1684

Mercure galant, mai 1684 [tome 5].

2017
Source : Mercure galant, mai 1684 [tome 5].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mai 1684 [tome 5]. §

[Prélude] §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 1-3.

Quoy qu’on ait fait beaucoup de Portraits du Roy en Vers & en Prose, les extraordinaires qualitez qui le distinguent des Souverains que l’Antiquité nous vante le plus, sont en si grand nombre, que dans toutes les Peintures parlantes que l’on fait de luy, on trouve toûjours quelque chose de nouveau. C’est, Madame, ce qui m’oblige à commencer cette Lettre par la Ballade que vous allez lire. Si la matiere a fourny de grandes choses, vous la verrez soûtenuë par de tres-heureuses expressions. Ce petit Ouvrage est de Mr de la Chetardye. C’est un Homme de qualité qui a fait paroistre beaucoup de délicatesse d’esprit & de sentimens, dans tout ce qu’il a donné au Public. Le succés qu’ont eu ses Instructions pour un jeune Seigneur, l’a engagé à établir sur ce mesme Plan le Caractere d’une Honneste Femme. Cette suite qui ne paroist que depuis un mois, porte le Titre d’Instruction pour une jeune Princesse.

Au Roy. Ballade §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 3-6.

AU ROY.
BALLADE.

En quelque lieu que tu portes ton Bras,
Plus redouté que Mars ce Dieu terrible,
Quand on te voit, on met les armes bas ;
A tes desseins il n’est rien d’impossible.
Tu fus toûjours triomphant, invincible ;
Mille Lauriers, témoins de tes travaux,
Sont de tes faits une preuve assez claire ;
La Gloire seule est en droit de te plaire.
Fut-il jamais un si parfait Héros ?
***
Tu fais trembler les plus grands Potentats.
As-tu vaincu ; doux, tranquile, paisible,
Tu fais connoître au sortir des Combats,
Que ta fierté n’est pas inaccessible.
A la pitié ta belle ame est sensible ;
De l’Univers tu cherches le repos ;
Si tu punis, c’est un mal nécessaire ;
Fais-tu la Guerre, on t’oblige à la faire.
Fut-il jamais un si parfait Héros ?
***
Pour toy la Paix eut toûjours des apas ;
Et quand l’orgueüil d’un Prince incorrigible
Te fait sortir du sein de tes Etats,
Pour luy porter une Guerre nuisible,
De son malheur ton regret est visible.
Pour éviter de si funestes maux,
Tu te retiens, ton grand cœur se modere ;
Tu ne connois ny haine ny colere.
Fut-il jamais un si parfait Héros ?
***
A la raison, que tu suis pas-à-pas,
Tu te soûmets sans un effort pénible ;
Ton jugement voit tout sans embaras ;
A tes regards rien n’est imperceptible.
Quand il le faut ton esprit est fléxible ;
Maître de toy, tu fais tout à propos ;
Tu sçais percer le plus secret mystere ;
Tu sçais parler, & qui plus est, te taire.
Fut-il jamais un si parfait Héros ?

[Devise] §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 6-9.

ENVOY.

Roy sans égal, que l’Univers revere,
Pour tes vertus, pour tes faits belliqueux,
Dure toûjours une Teste si chere !
En la perdant nous cessons d’estre heureux ;
Car sans parler de cet air Militaire
Qui t’a soûmis tant d’illustres Rivaux,
Peut-on pas dire, & paroître sincere,
Fut-il jamais un si parfait Héros ?

Les Propositions de Paix qui ont esté faites par Sa Majesté aux Espagnols à l’entrée de la Campagne, justifient bien ce qui est marqué dans cette Ballade, que c’est à regret que ce grand Prince sort de ses Etats, pour aller porter la Guerre à ses Ennemis. Mr Magnin, Conseiller au Présidial de Mâcon, a fait une excellente Devise sur ces Propositions. Elle a pour corps le Soleil placé au milieu des Cieux, formant d’un costé l’Arc-en-Ciel dans une Nuë, & dans l’autre, des Eclairs qu’on voit briller. Il luy donne ces mots pour ame,

  ----------- Omen utrumque
Solis opus,

& les explique par ce Madrigal.

 Comme le Soleil dans les airs
 Forme l’Iris & les Eclairs,
Pour montrer aux Humains un diférent présage
 Dans sa diverse activité
 D’une douce screnité,
 Ou de la foudre & de l’orage ;
 C’est ainsi qu’à ses Ennemis
Le Grand LOUIS présente ou la Paix ou la Guerre.
Il est de tous les deux l’Arbitre sur la terre ;
 Malheur à qui n’est pas soûmis,
 Quand il fait gronder son Tonnerre.

Je vous ay appris par ma Lettre de Janvier, que Mr le Marquis de Torcy, Fils aîné de Mr Colbert de Croissy, Ministre & Secretaire d’Etat, avoit esté nommé Envoyé Extraordinaire de Sa Majesté, pour aller en Portugal complimenter le Roy Dom Pédro sur son avenement à la Couronne. Le Vaisseau nommé le Faucon, destiné pour le passer, ayant esté arresté par les glaces dans la Riviere de Rochefort, n’en put sortir que sur la fin de ce mesme mois.

[Arrivée de M. le Marquis de Torcy en Portugal & sa Reception] §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 9-12.

 

Je vous ay appris par ma Lettre de Janvier, que Mr le Marquis de Torcy, Fils aîné de Mr Colbert de Croissy, Ministre & Secretaire d’Etat, avoit esté nommé Envoyé Extraordinaire de Sa Majesté, pour aller en Portugal complimenter le Roy Dom Pédro sur son avenement à la Couronne. [...] Le 17. [...] le Vaisseau [nommé le Faucon] entra dans la Riviere [de Lisbonne]. [...] Le Navire, qui estoit garny par tout de Flâmes, de Banderoles & de Gaillardelettes de diférentes couleurs, salüa le Fort de S. Julien, & ensuite la Tour de Bellin, qui rendirent le Salut. On moüilla entre cette Tour & la Ville & Mr des Granges, Consul François, & Commissaire de la Marine, vint aussi-tost de la part de Mr l’Ambassadeur, conférer avec Mr le Marquis de Torcy & Mr de Villette. Le lendemain 18. le Commandant fit mettre dans sa Chaloupe une Bande de Violons qu’il a sur son Bord. Le Canot où il entra avec Mr de Torcy, suivoit la Chaloupe de fort prés, & ils allérent descendre à Bellin, devant ce fameux Convent, dont la magnificence & la beauté sont si estimées. [...]

Conseils de la Reyne de Portugal à l’Infante §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 25-60.

CONSEILS
DE LA
REYNE DE PORTUGAL
A L’INFANTE.

Si ma main pouvoit suivre mon cœur, & le desir que j’ay de contribuer par mes conseils à l’établissement solide de vostre repos & de vostre bonheur, ceux que je vay vous donner dans ce Papier, seroient aussi efficaces & persuasifs, qu’ils seront sinceres & affectueux. Je commenceray par le premier de nos Devoirs, qui est envers Dieu, comme le principal fondement de vostre Fortune éternelle & temporelle.

CHAPITRE I.
Du Devoir envers Dieu.

N’engagez jamais vostre Conscience pour qui que ce soit ; évitez les pechez qui vous feroient perdre la grace de Dieu, plus que tous les autres maux ; & vous persuadez bien que pour estre heureuse, mesme en cette vie, il faut s’entretenir bien avec Dieu ; que sans cela il arrivera mille choses qui vous troubleront, & qu’enfin, ma chere Enfant, le peché est un si grand mal, que moy qui donnerois ma vie pour conserver la vostre, par ce mesme principe de veritable amour j’aimerois mieux vous la voir perdre, que de vous en voir commettre un seul, qui vous rendist indigne de la grace de Dieu, puis que c’est cette mort de la grace que nous devons plus craindre dans tout ce que nous aimons & dans nous-mêmes, que tous les malheurs de cette vie, & mesme la mort.

Si par malheur vous vous estiez laissée aller à quelque chose contre vostre Conscience, & que vous crússiez estre mal avec Dieu, ne demeurez point dans cet état, mais remettez-vous le plûtost que vous pourrez, ayant quelqu’un avec qui vous traitiez de vostre intérieur avec confiance & ouverture, afin qu’il vous encourage, & vous aide à sortir du peché, & des occasions qui s’en pourroient présenter ; car, ma chere Enfant, rien n’est plus propre pour s’en détourner, ny plus necessaire pour le repos de l’ame, pour la satisfaction spirituelle & temporelle du cœur, que cette ouverture que je vous conseille, puis que sans elle on est toûjours douteux & craintif sur les moindres mouvemens qui s’y passent, & sur tous les évenemens de la vie, dont on ne peut juger sainement, ny se confier sûrement, qu’à une Personne, dont la prudence, la fidelité & la pieté solide nous sont tout-à-fait connües.

Les pechez où les Grands tombent plus souvent, & qui sont d’autant plus dangereux qu’ils y prennent moins garde, sont les médisances, que l’on dit, ou que l’on entend trop librement ; la haine ou la vangeance, la colere ou l’emportement, les injustices qu’on fait, soit en écoutant ou croyant trop facilement les rapports, soit en condamnant les Gens sans les entendre, & sans estre bien informez, soit en ordonnant des choses, ou recommandant des affaires qui ne sont pas justes, soit en se laissant surprendre, & protegeant des Personnes contre droit & raison, enfin les divisions qu’on entretient & que l’on fomente, & les desordres ausquels on ne remédie pas quand on le peut & qu’on le doit, la préoccupation d’esprit contre de certaines Gens, & l’abus que l’on fait de son crédit & de son authorité.

Gardez-vous sur tout de la Flaterie, qui est la peste des Cours, & la contagion la plus pernicieuse, & la plus aisée à s’introduire dans le cœur des jeunes Princesses, que l’expérience ne peut pas aider à sçavoir distinguer le faux d’avec le vray zéle de ceux qui les approchent. Souvenez-vous donc, ma prétieuse Enfant, que ceux qui vous flateront sur vos defauts, qui ne vous parleront que de ce qui peut vous plaire, sans se soucier que ce soit aux dépens de vostre réputation & de vostre conscience, & qui ne vous avertiront jamais de ce qui peut regarder l’une & l’autre, ne cherchent que leur intérest & leur Fortune auprés de vous, & ne vous aiment que par rapport à leurs avantages ; & au contraire, ceux qui vous diront la verité au péril de vous déplaire, qui craignent que vos actions ne soient blâmées, & vous avertissent de celles qui peuvent l’estre de ceux qui les applaudissant devant vous, sont les premiers à les censurer en vostre absence, estimez-les comme les plus fideles & les plus zélez ; car il est bien plus facile de flater les Princes, que de leur dire la verité ; & ceux qui prennent le dernier party, ne sçauroient estre trop estimez, puis que c’est une marque de l’affection la plus pure & la plus definteressée. Il faut cependant distinguer le genre d’esprit de ceux qui la disent ; car il y a des Personnes si portées à censurer, & si difficiles à satisfaire, qu’elles trouvent à redire jusqu’aux moindres bagatelles, & se font mesme un honneur d’estre tenües pour telles, & de parler librement aux Princes, pour en estre plus loüées dans le Public. Deslors la verité perd sa vertu dans leur bouche ; car outre qu’elle y est souvent alterée, elle est si intéressée, qu’elle ne peut plus estre creüe ny estimée, puis que ces Personnes en font une ostentation qui leur en ôte tout le mérite.

