1684

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1684 [tome 12].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12]. §

[Devises] §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 1-6.

Il y a des actions si éclatantes d’elles-mesmes par leur grandeur, si glorieuses pour les Princes qui les font, & si utiles pour les Peuples qui en recueillent le fruit, qu’il est impossible qu’on se lasse de les admirer. Telle est la Tréve de vingt années que le Roy vient de faire avec ceux qui blessez du grand éclat de sa gloire, vouloient malgré luy demeurer ses Ennemis. Toutes les Nations parleront longtemps de cette Tréve, & elle sera marquée à la Postérité avec des caracteres qu’aucune suite de siécles ne sera capable d’effacer. Mr Magnin, Conseiller au Présidial de Mascon, continuant à faire éclater son zele & son esprit dans toutes les choses qui regardent Sa Majesté, a fait sur cette matiere les deux Devises qui suivent. Elles ont toutes deux pour corps le Soleil, qui paroist serein au sortir d’un nuage tranché d’éclairs. Ces mots, qui font l’ame de la premiere, Pacem vultus habet, sont expliquez par ce Madrigal.

 Il est grand, il est glorieux,
 Luy seul en roulant dans les Cieux
Fait tous les mouvemens de la terre & de l’onde ;
Mais il est maintenant si serein à nos yeux,
Qu’il vient assûrément donner la Paix au monde.

L’autre Devise a ces mots pour ame, Non formidabile lumen, & cet autre Madrigal les explique.

Brillant d’une lumiere & douce & bienfaisante,
Qu’on n’appréhende plus ces orages divers
Qui viennent de troubler la Paix de l’Vnivers ;
Elle va desormais estre seure & constante.

Mr Rault de Roüen a fait cette troisiéme Devise. Le corps est une Iris sur un nuage, que le Soleil estant à l’opposite, peint avec ses rayons. Voicy les paroles qui luy servent d’ame, Redituræ nuntia pacis, avec l’explication qu’il leur a donnée.

Brillant Astre du jour, qui dans vostre carriere
Etalez à nos yeux un Trône de lumiere,
Et dont les vifs rayons étendus en tous lieux,
Font toutes les beautez de la Terre & des Cieux,
Que ne faites-vous pas sur un sombre nuage ?
De la charmante Iris vous nous donnez l’image ;
Et cette vive image, en recevant vos traits,
Est l’augure des Dieux, & celuy de la Paix.
Mais quoy que ce bel Arc que vous faites paroître
Nous ravisse les yeux quand il commence à naître,
Apres peu de durée il se résout en eau,
Et ne nous laisse rien de charmant ny de beau ;
Ou quand mesme il feroit par sa vive peinture
Le plus riche ornement de toute la Nature,
Soleil qui le formez, n’en soyez point jaloux,
LOUIS, ce grand Héros, fait beaucoup plus que vous.
Par la Tréve qu’il donne il dissipe la guerre,
Il calme en un moment & la mer & la terre ;
Et l’Vnivers surpris de voir ces prompts effets,
De ce gage du Ciel va joüir à jamais.

[Cérémonies observées à la publication de la Paix] §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 7-17.

 

La Tréve ayant esté signée à Chambord par Sa Majesté le 24. de Septembre, fut publiée à Paris le Jeudy 5. de ce mois. Ce jour-là sur les huit heures du matin, les Trompetes, les Tambours & les Fifres de la Chambre du Roy, se rendirent à cheval à l’Hôtel du Sr le Liévre, Roy d’Armes de France au titre de Montjoye-Saint-Denys, où se trouvérent le Sr le Blanc de Bornat, le plus ancien & le premier Hérault d’Armes de France au titre de Xaintonge, le Sr d’Aubiny Hérault d’Armes au titre de Charolois, le Sr le Roy Hérault d’Armes au titre de Touraine, & le Sr Charpentier Hérault d’Armes au titre de Roussillon. Ils montérent à cheval, estant revestus de leurs Cotes d’Armes, & ayant des Toques garnies de Plumes & d’Aigretes, celles du Roy d’Armes, violetes & blanches, & celles des Héraults d’Armes, toutes blanches. Ils marchérent deux à deux avec leur Caducée à la main, le Roy d’Armes estant seul derriere avec son Sceptre, & s’arrestérent devant l’Hôtel de Mr le Comte d’Armagnac leur Supérieur, où ils firent faire des Fanfares. Ce fut dans cet ordre qu’ils arrivérent à l’Hôtel de Ville. Mr de la Reynie, Lieutenant Genéral de Police, Mrs les Lieutenans Criminel & Particulier, & Mr Robert, Procureur du Roy au Chastelet, avec plusieurs Conseillers & Commissaires, s’y rendirent aussi, précedez des Sergens à Verge, & des Huissiers Audienciers à cheval. Mr de Fourcy, Président aux Enquestes, Prevost des Marchands, accompagné de Mrs Chauvin, Parque, Rousseau, & Chupin, les reçût à la porte de la grande Salle de l’Hôtel de Ville, & ils entrérent ensemble dans le Bureau. Mr de Saintot, Maistre des Cerémonies, donna au Roy d’Armes en leur présence la Lettre de Sa Majesté. Il y eut ensuite un magnifique Festin, où les Santez de ce grand Monarque, de Monseigneur le Dauphin, & de Madame la Dauphine, furent beües au bruit des Trompetes, des Tambours & des Fifres, & des décharges du Canon de la Ville, rangé dans la Place de l’Hôtel de Ville.

Apres le Festin, la Marche commença par la Compagnie des Archers du Guet. [...] Tous les Archers de la Ville suivoient aussi à pied, [...] Apres eux marchoient les Sergens à Verge du Chastelet, [...] Les Huissiers Audienciers du Chastelet suivoient à cheval à la droite, & les Huissiers Audienciers de la Ville aussi à cheval alloient à la gauche, [...] Parmy eux estoient les Trompetes, les Tambours & les Fifres de la Chambre du Roy, avec ceux de la Ville, tous à cheval. [...] On s’arresta devant le Palais Royal, où les Trompetes, Tambours & Fifres firent des Fanfares pour saluer Monsieur. Apres qu’on fut arrivé devant la porte du Palais des Tuileries, le Sr d’Aubiny, Hérault d’Armes, y fit la premiere Publication de la Tréve, apres que les Trompetes, Tambours & Fifres, eurent attiré le Peuple.

On fait à sçavoir à tous, qu’une bonne, seure, vraye & loyale Tréve, communicative & marchande, abstinence de guerre, & cessation d’Armes, est faite, accordée, & passée entre tres-Haut, tres-Excellent, & tres-puissant Prince LOUIS par la grace de Dieu Roy de France & de Navarre, nostre Souverain Seigneur, d’une part ; Et tres-Haut, tres-Excellent, & tres-Puissant Prince LEOPOLD Empereur des Romains, & l’Empire, d’autre ; Et encore entre tres-Haut, tres-Excellent, & tres-Puissant Prince CHARLES Roy d’Espagne, d’autre, leurs Hoirs & Successeurs, leurs Royaumes, Etats, Païs, Terres & Seigneuries quelconques, en Europe & hors de l’Europe, tant au-deçà qu’au-delà de la Ligne, pour le temps de vingt années consécutives ; laquelle Tréve ledit Seigneur Roy veut & entend estre observée & entretenüe inviolablement ; ordonne que tous ceux y contrevenans soient châtiez & punis exemplairement, comme infracteurs de Paix ; Et pourront aussi les Sujets de part & d’autre aller, venir, sejourner, trafiquer, negocier, & faire commerce de Marchandises dans tous les Etats, Païs, lieux & endroits desdits Royaumes & Empire, en toute liberté & seureté, tant par terre que par mer, & autres eaux, & tout ainsi qu’il a esté dit estre fait en temps de bonne, sincere & amiable Paix.

[Sonnet sur la Trève] §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 20-22.

Vous jugez bien qu’apres cette Tréve les loüanges du Roy retentissent de toutes parts. Ce Sonnet de Mr de Laistre vous le fera voir. Il est sur les Bouts rimez qui ont cours icy depuis quelque temps.

SONNET.

Il est plus d’un chemin qui conduit à la Gloire.
Quand on a le bonheur de servir un grand Roy,
De rimer pour luy plaire on se fait une Loy,
Chacun dans ce Combat aspire à la Victoire.
***
L’un chante ses Exploits, l’autre écrit son Histoire ;
L’Vnivers retentit de son Nom, de sa Foy ;
La Paix l’en rend l’Arbitre, ou la Guerre l’effroy,
Et par tout les beaux Arts consacrent sa Mémoire.
***
Admirons dans LOUIS un Héros achevé,
Cet air majestueux, cet esprit élevé,
Sage, droit, penétrant, ce Cœur noble, intrépide.
***
Mais son zéle divin l’égale aux Immortels ;
Il a seul terrasse plus de Monstres qu’Alcide.
Qui dompte l’Héresie est digne des Autels.

[Etablissement des Récollets François à Luxembourg, avec toutes les Cerémonies qui se sont faites en cette occasion] §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 22-23, 26-31, 33-34.

 

Depuis que le Roy a fait l’honneur aux Récolets de les choisir pour les Aumôniers de ses Armées, il semble qu’il ait aussi voulu les rendre participans de ses Conquestes. [...] Sa Majesté ayant conquis Luxembourg, résolut en mesme temps d’y mettre des Récolets François, [...].

 

Le Pere Durand [...] prit possession de cette Maison avec quinze Religieux François, [...]. Il s’étudia d’abord si bien à suivre les maximes, & à observer les Cerémonies des Religieux Espagnols qu’il relevoit, qu’en tres-peu de jours on eust dit qu’il n’y avoit eu aucun changement dans cette Maison. Il y continua le Plein Chant, & l’Office de la mesme maniere qu’il s’y faisoit avant qu’il en fust Supérieur ;[...]. Les sentimens favorables qu’il voit que l’on a pour luy, ont esté cause que le jour de S. Loüis Roy de France, il demanda à Mr le Marquis de Lambert la permission de celébrer cette Feste avec tout l’éclat que le Lieu pouvoit permettre, [...]. La Cerémonie commença par une Procession Genérale, où le Clergé & les Communautez Religieuses assistérent, aussi-bien que tous les Corps de la Ville, qui portoient des Cierges aux Armes de France. La Marche estoit tres-bien disposée. On avoit dressé trois Reposoirs en trois endroits diférens. [...]

 

Il y avoit trois Choeurs de Musique ; l’un de Violons & de Basses de Violes ; l’autre de Hautbois, & le dernier de tres-belles Voix. La Messe fut chantée avec beaucoup de solemnité ; [...] La Feste se termina le soir par un Te Deum, & par un Salut qui fut continué toute l’Octave.

L’indifférente attendrie §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 36-38.

Comme rien ne vous plaist tant que les jolies Bagatelles, apparemment celle-cy sera de vostre goust.

L’INDIFERENTE
ATTENDRIE.

 Miracle, nouvelle impréveue !
L’aimable Liborel qu’on avoit toûjours veuë
 Faite de Marbre, ou de Rocher,
Est de chair comme nous, & se laisse toucher.
 Toucher, c’est déja beaucoup dire.
Mais écoutez le reste ; elle verse des pleurs.
Ce n’est pas encor tout, jugez de son martyre.
Un Volage la quitte apres mille faveurs,
Sans qu’un crime si noir dans l’esprit de la Belle
Puisse de ce Perfide effacer les appas.
Mais qu’il est bien puny ! qu’il y perd, l’Infidelle !
Elle vouloit l’avoir à tout moment pres d’elle,
Le flatoit, le baisoit, le mettoit dans ses draps,
Sur son sein… Sur son sein ! Qu’entendez vous, Poëte,
Par ces mots-là ? J’entens qu’elle avoit un Moineau
Familier, enjoüé, d’un plumage fort beau,
Plus aimé que celuy que Catulle regrete,
Plus charmant que ne fut la celebre Fauvete.
 L’Ingrat, le Fripon s’envola
 Hier au matin par la Fenestre,
 Sans qu’on l’ait veu depuis paroistre,
Et c’est ce qu’elle pleure. Ah, dites-donc cela.

La Bourse du Bon Sens. Conte §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 43-59.

Vous m’avez paru si contente du Conte qui a pour titre le Trésor découvert, & que je vous ay envoyé dans ma XXVI. Lettre Extraordinaire, que je croy vous faire plaisir de vous en envoyer un second du mesme Autheur. Mr de la Barre de Tours, qui s’est diverty à mettre en Vers l’un & l’autre, a trouvé ce stile aisé qui est propre aux Contes, & que peu de Gens sçavent attraper.

LA BOURSE
DU BON SENS.
CONTE.

