1684

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1684 [tome 13].
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Mercure galant, novembre 1684 [tome 13]. §

[Prélude] §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. I-VIII

AU LECTEUR.

On imprime en Hollande un Livre qu’on donne tous les mois au Public, intitulé Nouvelles de la République des Lettres. Ce Livre est une espéce de Journal des Sçavans, mais plus étendu, parce que les Journaux ne sont qu’en Feüilles. On en estime l’Autheur, & l’Ouvrage est bien reçû ; il a beaucoup de sel, ce qui ne contribüe pas peu à son succès. Peut-estre que s’il estoit permis à beaucoup de Gens d’en user de mesme, leurs Ecrits auroient le mesme agrément. On voit dans ce Livre, non seulement le sujet & les beautez des Livres nouveaux, mais encore les defauts que cet Autheur prétend y avoir trouvez. Ces defauts y peuvent estre en effet, mais ce qu’il en dit, n’est pas une conséquence qu’ils y soient. Les Autheurs qui ne demeurent pas d’accord de ses Remarques, & qui croyent avoir de bonnes raisons pour s’en défendre, se trouvent embarrassez sur les moyens de faire voir au Public qui lit ce que l’on écrit contre eux, les Réponses qu’il leur seroit facile d’y faire. Ce seroit pour eux un embarras, & une dépense tout ensemble, que de faire imprimer leurs Répliques ; & quand ils le feroient, elles seroient vües de fort peu de monde, puis qu’on ne s’aviseroit pas toûjours d’acheter une Réponse à une seule Critique, quand on en voudroit voir à cent autres. Ainsi le Public a souhaité que l’on mist dans le Mercure les Réponses que les Autheurs, de quelque Nation qu’ils soient, pourroient faire aux Critiques de l’Autheur Hollandois. On y a consenty, pourveu que ces Repliques ne soient point injurieuses, & qu’en parlant des Ecrits on n’attaque point les Personnes. Cela sera cause que l’Autheur de la République des Lettres sera plus retenu qu’il n’est à parler contre les Livres qui s’impriment dans toute l’Europe, parce qu’il craindra de voir les defauts dont il reprend les Autheurs, trop fortement défendus, & qu’il se hazardera moins à critiquer, que lors qu’il pouvoit tout écrire, par ce qu’il ne voyoit point d’apparence qu’on luy repliquast, ou du moins que ces Repliques fussent fort connuës. Le Public profitera de ces diférens d’esprit, parce que les uns & les autres travailleront avec plus de soin. Je croy que l’Autheur de la République des Lettres ne doit avoir aucun chagrin de ce qu’on répond aux intentions, pour ne pas dire aux prieres du Public. Son Livre, quoy que déja connu & estimé, le sera encore davantage, & s’il fait bien, il triomphera ; au lieu qu’il n’y avoit point de victoire à remporter pour luy, lors qu’il combatoit tout seul.

Les Autheurs, tant Etrangers que François, doivent connoître par cet Avis qu’ils peuvent envoyer chez le Sieur Blageart les Réponses aux Critiques qu’on fera de leurs Ouvrages dans le Livre intitulé La République des Lettres, & qu’on les mettra dans le Mercure.

Pour le Roy §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 5-7.

Tant d’actions éclatantes, qui sont produites par des mouvemens que l’on ne peut assez estimer, l’ont mis au-dessus de tous les éloges ; & c’est avec beaucoup de raison, que dans le Sonnet que vous allez lire, Mr de Grammont de Richelieu a dit qu’il pousse à bout le Parnasse.

POUR LE ROY.

Enfin LOUIS le Grand pousse à bout le Parnasse ;
Soit qu’il fasse la Guerre, ou qu’il donne la Paix,
Sa grandeur l’ébloüit, & de tous ses hauts faits
Le nombre le surprend, & le choix l’embarrasse
***
Il n’est point de Héros que sa gloire n’efface,
Il va servir de Regle aux Roys les plus parfaits ;
Et je crains qu’à son tour ma Muse n’ait l’audace
De luy donner aussi quelques-uns de ses traits.
***
Mais arreste-toy, Muse, & quite une entreprise
Qui fait peur, mesme à ceux qu’Apollon favorise,
Et qui prés de ses Sœurs tiennent le premier rang.
***
Reprens un peu tes sens, & songe que ta veine
Est plus propre à loüer les beautez de Climene,
Qu’à chanter les vertus d’un Monarque si grand.

Sur les Grandeurs du Roy §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 8-9.

Quoy qu’il soit fort difficile de loüer le Roy, on n’a pas laissé d’entreprendre son Portrait. Cet autre Sonnet vous le fera voir.

SUR LES GRANDEURS
DU ROY.

Montrer la Majesté peinte sur le visage,
Avoir l’air d’un Héros au-dessus des Humains,
Estre plus genéreux, plus vaillant & plus sage
Que ne furent jadis les Grecs ny les Romains.
***
Aux Climats reculez se faire rendre hommage,
Tenir incessamment la Victoire en ses mains,
De Potentats liguez mépriser l’avantage,
Les vaincre tout ainsi qu’un Geant fait des Nains.
***
Se faire redouter & sur mer & sur terre,
Estre Maistre absolu de la Paix, de la Guerre,
Régler tout l’Vnivers, comme un Etat soûmis.
***
Enfin surmonter tout, sans rencontrer d’obstacles,
La Nature, soy-mesme, & tous ses Ennemis ;
C’est dans le grand LOUIS qu’on voit tous ces miracles.