Il y en a d’autres qui disent la verité par un esprit de vangeance & d’envie contre ceux que les Princes favorisent. Elle leur doit estre aussi suspecte que dans les premiers ; puis que le principe en est gâté, les suites n’en doivent estre guere pures ny fidelles. Apres avoir bien examiné le desintéressement de ceux qui la diront, la droiture de leur intention, & l’affection qui les oblige à parler, encouragez-les à continuer cette zélée conduite, en leur témoignant de l’agrément ; car les Princes doivent ouvrir l’oreille à la verité, & la fermer à la flaterie, en montrant entendre l’une avec plaisir, & l’autre avec mépris. Je me suis un peu trop étenduë sur ce point, qui appartient plûtost à la conduite que nous devons garder envers nous-mesmes, qu’à celle que nous devons tenir envers Dieu, quoy que par les succés & les consequences il ne laisse pas d’y avoir du rapport ; mais je l’ay jugé si important pour une jeune Princesse qui va estre entourée d’Admirateurs, & qui n’entendra retentir par tout que l’Echo de ses loüanges, que mon zéle m’a emporté plus loin que je n’avois crû. Je reviens à ma premiere matiere. Reglons, ma chere Enfant, vostre Journée de maniere, qu’elle puisse estre agreable dans son commencement & dans sa suite à celuy à qui nous devons les consacrer toutes, malgré les diverses occupations & les divertissemens, qui en rempliront une grande partie.

Tous les matins vous ferez en vous éveillant, une élevation de cœur à Dieu, & quelque courte priere. Quand vous serez habillée, vous vous retirerez un quart-d’heure dans vostre Cabinet ; & là, apres avoir adoré vostre Createur, & luy avoir demandé sa protection pour tout le jour, vous lirez quelque Pensée Chrétienne, ou quelque Chapitre, ou de l’Imitation, ou de l’Introduction à la Vie Devote, en faisant réflexion sur ce que vous aurez lû, & vous demandant à vous-mesme de quelle maniere vous le pratiquez. Vous examinerez le profit que vous en pouvez tirer, & finirez par une ferme resolution de ne point offenser Dieu dans cette journée-là, prévoyant en genéral, & s’il se peut, en particulier, quelque bien que vous y pouvez faire. Ensuite entendez la Messe avec respect & avec attention, sans y parler à personne, & faites pendant ce temps-là les Actes intérieurs de Foy, d’amour de Dieu, de regret de vos pechez, que vous vous serez prescrits. L’apresdînée ayez un temps reglé, où vous ferez une demy-heure de Lecture spirituelle de quelque bon Livre que vous trouverez le plus propre à vous toucher ; accompagnez-la de quelque pratique de devotion. Faites tous les soirs vos Prieres accoûtumées, & vostre Examen de Conscience, avant que de vous coucher, voyant en quoy vous aurez pû déplaire à Dieu pendant cette journée-là, & si vous avez gardé l’ordre que vous vous estiez proposé. Vous luy demanderez ensuite pardon de cœur, en résolvant de mieux faire à l’avenir. Faites vos Devotions tous les quinze jours, & ayez la veille une demy-heure d’entretien avec vostre Confesseur, pour vous y disposer.

CHAPITRE II.
Du Devoir envers soy-mesme.

Ne vous mettez pas de méchante humeur, en vous aigrissant & vous chagrinant vous mesme, sur tout pour les choses ordinaires. Ne vous laissez point aller à de certaines passions fortes & violentes ; & quand vous vous en sentirez émeüe, remettez à une autre heure, ou à un autre jour, ce que vous voudrez faire ou dire en ce moment-là, afin de ne rien faire dont vous ayez lieu de vous repentir quand il n’en sera plus temps.

Pour vous rendre moderée & raisonnable, réprimez chaque jour trois ou quatre petits mouvemens qui s’éleveront, de colere, d’impatience, de chagrin, de promptitude, d’opposition à vostre volonté & à vostre génie, les offrant à Dieu dés le matin, & vous persuadant que c’est le sacrifice le plus agreable que vous puissiez luy faire, & le moyen le plus efficace pour vous attirer ses graces.

Les trop grands desirs de plaire & d’estre loüée ; l’ambition déreglée ; la présomption que l’on a de soy-mesme ; la liberté qu’on se donne de tout faire & de tout dire ; les empressemens excessifs & quelquefois chagrins pour tout ce qu’on veut ; se choquer aisément des moindres choses que nos inférieurs & nos Domestiques ne font pas à nostre gré, sont dans les Princes des defauts ordinaires & journaliers, ausquels vous devez prendre garde, & qu’il faut que vous tâchiez d’éviter le plus que vous pourrez.

CHAPITRE III.
Du Devoir dans le Domestique.

Ce Point est si important, que je ne puis m’empêcher de m’y étendre, puis que de la conduite que vous y tiendrez dépend le bonheur ou le malheur de toute vostre vie, & par consequent celuy de vos Peres, & de toute cette Couronne, dont vous devez faire la felicité.

Vous devez conserver le respect, l’obeïssance & l’amour à ceux qui vous ont donné la naissance, puis que celuy que vous devrez apres vostre Mariage au Prince que Dieu vous aura donné pour Epoux, s’accorde tres-bien auec les devoirs que vous ne pouvez vous dispenser de rendre à vos Peres, & que vous devez estre l’union & le lien de toute la Famille ; de sorte qu’apres les motifs du devoir & de la vertu, qui vous obligent d’avoir pour ce Prince toutes les complaisances possibles, ce que vous devez rechercher le plus, est de le gagner pour l’unir davantage à vos Parens, & eux à luy. C’est à quoy vous devez vous appliquer plus qu’à aucune autre chose.

Dans ce dessein, évitez tous les rapports, quelques vrays qu’ils vous paroissent, tous les conseils, & tout ce que vous pourrez croire qui seroit capable d’alterer cette bonne intelligence ; car un intérest secret, une passion couverte, l’imprudence ou le zéle indiscret des Personnes qui approchent des jeunes Princes, c’est ce qui trouble ordinairement les Cours. Appliquez-vous aussi tres-soigneusement à bien connoistre l’humeur & le génie de ce Prince, afin d’entrer dans toutes les choses qui pourront luy plaire, quand même elles seroient opposées au vostre. Ayez de la complaisance pour ses volontez & pour ses inclinations, en tout ce qui ne blessera point vostre conscience ; suportez doucement ses defauts, chacun a les siens, & ne dites rien qui puisse le choquer ou luy déplaire, particuliérement dans les-temps qu’il aura quelque chagrin, ou qu’il sera de méchante humeur. Laissez-la passer sans l’aigrir par des réponses dures ou séches ; mais apres qu’elle sera entierement dissipée, s’il a fait ou dit quelque chose de contraire à la raison, faites-le revenir avec douceur, l’en faisant adroitement apercevoir par caresses & par raisons. Vous le gagnerez plus aisément de cette maniere en peu d’années, que vous ne feriez par une contraire en plusieurs. Vous devez mesme faire semblant de ne point prendre garde à beaucoup de petites paroles & manieres qui échapent quelquefois sans intention & par humeur, & qui ne sont point de consequence, afin de ne pas venir souvent à des éclaircissemens qui fatiguent & aigrissent l’esprit à la longue, quand ils sont trop reïtérez. Ces petites choses ne valent pas qu’on en prenne de chagrin, ny que l’on en donne aux autres. De plus, en les méprisant on s’établit une vie aisée qui plaist aux jeunes Gens. On ne s’embarasse pas si facilement soy mesme de chagrins inutiles, & l’on s’acquiert l’estime & la bienveillance de son Mary ; car quand il remarquera que vous souffrez doucement ses petites humeurs, que vous tolerez ses defauts, sans relever mille petites bagatelles qui pourroient causer des disputes entre vous ; qu’enfin vous étudiez ses inclinations, & que vous vous y accommodez, quoy que quelques-unes soient contraires aux vostres, vous gagnerez infailliblement son cœur, & vous remplirez parfaitement les devoirs que Dieu vous prescrit envers vostre Mary & envers vos Peres, puis que l’amour, la complaisance, l’union que vostre conduite établira entre vous, vous donnera toute sorte de facilité pour ceux que vous rendrez à vos Parens qui vous aiment si tendrement, en inspirant les mesmes sentimens à vostre Mary, & enfin unissant si fortement son cœur avec le vostre & avec les nostres, que les quatre n’en fassent jamais qu’un, comme je l’espere de vos bonnes inclinations, de vostre docilité, de vostre esprit, & sur tout de la grace de Dieu, auquel vous devez recommander particuliérement vostre conduite en cette rencontre, qui est la plus importante de vostre vie, & demander qu’il vous inspire ce qui sera le plus convenable pour sa gloire, & pour vostre bonheur eternel & temporel. J’ay si à cœur l’un & l’autre, que voulant vous donner des Conseils courts & abregez, dont je puisse vous faciliter de vive voix la pratique dans les occasions qui s’en offriront, & qui vous servent seulement de Mémoire pour vous en rafraîchir l’idée de temps en temps, je me suis étenduë sur un détail de choses qui pourront vous fatiguer ; mais je les ay trouvées si nécessaires, que je n’ay pas voulu fier à ma mémoire le desir que j’avois qu’elles s’imprimassent fortement dans la vostre, & j’ay mieux aimé laissé couler ma plume, que de luy laisser perdre une seule parole qui vous pust estre utile sur une matiere si importante. Je viens aux Avis qu’on doit vous donner touchant vostre Domestique inférieur, dans lequel on passe la plus grande partie de sa vie, & avec lequel il est tres-à-propos de sçavoir se conduire prudemment.

Pour cela vous vous donnerez de garde des Domestiques dont vous aurez reconnu l’esprit inquiet & turbulent, capable de conseils violens, de donner des ombrages & des soupçons fort legerement, & de faire des rapports dangereux sous prétexte de zéle.

Vous ne fierez point sans nécessité des secrets d’importance à des Domestiques, & particuliérement à Femmes, qui d’ordinaire ont moins de prudence pour se taire, & plus de facilité à se laisser séduire ou tromper, & qui se laissant gagner, ou venant à estre enfin mécontentes, pourront les découvrir au préjudice de vostre intérest, & de vostre réputation. Il y a peu de Princes qui dans leur jeunesse ne fassent sur cela des fautes, dont ils ont ensuite le loisir de se repentir, & il s’en trouve bien peu qui n’ayent auprés d’eux des Gens qui les trahissent ; & bien souvent ce sont ceux à qui ils se fient davantage.