 Faisons un Conte encor, puis que c’est ce qu’on aime.
Apres le Trésor découvert,
 Cà, voyons de quel stratagéme
 Vne habile Femme se sert,
Pour tirer son Epoux des bras d’une Coquette,
Et pour le rappeller au giron de l’Hymen.
Si de plusieurs Conjoints nous faisons l’examen,
Combien auroient besoin de pareille recepte,
Et que la Bourse du bon sens
Que propose une Femme aujourd’huy dans ce Conte,
 Aux Epoux devroit faire honte,
Quand ailleurs que chez eux ils deviennent galans !
 Cecy n’est point un Conte jaune,
Ny borgne encore moins ; nous voyons tous les jours,
 Malgré Sermons, & malgré Prône,
Maints Marys s’échaper à de folles amours.
Pour qui ? pour des Guénons, qui n’ont de la tendresse
Qu’autant que l’argent vient ; qu’il finisse un moment,
 Adieu l’Amour, adieu l’Amant,
Quand on n’a plus d’argent, on n’a plus de Maîtresse.
***
 Certain Autheur nous rapporte qu’en France
 Jadis vivoit un Quida de Mary,
 Nommé Renier, de sa Femme chéry,
Et qui l’aimoit aussi selon toute apparence ;
Renier avoit pourtant un commerce gaillard
 Avec sa voisine Mabille,
 Qui n’estoit pas austere Fille,
Et d’autant mieux le fait de tout Homme égrillard.
La Belle estoit d’abord d’assez facile approche,
 Chez elle on entroit aisément ;
 Finançoit-on ? elle aimoit un Amant,
 Sans quoy, c’estoit un cœur de Roche.
 Les soûpirs, les beaux mots, les tendres sentimens,
 Les soins, les langueurs, les sermens,
Estoient des Biens perdus aupres de la Tygresse.
Ainsi que Danaé, Mabille vouloit voir
 D’une Bourse de l’or pleuvoir ;
Car c’est, dit-elle, ainsi qu’on prouve sa tendresse ;
Sans cela Iupiter, tout grand Dieu qu’il estoit,
 Prouvoit peu l’amour qu’il portoit
 A l’aimable Fille d’Acrise.
Si l’or perça l’airain, il perce bien un cœur ;
 L’or rend tout Gendarme vainqueur ;
Ayant l’or pour secours, forte Place est tost prise,
L’or estant un des nerfs qui donne la vigueur.
 C’estoit là l’unique Morale
Que Mabille preschoit à ses Adorateurs ;
 Et ceux qui d’or estoient plus grands Compteurs,
Trouvoient la route aisée en ce charmant Dédale.
***
Renier aimoit ; imaginez-vous bien
Combien il altéra sa Bourse en moins de rien,
 Et ce que disoit son Epouse
Qui s’en appercevoit. Il la nommoit jalouse ;
Mais on l’est à propos, lors que l’on perd son Bien ;
 Et je pardonne à toute Femme,
Qui voit ainsi dissiper ses trésors,
De regreter, non pas de son Epoux le corps,
 Mais l’or qui du Ménage est l’ame.
 La pauvre Femme avoit beau se fâcher,
 Le Mary n’en faisoit que rire.
Qu’y faire ? de tous maux un éclat est le pire,
Il ne faut point souffrir ce qu’on peut empescher ;
 Mais comme icy c’est le contraire,
 Il faut souffrir, espérer, & se taire.
Si les Femmes qu’on voit dans un pareil ennuy,
Se conduisoient avec mesme prudence,
 Nous ne verrions pas tant en France
De sots éclats qu’il s’en voit aujourd’huy ;
Toute Femme d’esprit doit sauver l’apparence,
Et la paix est souvent un fruit de patience.
***
 Allons au Fait. Renier un jour
 Se résolut de partir pour la Foire,
Car il estoit Marchand, comme marque l’Histoire,
Et mesme on l’y dépeint en Marchand assez lourd.
Avant que de partir, il alla voir Mabille,
Pour prendre congé d’elle ; elle ne manqua point
De demander pour Foire, une Robe gentille ;
Car, comme vous sçavez, une semblable Fille
 Ne s’oublia jamais en pareil point.
Renier promet ; peut-on refuser une Belle,
Qui proteste en pleurant qu’elle sera fidelle ?
 Cet adieu fait, il vient à la Maison,
 Il y trouva sa triste Epouse en larmes,
De le voir par le froid (ç’en estoit la saison)
 Partir, sans beaucoup de raison,
Pour un trafic qui causoit ses allarmes,
Renier pour le commerce estant un maistre Oyson ;
 Mais il le veut, il prend bonne Valise,
 Met bons Billets, & force Ecus dedans,
 Car sans argent qu’est-ce que marchandise ?
A la Foire est-il rien, ma Femme, qui vous duise,
Dit Renier ? Apportez la Bourse du bon sens,
 Repliqua la Femme fidelle.
La Bourse du bon sens, repart-il, fort surpris !
 Où trouver marchandise telle ?
 Allez, vous l’aurez à bon prix ;
 Achetez-la, Renier, ajoûta-t-elle.
 Bien, nous verrons ; ayez le cœur content.
Adieu, jusqu’au revoir, dit Renier en partant.
***
 Renier arrive, agit, travaille,
 Et s’acquitte, vaille que vaille,
 De son mestier ; enfin avec les gros Marchands,
Pour un petit profit, il trafique, & s’occupe.
 Ainsi petits deviennent grands.
Il faut s’en revenir ; il achete une Iupe,
 Des Rubans, des Mouchoirs, des Gands,
Pour la belle Maguin, dont il estoit la dupe.
Mais où trouver la Bourse du bon sens ?
 Il la demande à tout le monde,
 Chacun en rit, chacun le fronde ;
 Sa Femme l’a voulu railler,
(Dit on) l’on ne vend point en Foire telle Bourse.
 Lassé d’avoir fait longue course
Pour tel trafic, il voulut en parler
Devant un vieux Rabin, vieux Docteur en Grimoire,
Et qui sçavoit bien mieux que trafiquer en Foire.
 Ce Rabin se fit conter tout
 Ce qui concernoit le Ménage
Du bon Renier, qui dit avoir Femme bien sage ;
De plus, luy raconta de l’un à l’autre bout
 Son intrigue avec la Coquette,
Ses dépenses, ses frais, mesme jusqu’à l’emplette,
 Tant recommandée au depart.
 Il n’oublia pas d’autre part
A demander que veut dire la Bourse
Dont sa Femme a parlé. Le Rabin vit la source
 D’où pouvoit partir tout cecy,
Et tint au Trafiquant le Discours que voicy.
***
Ton commerce finy, retourne en ta Patrie,
 Fais semblant d’avoir tout perdu,
D’avoir mal acheté, d’avoir plus mal vendu,
 Et d’estre dans la gueuserie.
Dans ce piteux état, nud, sans habillement,
Que quelque honteuse Mandille,
 Il faut te montrer à Mabille
 Comme estant toûjours son Amant.
En suite va chez ta Moitié fidelle,
 Et luy découvrant ton malheur,
 Tu verras bien qui le prend plus à cœur,
 Ou bien de la Coquette, ou d’elle.
Pour la Bourse ; & comment en apprendre nouvelle,
Interrompt Renier ? Parts, sans tarder plus longtemps,
Ajoûta le Rabin. La Bourse du bon sens
Se trouvera chez toy. Renier part de la Foire,
Et joüa son rollet aussi-bien qu’on peut croire.
Chez Mabille en vray Gueux il se glissa d’abord,
Luy fit un beau discours sur son malheureux sort,
 Sur ses chagrins, sur sa disgrace.
On l’obligea bientost d’abandonner la place ;
Mabille hait les Gueux comme elle hait la Mort.
Renier a beau marquer son amour & son zele,
 Tant de bienfaits, ses services passez,
Ses présens, & l’argent qu’il a semé pour elle,
La pauvreté fait peur aux Gens intéressez,
D’un cœur ingrat déja ces biens sont effacez,
 Il faut quitter, & sans ressource ;
Mais allons voir la Maîtresse à la Bourse.
***
Loin d’insulter aux maux d’un malheureux Epoux,
 Elle consola sa tristesse,
 Et faisant parler la tristesse,
Appaisa ses ennuis par les mots les plus doux.
Apres avoir marqué sentir les mesmes coups,
Qui penétroient le cœur de cet autre elle-mesme,
 Pour montrer que c’est luy qu’elle aime,
Et non pas la Fortune, elle veut engager
Le reste de son Bien, afin de soulager
 Et ses ennuis, & sa misere.
Icy Renier trouva la Bourse du bon sens ;
 Car maudissant ses feux errans,
Il protesta d’aimer, & d’une amour sincere,
 Ce tendre Objet, cette Femme si chere.
 Il fit revenir ses Paquets,
Dépoüilla ses haillons, & raconta l’histoire
 Et du Rabin, & des acquests
  Qu’il a faits à la Foire.
Adieu tant de soûpirs, & tant de vœux coquets,
 Mabille est hors de la mémoire
 Du bon Renier, pour n’y rentrer jamais.
***
Tenez-vous bien unis à la foy conjugale,
C’est là que l’amitié regne avec ses appas.
Les maux que vous destine une Etoile fatale,
Là sont rendus plus doux quand l’amour les égale.
Ce n’est qu’un faux-brillant que la Coquette étale.
 Epoux, ne vous y trompez pas,
Que toûjours pour regler vostre cœur & vos pas,
La Bourse du bon sens vous serve de Morale.

A une Belle qui, ne sçachant ce que c’est qu’amour, dit à son amant qu’elle veut l’apprendre, en lisant Clélie §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 59-60.

Voicy quelques Madrigaux qui ne vous déplairont pas. Le premier est de Mr Diéreville.

A UNE BELLE, QUI ne sçachant ce que c’est qu’amour, dit à son Amant qu’elle veut l’apprendre, en lisant Clélie.

 Quoy, pour sçavoir aimer, belle & jeune Sylvie,
 Vous lisez la vieille Clélie ?
Ce n’est pas dans un Livre, où vous pourrez le mieux
 Faire un si doux apprentissage ;
Attachez vous plutost à lire dans mes yeux,
 Vous en apprendrez davantage.

Consolation à une Belle, qui demeure longtemps Fille §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 60.

CONSOLATION A UNE Belle, qui demeure longtemps Fille.

 Iris, ne vous ennuyez pas,
 Les Dieux ont soin de vos appas,
 Vous ne perdrez rien pour attendre.
 Le Ciel vous destine un Epoux,
 Et s’il est longtemps à descendre,
C’est qu’on en trouve peu qui soient dignes de vous.

Présent d’une Glace §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 60-61.

PRESENT D’UNE GLACE.

 Iris en qui tout mon espoir se fonde,
Il ne tiendra qu’à vous que cette Glace ronde
 Cent fois le jour n’offre à vos yeux
 La plus rare Beauté du monde.
Jugez si mon présent n’est pas bien prétieux.

Réponse pour Iris §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 61.

REPONSE POUR IRIS.

Que vostre présent m’embarasse !
Dois-je donc croire, cher Tircis,
Que vous n’ayez que de la Glace
A présenter à vostre Iris ?

Présent d’un Diamant §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 61-62.

PRESENT D’UN DIAMANT.

 Belle Iris, que mon cœur adore,
 Puis-je mieux vous faire ma cour
Que par ce Diamant qui vous peint mon amour ?
 Il vient des Climats de l’Aurore.
Ce n’est pas là pourtant ce qui doit à vos yeux
  Le rendre prétieux.
 Songez qu’il fait dans son silence
 Le caractere de mon cœur.
 Sa flâme fait voir mon ardeur,
 Et sa fermeté ma constance.
 Voila, si vous sçavez aimer,
 Par où vous devez l’estimer.

Chanson à boire §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 62-63.

Voicy un Air Bachique du célebre Maistre, dont tous les Ouvrages sont si fort de vostre goust.

CHANSON A BOIRE.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par Amis, dans le[s] Combat[s], doit regarder la page 62.
Amis, dans les Combats ne cherchons plus la gloire,
 Il ne faut plus songer qu’à boire ;
 Bacchus tout chargé de Raisins,
Aux gosiers altérez promet d’excellens Vins.
 Sus donc, Laquais, qu’on se reveille,
Portez Bouteille sur Bouteille,
Vuidons promptement le Tonneau,
Pour faire place au Vin nouveau.
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[Mariage de Gilles Le Diacre de Martinbosc avec Mlle de Bordeaux]* §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 66-68.

 

Messire Gilles le Diacre, Seigneur de Martinbosc, Lieutenant Genéral du Pontlevesque, & de la Vicompté d’Auge en Normandie, épousa le 10. de ce mois Mademoiselle de Bordeaux, Fille de Mr de Bordeaux, Seigneur de la Mesengere, Vicomte d’Auge, qui exerce cette Charge depuis quarante ans avec une estime genérale. [...] Le soir il y eut un magnifique Repas, qui fut servy en deux Tables, & où se trouvérent plus de soixante Personnes des plus considérables de la Province. Il faut suivy d’un Feu d’artifice, accompagné de Boëtes & de Fusées, & la Feste se termina par le Bal.

[Mort de M. de Corneille] §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 68-80.

