sensibles.

S’il n’y avoit point de Lettre S, il n’y auroit point de Scrupules à former, point de Seminaires établis ; de sorte que les Supérieurs se trouveroient sans fonctions. La Situation, & la Symétrie des corps, comme la Serénité de l’air, dépendent en partie de cette Lettre.

Il est vray, Monseigneur, qu’on l’accuse de causer les Soins, les Soucis, les Suppressions, & les Souffrances ; de faire les Subsides, les Servitudes & les Supplices ; de former les Sanglots, les Soûpirs & les Soupçons ; d’attirer les Severitez des Belles, & les dépenses Somptueuses des Amans ; d’inventer les Sortiléges, de faire des Sacriléges, de dire des Sottises, de produire la soif, la Sterilité, la Sécheresse, & mille choses sinistres ; mais elle ne les nomme que comme un Sardanapale, pour en donner de l’horreur, puis que son inclination & son intention ne sont que de Seconder, de Soulager, de Secourir, de Soûtenir, de Soûrire, de Souscrire, de Survenir, de Solliciter, de Substituer, de Sauver, de faire Subsister ; en un mot, de Satisfaire les personnes par des Services, par des Soûmissions, & par des Sacrifices, en tâchant d’entretenir parmy les esprits la Sympathie, & de faire gouster aux corps un repos Salutaire par le Sommeil, éloignant toutes les Sensualitez par ses beaux Sentimens. En effet elle est si Sage, qu’elle fait garder aux Politiques le Silence, la Solitude aux Sçavans, & la Simplicité aux Devots.

Avoüez, Monseigneur, que c’est une impertinente maniere de parler, quand une Personne est yvre, de dire qu’elle fait des S S, puis que cette Lettre au contraire est la marque de la Sobrieté ; mais nous avons beau faire, c’est une erreur invéterée dans les esprits populaires, qui ne doit mourir qu’avec eux. Il faut donner au vostre qui est élevé, quelque chose digne de luy, & digne d’une Lettre qui a l’avantage de commencer & de finir vostre Nom ; François de Beauvilliers Duc de S. Aignan. Syllabes prétieuses, gravées dans le Temple de Mémoire, dans les cœurs de vos Académiciens, & des Gens de Lettres. L’Histoire Sacrée, & Prophane, nous fournit des éloges pour S. Sans elle nous n’admirerions pas la sagesse d’un Salomon, la force d’un Sanson, la beauté de Sara, la chasteté de Susanne, ny les superbes édifices de Semiramis. Scipion, Sesostris, & Seleucus seroient dans l’oubly ; nous ne remarquerions point les Sectes des Saducéens & des Samaritains ; nous ne sçaurions ce qu’on appelloit les Scribes & les Septante. Le Sanctuaire, la Montagne de Syon, le Serpent d’airain, la Synagogue & les Synodes ne seroient point citez dans les chaires. Parleroit-on de Saül, du Prophete Samuël, des Seraphins dans les Hierarchies, de Simon le Magicien, du S. Siege Apostolique, & de tant d’Herétiques, des Stancariens, des Suitniceans, des Spirituels, ou Séparez, des Scriptuaires, des Sanguinaires, des Sabbataires, des Significatifs, & des Sacramentaux ; & dans le Nouveau Testament, de la Samaritaine, qui est le Tableau de la Grace ?

Le Sopha, le Serrail, la Sultane, Soliman, & le Salamalec chez le Turc, le Sophy & le Schac chez les Perses, & parmy les Indiens le Samorin, seroient autant de contes, sans la Lettre S, qui les fait connoistre par les récits veritables qu’elle en fait ; ou du moins toutes ces choses, comme les précedentes, changeroient de noms ; ainsi le Soleil, cet Astre qui a esté adoré par les Egyptiens, n’auroit plus le sien.

En verité, Monseigneur, nous avons de grandes obligations à cette Lettre, puis que sans elle il n’y auroit point de Superiorité ny de Subordination dans les Charges, point de Sûreté dans le Commerce, point de Sincerité parmy les Amis, point de Secret parmy les Courtisans, point de Sermens en Justice, enfin point de Santifications parmy les Fidelles.

Dans le monde on ne parleroit point, on n’écriroit point, & l’on n’agiroit point Sérieusement. Dailleurs, nous ne pourrions jamais ny Supplier les Gens, ny les Saluer, ny les Servir ; & nous serions bien embarassez de finir les Lettres, ou de faire des Complimens sur le champ, sans les termes de Serviteur & de Servante.

Guyonnet de Vertron, Historiographe du Roy, & de l’Académie Royale.

La Métamorphose d’Amarante & d’Aristée, changez l’une en Vigne, & l’autre en Ormeau §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV), p. 132-138.

LA METAMORPHOSE
D’AMARANTE & D’ARISTÉE,
Changez l’une en Vigne, & l’autre
en Ormeau.

