1684

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1684 [tome 9].
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Mercure galant, juillet 1684 [tome 9]. §

Vers pour apprendre aisément les Fortifications §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 5-15.

Si la quantité des termes de Guerre que vous avez trouvez dans celle du Siege de Luxembourg, a pû vous causer quelque surprise, elle augmentera quand vous les verrez réduits en Vers d’une maniere agréable. L’Ouvrage qui suit, vous fera voir qu’il n’y a point de matiere si sauvage, qui n’ait de quoy fournir des beautez aux Muses. Il est de Mr de Tinelis, Sr de Castelet, Professeur aux Mathématiques, en la Citadelle de Valenciennes, qui l’a composé exprés, afin que la douceur de la Poësie rendist les termes de Fortification plus aisez à retenir.

VERS
POUR APPRENDRE AISÉMENT
LES
FORTIFICATIONS.

Dans les Siecles premiers, rien ne flanquoit les Forts,
Ils ne pouvoient braver l’insulte du Dehors ;
On connut ce defaut, on fit des Tours quarrées,
D’un petit intervale entre elles séparées ;
Et la suite des temps qui dessille les yeux,
Arrondit ces quarrez pour flanquer beaucoup mieux.
Mais depuis que * Bertolde eut inventé la Poudre,
A chercher d’autres Flancs il falut se résoudre.
On fit des Bastions, autrement Boulevarts,
Qui sont les vrais soûtiens des Murs & des Ramparts.
Ils ont Angle flanqué, Face, Angle de l’Epaule,
Flanc Ligne Capitale, & Gorge à double Bole.
La Courtine placée entre deux Bastions,
A quelquefois deux Flancs que l’on nomme Seconds.
La Ligne de Défense en tel cas est fichante,
Cette Ligne autrement n’est jamais que razante.
L’Angle diminué, l’Angle appellé flanquant,
L’Angle de Contre scarpe, & saillant, & rentrant,
L’extérieur Costé, le double Diamétre,
Sont des termes de l’Art qu’il ne faut point ômettre.
L’Angle du Centre encor doit estre sçeu par cœur,
Et vous devez sur tout suputer sa valeur.
Pour la trouver, voyez la somme résultante,
Du nombre des Costez coupant trois cens soixante,
Et de cent quatre-vingts l’Angle du Centre esté,
Donnera la valeur de l’Angle du Costé.
Le Flanc du grand Vauban en Cercle se figure,
Il touche l’Orillon, il touche la Brizure.
Autrefois on faisoit peu raisonnablement
Un Orillon quarré, qu’on nomme Epaulement.
Quant à ces trois Dehors, Ravelins, Demy-lunes,
Contregardes, ils ont plusieurs choses communes,
Qui font qu’ils peuvent estre aisément comparez
Avec des Bastions du Rampart séparez.
Pour la Tenaille simple, & la double Tenaille,
L’esprit les voit bientost, pour peu qu’il y travaille.
La Simple qu’il connoist, en faisant moins d’effort,
Avec l’Ouvrage à Corne a toûjours grand raport ;
Le Double qui ressemble à l’Ouvrage à Couronne,
Ne passe point par tout pour Défense fort bonne.
Le Coridor qu’on fait quelquefois à Rédans,
Est le premier Dehors où vont les Assiégeans.
L’Esplanade, ou Glacis, le suit, il environne
Tous les autres Dehors, ainsi qu’une Couronne.
Voila quels sont les Noms des principaux Dehors
Contre qui l’Assiégeant fait ses premiers efforts.
Le Dessein, ou le Plan, se nomme Ichnographie ;
La Hauteur, ou Porfil, s’appelle Ortographie.
Sçachez encor les mots de Parapet, Cordon,
Paterne, Fausse-braye, Embrazure, Merlon,
Casemate, Talud, Plate-forme, Banquette,
Pas-de-Souris, Gazon, Terre-plain, & Cuvette.
Sçachez que la Hauteur qu’on nomme Cavalier,
Est un second Rampart assis sur le premier.
La Cascane est un Puits creusé contre la Mine.
Les Portes ont Bacule, Orgues, Pont, Sarrazine.
L’Escarpe & Contrescarpe au Fossé se font voir,
Et ce sont deux Talus par où l’on y peut choir.
Chausse-trape pointuë, épaisse Barricade,
Fraise, Cheval de Frise, & haute Palissade,
Arrestent l’Ennemy dans son premier effort,
Embarrassent ses pas, & luy ferment l’abord.
Dans un Siege on se sert de Fortin, Gallerie,
Boyaux, Hute, Barraque, & Chars d’Artillerie ;
On y remarque encor Circonvalations,
Tranchée, & ses Détours, Chandeliers, Gabions,
Grénades, Pots-à-feu, Mantelets, Sacs-à-terre ;
Mais ce qui montre mieux la vigueur de la Guerre,
On y voit le Petard joint à son Madrier,
Le Boulet au Canon, & la Bombe au Mortier.
L’effroyable Carcasse, invention récente,
Remplit dans les Citez les Peuples d’épouvante ;
La Foudre ne fait point de ravages plus grands
Que ces traits enflâmez qu’ont veu les derniers temps.
Quoy qu’il faille connoistre exactement ces choses,
Leurs matieres, leurs noms, leurs effets, & leurs causes,
Ce n’est pas proprement Fortification
Qui demande sur tout vostre application ;
Il faut étudier d’abord la Réguliere,
Qui fournit à voir l’autre une grande lumiere.
Pour l’avoir dans l’esprit fort présente en tout temps,
Retenez avec soin les termes Grecs suivans.
Pente, c’est cinq ; Ex, six ; Epta, sept signifie ;
Octo, huit ; le Latin au Grec icy s’allie ;
Neuf, se dit Ennea ; Deca, veut dire dix ;
Onze, c’est Endeca ; Dodeca, deux fois six.
A tous ces termes Grecs joignez celuy de Gone,
Et vous aurez le nom de chaque Polygone.
Ce grand Art appellé Fortification,
Est monté par degrez à sa perfection.
Errard, que maintenant en tous lieux on surpasse,
Ioignoit par Angle droit le Flanc avec la Face.
D’autres, pour découvrir beaucoup mieux l’Assaillant,
Ioignoient par Angle droit la Courtine & le Flanc.
La Ligne de Défense est perpendiculaire
Sur le Flanc de Pagan, Autheur que l’on révere ;
Et dans nos jours heureux, le célebre Vauban
A perfectionné le Dessein de Pagan.
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[Réception faite à M. le Landgrave de Hesse à la Cour de Hannover] §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 15-23.

 

Mr de Landgrave de Hesse est venu depuis peu de temps à Hanover, où il a passé huit jours avec Madame sa Femme, & la Princesse de Curlande sa Soeur. Comme cette Cour est tres-galante, on n’y a rien oublié de ce qui pouvoit contribuer à les divertir. On leur fit une Entrée fort solemnelle, & le lendemain il y eut Comédie, ce qui continua tous les jours, à l’exception du Dimanche. Il y eut aussi Bal souvent, & le hazard fut cause que l’on en commença un dans la Chambre de Madame la Duchesse de Hanover, sans qu’on eust donné aucun ordre pour cela. Cette Princesse voulant faire voir à la Compagnie l’adresse que le jeune Baron de Platen avoit à la Dance, le fit appeller, & il dança diverses Entrées avec l’applaudissement de tout ce qu’il y avoit de Spéctateurs ; apres quoy, il prit Mesdames les Princesses, qui en suite en prirent d’autres. Ainsi le Bal s’échauffant, on passa dans l’Antichambre, & l’on y dança jusqu’à l’heure de la Comédie. Le Dimanche, Mr le Grand-Maréchal donna le Bal chez luy à toute cette Serénissime Assemblée, & il s’y trouva plus de cent Cavaliers, & autant de Dames. Apres que l’on eut dancé depuis six heures jusques à dix, on servit un magnifique Soupé ; & l’on ne fut pas plutost sorty de table, qu’on recommença la Dance, qui dura la plus grande partie de la nuit. Le jour qui précéda celuy du depart de Mr le Landgrave, il y eut Wirtschaft, ou Mascarade. Le sort ayant décidé du déguisement, Mr le Landgrave y parut en Mars ; Madame sa Femme, en Déesse ; la Princesse de Curlande, en Indienne ; & Monsieur le Duc de Hanover, en Arlequin. Madame la Duchesse avoit un Habit, comme les Dames de sa qualité le portoient il y a trois cens ans. Monsieur le Prince aîné estoit habillé en Scaramouche ; les deux Princesses, en Turques ; & les autres Princes, chacun de diférente maniere. Mr le Grand-Maréchal estoit en Héraut-d’Armes ; Madame la Maréchale, en Avocat ; & tous les autres avoient des Habillemens bizarres. Toute cette Troupe alla sur les cinq heures à Herrenhausen, Maison de plaisance de Monsieur le Duc de Hanover, les Cavaliers à cheval, & les Dames en Carrosse. On y fit une espece de Jouste, ou de Carrousel. Les Cavaliers vestus d’Habits de Toile, garnis de Foin, & montez sur des Chevaux sans Selles, coururent les uns contre les autres avec des Lances, qui avoient un rond de bois au bout. Ainsi le plus fort renversoit l’autre par terre, & tomboit souvent en mesme temps. On alla en suite dans une grande Prairie, où les Carrosses & les Masques firent plusieurs tours. Rien n’y parut plus grotesque que l’Habillement du Prince Auguste. Il estoit monté sur un Asne, & portoit en croupe un Cavalier déguisé en Fille. Tous les Masques se mirent en Escadron, & revinrent en cet ordre dans la Ville, devant le Carrosse de Monsieur le Duc de Hanover. Lors que l’on fut arrivé, le Bal commença, & dura jusqu’au Soupé, qui fut tres-superbe. La Table de S.A.S. estoit de soixante & douze Couverts. Le Bal recommença apres le Soupé, & ne finit qu’à cinq heures du matin. L’apresdînée de ce mesme jour, on prit le divertissement de la Comédie, auquel on joignit celuy des Marionnetes ; & sur le soir, Mr le Landgrave, dont le départ estoit résolu, sortit de la Ville avec la mesme cerémonie qu’il y estoit entré ; & les Gentilhommes de la Cour qui se suivirent, eurent ordre de le traiter splendidement pendant tout le temps qu’il seroit sur les Terres de Monsieur le Duc de Hanover.

Eloge du Sommeil en Vers §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 23-28.

Des Divertissemens de cette nature, ausquels on employe souvent les nuits entieres, ne seroient pas propres à l’une des Belles pour qui l’on a fait les Vers que vous allez lire. Ce sont deux Sœurs, dont l’une aime extrémement à dormir, & l’autre à veiller.

POUR LE SOMMEIL.