Ne vous engagez point secretement à donner à ceux-cy ou à ceux-là des récompenses éloignées ou futures, qui soient considerables ; mais faites-leur seulement esperer que vous aurez égard à leurs services & à leur fidelité, & ne promettez rien d’une maniere qui vous oblige à tenir vostre parole, si vous ou eux veniez à changer, ou que l’état présent des choses ne vous permist pas de le faire.

Vous ne souffrirez ny n’entretiendrez aucunes divisions ou partys entre vos Domestiques. Quand on ne favorise ny l’un ny l’autre, ils sont tous contens ; quand on en appuye quelques-uns contre les autres, ceux contre qui l’on s’est déclaré, sont autant d’Ennemis que l’on a dans sa Maison, qui murmurent & se plaignent, & qui vont redire & empoisonner tout ce qui se passe. On en est fort mal servie ; & en tout cas ce sont Gens que l’on peut gagner quand on voudra contre leurs Maistres.

Vous aurez soin que Dieu soit servy dans vostre Domestique. Vous n’y souffrirez point de desordre, & ferez en sorte qu’on y soit persuadé que vous estimez & favorisez la vertu dans ceux en qui vous la connoissez droite & sincere. Outre le service de Dieu, que nous devons toûjours regarder préferablement au nôtre, vous serez toûjours mieux servie de ceux qui luy seront fidelles.

CHAPITRE IV.
Du Devoir envers ses Sujets.

Vous travaillerez avec soin à vous faire aimer de vos Sujets, en les traitant avec une bonté & une douceur qui n’abaisse point la Majesté, & qui ne les en approche point trop, mais qui leur inspire le respect & l’amour, contentant de parole ceux qu’on ne peut satisfaire dans ce qu’ils demandent, n’offençant jamais personne par un mépris, par une raillerie, ny par une réponse piquante ; car par ces manieres on se fait des Ennemis qui ne reviennent jamais, & elles sont beaucoup plus blâmables dans les Princes que dans les Particuliers, dont les offenses ne sont pas des playes si considérables, & dont la conduite n’est pas si exposée à la censure publique. Vous excuserez les defauts de ceux qui ont le privilege de vous approcher, & vous ne permettrez pas qu’on les publie en vostre présence.

Vous écouterez doucement ce que les Gens auront à vous dire, soit pour vous demander des graces, soit pour se justifier de quelques accusations ; mais vous ne vous resoudrez pas à les croire, ny à leur accorder ce qu’ils vous demanderont, qu’apres avoir bien examiné les choses ; enfin vous montrerez à tous de la clemence & de la compassion, & sur tout vous ferez paroistre beaucoup de moderation & d’équité dans toute vostre conduite, car c’est ce qui attire davantage l’amour & l’estime des Sujets.

Voyla, ma chere Enfant, ce que l’intérest que je prens en vôtre gloire, vostre réputation, & vostre prétieuse Personne, me dicte. J’espere que ces Conseils vous seront encore plus utiles à l’avenir qu’à présent, quoy que les lumieres que je vois dans vôtre esprit, & les bonnes inclinations que vous avez fait paroistre dés vostre tendre jeunesse, me donnent sujet de croire qu’en devançant le petit nombre de vos années, vous sçaurez mettre en pratique les Conseils que j’ay mis sur ce Papier, & en surpasser mesme la perfection, & qu’ainsi j’auray la joye de vous voir aimée & admirée, non seulement de ce Royaume, mais de toute l’Europe, comme la Princesse du Monde la plus accomplie & la plus Chrétienne. Dieu vous en fasse la grace ; mais soyez bien convaincuë avant toutes choses, que c’est à luy seul que vous en devez la gloire & le bonheur, puis que le vôtre dépend uniquement de sa divine bonté, & de la fidelité que vous ferez voir pour son service.

[Ce qui s’est passé à l’Académie Françoise le jour de la Réception de M. la Fontaine] §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 61-65.

Je vous ay fait remarquer que la mort de Mr Colbert, & celle de Mr de Bezons, avoient laissé deux Places vacantes à l’Académie Françoise. Mr de la Fontaine, & Mr Despreaux, ont esté nommez pour les remplir. On n’a encore reçeu que le premier, parce que Mr Despreaux a suivy le Roy en Flandre. La Compagnie s’estant assemblée le Mardy 2. de ce mois, Mr de la Fontaine ouvrit la Séance par un Eloge qu’il fit des Protecteurs de l’Académie, suivant ce qui se pratique dans une pareille occasion. Il parla en suite de ceux qui composent aujourd’huy cet illustre Corps, comme de Personnes pleines de lumieres en toutes sortes de Sciences, & qui ne sont pas moins estimables par leur grande pieté, que par leur profonde érudition. Il ajoûta, qu’en les pratiquant, leur exemple luy seroit tres-profitable sur toutes ces choses. Mr l’Abbé de la Chambre, qui est présentement Directeur, répondit à Mr de la Fontaine, qu’il avoit un mérite original, & qu’il le loüeroit encore davantage, si sa profession le pouvoit permettre. Il s’étendit sur les loüanges de la Compagnie, également appliquée à l’Etude, & à tout ce qui regarde le Christianisme, & fit voir que l’Académie estoit dans une année de douleur, à cause de la perte de l’auguste Epouse de Loüis le Grand son Protecteur, & de Mr Colbert, qui avoit un si grand soin de faire fleurir les Arts & les Lettres. Apres cela, Mr Perrault lût une Epître Chrestienne de consolation à un Homme veuf. On la trouva digne d’un Esprit qui sçait régner sur soy-mesme. Apres la lecture de cet Ouvrage moral, Mr Quinaut fit celle de deux Chants de sa Description de Sceaux, qui furent tres-applaudis ; & Mr de Benserade lût une Traduction du Miserere, qui doit estre dans des Heures ausquelles il travaille pour le Roy. Mr de la Fontaine qui avoit ouvert la Séance, la ferma par une Epître en Vers, adressée à Madame de la Sabliere. Cette Epître fait connoistre que tous les plaisirs sont faux, & qu’il n’y en a aucun veritable que celuy de servir Dieu.

Sur la Mort d’un Mouton, favory de Mademoiselle D… §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 66-69.

Je vous envoye un Madrigal qui a esté fait pour une aimable Demoiselle de Dijon, dont vous connoistrez l’esprit par sa Réponse. Il y a beaucoup de galanterie dans l’un & dans l’autre. L’Autheur du Madrigal est fort estimé, & l’on ne s’étonne point que tout ce qui part de luy soit spirituel, apres les actions publiques qu’on luy a veu faire.

SUR LA MORT
DU MOUTON,
Favory de Mademoiselle
D.…

La Bergere Doris, honneur de la Prairie,
Plaignoit tendrement un Agneau
Qu’une trop prompte maladie
Venoit d’oster à son Troupeau ;
Quand Mirtil agité d’amoureuses alarmes,
Luy dit, vous soûpirez pour des sujets legers ;
La perte d’un Mouton vous fait verser des larmes,
Et vous voyez mourir sans pitié les Bergers.

REPONSE.

 Quiconque s’oppose à mes pleurs,
 Ne fait qu’augmenter mes douleurs.
 Lors que l’on perd ce que l’on aime,
 Et dont on est aimé de mesme,
Les pleurs nous sont permis, & ne sont point légers ;
Je pleure mon Agneau, j’en regrete les charmes ;
 Je pourrois pleurer les Bergers,
Mais je n’en connois point qui mérite mes larmes.

[Sujet & Vers d’un Balet dancé à Hanover] §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 69-82.

ll y a longtemps que je ne vous ay parlé de Hanover. Cette Cour, qui suit toutes les manieres de celle de France, l’imite aussi dans ses divertissemens. Le Ballet qu’on y a dancé depuis peu, en est une marque. Une Troupe de jeunes Gens des plus qualifiez, voulant régaler d’une petite Mascarade, Madame Sophie-Charlote de Brunsvvic & de Lunebourg, Fille de Monsieur le Duc de Hanover, se déguisa en Princes Indiens ; & l’Amour qui les conduisoit, les présenta à cette Princesse. Un grand Concert d’Instrumens qui fit l’ouverture du Ballet, préceda ce Dialogue, que chanterent deux Zéphirs.

 

I. ZEPHIR.

Pour chanter les vertus de l’auguste Sophie,

Préparons nos Concerts charmans ;

Du Dieu favorable aux Amans,

L’ordre nous y convie.

 

II. ZEPHIR.

Peut-on former une plus noble envie ?

Obeissons à ses commandemens.

Publions en tous lieux sa beauté sans égale,

De ses yeux pleins de feux vantons les traits si doux.

Les puissans charmes qu’elle étale,

Blessent les coeurs d’inévitables coups.

 

I ZEPHIR.

 

Publions en tous lieux sa beauté sans égale,

De ses yeux pleins de feux vantons les traits si doux.

Les puissans charmes qu’étale,

Blessent les coeurs d’inévitables coups.

 

II. ZEPHIR.

Son teint de Lys & de Roses,

Si vif & si délicat,

Ternit les plus belles choses

Par son brillant éclat ;

Et la Nature qui l’a faite,

A pris plaisir à la rendre parfaite.

Non, non, jamais le Soleil

Ne forma rien de pareil.

 

I. ZEPHIR.

Heureux, dont l’ardeur fidelle

Luy coûteroit quelques tendres soûpirs.

 

II. ZEPHIR.

Une conqueste si belle,

D’un grand Héros mérite les désirs.

 

I. ZEPHIR.

Qui seroit assez teméraire

De prétendre luy plaire,

Sans avoir un sort glorieux ?

C’est aux Fronts couronnez d’espérer cette grace,

Et l’Amour puniroit l’audace

De tout autre Ambitieux.

 

II. ZEPHIR.

Mais déja luy-mesme, en ces lieux

Vient pour commencer la Feste

Qu’en sa faveur il appreste.

 

LES DEUX ZEPHIRS

ensemble

 

Animons nos voix,

Et disons cent fois,

Il n’est rien dans la vie

De plus beau que Sophie.

 

I. ENTREE.

Pour l’Amour, représenté par Mr Grotte le cadet.

 

Aux plus lointains climats on connoît mon Empire ;

Je range sans égard les Mortels sous mes Loix ;

Et Bergers, & Princes, & Roys,

Tout le monde à son cour soûpire.

Belle Princesse, enfin il est temps que vos yeux

Apprennent que je suis le plus puissant des Dieux.

Le brillant de vostre jeunesse

N’a point encore esté capable de tendresse ;

Mais j’ay forgé pour vous de redoutables traits,

Dont vous n’échaperez jamais.