Dans le plus ravissant Hameau
Qui soit sur le bord de la Seine,
Où l’aimable Fils de Cyrene
Fit paître autrefois son Troupeau ;
Vne jeune & rare Merveille,
Qui ne vit jamais sa pareille,
Surprit les yeux de ce Berger ;
Il luy conta cent fois ses peines,
Et quel charme sçût l’engager
A porter de si douces chaînes.
***
 Si d’abord le seul nom d’amour
Effraya la belle Amarante,
La force en fut assez puissante
Pour ne pas l’y réduire un jour.
Un cœur n’est jamais invincible ;
Pour peu qu’il puisse estre sensible,
Ce Dieu sçait en venir à bout ;
Il en appaise les allarmes ;
Et luy, pour triompher de tout,
Fait agir quelquefois ses charmes.
***
 Le Dieu qui forme les Saisons,
Avoit vû ce Berger fidelle,
Depuis qu’il chérit cette Belle,
Cueillir quatre fois ses moissons.
Ses soins, sa tendresse, & sa flâme,
N’en ont encor pû toucher l’ame,
Mais l’amour ne veut qu’un moment ;
Un soûpir, mais un soûpir tendre,
Va satisfaire cet Amant,
Et ce soûpir s’est fait entendre.
***
 Hé-quoy ? dit-il, les justes Cieux
Touchez de mon sort déplorable,
De vostre cœur inéxorable
Me font enfin espérer mieux.
Ce soûpir d’un heureux augure
Ne sort pas d’une ame si dure,
Qu’il n’en marque les sentimens ;
Mon cœur en ressent de la joye,
Et je respire en ces momens
Du bonheur que le Ciel m’envoye.
***
 La Belle rougissant un peu
Du feu qu’elle sent en son ame,
N’en sçauroit déguiser la flâme,
Et n’ose en faire un desaveu.
Ce feu brille sur son visage,
Et luy donne tout l’avantage
Qui naist d’une noble pudeur ;
Mais puisqu’une couleur si prompte
Trahit les secrets de mon cœur,
Epargnez, dit-elle, ma honte.
***
 Aristée alors plus charmé
De l’aveu que fait Amarante,
Voit combien son bonheur s’augmente
Par la gloire d’en estre aimé.
Ce n’est plus que soins, que tendresse,
Que doux sentimens, qu’allégresse,
Qu’il luy vient marquer chaque jour ;
Dieux, qui réglez leur destinée,
Couronnez bientost leur amour
Par les nœuds d’un doux Hymenée.
***
 C’estoit aux plus beaux de leurs ans,
Que le Berger & la Bergere,
De leur amour pure & sincere
Goustoient les plaisirs innocens.
Le point-du-jour qui les assemble,
Les fait souvent se rendre ensemble
Dans les Champs, ou sur les Côteaux ;
Mais le devoir qui les y meine,
Ne conjoint pas tant leurs Troupeaux,
Que leurs cœurs en la mesme Plaine.
***
 Leur amour tendre, mais discret,
Qui croist avecque leurs années,
Les fait chérir leurs destinées,
Sans découvrir leur feu secret.
La fidélité, la Constance,
Entretient leur douce espérance
De s’unir par un si beau nœu,
Que l’Amour mesme pourroit dire,
Que jamais un plus noble feu
N’a sçeu briller dans son Empire.
***
 Mais un Rival né pour troubler
L’amour de la chaste Bergere,
En a déja gagné le Pere,
Et ses desseins la font trembler.
L’effroy de son ame craintive,
De toutes ses forces la prive,
Et la réduit à soûpirer ;
Viens au secours, cher Aristée,
Amarante peut expirer
Avant qu’elle soit assistée.
***
 Cet Amant qui haste ses pas,
La reçoit si foible & si lasse,
Que bien qu’il la tienne & l’embrasse,
Elle languit entre ses bras.
Leur ame est vivement atteinte
De douleur, de regret, de crainte
De voir rompre des nœuds si beaux ;
Que les Dieux touchez de leur peine,
Les changeant en deux Arbrisseaux,
Leur ostent leur figure humaine.
***
 Leurs corps comme un tronc s’endurcit,
Leurs bras & leurs mains se roidissent,
Leurs pieds en fibres s’arrondissent,
Et leur peau par tout s’épaissit.
Ce n’est plus l’Amant ny l’Amante,
Mais c’est une Vigne rampante,
Qui d’un Ormeau veut s’approcher ;
Leur naturelle sympathie
Marque assez qu’à s’entrechercher
Leur flâme n’est pas amortie.
***
 L’amour regne toûjours entr’eux,
Et quoy qu’ils soient couverts d’écorce,
Il leur fournit assez de force
Pour se joindre encore tous deux.
C’est là ce Symbole visible
De ce lien indivisible
Que deux cœurs ensemble ont formé,
Lors qu’en leurs ardeurs mutuelles
L’un de l’autre est toûjours aimé,
Et qu’ils meurent tous deux fidelles.

Rault, de Roüen.

Sentimens sur les Questions proposées dans le XXIV. Extraordinaire §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV), p. 138-146.

SENTIMENS SUR LES
Questions proposées dans le XXIV. Extraordinaire.

S’il est vray, selon une des Maximes de l’Opéra nouveau d’Amadis, qu’un peu d’amour cause moins de peine, que l’embarras de défendre son cœur.

 Depuis que je vis sous les Loix
 De l’incomparable Climene,
 Mon cœur ressent bien moins de peine
 Qu’il n’en ressentoit autrefois,
Quand croyant que l’Amour n’eust pour ceux qu’il inspire
 Que de vains & trompeurs appas,
 J’eusse préferé le trépas
Au malheur de passer mes jours sous son empire.
Mais que j’estois aueugle, & que c’estoit à tort
Que mon esprit craintif se formoit ces chimeres !
 J’éprouve bien un plus doux sort ;
Et les chaînes que j’ay, sont beaucoup plus légeres
Que n’estoit l’embarras de défendre mon cœur
 Des traits de ce charmant Vainqueur.

Si la jalousie qui vient de l’amour, est plus dangereuse dans ses effets, que celle qui vient de l’ambition.

Vous demandez, Philis, quel est mon sentiment
Sur cette Question que Mercure propose ?
 Si je conçois assez la chose,
 Je vous répondray hardiment,
Qu’un cœur ambitieux, atteint de jalousie,
Est plus à redouter que celuy d’un Amant,
 Qui recourant au changement,
Trouve la fin des maux dont son ame est saisie,
 Lors qu’il voit qu’un Rival heureux
Ne luy fait rencontrer qu’un Objet rigoureux
Dans la Beauté, qui se disant fidelle,
 Luy répondoit d’une amour eternelle.
Si l’on en voit quelqu’un dont l’esprit outragé
 Ne respire que la vangeance,
Dés qu’il vient à songer qu’il ne reçoit l’offence
Que d’un volage cœur lâchement partagé,
 Il ne sçait, pour se satisfaire,
 Qui doit plutost éprouver sa colere,
 Ou sa Maîtresse, ou son Rival.
Mais quand l’ambition sur une ame domine,
On ne respire plus que le moment fatal
De voir son Ennemy pour le battre en ruine.
En vain nostre Grand Roy nous défend les Duels ;
Ses ordres souverains n’ont point eu la puissance
 D’arrester ces Esprits cruels
 Dans une entiere obeïssance ;
 Aveuglez de la passion
 Qui part de leur ambition,
 C’est pour eux un mal necessaire
De répandre du sang pour calmer leur couroux,
Et l’unique moyen qui puisse satisfaire
 Tous les Ambitieux jaloux.