Douce Divinité, qui partages le monde
Avec le Dieu brillant qui nous donne le jour,
 Sommeil, qui régnes à ton tour,
Quand ce sacré Flambeau va s’éteindre dans l’onde ;
 Entend d’une charmante nuit,
 Ennemy du trouble & du bruit,
 Ah ! que j’aime tes sombres voiles,
 Ton Lit d’Ebéne, & tes Pavots,
 Et qu’à l’ombre de tes Etoiles
 Mon cœur va gouster de repos !
***
 Que l’on doit aimer ta présence,
 Ton calme, & ton obscurité,
 Tes eaux, ton coussin, ton silence,
 D’où naist nostre tranquilité !
 Tu finis nostre inquiétude,
 Adoucis nostre lassitude ;
Tu rafraîchis nos sens, soulages nos ennuis ;
Et mettant le plaisir, où régnoit la tristesse,
 Avec douceur, avec vîtesse,
Tu charmes nos ennuis, nos travaux, & nos soins.
***
 Par toy Philis est toûjours belle,
 Tu la maintiens dans ses beaux jours ;
Par toy son embonpoint se conserve toûjours
 Avec une grace nouvelle.
 C’est toy-mesme, divin Sommeil,
 Tous les matins, à son réveil,
Qui viens semer son teint de Jasmins & de Roses,
 Et qui mets l’éclat dans ses yeux.
 Oüy, qui fait de si belles choses,
 Doit estre le plus grand des Dieux.
***
 Pour endormir les Créatures,
 Tu te sers de charmes puissans,
 Et par de douces impostures,
Assoupissant les corps, tu fais veiller les sens ;
 Par l’enchantement de tes songes,
La verité souvent plaist moins que les mensonges.
 Ta nuit a des momens trop courts,
Quand tu la fais couler sous d’aimables idées ;
Et quoy que leurs douceurs ne soient pas bien fondées,
 Leur fausseté nous plaist toûjours.
 Mais en parlant, je voy Morphée
 Avec sa Baguette à la main ;
Il seme de Pavots & mes yeux, & mon sein ;
 M’assoupir est tout son trophée ;
Je cesse de sentir, sans mourir je me meurs.
 Que de soûpirs ! que de langueurs !
Je joüis d’un repos dont mon ame est ravie,
 Me laissant aller dans tes bras.
Non, Sommeil, tu n’es point le Frere du Trépas,
Puis que c’est ta douceur qui me donne la vie.
***
Ministres de ce Dieu, qui veillez pres de moy,
Des Phantômes affreux ostez-moy la figure,
 Faites-moy plutost la peinture
De toutes les Beautez qui régnent sous sa Loy ;
 Représentez-moy ma Climene
 Plus prompte à soulager ma peine,
 Et plus sensible à mon amour,
 Que quand le jour je suis pres d’elle ;
Et pour lors cette nuit, dust-elle estre eternelle,
Je la préfererois au plus aimable jour.

Contre le Sommeil §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 28-33.

CONTRE LE SOMMEIL.

 Languissant Frere de la Mort,
Dont le triste Palais joint la Rive infernale,
Sommeil, dont les Pavots, & la Verge fatale,
Flote le long des eaux de ce funeste Bord ;
Qu’à ta suite l’on voit dans ces Demeures sombres,
 De Démons, de Phantômes, d’Ombres !
Quel trouble ! quelle nuit ! que d’horreur ! que de fers !
 Ah ! ces Cachots épouvantables
 Sont faits pour les Ames coupables,
Quand pour jamais ta Sœur les conduit aux Enfers.
***
 Fuyons de ces Grotes obscures,
 N’y tombons point, réveillons-nous ;
 Les veilles, pour les Créatures,
 Présentent des momens plus doux.
Oüy, Sommeil, tes beautez ne sont que des mensonges ;
Ton éclat, qu’un abus ; tes plaisirs, que des songes ;
Et tes impressions me remplissent d’effroy,
 Quoy qu’elles ne soient pas solides ;
Car lors qu’en sommeillant je voy tes Euménides,
A mon reveil encor je croy que je les voy.
***
Loin d’icy tes coussins, ton onde, ton silence,
Et tout ce qui nous mene à l’assoupissement ;
Si le Sommeil est doux, ce n’est qu’en apparence.
L’Homme n’est plus Homme en dormant,
Son pouvoir abrutit, abat, énerve, enyvre,
 Il nous fait vivre, & ne plus vivre,
Affoiblit nos esprits, & rend nos sens perclus,
Il nous rend de la Mort la plus vivante image,
Nous oste la raison, nostre meilleur partage,
Et nous dérobe un temps que nous ne verrons plus.
***
 L’on sçait que le Temps nous devore,
L’on sçait qu’avec sa Faux il tranche nos beaux jours ;
Pourquoy donc au Sommeil donnerons-nous encore
Des momens qui sont chers d’autant plus qu’ils sont courts ?
 Veillons, puisque veiller c’est vivre,
Fuyons la mort, suivons ce que nous devons suivre,
 Employons le temps à propos ;
Nostre âge, la raison, le Ciel nous y convie ;
 Et n’appellons jamais repos,
Un Sommeil malheureux, qui nous este la vie.
***
Pour avoir trop dormy, Cloris n’a plus d’appas,
Ses yeux ne sont plus vifs, son humeur est chagrine ;
 Iris, ma charmante Voisine,
 Veillez, & ne l’imitez pas.
 Vous estes jeune, grande & belle ;
 Quoy, seriez-vous assez cruelle,
Pour vous plonger si tost dans l’assoupissement,
 Qui n’est propre qu’à la Vieillesse ?
Non ; mais pour réveiller vostre aimable jeunesse,
M’en croirez-vous, Iris ? il vous faut un Amant.
***
 Vous aurez la Puce à l’oreille,
 Et vous sçaurez à vostre tour
Le cas qu’une Beauté doit faire d’un Amour,
 Lors que cet Amour la réveille.
 Laissez le soin à cet Enfant,
 Tendre, paisible, & triomphant,
De partager vos nuits, de régler vos journêes ;
 Lors vous verrez, pleine d’attraits,
 Couler vos nombreuses années,
Et vous direz, veillons, & ne dormons jamais.

Extrait d’une Lettre de Mr Chassebras de Cramailles. Les Habits d’Eté, dont on se sert à Venise §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 33-56.

Je vous ay fait part de plusieurs Extraits de Lettres de Mr Chassebras de Cremailles, à Madame Chassebras du Breau sa Bellesœur, touchant les manieres de Venise, & ce qui s’y fait de plus curieux. Il me restoit encore un de ces Extraits, sur les Habits d’Eté, le Fresque, ou le Cours, les Serénades & Concerts de nuit sur l’Eau, & les Dances des jeunes Filles. Je vous l’envoye, afin que vous n’ignoriez rien de ce qui est en usage dans cette agreable Ville, dont je ne vous parleray plus à l’avenir, que pour publier ce qui aura esté entrepris contre les Turcs par la République.

EXTRAIT D’UNE LETTRE
DE Mr CHASSEBRAS
DE CRAMAILLES.
Les Habits d’Eté, dont on
se sert à Venise.

Les Gentilsdonnes sont toutes vêtuës à la Françoise. Elles doivent neanmoins avoir les Jupes troussées, & ne peuvent porter de Coliers de Perles, de Pendans d’oreilles, ny de Pierreries ; si ce n’est les Novices, Novizze, ou Nouvelles-mariées. Elles sont fort découvertes ; n’ont pas tant de Fleurs qu’en Hyver, peut-estre à cause qu’elles sont trop communes ; & ont des Eventails de Point sans brides ny broderies. Elles portent rarement des Mouches ; mais celles qui en ont, en mettent également sur le sein & sur le visage.

La plûpart des Citadines, les Femmes de Marchands, & genéralement toutes les autres, ont un Voile de Tafetas noir, qui descend jusqu’aux genoux, dont elles se couvrent la moitié du visage. Les petites Gens en portent de Toile ; & l’usage en est si genéral, que les plus misérables mettent leurs Jupes sur leur teste, pour paroistre comme les autres.

Les Gentilshommes ont la Barrette, ou Bonnet de laine noire, l’Habit noir, le Collet du Pourpoint fort haut, & ouvert, avec un petit Tour-de-col de Toile unie empesée, qui déborde seulement d’un travers de doigt ; la Veste de Drap noir, comme en Hyver, sans fourrure neanmoins, sans Ceinture, & toute ouverte par devant.

Tout cela est de l’essence de l’Habillement, rien ne s’en peut changer ; il n’y a que l’Habit de dessous, qu’ils puissent varier à leur fantaisie, pourvû qu’il soit noir, & que la forme du Collet y soit observée.

Voicy donc quelle en est la plus grande Mode. Les Pourpoints se portent de deux manieres ; ou comme des Camisoles, sans baleine, & fort longs ; ou avec baleine, & fort courts ; mais les uns & les autres sont tellement busquez, qu’on en voit qui descendent jusqu’à la moitié des cuisses. Les Hautdechausses sont extrémement courts, & ne viennent qu’à quatre ou cinq doigts au dessus du genoüil ; & tout l’Habit est chargé de Rubans & de Dentelles, avec une si grande confusion, qu’il est difficile d’en pouvoir connoistre l’étofe. L’on porte des Jabots au devant de la Chemise, & du Point sur le retroussis des Manches. Tous les Hommes ont des Eventails ; les uns de Carte peinte, & les autres de Point ou de Cuir de senteur, comme les Femmes.

Il y a encore une maniere de se vestir assez particuliere, tant pour les Hommes que pour les Femmes (je n’entens pas parler de ceux qui portent la Veste) On les nomme des Ex-voto. Ce sont des Personnes devotes, jeunes ou vieux, qui ayant recouvré la santé par l’intercession de quelque Saint Fondateur d’Ordre, s’habillent à leur ordinaire, mais de la mesme couleur de l’Ordre, & d’une maniere simple & modeste. Les Femmes ont jusqu’à la Coëfe & aux Rubans de cette couleur ; & les Hommes en font teindre leur Chapeau & leur Garniture. Ces Habits d’Ex-voto durent un an.

Pour les Filles des Gentilshommes, elles sont presque toutes dans des Convents, jusqu’à ce qu’elles soient mariées, & ne paroissent jamais dans aucunes Cerémonies. Quelquefois de grand matin on en rencontre à la Messe, que des Femmes de Chambre conduisent ; mais cela est fort rare. Elles ont un Voile de Satin blanc rayé, qui leur cache entiérement le visage, & tombe par derriere jusqu’aux talons, avec des Touffes de Rubans aux quatre coins.

La réponse que me fit un Gentilhomme, est assez plaisante, sur ce que je luy parlois de cette grande contrainte où l’on tenoit les Demoiselles. Il me dit qu’à la verité on ne voyoit guere de Filles à Venise, à cause qu’on les tenoit enfermées, mais que l’on voyoit encore moins de Garçons, parce qu’on leur donnoit trop de liberté.

Le Fresque est un Cours de Gondoles qui se fait tous les soirs de l’Eté sur deux des plus beaux endroits du grand Canal, l’un pour les jours ouvriers, & l’autre pour les Festes. Il commence toûjours le lendemain de Pasques, & finit le dernier jour de Septembre. C’est presque la seule Promenade des Gentilsdonnes. Elles y viennent ordinairement trois ou quatre ensemble, & menent quelques Femmes de Chambre quand elles sont seules. Les Gentilshommes y vont aussi dans leurs Gondoles, mais ils ne sont jamais avec les Gentilsdonnes, si ce n’est le Frere, l’Oncle, ou le Mary.

Le Cours est plus ou moins grand, selon la quantité du monde qui s’y trouve ; & c’est quelque chose de fort divertissant, de voir dans les belles soirées de l’Eté, jusqu’à six & sept rangs de Gondoles qui passent les unes à travers les autres avec une vîtesse incroyable, faisant toutes ensemble une plaisante confusion, & un agreable mélange. Ces Gondoles sont presque toutes d’une mesme sorte, & les Magistrats des Pompes ont reglé la simplicité où elles doivent estre. Elles sont couvertes de Drap, ou de Serge noire, ont en dedans des Coussins, ou des Estrapontins de pareille Etoffe, & sont toutes ouvertes par les deux bords, & par les costez.

Elles ont une partie des commoditez qu’on peut souhaiter. L’on n’y est point agité, ny tourmenté d’aucun choc. Elles ne font point de bruit en marchant ; les Dames n’y sont point incommodées de la poussiere, & l’on s’y peut garantir facilement du vent & de la pluye. Le costé gauche y est le plus honorable, & passe pour la premiere place, ce qui est fort particulier. Cet usage se pratique encore dans la plûpart des Voitures d’eau ; quoy que sur terre, de mesme que dans les autres Païs, on cede la droite aux Personnes que l’on considere.

Le Fresque, ou le Cours.