Cependant, charmante Sophie,

Dans l’attente du fier Vainqueur,

Que je rendray bientost maistre de vostre coeur,

Goustez les douceurs d’une vie,

Qui sans cesse de joye & de plaisirs suivie,

Fasse admirer vostre bonheur.

Ces Princes Indiens que vous voyez paroistre,

Par leurs Dances vont rendre hommage à vos Beautez ;

Et mes soins seront souvent maistre

Et de semblables jeux, & de ces nouveautez.

 

II. ENTREE.

Pour un Prince Indien, représenté par Mr Grotte l’aîné.

 

L’Amour qui s’attache à vous plaire,

Princesse, a résolu de toucher vostre coeur ;

Heureux, si pour me satisfaire,

Il le rendoit, helas, sensible en ma faveur.

 

Pour un autre Prince Indien, représenté par Mr Ogden.

 

Pour nostre Nation barbare,

Cette conqueste a trop d’appas,

Et nous rougirions tous qu’une Beauté si rare

Régnast dans nos foibles Etas.

 

III. ENTREE.

Pour une Princesse Indienne, représentée par Mademoiselle la Baronne de

Platten.

 

Le Ciel luy doit une Couronne,

Et l’Amour l’unira par d’illustres liens ;

Mais quoy que Princes Indiens,

Ce n’est pas pour vos coeurs qu’un si grand prix se donne.

 

Pour une autre Princesse Indienne, représentée par Mademoiselle de Vitrac.

 

Oüy, c’est porter trop haut le vol de vos desirs ;

En faveur de vos feux, c’est en vouloir trop croire.

Contentez-vous de la gloire

De luy fournir des plaisirs.

 

IV. ENTREE.

Pour un troisiéme Prince Indien représenté par Mr le Baron de Platten.

 

Un teméraire orgueil n’enfle point mon courage,

Je sçay, graces au Ciel, régler mes passions,

Et je borne mon avantage

A de moindres affections.

Il faut à l’auguste Sophie

Un sort qui soit digne d’envie,

Et l’Univers n’a point de Roys

Qui puissent faire un plus beau choix.

Pour mériter sa bienveillance,

Mêlons nos pas ensemble, & formons mille jeux ;

Elle se plaist fort à la Dance,

Et recevra par là nos respects & nos voeux.

 

La cinquiéme Entrée fut mêlée par reprise de cette Chanson.

 

Beautez, qui d’un Amant

Evitez l’engagement ;

Par des ardeurs eternelles

Laissez, laissez-vous charmer ;

Le grand plaisir est d’aimer,

Quand on trouve des coeurs fidelles.

Que servent les appas

D’un Objet qui n’aime pas ?

En vain les Ames cruelles

Refusent de s’enflâmer ;

Le grand plaisir est d’aimer,

Quand on trouve des coeurs fidelles.

 

La sixiéme Entrée fut mêlée de cette autre Chanson.

 

Profitez de la jeunesse,

Joüissez de vos beaux jours ;

N’attendez pas l’importune vieillesse,

Elle bannit les feux & les Amours.

Un jeune coeur sans tendresse

Passe des momens affreux ;

Suivez l’Amour, trop de fierté le blesse,

Sans ses douceurs on n’est jamais heureux.

 

Apres ces six Entrées, les deux Zéphirs animant toute cette belle Jeunesse, chanterent ces Vers.

 

Chantons, dancons, tout est tranquille

Dans cet agreable sejour,

Ah, le charmant azile !

N’y parlons que de jeux, de plaisirs, & d’amour.

 

Un grand nombre d’Instrumens de plusieurs sortes, qui se joignit aux chants des Zéphirs, forma un Choeur agreable, apres quoy on fit la septiéme Entrée, qui fut variée de plusieurs Figures, où chacun prenoit un Tambour de Basque, pour mieux marquer sa joye d’avoir eu l’honneur de divertir une si grande Princesse.

La huitiéme Entrée fut d’une Gigue dancée par Mademoiselle la Baronne de Platten. Mr le Baron de Platten fit la neufviéme, & tous deux ensemble firent la derniere. Le Choeur recommença,

Chantons, dançons, tout est tranquille, &c.

& l’on finit par la reprise de l’Entrée des Tambours de Basque.

 

Je croy vous avoir déja parlé plusieurs fois de Madame la Princesse Sophie, qu’on a voulu divertir par ce Ballet. L’esprit, l’agrément, & la beauté, brillent en elle avec de grands avantages. Elle estoit en France avec Madame la Duchesse de Hanover sa Mere, dans le temps du Mariage de la Reyne d’Espagne ; & quoy qu’elle fust dans ses premieres années, des Personnes du meilleur goust & du premier rang, prirent un si grand plaisir à son entretien, qu’ils jugerent déslors de tout ce qui fait aujourd’huy admirer cette Princesse.

[Avanture de Mer] §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 82-87.

Les Philosophes pourront estre embarassez sur la Lettre dont je vous envoye une Copie. Je la laisse dans les mesmes termes qu’elle a esté reçeuë par une Personne de qualité, dont toutes les correspondances sont seûres. Voicy ce qu’elle contient.

Le 24. Iuillet 1681. le Vaisseau nommé l’Albermale, dont Edoüard Lad estoit pour lors Maistre, estant à cent lieuës de Capcod, en latitude 48. environ 3. p. m. se trouva expose à une grande Tempeste, accompagnée de Tonnerre. Les Eclairs brûlerent le Trinquet, briserent la Hune, & fendirent le Mats tout du long. Ce qu’il y eut de remarquable, fut un terrible coup de Tonnerre, qui fit plus de bruit qu’un grand coup de Canon. Tout l’Equipage en fut consterné. En suite il tomba quelque chose sur l’Arriere du Vaisseau, qui se brisa en plusieurs petites pieces, rompit une des Pompes du Navire, & endommagea beaucoup l’autre. C’estoit une matiere bitumineuse, dont l’odeur approchoit de celle de la Poudre à Canon. Elle continua à brûler dans le Vaisseau. On la dissipa avec des Bâtons, & on versa de l’eau dessus, mais tout cela fut inutile ; on ne pût l’éteindre jusqu’à ce que la matiere fut toute consumée. Mais ce que nous allons dire est encore plus surprenant. La nuit estant venuë, les Pilotes remarquerent par l’observation des Etoiles, que leurs Boussoles avoient changé, car celle qui estoit dans l’Habitude, ou Boëte de service, avoit changé du point du Nord au Sud. Il y avoit deux autres Boussoles dans un Coffre qui estoit dans le Cabinet du Capitaine. Le point du Nord estoit au Sud comme celle de l’Habitude dans l’une de ces Boussoles ; mais pour l’autre, le point du Nord estoit tourné à l’Est ; de sorte qu’ils navigerent à la faveur d’une Aiguille qui avoit tout-à fait changé sa polarité. Les Matelots estoient en peine, & ne sçavoient comment il falloit gouverner leur Vaisseau, parce que le point du Sud de leur Boussole venoit de se changer en celuy du Nord ; mais apres un peu de pratique, l’usage leur en fut assez aisé. Quant à la Boussole dont les Eclairs avoient fait tourner l’Aiguille vers l’Est, depuis qu’elle a esté aportée à Boston en la Nouvelle Angleterre, elle a entierement perdu sa vertu, peut-estre parce que la verrine en estant cassée, l’air y estoit entré. Une de ces Boussoles qui avoient changé leur polarité du Nord au Sud, est encore en ce Païs entre les mains de Mr Tuereuse Mather. L’Aiguille demeure fixée vers le Sud, comme elle le fut immédiatement apres que les Eclairs y eurent aporté du changement.

[Histoire] §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 90-130.