Si boire du Vin sans Eau, & en suite de l’Eau pure, fait le mesme effet pour la santé, que de boire du Vin meslé avec de l’Eau.

Je laisse aux Medecins la résolution,
 De la troisiéme Question,
 Elle regarde leur Science,
Et je trouve qu’ils ont un fort engagement,
 Pour prouver leur expérience,
D’en donner un solide & sçavant jument.
Quant à moy, ce que je veux dire
 N’est qu’un foible raisonnement,
 Un discours sans nul ornement,
Et non pas une Loy que je veüille prescrire.
Je suis pour le Vin pur, & pour l’Eau prise apres,
 Que je croy d’un pareil succés
 Que le Vin & l’Eau qu’on mélange.
 Si ce sentiment est constant,
 On ne doit pas trouver étrange
 Que le Vin se recherche tant ;
 C’est qu’en ce jus incomparable
 L’on rencontre tout-à-la-fois
 L’utile avec le délectable,
 Quand on n’en prendroit que deux doigts.
A quoy bon donc vouloir défaire
 Ce que le Souverain a fait ?
 Je trouve que c’est un forfait ;
 Et si l’Eau nous est necessaire,
Il faut la prendre à part, & toûjours le Vin pur,
 C’est là, selon moy, le plus seûr.

Quelle est l’origine des Jeux.

Si l’on croit Hésiode en sa Théogonie,
 Vulcain par son divin génie
Voulut produire au jour la premiere Beauté.
Il la forma de terre, & l’ayant animée,
De tous les autres Dieux elle fut estimée
 Comme l’est toute nouveauté ;
Des dons les plus exquis chacun luy fit largesse,
Vénus de ses attraits, Pallas de sa sagesse,
 De ses riches trésors Junon,
 Mercure de son éloquence,
 Et de sa Musique Apollon ;
Ainsi des autres Dieux, qui tous en abondance
 Luy verserent à pleines mains
Ce qui fait aujourd’huy le bonheur des Humains.
 Plus brillante alors que l’Aurore,
Par un Decret divin on la nomma Pandore,
Car Pan, veut dire tout, & dore autant que don ;
Ces deux mots assemblez composerent son nom.
Mais du Grand Jupiter la puissance irritée
 Contre l’insolent Prométhée,
 Dont le cœur trop audacieux
 Avoit dérobé dans les Cieux
Le feu qu’il y gardoit, pour l’apporter sur terre,
 L’engage à prendre son Tonnerre,
 Pour vanger sur tous les Mortels
Cet affront outrageant ; & quoy qu’à ses Autels
 Chacun fist des vœux pour luy plaire,
 On ne pût de ce Dieu jaloux
 Jamais appaiser le courroux.
Pour ne pas démentir son divin caractere,
 Sans redouter fatigues ny travaux,
 Il va rechercher tous les maux,
Afin de les cacher dans la fatale Boëte
Que Pandore reçoit pour venir icy-bas
 Apporter ce funeste amas
Plus viste qu’on ne voit tourner la Giroüette.
Faisant tous ses efforts afin de le vanger,
 Elle entre chez Epiméthée,
 Jeune Frere de Prométhée,
Dont l’esprit étourdy craignoit peu le danger.
Il ne refuse pas la Boëte qu’on présente,
Le dehors en estoit artistement gravé ;
Le présent à son gré surpassoit son attente,
C’estoit pour mieux surprendre un Ouvrage achevé.
Il l’ouvre, & tous les maux que cette Boëte enserre
Se trouvent dispersez aussitost sur la terre
Les Jeux estoient compris dans tous ces maux divers,
(C’est de là que je tiens que vient leur origine ;)
Et comme on les croyoit de naissance divine,
Ils furent bien reçeus d’abord dans l’Univers.
 Mais bientost après les plus sages
 Les décriérent en tous lieux,
 Et firent voir que leurs usages
 Estoient toûjours pernicieux,
 Et plus dangereux que la peste,
 Puis qu’enfin leur effet funeste
 Ne s’arreste pas à nos corps,
 Rendant nostre mémoire infame,
 Et qu’ils font souvent perdre l’ame,
Apres avoir détruit les plus riches trésors.

Alcidor, du Havre.

Sur les scrupules à Madame *** §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV), p. 146-167.

La Lettre qui suit est l’effet d’une Conversation qui a esté faite entre plusieurs Personnes d’esprit, de l’un & de l’autre Sexe, & dans laquelle la matiere des Scrupules fut agitée. Un galant Homme qui s’y rencontra s’estant hazardé à parler de deux Autheurs qui la traitoient tous les jours, une Dame d’un mérite distingué le pressa de dire les noms de ces Autheurs, & d’en expliquer les sentimens. Il ne se tira d’affaires, qu’en luy promettant de luy écrire le lendemain ce qu’elle desiroit sçavoir. C’est ce qu’il fit en ces termes.