La Trève au Roy §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 10-11.

Comme la Tréve est l’ouvrage de cet auguste Monarque, voicy de quelle maniere on la fait parler contre la Guerre.

LA TRÉVE AU ROY.

Grand Roy, c’est justement que l’on fuit ma Rivale ;
La fureur & les cris sont ses plus beaux appas ;
Le sang & le carnage accompagnent ses pas,
Et le débris des Murs est l’honneur qu’elle étale.
***
Quel changement du Ciel ! Dans cette heure fatale
Que vos Armes perçoient le cœur des Païs Bas,
La genérosité vous détourna le Bras,
Pour donner mes faveurs d’une main libérale.
***
La peur s’évanoüit, le monde fut charmé.
Le supréme bonheur est celuy d’estre aimé ;
De vos Ennemis mesme attendez cet hommage.
***
O l’illustre Victoire ! ils sont dans mes liens,
Pour y passer vingt ans à couvert de l’orage ;
Quelle riche conqueste ! on vous doit tous mes biens.

[Bout-rimé de Mr de Malet-Graville]* §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 12-13.

Voicy encore un Sonnet, que l’on a fait sur la Tréve. Il est de Mr de Malet-Graville. Les Bouts-rimez sont si à la mode, que vous serez bien aise d’en voir d’aussi extraordinaires que ceux-cy.

La Guerre a trop longtemps servy d’épouvantail ;
Les plaisirs vont remplir tout l’ordre Alphabétique ;
L’Europe a de la Paix Bail emphiteotique,
Et Pallas a changé sa Lance en Eventail.
***
Nos Marchands sans danger, en gres comme en détail,
Trafiqueront plus loin que la Mer Atlantique ;
Et les Bergers aux Champs sous ce droit autentique,
Sans craindre les Soldats, meneront leur Bétail.
***
Tous les Princes Chrétiens sous le Chef Ortodoxe
Vont détruire la Loy dont le faux Paradoxe
Donne tout aux plaisirs du Sexe masculin.
***
Ils ont déja poussé jusqu’au Peloponése,
Et le Muphti bien-tost, & le Mirabolin,
Brûleront l’Alcoran, pour suivre la Genése.

Sur le Présent que la Ville d’Arles a fait au Roy, d’une Vénus antique §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 17-18.

Mr Terrin, Conseiller au Présidial d’Arles, dont je vous ay parlé tant de fois, en vous expliquant le diférent qu’a causé cette Statüe, a fait le Madrigal que j’ajoûte icy.

SUR LE PRESENT
que la Ville d’Arles a fait au Roy, d’une Vénus antique.

Peuples ; assez long-temps agitez de l’orage,
Nous avons supporté les injures du sort,
 Le Ciel & la Terre d’accord
Ne montroient à nos Champs qu’un funeste visage ;
 Mais enfin nos maux vont finir,
Pour nous favoriser les Dieux veulent s’unir ;
Le Soleil & Vénus changent l’état des choses.
 Ils s’approchent, & leurs amours
 Comme jadis nous préparent des jours
 Filez d’or, de Lys, & de Roses.

[Devises] §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 19-21.

La Statüe d’Arles ayant perdu à la Cour le nom de Diane, a donné lieu aux deux Devises qui suivent, dont la premiere fait allusion au nom de Mr Terrin, qui s’est toûjours déclaré pour Vénus. Le Corps est la Lune, ou Diane, qui s’éclipse, par l’opposition de la Terre entre le Soleil & cet Astre. Ces mots en font l’Ame. Eripuit mihi Terra Jubar. Ils sont expliquez par ce Madrigal, où Diane parle.

 Tous mes efforts sont impuissans,
Mes rayons affoiblis, mes Coursiers languissans,
 Tout est funeste à ma lumiere,
 Rien ne sçauroit l’empêcher de pâlir,
Et mon sort opposant la Terre à ma carriere,
Sous les yeux du Soleil on me voit défaillir.

Le Corps de l’autre Devise est Diane, ou la Lune, en Croissant, qui s’approche du Soleil, & qui disparoist quand elle l’a joint. Ces deux mots luy servent d’Ame. Accessi peritura.

D’vn air ambitieux poursuivant ma carriere,
I’ay monté jusqu’au lieu d’où s’épand la lumiere ;
 Mais il m’en a coûté bien cher.
Sur un si grand projet je devoi me connoistre,
Puis qu’hélas ! du Soleil je n’ay pû m’approcher,
Sans perdre mon éclat, & cesser de paroistre.

Epitres chagrine de Madame des Houlières à Mademoiselle *** §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 22-34.

Les disputes où le brillant de l’esprit se fait paroistre, sont toûjours fort agreables ; cependant si nous en croyons une Illustre de vostre sexe, il n’y a rien qui soit plus à craindre, que de s’acquérir le nom de bel Esprit. Madame des Houlieres, dont tous les Ouvrages sont si estimez, a traité cette matiere avec un agrément qui vous charmera. C’est assez que de vous l’avoir nommée, pour vous faire attendre de la lecture de ce dernier, tout le plaisir que vous ont donné les autres.