Je viens à une Mort qui doit faire bruit par tout où nostre Langue est connüe, & que je ne doute point qui ne vous ait déja fait verser des larmes, puis que le mérite extraordinaire a toûjours esté pour vous un charme sensible, & qu’on peut dire que Mr de Corneille l’aîné a paru au monde pour la gloire de son siécle. Je vous ay cent fois entendu parler de luy avec des termes d’admiration qui faisoient connoistre que par cet Art merveilleux qui l’a si bien fait entrer dans les divers mouvemens du cœur, selon les diférens caracteres qu’il a maniez, il avoit touché plusieurs fois le vostre. Il est mort icy le Dimanche, premier jour de ce mois, & il semble qu’il n’y ait personne à qui cette perte n’ait fait dire, qu’un Homme aussi illustre que luy ne devoit jamais mourir. Il estoit né à Roüen le 6. Juin 1606. Fils d’un Pere qui portoit le nom de Pierre comme luy, & auquel Loüis XIII. accorda des Lettres de Noblesse, en considération des services qu’il avoit rendus en divers Emplois, & particuliérement en l’exercice de la Charge de Maistre des Eaux & Forests en la Vicomté de Roüen, dont il s’estoit acquité avec une entiere satisfaction du Public pendant un fort grand nombre d’années. Mr de Corneille l’aîné dont je vous parle, a exercé long-temps dans la mesme Ville la Charge d’Avocat Genéral à la Table de Marbre du Palais. L’heureux talent qu’il avoit pour la Poësie parut avec beaucoup d’avantage dés la premiere Piece qu’il donna sous le titre de Mélite. La nouveauté de ses incidens qui commencérent à tirer la Comédie de ce sérieux obscur où elle estoit enfoncée, y fit courir tout Paris ; & Hardy qui estoit alors l’Autheur fameux du Theatre, & associé pour une part avec les Comédiens, à qui il devoit fournir six Tragédies tous les ans, surpris des nombreuses Assemblées que cette Piece attiroit, disoit chaque fois qu’elle estoit joüée, Voila une jolie Bagatelle. C’est ainsi qu’il appelloit ce Comique aise qui avoit si peu de rapport avec la rudesse de ses Vers. Mr de Corneille qui avoit déja cette juste œconomie qui fait la principale beauté des Ouvrages de cette nature, ne quita point ce genre d’écrire pendant cinq ou six années ; & s’il eut en ce temps-là quelques Concurrens qui prétentendirent avoir d’aussi glorieux succés, il les surpassa bien-tost en donnant le Cid. Cette Piece qu’on représente encore tous les jours avec l’applaudissement qu’elle mérite, luy suscita un grand nombre d’Envieux. Ce fut une guerre déclarée dans tout le Parnasse. On voyoit de jour en jour de nouveaux Libelles contre le Cid ; & les défauts que l’on tâcha d’y trouver, firent naître des Remarques qui eurent de longues suites ; mais les Ecrits de tant de Jaloux ne servirent qu’à donner plus d’éclat à cette Piece ; & Horace & Cinna qui la suivirent, furent des Chef-d’œuvres qui les étonnérent, & qui leur firent tomber la plume des mains. Je ne vous dis rien de tous les autres, qui le font passer avec justice pour le premier Homme de son temps en ce qui regarde le Poëme Dramatique. Ce sont les modeles les plus parfaits qu’on s’y puisse proposer. Jamais personne n’a si bien connu que luy tous les ressorts de la Politique, ny mieux soûtenu le caractere Romain. Ce qui le fait sur tout admirer dans les excellens Ouvrages qu’il a donnez au Public, c’est que jamais il ne sort de son sujet. Quelque matiere qu’il ait à traiter, il dit tout ce qu’il faut dire, & il ne dit rien de plus. Il nous a laissé trente-deux Pieces, dont la plûpart ont esté traduites en diverses Langues. On a imprimé les vingt-quatre premieres en deux Volumes in folio, & les trente deux en quatre Volumes in douze. Outre l’Examen de chacune, on y trouve trois Discours qu’on voit bien qui partent d’un grand Maître ; l’un de l’utilité & des parties du Poëme Dramatique ; l’autre, de la Tragédie, & des moyens de la traiter selon le vraysemblable ou le nécessaire ; & le troisiéme, des trois Unitez, d’Action, de Jour, & de Lieu. Mr de Corneille n’estoit pas seulement à estimer pour la beauté & la force de son genie ; il l’estoit encore par l’exacte probité qu’il a toûjours fait paroistre, & par des sentimens de Religion qui ne luy ont jamais laissé oublier la fin principale qu’un Chrétien doit toûjours avoir en veüe. Beaucoup de Gens pourroient rendre témoignage de ses exercices de pieté. Ce fut ce zéle qu’il a toûjours eu pour Dieu, qui le porta à traduire les quatre Livres de l’Imitation, dont on a fait plus de trente Editions. Il fit ensuite des Heures qui se vendent chez les Srs de Luyne & Blageart. Tous les Pseaumes de l’Office de la Vierge, & plusieurs autres, s’y trouvent en Vers, ainsi que les Hymnes de l’Eglise. Ils ne peuvent estre que tres-bien tournez, puis qu’ils sont de luy. La haute réputation qu’il s’estoit acquise, le fit recevoir à l’Académie Françoise en 1647. Il en est mort le Doyen, & a eu trois Fils, dont les deux aînez ont pris le party des Armes. Le premier a donné des marques de son courage dans toutes les occasions qui se sont offertes pendant nos dernieres Guerres, où il a servy en qualité de Capitaine de Cavalerie. Le second, qui estoit Lieutenant de Cavalerie, fut tué à une Sortie en défendant Grave ; & le troisiéme fut gratifié par le Roy il y a trois ou quatre ans, de l’Abbaye d’Aiguevive aupres de Tours. Sa Majesté, qui honoroit Mr de Corneille de son estime, luy fit payer sa pension, qui estoit de deux mille livres, peu de jours avant sa mort. On a trouvé dans son Cabinet quelques Ouvrages qu’on donnera au Public. Ce Recüeil sera composé des deux premiers Livres de Stace qu’il a mis en Vers, & de plusieurs Pieces sur divers sujets. Il y a grande apparence que les Muses ne se tairont pas sur cette mort.

Sur la Mort de l’Illustre Corneille §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 80-83.

Voicy trois Madrigaux qu’elles ont déja fait faire à Mr Petit de Roüen. Je vous ay parlé de luy dans deux ou trois de mes Lettres.

SUR LA MORT
DE L’ILLUSTRE
Mr DE CORNEILLE.

I.

Les Muses préparoient un riche Monument
A ce fameux Autheur qui fit fleurir la Scene ;
Mais Apollon leur dit ; n’en prenez point la peine,
Sa mémoire a dequoy vivre eternellement.
Au Registre immortel ses Rimes en rollées,
Ces Rimes qu’on admire avec étonnement,
Sont pour cet Homme illustre autant de Mausolées.

II.

Poëtes Grecs & Latins, de leurs jours la merveille,
Furent bien étonnez, lors qu’une des Neuf Sœurs
Fut prendre par la main l’admirable Corneille,
Qu’elle mit au dessus de ces fameux Autheurs.
Pourquoy vous étonner, dit-elle ? Ce grand Housme
Est digne de ce rang, n’en soyez pas jaloux.
Autant qu’est au dessus de la Gréce, & de Rome,
La France, dont LOUIS rend le Climat si doux,
Autant ce fameux Poëte est au dessus de vous.

III.

Le Grand Corneille est mort, le Théatre François
 Helas ! est aux derniers abois.
 Ce fut de ce puissant Génie
Qu’il tira son brillant, & qu’il reçeut la vie.
Ainsi ne trouvant plus qui l’appuye aujourd’huy,
 Et voyant sa gloire ternie,
Il a pris le party de mourir avec luy.

Sur le mesme sujet. Stances §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 83-87.

Les Vers qui suivent sont de Mr Rault, aussi de Roüen.

SUR LE MESME SUJET,
Stances.

Quoy donc, les Muses sont en deüil ?
Je les vois les larmes à l’œil,
Et chacune d’elles soûpire ;
Mais leur Frere à leur triste voix,
Plus sensible qu’on ne peut dire,
Fait cesser les airs de sa Lyre,
Et les doux charmes de ses doigts.
***
Par tout en leur sacré Vallon,
Aux ressentimens d’Apollon,
Les objets deviennent funebres ;
Et dans ce regret sans pareil,
Leur Mont se couvre de tenebres,
Pour rendre leurs pleurs plus célebres,
Comme à la perte du Soleil.
***
A voir ainsi leurs cœurs transis,
L’on juge de la mort du Fils,
Par les justes douleurs du Pere ;
Le trépas en est assuré,
Et ce Dieu dans sa mort amere,
Perd autant en luy qu’en Homere,
Perdant ce Génie éclairé.
***
Mais pourquoy regreter sa mort ?
N’est-ce pas envier son sort,
Ou ne pas connoistre sa gloire ?
Il vit entre ces beaux Esprits,
Qui sur la Mort ont la victoire,
Et dont l’eternelle mémoire
Doit vivre en leurs divins Ecrits.
***
Tant que durera l’Vnivers,
On l’admirera dans ses Vers,
Autant qu’on fit Virgile à Rome.
Par ses Ouvrages immortels,
Que toute l’Europe renomme,
Comme pour un Dieu, ce grand Homme
S’est fait luy-mesme des Autels.
***
Combien par sa Plume autrefois,
Aux yeux du plus puissant des Roys,
A-t-il fait éclater la Scene,
Lors qu’en leurs plus tendres soûpirs,
Sa Rodogune, ou sa Chimene,
Exprimoient leur amour, leur haine,
Ou leurs plus violens desirs ?
***
Mais sçauroit-on mieux étaler,
Jusques où l’on peut faire aller
Des Héros les grandes maximes ?
D’un Trône il faisoit voir le prix,
Quand pour y monter par des crimes,
Un Tyran, pour droits légitimes,
Suit l’orgueil dont il est épris.
***
Sa divine Imitation,
Qui regle chaque passion,
De ses vertus porte les marques.
C’est où l’ame peut voir son but,
Où les Peuples & les Monarques
Apprennent à braver les Parques,
Et n’aspirer qu’à leur salut.
***
D’où vient donc qu’icy les Neuf Sœurs
Marquent par leurs vives douleurs
Le déplaisir qui les consume ?
Ce regret ne naist que d’amour,
Puis qu’une si divine Plume,
Qui brilloit en chaque Volume,
Ne pourra plus rien mettre au jour.
***
Si la Guirlande de Laurier,
Au Poëte comme au Guerrier,
Est l’immortel honneur qu’on donne ;
Corneille la peut mériter,
Car la Gloire qui l’environne,
Demande autant une Couronne,
Qu’un Héros qui la doit porter.

[Cérémonies faite à l’Abbaye de Farmonstier et à Saint-Germain des Près à la réception du Coeur de Madame la Princesse Palatine] §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 88-91.

 

On a fait à l’Abbaye de Farmonstier la Cerémonie de la reception du Coeur de Madame la Princesse Palatine. [...] Mr le Curé de Saint Sulpice, [...] fit un Discours sur les rares qualitez de cette illustre Défunte ; & Mr l’Evesque de Meaux luy répondit avec beaucoup d’éloquence. En suite on porta le Coeur où chantent les Religieuses, & elles commencerent les Vigiles, qui ne finirent qu’à onze heures du soir. [...]

[Grande Cerémonies faite à l’Abbaye S. Germain des Prez] §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 91, 99-105.

 

Cette Princesse, qui en avoit des quantité, a donné les plus considérables à l’Abbaye de S. Germain des Prez, fondée il y a plus d’onez cens ans par le Roy Childebert, qui y offrit entr’autres choses des Croix d’un ouvrage merveilleux, & qui la fit consacrer à l’honneur de la Sainte Croix & de S. Vincent. [...] Des choses si saintes & si prétieuses ne devant pas estre transportées secretement, il fut jugé à propos de rendre cette Translation la plus solemnelle qu’on pourroit, afin d’exciter la devotion des Peuples. On choisit pour cela le Vendredy 29. du mois passé, jour de la Feste de S. Michel. Dés le Jeudy, les grosses Cloches de S. Germain des Prez avertirent tout Paris de cette Cerémonie ; & le lendemain Mr le Curé de S. Sulpice, avec son Clergé, & toutes les Communautez Religieuses du Faubourg, se rendirent sur les deux heures à l’Eglise de l’Abbaye, qu’on avoit ornée de riches Tapis, & de quantité d’Argenterie. La Procession en partit une heure apres par la Porte Sainte Marguerite, & alla dans l’ordre qui suit à l’Hostel de Madame la Princesse Palatine, où estoit le sacré Dépost qu’on alloit prendre. Les Peres de S. Dominique & de S. Augustin, & les Chanoines Réguliers de Prémonstré, marchoient selon leur rang, précedez de leurs Croix & de leurs Acolites. Mrs de S. Sulpice suivoient ; & les Religieux de l’Abbaye, au nombre de pres de cent, fermoient la Procession. Douze Chantres, avec des Chapes de Drap d’or & de broderie, estoient au milieu de leur Corps, & ils tenoient seuls le Choeur, pour éviter les détons que les voix trop éloignées auroient pû faire. Quand on fut arrivé à l’Hôtel, les Communautez Religieuses, & le Clergé de S. Sulpice, se rangérent dans les deux Ruës autour de l’Eglise de la Paroisse. Mr l’Archevesque, qui s’estoit rendu à cet Hostel quelque temps auparavant, accompagné de ses Officiers, estoit à genoux devant les saintes Reliques, revestu de ses Habits Pontificaux. On les avoit mises chacune en son rang, sur un Brancard posé sur un Autel, qui estoit soûtenu d’une Estrade élevée, & le tout estoit couvert de somptueux Ornemens, & d’un riche Dais. Les douze Chantres commencerent un Respons à l’honneur de la Croix, apres lequel le Pere Genéral de la Congrégation présenta les Reliques à Mr l’Archevesque, en présence de Mrs les Abbez de Lamet, & du Val, Exécuteurs du Testament de la Princesse, & luy fit un Discours remply de la pieté solide dont il fait profession. Ce Prélat luy ayant répondu avec l’éloquence & la grace qui luy sont si naturelles, encensa les Reliques ; & quatre Religieux revestus de Tuniques, les porterent sur leurs épaules. Douze Flambeaux de cire blanche, aux Armes de la Princesse, les environnoient. Les Chantres entonnerent, & continuérent les Hymnes de la Croix, & la Procession retourna à l’Eglise dans le mesme ordre qu’elle estoit venuë. Dés qu’on y fut arrivé, on posa les saintes Reliques devant le Grand Autel, qui estoit magnifiquement paré, & éclairé d’un tres-grand nombre de Cierges. On les mit sur une riche Crédence, élevée sur une Estrade de quatre degrez, qui estoit couverte de riches Tapis. Mr l’Archevesque les encensa de nouveau. On chanta quelques Antiennes, & en suite ce Prélat entonna le Te Deum. Les Oraisons estant dites, les Religieux & le Clergé de la Paroisse, allérent deux à deux baiser les saintes Reliques, & chacun se retira. Quelques jours apres, les Religieux de l’Abbaye marquerent leur reconnoissance envers la Princesse, en faisant un Service solemnel pour le repos de son ame.

[Avanture] §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 110-126.