Quelque précaution que l’on prenne dans les Affaires les plus importantes, on y fait souvent de grandes fautes, & vous en allez estre convaincuë par ce qui est arrivé icy depuis peu de mois. Un Homme d’une naissance assez médiocre, devenu riche en fort peu de temps, & par des Successions qu’il n’attendoit pas, & par le gain qu’il avoit trouvé moyen de faire dans une Charge de Judicature des moins considébles qu’il y en ait dans la Robe, eut le plaisir de se voir faire la cour par beaucoup de Prétendans, qui luy voyant une Fille unique, tâchoient à l’envy de se rendre dignes d’estre préferez, dans le choix qu’il devoit faire d’un Gendre. Cette Fille entroit dans sa dixhuitiéme année ; & si elle n’avoit pas les traits réguliers qui font la grande beauté, elle n’avoit rien qui dégoûtast. Ses yeux estoient fort brillans & tout pleins de feu, & avec un teint tres-vif on luy voyoit beaucoup de douceur dans le visage. Mais quand elle n’auroit eu aucun agrément ny dans sa Personne ny dans ses manieres, il eust esté impossible qu’on ne l’eust pas trouvée belle avec cinquante mille écus d’argent comptant que son Pere luy donnoit. C’estoit un bruit répandu par tout. Cette somme, tres-accommodante pour beaucoup de Gens, fut une puissante amorce pour la faire rechercher. Elle eut des Amans de toutes Professions ; mais son Pere, qui se dépoüilloit pour elle de la plus grande partie de son Bien, ne se hâta point de la marier, & voulut choisir pour son argent. Comme il n’avoit rien qui le relevast que sa fortune, il s’entesta de la qualité, & crût que si sa Fille estoit dans un rang qui la distinguast des autres, l’honneur qu’il en recevroit feroit oublier son peu de naissance. Ainsi ce fut inutilement que divers Partis se présentérent. Si le Bien s’y rencontroit, l’éclat d’une ancienne Maison ne s’y trouvoit pas ; & c’estoit la seule chose qui pût le déterminer sur le Mariage dont on le pressoit. Sa Fille estoit jeune, & il pouvoit attendre encore quelque temps à la pourvoir. Comme son Employ attiroit chez luy toutes sortes de Personnes, il espéra que quelque heureuse rencontre satisferoit son ambition. Cette espérance ne fut point trompée. Un Marquis d’une Maison tres-considérable, âgé environ de trente ans, vint le consulter touchant quelques Droits qu’on luy disputoit en diférens lieux, où il avoit de fort belles Terres. Il l’engagea mesme à dresser pour luy des Ecritures sur des Copies de Contracts, dont ceux qui prenoient le soin de ses affaires dans la Province, avoient les Originaux. Il connut par là, & par plusieurs conversations particulieres, que le Marquis possedoit plus de trente mille livres de rente. Il luy voyoit un Equipage tres-propre, un Carrosse du bon air, de fort beaux Chevaux, & quatre Laquais. Il apprit d’ailleurs, que son Pere & sa Mere, qui estoient morts depuis peu d’années, ne luy avoient laissé que deux Sœurs, l’une mariée, & l’autre Religieuse. Toutes ces choses, tres-satisfaisantes, estoient bien capables de l’ébloüir. Il eut d’autant moins à douter de ce grand Bien, que le hazard fit venir chez luy diférens Plaideurs pour le consulter sur leurs Affaires. Ces Plaideurs y rencontrant le Marquis, l’embrassérent comme un Homme qui leur estoit fort connu, & s’informant de l’état de ses Procés, entrérent insensiblement dans un détail qui se rapportoit à tout ce que le Pere de la Belle avoit déja sçû. Apres qu’il eut eu ainsi plusieurs conférences avec le Marquis, il luy demanda un jour s’il ne songeoit point à se marier ; & le Marquis ayant répondu qu’on luy proposoit d’assez grands Partis, s’il vouloit encore des Terres, mais qu’il cherchoit de l’argent, pour acheter une Charge chez le Roy, il ajoûta que si cinquante mille écus l’accommodoient, en attendant la succession d’un Pere qu’on tenoit fort à son aise, il s’engageoit à les luy faire trouver, avec une assez jeune Personne, dont il ne vouloit rien dire de plus. Le Marquis reçût cette proposition d’une maniere agreable, & tout ce qu’il demanda, ce fut qu’il pust voir la Belle avant qu’on parlast d’aucune chose ; non pas, dit il, qu’il luy souhaitast une beauté réguliere, mais seulement qu’elle fust bien faite, & que son esprit fist une partie de ses agrémens. Le Pere prit jour pour cette entreveüe, dans une Eglise un peu éloignée de son Quartier, & alla conter la chose à sa Fille, la congratulant sur son bonheur, si ce qu’il avoit projetté pour elle pouvoit réussir. La Demoiselle qui ne manquoit pas de bonne opinion d’elle-mesme, assûra son Pere qu’elle plairoit au Marquis. Ce qui la faisoit parler avec tant de confiance, c’est que le Marquis s’estant trouvé trois ou quatre fois dans une Eglise où elle alloit tous les jours, avoit toûjours eu les yeux attachez sur elle, & l’ayant vû sans en estre veüe, lors qu’il entroit chez son Pere, il ne luy avoit pas esté difficile de le reconnoistre. Flatée de ce qui luy estoit déja arrivé de favorable, elle prépara tous ses attraits pour le Rendez-vous, où il s’agissoit d’achever une Conqueste qui luy devoit estre si avantageuse. Le Marquis y fut conduit par le Pere, & à peine eut-il jetté les yeux sur sa Fille, qu’il luy dit en faisant paroistre une fort grande surprise, qu’il y avoit de la destinée pour le Mariage qu’il luy proposoit, puis qu’il luy montroit une Personne qu’il avoit déja remarquée plusieurs fois, & dont il estoit amoureux sans la connoistre. Ce commencement donna grande joye au Pere, & il en eut beaucoup davantage, lors qu’ayant abordé sa Fille au bas de l’Eglise, comme si c’eust esté une Etrangere, pour donner lieu au Marquis de l’entretenir quelques momens, le Marquis luy fit connoistre apres une courte conversation, qu’il estoit charmé de son esprit, & ajoûta comme forcé par sa passion, que quand elle n’auroit pas du costé de la Fortune tous les avantages qu’il luy faisoit esperer, il sentoit bien qu’il ne pourroit s’empêcher de se donner tout à elle. Le Pere fut fort satisfait de ce succés, & ne pouvant renfermer sa joye, il dit au Marquis qu’il ne devoit point douter que la somme entiere des cinquante mille écus promis ne luy fust comptée, puis que la Personne qu’il venoit de voir estoit sa Fille, & qu’il ne s’estoit engagé à rien qu’il ne fust prest de tenir. Le Marquis, apres avoir fait paroistre un fort grand étonnement de cette Avanture, témoigna estre ravy de trouver le Pere de sa Maistresse dans celuy qui luy avoit proposé l’affaire, & par un empressement d’Amant, il vouloit à l’heure mesme aller assûrer la Belle des sentimens tendres & passionnez que son mérite luy avoit fait prendre ; mais son Pere luy demanda quelques heures pour la préparer à le recevoir, & à répondre avec autant d’agrément qu’elle devoit à l’honneur qu’il luy faisoit de penser à elle. Comme il luy avoit communiqué son entestement de naissance & de grandeur, vous pouvez juger des projets qu’ils firent pour bien soûtenir une Alliance dont l’un & l’autre se promettoit tant de gloire. Ils ne voyoient aucun sujet de douter du bien que se donnoit le Marquis. Il s’en estoit expliqué de bonne foy, avant qu’on luy eust parlé de Mariage, par la seule veüe des Ecrits dont il avoit eu besoin. Les Contracts dont il avoit fourny les Copies, estoient des preuves qu’on ne pouvoit contester. D’ailleurs il n’avoit rien dit qui n’eust esté confirmé par des Personnes desintéressées que le hazard avoit fait venir, & tout cela s’estoit fait avec si peu d’affectation, & d’une maniere si naturelle, que les Esprits les plus soupçonneux en auroient esté contens. Cependant, tout persuadé qu’estoit le Pere, il crut ne devoit rien négliger, & jugeant bien au train que prenoient les choses, que le Marquis presseroit, il ne diféra point à faire écrire par tout où les Terres de ce Gendre prétendu estoient situées. Il ne falloit pas beaucoup de temps pour en avoir des réponses, & ainsi l’information devoit être faite avant qu’il fust obligé de se défaisir de son argent. Le Marquis alla passer l’apresdînée auprés de la Belle, & jamais Homme ne parut si amoureux. Elle luy fit un accueil tres-obligeant, & répondit à sa passion avec toutes les marques de reconnoissance que l’honnesteté luy pouvoit permettre. Elle ne manquoit ny d’esprit ny de mérite, & en luy ôtant certains airs Bourgeois, dont l’usage du beau Monde l’auroit corrigée sans peine, on en pouvoit faire une Femme tres-aimable. Le Marquis, impatient de se voir heureux, dit au Pere en le quittant, que comme il n’estoit pas juste qu’on le crust sur sa parole touchant le Bien qu’il avoit, il s’offriroit à le mener dés le lendemain à toutes ses Terres, afin de l’en éclaircir avec une entiere certitude, si l’amour luy permettoit de s’éloigner de sa Fille, & si d’ailleurs il ne luy voyoit un accablement d’Affaires, qui ne souffroit pas qu’il perdist quinze ou vingt jours à faire un pareil voyage ; mais qu’il pouvoit se décharger de ce soin sur quelque Amy en qui il eust confiance ; qu’il le prioit seulement de l’envoyer sans diférer d’un seul jour, & de luy vouloir toûjours donner sa parole, afin qu’il songeast à un Equipage digne du rang que devoit tenir sa Femme. Le Pere, qui avoit déja pris secretement toutes les précautions qu’il avoit à prendre, feignit de ne vouloir faire aucune information, & répondit au Marquis, que les Personnes de sa qualité portoient sur le front un Caractere d’honneur, qui les faisoit croire en toutes choses ; qu’il luy laissoit quinze jours pour les apprests qu’il avoit à faire, & qu’en attendant on pouvoit dresser le Contract de Mariage, par lequel il promettroit de luy payer les cinquante mille écus la veille des Nopces. Ces conditions furent acceptées. On fit le Contract, & le Marquis pour prouver sa passion, voulut qu’il fust fait entiérement à l’avantage de sa Maistresse. Quoy qu’il ne dust recevoir que cinquante mille écus, il fit employer deux cens mille francs, qu’il remplaça en particulier sur la plus belle de toutes ses Terres. Cette genérosité convainquit la Belle d’un amour tres-violent. Elle en reçût de nouvelles marques, par une Cassette magnifique qu’il luy envoya peu de jours apres. Elle y trouva une Bource de cinq cens Loüis. Le reste, qui consistoit en divers Bijoux, valoit bien encore autant, & tout cela faisoit voir qu’on avoit à faire à un Homme riche. Il acheta un fort beau Carosse, & six Chevaux, donna ses ordres pour une Livrée tres-propre, & fit meubler quatre Chambres dans l’Hôtel garny où il logeoit, parce qu’il ne devoit prendre Maison à Paris, qu’apres qu’il auroit mené six mois sa Femme en Province, pour luy faire voir ses Terres, & un fort grand nombre de Parens. Dix ou douze jours s’estant écoulez, le Pere fut éclaircy de ce qu’il vouloit sçavoir. Il connut par les réponses qui luy furent faites, que le Marquis n’avoit point exageré sur la valeur de son Bien ; & ce qui estoit fort important, on marquoit dans ces réponses, que c’estoit un Bien sans dêtes. Il falut conclure. Les cinquante mille écus furent payez au Marquis, & le jour suivant il épousa la Belle de fort grand matin, pour éviter la foule du Peuple, qui se trouve d’ordinaire à de pareils Mariages. Apres la Cerémonie, il l’amena dans l’Apartement qu’on luy avoit préparé à l’Hôtel garny, son Pere n’ayant rien chez luy d’assez spatieux pour loger une Marquise. Le plaisir de se voir donner ce Titre, & d’aller se promener fort souvent à six Chevaux aux environs de Paris, luy fit goûter des douceurs qu’on auroit peine à comprendre. Le Marquis, demeuré Amant quoy que Mary, s’en fit aimer avec passion ; & le temps estant fort beau, il commençoit à la disposer au Voyage qu’ils avoient à faire ensemble, lors qu’on l’avertit d’une surprise qu’on luy avoit faite, & dont les suites luy pouvoient estre d’un grand préjudice, s’il ne se hâtoit d’y remédier. Il fut obligé de partir presque sur l’heure. La Belle le vouloit accompagner ; mais l’Affaire souffroit si peu de retardement, que tout ce qu’il pouvoit faire, c’estoit d’aller en Carrosse jusqu’à la premiere de ses Terres, d’où il devoit faire diférentes courses avec une extréme diligence. Ainsi il la pria de l’attendre, & de vouloir bien entrer pour trois mois dans un Convent, parce qu’en l’absence d’un Mary, l’Apartement qu’il luy faisoit occuper, n’estoit pas un lieu honneste pour une Personne aussi jeune qu’elle. L’assurance qu’il luy donna de n’être pas plus de six semaines sans revenir, quelques Affaires qu’il trouvast à terminer, la fit consentir avec moins de répugnance à s’accommoder de la retraite. Elle avoit quelque habitude auprés d’une Abbesse chez qui elle entra, avec une Demoiselle & une Femme de Chambre, pour la servir au dedans. Deux Laquais demeurérent au dehors, pour exécuter les ordres qu’elle auroit à leur donner, & le Marquis paya un quartier d’avance. Trois jours apres son depart, elle en reçût une Lettre, par laquelle il luy marquoit dans les termes les plus forts, combien son absence le faisoit souffrir. Il s’engageoit à luy mander la premiere fois en quel lieu elle pourroit luy faire réponse, & elle attendit cette autre Lettre avec une extréme impatience, mais ce fut inutilement qu’elle l’attendit. Il se passa un mois tout entier sans qu’elle en reçust aucunes nouvelles, & l’inquiétude où ce silence la mit, l’obligea de faire écrire par tout où elle crût qu’il seroit passé. Personne ne l’avoit vû, & toutes ses diligences demeurérent sans effet. Son principal Receveur, à qui l’on s’en informa sans luy découvrir par quel intérest, répondit qu’il y avoit plus d’un an qu’il estoit party pour faire un Voyage en Italie, & que depuis ce temps-là il n’en avoit point entendu parler. Cette réponse alarma la Belle. Le Marquis pouvoit estre venu à Paris à son retour d’Italie, sans qu’on l’eust mandé au Receveur ; mais tous ces incidens de Procés sur lesquels il avoit pris avis tant de fois, ne convenoient point à un Homme qui revenoit de si loin, & il y avoit là-dessous quelque mystere, où son raisonnement se perdoit quand elle vouloit l’aprofondir. Son Pere s’alarma aussi-bien qu’elle, & faisant réflexion sur ce que ces Plaideurs, qui l’ayant trouvé chez luy avant qu’il eust épousé sa Fille, avoient pris occasion d’entrer dans le détail de son Bien, n’y estoient point revenus, il craignit que ce ne fust une chose qui eust esté faite de concert pour le surprendre ; & cette crainte luy fit passer de méchantes heures. Il envoya demander à ceux qui tenoient l’Hôtel garny où le Marquis avoit occupé un Apartement, s’il y avoit long-temps qu’ils le connoissoient. Ils répondirent qu’ils ne l’avoient jamais vû que cette fois, & que mesme il ne leur avoit déclaré son nom que dans le temps de son Mariage. Toutes ces choses furent des sujets d’inquiétude & d’étonnement pour le Pere & pour la Fille. Cependant ils trouvérent à propos de ne rien faire éclater. L’embaras où ils estoient ne pouvoit durer long-temps ; & ce qui les consoloit en quelque sorte, c’est que le nom du Marquis n’estoit point un nom imaginaire. Il estoit certain que celuy qui le portoit, possédoit toutes les Terres dont ils avoient connoissance, & en quelque lieu qu’il fust, il falloit que le soin de ses Affaires le fist revenir. Cette espérance calma l’esprit de la Belle. Elle résolut de s’armer de patience, & de demeurer dans le Convent, afin qu’il ne pust à son retour se plaindre de sa conduite. Les trois premiers mois estant passez, le Pere avança le second quartier de la Pension ; & cinq ou six semaines apres il fut averty par l’un des Correspondans qu’il avoit dans la Province, que le Marquis estoit arrivé à une de ses Terres. La Belle pleine de joye luy écrivit aussi-tost, meslant beaucoup de marques d’amour aux reproches qu’elle luy faisoit de son oubly. Cette Lettre ne suffisant pas à l’impatience qu’elle avoit de le revoir, elle luy écrivit encore les trois jours suivans par d’autres voyes que par la premiere ; & tant de témoignages obligeans de sa tendresse ne luy attirérent aucune réponse. Elle commença à ouvrir les yeux, se persuadant qu’il n’avoit eu que son seul argent en vûë quand il l’avoit épousée, & la douleur qu’elle en eut la mit dans un état déplorable. Son Pere ayant part à ce mépris, voulut en sçavoir la cause, & quelques Affaires qui l’occupassent, il alla trouver son Gendre au lieu où il avoit appris qu’il estoit. Il arriva à une maniere de Château, tel qu’il luy avoit esté dépeint par ce Gendre, & ayant demandé à voir le Marquis, on le fit entrer dans une Salle assez proprement meublée. Peu de temps aprés, un Homme bien fait, de la taille & de l’âge du Marquis, & ayant mesme quelque chose de ses traits, vint sçavoir de luy ce qu’il souhaitoit. Vous pouvez juger combien il luy causa de surprise, lors qu’à la maniere dont il luy parla, il fit connoistre qu’il estoit le Maistre du Chasteau. Le Pere tout consterné luy dit d’une voix à demy tremblante, qu’il falloit que deux Personnes portassent le mesme nom, & que celuy qu’il cherchoit estoit un Gentilhomme qui possedoit telle & telle Terre. Ce nouveau Marquis luy répondit qu’il ne sçavoit pas si d’autres que luy portoient son nom, mais qu’il sçavoit bien que toutes les Terres qu’il avoit nommées, luy apartenoient ; & le Pere s’estant écrié en soûpirant, qu’on l’avoit affronté luy & sa Fille, & qu’il estoit ruiné, le Marquis tira quelques Lettres de sa poche, & luy demanda s’il en connoissoit le caractere. C’estoient celles que sa Fille avoit écrites. Le Marquis les ayant trouvées remplies de reproches d’une Femme à un Mary, n’avoit pû s’imaginer par quelle raison elles luy avoient esté envoyées, & le Pere luy en donna l’éclaircissement. Il luy expliqua ensuite de quelle maniere il s’étoit laissé ébloüir pour payer comptant les cinquante mille écus promis à sa Fille, apres avoir fait plusieurs informations, sur lesquelles tout autre eust esté trompé aussi-bien que luy. Le Marquis vit bien que quelque Filou de bonne mine avoit profité de son absence, pour épouser cette Fille sous son nom pendant qu’il estoit à Rome, & il le plaignit d’avoir agrée le remplacement de son Mariage sur une Terre qu’on n’avoit pû en faire répondre. Il en usa avec luy fort civilement, jusqu’à vouloir le retenir quelques jours afin de le consoler ; mais l’entiere certitude qu’il eut de la tromperie qu’on luy avoit faite, ne luy permit pas de s’arrester dans un lieu, où il avoit le chagrin de ne point trouver de Gendre. Il partit sur l’heure, & alla porter ces tristes nouvelles à sa Fille, qu’il reprit chez luy sans aucun train. On a fait depuis quelques mois toutes les perquisitions possibles, pour trouver celuy qui l’a trompée, mais il n’y a aucune apparence qu’il se hazarde à paroistre. Comme ce malheur n’a pas laissé le Pere sans Bien, la Belle ne seroit pas tout à-fait à plaindre, si elle pouvoit disposer d’elle ; mais elle demeure toûjours mariée, & peut-estre avec un Homme qui ayant ailleurs une autre Femme, n’a pas esté en pouvoir de devenir son Mary. Joignez à cela, que quand ce Mary mourroit, elle ignoreroit qu’elle fust Veuve. Toutes ces raisons rendent sa condition bien malheureuse. Cependant elle a renoncé à tous les grands airs, & elle vit chez son Pere comme Fille, & avec le nom de Fille.