Le Fresque n’est pas seulement pour la Noblesse de Venise ; les Citadins, les Etrangers, & toutes sortes d’autres Personnes, s’y peuvent promener. Il n’y a que les Courtisanes à qui il est défendu de s’y trouver, sous de rigoureuses peines. La République n’a pas voulu neantmoins les priver du plaisir de cette Promenade ; elle leur a permis de faire un Fresque particulier dans le Rio de la Sense. C’est un Canal qui n’est pas de grand passage, & qui est en cela plus commode. Tous les soirs on y voit triompher ces Demoiselles de joye & de plaisir. Elles y paroissent dans leurs Habits de conqueste, & n’oublient rien de ce qui peut augmenter leurs charmes. On les voit toutes pleines de Mouches, de Poudre, d’Essences, d’Odeurs, & de Fleurs. Il y en a qui mettent des Vestes de Gentilhommes, & d’autres s’habillent en Cavaliers avec le Juste-au-corps, la Perruque, l’Epée, & les Plumes au Chapeau ; & si l’on remarque encore dans cet Habillement un reste de pudeur & d’honnesteté sur le visage de quelques-unes, l’on y trouve en mesme temps un cœur tendre, plein de douceur, & de compassion ; car ces Demoiselles qui ne cherchent qu’à obliger tout le monde, adoucissent les rigueurs & les cruautez de leur Sexe, & ne peuvent entendre pousser des regrets ny des plaintes. Cette inclination bien-faisante leur attire un grand nombre d’Adorateurs, qui vont leur faire la cour dans ce Fresque d’enjoüement & de galanterie.

 

Serénades & Concerts de nuit sur l’Eau.

 

Il ne se passe guére de soirées dans les grandes chaleurs de l’Eté, que l’on n’entende de ces petits Concerts, les uns plus beaux, les autres moindres. Quelques Gentilshommes, ou Particuliers, vont plusieurs ensemble dans une Péote. C’est un Bateau couvert d’Etoffe fort propre, qui peut tenir une vingtaine de Personnes. Ils y font mettre un Clavecin, un ou deux Theorbes, plusieurs Violons & Basses de Violes, & se font voguer sur le grand Canal, depuis deux ou trois heures de nuit jusqu’à cinq ou six heures, c’est à dire jusqu’à deux heures apres minuit. Ils s’arrestent de temps en temps devant des Palais de leur connoissance, pour donner d’agreables Serénades ; & quelquefois il se rencontre deux ou trois Péotes, qui se répondent l’une à l’autre, & font ensemble de petits Corps de Voix & de Simphonie. A leur imitation, quantité de Garçons de Boutiques & Artisans, vont de mesme les Festes & Dimanches au soir, avec des Hautbois, Flageolets, des Flutes douces, & des Guitarres, & chantent des Airs dolens & lugubres devant la Maison de leur Maîtresse ; & parce que quelques-uns entendent passablement la Musique, ces petites Serénades rustiques ont aussi leur agrément.

Nous avons eu quelquefois les soirs d’autres sortes de Concerts sur les Balcons du Palais. Le plus beau que j’aye entendu, est celuy du Prince de Parme, General de l’Infanterie des Armées Venitiennes. Son Palais estoit éclairé en dehors, de soixante Flambeaux, des Tapis à toutes les Fenestres, avec grand nombre de Feux & de Lumieres de l’autre costé du grand Canal. Il faisoit cette Feste en réjoüissance de la Victoire obtenuë par les Chrestiens contre les Infidelles. Il y avoit des Voix admirables, un Choeur de Simphonie magnifique, mêlé de Trompetes & de Tambours ; & de temps en temps on faisoit des décharges de Boëtes & d’Artillerie. Ce divertissement dura deux ou trois grandes heures.

 

Les Dances des jeunes Filles.

 

C’est quelque chose de joly les Festes & les Dimanches, de voir les Dances des jeunes Filles d’Artisans. Elle s’assemblent sur le soir par pelotons dans les Places publiques. Il y en a une qui jouë du Tambour de Basque, & chante en mesme temps, pendant que les autres dancent les Fourlanes dont je vous ay parlé ailleurs. Leurs Habits sont fort simples, mais d’une grande propreté.

Les plus notables sont vêtuës de Tafetas chamarré d’une petite Dentelle d’or & d’argent, la gorge fort découverte, un Colier de Filigrane d’or ou d’argent doré, dont les grains sont aussi gros que de petites Noisettes, des Pendans-d’oreilles, & des Brasselets aussi d’or, ou de fausses Pierreries, leur Coiffure toute unie, quelques petites Boucles sur le front, & un Tour de gros Boutons de Filigrane pareillement d’or ou d’argent doré derriere la teste, avec des abondances de Fleurs dans les tresses de leurs cheveux.

Les plus agreables de ces Dances sont lors qu’il y a des Festes d’Eglise. Elles font mettre dans les Places plusieurs Bancs, & laissent au milieu un grand Cercle vuide, où elles font de petits Bals. Les Artisans, & autres petites Gens, qui veulent estre de la Feste, font venir un Clavecin avec des Violons ; & l’on ne peut s’empescher de rire, de voir leur maniere de dancer sans régle ny mesure, chacun faisant les pas à sa fantaisie, & de la maniere qu’il luy plaist, mais neanmoins d’une legéreté & d’une vîtesse qui se se peut quasi-comprendre, pour des Gens aussi grossiers qu’ils le sont.

Quand ces Festes se font dans quelques Isles hors de la Ville, le divertissement est encore tout autre. L’on couvre les Places de toile & de verdure. Il y a des Barques de petites Symphonies, qui viennent des environs ; & comme il semble que tout soit permis à la Campagne, & que l’on y doive avoir une entiere liberté, on voit des jeunes Gentilshommes qui jettent bas leurs Vestes, se mettent de la Feste, & prennent plaisir à dancer avec les autres au milieu de cette Troupe Champestre.

[Galanterie] §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 56-70.

Il a fait de tres-beaux jours durant le mois de Fevrier ; mais entre les autres, le Soleil parut si beau un Mardy, qu’une Troupe de Dames d’une Ville qui se peut dire la plus réguliere du Royaume, résolut de prendre le divertissement de la Promenade. Elles allérent pour cela le long d’un Canal, qui renferme un des Parterres d’un Palais le plus achevé de l’Europe. Comme toutes ces Dames ont infiniment de l’esprit, elles mirent diverses Questions sur le Tapis, & firent particulierement rouler la Conversation sur les divers effets de l’amour. Une des plus belles de la Compagnie, qui avoit lû depuis peu les Métamorphoses d’Ovide en Rondeaux par Mr de Benserade, donna lieu d’examiner ces plaisantes rêveries. Chacune dit son avis sur les changemens qui y sont décrits, & reprochoit agreablement à cette jeune Personne, qu’elle avoit fait d’aussi grandes merveilles, quand un Chat, façon d’Espagne, vint se planter devant elle. Il la regarda d’une maniere qui n’est point ordinaire aux Chats ; il marcha quelques pas devant elle, & se retournant soudain, il poussa des cris si pitoyables, qu’il émût le cœur de la Belle. Les autres Dames n’en furent pas moins touchées, & chacune se seroit mise en devoir de le caresser pour faire finir ses cris, s’il ne se fust jetté tout d’un coup dans le milieu du Canal, où il se noya. Un Gentilhomme qui estoit présent, le fit pescher, & s’estant apperçû que la Demoiselle devant laquelle il s’estoit arresté, n’avoit point de Manchon, il envoya ce Chat chez un Pelletier, afin qu’il se servist de sa peau pour en faire un dont il vouloit luy faire présent. Il fit ces Vers en attendant l’exécution de son dessein, comme si la Belle eust eu déja le Manchon.

A LA JEUNE IRIS.

Si tous les Chats estoient bien sages,
Il s’en trouveroit maints & maints,
Qui comme ce beau Chat, feroient d’heureux naufrages
 Pour couvrir d’aussi belles mains.
***
 Qu’on ne dise point que la rage
 Le fit précipiter dans l’eau ;
Mais plutost qu’on admire un effet de courage,
 Qui sera trouvé fort nouveau.
***
 Son destin est digne d’envie,
 Comme il fut digne de pitié.
S’il fut pour sa beauté chéry durant sa vie,
 Sa mort l’embellit de moitié.
***
 La mort qui ne fut jamais belle,
 Luy donne un lustre si touchant,
Qu’au pouvoir de l’amour l’ame la plus rebelle,
 A l’aimer auroit du panchant.
***
 Il ne faut pas que l’on s’étonne,
 S’il chercha la mort à dessein.
Quel plaisir d’échauffer une aimable Personne,
 En touchant sa bouche & son sein !
***
 Je veux bien qu’il soit mort de rage.
 Que de Gens poussent de soûpirs,
Et presqu’à tous momens enragent davantage,
 Sans avoir les mesmes plaisirs !
***
 Si l’on croit la Métempsicose,
 Ce Chat fut un de vos Amans,
Qui vit bien qu’il perdroit aupres de vous sa Cause,
 Malgré ses tendres sentimens.
***
 Ainsi d’Homme devenu Beste,
 Ce Chat, des Chats le plus adroit,
Vous voyant sans Manchon, résolut dans sa teste,
 De vous mettre à couvert du froid.
***
 On le voit soudain qui s’élance
 Dans l’eau qu’il craint plus que le feu ;
Mais que n’eust-il point fait, puis qu’en vostre présence
 La mort ne luy sembloit qu’un jeu ?
***
 Il espéroit par ses lumieres
 Débroüiller la nuit du trépas,
Et se rendre sçavant dans toutes les manieres,
 Pour approcher de vos appas.
***
 Il crût qu’estant de bonne mine,
 On le mettroit d’une façon,
Qu’encore que chacun vous estime bien fine,
 Vous donneriez dans l’hameçon.
***
 Ce Chat, en prenant cette forme,
 Eust eu peine à mieux exprimer,
Qu’il faut, pour estre heureux, qu’un Amant se conforme
 En tout ce qui peut faire aimer.
***
 O la noble Métamorphose !
 Estant prest de finir son cours,
Pourroit-on souhaiter une plus douce chose,
 Que d’estre entre vos bras toûjours ?
***
 Quand avec sa griffe tranchante,
 Ce Chat s’accrochoit en tous lieux,
Encore que sa peau vous parust fort plaisante,
 Auroit-il baisé vos beaux yeux ?
***
 A présent qu’il a l’avantage
 De ne vous faire plus de peur,
Vous n’avez pas un trait sur vostre beau visage,
 Dont il n’ait eu quelque faveur.
***
 Ce Chat sous l’humaine figure,
 Eust eu beau faire les yeux doux,
Il n’auroit jamais eu cette heureuse avanture
 De reposer sur vos genoux.
***
 Si quelque vapeur importune,
 Si les Aquilons mutinez
Souflent insolemment, quelle bonne fortune !
 Vous le portez à vostre nez.
***
 Si ce front d’où l’amour domine,
 Se trouve quelque pesanteur,
En l’apuyant dessus, vous n’estes plus chagrine,
 Et vous rentrez en belle humeur.
***
 Quand par des clameurs nom pareilles,
 Par des bruits divers & confus,
On ose quelquefois étordit vos oreilles,
 Soudain vous le mettez dessus.
***
 Fut-il de mesme qu’une Souche,
 Il reprendroit du sentiment
Au moment glorieux où vostre belle bouche
 S’en approche tout doucement.
***
 Ces Globes plus blancs que l’Yvoire,
 Qui se fuyans vivent en paix,
Le souffrent tous les jours joüir d’une victoire,
 Que d’autres ne gagnent jamais.
***
 Vous avez tout par excellence,
 Rien ne manque à vostre embonpoint ;
Cependant il vous sert souvent de contenance,
 Et cela ne vous messied point.
***
 Quand la blancheur fait place aux roses,
 Marque d’un indiscret discours,
Asia de vous remettre, & calmer toutes choses,
 Ce Manchon est d’un grand secours.
***
 Si quelque pauvre Amant soûpire,
 Sans qu’il puisse parler à vous,
Pour vous faire sçavoir l’excés de son martire,
 Il y glisse le Billet-doux.
***
 Si quelqu’un veut loüer vos charmes,
 Et n’en parle pas comme il faut,
A l’Ombre de ce Chat, vous riez jusqu’aux larmes,
 Et vous moquez de ce Badaut.
***
 Mais quoy qu’il serve à tout usage,
 On ne sçauroit dire de vous,
Que vous laissez aller vostre Chat au fromage,
 Vostre cœur en est trop jaloux,
***
 Enfin pour achever l’histoire
 De ce Chat que vostre œil surprit,
Monsieur de Cordemoy ne nous feroit pas croire
 Que ce Chat n’eust jamais d’esprit.