Apres tant d’Articles sérieux, il faut vous faire le récit d’une Avanture qui réjoüit fort ces jours passez une grande Compagnie, où je l’entendis conter. Un jeune Homme de Champagne, qui apparemment est de la Famille de ceux qui ont donné lieu à l’Epithete de Meneurs d’Ours, ne trouvant pas dans son Païs dequoy satisfaire toute l’étendue de sa curiosité, se sentit pressé de l’envie de voir Paris, dont on luy disoit tant de merveilles. Il partit pour en venir estre le témoin ; & arrivant par le Trône, la beauté du Bâtiment surprit son imagination, & il s’appliqua si fort à le contempler, qu’il donna le temps à quelques Estafiers qui estoient là sans employ, de couper une Valise qu’il portoit derriere luy. Dans cette Valise estoit tout son Equipage, avec des Papiers d’assez grande conséquence. Il quita le Trône sans s’estre apperçû de rien ; & son Cheval qui se sentit moins chargé, l’emmena en diligence jusques à la Porte S. Antoine. Là le Cavalier fit une autre pause. Il trouva la Porte aussi digne de son admiration, que ce qu’il venoit de voir ; & pendant qu’il en lisoit les Inscriptions, les mesmes Dévaliseurs, ou peut-estre d’autres, eurent le temps de luy prendre son Epée, & un de ses Pistolets. Vous pouvez croire que s’ils luy laissérent l’autre, ce fut seulement parce qu’il cessa trop tost de lire. Il continua sa route jusqu’au Cimetiere de S. Jean, toûjours en regardant les Enseignes, & les yeux levez sur chaque Maison. Lors qu’il entra dans le Cimetiere, son Cheval, Champenois ainsi que luy, alla donner de la teste dans la Portiere d’un Carrosse qui traversoit, & il en cassa la Glace. Heureusement pour le Cavalier, il n’y avoit personne dedans ; mais le Cocher qui ne luy vit point d’Epée, & que sa Glace en morceaux mit en furent contre les deux Champenois, la déchargea sur l’un & sur l’autre à grands coups de Foüet vivement réïterez. Le Voyageur, peu accoûtumé à un pareil traitement, crût devoir montrer qu’il estoit brave, & voulant mettre l’Epée à la main, il fut fort surpris de la chercher inutilement. Il se détourna pour voir si on luy avoit laissé sa Valise ; & pendant ce temps, un Laquais du Carrosse prit le Pistolet qui luy restoit, & le donna au Cocher pour l’indemniser d’une partie de ce que devoit luy coûter la Glace. Le Champenois ne trouvant ny Pistolets ny Epée, prit le party d’estre pacifique, & pour se débarasser des coups de Foüet du Cocher, il n’eut point d’autre ressource que de crier au Voleur. On s’avança à ce bruit. Quantité d’Enfans l’environnerent, & quand il eut conté son desastre, toute la consolation qu’il en eut, fut de les entendre pousser les cris ordinaires dont ils se servent le Carnaval lors qu’ils voyent passer des Masques. Le Cavalier ne sçachant ce que cela vouloit dire, le demanda à une Femme, qui luy paroissoit estre touchée de son Avanture. Elle luy répondit en pleurant, que l’on se moquoit de luy. Parbleu, s’écria-t-il, on me l’avoit bien dit chez nous, que les Parisiens estoient des Badauts. Ce reproche fait un peu à contre-temps, irrita les plus mutins ; & peut-estre auroit-il eu peine à les appaiser, si cette Femme qui ne pleuroit pas pour rien, n’eust eu l’adresse de le tirer de la foule. Elle estoit du nombre de ces Officieuses à leur profit, qui par des dehors de bonne-foy, font donner les Sots dans les pieges qu’elles tendent. Apres qu’elle l’eut conduit dans une Ruë où elle empescha, qu’on ne le suivist, elle demanda où il avoit dessein de loger. Il luy répondit, qu’il avoit une Lettre pour un de ses Cousins chez qui il devoit aller descendre, & la pria de luy enseigner la Rüe S. Denys, où ce Cousin demeuroit. La Pleureuse qui avoit ses fins, ayant connu que la Lettre n’avoit point d’adresse plus particuliere, luy dit qu’il estoit bien tard pour aller si loin ; que la Ruë Saint Denys estant fort longue, elle craignoit bien qu’avant qu’il trouvast la Maison de son Parent, il ne fist encore quelque méchante rencontre, & que s’il vouloit la suivre, elle le meneroit chez de bonnes Gens, où il passeroit la nuit luy & son Cheval à fort bon compte. Elle ajoûta, que le lendemain elle le feroit conduire à la Ruë qu’il demandoit, & qu’en cherchant son Cousin de porte en porte un peu à loisir, on le trouveroit bien plus aisément qu’on ne feroit dans l’obscurité. Ce qui estoit arrivé de jour au Champenois, luy donna lieu de craindre la nuit. Elle estoit déja fort noire, & il crut ne pouvoir rien faire de mieux que de se laisser conduire. La Femme qui se montroit si charitable pour luy, le mena dans une Ruë un peu écartée, qu’elle luy dit s’appeller la Ruë des Manteaux perdus. On l’y traita assez bien. Son Cheval fut mis à l’Ecurie, & il y passa la nuit aussi à son aise que le pouvoit estre un Homme dévalisé. Le jour suivant, la Femme se contenta de ce qu’il voulut donner, luy témoignant amiablement qu’elle ne l’avoit prié de venir chez elle, que dans la crainte qu’il n’allast loger en lieu où il ne pust demeurer maistre de sa bourse. Aprés qu’il eut déjeûné, elle chargea un Garçon de le mener à la Ruë Saint Denys, & de ne le point quitter qu’il n’eust trouvé son Parent. Pour son Cheval, elle l’assura qu’il estoit en sûreté, & qu’il n’avoit qu’à l’envoyer prendre à telle heure qu’il voudroit. Il s’en alla fort satisfait d’elle, & suivit son Conducteur, qui estant instruit, joüa son rolle admirablement. Il mena le Campagnard par le Pont-neuf, pour luy faire voir le Cheval de Bronze ; & l’ayant de là conduit par les Halles, il n’eut pas de peine à s’évader parmy la confusion de Gens dont elles sont pleines les jours de Marché. Le Champenois demeura sans Guide, & crut l’avoir perdu par sa faute, pour s’estre indiscrettement mêlé parmy ce Peuple, dont l’affluence l’avoit tant surpris. La Ruë qu’il cherchoit n’estant pas fort éloignée, il eut peu de peine à la trouver ; & enfin, aprés qu’il eut fait diverses enquestes, on luy enseigna le Logis de son Parent. Il le connoissoit, l’ayant veu à Troyes, où il alloit quelquefois ; & à peine l’eut-il embrassé, qu’il luy conta toutes ses disgraces. Ce Parent le consola, en luy disant que tous les Provinciaux, & sur tout ceux de Champagne, estoient sujets à de pareils accidens. Il fut question de son Cheval. Il dit qu’il l’avoit laissé la Ruë des Manteaux perdus, chez une honneste Bourgeoise qui l’avoit traité avec des bontez inconcevables. Quoy que personne dans cette Maison ne connut cette Ruë-là, il se tint fort sûr de la trouver, pourvû qu’on le conduisit au Cimetiere Saint Jean. Il y alla aussi-tost qu’il eut dîné, mais ses recherches furent inutiles. Les Crocheteurs, & autres Gens de cette nature, l’assurerent que dans tout Paris il n’y avoit point de Ruë qui portast ce nom. Il connut par là qu’on l’avoit dupé, & que cette Femme si officieuse n’avoit pris ses intérests que pour s’approprier son Cheval. Cependant, comme en perdant sa Valise, il avoit perdu plusieurs Papiers qui luy estoient d’importance, il fit afficher au coin de toutes les, Ruës que l’on donneroit dix Loüis d’or à celuy qui les viendroit rapporter. Il y avoit parmy ces Papiers une Obligation d’une somme considérable dûë par un Conseiller du Parlement de Bordeaux, & une Procuration en blanc pour la recevoir, ou en faire les poursuites, si on refusoit de l’acquitter. On luy vint dire quelques jours aprés, qu’un Homme estoit allé en poste à Bordeaux, avec des Papiers que l’on figuroit semblables à ceux qu’il faisoit chercher. Il prit aussi la Poste sur l’heure pour la mesme Ville, croyant qu’il n’y pouvoit arriver trop tost pour empescher que l’on ne payât l’Obligation à quelque Inconnu. Il y doit estre depuis trois semaines ; & il n’y a pas d’apparence qu’il en revienne sans que les Gascons, qui sont naturellement adroits, luy donnent encore d’utiles leçons pour sa conduite. Si j’en apprens quelque chose, je n’oublieray pas à vous le faire sçavoir.

[Lettre concernant les Langues & Ecritures] §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 128-175.

Ce que je vous promis dans la mesme Lettre à l’occasion de ce Chinois, touchant l’Ecriture Chinoise, a donné lieu à Mr Comiers de faire graver les Alphabets des Langues Orientales que je vous envoye. Vous trouverez quantité de choses trés-curieuses dans ce qu’il écrit tout de nouveau à son Amy de Province.

II. LETTRE
DE Mr COMIERS
d’Ambrun, Docteur en Theologie, Professeur des Mathématiques à Paris.

CONCERNANT
LES LANGUES
ET ECRITURES.

Vous souhaitez, Monsieur, une Lettre plus longue que ma précedente, concernant la diférence dis Langues & Ecritures, & vous m’ordonnez de parler mon stile Laconique. Voicy pour vous obeïr, quelque chose du peu que j’en avois appris à Lyon, quand je m’y trouvay en 1654. dans le dessein d’aller au Tonquin avec les Peres Alexandre de Rhodes d’Avignon, & Ignace Baudet de Grenoble, Jésuites. Vous sçavez que la moisson des Ames est tres-grande en ce Païs-là, & le nombre des Ouvriers tres-petit, & que les Mathematiques donnent par tout entrée.

Je ne sçaurois mieux commencer la Planche des Alphabets des Langues Orientales, que par le Sacro-saint.

NOM DE DIEU.

Jehovah écrit en Lettres Hébraïques, tel que par ordre divin il estoit gravé sur la Lame d’or que Aharon le Grand-Prestre portoit toûjours sur son front. Voyez l’Exode chap. 28. vers. 6. C’est ce mesme Nom écrit que nul ne connoissoit que Dieu seul, & que S. Jean vit dans l’Apocalypse chap. 19. vers. 12.

Ce nom Tressacro-saint, n’est pas de l’invention des Hommes, puis que Moïse nous assure dans l’Exode chap. 3. que Dieu luy ordonna de dire au Peuple d’Israël Jehovah Dieu de vos Peres m’a envoyé à vous. Et au chap. 6. Dieu avoit dit à Moïse, Je n’ay pas expliqué mon Nom à Abraham, à Isaac ny à Jacob.

Les Rabins disent avec raison, que ce nom qui s’écrit par quatre lettres, un Jod, un He, un Vau, & encore un He, est un Nom inéfable, ou imprononçable, par le manque des voyelles. Ils ajoûtent que ce Nom est un Nom séparé, incommunicable, étant le Nom essentiel de Dieu, parce que ces quatre lettres estant diféremment transposées, ne changent point leur signification de l’essence divine ; & il n’en est pas de mesme des noms imposez par les Hommes, dont les mesmes lettres transposées aux Anagrammes, signifient des choses tres-diférentes. Sa prononciation est aussi incertaine par le manque des voyelles ; car les points employez pour voyelles n’estoient pas en usage du temps des 72. Interpretes, qu’Eleazar le Prince des Prestres envoya à Ptolomée Philadelphe avec la Sainte Ecriture, pour la traduire en Grec. L’Original Hébreu estoit écrit sur du vélin ou parchemin préparé. C’est Josephe qui l’assure dans le douziéme Livre des Antiquitez Judaïques.

DES LANGUES.

A la naissance du Monde, tous les Animaux terrestres, les Poissons, les Oiseaux & les Hommes, n’avoient, dit Philon, qu’une mesme Langue, c’est à dire, qu’une mesme parole ou instrument de societé, ou maniere d’exprimer leurs pensées ; & Bochartus dit que le Serpent conversoit depuis long-temps familiérement avec Eve. C’est pourquoy le Diable s’en servit comme d’un Promoteur pour séduire Eve, & la porter par ses mauvais raisonnemens à goûter du fruit de l’Arbre défendu ; ce qui fit que le Serpent fut maudit de Dieu, sauf, comme dit un Pere de l’Eglise, à exiger du Diable la récompense, de Prostitutæ vocis vænalis audacia.

Les Anges mesme parloient entr’eux la Langue universelle, que nous appellons maintenant Langue Hébraïque, puis que le Prophete Isaye chap. 6. entendit les Cherubins chantans alternativement Kadosch, Kadosch, Kadosch, Jehovah, Tzebaoth, Melo chal haaret Cebodo. C’est à dire, Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu des Armées, & sa Gloire remplit toute la terre.

La Langue Hébraïque cessa d’estre universelle en l’année du monde 1759. lors de la division de la terre entre les trois Fils de Noé, Sem, Cham, & Japheth ; Epoque marquée dans la Genese chap. 10. vers. 25. par la naissance du Fils d’Heber, nommé Phaleg, Division, parce que pour lors la terre fut divisée. Vous en sçavez l’Histoire. Les Hommes depuis le Déluge avoient habité les Montagnes d’Arménie ; ils en descendirent, pour aller directement occuper & remplir toute la terre, suivant que Dieu leur avoit ordonné au sortir de l’Arche, Genese 8. vers. 16. mais ils s’arrestérent tous pendant trente ans dans les belles Plaines de Sennar, où par le Conseil de Nimrod ils bâtirent la grande Ville & la fameuse Tour de Babylone, que Dieu appella Babel, Genese 11. vers. 9. par ce qu’il y confondit les Langues, en sorte que les trois lignées de Sem, Cham & Japheth, ne pouvant plus s’entendre, se séparérent pour aller occuper & remplir les parties de la Terre que Noé leur avoit assignées en partage.

La Langue universelle qui avoit esté infuse à Adam dans le Iardin d’Eden, resta pure à Heber, duquel elle a depuis tiré son nom d’Hébraïque. Luy, ny sa lignée, ne furent pas compris dans la peine des autres Hommes, puis qu’Abraham estant sorty de Chaldée, & venu habiter la terre de Canaam, ils ne furent pas de l’entreprise de la Tour de Babylone, qui avoit déja vingt-sept mille pas de hauteur, si on en peut croire les Iuifs dans leur Livre Jalcut.