EPÎTRE CHAGRINE
DE MADAME DES HOULIERES
A MADEMOISELLE ***

Quel espoir vous séduit ? Quelle gloire vous tente ?
 Quel caprice ! à quoy pensez vous ?
 Voulez vous devenir sçavante ?
Hélas ! du bel Esprit sçavez vous les dégousts ?
Ce nom jadis si beau, si reveré de tous,
 N’a plus rien, aimable Amarante,
 Ny d’honorable ny de doux.
***
 Si-tost que par la voix commune
De ce titre odieux on se trouve chargé,
De toutes les vertus n’en manquast-il pas-une,
Suffit qu’en bel Esprit on vous ait érigé,
Pour ne pouvoir prétendre à la moindre Fortune.
***
Je sçay bien que le Ciel a sçû vous départir
Ce qui soûtient l’éclat d’une illustre naissance,
 Que sans espoir de récompense
Vous ne travaillerez que pour vous divertir.
C’est un malheur de moins, mais il en est tant d’autres,
 Dont on ne peut se garantir,
 Que je vous verray repentir
D’avoir moins écouté mes raisons que les vostres.
***
Pourrez-vous toûjours voir vostre Cabinet plein
 Et de Pédans & de Poëtes,
Qui vous fatigueront avec un front serein
 Des sottises qu’ils auront faites ?
***
Pourrez-vous supporter qu’un Fat de qualité,
Qui sçait à peine lire, & qu’un caprice guide,
 De tous vos Ouvrages décide ?
 Un esprit de malignité
 Dans le monde a sçû se répandre.
On achete un bon Livre, afin de s’en moquer,
C’est des plus longs travaux le fruit qu’il faut attendre ;
 Personne ne lit pour apprendre,
 On ne lit que pour critiquer.
***
Vous riez ! vous croyez ma frayeur chimérique.
 L’amour propre vous dit tout bas
Que je vous fais grand tort, que vous ne devez pas
Du plus rude Censeur redouter la critique.
Eh-bien considerez que dans chaque Maison
Où vous aura conduit un importun usage,
Dés qu’un Laquais aura prononcé vostre nom,
 C’est un bel Esprit, dira-t-on,
 Changeons de voix & de langage.
***
 Alors sur un précieux ton,
Des plus grands mots faisant un assemblage,
On ne vous parlera que d’Ouvrages nouveaux,
On vous demandera ce qu’il faut qu’on en pense,
En face on vous dira que les vostres sont beaux,
 Et l’on poussera l’imprudence
Jusques à vous presser d’en dire des morceaux.
***
Si tout vostre discours n’est obscur, emphatique,
On se dira tout bas, C’est-là ce bel Esprit !
 Tout comme une autre elle s’explique,
 On entend tout ce qu’elle dit.
***
Irez-vous voir joüer une Piéce nouvelle,
Il faudra pour l’Autheur estre pleine d’égards ;
Il expliquera tout, mines, gestes, regards ;
 Et si sa Piéce n’est pas belle,
Il vous imputera tout ce qu’on dira d’elle,
 Et de sa colere immortelle
Il vous faudra courir tous les hazards.
***
Mais, me répondrez vous, sortez d’inquiétude,
Ne prenez point pour moy d’inutiles frayeurs ;
Je me deroberay sans peine à ces malheurs,
 En évitant la folle multitude.
***
Il est vray ; mais comment pourrez-vous éviter
Les chagrins qu’à la Cour un bel Esprit attire ?
 Vous ne voulez pas la quiter ;
 Cependant l’air qu’on y respire
Est mortel pour les Gens qui se mêlent d’écrire.
***
A réver dans un coin en se trouve réduit ;
 Ce n’est point un conte pour rire.
Dés que la Renommée aura semé le bruit
 Que vous sçavez toucher la Lyre,
 Hommes, Femmes, tout vous craindra,
 Hommes, Femmes, tout vous fuira,
Parce qu’ils ne sçauront en mille ans que vous dire.
***
 Ils ont là-dessus des travers
 Qui ne peuvent souffrir d’excuses ;
Ils pensent, quand on a commerce avec les Muses,
 Qu’on ne sçait faire que des Vers.
***
Ce que prête la Fable à la haute Eloquence,
 Ce que l’Histoire a consacré,
 Ne vaut jamais rien à leur gré ;
 Ce qu’on sçait plus qu’eux les offense.
***
On diroit à les voir, de l’air présomptueux
 Dont ils s’empressent pour entendre
 Des Vers qu’on ne lit point pour eux,
Qu’à décider de tout ils ont droit de prétendre.
Sur ce dehors trompeur on ne doit point compter ;
 Bien souvent sans les écouter,
 Plus souvent sans y rien comprendre,
On les voit les blâmer, on les voit les défendre.
 Quelques faux brillans bien placez
 Toute la Piéce est admirable ;
 Un mot leur déplaist, c’est assez,
 Toute la Piéce est détestable.
***
Dans la débauche & dans le jeu nourris,
 On les voit avec mesme audace
 Parler & d’Homere & d’Horace,
 Comparer leurs divins Ecrits,
Confondre leurs beautez, leur tour, leurs caracteres
 Si connus & si diférens,
 Traiter des Ouvrages si grands
 De badinages, de chimeres,
Et cruels ennemis des Langues Etrangeres,
 Estre orgueilleux d’estre ignorans.
***
Quelques Seigneurs restez d’une Cour plus galante,
Et moins dure aux Autheurs que celle d’aujourd’huy,
Sont encore, il est vray, le genéreux appuy
 De la Science étonnée & mourante ;
Mais pour combien de temps aurez-vous leur secours ?
 Hélas ! j’en pâlis, j’en frissonne.
Les trois fatales Sœurs qui n’épargnent personne,
Sont prestes à couper la trame de leurs jours.
***
Que ferez-vous alors ? Vous rougirez sans doute
 De tout l’esprit que vous aurez.
 Amarante, vous chanterez,
 Sans que personne vous écoute.
 Plus d’un exemple vous répond
Des malheurs dont icy je vous ay menacée.
Le sçavoir nuit à tout, la mode en est passée ;
On croit qu’un bel Esprit ne sçauroit estre bon.
***
De tant de veritez conservez la mémoire ;
Qu’elles servent à vaincre un aveugle désir,
 Ne cherchez plus une frivole gloire
Qui cause tant de peine, & si peu de plaisir.
Je la connois, & vous m’en pouvez croire.
Jamais dans Hipocréne on ne m’auroit vû boire,
Si le Ciel m’eust laissée en pouvoir de choisir ;
Mais hélas ! de son sort personne n’est le Maistre,
Le panchant de nos cœurs est toûjours violent.
J’ay sçû faire des Vers, avant que de connoistre
Les chagrins attachez à ce maudit talent.
 Vous que le Ciel n’a point fait naistre
 Avec ce talent que je hais,
Croyez en mes conseils, ne l’acquerez jamais.