SUR LES
SCRUPULES.
A MADAME ***

Le croiriez-vous, Madame, que depuis le moment que j’ay eu l’honneur de vous voir, je n’ay pû assembler les deux Autheurs qui traitent encore tous les jours la matiere des Scrupules, sur laquelle vous m’ordonnez de vous mander leurs sentimens. Je vous avoüe que si vous ne m’y aviez point engagé d’un air si pressant, je laisserois la résolution de vous en entretenir, & ferois un fort grand scrupule de parler des Scrupules devant vous, apres avoir entendu toutes les jolies choses que vous fournites à nostre derniere Conversation. Cet obstacle ne seroit pas moins difficile à vaincre, que celuy d’unir les deux Autheurs dont j’ay commencé de vous parler.

 Car l’un se trouve rarement,
La rencontre de l’autre est bien plus impossible.
 L’un s’échape si finement,
 Qu’il est appellé l’invisible ;
 Par malheur l’autre est si sensible,
 Que quand on vous voit un moment
 On le cherche inutilement.

Apres cela, Madame, je ne croy pas qu’il soit nécessaire de vous déclarer les noms de ces deux Autheurs. Cependant pour vous ôter la peine de les chercher, je veux bien vous les apprendre dés à présent, car je prévoy que vous vous récrierez sur l’indiscrétion de l’un, & sur l’égarement de l’autre, si je ne vous préviens un peu en leur faveur.

 L’un est le Cœur, l’autre l’Esprit.
 L’un parle, l’autre s’attendrit,
L’un a beaucoup de feu, l’autre sans cesse brûle,
 Et tous deux forment le Scrupule ;
Quoy que l’on sçache bien qu’en scrupule, le Cœur
Est bien plus que l’Esprit un dangereux Autheur.

Si je me sentois beaucoup de l’un, & s’il se pouvoit faire que je sentisse encore l’autre, je tâcherois, Madame, de leur faire tenir un langage qui fust digne de vous ; mais puis que je dois desesperer de ces deux entreprises, accommodez-vous, je vous conjure, de ma stérilité, sur un sujet où il y a tant de belles choses à dire. Si elles naissoient aussi facilement au bout de ma plume, qu’elles sortent naturellement de vostre bouche, je serois beaucoup moins embarassé à vous obeïr & à vous satisfaire ; mais, Madame, je vous avoüe de bonne foy, que tous les efforts que je fais pour avoir de l’esprit sont fort inutiles ; & quoy que je vous montre icy la diférence d’un grand nombre de Scrupules, je suis toûjours persuadé que je n’ay pas penétré la profondeur de cette matiere, sur laquelle j’apprehende fort que vous ne me fournissiez de trop bons Mémoires. Ainsi, Madame, apres vous avoir dit ce que je crains, je croy qu’il est temps de vous dire ce que je pense.

J’ay donc tiré avec le secours de l’Esprit, les sentimens & les délicatesses du Cœur sur la nature des Scrupules ; & comme celuy-cy débute toûjours par les choses qui l’intéressent, il m’a laissé voir ce qui se passoit de plus profond chez luy, & m’a fait entrer dans le secret de ses mouvemens, dont l’un des plus grands est la tendresse, & qui plus que tout autre a des Scrupules plus violens, mais aussi plus aisez à vaincre, sur tout quand un Amant a trouvé la résolution d’en faire passer le secret jusques à l’objet à qui d’abord on le cache, & qui seul enfin le doit sçavoir, ayant seul aussi le pouvoir d’y remédier, & de le reconnoistre.

C’est alors que l’on sent que d’un tendre secret
 Naist le Scrupule de Tendresse,
 Qu’on n’explique pas tout-à-fait ;
 Car certaine délicatesse,
 Qui du Cœur se rend la maîtresse,
 Luy fait craindre d’estre indiscret.
 De la crainte on passe au regret,
 Du regret on tombe en tristesse.
C’est ainsi que le Cœur, d’un Scrupule imparfait
 Forme un Scrupule de sagesse,
 Que souvent il a la foiblesse
 De se proposer pour objet.

Tous ces mouvemens dont je vous parle icy, Madame, ont encore leurs Scrupules particuliers ; mais comme ce sont des Scrupules du ressort de l’autre, & qu’ils ont en cela le mesme destin que les passions qui les produisent, dont le seul amour est la source, je demeureray plus court sur cet article, & continuëray de vous ouvrir mes sentimens sur un autre genre de Scrupules, qui bien qu’il soit fort à craindre, ne laisse pas neanmoins d’estre fort à la mode.

 C’est le Scrupule de Mistere,
 Qui n’est pas moins embarassant ;
 S’il faut parler, s’il faut se taire,
 Il est vain, il est impuissant.
S’il faut aimer, haïr, s’il faut plaire, ou déplaire,
Tantost il est coupable, & tantost innocent.
Trop heureux est celuy qui n’a jamais affaire
 De ce Scrupule complaisant,
Qui n’est plus bon à rien, puis qu’il n’est pas sincere.

Je croy, Madame, que je trouveray vostre suffrage, pour mieux finir la condamnation de ce dangereux Scrupule, qui par son langage incertain, est autant inutile à la feinte, qu’il est presque toûjours contraire à la sincerité. Cette seule raison suffiroit pour vous en faire détester l’usage ; à vous, dis-je, qui faites une profession ouverte d’estre sincere, que vous soûtenez si merveilleusement, & par vos actions, & par vos paroles.

Enfin, Madame, pour abreger la matiere des Scrupules qui touchent aux intérests du Cœur, je me persuade que vous agréerez bien que je laisse voir icy une petite distinction, que l’on ne fait pas assez dans le monde, & sur laquelle il semble mesme que les délicats passent un peu trop legérement. Ce sont les Scrupules que l’on doit faire de l’amour, & en amour, qui par leur grande conformité sont fort aisez à confondre, & de qui cependant les effets ne doivent pas estre confondus.

 Quant au Scrupule de l’Amour,
 C’est de sentir de la tendresse,
 Et de soûpirer tour à tour,
Soit que l’on soit Amant, soit que l’on soit Maistresse ;
Mais souvent tous les deux ont la même foiblesse,
 Et de crainte de s’enflamer,
 Ils font un Scrupule d’aimer.