La Langue Hébraïque a toûjours duré parmy les Hébreux, mesme apres qu’ils furent appellez Israëlites, depuis que l’Ange ayant lutté toute la nuit avec Iacob, l’eut nommé Isra-el, du verbe sara, qui signifie dominer, dont le futur est Isra, auquel l’Ange ajoûta le Nom de Dieu el, & appella Iacob Isra-el, Prince, ou Dominateur avec Dieu. Mais les Iuifs dans la Captivité de Babylone meslérent leur Langue Hébraïque avec la Chaldaïque. Ce mélange forma la Langue Syriaque, qu’ils ont toûjours parlé depuis la Captivité de Babylone jusques à présent ; c’est pourquoy le Syriaque estoit la Langue naturelle des Apostres, de Iérusalem, & de toute la Iudée.

Il semble que Simon Stevin, Mathematicien de son Excellence le Prince Maurice de Nassau, ait voulu conclure que la premiere Langue est le Bas-Allemand, qu’on parle purement en la Noort-Hollande. Cette Langue, qui est plus certaine & plus briéve, estant bâtie sur des noms & verbes primitifs qui sont monosyllabes. C’est pourquoy dés la 114. page de sa Geographie, il donne sept cens quarante-deux verbes monosyllabes en Bas-Allemand ; & le Latin n’en a que cinq, & les Grecs n’en ont proprement point. Il a aussi donné mil quatre cens vingt-huit noms, pronoms, & prépositions monosyllabes en Bas-Allemand ; & la Langue Latine n’en a que cent cinquante-huit, & la Grecque deux cens vingt.

Bien que dans toute la Sainte Ecriture je n’aye trouvé que les noms de dix-neuf Langues, le nombre en est infiniment plus grand. En effet, comme dit Saint Paul 1. Cor. 14. 10. Il y a tant de diverses Langues dans le monde. Et il ajoûte, Je souhaite que vous ayez tous le Don des Langues.… Je loüe mon Dieu de ce que je parle toutes les Langues que vous parlez.

Comme Dieu avoit dispersé les Hommes sur la surface de la terre par la diférence des Langues, le S. Esprit donna le Don des Langues aux Apostres, pour pouvoir prêcher l’Evangile à tous les Hommes de la terre. Enfin apres la Resurrection, qu’il y aura, comme dit S. Pierre au verset 13. chap. 3. de sa 2. Epître, de nouveaux Cieux, & une nouvelle Terre, pour lors Dieu redonnera, comme dit le Prophete Sophonie, une mesme Langue à tous les Peuples, sous un seul Roy. Si nostre Langue n’est pas encore universelle, elle la deviendra. C’est ce que dit autrefois Heius Capito, disputant contre Pomponius Marcellus, en présence de l’Empereur Tibere, de certains mots peu Latins de l’Oraison de l’Empereur ; S’ils ne le sont pas, dit Capito, ils le deviendront.

Le Sanhedrin, ou les Gens du Conseil des Iuifs, entendoient soixante & dix Langues. Apollonius Thianeus entendoit mesme le langage des Oyseaux. Mithridate, Roy du Pont, parloit correctement vingt-deux Langues. Origene Africain sçavoit la Latine, la Grecque, l’Hébraïque, la Syriaque & l’Egyptienne. Augustinus Nebiensis, & Postel Bas-Normand, sçavoient presque toutes les Langues du monde. Le Iuif Jonadab de Maroc possedoit vingt-huit Langues. Le Bacha Gesnebei, qui pendant plusieurs années servit de Dragoman ou Interprete à l’Empereur Soliman, parloit Turc, Moresque, Arabe, Tartare, Persan, qui est de toutes les Langues la plus facile, Arménien, Sclavon ou Sarmate, qui est une Langue de tres grande étenduë, Moscovite, Allemand, Latin, Italien, François & Espagnol. Du temps de Iean II. Roy de Portugal, le nommé Jean Pierre Portugais sçavoit presque toutes les Langues, & fut fort consideré du Roy d’Ethiopie. Scaliger parloit doctement plusieurs Langues.

L’Empereur Charles IV. parloit avec éloquence les cinq principales Langues de l’Europe, & obligea par un Edit Impérial les Electeurs de les apprendre.

DE LA PAROLE.

Le bon sens est de tout Païs ; on pense par tout d’une mesme maniere, & la langue est l’instrument de la parole, par laquelle l’esprit met au dehors ce qu’il a conçû en son particulier ; & comme la parole & l’écriture sont les habillemens que nous donnons à la pensée, pour la rendre manifeste aux autres, on parle, on prononce & on écrit diféremment depuis 3887. ans ; car en l’année du Monde 1759, lors du partage de la terre, l’unité & la simplicité de la langue & de l’écriture furent multipliées à la Tour de Babel.

La parole est le signe ou l’interprétation de la pensée. Ælianus lib. 14. cap. 22. variar. histor. rapporte que le Tyran Trizus, pour ôter à ses Sujets les moyens de conspirer contre sa Personne, leur défendit sur peine de la vie de parler en public ny en particulter. Ils employérent les divers mouvemens des yeux, & les diférens gestes des mains, pour exprimer leur misere, & résoudre le moyen de s’en délivrer.

Cette maniere éloquente de parler par les yeux, est assez ordinaire aux Amans. Ovide leur en a donné des leçons. Les Romains avoient une espece de Comédiens, appellez Mimes, qui sans dire mot joüoient parfaitement leur rôlle par gestes, signes & grimaces. Les Müets du Serrail s’entretiennent de la sorte. Cette maniere est mesme en usage aupres de la personne du Grand Seigneur, en présence duquel c’est un crime de se parler.

La parole a divers accens, c’est à dire quelque chose de diférent dans la prononciation d’une mesme Langue. Ainsi tous ceux de la Tribu d’Ephraïm prononçoient Siboleth, au lieu de Schiboleth, qui signifie Epy ; ce qui les fit reconnoistre au passage du Iourdain, & leur cousta quarante deux mille Hommes, qui furent égorgez par les Galaadites. Voyez-en l’histoire dans le 12. chap. des Iuges, sous Jepthé.

S. Pierre estant chez Caïphe, fut reconnu par son accent estre de Galilée.

Theophraste fut reconnu par une Vieille d’Ahenes, estre Etranger par son accent. Pollio blâme Titelive de sa Patavinité ; & on reprochoit à Virgile, Mantuanois, qu’il ne parloit pas Romain. A présent on dit, Lingua Toscana in bocca Romana. Tertullien sentoit l’Affriquain, Seneque, Lucain & Quintilien, l’Espagnol ; & S. Hilaire & S. Prosper, le Gallicanisme de leur temps.

Les Canadois en parlant ne remüent point les machoires, mais la langue seulement. Ainsi ils ne peuvent prononcer aucune consonante labiale ; c’est pourquoy en priant Dieu en nostre Langue, ils disent Nostre Tere, au lieu de Nostre Pere.

Les Chinois parlent en chantant, car les diférens tons d’un mesme mot, luy donnent la valeur de diférentes significations, comme on le peut connoistre par le monosyllabe Po, qui en a onze diférentes, suivant ses onze diférentes accentuations. Voyez-les dans la Planche. Le jeune Chinois Mikelh Xin m’apprit ces onze diférens tons, que j’eus bientost confondus. Je n’en dis pas autant de nostre premiere syllabe Ba, laquelle estant prononcée suivant ces accentuations, Ba. Bà. Ba ? Bá. que le P. Alexandre de Rhodes m’apprit à Lyon, signifient en Langue Tonquinoise des choses bien diférentes. On en trouve l’explication dans la 85. page de l’Histoire du Tonquin, que le Pere fit imprimer en 1652.

Confusius, Docteur des Chinois, a retenu cette façon de parler en chantant, qui estoit commune à tous les Hommes avant leur dispersion. Cela est si vray, que les Rabins, ou Docteurs des Iuifs, lisent dans les Synagogues l’Ancien Testament par un chant meslé du Musical & du Rhétoricien, suivant leurs motions grandes ou petites, ou bréves, qui sont les cinq voyellos marquées depuis peu de siecles par diférens points, que vous trouverez dans la Planche, au bas de l’Alphabet Hébreu. Ils ont encore seize diférens accens, dix Royaux & six serviles, &c. qui marquent la modulation du ton de chaque syllabe, par la diférente flexion de voix, lente, précipitée, élevée, basse, rude, douce, &c. pour bien émouvoir les passions par ces diférens mouvemens de la voix. Nos anciens Druides apprenoient, comme dit Tacite, à parler de la sorte harmonieusement en chantant ; ce que nous pratiquons solemnellement aux Epîtres, aux Evangiles, &c. Et c’est sans doute pourquoy on dit en Hollande, Canis frustra, Vous chantez inutilement ; pour signifier, Je ne vous entens pas.

Diodorus Siculus, au troisiéme Livre des anciennes Traditions, dit que les Habitans d’une Isle au-delà de l’Arabie, ont l’instrument de la parole, c’est à dire la langue, fendüe en deux ; que leurs paroles imitent les chants des Oyseaux, & qu’en mesme temps ils parlent & disputent tout à la fois avec deux diférentes Personnes. Si Iule Cesar, qui lisoit, écrivoit, & dictoit à trois Secretaires, avoit eu la langue ainsi divisée, il auroit esté plus que in utroque Cesar, grand par la Plume & par l’Epée.

DE L’ECRITURE.

Si l’usage des Lettres n’est pas éternel, comme disoit Pline lib. 7. cap. 54. du moins il est aussi ancien que le Monde, puis que le Texte Chaldaïque du 91. Pseaume porte qu’Adam le composa pour rendre graces à Dieu de sa Creation. C’est pourquoy je ne puis souffrir que les Hébreux appellent l’Art d’écrire Dikduk, subtile invention ; car si l’écriture estoit d’invention humaine, Moïse auroit dit le nom de l’Inventeur, ayant marqué dans la Genese celuy des choses moins utiles & moins considérables, comme le nom d’Ana, au chap. 36. vers. 24. qui trouva l’origine des Mulets.

Lucain dans le 3. liv. Pharsal. au 280. Vers, dit que

Phœnices primi, famæ si creditur, ausi
Mansuram rudibus vocem signasse figuris.

Mr de Brebeuf, parlant du Soldat Phœnicien, Païs autrefois habité par les Hébreux, dit,

C’est de luy que nous vient cet art ingénieux
De peindre la parole, & de parler aux yeux,
Et par les traits divers des figures tracées
Donner de la couleur & du corps aux pensées.

Les termes de la 55. Epître de S. Basile sont trop beaux pour estre oubliez. On doit, dit-il, mettre au nombre des plus grands Dons de Dieu, celuy de l’Ecriture, puis que nous conférons & unissons nos pensées, bien que separez par une immense distance de temps & de lieux. Mutuò coalescere dedit. A quoy Diodorus Siculus, lib. 12. Bibliothecæ, ajoûte, qu’avec les Livres les Morts demeurent avec nous, & parlent avec nous familiérement.

Le plus ancien de tous les Livres est celuy des Propheties d’Enoch. Il estoit le septiéme depuis Adam, & écrivit long-temps avant le Deluge. L’Apostre S. Jude parle de ce Livre dans le 14. verset de son Epître Canonique. Origene le cite, & S. Augustin au chap. 38. du 15. Livre de la Cité de Dieu, assure qu’Enoch les avoit écrites.

S. Epiphane assure aussi que Seth avoit écrit sept Livres. Les Enfans du mesme Seth, pour transmettre leurs Observations Astronomiques aux siecles à venir, malgré les Deluges d’eau & de feu qu’Adam leur avoit prédits, les gravérent sur deux Colomnes, l’une de pierre, & l’autre de brique. La Colomne de pierre subsistoit encore dans la Surie du temps de Josephe, ce qu’il assure dans son premier Livre des Antiquitez Judaïques.

Simplice, & plusieurs autres anciens Autheurs, disent que Calistene, qu’Aristote présenta à Alexandre le Grand à la prise de Babylone y avoit trouvé des Inscriptions Astronomiques d’environ soixante ans apres le Deluge.

Job, ce veritable bon & pauvre Homme, Petit-fils de Nachor Frere d’Abraham, écrivit la belle Histoire de ses propres disgraces, long-temps avant la naissance de Moïse, partie en Vers, dont la Rime est semblable à la Françoise. Son Amy Balda au chap. 8. vers. 8. le renvoye à feüilleter les Registres de la mémoire de leurs Peres.

La Sainte Ecriture, au Livre de Josué successeur de Moïse, nous apprend que Caleb prit la Ville d’Abir, qu’on appelloit long-temps avant Moïse, Cariathsepher, c’est à dire la Ville des Lettres, celébre Académie & Bibliothéque. Josué ch. 15. v. 15.

C’est du doigt de Dieu que ses Commandemens furent gravez sur les deux Tables de marbre qu’il donna à Moïse, & que le Prophete Jerémie cacha depuis avec l’Arche & le Tabernacle dans des Cavernes ; & on ne les trouvera que lors que Dieu aura appellé tous les Peuples. Ce sont les paroles du Prophete Jerémie, que vous trouverez dans le second chapitre du second Livre des Machabées.

Des divers Mouvemens
de l’Ecriture.

Les Hébreux, les Chaldéens, les Samaritains, les Rabins, les Arabes, les Turcs & les Persans, écrivent de droite à gauche. Les Grecs, les Latins, les Arméniens, les Ethiopiens, & les Indiens du Malabar, écrivent comme nous de gauche à droite. Enfin les Chinois, Cathains & Japonnois, écrivent de haut en bas ; ce que j’ay observé dans la Planche, ayant ainsi écrit la signification des caracteres Chinois. Confusius a voulu ainsi écrire, pour éterniser la mémoire de leur descente de la Tour de Babel.