Je vous ay dit que ce Gentilhomme avoit fait ces Stances en attendant le Manchon du Pelletier ; mais lors qu’il le reçeut, & qu’il ouvrit l’Etuy dans lequel il estoit renfermé, il s’apperçût d’une nouvelle Avanture. Soit qu’elle vinst par la méprise de l’Ouvrier, soit que l’Amour voulust encore persécuter ce pauvre Amant métamorphosé, il trouva un Manchon d’une peau de Chien ; ce qui luy fit ajoûter cecy.

 Par une autre métamorphose,
 Dont je ne puis dire la cause,
 Ce Chat à présent est un Chien ;
Mais comme sa noirceur m’a donné dans la veuë,
 J’ay crû que ce Chien valoit bien
 Le plus beau Chat de vostre Ruë.
***
 Au reste, ce Chien est sans fard,
 Son noir n’est point de la peinture,
 Il est tel que Dame Nature
 L’a mis en ce monde sans art.
S’il peut à vos faveurs, au lieu du Chat, prétendre ;
 Si pour luy vous avez du tendre ;
 Pour conserver un tel bonheur,
Iris, je vous répons d’une amour eternelle ;
Entre les Animaux, le Chien a cet honneur,
 D’estre estimé le plus fidelle.

Air nouveau §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 96-97. L'attribution de cet air à Lambert est possible grâce au « XXVIIIe Livre d'airs de differents autheurs [...] » (Paris, C. Ballard, 1685), ainsi que par les sources manuscrites F-Pn/ Res. Vmd. ms. 302 et Res. Vma. ms. 958.

Si vous avez esté contente depuis quelques mois de tous les Airs nouveaux que je vous ay envoyez, vous ne le serez pas moins de celuy-cy, puis qu'il est de la composition d'un des plus grands Maistres que nous ayons en Musique.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Une jeune & tendre beauté, doit regarder la page 97.
Une jeune & tendre Beauté
A captivé ma liberté.
Contre ses doux regards je n'ay pû me défendre.
Mais hélas ! si ses yeux sçavent déja charmer,
Son coeur ne sçait encor ce que c'est que d'aimer.
Heureux si quelque jour le mien luy peut apprendre !
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Hymne de Sapho à Venus §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 104-108.

Je quite cette matiere, pour passer à un Article qui est fort à l’avantage de vostre beau Sexe. La sçavante Mademoiselle le Févre, ayant joint à la Traduction qu’elle a faire des Oeuvres d’Anacréon, celle des deux seules Piéces qui sont venuës jusqu’à nous de la fameuse Sapho, une Fille de qualité de Guyenne, âgée seulement de dix-huit ans, s’est divertie à les mettre en Vers sur cette Traduction. La maniere dont elle écrit est si pure & si aisée, qu’on ne doit pas s’étonner de l’empressement qu’on a de voir tout ce qui part d’elle. Le nom de Sapho, qui a passé pour une dixiéme Muse, est connu de tout le monde, mais peu de Personnes ont lû ce qui est resté de ses Ouvrages, & je croy, Madame, que vous le lirez avec plaisir dans les Vers qui suivent.

HYMNE DE SAPHO
a Venus.

Souveraine Déesse, immortelle Vénus,
Toy de qui les Autels sont par tout si connus ;
Fille de Jupiter, qui trouves tant de charmes
A decevoir l’espoir des crédules Amans,
N’accable point mon cœur de peines & d’alarmes.
 Soulage aujourd’huy mes tourmens,
Et daigne te montrer à mes vœux attentive,
Comme tu fis jadis en ce fortuné jour,
Où je te vis quiter le Céleste Séjour,
 Pour descendre sur cette Rive.
***
Je m’en souviens encor. Des Passereaux legers
Te tiroient dans un Char par le milieu des airs.
Ils reprirent leur vol, dés qu’ils t’eurent menée.
Alors en soûriant tu daignas m’aborder ;
Et pour rendre le calme à mon ame étonnée,
 Tu voulus bien me demander
Pourquoy je t’invoquois, & d’où partoient mes peines.
Tu t’informas aussi des desirs de mon cœur,
Et quel estoit celuy qu’avecque tant d’ardeur
 Je voulois mettre dans mes chaînes.
***
Quel est donc, me dis-tu, Sapho, quel est celuy
Qui regarde tes feux comme indignes de luy ?
Ah, s’il fuit maintenant ton aimable présence,
Un jour qui n’est pas loin il la recherchera ;
S’il refuse tes dons, l’heureux moment s’avance,
 Où luy-mesme t’en offrira,
Et bien-tost à tes loix je soûmettray son ame.
Viens donc encor, Déesse, écouter mes soûpirs ;
Termine mes douleurs, accomplis mes desirs,
 Et daigne proteger ma flâme.

Ode de Sapho à son Amie §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 108-109.

ODE DE SAPHO
à son Amie.

 Heureux qui prés de vous respire,
Et remarque à toute heure avec combien d’appas
 Vous sçavez & parler & rire ;
 Le plaisir qu’il goûte icy bas
 Aux Immortels pourroit suffire.
***
 C’est par ce ris & ce parler,
 Que mon cœur se laisse troubler ;
Car dés que je vous vois, je cherche en vain l’usage
 Et de mes pas, & de ma voix ;
Un feu vif & subtil me réduit aux abois ;
Je sens couvrir mes yeux par un épais nuage.
***
 Je n’entens rien distinctement ;
Je suë, je pâlis, je frissonne, je tremble,
 Je n’ay ny pouls, ny mouvement ;
 Et dans ce desordre il me semble
 Que je n’ay plus à vivre qu’un moment.

[Lettre en Vers et Prose à Madame la Duchesse Royale] §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 110-122.

Je vous ay déja parlé du mérite de Madame d’Armançay, qui estant souvent auprés de Mademoiselle, aujourd’huy Madame la Duchesse Royale, luy envoya pour Etrennes en 1683. un petit Amour, qui d’une main luy présentoit une Bague d’or où estoit une Foy, & de l’autre, des Vers qui marquoient à cette jeune Princesse, qu’un grand Prince charmé de sa renommée, l’avoit envoyé. Il estoit aisé de connoistre par ces Vers, que l’Amour vouloit parler de Monsieur le Duc de Savoye. Le Mariage de ces deux illustres Personnes s’estant accomply, Madame la Duchesse Royale reçût cette Lettre de Madame d’Armançay, lors qu’elle passa à Lyon, pour se rendre à Chambéry.

A MADAME
LA
DUCHESSE ROYALE.

MADAME,

Depuis que Vostre Altesse Royale est partie, j’ay tous les jours esté pressée du desir de me donner l’honneur de luy écrire, & j’y ay résisté, ne croyant pas que la simple envie de l’assurer de mes tres-humbles respects, & de la douleur que me cause son éloignement, fust un sujet qui seul me dust permettre de prendre la liberté de l’importuner. Mais enfin, Madame, une avanture qui m’est arrivée, me fait hazarder, dans la pensée que le recit n’en sera pas desagreable à V. A. R. Elle sçaura donc, Madame, qu’il y a quelques jours que j’allay à S. Clou pour rendre mes respects à Monsieur & à Madame, mais par malheur ils estoient allez ce jour-là à Versailles ; ce qui me fit prendre le party d’aller me promener dans les Jardins, où me souvenant que j’avois oüy parler V. A. R. tendrement & tristement, de l’adieu qu’elle estoit sur le point de faire à S. Clou, j’avouë que je portay envie à ces charmantes Fontaines & à ces belles Allées, qui auront peut-estre plus de part que moy dans l’honneur de son souvenir ; & comme je resvois ainsi avec assez de mélancolie, m’enfonçant dans les endroits les plus solitaires, j’apperçûs au travers de quelques Arbres, une Personne qui me parut telle, que je pensay d’abord la prendre pour l’aimable Princesse, dont mon imagination estoit toute remplie.

Elle avoit vostre port, vostre taille admirable,
L’éclat de vostre teint, vos yeux brillans & doux,
Comme vous dans son air un charme inexplicable ;
Mais je sçavois trop bien que ce n’estoit pas vous.

Je pensay donc, Madame, que c’estoit la Déesse Flore, & voyant en mesme temps plusieurs belles & jeunes Personnes qui m’estoient inconnuës, je m’imaginay encore que c’estoient les Divinitez qui habitent ce beau Sejour ; & en effet, je ne me trompois pas. Elles avoient l’air triste & négligé, & demeurant retirées dans les endroits sombres, elles ne sembloient pas fort disposees à faire un grand accueil à la Déesse. Aussi leur en fit-elle d’abord des reproches par ces paroles.

Nymphes, vous paroissez tristes & desolées ;
De vos Antres obscurs j’ay peine à vous tirer.
Est-ce que le Printemps par ses belles journées,
Contre un fâcheux Hyver ne peut vous rassurer ?

Vne des Nymphes prenant aussitost la parole pour toutes ses Compagnes, répondit en soûpirant ;

Helas ! c’est le Printemps qui fait couler nos larmes,
Et le barbare Hyver nous causa moins d’alarmes.
Nous aurions préferé ses cruelles rigueurs
A la belle Saison qui fait naître les Fleurs.
Elle nous a ravy l’admirable Princesse
Qui faisoit de ces Lieux la joye & l’ornement.
Et comment voulez-vous y revoir l’allégresse,
Quand nous venons de perdre un Objet si charmant ?

Je fus ravie, Madame, d’entendre parler si fort selon mes sentimens, & je mourois d’envie d’aller me joindre à ces aimables Affligées, pour me plaindre avec elles de ce que le Printemps n’a pas laissé encore quelques mois la neige dans les Montagnes, lors que j’entendis Flore prendre par ces mots le party de cette belle Saison.

Le Printemps ne doit point encourir vostre haine.
Nymphes, ce n’est pas luy qui cause vostre peine,
Rien ne peut des Saisons interrompre le cours ;
Mais quand il n’auroit pas ramené les beaux jours,
Un Amant plein d’ardeur attend vostre Princesse,
Son cœur est enflâmé pour ses divins appas,
Et ses brûlans soûpirs volant icy sans cesse,
Auroient fondu la neige, & chassé les frimats ;
Mais si vous aimez bien vostre illustre Maîtresse,
Dans ces Lieux enchantez, chers à son souvenir,
Croyez-moy, banissant cette noire tristesse,
Celébrons le bonheur dont elle va joüir.
Son Epoux est plus beau que le Dieu de Cythere,
Et ce Prince charmant ne pense qu’à luy plaire.
En vain l’on a voulu porter ailleurs ses vœux,
Elle seule devoit allumer ces beaux feux.
Leurs Etoiles au Ciel, l’une à l’autre assortie,
Dans leur ame ont formé la tendre simpathie,
Qui sçait en un moment produire pour toûjours
L’heureux charme qui fait d’eternelles amours.
D’un Etat florissant elle sera la Reyne,
Et sur le cœur du Prince unique Souveraine,
Les Graces & les Jeux vont estre de sa Cour,
Et tous les Dieux enfin d’accord avec l’Amour,
Attachent pour jamais le bonheur & la joye
Au nœud qui vient d’unir la France & la Savoye.