Voila, Madame, ce qui fait le premier Scrupule, dans lequel sans doute le desir de conserver nostre repos & nostre liberté, nous entraîne ; mais aussi quand le Cœur ennuyé de cette oisiveté, commence un choix digne de son amour, & qui reconnoist sa tendresse,

C’est alors qu’on le nomme un Scrupule en Amour,
 Que l’Amant & que la Maîtresse
 Ressentent chacun à leur tour,
Quand doutant de l’excés d’une égale tendresse,
 On les voit se dire sans cesse,
 Animez de leurs tendres soins,
Hélas, je t’ayme trop ! Helas, tu m’aimes moins !

C’est, Madame, le second Scrupule, qui, comme vous voyez, est bien diférent de l’autre. Cependant cette incertitude qui fait la délicatesse du tendre amour, est toûjours si agréable, que l’on craint avec raison d’estre tiré de cette erreur ; car rien n’allarme tant deux cœurs qui aiment, que d’entreprendre une justification qui puisse les faire revenir de toutes ces craintes, & de tous ces reproches. Mais, Madame, ne me laissay-je point emporter au torrent, & ne murmurez-vous point secrettement contre moy, d’outrer une matiere qu’il est si dangereux de toucher, quand on en entretient une aussi charmante Personne que vous ? Ce Scrupule m’arreste.

 Ah Dieux ! quel est donc mon Scrupule ?
 Faut-il que je le dissimule ?
 Ouy, je ne dois pas l’exprimer,
 Le silence me doit suffire.
 Fut-il jamais un tel martyre ?
Lors qu’on ne fait nul Scrupule d’aimer,
Pourquoy fait-on Scrupule de le dire ?

Le Cœur en cette rencontre n’oublie rien pour le laisser remarquer ; il se fait un langage des soins, des soûpirs, des regards, & du silence mesme. Mais l’Esprit, qui fait un peu plus le capable, suspend tous ces mouvemens par un esprit de Politique, d’où naist le Scrupule de Conscience.

 Car c’est bien un autre accident,
 Quand une fausse expérience
 A sur le Cœur cet ascendant,
 Qui fait y naistre en un moment
 Le Scrupule de Conscience.
 Un soûpir alors est un mal,
 Qui tire à quelque conséquence ;
Un regard passe encor pour crime capital ;
 Enfin tout y devient fatal,
 Sans l’aide de la Pénitence.

On cherche dans la solitude un azile pour se parer contre le malheur dont on reçoit la menace. L’Oraison & la Priere ferment l’oreille & le cœur aux vœux d’un Amant ; on se retire du bruit & du monde, on interrompt toute sorte de commerce avec ceux qui y sont encore ; enfin on s’arme d’une austere vertu, pour se mettre en sûreté contre les airs tendres d’un Amant, & contre les forces de l’amour.

Mais lors que la vertu tourne tout en Scrupule,
 N’entend, ne voit rien qu’à regret,
 Qu’elle est rude, morne, incredule
Pour tout ce qui se dit, pour tout ce qui se fait,
 C’est une vertu ridicule.
 Ce n’est pas là le bel effet
 D’une vertu bien scrupuleuse,
 Qui tout au plus n’est que douteuse ;
 Mais tout compté, tout rabatu,
 C’est un Scrupule sans vertu.

Cependant, Madame, on se forme un vray caractere d’insensibilité, sur l’espérance dont on se flate de s’en faire un de vertu ; & c’est une erreur, à laquelle l’Esprit s’abandonne.

 L’on voit souvent qu’un simple Esprit
Se veut mesler d’avoir aussi quelques Scrupules.
Il en fait à son tour, mais de si ridicules,
Qu’on peut les appeller Scrupules à crédit.

Et ce qui l’assure, Madame, dans cet état de perfection où il croit estre monté, c’est qu’il appelle à son secours celuy d’une fausse devotion, dont il fait un usage aussi dangereux, qu’une injuste parade, qui ne servent l’un & l’autre qu’à couvrir ce qu’il sent, & à cacher ce qu’il voudroit faire.

Les Scrupules naissans de la Devotion
Ont bien moins sur le Cœur que sur l’Esprit d’empire ;
Car si l’on ne vit pas sans inclination,
 Si l’on se plaint, si l’on soûpire,
C’est un signe évident de la tentation ;
Si bien que pour toucher à la perfection,
 Il faut tout faire, & ne rien dire.

C’est là, Madame, le secret des faux Devots, qui ne visent qu’à sauver les apparences, dont ils parent une conduite qui feroit souvent beaucoup d’horreur par elle-mesme ; mais pour ne point laisser connoistre la nature de leur secret, ils le laissent échaper sous les airs d’un austere Scrupule, qui leur aide à passer hardiment sur le scandale qui en pourroit arriver ; & dans cet état ils paroissent tout autres qu’ils ne sont, & ne sont pas tout ce qu’ils paroissent.

Mais, Madame, finissons cet épanchement, qui garde toûjours de profonds égards pour la vraye Devotion, & venons au Scrupule de Superstition, que vous me reprocherez justement avoir un peu touché aux dépens de vostre Sexe ; mais aussi quand il est question de lever des Scrupules, que ne doit-on pas faire afin d’en venir à bout ?

Le Scrupule fâcheux de Superstition
 Sent trop la profanation.
 On sçait que la premiere Femme,
 En touchant au Fruit défendu,
 Se sentit un Scrupule en l’ame,
Qu’en mangeant ce bon Fruit elle eut bientost perdu ;
 De mesme un zéle illégitime,
 Dont l’Esprit se trouve empêché,
Fait Scrupule souvent du plus petit peché,
Et n’en fait pas toûjours de faire un fort grand crime.