Je ne parleray pas contre ces Grammairiens ridicules, qui veulent écrire d’une façon, & lire d’une autre, changeant la prononciation de beaucoup de lettres. Voyez dans Lucien au Jugement des voyelles, la plainte qui en fut autrefois formée. Pour moy, je suis du sentiment d’Auguste, qui, au rapport de Suetone, disoit qu’il faut écrire comme l’on parle.

DES LETTRES.

La pensée est diféremment habillée par la parole, & la parole par les diférens traits des Lettres. Les Hébreux avoient deux sortes de caracteres ; le Courant, & le Sacré. Le Courant est celuy que nous appellons Samaritain, du nom de la plus grande partie des Juifs. Ce caractere courant & usuel estoit tres-connu de tout le Peuple d’Israël ; c’est pourquoy Ezechiel au chap. 9. vit celuy qui avoit l’Encrier d’un Ecrivain, auquel Dieu dit de marquer la lettre Thau sur le front des Fidelles, pour les garantir & délivrer du dernier des malheurs. Ce qui est redit dans le 7. chap. de l’Apocalypse. Or cette lettre Thau, qui est la derniere de l’Alphabeth, est une Croix ; ce que l’on prouve par les Sicles d’argent que Salomon fit frapper ; & tout cela est le Mystere de la Croix triomphante avec laquelle le Sauveur du monde viendra à la fin des temps separer les Bons, & les recüeillir dans la Gloire. Aussi est-il à remarquer que les vingt-deux lettres Hébraïques n’ont jamais changé d’ordre ; ce que vous pouvez voir dans les Stances ou Pauses du 118. Pseaume, & aux Lamentations de Jerémie.

Le Caractere Sacré chez les Hébreux, a toûjours esté quarré. C’est pourquoy Esdras, lors qu’apres la Captivité de Babylone il dicta par mémoire les Livres Sacrez, se servit du mesme caractere quarré dont Moïse avoit écrit ses Livres du Pentateuque.

Les Hébreux ont cinq lettres doubles, Caph, Mem, Num, Pe, Sade, dont l’employ est diférent au commencement, au milieu, ou à la fin des mots. Cette observation est tres-importante à ceux qui entendent la Cabale, puis que la lettre Mem, qui est toûjours ouverte au commencement & au milieu des mots, est fermée dans le mot Le Marbe du v. 6 ch. 9. de la grande Prophetie d’Isaye, & que de cette seule lettre en ce seul endroit fermée au milieu d’un mot, Galatinus lib. 7. cap. 14. prouve que le Messie naistroit d’une Vierge toûjours Vierge.

Les Arabes ont aussi diférens Caracteres de lettres pour le milieu & pour la fin des mots, qui n’ont pû estre contenus dans la Planche.

Les Hébreux n’ont que vingt-deux lettres. Elles sont significatives. Eusebe de Cesarée, & S. Jerôme, les interprétent. Le Cardinal Bellarmin dit qu’elles ont tiré leur nom des choses ausquelles leurs traits ou figures ont quelque rapport.

J’ay remarqué que l’écriture Hébraïque est la mere de celle de tous les autres Peuples, puis qu’ils ont conservé l’ordre & le nom des lettres Hébraïques.


L’ordre & le nom des Lettres
Hébraïques
Aleph. Beth. Gimel. Daleth.
Latin. A. B. C. D.
Grec. Alpha. Bita. Gamma. Delta.
Arab. Alif. Be. Gim. Dal.
Syriaq. Aolet. Beth. Gomal. Dolat.

Les Latins ont ajoûté de temps à autre d’autres Lettres, & les Ethiopiens ont troublé l’ordre & les figures des lettres Hébraïques.

Les Chinois, au lieu de lettres, ont fait des chifres diférens pour chaque mot, de peur de tomber dans la mesme confusion qu’ils avoient expérimentée à la Tour de Babel. Dio dit que Mecenas inventa des caracteres pour chaque mot. S. Cyprian Martyr les augmenta pour l’usage des Chrétiens. Ceux qui, suivant leur charge au Senat Romain, par de seuls caracteres pour chaque mot écrivoient les Edits & tous les Arrests du Senat, furent appellez Notaires, à Nota, comme dit S. Isidore. Manilius en parle en ces termes.

Hic & scriptor erit felix, cui littera verbum est,
Quique Notis linguam superet cursum que loquentis ;
Excipiat longas nova per compendia voces.

L’obscurité & l’ambiguité de cette écriture qu’on appelloit aussi Sigla, obligea l’Empereur Justinien d’écrire au Senat & à tous les Peuples, qu’il condamnoit à la peine de faux ceux qui écriroient ainsi ses Loix, & les Arrests rendus. Les Anglois excellent dans cet Art d’écrire promptement, & que nous appellons Tachygraphie.

Sur quoy écrivoient les
Anciens.

Job au 19. chapitre fournit la preuve incontestable, qu’avant Moïse on écrivoit dans des Livres, ou sur des Lames de plomb, avec un stile ou pointe de fer.

Dion au 46. liv. dit, qu’Octave & Hircius écrivirent en Lames de plomb tres-minces à Decius, de ne se pas rendre à Marc-Antoine, & d’attendre leur pardon.

Les Anciens écrivoient aussi, comme dit Pline lib. 13. sur des feüilles ; ce que l’on a depuis pratiqué dans l’Amérique. C’est pourquoy les Américains portoient tres-grand respect & à l’Arbre, & à ses Feüilles écrites dont ils estoient les porteurs ; ils croyoient que quelque Esprit les animoit, & disoit tout aux Espagnols.

Les Anciens écrivoient aussi sur des Ecorces déliées, que les Latins appellent Libri, qu’ils tiroient des Tillots, des Platanes, des Fresnes, & des Ormeaux, lors que, comme dit Lucain,

Nondum flumineas Memphis contexere Biblos
Noverat.

A l’usage des Ecorces succeda le Papier, qui estoit une plante semblable au Jong qui croist dans les Marais d’Egypte, où l’eau du Nil restoit apres son inondation. On portoit cette Plante à une petite Ville appellée Charta ; c’est pourquoy Lucain disoit,

Conseritur Bibula Memphitis Charta Papyro.

Le Prophete Isaye au ch. 18. parle des Nascelles de Papier. Ptolomée Philadelphe, pour empescher Eumenes de faire une Bibliothéque, défendit le transport du Papier. Eumenes trouva à Pergame le moyen de faire préparer les peaux des Animaux ; c’est pourquoy de Pergame elles tirent leur nom de Parchemin.

Enfin on a trouvé la belle maniere de faire des Feüilles blanches & déliées, avec de vieux linges trempez & lavez longuement, & broyez au Moulin sous des marteaux de bois ; & avec un peu de cole & d’alun rendus en Boüillie, qu’on étend sur une grille de fil d’airain pour l’égouter, on met ensuite chaque Feüille entre deux morceaux de drap, apres quoy on les retire pour les secher. Nous les appellons Feüilles de Papier, du nom de l’ancien Papier ; & les Latins l’appellent Chartam Papyri, luy donnant les deux noms anciens. Je suis vostre, &c.

Sonnet §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 185-187.

Voicy un Sonnet qui vous plaira, & par la grandeur de son sujet, & par l’heureux tour que Mr Petit de Roüen a donné aux Bouts-rimez qui sont à la mode.

POUR LE ROY.

De vous-mesme, LOUIS, vous tirez vostre gloire,
Non du Sceptre doré, ny du Titre de Roy ;
Ce qui fait que de Vous sans peine on prend la Loy,
Vous qui si sagement usez de la Victoire.
***
Vous, plus Héros qu’aucun dont ait parlé l’Histoire ;
Vous, le vangeur du Crime, & l’appuy de la Foy ;
Vous, dont le Bras armé par tout jette l’effroy ;
Vous, qui serez l’honneur du Temple de Mémoire.
***
On ne voit rien en Vous qui ne soit achevé.
Vous avez un esprit délicat, élevé ;
Un cœur noble, tranquille, & toûjours intrépide.
***
Vos airs nous font bien voir qu’il est des Immortels ;
Et de naître avant Vous bien heureux fut Alcide,
Ce Héros sans cela n’eust jamais eu d’Autels.

A Monseigneur le Duc de S. Aignan §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 187-189.

Cet autre Sonnet sur les mesmes Bouts-rimez est du mesme Autheur.

A MONSEIGNEUR
LE DUC DE S. AIGNAN.

Pour Vous seul on diroit que le Ciel fit la gloire,
Vous en brillez par tout pres de nostre Grand Roy ;
Aux plus Braves toûjours vous avez fait la Loy,
Vous tenez chez Bellonne à gages la Victoire.
***
En beauté rien ne peut égaler vostre Histoire.
Mais croira-t-on vos Faits ? Parlez de bonne-foy,
Parlez, Duc, des Méchans la terreur, & l’effroy,
Et le cher Favory des Filles de Mémoire.
***
Les Graces vous ont fait un mérite achevé ;
Mars, de la main de qui vous fustes élevé,
Vous donna ce grand cœur, genéreux, intrépide.
***
Vous avez tout le port, tout l’air des Immortels.
Enfin, Duc, à l’Amour, & mesme au Grand Alcide,
Vous pouvez disputer la gloire des Autels.

Ode §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 189-195.

Cet illustre Duc, qui se fait aimer de tout le monde, donne souvent de l’employ aux Muses ; & les deux Ouvrages qui suivent, & qui ont esté faits à sa gloire, en sont une preuve. L’un est de Mr Magnin, Conseiller au Présidial de Mascon ; & l’autre, de Mr Sabbatier, de l’Académie Royale d’Arles.

ODE.

Depuis le temps que ma Muse
S’occupe à faire des Vers,
Et que souvent elle abuse
De mille sujets divers ;
Quoy, sans rendre aucun hommage
A l’illustre Saint Aignan,
Croit-elle avoir l’avantage
D’aborder LOUIS LE GRAND ?
***
 Saint Aignan, que le Parnasse
Voit parmy ses Protecteurs,
A qui l’on cede la place
Chez les plus doctes Autheurs.
La Gloire qui l’environne,
Fond sur luy de toutes parts ;
L’Olive qui le couronne,
Germe dans le Champ de Mars.
***
Mais ses vertus héroïques,
Si je voulois les chanter,
A mes Chalumeaux rustiques
Pourroient-elles s’ajuster ?
Faut-il à ma voix champestre
Des tons polis & guerriers ?
Cultive-t-on sous le Hestre
Les Myrtes & les Lauriers ?
***
Non, je connois la foiblesse
De mes timides accords ;
Et quelque ardeur qui me presse,
J’en suspendray les transports.
Dans une course si belle
Je n’iray point m’engager,
Content d’avoir de mon zele
Donné ce signe léger.
***
Le Héros que j’envisage
Sous les mesmes Etendards,
Joint la grandeur de courage,
La Science, & les beaux Arts.
Il est doux & magnanime ;
Il a du plus grand des Roys
Et l’agrément & l’estime,
Cela dit tout-à-la-fois.
***
De l’Honneur & de la Gloire
Grands & pompeux Monumens,
Riches vertus, de l’Histoire
Les superbes ornemens,
Ne venez point à la foule,
Ne venez point m’accabler ;
Je vois le Soleil qui roule,
Et le vois sans me troubler.
***
C’est à dire que ma veuë,
Foible & basse pour vous voir,
Se fait de sa retenuë
Une espece de devoir,
Et qu’à ces hauteurs ma Muse
Desesperant d’arriver,
Ne veut point que l’on l’accuse
De vouloir trop s’élever.
***
Iroit-elle triomphante,
Et d’un air ambitieux,
De ce Héros qui l’enchante
Parcourir tous les Ayeux ?
Sur ces Histoires passées
Iroit-elle célebrer
Tant de vertus entassées,
Qu’on ne les sçauroit nombrer ?
***
Quoy, remonter à la source
De ce sang si genéreux,
Qui doit allonger sa course
Jusqu’à nos derniers Neveux ?
Vouloir se donner la peine
D’en rassembler les Ruisseaux,
De la Vistule, à la Seine
C’est vouloir joindre les eaux.
***
I’arreste, & de ma Musette
Le son ne sçauroit fournir
A des Airs que la Trompette
Auroit peine à soûtenir.
Héros, les nobles delices
Et de Minerve, & de Mars,
Jette sur mes sacrifices
Tes favorables regards.
***
Pour t’élever des trophées,
Je sçay bien que mille Autheurs,
De leurs veines échauffées,
Te consacrent les ardeurs ;
Mais je ne leur cede guére
Dans ce glorieux employ.
Ont-ils le cœur plus sincere,
S’ils ont plus d’esprit que moy ?

Epitre §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 195-202.

Avoüez, Madame, que quand je ne vous aurois pas nommé Mr Magnin, le génie aisé qui brille en ses Vers vous l’auroit fait reconnoître. Voicy l’Ouvrage de Mr de Sabbatier, adressé au mesme Duc.

EPÎTRE.