[Tout ce qui s’est passé à la Reception de Madame Royale à Lyon] §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 160, 164-167, 169.

 

Vous attendez la suite du Voyage de Madame Royale ; cependant je ne vous parleray aujourd’huy que du Séjour que cette Princesse a fait à Lyon. Elle y arriva le Mardy, second de ce mois, [...].

 

Le Mercredy 3. [...] [elle] [...] alla entendre la Messe chez [les Celestins] qui la reçûrent avec la Croix à la Porte de l’Eglise [...] On chanta le Te Deum avec l’Orgue. Il fut suivy de vingt-quatre Violons, & de la décharge des Boëtes pendant la Messe.

[...] L’apresdînée elle eut le plaisir de la Joûte & de l’Oye, qu’elle vit de son Balcon. Le soir, elle donna le Bal aux Dames. [...]

 

Elle continua son Voyage le Vendredy 5. de ce mois, & partit sur les onze heures, apres avoir entendu la Messe dans l’Eglise des Jacobins.

[Description de tout ce qu’il y a de plus remarquable dans la Fille de Paru, donné au Public §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 187-189.

S’il y a d’habiles Gens en quelque Profession que ce soit, c’est assûrément à Paris qu’on les rencontre. Il ne faut pas s’étonner qu’ils y soient attirez de toutes parts, puis qu’il n’y a point de Ville au Monde ny si peuplée ny si grande. Cela est cause que ses Habitans mesme ne sçavent pas ce que son enceinte renferme de curieux. Ainsi ils n’ont pas moins d’obligation que les Etrangers à l’Autheur qui a donné au Public depuis peu de jours une Description de ce qu’il y a de remarquable dans cette superbe Ville. Toutes les remarques de ce Livre sont fort recherchées. Je ne vous en fais point icy de détail ; le Journal des Sçavans que vous voyez, en parle amplement.

Epitre de Madame des Houlières, au Roy §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 194-201.

En mesme temps qu’on apprit que son départ estoit résolu, on vit paroistre des Vers qui méritent bien vostre curiosité. En voicy de Madame des Houlieres. Son nom suffit pour vous préparer à une lecture des plus agréables.

EPÎTRE
DE MADAME
DES HOULIERES,
AU ROY.

Pourquoy chercher une nouvelle gloire ?
Sous vos Lauriers goûtez un doux repos ;
Assez d’Exploits d’immortelle mémoire
Vous font passer les antiques Héros.
Pour vous, grand Roy, pour le bien de la France,
Que reste-t-il encore à souhaiter ?
Vos soins chez elle ont remis l’abondance ;
Vostre valeur qui pourroit tout dompter,
La rend terrible aux Nations étranges,
Et quelque loin qu’on porte les loüanges,
Il n’en est point qui vous puissent flater.
***
A vous chanter nos voix sont toûjours prestes ;
Mais quand nos Vers à la Postérité
Pourroient vous peindre aussi grand que vous estes,
Quand de vos Loix ils diroient l’équité,
De vostre Bras les rapides conquestes,
De vostre Esprit la noble activité,
De vostre abord le charme inévitable,
Quelle en seroit pour vous l’utilité ?
Lors que le vray paroist peu vraysemblable,
Il n’a sur nous que peu d’autorité.
***
Ces Conquérans qu’eurent Rome & la Gréce,
Ces Demy-Dieux sur cent Lyres chantez,
Ont eu le sort que trop de gloire laisse,
On les a crûs servilement flatez.
Tant de vertus qu’en eux l’Histoire assemble,
Est, disoit-on, le prix de leurs bienfaits ;
Et si vous seul sous qui l’Univers tremble,
N’eussiez plus fait qu’ils n’ont fait tous ensemble,
On douteroit encor de leurs hauts Faits.
***
De leur valeur la vostre nous assure,
Vous la rendez croyable en l’éfaçant ;
Un tel secours chez la Race future
Sera pour vous un secours impuissant.
Quelques efforts que la Nature fasse
Pour les Héros que sa main formera,
Loin d’en trouver quelqu’un qui vous efface,
Jamais aucun ne vous égalera.
***
N’allez donc plus exposer une vie
D’où le bonheur de l’Univers dépend ;
Voyez la Paix, de tous les biens suivie,
Qui dans les bras des Plaisirs vous attend ;
Epargnez-nous de mortelles allarmes ;
Où courez-vous par la Gloire animé
Si la Victoire a pour vous tant de charmes,
Vous pouvez vaincre icy sans estre armé.
N’appellez point une indigne foiblesse
Quelques momens donnez à la tendresse ;
Les plus grands Cœurs n’ont pas le moins aimé.
***
Mais aux travaux de la fiere Bellonne,
J’oppose en vain le repos le plus doux.
Les faux plaisirs que l’oisiveté donne,
Ne sont pas faits pour un Roy comme vous,
Instruit de tout, appliqué sans relâche,
Et toûjours grand dans les moindres projets.
Lors que la Paix aux périls vous arrache,
Vne autre gloire à son tour vous attache,
Et vous immole au bien de vos Sujets.
***
Ainsi l’on voit le Maistre du Tonnerre,
Diversement occupé dans les Cieux ;
Tantost vainqueur dans l’insolente Guerre
Qui sit périr les Titans furieux ;
Tantost veillant au bonheur de la Terre,
Porter par tout un regard curieux,
Y rétablir le calme, l’innocence,
Estre de tous la crainte, l’espérance,
Et le plus grand, & le meilleur des Dieux.
***
Craint, adoré.… Mais j’entens la Victoire
Qui vous appelle à des Exploits nouveaux.
Que de hauts Faits vont grossir vostre Histoire !
Partez, courez à des destins si beaux.
Je voy l’Espagne aux Traitez infidelle,
De ses Païs payer ses attentats ;
Je voy vos coups détruire les Etats
Du fier Voisin qui soûtient sa querelle ;
Et je vous voy vainqueur en cent Combats,
Donner la Paix, & la rendre eternelle.