[Balet de la Cour de Wirtemberg] §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 34-46.

 

Monsieur le Duc de Wirtemberg, apres avoir régalé sa Cour de tous les plaisirs que peuvent donner la Chasse, le Jeu, & la Bonne-chere, voulut prendre le 15. du dernier mois un divertissement à la Françoise. Ce fut une maniere de Ballet & d’Opéra, qui fut représenté à Stutgart le jour que je viens de vous marquer. Les Vers que l’on y chanta estoient François ; & le Ballet, qui avoit pour titre, Le Rendez-vous des Plaisirs, estoit divisé en trois Parties.

Dans la premiere, le Théatre représentoit des Montagnes & des Rochers. Dans l’enfoncement estoit une Mer, où l’on voyoit Neptune dans un Char tiré par des Tritons. Une Néreïde représentée par Mademoiselle Courtel, Femme du Maistre à dancer de Monsieur le Duc de Wirtemberg, fit l’ouverture de ce Divertissement, en chantant ces Vers, pour convier les Divinitez des Eaux & de la Terre de se trouver au Rendez-vous des Plaisirs, où les Ciclopes devoient forger les Armes du Fils de Thétis.

 

La gloire suit par tout le Héros qu’en ces lieux

Le destin fait paroître.

O vous, Divinitez & Dieux,

Employez aux plaisirs de nostre auguste Maître

Vos momens les plus précieux.

 

Apres que la Néreïde eut chanté ces Vers, six Dieux des Fleuves parurent représentez par Mrs Moser, Fils aîné du Lieutenant Colonel de ce nom ; Garb, Fils aîné de feu Mr Garb, Commissaire General dans les Troupes de Mr l’Electeur de Baviere ; de Monicart, Secretaire de Mr de Bourgeauville, Envoyé Extraordinaire du Roy en Allemagne ; Rose, Valet de Chambre de Mr le Prince Jean-Frideric de Wirtemberg ; Reinsal, Musicien de Monsieur le Duc de Wirtemberg ; & Magg, Fils du Maistre de la Chapelle de la Cour. L’Entrée de ces six Divinitez qui dancerent quelque temps, fut suivie de trois autres ; l’une, de Prothée seul, représenté par Mr de Forstner, Fils aîné de Mr de Forstner, Ministre d’Etat, & Grand-Maréchal de la Cour ; l’autre, de deux Tritons, représentez par Mr de Zorn, Page de Madame la Duchesse Administratrice, & par Mr de Lau, Servant pres de la personne de Mr le jeune Duc ; & les derniere, de Palémon seul, représenté par Mr Courtel, Maistre à dancer de Monsieur de Wirtemberg. Ces Entrées estant finies, la mesme Néreïde parut de nouveau, & chanta ces autres Vers.

Thétis, qui voit son Fils par le Ciel destiné

A tenter de grandes Conquêtes,

A de mille soucis pour luy l’esprit gêné.

En luy tenant des Armes prêtes

Vulcain remplit l’ordre donné.

Dans ces lieux où tout est tranquille,

Imitons nostre grand Achille.

Le jeune viendra dans son temps ;

Pouvons-nous estoit plus contens ?

 

Cette premiere Partie se termina par deux autres Entrées ; l’une, de deux Néreïdes, représentées par Mademoiselle de Stockhorn, Fille d’honneur des jeunes Princesses, & par Mademoiselle Bilau la cadete, Fille du Premier Ministre d’Etat ; & l’autre, de six Ciclopes représentez par Mrs de Monicart, Reinsal, Moser, Bakmeister, Fils aîné du Procureur de la Chambre, Rose, & Magg.

Dans la seconde Partie, la Mer ayant disparue, le Théatre ne laissa plus voir qu’un Bois. Melisse, Divinité des Forests, vint d’abord chantez ces Vers.

Venez au Rendez-vous, venez Troupe Champestre,

Mille plaisirs nouveaux sont icy prests de naistre ;

Diane pour s’y rendre abandonne les Bois,

Et viens se réjoüir au son de vos Hautbois.