Ce n’est pas le desir d’imprimer un Volume,
Qui statant mon esprit, me fait prendre la plume.
Je renonce, Grand Duc, à ce fameux Mestier,
Je n’attens d’Apollon ny Palme, ny Laurier.
Si je resve à des Vers, nul bien ne m’intéresse
Que celuy d’éviter l’inutile paresse ;
Mais qui sçait si ma Muse aujourd’huy qui t’écrit,
Peut à ce grand dessein égaler mon esprit ?
En s’élevant si haut, je crains qu’elle ne tombe,
Dans un hardy dessein bien souvent on succombe ;
Mais j’aime mieux qu’elle ait ce destin malheureux,
Que de voir mon esprit & lent, & paresseux.
On ne fait rien de grand, si l’on n’ose entreprendre.
Faut-il ne monter pas, parce qu’on peut descendre ?
La plus haute valeur, & l’intrépidité,
Empruntent leur éclat de la temérité.
Je sçay que t’écrivant, la juste politesse,
Les nobles sentimens, le stile sans bassesse,
Doivent d’un feu brillant soûtenir tous mes Vers ;
Mais s’ils sont dépourveus de ces charmes divers,
N’en puis-je pas tirer encor quelque avantage ?
Ils t’apprendront, Grand Duc, mes respects, mon hommage.
Dans un juste devoir, les plus simples présens
Plaisent quelquefois mieux que le plus riche encens.
Que dois-je craindre enfin en t’envoyant ces Rimes ?
Faire de méchans Vers, est-ce faire des crimes ?
N’oseray-chanter, Illustre Protecteur,
Ta valeur, ton esprit, ta charmante douceur ?
Les Grands n’ont pas toûjours cet heureux caractere,
Le vain orgueil souvent les empesche de plaire ;
Fiers des pompeux honneurs, dont leur cœur est jaloux,
Ils n’ont rien dans leur air & d’affable, & de doux.
Elevez sur les rangs, où l’on les voit paroistre,
Ils sont connus de tous, sans vouloir se connoistre ;
Par un sort opposé, l’on voit que ta vertu
Ne t’enorgueillit point ; dis-moy, la connois-tu ?
Ta modeste douceur quelquefois nous fait croire
Que tu ne sçais pas bien quelle est toute ta gloire.
Mais que cette ignorance en releve l’éclat !
Heureux est le Mortel qu’on trouve en cet état !
La solide vertu fuit le luxe & la pompe ;
La vanité nous perd, son faux-brillant nous trompe.
Ces modestes Vainqueurs, les plus anciens Romains,
Pour estre Conquérans, en estoient-ils plus vains ?
Leurs Ennemis défaits, les Nations vaincuës,
Ils alloient dans leurs Champs reprendre leurs Charuës ;
Lors que Rome écouta le dangereux orgueil,
Sa puissance augmentant, luy creusa son cercueil,
En joignant l’injustice aux malheurs de la Guerre.
Elle fit sous son joug gémir toute la Terre ;
De tant de Légions l’Univers outragé,
Par leurs propres malheurs se vit enfin vangé.
Leüant les vieux Romains que nous vante l’Histoire,
Je pense en mesme temps, Saint Aignan, à ta gloire ;
Par tes rares vertus, par tes exploits fameux,
Je reconnois en toy, ce qu’on voyoit en eux.
Certes, c’est à présent que ma Muse doit craindre.
A-t-elle assez d’esprit, pour pouvoir te dépeindre ?
Peut-elle se flater de tracer ton Tableau ?
Pour cet Ouvrage a-t-elle un assez bon Pinceau ?
Non, je reconnois bien qu’elle est trop témeraire ;
Elle s’est plus promis qu’elle ne pouvoit faire,
Son projet l’épouvante, & dans sa noble ardeur,
Sans consulter sa force, elle avoit crû son cœur ;
Ton grand mérite enfin la réduit au silence ;
Peut-on dire de toy, Grand Duc, tout ce qu’on pense ?

[Lettre de Siam] §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 220-238.

Je ne puis mieux commencer que par la Lettre que je vous envoye. Elle est du mois de Novembre de l’année derniere, & écrite par le mesme qui avoit traduit à Siam celles que le Roy de ce Païs-là adressoit à Sa Majesté, par ses Ambassadeurs qui ont fait naufrage, & dont je vous envoyay il y a quelques mois une Copie. Si vous y trouvez quelques circonstances repétées, elles sont à l’avantage de nostre auguste Monarque, & je sçay que dans l’intérest que vous prenez à sa gloire, aucune repétition ne vous sçauroit ennuyer sur cette matiere.

A Siam le 28. Novembre 1683.

Je me suis informé des Habillemens qu’on vous a dit que les Soldats Japonnois portoient lors qu’ils alloient à la Guerre, & qui sont à l’épreuve de toutes sortes d’armes ; mais tous ceux qui m’ont paru le devoir sçavoir le mieux, pour avoir demeuré longtemps dans le Japon, n’ont pû m’en instruire. Ils m’ont seulement dit, qu’ils croyoient que ces Soldats se servoient dans leurs expéditions militaires des mesmes Vestemens que les Chinois, qui les font de plusieurs Etofes de soye cousües ensemble, & piquées fort prés à-prés, & qui mettent quelquefois soixante de ces Etofes les unes sur les autres, avec du coton ou de l’oüate entre-deux. Ils disent que ces Habillemens résistent mesme aux coups de Mousquet ; mais il n’y a que les Grands qui s’en servent ; les Gens du commun usent de Cuirasses. Il est tres-difficile d’avoir des nouvelles sûres de ce qui se passe au Japon, parce qu’il n’y a que les Hollandois & les Chinois qui y trafiquent. Tous les Etrangers, & particuliérement ces premiers, y sont si peu en liberté, que j’en ay connu quelques-uns, qui y avoient fait six ou sept voyages, & qui à peine pouvoient rendre raison de certaines choses, qui ne peuvent estre ignorées d’une Personne qui a demeuré quelque temps dans un Païs. Vous sçavez que la Compagnie de Hollande ne tire plus du Japon ces grands profits qu’elle y faisoit autrefois ; les vexations qu’y soufrent ses Officiers, ont beaucoup diminué ce Trafic. Il part chaque année de Battavia trois ou quatre grands Navires pour le Japon, chargez de toutes sortes de Marchandises ; & l’ordre le plus exprés qu’ont les Officiers de ces Bâtimens, est de se donner bien de garde de montrer aucun signe de Christianisme, tant qu’ils demeureront en ce Païs-là. Le Gouverneur de Nangazaqui, qui est le Port où les Navires Etrangers arrivent, les force à luy vendre toutes les Marchandises qu’ils apportent, au prix qu’il souhaite ; & s’ils ne veulent pas les donner, il faut qu’ils rembarquent aussi tost, sans pouvoir davantage les exposer en vente. Ils voyent ensuite que le Gouverneur revend ces mesmes Marchandises de la main à la main, avec un tres-grand profit, sans qu’ils osent en murmurer. Aussi dit-on que la Compagnie Hollandoise est résolüe d’abandonner ce Commerce, si elle ne peut avoir raison de ces avanies. La Loge des Hollandois est située dans une petite Isle qui est dans la Riviere de Nangazaqui, & qui n’a de communication avec la Ville, ou Terre-ferme, que par un Pont. Le Gouverneur a le soin de leur faire fournir toutes les choses dont ils ont besoin ; & il leur est défendu sous peine de la vie, d’aller en Terre-ferme, ou à la Ville, sans sa permission, & sans avoir quelques Gardes. Cet ordre est respectif à l’égard des Japonnois, qui ne peuvent aller en la Loge des Hollandois sans la permission du Gouverneur. Tant que leurs Navires demeurent en ce Port ou Riviere, le Gouvernail, la Poudre, & les principales Armes, sont à terre ; & dés le moment qu’on leur a rendu ces choses, il faut qu’ils se mettent à la voile, quelque vent qu’il fasse. Quand mesme ils auroient la plus rude tempeste à essuyer, ils ne peuvent sans risque de la vie rentrer dans un Port du Japon. Il faut que la Compagnie change toutes les années le Chef & Second de son Comptoir ; & d’abord que les Japonnois remarquent que quelque Hollandois commence à sçavoir leur Langue ou leurs Coûtumes, ils le renvoyent hors de leur Païs. On espéroit que la mort du vieil Empereur, qui estoit celuy qui avoit entiérement coupé les fortes racines que la Religion des Chrétiens avoit jettées dans le Japon, mettroit quelque fin aux précautions pleines d’impieté qu’apportent les Japonnois, pour empescher qu’on ne leur annonce une autre fois l’Evangile ; mais les Ministres de son Fils, qui a succedé à l’Empire, n’en apportent pas de moindres, & semblent ôter toute espérance de pouvoir voir de nos jours un si grand bien. Les Portugais publient, que leur Viceroy qui arriva l’an passé à Goa, a dessein d’envoyer une Frégate au Japon, avec des Ambassadeurs, pour féliciter ce nouvel Empereur sur son heureux avenement à la Couronne, & en mesme temps ménager le rétablissement de la bonne correspondance qu’il y a eu autrefois entre ces deux Nations ; mais je ne croy pas qu’il envoye cette Frégate, & encore moins, qu’il puisse reüssir dans ses projets, quand il le feroit. Les Portugais s’attendent de voir d’aussi grandes choses sous le Gouvernement de ce Viceroy, que leurs Prédecesseurs en ont vû sous celuy des Albuquerques. Il est certain que c’est un Homme d’un fort grand mérite, & qui tâche d’établir toutes choses sur le bon pied. Le Prince Régent luy a donné un pouvoir, qu’aucun Viceroy n’a eu avant luy, qui est de faire châtier de peine capitale jusques aux Fidalgues, quand ils le mériteront, sans les renvoyer en Portugal, comme on faisoit autrefois.

Mr l’Evesque d’Heliopolis partit le mois de Juillet dernier sur une Soume Chinoise, pour aller à la Chine. Il est à craindre que ce rare Prélat n’y soit pas reçû, à cause des nouveaux ordres que l’Empereur a fait publier, par lesquels il défend l’entrée & le négoce dans son Empire à tous les Etrangers, à l’exception des Portugais de Macao, qui peuvent le faire seulement par terre.

Toutes les Provinces de la Chine obeïssent présentement au Tartare, & il n’y a aucun Chinois dans ce vaste Empire, qui n’ait les cheveux coupez. Il ne reste plus que l’Isle de Formose ; mais on ne croit pas qu’elle puisse resister contre les grandes forces que l’Empereur Tartare peut mettre sur terre & sur mer. Il y a plusieurs Chinois qui demeurent en ce Royaume de Siam. Ils portent les cheveux longs ; & comme le Roy vouloit envoyer une Ambassade solemnelle à la Chine, il nomma l’un d’eux pour un de ses Ambassadeurs. Ce Chinois fit tout ce qu’il pût pour s’en excuser, parce qu’il auroit esté obligé de couper ses cheveux ; mais voyant que le Roy vouloit absolument qu’il y allast, il aima mieux se couper la gorge, que de consentir à cet affront.

J’envoye une petite Relation de Cochinchine, dont le Royaume est fameux en ces quartiers, non seulement par la valeur de ses Peuples, mais aussi par le progrés qu’y a fait l’Evangile. Je l’ay dressée sur quelques Mémoires que m’a fourny un Missionnaire François qui en sçait parfaitement la Langue, pour y avoir demeuré long-temps. Il se nomme Mr Vachet, & est assez renommé dans les Relations que Mrs des Missions Etrangeres donnent de temps en temps au Public. Je la croy assez juste, & j’espere que vous la lirez avec plaisir. J’avois commencé une autre Relation de mon Voyage de Surate à la Coste Coromandelle, Malaca, & Siam ; mais elle n’est pas en état d’estre envoyée, parce que j’ay encore quelque chose à y ajoûter, afin de pouvoir donner en mesme temps une legere idée de l’état de ce dernier Royaume.

Vous aurez appris que depuis les premiers honneurs que j’avois reçûs du Roy de Siam à mon arrivée en sa Cour, j’en reçûs de bien plus particuliers l’an passé, lors que ce Prince me donna audience en son Palais. Il estoit assis en son Trône, & il y avoit en mesme temps des Ambassadeurs du Roy de Jamby, à qui il donnoit aussi audience ; mais il voulut par le lieu où il me fit placer, faire connoistre la diférence qu’il mettoit entre un Sujet du plus grand Prince du monde, & les Ambassadeurs d’un Roy son Voisin. Il me fit présent d’un Justaucorps ou Veste d’un Brocard d’Europe tres-riche, & d’un Sabre à la maniere des Indes, dont la Garde & le Fourreau estoient garnis d’or ; & j’eus encore l’honneur de luy faire la reverence le mois d’Avril dernier, & j’en reçûs un second Présent. C’estoit un autre Justaucorps tres-beau. Il seroit mal-aisé de raconter les hautes idées que ce Roy a de la puissance, de la valeur, & de la magnificence de nostre invincible Monarque. Il ne se peut sur tout lasser d’admirer ces rares qualitez qui le rendent aussi recommandable en Paix qu’en Guerre. Vous voyez bien que la Vie de Sa Majesté me fournit assez de matiere pour pouvoir entretenir ce Prince dans ces sentimens d’admiration. C’est ce que je fais par quantité d’actions particulieres de cette illustre Vie que je fais traduire en sa Langue, & qu’un Mandarin de mes Amis, & fort en faveur aupres de luy, a soin de luy présenter. Le Roy de Siam espere que Sa Majesté luy envoyera des Ambassadeurs, lors que les siens reviendront. Il fait bâtir une Maison, qu’on peut nommer magnifique pour le Païs, pour les recevoir & défrayer. Dans ce dessein, on prépare toutes les Vstancilles pour la meubler à la maniere d’Europe. Les faveurs que ce Prince fait de jour en jour à Mrs les Evesques François, Vicaires du S. Siege en ces Païs, sont tres-particulieres. Il leur fait bâtir une grande Eglise proche le beau Seminaire qu’il leur fit construire il y a quelques années ; & depuis peu de jours il leur a fait demander le modelle d’une autre Eglise qu’il veut leur faire bâtir à Lavau. C’est une Ville où il fait son sejour pendant sept ou huit mois de l’année, & qui est éloignée de Siam de quinze à seize lieües.

[Description du Royaume & de la Cour de Siam, avec les moeurs des Habitans de ce grand Etat] §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 253, 257-260.

 

 

[...] Tout l’Etat est Monarchique, & le Gouvernement assez bien reglé. Le Roy est fort absolu. [...]