Il est vray, Madame, que tout le monde ne donne pas également dans cette sorte de Scrupules. L’heureuse éducation, le beau tempérament, & quelquefois un caprice un peu brusque, en corrigent l’erreur, parce qu’on craint que l’usage qu’on en pourroit faire, ne coûtast bien-tost des crimes, & cette crainte detruisant alors ce Scrupule, amene les Scrupules legers, ausquels tant de Gens se trouvent sujets. La multitude en est si grande, qu’elle entraîne la pluspart des honnestes Gens. Ce n’est pas que quand ils se reconnoissent, ils ne condamnent ces Scrupules, & ne paroissent honteux d’en avoir esté les dupes. Ils conclüent tous d’une voix,

 Qu’il faut établir pour maxime,
 Que bien souvent un Scrupule leger,
Au lieu de bien défendre & l’honneur & l’estime,
 Leur fait courre un plus grand danger,
 En les voulant ôter du crime ;
Car ce Scrupule enfin que ce faux zéle anime,
Est nommé justement des Gens de probité,
  Scrupule de legereté.

Ce ne sera jamais le mien à vostre égard, Madame ; & quoy que je ne sois pas Homme à n’en avoir aucun, je vous avouë sans scrupule que j’en ay comme les autres, puis que c’est un bien utile selon quelques-uns, & un mal nécessaire selon quelques autres.

 Je ne suis ny Mistérieux,
 Simple, Leger, Devot, ny Tendre,
 Et bien moins Superstitieux,
 Que je ne puis le faire entendre.
De dire si je suis sincere, vertueux,
Insensible, au moment qu’il faut estre amoureux,
C’est un secret profond, qu’il ne faut point apprendre,
Qu’à l’adorable Objet à qui je dois mes vœux.
 Comprenne qui pourra comprendre,
 C’est un peu trop m’examiner ;
 Ce Scrupule est à deviner.

D. L. N.

S’il vaut mieux soufrir un peu d’amour, que de s’en défendre avec peine §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV), p. 168-169.

S’il vaut mieux soufrir un peu d’amour, que de s’en défendre avec peine.
SONNET.

Fidelles & fâcheux objets de ma mémoire,
Arbitres inconstans de ma félicité,
Délicieux amour, tranquille liberté,
Qui de vous aujourd’huy faut-il bannir, ou croire ?
***
Theatre des ennuis qui flétrissent ma gloire,
Cœur foible & chancelant, n’as-tu pas trop douté ?
Choisis, & fais enfin par un coup arresté,
De ta triste défaite une illustre victoire.
***
Mais que peux-tu choisir dans l’état où je suis ?
Je veux, & ne veux plus, je desire, & je fuis ;
Chers Tyrans, rendez-moy la paix qui m’est ravie.
***
C’est est fait ; ma raison est maîtresse à son tour ;
Revenez & régnez, tranquillité banie,
Taisez-vous, & mourez pour jamais, mon amour.

Dizeus, Doyen de Nostre-Dame du Mur, de Morlaix.

Cinquieme partie du Traité des Lunetes §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV), p. 275-277.

C’est cette maniere de racourcir les Lunetes, qu’il avoit promis, & donné sous des caracteres inconnus, dit-il, dans la 14 page d’un Factum imprimé en 1675. contre l’illustre Mr Hugens, si connu dans l’Empire des Lettres, au sujet du privilege des Pendules de poche. Cela me fait souvenir du Plagiare dont parle Mr Hevelius dans la 24 page de sa Selenographie, & l’appelle Bellus Homo, en tout semblable au Graculus de l’Afranchy de Phédre, tumens inani Graculus, &c. Voicy comme l’illustre Mr de la Fontaine nous l’a conté.

Un Pan muoit ; un Geay prit son plumage,
 Puis apres se l’accommoda ;
Puis parmy les Pans tout fier se panada,
 Croyant estre un beau Personnage.
Quelqu’un le reconnut, il se vit bafoüé,
 Berné, siflé, mocqué, joüé,
Et par Messieurs les Pans plumé d’étrange sorte.

Enfin ce petit, aussi-bien que le grand Visionnaire parfait,

 malè mulctatus Graculus
Redire mœrens cœpit ad proprium genus.

Ce sont les termes de Phédre.

On donnera la suite de ce Traité des Lunetes dans les suivans Mercures Extraordinaires.

[Réponse de Mr Bouchet sur les questions de précédents Extraordinaires]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV), p. 277-283.

Les Réponses qui suivent sont de Mr Bouchet, ancien Curé de Nogent le Roy.

S’il est vray qu’un peu d’amour cause moins de peine, que l’embarras de défendre son cœur.

 A Parler en toute rigueur,
 Un peu d’amour fait moins de peine,
Que de s’embarasser à défendre son cœur
 Contre une belle Hélene.
***
 Mais quand l’amour du Roy des Roys
 Nous tient Esclaves sous ses Loix,
Et nous fait ressentir son attrait invincible,
 On se fait une volupté,
 D’opposer un cœur insensible
 A la plus charmante Beauté.

Si la jalousie qui vient de l’Amour, est plus dangereuse dans ses effets, que celle qui vient de l’Ambition.

Nous ne pouvons souffrir un Concurrent d’amour ;
En matiere d’honneur, un Rival nous offence ;
Et nostre cœur piqué n’oppose nuit & jour
A nos chagrins jaloux, qu’une simple défense.
Mais comme dans l’ardeur de ces deux passions,
Dont le débordement n’est jamais suportable,
L’Amant est moins discret dans ses précautions,
L’Ambitieux jaloux est le moins redoutable.

Si boire du Vin sans Eau, & en suite de l’Eau pure, fait le mesme effet pour la santé, que de boire le Vin meslé avec l’Eau.