 

Il y eut en suite sept Entrées ; la premiere, de Diane seule, représentée par Madame la Princesse Eberhardine-Loüise Wirtemberg ; la seconde, de six Nymphes, par Mrs Garb, Moser, de Momourt, Backmeister, Rose, & Magg ; la troisiéme, d’Endimion seul, par Mr Courtel ; la quatriéme, de quatre Faunes, par Mrs de Minsinger, Fils aîné du Ministre d’Etat de ce nom, Gelnits Page des Chasses, de Zorn, & de Lau ; la cinquiéme, de six Bergers & Bergeres héroïques, les Bergers par Monsieur le Duc Eberhard-Loüis de Wirtemberg, Mr de Forstner, & Mr de Reischach, Fils de Mr l’Intendant des Finances de la Cour ; & les Bergeres, par Madame la Princesse Eberhardine-Loüise de Wirtemberg, Madame la Princesse Guillaumine-Magdelaine de Wirtemberg, & Mademoiselle de Forstner, Fille aînée du Grand Maréchal de la Cour ; la sixiéme, de deux Bucherons, par Mr de Lau & Reinsal ; & la septiéme, de deux Bohémiennes & de deux Biscaïns, les Bohémiennes par Mrs Backmeister & de Monicart, & les Biscaïns par Mrs Garb & Rose.

Le Théatre se changea en un Jardin magnifique dans la troisiéme Partie, qui commença par ces Vers que chanta Pomone.

 

Il faut nous réjoüir, Bergers, dans ce Bocage.

Flore sur ces Gazons amene les Zéphirs.

Tous y paroist charmant, les amoureux soûpirs

Y feront nostre scul langage.

Il faut nous réjoüir, Bergers, dans ce Bocage.

 

Cette Chanson fut suivie de six Entrées ; la premiere, de Flore seule, par Madame la Princesse Guillaumine-Magdelaine de Wirtemberg ; la seconde, de deux Zéphirs, par Mrs de Forstner & Reiscah ; la troisiéme, de quatre Suivantes de Flore ; la quatriéme, d’un Berger rustique crotesque ; la cinquiéme, de huit Bergers portant des Festons ; & la sixiéme, de l’Amour seul, représenté par Monsieur le Duc de Wirtemberg. Les fanfares des Trompetes jointes au bruit des Timbales, terminérent cette Feste.

La Naissance légitime de l’Amour §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 46-64.

Je me souviens de vous avoir envoyé dans quelqu’une de mes Lettres un Ouvrage de Mr de Vin, qui nous explique d’un stile aisé & galant, par quelle avanture l’Amour est devenu aveugle. En voicy un autre qui justifie la naissance de ce Dieu. Les Fables nous le dépeignent bastard, en faisant Vulcain le seul Epoux de Vénus ; & c’est une erreur que Mr de Vin a pris le soin de détruire.

LA NAISSANCE
LEGITIME
DE L’AMOUR.