Dans ce moment-là, Madame, tous les Echos de S. Clou formant une espece de Chœur, repéterent plusieurs fois ces dernieres paroles ; & dans ce mesme temps je vis arriver une Troupe d’Amours ; parmy lesquels je crûs en reconnoistre un que j’ay veu aupres de V. A. R. qui se disoit Envoyé de Mr le Duc de Savoye, & je n’en doutay plus quand j’entendis qu’il disoit ;

C’est moy qui le premier luy vins offrir sa foy ;
Et le Ciel benissant mon glorieux employ,
Du beau Sang de LOUIS promet à la Savoye
Des Héros qui feront & sa gloire, & sa joye.

A ces mots, Madame, je croy que les Echos mesme de Versailles, & des Lieux encore plus éloignez, se joignirent à ceux de S. Clou, tant j’entendis de bruit & de voix, qui les repétoient à l’envy les unes des autres ; mais aussi-tost je perdis de veuë la Déesse, les Nymphes & les Amours. J’entendis qu’on disoit que les derniers prenoient le chemin de Chambéry, & je crois que le reste de la Troupe alla faire une Feste à vostre honneur, dont il n’estoit peut-estre pas permis à une Mortelle comme moy d’estre le témoin. Cependant, Madame, je me trouvay dans le cœur une impression de joye que je n’avois pas ressentie depuis le depart de V. A. R. & je pensay que c’estoit un crime de s’affliger parmy tant de bonheurs, que le Ciel luy promet. Je m’en revins donc pleine d’impatience de les publier, & ravie, Madame, d’avoir trouvé une occasion si favorable d’assurer V. A. R. qu’elle n’a laissé aucune Personne en France qui luy soit plus dévoüée que moy, ny qui soit avec un plus respéctueux attachement pour toute sa vie, Madame, de V. A. R. La tres-humble, &c.

[Renouvellement de Nôces de deux Personnes qui ont cinquante tant Enfans que petits Enfans] §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 127-130.

 

Mr le Bret, celébre dans le Négoce, se voyant dans la cinquantiéme année de son Mariage, se crût obligé de régaler toute sa Famille, & il la fit assembler, tant en son nom, qu’en celuy de Madame le Bret sa Femme, pour une Feste qu’il commença par des Actions de graces à Dieu. Il est quelques Mariez de cinquante ans, quoy que peut-estre le nombre en soit fort petit ; mais il est rare de se trouver comme luy Pere de cinquante, tant Enfans, que Petits-enfans.[...]

On chanta d’abord le Veni Creator en Musique, & en suite l’aîné de trois Fils, qui sont tous trois Religieux, celébra la Messe. [...] Cette Messe fut suivie du Te Deum aussi en Musique, apres quoy on remena les Mariez avec les Violons. Leurs Petits enfans les obligérent de consentir à cette marque de réjoüissance.[...]

[Procession de la Sainte Larme] §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 133-134, 136-137.

 

La sécheresse a esté si grande depuis fort long-temps, qu’elle a obligé Mr le Bailly & Maire de Vendosme, de prier les Peres Benédictins, de porter la Sainte Larme dans une Procession genérale qui se fit sur la fin du dernier mois. [...]

 

La Procession commença à neuf heures du matin, & ne finit qu’à une heure apres midy. Il y avoit quantité d’Instrumens de Musique ; & tout y fut tres-bien ordonné. La Cerémonie étant achevée, les Gens d’armes avec Mr le Bailly & les autres Officiers, montérent au Château, devant lequel un Feu avoit esté préparé. On l’alluma apres que l’on eut chanté le Te Deum pour la Prise de Luxembourg, & il s’y fit encore plusieurs Décharges.

[Réjouissances faites au Havre, & Statuë érigée à sa gloire] §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 137-138, 141-142.

 

On s’est réjoüy de cette Conqueste dans toute la France ; mais on n’en a fait éclater sa joye en aucun lieu avec plus de magnificence, que l’on fit au Havre le 18. du mois passé. Vous ne devez pas en estre surprise. L’empressement que Mr le Duc de S. Aignan, Gouverneur de cette Place a de plaire au Roy, inspire un zéle si pur à ses Habitans, qu’ils ne laissent perdre aucune occasion de le signaler. Apres que le Te Deum eut esté chanté dans l’Eglise de Nostre-Dame avec toute la solemnité possible, en présence de ce Duc, de Madame la Duchesse sa Femme, & de beaucoup de Noblesse, & d’Officiers de Marine & de Troupes, on marcha vers la grande Place qui est devant l’Hôtel de Ville, où cinq ou six jours auparavant, Mr le Duc de S. Aignan, & les Echevins & Conseillers de Ville, avoient fait dresser une Statuë de huit pieds de haut. [...]

 

On avoit dressé une Table de cinquante Couverts dans l’une des Salles de l’Hostel de Ville. Elle fut servie avec autant de magnificence que de propreté ; pendant que le Peuple, accouru de tous costez dans la mesme Place, poussoit des cris de joye, & faisoit des voeux pour la prosperité de ce grand Monarque. A la fin du Repas ; où plusieurs Officiers de Marine & de Troupes de terre avoient esté conviez, on fit voler par reprises un grand nombre de Fusées, au son des Trompetes, & de plusieurs autres Instrumens. Les Troupes ne défilérent que bien avant dans la nuit ; [...]

[Plusieurs Ouvrages sur la Prise de Luxembourg] §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 142-152.

Je ne puis finir l’Article de Luxembourg, sans vous faire part de quelques Ouvrages que l’on a faits sur sa Prise. Le Quatrain qui suit est de Mr Doujat de l’Académie Françoise.

LUXEMBOURG PRIS.

Ma renommée estoit grande autrefois,
Aujourd’huy par ma chûte elle devient plus belle,
Lors que le Grand LOUIS me soûmet à ses Loix,
Pour donner à l’Europe une Paix éternelle.

Voicy une Embléme du mesme Mr Doujat. Le corps est Hercule, qui d’une main abat un Lion avec sa Massuë, & de l’autre brûle une Hydre, mettant le feu aux endroits où tenoient les diverses testes de ce Monstre, qu’on voit abatuës aux pieds du Héros, avec ces mots,

Cedunt & Robur & Artes.

Il est aisé de reconnoistre le Roy dans Hercule. Le Lion marque particuliérement la Ville & Duché de Luxembourg, qui a pour Armes, d’argent au Lion de gueules, couronné, armé, & lampassé d’or, la queuë noüée & passée en Sautoir.

L’Hydre, qui estoit un Serpent d’eau à sept testes renaissantes, marque les Fortifications extraordinaires, tant naturelles, par la Riviere d’Alsits, qui serpente autour de la Place, & l’environne de trois costez, & par le Roc escarpé ; qu’artificielles, par les Contregardes, les Redoutes à plusieurs étages, les Fourneaux, les Galeries & Traverses dans ses doubles Fossez taillez dans le Roc, & les autres Ouvrages sans nombre, qui les uns apres les autres s’opposoient aux efforts des Assiégeans.

Mademoiselle de Razilly a fait le Sonnet que vous allez lire.

SONNET.

Quel éclatant retour, quelle heureuse journée
Ramene triomphant l’invincible LOUIS !
L’Europe retentit de ses faits inoüis,
Et craint de succomber dessous sa destinée.
***
Luxembourg si long-temps à sa perte obstinée
Vient de subir le joug de l’Empire des Lys,
Et Génes dans ses Murs par le feu démolis,
Voit contre un tel couroux sa puissance bornée.
***
Rome ne vit jamais un plus pompeux retour,
Une double victoire embellit ce grand jour ;
Mais sur tout le Vainqueur charme par sa puissance.
***
Il plaist mesme aux Vaincus qu’il a mis sous ses Loix ;
Et ses Peuples conquis disent tous d’une voix,
Que si l’on craint son Bras, on aime sa clémence.

Les Vers qui suivent sont de Mr Salbray, Valet de Chambre de Sa Majesté. Son nom est connu par plusieurs Ouvrages, qui ont mérité l’approbation du Public.

POUR LE ROY,
Sur le sujet de la Paix.

Comme un foudre de guerre on a vû ce Monarque
Au mépris de son rang braver Mars & la Parque,
Et soûmettre à ses Loix des Peuples indomteze
Qui vantoient de tout temps leurs fieres libertez.
Etats, Roys, Empereur, de leur puissante Ligue
En vain à ce Torrent ont opposé la digue ;
Malgré les grands efforts de leurs nombreux Guerriers,
A leur honte ils ont vû croistre encor ses Lauriers.
Mais dans ce beau progrés de sa valeur extrême,
Il triomphe à la fois, & d’eux, & de luy-même ;
Ce modeste Vainqueur, loin de s’en prévaloir,
En faveur de la Paix desarme son pouvoir.
Quel Conquérant jamais s’est acquis tant de gloire ?
Prendre, garder, contraindre au gré de ses souhaits,
Faire comme il luy plaist & la Guerre & la Paix,
Que d’honneur pour LOUIS ! que d’employ pour l’Histoire !

Les Autheurs des deux Ouvrages suivans me sont inconnus.

Sur la Prise de Luxembourg.

 La vigilante Renommée
Disoit à Luxembourg au Fauxbourg S. Germain,
La Ville de ton nom sera prise demain ;
Rien n’échape à ton Roy, qui la tient enfermée ;
Peu de jours qu’il y met, sont déja sufisans ;
Il fait plus en un mois, que d’autres en dix ans.
***
On ne peut de luy se défendre ;
Le plus utile est de se rendre
Aussi-tost qu’on l’entend venir.
En vain les Nations voisines
Prétendent planter des épines
Dans le chemin qu’il veut tenir.
***
 Il faut loüer sa tempérance,
 De ce qu’avec tant de puissance
Il ne forme à la fois qu’un Siége aux Païs-Bas,
Offrant aux Espagnols le repos, s’ils sont las.
***
Pendant un tel discours, la Nouvelle certaine
 Court la Champagne & la Lorraine,
 Qu’il a réduit sous son Ressort
Ce terrible Rocher qui leur pesoit si fort.
***
De là pour les piller on faisoit plusieurs courses.
 Conseillers voyage ans à Mets,
 Portez-y sans crainte vos bourses ;
Vous n’avez pas besoin d’escorte desormais.
Si vous sçavez donner des Arrests juridiques,
Pour réünir un Fond de la France mouvant,
Son Seigneur est pourvû de Mousquets & de Piques,
Pour les exécuter, & passer plus avant.

MADRIGAL.

 Luxembourg, ce Roc si fameux,
 Qu’on estimoit inaccessible ;
Malgré ses Défenseurs fiers & présomptueux,
N’a fait que divertir un Monarque invincible.
Ce puissant Boulevard de nos vains Ennemis,
 Bien éloigné d’estre indomtable,
 En tres-peu de temps est soûmis ;
Mais LOUIS l’a rendu pour jamais imprenable,
 Dés l’heureux moment qu’il l’a pris.

Réception de M. Despreaux à l’Académie Françoise §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 167-180.