 Le Vin, cette chere Liqueur,
Accorde à nostre Corps une force nouvelle ;
Sa chaleur simpatize avec la naturelle,
 Pour nous donner de la vigueur.
***
 Tous ses effets sont innocens,
Par luy de cent chagrins nostre esprit se dégage.
 Il réjoüit le cœur, il réjoüit les sens,
Chacun s’en trouve bien, pourveu qu’on se ménage.
***
Il aide les digestions,
Débouche les obstructions,
Il resiste à la pourriture,
Il consume les cruditez,
Chasse les superfluitez
Qui peuvent nuire à la Nature.
***
 Comme rien n’est si familier
A l’estomach humain que ce jus non sauvage ;
C’est faire tort au Vin, que vouloir le lier
A quelqu’autre Liqueur, pour en faire un brûvage.
***
 Mais épluchant la Question
 Que nous propose le Mercure,
 Je dis pour nostre instruction,
Et pour le bien commun de toute la Nature,
 Qu’il vaut bien mieux dans le Repas
Tremper son Vin avec une Eau fort claire,
Que de boire l’Eau seule, & ne l’en tremper pas ;
 Ce qui semble peu salutaire.
***
Avant qu’avoir mangé, comme on boit rarement,
Le Vin facilement se porte au ventricule ;
Le ventricule aussi fort simpatiquement
Le prend, & le reçoit sans peine & sans scrupule,
 Il le prend mesme avec avidité ;
Et comme en s’unissant à l’aliment solide,
 Le Vin se rend bientost liquide,
 La coction se fait avec facilité ;
Ce qui n’arrive pas de la mesme maniere,
Si le Vin estant bû, l’Eau se boit la derniere,
 C’est à dire separément ;
Car de ces deux Liqueurs la qualité diverse
Fait que l’une aussitost par l’autre se traverse,
 Ce qui nuit au tempérament.
En effet, si cette Eau tardive & paresseuse
Vient sur les alimens faire sa fonction,
 Par sa froideur injurieuse
 Elle en retarde l’action,
 Et cet impétueux lavage
 A la santé cause dommage.
***
 Concluons donc en abregé,
Que l’Eau seule ne peut que nuire au ventricule ;
 Au lieu que le Vin mélangé,
 Qui sert à l’eau de véhicule,
Luy fait part de son goust assez facilement,
 Et sans difficulté se mêle à l’aliment.

Si la beauté du Visage est plus propre pour plaire, que la beauté de la Taille §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV), p. 320-327.

Si la beauté du Visage est plus propre pour plaire, que la beauté de la Taille.

Mercure icy je ne prétens,
Comme les gousts sont diférens,
Qu’un autre sur le mien se regle ;
Qui veut régler, souvent déregle.
 Je diray donc tout doucement
 Sur ce sujet mon sentiment.
La beauté de la Taille a sans-doute des charmes
 Dont un cœur se sent tout épris ;
On a beau résister, il faut rendre les armes,
 On n’en doit pas estre surpris.
Ce beau port de grandeur luy donne un air de Reyne,
Et son port assuré malgré nous nous entraîne ;
 Ainsi sans plus nous consulter,
Tout enflâmez d’amour nous luy rendons hommage,
 Et c’est toûjours sans s’arrester
A parcourir de l’œil les traits de son Visage.
 Mais si-tost que la passion
 Se trouve dans l’inaction,
 Si l’on peut parler de la sorte,
 La raison qui pour lors nous porte
 A voir l’objet de nostre choix,
 Si son mérite est plus de poids
Que n’est celuy d’un beau Visage,
Voudra, sans tarder davantage,
Examiner tout à loisir
Ces traits, afin de bien choisir.
Alors elle range en bataille
Les beautez de la riche Taille,
Avecque tous ses agrémens,
Pour voir s’ils sont assez charmans
De faire naître dans nostre ame
Un feu tres-vif qui nous enflâme,
Non pour un temps, mais pour toûjours,
Car sans cela, fy des amours ;
Un feu brûlant par intervale
Aux vrais Amans est un scandale,
Et passe en amour pour peché.
Pour moy, je serois bien fâché
D’aimer ma charmante Bélise
Comme par bonds & par reprise ;
Mais aussi n’ay-je pas sujet
De rechercher un autre objet.
En tout temps je la trouve belle,
Tout le monde la trouve telle,
Quoy qu’à vray dire elle n’ait pas
De la Taille tous les appas ;
Mais revenons à nostre Théme.
Puis qu’il est juste que l’on aime,
Sans en venir au repentir,
Il est bon de s’assujettir
A quelque Beauté qui sans cesse
Soit digne de nostre tendresse.
C’est pour cela que la raison,
Qui nous doit faire la leçon,
Regarde si la riche Taille
Est en amour chose qui vaille ;
Et c’est pourquoy sans passion
Elle en fait la discution
Avec beaucoup d’exactitude,
Pour sçavoir avec certitude
Quel est son air, les mouvemens
Qu’elle se donne en divers temps,
Car l’on ne marche pas sans cesse.
De cette Taille la richesse
Se perd du moins de la moitié
Dans un Fauteüil ; quelle pitié !
Mais helas ! c’est bien autre chose,
Quand la Belle en son Lit repose ;
Cette Taille s’évanoüit,
Et rien en ce temps n’ébloüit ;
Ses charmes sont dans les ténebres.
Pour lors les Oraisons Funebres
Sans-doute viendroient bien à point
Sur ce grand air qu’on ne voit point.
On ne voit plus qu’un laid Visage
Chargé d’un fort triste équipage,
Comme est la Cornette de nuit ;
Un Amant sur l’heure, & sans bruit,
Tout déplaisant de sa défaite,
Veut se retirer sans Trompette.
L’Amante qui connoît fort-bien
Qu’en cet état elle n’a rien
Pour retenir sa pauvre Dupe,
Pendant sa visite s’occupe
A grimacer à contre-temps,
Pour se donner des agrémens.
Elle croit faire des merveilles,
Et pour se rendre un peu vermeilles
Ses levres qui sont sans couleur,
Elle les mord ; quelle rigueur !
L’Amour ne veut tel sacrifice ;
Vne Beauté sans artifice
Luy plaist bien mieux certainement
 Que ce subit déguisement.
 C’est pourquoy l’Amant dans luy mesme
 Dépris de son amour extréme,
 Et se repentant de son feu,
 Se retire, en disant adieu ;
 Mais parce que le cœur de l’Homme
 N’est pas pour aimer une Pomme,
 Cet Amant à peine sorty,
 Va chercher un autre Party,
 Ainsi que la raison l’ordonne ;
 Elle luy montre une Personne,
Petite dans sa taille, ayant l’œil plein de feu,
 Un teint vermeil comme la Rose.
Que de beautez, dit-il ! mais parcourons un peu,
 Il me semble voir autre chose.
Vne bouche riante ; ô Ciel, qu’elle a d’appas !
Et quoy ? je voy bien plus, & je n’aimerois pas,
 En voyant le Trône des Graces ?
Je ne le voy que trop sur son front bien courbé,
 Où les Amours trouvent leurs places.
Ah, du Nectar des Dieux je suis tout imbibé.
 Pour lors, dans son amour extréme,
 Joyeux, il s’applaudit luy-mesme,
 Et charmé de ce rare Objet
 Qui luy donne un juste sujet
 D’avoir une flâme immortelle,
 Il rend son hommage à la Belle,
 Qui luy découvre mille attraits.
 Benits soient, dit-il, tous les traits
 Dont aujourd’huy l’Amour me perce,
 Puis qu’en mesme temps il me verse
 Cent & cent douceurs dans le sein,
 Pour donner à mon cœur un Bain
 Plus agreable que l’Eau d’Ange !
 Jamais je ne prendray le change.
 La Belle, dont mes yeux surpris
 M’ont fait connoistre enfin le prix,
 Peut charmer en toute maniere.
 Taille, retirez-vous arriere,
 Vous ne nous charmez que debout ;
 Un beau Visage peut par tout
 En tout temps infiniment plaire,
 La chose n’est que par trop claire.
Mercure, cet Amant guidé par la raison,
 Nous prouve assez qu’un beau Visage
 A lieu de charmer davantage,
Que ne fait pas la Taille, & sans comparaison.