La Fauvette, à Sapho, arrivant de son petit Bois le 25. Avril, selon la coûtume §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 202-205.

Ces autres Vers, pour n’être pas adressez à Sa Majesté, ne laissent pas de loüer ce Grand Monarque. Ils sont de l’illustre Mademoiselle de Scudéry. Vous sçavez qu’elle a immortalisé les Fauvetes par le langage qu’elle leur a fait tenir. Elle a continué, & voicy ce que la Fauvete de son Bois a dit cette année. Les loüanges redoublent beaucoup de prix, quand la maniere de les donner est ingénieuse.

LA FAUVETE,
A SAPHO,
Arrivant à son petit Bois le 25. Avril,
selon sa coûtume.

Apres l’Hyver rigoureux,
Je reviens sous cet ombrage,
Le cœur toûjours amoureux,
Et prest à vous rendre hommage,
Selon mon foible ramage.
***
Mais dans ces aimables Bois,
Dont la verdure m’enchante,
Ce n’est plus comme autrefois,
Car l’ingénieux Acante
Ne répond plus à ma voix.
***
Malgré son cruel silence,
Puis qu’il chanta mes amours,
I’ay de la reconnoissance,
Je l’admireray toûjours.
***
I’ay sçeu dans ma longue course,
Qu’il n’aime plus qu’un Grand Roy,
Qui du Levant jusqu’à l’Ourse
Porte l’amour, ou l’effroy,
Et soûmet tout à sa Loy.
***
Quand il partit de Versailles,
Je vis ce Roy sans pareil,
Tel que le Dieu des Batailles,
Plus brillant que le Soleil.
***
Je pensay cent fois le suivre,
Au lieu de venir à vous,
Et j’eusse bien voulu vivre
Aupres d’un Héros si doux.
***
Mais ayant veu la Victoire
Qui voloit autour de luy,
Je connus bien que la Gloire
Nous l’arrachoit aujourd’huy.
***
Je crûs oüir le Tonnerre,
Je vis briller des Eclairs,
Je sentis trembler la Terre,
Et je craignis que la Guerre
N’allast troubler l’Univers.
***
N’ayant pas l’aîle assez forte
Pour ce rapide Guerrier,
Dans le zele qui m’emporte,
Je reviens sur mon Meurier,
Et ne cesse de prier
Que bientost il nous apporte,
Ou l’Olive, ou le Laurier.

Sur le Départ du Roy §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 205-207.

Je vous envoye aussi trois Sonnets, qui regardent le Voyage. L’Autheur du second m’est inconnu. Mr Magnin a fait le premier. Le troisiéme est de Mr de Lonchamp, d’Evreux.

SUR LE DEPART
DU ROY.

Le Grand LOUIS part pour l’Armée ;
A voir déja de toutes parts
Marcher ses pompeux Etendarts,
Toute l’Europe est alarmée.
***
La nouvelle en est confirmée,
Mais on en craint peu les hazards,
Et la Porte du Champ de Mars
Sera, dit-on, bientost fermée.
***
Lors que le Monarque des Cieux
Tonne d’un air impérieux,
Tout fléchit, tout craint le Tonnerre.
***
Rassurons-nous donc désormais ;
Ce terrible appareil de Guerre
Ne peut enfanter que la Paix.

Sur le mesme sujet §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 207-209.

SUR LE MESME SUJET.

Va, Grand Monarque, va, que ton Tonnerre gronde ;
Que la rapidité d’un invincible Mars,
Qui te fait admirer, affrontant les hazards,
Fasse voler ton Nom aux quatre bouts du Monde.
***
De ton Bras indompté, la valeur sans seconde,
Malgré tes Ennemis, guidant tes Etendards,
Fera voir le débris de tous ces grands Ramparts,
Où de ces Envieux en vain l’orgueil se fonde.
***
Mais s’il ne suffit pas d’apprendre à des Mutins
Que tu sçais balancer à ton gré les Destins,
Du bruit de tes Exploits remplir toute la Terre ;
***
Pour mettre au plus haut point ta gloire & nos souhaits,
Apprens à ces Jaloux qui veulent tant la Guerre,
Que tu peux de nouveau leur imposer la Paix.

A Monseigneur le Dauphin §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 209-210.

A MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.

Le Chemin, jeune Mars, qui conduit à la Gloire,
Par les Faits de LOUIS nouvellement tracé,
Expose à tes travaux ce que toute l’Histoire
Ne raconta jamais des Guerriers du passé.
***
C’est à Toy de finir ce qu’il a commencé ;
Ce Monarque à son Sang ne joignit la Victoire,
Qu’à dessein que ton Nom aupres du sien placé,
Fust à jamais écrit au Temple de Mémoire.
***
Va sur ses nobles pas conquérir l’Univers,
Aspire à son exemple à des Lauriers divers,
Partage avecque luy l’éclat qui l’environne.
***
Ce Prince que la mort ne sit jamais trembler,
Ne demandoit au Ciel, pour porter sa Couronne,
Que de se voir un Fils qui pust luy ressembler.

Relation de ce qui s’est passé en Catalogne §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 355-371.

RELATION DE CE
qui s’est passé en Catalogne le 12. May.

L’armée passa les Cols le premier de ce mois, & se rendit à la Jonquiere, où l’on fut obligé de faire un petit Travail, pour y établir un Poste qui pust contribuer à la seûreté des Convois. Le 2. elle logea à Sainte Locaye, d’où l’on envoya une Garnison dans Figuieres, pour empescher les Courses de ceux de Rose. Le 3. elle passa la Fluvia, & vint à Bascara. L’on y apprit que les Ennemis n’estoient pas ensemble, & que deux jours auparavant ils avoient retiré leur Cavaleris, qui estoit en Quartier dans les Villages du Lampourdan. Cette nouvelle auroit donné la pensée de former le Siege de Gironne ; qui est la seule Place où l’on peut songer, n’ayant point d’Armée Navale, & l’on y auroit trouvé assez de facilité ; mais l’incommodité des Equipages, des Vivres, & de l’Artillerie, la disette qui est cette année dans la Province, & qui nous réduit à tirer toutes les Farines du Languedoc, nous a aussi réduits à y demeurer neuf jours, pour faire venir plusieurs Convois, & donner le temps à Mr le Président Trobat Intendant, de faire assembler les Troupes du Roussillon, du Conflans, & du Capsi, & pour nous faire mener du gros Canon & des Boulets, des Farines ; & des Avoines, afin d’établir un Magazin considérable dans Bascara. L’on manda à Mr de Chazeron de faire tirer deux Bataillons de ses Garnisons pour les conduire, & l’on détacha Mr le Marquis de Rane avec cinq cens Chevaux & soixante Dragons, pour les joindre. Le 10. ayant appris que Mr de Chazeron arrivoit ce soir-là à Figuiere, & qu’il pouvoit se rendre le lendemain à Bascara, l’on en délogea le matin, & l’on résolut de ne point passer Madigan, à cause de la grande pluye du soir précedent, qui ne pouvoit manquer d’avoir extrémement gasté les chemins, & enflé la Riviere du Ter. Cependant l’on avoit mis à l’Avant-garde Mr Grillon, avec les quatre Escadrons de son Régiment, les quatre de Villeneuve, & un Bataillon de Stoup, commandé par le Sr Pallavicin, afin de loger au pied de la Coste rouge, & que l’on pust se poster le lendemain au Pont-Major, où l’on croyoit ne trouver aucune résistance, cela fondé sur tous les avis que l’on avoit que Mr de Bournonville s’assembloit dans Gironne, où il n’y avoit encore que la Garnison ordinaire. Mr de Grillon trouva au Pont de Madigan les Miquelets Espagnols, & vit sur les Hauteurs une Garde de Cavalerie. Il fit pousser les Miquelets, qui luy tuerent quelques Suisses & la Garde ne l’attendit pas. Je pris le party de m’avancer au Pont-Major pour me remettre l’idée du Siege de Gironne, où je m’estois trouvé il y a trente & un an. Je fis marcher Mr Grillon, & le suivis avec les Dragons, & huit autres Escadrons. En descendant dans la Plaine, je fut fâché de trouver la Riviere trouble & grossie, & je ne fus pas surpris de voir quelque Infanterie dans les Maisons du Pont-Major, avec quelque Garde de Cavalerie en deça. C’est un Manége que les Ennemis ont accoûtumé de faire toutes les fois qu’on approche, & mesme ils faisoient toûjours pousser leurs Gardes ; & comme ils se retirerent d’assez loin, nous jugeâmes bien qu’ils croyoient le pouvoir impunément à la faveur de la Riviere. Bientost apres, nous n’eûmes pas lieu d’en douter. En nous étendant dans la Plaine, nous vîmes toutes leurs Troupes en Bataille, & qui travailloient en plusieurs endroits où sont d’ordinaire les Guez, & que l’on faisoit plusieurs Bateries. Quelques Païsans des Lieux nous apprirent que Mr de Bournonville y estoit arrivé le soir avec toutes ses Troupes, & qu’il s’estoit promené tout le matin sur les avenuës. Nous n’eûmes pas de peine à comprendre, que le long sejour que nous avions fait à Bascara, l’avoit fait changer de projet, & qu’au lieu de se retrancher à Ostelric, il avoit crû le pouvoir faire à Gironne.