Comme l’esprit est moins rare dans le monde, que le bon goust & le bon sens, & que ces deux qualitez ne peuvent estre disputées à Mr Despreaux, que par ceux qui croyent avoir sujet de se plaindre de sa sincérité, je ne suis par surpris que vous témoigniez de l’impatience de sçavoir de quelle maniere il parla à Messieurs de l’Académie Françoise, lors qu’ils le reçûrent dans leur Compagnie, ce qui fut fait le premier jour de ce mois. Il fit paroistre d’abord l’étonnement qu’il avoit de recevoir un honneur si grand, & qu’il avoit si peu attendu, & demanda ce que diroient du choix qu’on faisoit de luy, ces grands Protecteurs de l’Académie, Mr le Cardinal de Richelieu, & Mr le Chancelier Seguier. Il fit la peinture de tout ce que ces grands Hommes souhaitoient dans un Académicien, & voulut faire connoistre qu’il estoit fort éloigné des qualitez qu’ils luy jugeoient nécessaires ; ce qu’il auroit eu de la peine à persuader à ses Auditeurs. Il continua en faisant l’éloge de Mr de Bezons, Conseiller d’Etat, dont il remplissoit la place, & marqua que les grands Emplois, tels que ceux qu’il avoit eus, n’empeschoient point Messieurs de l’Académie, de faire succéder un simple Poëte à un Homme du mérite le plus distingué, quand ils luy voyoient ce qui est essentiel à un veritable Académicien. Il parla ensuite de ses Ouvrages, & n’y voulant rien trouver qui l’eust rendu digne de l’honneur qu’on luy faisoit, il dit enfin, qu’il commençoit à connoistre, que la permission que le Roy avoit bien voulu luy donner de travailler à son Histoire, en estoit la cause, & que ces Messieurs s’intéressant à la gloire d’un si grand Prince, n’avoient pas voulu le priver de leurs lumieres dans une entreprise si relevée, & cherchoient à luy donner le moyen d’en puiser parmy eux ; que si le Roy avoit permis qu’il contribuast de ses connoissances & de ses conseils à mettre au jour une Vie toute pleine de miracles, on ne devoit pas se persuader que Sa Majesté crust pour cela, qu’il pust y employer le stile pompeux, & les magnifiques expressions, dont tant d’autres que luy estoient capables. Il fit en cet endroit un éloge du Roy, court & serré, & le finit en disant, que si tous les Souverains du Monde avoient quelque chose à souhaiter, avec espérance de voir leurs souhaits remplis, ils n’en pourroient faire d’autres que celuy d’être élevez dans le haut degré de gloire où Sa Majesté estoit parvenuë. Apres cet éloge, qui par la beauté de sa matiere ne laissa pas de paroistre fort pompeux, il par la de luy encore une fois, mais toûjours avec une égale modestie. Il dit qu’il seroit du moins un de ces Historiens sinceres, qui se font croire par la simplicité de leur stile ; mais que cette sincérité ayant ses délicatesses & ses agrémens, il ne les pouvoit mieux trouver, que parmy Messieurs de l’Académie. Si la premiere & veritable beauté d’un Discours, consiste à ne dire que ce qu’on en doit attendre, suivant la situation des choses dont on parle, on peut assûrer avec raison, qu’on attendoit ce Discours, & qu’on avoit sujet de l’attendre. Peut-estre ne seroit-il pas facile de luy donner un plus juste éloge. Mr Despreaux parla avec la mesme facilité & la mesme hardiesse, que s’il eust toûjours parlé en public, quoy qu’on ait peine à ne pas s’embarasser, quand on est interrompu par de fréquentes acclamations.

Mr l’Abbé de la Chambre, qui se trouva alors Directeur, répondit à ce Discours au nom de l’Académie. Il s’étendit sur son origine, fit l’Eloge de tous les Protecteurs qu’elle a eus, aussi-bien que celuy de Mr Despreaux ; & ajoûtant que l’esprit estoit la seule chose à laquelle cette Compagnie avoit égard, il fit connoistre que le mérite, quoy que dénué de tous autres avantages, y succédoit quelquefois à la Pourpre, & qu’il n’y avoit point de distinction parmy tous les Académiciens.

Sa réponse estant finie, on continua cette séance par la lecture de plusieurs Ouvrages. Mr le Clerc lût une Epitaphe pour Madame la Duchesse de Richelieu ; & Mr Boyer divers Sonnets, qui luy attirérent de grands applaudissemens. En voicy deux qui me sont tombez entre les mains.

SUR LA PRISE
de Luxembourg.

Espagne, tes malheurs te rendent-ils plus fiere ?
Luxembourg cede enfin ; en vain de toutes parts
Cette Place à nos traits se cachant toute entiere,
Sembloit impénetrable à la foudre de Mars.
***
Nos Soldats ont forcé l’invincible Barriere
De ses Rochers affreux, de ses fameux Rampars,
Et ton orgueil dompté par leur ardeur guerriere,
Voit enfin sur ses murs plantez nos Etendars.
***
Cependant, quand LOUIS sous sa main triomphante
Tient ta haine captive, & ta rage impuissante,
Tu refuses la Paix, tu braves son pouvoir.
***
Mais il faudra bien-tost que ta fierté rougisse,
D’accepter cette Paix malgré ton desespoir,
Comme un don du Vainqueur, ou comme ton supplice.

A MONSIEUR
LE CONTROLLEUR
GENERAL.

Quand l’auguste LOUIS t’honore par son choix
Des secrets & des soins de la toute-puissance,
Qu’il est beau d’obtenir tant d’honneurs à la fois,
Sans avoir à rougir de sa magnificence !
***
N’as-tu pas ce qu’il faut pour les plus grands Emplois ?
Exacte probité, profonde intelligence,
Zéle ardent pour vanger, & maintenir les Loix,
Fermeté sans orgueil, vigueur sans violence ?
***
De combien, par tes soins, d’ornemens, de beautez,
Voit-on briller par tout la Reyne des Citez ;
Monumens pour ton Roy d’éternelle mémoire !
***
Que tu pousseras loin l’éclat dont tu joüis !
Tu ne fais point de pas qui ne mene à la gloire,
Et qui ne fasse honneur au siecle de LOUIS.

Mr de Benserade reçeut aussi de grands applaudissemens dans la lecture qu’il fit de la Traduction de deux Pseaumes. Du sérieux on passa à l’enjoüé ; & Mr de la Fontaine régala les Auditeurs d’une Fable, que l’on écouta deux fois avec beaucoup de plaisir. La Morale estoit, qu’il y a de la prudence à se défier d’un Inconnu.

[Etat présent du Royaume d’Alger] §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 197-199, 256-257.

 

Je devrois vous parler icy du Traité d’Alger & des Ambassadeurs de ce Royaume, qui sont venus en France. J’ay beaucoup de choses curieuses à vous en dire ; mais un Mémoire qui est tombé entre mes mains touchant le Gouvernement présent de l’Etat d’Alger, m’a paru devoir les préceder. [...] [La] lecture que je vous envoye, sera cause que vous aurez plus de plaisir à apprendre ce que je vous diray la premiere fois, parce que vous aurez une parfaite connoissance des moeurs, & du gouvernement de ceux dont je vous entretiendray. [...]

 

Des Femmes d’Alger, & de leur Mariage

 

[... Les femmes turques et maures] sont magnifiquement meublées & retenuës chez elles, & chargées de Pierreries. Elles y dancent, ayant des mouchoirs travaillez en or de chaque main, au son d’un Instrument en forme de Violon, touché par des Esclaves negres. Il y a des Ecoles dans la Ville, où ces Esclaves apprennent à en joüer pour cela. [...]

Lettre de Mr L’Abbé Flèche, de l’Académie Royale d’Arles. A Mr de Vertron §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 261-274.

Cette Statuë a plus de six pieds de hauteur, & vous m’avoüerez, Monsieur, que cette grandeur est monstrueuse pour une Vénus, que l’on a toûjours représentée d’une taille plutost petite que médiocre. La Vénus de Medicis est une preuve de ce que j’avance. D’ailleurs, on n’a point trouvé, ny auprés de cette Figure, ny sur son corps, aucun symbole de Vénus, point de Ceste, point de Pigeon, ny de Moine au, point de Pavots, ny de Coquilles ; les Jeux, les Graces & les Amours ne luy tenoient point compagnie. Il semble donc que c’est deviner, ou pour mieux dire, imaginer, de soûtenir comme fait Callistene, que c’est la Figure de Vénus.

Nostre illustre Antagoniste assûre qu’on l’a trouvée dans les ruines d’un ancien Theatre, & dans un lieu qui répondoit au milieu de la Scene, où l’on prétend qu’estoit la place d’honneur. De plus, il soûtient que l’ancien Theatre estoit uniquement dedié à Vénus. Le R. P. d’Augieres, dans ses Réflexions sur les Sentimens de Callisthene, prouve que le Theatre n’estoit point uniquement dedié à Venus, & que Diane y avoit place avec Minerve, & les Muses, qui n’étoient pas moins chastes que cette Déesse de la Chasse. La Tradition constante, & des Actes tres-anciens, placent un Temple de Diane dans le lieu, où l’on s’avise depuis quelques-jours de trouver des vestiges d’un Theatre. Dans le Plan mesme de ce prétendu Theatre, le lieu où la Figure a esté trouvée, ne répondoit pas au milieu de la Scene.

Il y avoit trois mille Statuës dans le Theatre de Scaurus ; & l’on veut qu’il y en pouvoit bien avoir environ deux cens dans la Scene du Theatre que l’on imagine dans Arles. Jugez apres cela, Monsieur, si c’est une raison pour Vénus, de dire que cette Statuë a esté trouvée dans les ruines du Theatre. Le Theatre de Pompée nous fait voir, que dans le mesme Enclos il y pouvoit avoir un Temple & un Theatre. Ainsi, quand mesme la découverte seroit veritable, elle ne détruiroit pas ce que la Tradition nous aprend du Temple de Diane, d’autant plus que les restes d’Architecture de ces ruines ont beaucoup de rapport à un Temple, & à un Temple de Diane.

Je viens maintenant à Dians, & je dis apres ce sçavant Personnage, l’un des principaux ornemens de cette florissante Compagnie, ce grand Défenseur de Diane, comme vous, Monsieur, que la taille extraordinaire de cette Figure est un indice pour cette Déesse. Homere, Virgile & Ovide, nous la décrivent doüée d’une taille si avantageuse, qu’elle surpasse les autres de toute la teste. Sa beauté modeste & majestueuse marque sa pudeur & sa virginité, & c’est se tromper, de croire que cette Déesse ne se piquoit pas de beauté ; Virgile & Lucien nous assûrent le contraire. Sa coëfure riche & propre est tres-semblable à celle d’une Diane que l’on voit dans le riche Cabinet de Mr de Laurens Gentilhomme d’Arles ; c’est une Médaille d’or, qui a beaucoup de ressemblance avec la Figure dont je parle. Un Ancien a appellé cette Déesse Diane aux beaux pieds. Ceux de la Statuë sont admirablement bien taillez, & il semble que le Sculpteur y ait fait une étude particuliere. L’âge de 30. à 35. ans convient bien à une Divinité endurcie dans les fatigues de la Chasse. La nudité de son corps jusqu’au nombril, la rend semblable à la Diane d’Ephése, qui estoit pour le moins demy-nuë, ayant le sein & l’estomac chargé de mammelles. On void chez Tristan une Diane d’Ephése, toute nuë dans son Temple, sur une Médaille Gréque de Gordien.

Cette Statuë est Gréque, & l’on sçait que les Grecs n’avoient pas coûtume d’habiller leurs Figures. Ils faisoient paroistre leur Art dans les nuditez, & ils affectoient sur tout de représenter Diane, tantost toute nuë, & tantost demy-nuë, & tantos couverte, parce qu’elle est la même chose avec la Lune, qui selon ses divers changemens se couvre & se dépoüille tour à tour de ses habits de lumiere. Cette Statuë n’a, ny les cheveux épars, ny un Arc, ny un Carquois, ny des Fléches, ny une Robe retroussée jusqu’au genoüil. C’estoit ainsi qu’estoit mise la Diane d’Ephése (selon S. Hiérôme) & il est constant par une ancienne Epigramme Gréque, que Diane n’estoit point habillée en Chasseuse, & qu’elle n’avoit point sa Robe relevée jusqu’au genoüil lors qu’elle se présentoit à l’encens & aux Sacrifices.