 

Lors qu’il se montre par terre, deux cens Eléphans paroissent d’abord. Ils portent chacun trois Hommes armez, & sont suivis de Joüeurs d’Instrumens, de Trompetes, & de mille Soldats à pied. Les grands Seigneurs du Païs viennent apres, & il y en a quelques-uns qui ont 80. ou 100. Hommes à leur suite. En suite on voit deux cens Soldats du Japon, qui précedent ceux dont sa Garde est composée, puis ses Chevaux de main, & ses Eléphans, & apres les Officiers de sa Cour, portant tous des Fruits, ou quelqu’autre chose que l’on présente aux Idoles. Derriere eux marchent encore quelques grands Seigneurs avec des Couronnes sur leurs testes. L’un deux porte l’Etendard du Roy ; & l’autre une Epée qui représente la Justice. Ce Prince paroist apres eux, porté sur un Eléphant dans une Tour toute éclatante de Pierreries. Cet Eléphant est environné de Gens qui luy portent des Parasols, & suivy du Prince qui doit succeder. Les Femmes du Roy suivent aussi sur des Eléphans, mais dans de petits Cabinets fermez, qui ne les laissent point voir. Six cens Soldats ferment ce Cortége, qui est ordinairement de quinze ou seize mille Hommes. Le fruit qu’on remporte de ces Cerémonies, est de maintenir le Peuple dans la venération de la Majesté Royale. [...]

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 279.

Vous avez trouvé au commencement de cette Lettre un excellent Air Bachique. En voicy un d´une autre nature.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Pour avoir dit que je vous aime, doit regarder la page 279.
Pour avoir dit que je vous aime,
Méritois-je un si cruel sort ?
Deviez-vous prononcer ma mort ?
De vostre Arrest la rigueur est extrême.
Ah, du moins un moment daignez me secourir.
Je ne demande pas la vie ;
Seulement une fois que je puisse, Sylvie,
Vous voir, vous parler, & mourir.
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[Mort de M. de Cordemoy]* §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 282-285.

Cette Saison a esté fatale aux Gens de Lettres. Mr de Cordemoy, ancien Avocat au Parlement, est mort icy le 15. de ce mois, âgé de 58. ans. Apres avoir paru long-temps avec avantage dans le Bareau, il fut attiré auprés de Monseigneur le Dauphin par Mr l’Evesque de Meaux son Précepteur, qui avoit remarqué en luy mille qualitez utiles à l’éducation de ce jeune Prince, dont il fut fait Lecteur en 1670. En suite Mrs de l’Académie Françoise le choisirent pour estre l’un des Quarante de cette illustre Compagnie, dans laquelle il fut reçû en 1675. avec Mr Rose, Secretaire du Cabinet, & aujourd’huy Président en la Chambre des Comptes. Il a mérité l’approbation & l’amitié des plus honnestes Gens, & par les Ouvrages qu’il a donnez au Public, & par la capacité qu’il a fait voir en plusieurs occasions considérables. Il sçavoit toutes les Philosophies nouvelles, & en avoit fait imprimer quelques Traitez. Il avoit beaucoup de probité, le goust délicat ; & quelque matiere qu’on luy proposast, il parloit sur le champ avec une netteté & une facilité merveilleuse. Il avoit entrepris un grand Travail, dont on profitera apres sa mort ; mais cet Ouvrage, qui demandoit un Homme aussi éclairé que luy, en conservant sa mémoire éternellement, fera toûjours souvenir de la perte qu’on a faite. C’est l’Histoire des deux premieres Races de nos Roys, en deux Volumes in folio, qu’il espéroit présenter à Sa Majesté le premier jour de l’année prochaine. Elle est faite avec grand soin, & digne de son Autheur. C’est tout ce qu’on en peut dire de plus fort. Le premier Volume est prest ; le second est sous la Presse.

[Mort de Mr Varese]* §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 285-286.

Mr Varese, commis à la garde de la Bibliotheque du Roy, a esté du nombre des Personnes distinguées qui sont mortes ce mois-cy. C’estoit un Homme extrémement appliqué ; il est mort d’une inanition causée par le travail excessif. Il avoit une grande honnesteté pour tous ceux qui venoient voir la Bibliotheque, & sur tout pour les Etrangers, qui se loüoient fort de ses manieres. Il y a beaucoup de Prétendans à cette Place, qui ne peut estre remplie que par un Homme d’une érudition consommée, & qui ait une parfaite connoissance des Livres.

[Mort de Mr Ciron]* §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 286-289.

Le Parlement de Toulouse a fait aussi une grande perte en la personne de Mr Ciron, qui en estoit Second Président. Il avoit succedé à Mr son Pere dans cette Charge, & avoit herité de sa vertu comme de sa dignité. Ils ont vescu l’un & l’autre avec une probité qu’aucune action n’a démentie. Le Pere ayant esté Avocat General dans le mesme Parlement, avoit remply cette Charge avec grand honneur en des temps fort difficiles. Le Fils avoit une forte penétration d’esprit, & une solidité de jugement admirable. Jamais Juge ne fut plus incorruptible. L’une de ses Filles a épousé Mr le Marquis de S. Sulpice, qui est de la Maison d’Usés, & Cousin germain du Duc de ce nom. Ce Président avoit deux Freres, dont l’un vit encore dans des pratiques de vertu qui servent d’exemple à tout le monde ; & l’autre qui est mort depuis quelques années en odeur de sainteté, fut le principal Amy de feu Mr l’Evesque d’Alet, & le premier Directeur de feu Mr le Prince de Conty. Comme je sçay que vous estes des Amies de Mr Boyer de l’Académie Françoise, je vous avertis que vous luy devez écrire sur cette mort, parce qu’il estoit Parent fort proche de ce Président.

[Voyage du Roy à Chambord] §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 289-290.

 

La maladie de Monsieur ayant fait reculer de quelques jours le Voyage de la Cour pour Chambord, il n’a pas esté si long qu’il devoit estre. [...] Le Roy s’est souvent diverty à tirer dans le Parc de Chambord. On y a couru le Cerf, & forcé les Sangliers à la course sans Chiens. Les autres divertissemens ont esté les Apartemens, le Bal, le Jeu, & la Comédie Françoise. Ils ont recommencé à Fontainebleau ; mais les plaisirs de la Comédie y ont esté plus fréquens, parce que les Comédiens Italiens ont eu ordre de s’y rendre. [...]

[Extrait curieux d’une Lettre de Soisson] §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 291-295.

Vous serez bien-aise de voir l’Extrait d’une Lettre qui m’a esté envoyée de Soissons par un Homme digne de foy. On y trouveroit dequoy fournir à une Histoire aussi étenduë qu’est celle de Henriette Sylvie de Moliere, ou de l’Héroïne Mousquetaire. Ce qu’il y a de surprenant, c’est que ce seroit avec plus de verité, quoy que ce fust avec moins de vray-semblance. Voicy ce que porte cet Extrait.

Il y a icy une Demoiselle Hollandoise, Fille du Sieur Vandester, Colonel d’un Régiment de Cavalerie de Mr le Prince d’Orange, native d’Amsterdam, âgée de 25. ans, qui dés son enfance a eu les inclinations guerrieres, les ayant succées avec le lait de sa Nourrice, qui a presque toûjours porté les armes, & qui dés l’âge de quatorze ans a passé dans les Troupes de Sa Majesté, & a servy un an & demy dans la Compagnie de Tilladet, Colonel des Dragons rouges, une année dans la Compagnie des Dragons verds de Roncherolles, trois ans dans la Compagnie de Bertillac, en qualité de Volontaire, sous le nom du Chevalier, & qui depuis a esté Cornette dans la mesme Compagnie pendant l’espace de vingt-deux mois ; qui estant en Garnison à Doüay, s’est batüe avec un Lieutenant du Régiment des Granges, pour une Amourette, & l’ayant tué en duel, a esté condamnée à perdre la teste, en qualité de Chevalier, par le Sr Desbonnets Gouverneur, laquelle pour lors s’estant fait connoistre Fille, a obtenu sa Grace du Roy, Sa Majesté ayant esté informée de la nouveauté du fait. Elle s’est trouvée à la Bataille de Mont-Cassel, gagnée par Monsieur, où elle eut la cuisse percée d’un coup de Mousquet. Elle vint ensuite en Cour, & fut présentée à Sa Majesté à Versailles il y a environ quatre ans, où elle eut le bonheur d’estre reconnüe de Monsieur, & d’estre honorée de la protection du Roy, & de celle de la Reyne. Elle vint sur la fin du mois de May dernier en cette Ville, pour se faire instruire dans la Religion Catholique, par le Grand-Chantre de la Cathédrale, Homme d’une probité connüe, à qui elle avoit autrefois porté une Lettre en passant dans la mesme Ville, & dans le dessein de quiter les erreurs d’Anabatiste, & de se donner à Dieu. Cependant il luy est icy arrivé quelques affaires fâcheuses, qui mettent sa vie en danger, & qui font qu’elle a besoin de protection. Je ne doute point que vous n’entendiez parler de cette Affaire-là à la Cour ; c’est pourquoy je ne vous en dis pas davantage.

[Livres nouveaux qui se vendent chez le Sieur Blageart] §

Mercure galant, octobre 1684 [tome 12], p. 310-317.

Je vous envoye un Livre nouveau, qui est du genre de ceux que je vous ay entendu souvent souhaiter qui devinssent à la mode. Vous haïssez tous les longs discours qui ne disent rien dans la plûpart des Historietes qui s’impriment ; & ce qui doit vous plaire en celle-cy, c’est que vous y trouverez bien plus d’actions que de paroles. Le Titre qu’on luy a donné de Dames Galantes, joint à celuy de La Confidence Réciproque, n’a rien qui soit desavantageux à vostre Sexe. Ce sont les Avantures de deux Femmes de qualité, qui se rencontrant aux Tuileries aprés une longue absence, se racontent l’une à l’autre ce qui leur est arrivé depuis qu’elles se sont separées. La Nature est peinte en tout cela, & les Incidens sont d’une nature à persuader que l’invention n’y a point de part. Je ne doute point qu’aprés avoir lû ce Livre, vous ne le vantiez à vos Amis. Ils le trouveront au Palais chez le Sr Blageart, & chez le Sr Guillain, sur le Quay des Augustins.

On trouve aussi chez le mesme Sieur Blageart La Semaine de Montalvan, ou les Mariages mal assortis, en plusieurs petites Nouvelles tirées du Paratodos de ce fameux Autheur Espagnol. C’est le Sieur de Luyne qui le débite. Il y a tant de Mariages mal assortis dans le monde, que ceux qui ne vivent pas contens dans cét état, feront bien aises de voir cét Ouvrage pour se consoler, en apprenant qu’ils ne sont pas seuls à plaindre, & pour profiter de ce qu’ils souffrent, en prenant des routes contraires pour adoucir un malheur auquel il n’y a plus de remede. Quoy que je ne vous entretienne pas ordinairement de Livres nouveaux, parce que l’Autheur du Journal des Sçavans prend ce soin avec beaucoup de succés, l’intérest de vostre santé m’oblige à vous parler d’un, dont ses Journaux ne vous apprendront rien qu’aprés ces Vacances. Il est intitulé, Traitez nouveaux & curieux du Café, du Thé, & du Chocolat. On ne peut parler de ces matieres plus à fonds, ny avec plus d’érudition, que l’on fait dans ce Volume. Toutes les Plantes qui composent ces bruvages s’y voyent en taille douce, avec les Figures des Lettres des Chinois, & des Indiens, qui en font leurs délices. Ce Livre que les Sieurs Girin & Riviere vendent à Lyon, se trouve à Paris Ruë Saint Jacques, chez le Sieur Pepie.

Une jeune Princesse qui n’est pas moins estimée par son esprit, que par sa naissance (& vous n’en douterez pas quand vous sçaurez que c’est Mademoiselle de Soissons) ayant plus d’inclination pour la Iacinte, que pour les autres Pierres, un Sçavant qui ne m’est connu que par son esprit, a recherché avec soin toutes les qualitez merveilleuses de celle-cy, & en a fait un Traité remply d’érudition, qui contient plusieurs Chapitres, où il est traité de l’origine de son nom, de son naturel, de sa couleur, & de sa vertu. Ceux qui s’atachent à la connoissance des Pierres, prendront beaucoup de plaisir à ce Traité, qui ne laisse pas d’estre curieux pour toutes sortes de Personnes.

La premiere des deux Enigmes du dernier mois, dont le Mot estoit le Peigne de Buis, a esté expliquée par le Jaloux de Marion du Quartier du Louvre ; & la seconde par Mr le Chevalier de Creil, & par Tamiriste de la Rüe de la Cerisaye. Le Mot de cette derniere estoit le Peigne de Corne.

Ceux qui ont expliqué toutes les deux dans leur veritable sens, sont Messieurs Perrier, de Roüen ; Leger de la Verbissonne ; Le Roux, Médecin à Vitré en Bretagne ; De Lhospital, Lieutenant de la Gabelle ; Simon Lobbé, de Mirancourt prés Noyon ; Gaudeloup ; Hariveau ; De Clereville ; Dorats, de la Porte S. Jacques ; Simon Gruslé ; Tetard, & Des Portes ; Larchat, & Dublin ; Mesdem. Angélique Niares ; Prieur ; Picard ; Du Courroy ; Le Fevre ; L’Amour, ou l’aimable Fille Reyne ; Les Ecaliers du Cul de sac de Sainte Marine ; L’Amant sans passion, de S. Mammets ; L’Indiférent à l’Anagramme, Prisonniere ; La claire Brune, de la Porte de Vitré en Bretagne ; La jeune Climene, de la Rüe du Temple ; La petite Friponne de Tircis d’Auxerre ; L’aimable Bergere, de S. Riquier ; La Femme sans regret, du Quay Malaquets ; l’insensible de Montalte. En Vers, Mesdemoiselles de Lorme, & des Hauts Champs, de Vitré en Bretagne ; Messieurs L. Boucher, ancien Curé de Nogent-le-Roy ; Rault, de Roüen ; De la Croix R. L’Epinay Buret, de Vitré ; Preaudeau, Avocat à Auxerre ; Carriere, de Vitré ; Liger le jeune ; L’Abbé d’Octobre ; Gigés, du Havre ; Le Rival du Charbonnier de Reims ; C. Hutuge, d’Orleans ; Dentgourde, de Tours ; Hordé, de Senlis ; Diéreville, du Pont-l’Evesque ; La belle Nourriture, & la belle Assemblée, du Havre.