Mr de Grillon, sans perdre de temps, fit sonder le Gué au deça du Pont-Major, qui n’estoit point gardé par leurs Troupes, mais il le fit inutilement ; on le trouva impraticable. Il ne faut pas compter que ces Rivieres soient comme celles de Flandre, où il suffit de trouver une entrée & une sortie. La rapidité est si grande en celles-cy, & il y a tant de grosses pierres dans le fond, qu’elles sont mesme difficiles, quand elles ne sont pas agitées par la fonte des neiges, ou par les pluyes. Il nous eust esté fâcheux qu’un Corps si inférieur à l’Armée du Roy, eust osé se présenter devant elle ; & pour n’avoir rien à nous reprocher, nous envoyâmes chercher le reste des Troupes qui arriverent d’assez bonne heure ; mais Mr de Rével qui alla au devant de l’Artillerie pour luy faire faire diligence, ne pût nous amener qu’avec peine des Munitions demy-heure avant la nuit, & deux Pieces de Canon un quart-d’heure apres. Pendant que les Troupes prenoient de la Poudre, on sonda le mesme Gué, & l’on trouva que l’eau estoit diminuée comme on l’avoit esperé, & qu’on y pouvoit passer, quoy qu’avec peine.

Voicy l’ordre avec lequel on marcha. Mr de Calvo. Mr de Rivel avoit avec luy le Bataillon de Laré, & les deux de Conismarck, les Dragons, & trois Escadrons de Cravates, quatre de Grillon, quatre du Regiment du Chevalier Duc, & quatre de Villeneuve, Mr le Chevalier Duc commandant la Cavalerie, Mr Grillon Brigadier. A la droite estoit Mr de la Mothe, & avec luy Mr du Saussey, les Gardes ordinaires, un Escadren de Cravates qui avoient la grande Garde, quatre Escadrons de Condé commandez par Mr le Marquis de Toiras, le Bataillon de Castres, les deux de Fustemberg, un de Stoup, celuy de Sainte-Maure, la seconde Ligne de quatre Escadrons de Conismarck, le Bataillon de Dampierre, celuy de l’Allemand, & un de Stoup. Mr de la Mote-Paillaux Brigadier, commandoit cette Cavalerie de la droite, derriere la premiere Ligne d’Infanterie, & Mr de Stoup. Le 12. on s’étendit dans la Plaine. Le dernier Bataillon de la Ligne fut vis-à-vis le Pont-Major, & le premier vis-à-vis du Gué retranché, & cela à la portée du Mousquet, en attendant que Mr de Calvo eust commencé de faire passer les Dragons. Tout alla fort bien, & heureusement. Ils quiterent viste leurs Chevaux. Les Cravates suivirent. Mr de Conismarck se mit à l’eau avec son premier Bataillon, & Mr de Jüigny avec celuy de Laré. Le second Bataillon de Conismarck trouva l’eau trop haute, & voyant beaucoup de Gens noyez du premier, on ne jugea pas à propos de le commettre. Mr de Calvo ne laissa pas de commencer à attaquer le premier Poste des Ennemis. Mr de la Mothe se mit dans la Riviere, & en peu de temps on chargea les Ennemis par le feu des Bataillons de Castres, de Fustemberg, & de Stoup. Il resta seulement vis-à-vis de Castres un Retranchement, duquel on ne pût chasser tout-à-fait les Ennemis, dont on fut assez incommodé ; car comme on s’obstinoit à demeurer toûjours à découvert, ils tuérent deux Capitaines, & quatre autres Officiers. Le Marquis de Laré eut un Cheval tué sous luy ; & comme la descente du Gué estoit petite & mauvaise, l’on diféra d’en tenter le passage, & l’on se contenta de continuer un fort grand feu. On doit ce témoignage à Messieurs de Castres & de Fustemberg, de s’y estre comportez avec beaucoup de fermeté. Pendant cela, Mr de Calvo avançoit toûjours, & avoit jetté ses Dragons & son Infanterie sur la gauche. Il dépostoit peu à peu les Dragons & les Miquelets des Ennemis, pendant qu’avec les trois Escadrons des Cravates désilez par les Ravines & Rideaux, il rompit en suite les Escadrons Espagnols. Nous pouvons dire que nous avons veu les Lieux avec étonnement, & la quantité de Chevaux qui y sont restez. Quand on vit sur la Hauteur le feu que faisoit Mr le Caivo, & que celuy des Ennemis se raprochoit du Pont-Major, on fit attaquer par le Bataillon de Sainte-Maure, qui se rendit bientost maistre de toutes les Maisons, & du Retranchement qui estoit au dela ; mais la Barriere du milieu du Pont leur fut assez disputée. Elle se trouva terrassée, & pénible à couper. Mr de Calvera, Lieutenant Colonel, hazarda de monter sur les Gardes-faux du Pont, & de passer à demy en l’air du costé de la Barriere. Il fut bien suivy des Officiers & des Soldats, & en peu de temps, il eut assez de monde pour marcher à l’autre Barriere qui estoit à l’extrémité du Pour flanquée par les Maisons. Il s’en rendit encore le maistre, malgré le résistance des Ennemis ; & apres avoir fait des ouvertures aux deux Barrieres, il entra dans la Ruë, & y poussa le Regiment de Bourguyn arostel ; mais un moment apres, la Ruë tournant à droit, on se trouva fort en large. Il rencontra un Escadron, qu’il ne rompit qu’à coups de Piques, Ce fut là où il perdit les Sieurs de Faviers & de Montels, le premier, Capitaine des Grénadiers. On le fit souenir par le Bataillon de Stoup, par celuy de Fustemberg, & par un Escadron de Conismarck, & l’on manda à Mr de la Mothe de ne plus songer à faire passer Messieurs de Toiras & de la Mote-Paillaux à un autre Gué qu’on avoit trouvé. Dans ce mesme temps, les Dragons avec leurs Bayonnettes dans leurs Fusils, les Bataillons de Conismarck & de Laré avec leurs Piques, les Munitions des uns & des autres estant toutes moüillées, aiderent au Regiment des Cravates à rompre le reste de la Cavalerie ennemie, & aussitost apres Mr de Calvo se trouvant à l’extrémité de la Hauteur, au milieu du Pont-Major, apprit par le Sr de la Conterie, Gentilhomme à moy, que le Passage estoit forcé, & mesme le Chemin pour descendre en bas, qu’il cherchoit dans la grande obscurité de la nuit pour suivre les Ennemis. Ce fut assez inutilement, car ayant esté forcez en tous leurs Postes, il ne leur avoit pas esté possible de se rallier sous le grand feu que Mr de la Mothe leur faisoit faire sur le bord de la Riviere. Ainsi l’on ne songea plus qu’à ramasser ce qu’on pût de Prisonniers dans les Maisons, & à repasser la Riviere pour se camper à la Montagne qu’il avoit à dos. L’obscurité de la nuit a empeschi qu’on n’ait pris la plûpart de leur Infanterie ; & le grand Chemin de Gironne a donné facilité à leur Cavalerie de se retirer. Je suis surpris qu’on aye pû prendre une centaine de Chevaux. Il est inutile de donner des éloges à Messieurs les Officiers Genéraux ; le succés de la chose fait assez voir comme ils s’y sont comportez.

M. de Rével & de Grillon culbutérent dans l’eau, & penserent se noyer. Cela ne les retarda pas d’un moment dans l’Action. Mr le Chevalier Duc y a reçeu trois contusions. L’on ne peut assez loüer les Sieurs Martin, de Sainte Riane, & de Basigan. Mr de Conismarck, & Mr de Ioigny, se sont jettez à l’eau, sans en attendre l’ordre de Mr de Calvo, qui avoit peine à se résoudre de le donner, voyant la difficulté du Passage. Ils se sont comportez parfaitement bien dans toute la suite. Le Marquis de Gange Colonel des Dragons, le Sr de Breüil, & tous les Officiers, ont fait des choses qu’on n’auroit osé attendre d’un Regiment nouveau. Il y a peu de Combats où l’on ait veu de part & d’autre tant de Gens, à qui l’on ait appuyé le Mousquet & le Pistolet dans la teste, dont on les a veus tous brûlez, & les Piques & Epées. Le Marquis de Courtebonne Maréchal des Logis de la Cavalerie, & le Sr de Montelas Major General, portoient les ordres avec netteté, & d’un grand sang-froid. Mr de Zurlaube, Capitaine dans Conismarck, commandant cent Hommes, témoigna beaucoup d’activité. La nuit ne permettant plus au Canon de tirer, il s’avança sur la Riviere, où il essuya un tres-grand feu avec tous ses Gens. Je loüerois la bonne volonté du Marquis de Villeneuve, qui sorty d’une fiévre de huit jours, n’a pas laissé de passer la Riviere avec son Regiment, si cette bonne volonté n’estoit genérale dans toute l’Armée, car il est vray que le seul embarras a esté de contenir les Troupes, & de les empescher de tomber dans quelque confusion par leur trop d’ardeur. Des Soldats qui avoient esté pris quelques jours avant l’Action, & que Mr de Bournonville m’a renvoyez aujourd’huy, m’ont confirmé ce qu’on m’avoit déja dit, que la Cavalerie des Ennemis s’estoit retirée à Ostelric avec un si grand desordre, qu’elle avoit laissé une partie de leur Bagage en chemin. Mr de Bournonville y arriva entre huit & neuf heures du matin. L’Armée ennemie doit estre composée de 6000. Hommes ; plus de 3000. que composent les Regimens, sçavoir, ceux de D. Martin de Guzman ; de la Députation de Barcelone ; de D. Antonio Serana ; de Tolede ; de la Ciuta ; Lacosta ; Vallence ; D. Thomaries Bassico ; Dragon commandé par le Comte de Ransoles, blessé & prisonnier.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 338.

Je vous envoye un Printemps qui vous plaira. Il est d´un de nos plus sçavans Maistres.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : la Chanson doit regarder la page 3[3]8.
Printemps, qu'attendez-vous pour embellir ces Lieux ?
D'où vient qu'on voit encor ces frimats ennuyeux ?
Il est temps que la Nature
Fasse revoir icy ses charmes les plus doux ;
Rien ne doit retarder sa riante verdure.
Printemps, qu'attendez-vous ?
images/1684-05_338.JPG

[Nomination de l’Abesse du Pracelet à l’Abbaye de Nôtre-Dame]* §

Mercure galant, mai 1684 [tome 5], p. 373.

Madame l'Abbesse du Paraclet, Tante de M de la Rochefoucault a esté pourvúë de l'Abbaye de Nostre-Dame de Soissons, que la mort de Madame Armande-Henriete de Lorraine a laissée vacante.