Il faut remarquer en passant, que les Phocéens établirent autrefois le Culte de la Diane d’Ephése dans cette Province. Ainsi les nuditez modestes de nostre Statuë, sans Arc, sans Fléches, sans cheveux épars, & sans Robe retroussée, sont une preuve qu’elle est l’image de Diane, taillée par un Sculpteur Grec, qui avoit en vûë celle d’Ephése. Il y en a qui prétendent que cette Statuë a perdu par l’injure du temps son Arc, ses Fléches, & son bras droit. D’autres soûtiennent que c’est une Diane qui sort du Bain, & qui dérobe autant qu’elle peut la vûë de son corps aux yeux d’Acteon. Ils ajoûtent que sa Robe semble moüillée, & qu’il y a quelque dédain dans son air & dans ses regards. J’aime pourtant mieux envisager cette Figure comme une Déesse qui se présente à l’Encens & aux Victimes, sans aucun équipage de Chasse ; & je trouve bien mon compte en cette ressemblance qu’elle a avec la Diane d’Ephése. Le R. P. d’Augieres dit que le trou qui paroist sur sa Coëfure, au dessus du front, est la place d’un Croissant, qui est un des Symboles de Diane, parce qu’elle passe pour une mesme Divinité que la Lune. Il ajoûte enfin, que nous avons pour nous le sentiment public de cette Province, & la tradition, qui nous apprend qu’il y avoit autrefois dans Arles un Temple de Diane, à qui l’on offroit tous les ans des sacrifices de sang humain, sur deux Colomnes, qui sont apparemment celles au pied desquelles cette Statuë a esté trouvée.

Au reste, Monsieur, il fait voir que le Bracelet qui est au haut du bras gauche de cette Figure, n’est nullement une marque de galanterie, puis qu’il est sûr que les Gens de guerre, les Héros, les Philosophes, aussi-bien que les Dames les plus régulieres, & les Filles les plus reservées, ont autrefois porté le Bracelet, comme elles le portent encore aujourd’huy, sans que cet ornement ait l’air de coquetterie. Toutes ces raisons, Monsieur, seront de grand poids dans le Mercure qui a debité celles de Mr Terrin sous le nom de Collisthene. J’espere que si vous appuyez celles du R. P. d’Augieres, Diane l’emportera sur Vénus. Vous y estes intéressé plus que personne, ayant le titre d’Académicien Royal, & l’honneur d’écrire l’Histoire du plus grand Roy du monde, à qui Mrs d’Arles ont eu celuy de présenter, non pas une Coquette, mais une Déesse qui a rendu des Oracles en sa faveur. Faites-moy, s’il vous plaist, celle de me croire toûjours vostre tres, &c.

A Arles ce 12. Juillet 1684.

J’attens la Réponse de Mr Terrin, pour vous en faire part. Il a commencé à prendre un party, appuyé de trop de sçavans Hommes, pour se résoudre à l’abandonner.

[Sonnet de Mr Magnin]* §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 274-275.

Comme les raisons sont fortes des deux costez, je voy le plaisir que vous donnera cette dispute. Vous en aurez sans-doute beaucoup à lire ce Sonnet qu’elle a fait faire à Mr Magnin.

La Cour du Grand LOUIS, si pompeuse & si belle,
Cette Cour, l’abregé de toutes les grandeurs,
Chaque jour destinée à de nouveaux honneurs,
Voit rechausser l’éclat de sa gloire immortelle.
***
Diane d’Apollon la Sœur chaste & fidelle,
La Déesse Vénus l’enchantement des cœurs,
Viennent pour disputer ses royales faveurs,
Et chacun à l’envy partage leur querelle.
***
Je ne décide point ce fameux diférend ;
Mais Diane est d’un air & plus noble & plus grand,
Et cet air dit beaucoup dans le Siecle où nous sommes.
***
LOUIS seul va finir ce Combat glorieux ;
Silence, beaux Esprits, c’est au plus grand des Hommes
A dire son avis sur l’intérest des Dieux.

[Devise et Madrigal de Magnin]* §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 276-277.

Le mesme Mr Magnin a fait une Devise sur cette Dispute des Sçavans. Elle a pour corps, une Lune dans son plein, & ces mots pour ame, Alienæ ohnoxia flammæ. Il les explique par ce Madrigal.

Elle brille, il est vray, d’un éclat emprunté ;
Mais en est-il aux Cieux qui brille davantage ?
 Vénus a bien moins de clarté,
 Et n’en fait pas si bon usage.
Cessez de disputer dans le sacré Vallon,
Diane, beaux Esprits, s’accorde avec les Muses,
 Son party sans-doute est le bon,
Vénus est débauchée, & l’on connoist ses ruses ;
Que viendroit-elle faire à la Cour d’Apollon ?

[Deux madrigaux sur la statue d’Arles]* §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 277-278.

Un Autheur dont on ne m’a pû apprendre le nom, a fait deux Madrigaux sur cette mesme Dispute. Je vous les envoye, ne doutant point que vous ne les trouviez fort agreables.

SUR LA STATUE
D’ARLES.

 On sçait assez la diférence
 De Diane avecque Venus.
D’où vient que maintenant en France
 On ne s’y connoist presque plus ?
 Refléxion sur la Statuë ;
Qui juge d’une Femme, a dequoy s’occuper,
 La matiere est fort ambiguë,
 Il est aisé de s’y tromper.

SUR LE MESME SUJET.

 Pour moy, je ne sçay pas comment
 On méconnoist Vénus avec Diane.
L’une est chaste & modeste ; & l’autre assurément
 Est fort friponne & fort profane.
 La mine ainsi ne conclud rien,
 Il faut un plus sûr Interprete ;
 L’Habit d’une Femme de bien
 Cache souvent une Coquette.

Au Roy sur la Neutralité des Hollandois §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 289-291.

Le Sonnet qui suit est assez du temps. Il est de Mr Malbay, Chanoine de S. Nicolas du Louvre.

AU ROY,
Sur la Neutralité des Hollandois.

Le grand bruit de ton Nom semble nuire à ta gloire ;
Le Hollandois le craint, & sa juste terreur
Le rend neutre ; & ce coup qui retient ta valeur,
Rend ton regne moins beau, moins digne de mémoire.
***
Ayant pris Luxembourg (prodige de l’Histoire)
Le Flamand ne pouvoit arrester ton bonheur ;
Et la Hollande eust veu faire à ton Bras vainqueur,
Plus que n’osa César, y porter la Victoire.
***
C’est ainsi que ton Nom, si terrible, & si grand,
Qu’il force un si grand Peuple à trahir son panchant,
Te nuit, puis que tu perds des Palmes toutes prestes.
***
Je me trompe, Grand Roy, le Traité que tu fais
Vaut mieux que les Lauriers des plus belles Conquestes ;
Entre combien d’Etats produira-t-il la Paix ?

[Histoire] §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 291-310.

Les plus violentes passions ne sont pas les plus durables. C’est un feu qui ne se soûtient que par les desirs ; & quand les desirs sont satisfaits, il est difficile d’empêcher qu’il ne s’éteigne. Une aimable Brune en a fait l’épreuve depuis quelque temps. Sa beauté qui luy attiroit quantité d’Adorateurs, frapa un Cavalier fort bien fait, & qui joignant de grands biens, à des qualitez assez estimables, devint un redoutable Rival pour tous les Amans de cette belle Personne. Il la vit d’abord sans aucun dessein de penser au Mariage. Il crût que ses complaisances la rendroient sensible ; & comme on est capable de tout lors qu’on a le cœur touché, il ne douta point qu’avec un peu de temps & d’adresse, il ne vinst à bout de l’obliger à récompenser ses soins. Il estoit entreprenant, & quelques bonnes fortunes qui avoient enflé sa vanité, luy faisoient croire que la conqueste qu’il prétendoit faire, ne luy échaperoit pas. Il se rendit assidu, & pour donner un prétexte à ses fréquentes visites, il fit entrevoir qu’il ne vouloit qu’estre aimé, pour se déclarer de la maniere qu’on le souhaitoit. La Belle, qu’accommodoit le party, ayant montré pour le Chavalier tous les sentimens d’estime que la bienseance luy pouvoit permettre, il se les peignit encore plus forts qu’elle ne les luy marquoit, & l’ayant un jour rencontrée seule, il voulut prendre quelques libertez qui luy reüssirent mal. Ce mauvais succés ne fut point capable de le rebuter. Il l’imputa aux premiers efforts d’une vertu qu’il n’avoit point assez combatuë, & la fierté que luy avoit fait paroistre la Belle, ne luy sembla qu’une amorce pour luy donner plus d’amour. Ainsi il redoubla ses empressemens. Cependant ce fut en vain qu’il chercha les occasions du teste à teste. La Belle prit soin de les éviter, & quoy qu’il se fust rendu familier chez elle, elle ménagea si bien les choses, qu’il n’en pût trouver aucune. Une conduite si sage, & si réguliere, ayant renversé ses esperances, il résolut de se retirer ; mais les charmes de la Belle avoient fait sur luy plus d’impression qu’il ne croyoit. Il fut un jour sans la voir, & revint le lendemain plus amoureux qu’il n’avoit encore esté. Il eut beau vouloir se servir de sa raison pour se rendre maistre de l’impétuosité de ses mouvemens. Il estoit trop pris pour se détacher, & aprés divers combats qui luy furent inutiles, il se vit enfin contraint de s’abandonner à la passion qu’il ne pût vaincre. Il n’eut plus en veuë que ce qui pouvoit la satisfaire, & prenant les voyes qui font toûjours reüssir quand on a du bien, il parla de Sacrement. La Belle qui avoit connu son caractere, le conjura d’y songer plus d’une fois. Elle luy dit qu’il devoit se desier de luy même ; qu’un peu de beauté qu’il pouvoit trouver en elle, ne méritoit point un amour si violent ; qu’il estoit à craindre qu’il ne s’affoiblist quand il auroit les yeux mieux ouverts, & que rien ne les faisoit tant ouvrir que le Mariage ; qu’alors il n’y avoit plus que la forte estime qui subsistoit, & que c’étoit à luy à examiner si sa passion n’estoit point plûtost l’emportement d’un panchant aveugle, que l’effet d’une veritable liaison de cœur. Cette résistance, quoy que foible, ne fit qu’augmenter un feu qui n’estoit déja que trop ardent. Il luy fit toutes les protestations imaginables d’une éternelle tendresse, & luy offrant de grands avantages pour marque de son amour, il alla trouver son Pere, avec qui vous jugez bien qu’il n’eut aucune peine à conclure. Le Mariage se fit en fort peu de jours, & ce que la Belle avoit préveu, arriva presque aussi-tost. Cet Amant si charmé de son mérite, devint en un mois un Mary plein de langeur. Il n’estima plus ce qu’il se voyoit acquis ; & le bien qu’il avoit tant souhaité, cessa d’estre un bien pour luy, quand il n’eut plus de refus à craindre. La Belle dissimula dans l’espérance de le ramener ; mais sa patience ne le gagna point. De la froideur il vint à l’indifférence, & en peu de temps il passa jusqu’au mépris. Il fit plus encore. Il prit de l’amour pour une Coquete, & cét amour l’aveugla si fort, qu’il ne garda plus aucune mesure. Ces desordres firent bruit. La Belle ne pût cacher plus long-temps les justes sujets qu’on luy donnoit de se plaindre. Son Pere qui l’aimoit tres-tendrement, voulut y rémedier, & n’ayant rien obtenu par ses remontrances, il résolut de poursuivre une séparation de corps & de biens, qui mist sa Fille en état de goûter quelque repos. Il fit agir ses Amis, & en vint à bout avec avantage. La Belle ayant aisément justifié les indignes traitemens qu’elle avoit reçûs de son Mary, il fut condamné à luy donner une Pension considérable. Quoy qu’il la perdist sans aucun regret, l’aversion qu’il avoit conçuë pour elle, luy fit voir avec chagrin qu’elle pût mener une vie heureuse. Ainsi ses plaisirs étoient imparfaits lors qu’il songeoit qu’elle estoit maîtresse de ses actions, & délivrée de sa tyrannie. Il eust bien voulu trouver à redire à sa conduite ; mais sa vertu la mettoit au dessus de tout soupçon. D’ailleurs elle s’estoit retirée auprés de son Pere, qui estant témoin de toutes ses actions, répondoit assez de leur innocence. Le bonheur dont cette belle Personne joüit pendant quelques mois, fut à la fin traversé par une disgrace aussi impréveuë qu’extraordinaire. Un jour qu’elle revenoit un peu tard d’un Lieu, où elle alloit souvent avec une Amie prendre le plaisir de la Promenade, trois ou quatre Hommes masquez l’arrestérent dans un endroit assez écarté ; & malgré ses cris, ils la portérent dans un Carrosse, où s’estant mis avec elle, ils firent marcher à toute bride. L’Amie en vint aussi-tost avertir le Pere, qui fort surpris d’une violence si peu attenduë, l’imputa d’abord à son Mary. On fit toutes les recherches que l’on crût utiles, mais on eut beau s’informer par tout ; l’obscurité de la nuit ayant favorisé cet enlevement, il fut impossible de découvrir ce que la Belle estoit devenuë. Chacun plaignit son malheur. Il n’y eut que le Mary qui en montra de la joye. Il dit hautement qu’elle méritoit ce qui venoit de luy arriver ; & qu’une Femme qui vouloit vivre dans l’indépendance, ne se conservant aucune estime, estoit sujette aux plus fâcheux accidens. Quelques autres railleries qui luy échapérent imprudemment, furent rapportées à son Beaupere. C’en fut assez pour luy donner l’eu d’agir contre luy, & de l’accuser d’avoir enlevé sa Fille. Comme il avoit de puissans Amis, & que la chose n’estoit pas sans apparence, tout le monde entra dans ses intérests. Il fit décreter contre son Gendre, qui fut arresté lors qu’il, y pensoit le moins. Je ne vous dis rien des diverses procédures que l’on fit de part & d’autre. Il se passa quatre mois sans que le Mary avançast rien pour sa liberté. Une si longue prison estoit pesante à un Homme qui n’aimoit que ses plaisirs. Cependant de la maniere que l’on agissoit, il n’avoit qu’un seul moyen de la voir finir. C’étoit de rendre sa Femme, qui revint enfin un jour chez son Pere à cinq heures du matin. Elle rapporta que les quatre Hommes masquez qui l’avoient portée dans le Carrosse, luy ayant d’abord bandé les yeux, l’avoient fait marcher toute la nuit ; qu’on l’avoit fait descendre dans une Maison de campagne, & entrer en suite dans une Chambre, où une Femme d’un âge assez avancé s’estoit trouvée seule, & luy avoit osté son Bandeau ; que cette Chambre luy avoit toûjours servy de prison, sans qu’elle y eust veu personne, ny eu aucun autre divertissement que celuy de la lecture ; qu’enfin cette mesme Femme se montrant toûchée de sa disgrace, luy avoit promis de la mettre en liberté, si elle vouloit luy faire présent d’un Collier de Perles qu’on luy avoit laissé jusque-là, qu’elle l’avoit aussitost donné, & que quatre jours apres, lors que la nuit commençoit, on l’avoit fait monter en Carrosse les yeux bandez comme la premiere fois ; qu’on l’avoit encore fait marcher route la nuit, & qu’à la pointe du jour, on l’avoit laissée à trois cens pas de la Ville. Chacun fut persuadé qu’elle n’estoit revenuë, que parce que le Mary s’estoit lassé d’estre prisonnier. Il n’y avoit plus cependant aucune raison de le retenir. Il fut élargy, mais toutefois à condition qu’il répondroit de sa Femme, si elle disparoissoit. Il n’y a qu’un mois qu’il est sorty de prison. Leurs Amis communs font tous leurs efforts pour les remettre en intelligence ; mais le Cavalier répond avec tant d’aigreur, quand on luy en parle, qu’on n’espere pas le pouvoir gagner si-tost. Il auroit peut-estre balancé plus qu’il n’a fait à se marier, si ce Quatrain luy avoit frapé l’esprit, avant qu’il s’y résolust.