Il n’est point de bonheur d’éternelle durée.
 La Paix régnoit dans l’Empyrée,
Et l’on n’y connoissoit ny la peur, ny les maux.
 Les Dieux y faisoient leurs délices
De goûter à longs traits l’odeur des Sacrifices
Qu’alloient sur leurs Autels offrir quelques Devots,
 Et chacun à sa fantaisie
 Plein de Nectar & d’Ambrosie,
Cherchoit sans embarras les Jeux, ou le repos ;
Lors qu’avec ses Geants le superbe Encelade
Vint contre leur attente y planter l’Escalade,
 Et faire trembler dans les Cieux
 Iusqu’au plus résolu des Dieux.
 Iupiter, Iupiter luy-mesme
En eut telle frayeur, & les sens si perclus,
Que jettant, pour mieux fuir, & Sceptre, & Diadéme,
 Il promit sa Fille Vénus
A qui le tireroit de ce péril extréme.
 Le cœur revint aux plus poltrons.
Mars, Apollon, Vulcain, tous trois amoureux d’elle,
Offrirent aussi-tost leur service à la Belle,
 Firent pour lors les Fanfarons,
Et flatez doucement par cette recompense,
Reprirent leur valeur, en prenant l’espérance.
***
 En vain la Gloire & le Laurier
 Animent un brave Guerrier,
Sa bravoure souvent deviendroit languissante ;
Mais l’amoureux desir de plaire à de beaux yeux,
L’échaufe, la soûtient, la porte en mille lieux,
 Et la rend toûjours agissante.
Le tendre Jupiter sçavoit à ses dépens
Ce que peut sur les cœurs ce beau desir de plaire.
Que n’avoit-il point fait ? Que ne pouvoient pas faire
Ces Amans, ces Rivaux, qui pour estre vaillans,
N’avoient mesme besoin que de leur jalousie ?
Tous trois avec succés servirent leur Patrie,
Excitez l’un par l’autre, à l’envy chamaillans,
D’assaillis qu’ils estoient, on les vit assaillans ;
Ce Prix de leur amour redoubla leur furie.
 Aux endroits les plus dangereux,
Comme un simple Soldat, chacun vole, s’expose ;
 Tout branle, tout fuit devant eux ;
Pour eux venir, voir, vaincre, est une mesme chose ;
 Et tous ces Hommes monstrueux,
Renversez sous les coups d’un redoutable Foudre,
 Qu’avoit l’ingénieux Vulcain
Inventé tout exprés, & forgé de sa main,
 Furent enfin réduits en poudre.
***
 Jupiter eut quelque regret,
 De se voir pour un Dieu si laid
Obligé par serment de tenir sa promesse.
Si fidelle à sa gloire, il en suivoit les loix,
Infidelle à sa Femme, il négligeoit ses droits ;
Il couroit icy-bas de Maistresse en Maistresse ;
 Et chacun sçait qu’un Souverain
 Ne soûpire jamais en vain.
Il pouvoit tout, son cœur honoroit une Belle ;
 La plus fiere, la plus cruelle,
Se rendant par orgueil à ses vœux triomphans,
Des fruits de son ardeur & galante & féconde,
En dépit de Iunon il peuploit tout le monde.
 Mais sur tous ses autres Enfans
 Il aimoit la belle Déesse.
 Il voyoit les justes dégoûts
Qu’elle auroit pour Vulcain, le prenant pour Epoux ;
 Et sa paternelle tendresse
 Avoit peine à forcer son cœur
 A cette dure obeïssance.
***
Hé-quoy ! s’écrioit-il en sa juste douleur,
Faut-il qu’il soit l’apuy de ma Toute-puissance ?
 Faut-il qu’en prenant ma défense,
Il ait de ses Rivaux effacé la valeur ?
Ah ! pourquoy le péril m’a-t-il fait rien promettre ?
Quoy-donc, il sera dit qu’un Serment indiscret
 Contraindra Jupiter de mettre
Vénus entre les bras d’un Amant si mal fait,
Et qu’immolant enfin cette pauvre Victime,
J’en feray de ses feux un objet légitime !
 Ouy, ce doit m’estre un point d’honneur,
 Ma parole est irrévocable ;
Et dust ma Fille en estre inconsolable,
De la Nature humaine & le Maître & l’Autheur
 Ne doit point à sa Créature
 Donner un exemple odieux
 De perfidie, & de parjure.
 Que diroient les Hommes des Dieux ?
Oserions-nous apres exiger & prétendre
 Ce que dans un pressant danger
Soûmis & pleins d’ardeur ils font vœu de nous rendre ?
 Auroient-ils tort de négliger
Ce qu’ils nous ont promis au milieu de l’orage ;
Et les voyant ingrats sur le bord du rivage,
Aurions-nous bonne grace alors de nous vanger ?
 Non, non, c’est une affaire faite.
Taisez vous, ma tendresse, il n’y faut plus songer.
J’ay combatu long-temps, soyez-en satisfaite ;
Ce politique honneur est plus puissant que vous,
Et demain de Vénus Vulcain sera l’Epoux.
***
C’est ainsi bien souvent qu’un Pere sacrifie
 Sa Fille à son propre intérest,
 Et par un dur Hymen la lie
 A tel Homme qui luy déplaist ;
Mais à son cœur forcé malheureux qui se fie !
Il se souvient toûjours qu’on l’a fait consentir,
C’est un effort tyran que jamais il n’oublie ;
Son devoir est trop foible, il veut s’en ressentir,
 Et quiconque doit une Belle
 A l’authorité paternelle,
Trouve qu’il a bien-tost lieu de s’en repentir.
***
Vénus, qui de son corps n’estoit pas la Maistresse,
En Fille obeïssante en fit ce qu’on voulut.
On ne disposa pas ainsi de sa tendresse ;
 Jamais le sot Vulcain ne pût
 En tirer la moindre carresse ;
Plus il se faisoit beau, plus il se décrassoit,
Dans son juste dépit plus elle s’aigrissoit ;
 Plus il avoit d’ardeur pour elle,
Plus elle estoit pour luy dédaigneuse & cruelle ;
Pour ses fades baisers on n’eut que des dégoûts ;
On se souvenoit trop de cette violence,
Pour le laisser joüir de tous les droits d’Epoux ;
 Les plus sensibles, les plus doux
 N’estoient point de sa connoissance ;
On conservoit toûjours des desseins de vangeance,
Qu’aux dépens de son front la Belle exécuta,
Et son ressentiment à tel point éclata,
Que de ses premiers feux ralentissant la force,
Ce malheureux enfin demanda le divorce.
***
 Le grand Tupin eut beau crier ;
 Ce trop funeste Mariage
 Le rendit à la fin plus sage ;
 Et peu content de ce premier,
Qu’avoit fait malgré luy sa divine promesse,
Il ne voulut jamais se mesler du dernier ;
 Et sa Fille fut la Maistresse
De se faire un Epoux d’Apollon, ou de Mars.
 L’un régnoit sur le Mont Parnasse,
Et dans un plein repos cultivoit les beaux Arts ;
L’autre toûjours actif, au milieu de la Thrace
S’exerçoit aux Combats, à la Table, à la Chasse ;
Ennemy déclaré des tranquilles plaisirs,
Il suivoit en tous lieux ses turbulens désirs,
Et sans cesse agité des fureurs de la Guerre,
Avoit plûtost en main le Sabre que le Verre.
***
L’un poly, doucereux, souple, adroit, & brillant,
Se faisoit rechercher de la plupart des Belles,
Et le tour que donnoit aux petites nouvelles
Ce Dieu grand Voyageur, curieux & galant,
 Charmoit jusques aux plus cruelles.
Il répandoit par tout un agrément secret,
Il assaisonnoit tout d’un feu sage & discret ;
On ne s’en lassoit point, le bon goust, l’air du monde,
Déridoient, égayoient sa science profonde ;
 Il estoit de tous les Cadeaux,
Sa Lyre ravissoit, sa voix étoit divine,
On ne le voyoit point sans quelques Vers nouveaux.
 Il en faisoit comme Racine ;
Sa raillerie utile, & délicate & fine
Egaloit dans ses jeux celle de Despreaux ;
Pour tout dire en un mot, c’estoit le Benserade
 Et le Voiture de son temps.
L’autre emporté, fougueux, brusque, fier & maussade,
 Ne manquoit pas de Partisans ;
 Son humeur libre & familiere,
Son intrépidité, sa bonté, sa candeur,
 Sa taille, sa mine guerriere,
 Parloient tout haut en sa faveur.
Si de la politesse il négligeoit les charmes,
On l’admiroit d’ailleurs en un jour de Combat,
 Et jamais Homme sous les Armes
 Ne parut avec tant d’éclat.
***
 Enfin il estoit difficile
De ne se pas tromper entre ces deux Amans
On préfere aujourd’huy les petits agrémens
 Et le délectable à l’utile ;
 Mais Vénus estoit trop habile
 Pour se méprendre en cet endroit.
En gens mieux que personne elle se connoissoit ;
 Elle en sçavoit la diférence,
 Instruite par l’expérience,
Et cherchant le solide en ses tendres desirs,
Apollon luy parut aimer trop les plaisirs
Pour en donner beaucoup, & s’aimer trop luy-mesme,
Pour de l’afreux Hymen s’embarrasser des soins.
 Vne Femme qui veut qu’on l’aime,
Veut aussi qu’on soit prest à remplir ses besoins.
 Elle traitoit de bagatelle
Ce qu’il avoit de beau, de riche & de brillant.
 Il n’estoit bon que pour Galant,
 Mais pour Epoux non, selon elle.
 Il faloit un autre talent.
 Jamais avec sa Prophétie,
 Sa Musique, sa Poësie,
Son Char, sa Médecine, & les autres Emplois
 Où l’attachoit la destinée,
 Et peut-estre son propre choix ;
Jamais, à tant de soins son ame abandonnée,
Il n’auroit le loisir de s’aquiter des droits
Qu’exigeroient de luy l’Amour & l’Hymenée.
Trop clairvoyant d’ailleurs, pour n’estre pas jaloux,
Il faudroit renoncer à la galanterie,
Se priver avec luy des plaisirs les plus doux,
 Ou s’exposer à la furie
 D’un fâcheux & terrible Epoux.
 Sa beauté, sa délicatesse,
Faisoit encor juger à la belle Déesse,
 Que sous les habits d’un Garçon,
D’une Fille sans force il cachoit la molesse ;
Cet air efféminé luy donnoit du soupçon.
***
 Un defaut de mauvais augure
 Authorisoit sa conjecture ;
 Il n’avoit point de barbe. Enfin
Au mépris du mignon & du charmant Blondin,
Ce choix tomba sur Mars, qui moins beau, qui moins fin,
Mais qui ne s’occupant que du soin de luy plaire,
 Toûjours dans sa mâle vigueur,
 Et pendant la Paix sans affaire,
 Luy feroit dans sa vive ardeur
Ressentir de l’Hymen la féconde douceur.
 En effet, malgré l’Hymenée
 Qui souvent en moins d’une année
Trouble des cœurs unis les doux contentemens,
Ces illustres Epoux furent toujours Amans.
 On ne parla point de divorce ;
 Et quoy que pust tenter sur eux
 Du changement la trop flateuse amorce,
Sur leur conflante ardeur elle eut si peu de force,
Que l’Amour, le plus grand & le plus beau des Dieux,
 Fut enfin le fruit de leurs feux.