De la Tronche, de Roüen.

Pourquoy un Bien dont la conqueste nous a cousté des fatigues […] nous est plus cher […] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV), p. 327-330.

Pourquoy un Bien dont la conqueste nous a cousté des fatigues, quoy qu’il soit de peu de conséquence, nous est neantmoins plus cher qu’un autre infiniment plus prétieux que nous avons acquis sans peine.

La Question est de sçavoir
Ce qui peut plus nous émouvoir
Dans l’agreable & doux martire,
J’entens l’amour, c’est assez dire,
Sçavoir, d’un Cœur qui sans façon
Se laisse prendre à l’hameçon,
Sans nous donner beaucoup de peine ;
 Ou d’un autre qui dans la gêne
 Nous tient longtemps sous sa rigueur,
 Pour mieux ensuite avec douceur
 Nous plonger, sans que l’on se noye,
 Dans le doux Nectar de la joye.
 Icy quelque comparaison
 Ne sera pas hors de saison,
 Car par elle on pourra comprendre
 Ce que je prétens faire entendre.
 Sans rechercher de grands détours
 Par un long & vaste discours,
 La Chasse servira d’exemple.
 Voicy comme je la contemple.
La Chasse est un plaisir qu’on ne peut trop aimer,
 A cause de son innocence ;
Son attrait est puissant, il sçait nous animer
 Par une douce violence ;
Mais il faut un sujet qui résiste à nos coups,
Un plaisir qui nous couste est toûjours le plus doux ;
 Car si la prise en est facile,
L’ardeur d’un bon Chasseur alors se ralentit ;
 Plus une chose est difficile,
On la possede apres avec plus d’appétit.
 Cet exemple pourroit suffire
 Touchant ce que j’avois à dire ;
 Mais si cela ne vous plaist pas,
 Posons icy quelqu’autre cas,
 Soit dans Paris, ou bien dans Rome ;
 Et faisons voir comme tout Homme
 Possede avec plus de plaisir
 Un Trésor acquis à loisir,
 Que ce que le hazard luy donne.
 Vne Teste mesme à Couronne,
 Met un Païs au premier rang,
 Quand il luy couste bien du sang.
 Voulez-vous voir un autre exemple,
 Qui soit une preuve bien ample
 De tout ce que j’avance icy ?
 De grace écoutez, le voicy.
 N’est-il pas vray qu’un Héritage
 Qui nous vient par droit de lignage,
 Ne touchera pas nostre cœur
 Comme un Bien acquis par sueur,
 Par les travaux & dans les veilles,
 Ou par d’autres peines pareilles ?
 Pour lors on en fait plus d’état
 Que des Biens d’un grand Potentat.

Le mesme.

[Chifre nouveau] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1684 (tome XXV), p. 330-331.

Voicy un Chifre nouveau qui m’a esté envoyé. Je ne l’entens pas. On le propose à ceux qui ont la facilité à déchifrer. On prie cependant celuy qui en est l’Autheur, d’en envoyer l’Explication. Il m’a fait sçavoir déja par avance que les Chifres que vous allez voir veulent dire,

S’il estoit des Amans discrets,
Comme il est des Chifres secrets,
On verroit peu d’Amans fidelles
Se plaindre avec droit de leurs Belles.

Ainsi il ne s’agit plus que de trouver de quelle maniere ces quatre Vers sont exprimez par ces Chifres.

  • 38. 84. 27. 45. 93.
  • 46. 20. 42. 27. 72.
  • 27. 101. 40. 49. 58.
  • 23. 75. 29. 63. 9. 71. 52.

On a employé dans le XXII. Extraordinaire un autre Chifre sur les Enigmes de la Cheminée & du Loüis d’or, dont personne n’a découvert le secret. Il commence par ces lettres D P Q I T. Le Public en demande l’Explication, & on prie l’Autheur de l’envoyer.