Soyez fort circonspects en fait de Mariage,
Soit à le conseiller, soit à le contracter ;
Gardez par ses attraits de vous laisser flater,
On voit beaucoup d’Epoux, mais point de bon Ménage.

Ces Vers sont tirez d’un Livre nouveau que debite le Sr Quinet, qui a pour titre, Sentimens des Grands Hommes sur la conduite des Mœurs. L’Autheur y a joint Le Miroir qui ne flate point. Ce sont par tout des traits de Morale réduits en Quatrains, dont la lecture n’est pas moins utile qu’agreable.

These soûtenuë par M. le Commandeur le Tellier §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 314-325.

Quoy que je ne vous parle pas ordinairement des Theses que l’on soûtient, il y a quelquefois d’éclatantes circonstances qui me font passer par dessus les regles que je me suis imposées, comme lors que les Theses sont dédiées au Roy, qu’elles sont soûtenuës par une Personne d’une grande distinction, & que le Dessein est de ces Illustres qui peuvent estre appellez grands Hommes dans la Profession dont ils se mêlent. Jugez si quand ces trois choses, qui estant séparées, mériteroient chacune un Article séparé, se trouvent réünies dans le mesme, cet Article ne doit pas estre un des plus considérables de ma Lettre. La These, dont je croy devoir vous entretenir, est dédiée à Sa Majesté par Mr le Commandeur le Tellier, Fils de Monsieur de Louvoys ; & Mr Mignard de Troyes en Champagne, dit le Romain, à cause qu’il a demeuré 23 ans en Italie, en a fait le Dessein. Chacun sçait que sur les belles Antiques que l’on y admire, & sur les Ouvrages des plus grands Hommes qui y ont excellé, il s’est fait un bon goust, & cette grande maniere qu’on remarque dans l’invention, le dessein, & le coloris de ses Tableaux. Aussi cette These est-elle grande & magnifique. La composition en est riche & noble, le sujet touche, & plaist à tous ceux qui connoissent le Dessein dans sa correction. Elle a esté gravée par François Poilly. Le Burin en est beau, hardy, & a beaucoup de grace. Comme il est impossible de traiter les grands Sujets sans allégorie, pour des raisons qui seroient trop longues à rapporter, cette These en expose une sur l’état présent des Affaires de l’Europe. Nostre invincible Monarque y est dépeint en pied, de sa hauteur, vestu à la Romaine, s’appuyant sur l’épaule d’Hercule qui est assis à ses pieds, écoutant Pallas qui est proche de luy, & couronné par l’Honneur & par la Victoire, qui paroissent chargez de Palmes & de Lauriers. Dans le Ciel de ce Tableau, au costé opposé, est un Grouppe de six Figures, qui se contrastant avec beaucoup d’art dans la varieté de leurs attitudes, & dans la diverse position de leurs membres, représentent les efforts des diférentes Nations, qui ont voulu s’opposer aux justes desseins du Roy. L’Allemand en marque son chagrin ; le Suédois, sa surprise ; le Saxon, ses alarmes ; la Flandre, son effroy ; l’Espagnol, sa colere ; la Hollande, son admiration ; & cette derniere s’oppose par ses sages conseils aux efforts que l’Espagne voudroit inutilement tenter. Le lointain le plus reculé de ce Tableau fait paroistre un Porfil de la Ville de Strasbourg ; & l’on voit dans l’enfoncement une Dance de Bergers, & des Troupeaux de Moutons. Ces Bergers marquent par leurs chants & par leurs réjoüissances, les douceurs & l’abondance de la Paix. Sur la Terrasse la plus avancée, est l’Europe, qui se repose sur des monceaux d’Armes, des Cornes d’abondance, & des Richesses ; & tout cela est soûtenu par deux Consoles, que de Petits Amours ornent de Festons de Fleurs & de Fruits, entre lesquels sont les Positions de la These. Ces deux Consoles ont pour Base des Marches de marbre, où se reposent les Sciences & les Arts. Mr l’Abbé Macé, qui depuis six ans avoit quitté la Poësie pour s’appliquer à des occupations plus sérieuses, a interrompu ses études pendant quelques momens, pour faire des Vers sur ce sujet. Je vous les envoye.

LE ROY DANS LE REPOS
de sa gloire.

Quel est ce demy-Dieu, dont la noble fierté
 Calmant par sa seule presence
Des plus Audacieux le courage indompté,
A tant de Nations impose le silence ?
Mais dans tout l’Univers, quel autre que LOUIS
Peut offrir tant d’éclat à nos yeux ébloüis ?
D’Hercule & de Pallas la force & la prudence.
 Soûtiennent & guident son Bras,
Et tous deux à l’envy secondent sa puissance.
Soit qu’il donne des Loix, ou livre des Combats.
 Ce Prince, amoureux de la gloire,
A fixé pour jamais l’inconstante Victoire,
Les plus grands Conquérans, de son destin jaloux,
Obseruent tous ses pas avec inquiétude,
 Ils tremblent à ses moindres coups,
Et l’effet suspendu de son juste couroux,
Est vainement l’objet de toute leur étude,
 Strasbourg ne s’élevera plus
Que pour servir de digue à l’orgueil de l’Empire.
La Flandre subjuguée, à l’écart en soûpire,
Le Saxon en conçoit des regrets superflus ;
Le Suédois frémit ; & l’Allemand farouche,
Montre par des soûpirs échapez de sa bouche,
Qu’il est de tant de gloire & jaloux & confus.
Mais quoy ? ne vois-je pas l’Espagnol teméraire
Tenter ce que deux fois l’Europe n’a pû faire,
Et s’efforcer luy-seul à vanger Luxembourg ?
Orgueilleux, où t’entraîne une fureur si grande ?
Suis les Loix que LOUIS te prescrit en ce jour,
 Prens exemple sur la Hollande ;
Qu’elle soit aujourd’huy ton Arbitre à à son tour.
 C’est ainsi qu’apres tant d’alarmes
L’Europe va gouster les douceurs de la Paix,
 Qu’en repos sur des monceaux d’Armes
 Elle reprend tous ses attraits ;
Que des tendres Bergers les douces-Chansonnettes
Ne parlent que d’amour, de jeux, & de plaisirs ;
Et que l’Echo sensible à leurs ardens desirs,
Répete, en s’accordant au son de leurs Musettes,
 LOUIS, le plus grand des Héros,
A l’Europe soûmise accorde un plein repos.

Cette These a esté soûtenuë au College de Harcourt sous Mr de Chantelou, Professeur, en présence de Mr le Duc de Bourbon, de Mr le Chancelier, de Mr les Cardinaux de Boüillon, & de Bonzy, de Mr le Nonce, de plusieurs Ducs & Pairs, & enfin de tout ce qui se trouva de Personnes distinguées en France, en état d’assister à cet Acte. La These fut ouverte par le Fils de Mr le Procureur General, dont le Compliment fut fort applaudy. Toute l’Assemblée admira le Soûtenant. Il fit voir tant de présence d’esprit, & tant de capacité, que l’on dit tout d’une voix, que ce qu’il en faisoit paroître, estoit au dessus de son âge. Ce n’est pas une chose extraordinaire dans sa Famille.

[Livres nouveaux]* §

Mercure galant, juillet 1684 [tome 9], p. 332.

Le Sr Blageart, Libraire, qui vend cette Relation, a aussi donné deux Livres nouveaux. L’un est Cara Mustapha, Grand Vizir, Histoire contenant son élevation, ses amours dans le Serrail, ses divers emplois, le vray sujet qui luy a fait entreprendre le Siege de Vienne, & les particularitez de sa mort. L’autre Livre est La Seconde Partie de l’Académie Calante, que le Public souhaitoit depuis longtemps.