[Prodige d’esprit] §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 64-77.

 

L’esprit a ses prodiges ainsi que toute autre chose ; & comme ce nom convient à tout ce qui semble au dessus de la Nature, on le peut donner avec justice à ce qu’a fait depuis peu le petit Mr d’Ermain. C’est un Enfant de sept ans, Fils de Mr de la Mothe-le Myre, Lieutenant de Roy de la Citadelle de Pignerol. Quand il ne sçauroit que lire à son âge, il n’y auroit pas lieu de s’en étonner. Cependant non seulement il a des idées genérales de toues les Sciences, mais il sçait en particulier beaucoup de Cosmographie & de Géographie, un peu d’Histoire & est assez avancé dans l’étude de la Langue Latine, pour n’avoir pas besoin de passer par les deux premieres Classes. [...]

Il a si bien profité de quelques Leçons de Physique, qu’il en donna des preuves publiquement il y a un mois ou deux, en soûtenant une Thése qu’il dédia à Mr le Marquis d’Herleville, Gouverneur & Lieutenant General pour le Roy des Ville, Citadelle, & Province de Pignerol. Cette Thése, qui avoit ses Armes en chef, avoit esté dessinée avec toute la beauté & la délicatesse qu’on pouvoit attendre de l’heureux génie du Sr Loüis Vanier, l’un des plus fameux Peintres d’Italie. L’Epître adressée à ce Marquis estoit cantonnée des quatre Devises suivantes, par l’ame desquelles le Soûtenant imploroit sa protection.

Une Montre à sa Clef, Vis operer, fer opem.

Un Fer à une Pierre d’Aiman qui le soûleve, Si secedis, cecidi.

Un Jeu d’Orgues à son Souflet, Dal tuo sforzo mia forza.

Une Bague à un Diamant qui en est séparé, Poc’ e mio prezzo, se non sei appresso.

Voicy ce qui estoit au dessous de cette Epître.

Comme il y a de la sympatie entre les semblables, on ne doit point trouver mauvais que le plus jeune des Philosophes croye avec les plus nouveaux.

OPINIONS.

I.

Que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil, & non pas le Soleil autour de la Terre.

II.

Que les Bestes n’ont nulle connoissance, & que c’est l’impression des Objets extérieurs qui détermine leurs actions.

III.

Que la matiere est divisible à l’infiny, & qu’on ne conçoit pas qu’on la puisse diviser autant qu’elle est divisible.

IV.

Que c’est à la pesanteur de l’air qu’il faut attribuer les effets qu’on attribuë à l’horreur du vuide.

V.

Que les Corps n’ont point de couleur, & qu’elle n’est qu’un pur effet de la refléxion de la lumiere.

VI.

Que le feu n’a point plus de chaleur en nous échaufant, qu’une Epingle a de douleur en nous piquant.

VII.

Que c’est par la pesanteur de son propre corps que la Lune cause le flux de la Mer, & non par aucun effet de sympatie.

Ces Opinions estoient bordées de six autres Devises qui faisoient connoistre la capacité du jeune Soûtenant.

Sous un jeune Roseau, demeuré entier aupres d’autres plus gros rompus par l’effort du vent, estoient ces paroles, Moins il est vieux, plus il résiste.

Sous un Rossignol, Plus de voix que de corps.

Sous un Rémora qui arreste un grand Vaisseau, Parvus, sed grandia sistit.

Sous une Mappemonde, plus petite qu’une autre Carte, qui ne contient qu’une Province, Plus minor.

Sous une Main armée d’une Epée qui ne peut percer un petit Moucheron en l’air, Non pico lo, perch’ è piccolo.

Sous un petit Oyseau qui s’échape des Filets, où de plus gros restent pris, Sottil non resta sotto.

L’Action se fit au Donjon, dans une fort belle Salle de l’Apartement de Mr de la Mothe. Le petit Soûtenant, proprement paré avec l’Epée au costé, des Plumes blanches, & couleur de feu, & une Garniture fort riche des mesmes couleurs, estoit sur une Estrade haute de deux pieds. Devant luy, à la distance de quatre pas, il y avoit un Tapis de pied, sur lequel estoient deux Fauteüils pour Mr & Madame d’Herleville. On avoit mis à droit & à gauche quantité de Chaises à dos pour les Dames. Tout le reste de la Salle fut aussi remply de Chaises pour le reste de la Compagnie, qui se trouva fort nombreuse par la quantité de Personnes de qualité, de Sçavans, & de Curieux, qu’attira des environs une nouveauté si surprenante.

Les Violons & les Hautbois qui joüérent avant que ce petit Soûtenant ouvrist la Dispute par un Compliment Latin à Mr le Marquis d’Herleville, se firent encore entendre apres chaque Solution qu’il donna aux Objections qui luy furent faites. Cela servoit à luy faire prendre haleine. [...] On vit apporter dans la Salle une magnifique Collation [...] Le Bal succéda à cette Collation, & ainsi le reste du jour fut employé à dancer.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 77-78.

Je vous envoye à mon ordinaire un Air nouveau d´un de nos plus sçavans Maîtres.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Veux-tu conserver ton Empire, doit regarder la page 77.
Veux-tu conserver ton Empire ?
Cruel Amour, souffre que je respire,
Et prens pitié de mon sort rigoureux ;
Autrement tous les Cœurs prests de porter tes chaînes,
Effrayez de mes peines,
Renonceront pour jamais à tes feux.
images/1684-11_077.JPG

A Mlle de Scudéry §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 98-106.

Je ne suis point étonné, Madame, que les nouvelles Conversations que Mademoiselle de Scudéry a données depuis peu au Public, vous ayent plû autant que vous me le témoignez. Tout le monde y trouve ce caractere noble & délicat qui est répandu dans tous ses Ouvrages ; & c’est avec beaucoup de raison, que Mr Sabatier de l’Académie Royale d’Arles a dit qu’il n’y a point de matiere qu’elle ne puisse traiter avec une égale force de génie. Je vous envoye les Vers qu’il luy a adressez, ne doutant pas que vous ne lisiez avec plaisir les loüanges qu’il luy donne.

A Mlle DE SCUDERY.

Le croiras-tu, Sapho ? L’on veut que je m’engage
A t’écrire une Epître ; en ay-je le courage ?
Ay je quelque Parterre, où je trouve des Fleurs
Qui soient peintes pour toy d’assez vives couleurs ?
En ces Lieux reculez pres de la barbarie,
Puis-je faire des Vers dignes de ton génie ?
En vain mon esprit rêve à quelques traits nouveaux
Aux bords d’une Fontaine, au murmure des Eaux.
Loin du monde & du bruit, en vain dans un Bois sombre
Je consulte ma Muse à la fraîcheur de l’ombre,
Tous ces soins ne sçauroient servir à mon dessein.
Ce Bois est éloigné de ceux de Saint Germain,
Et les Eaux que répand cette claire Fontaine,
Ne se vont pas mêler aux ondes de la Seine.
Ainsi dois-je, Sapho, sans qu’il en soit besoin,
Fatiguer mon esprit d’un inutile soin ?
Pour loüer tes vertus qu’Apollon mesme chante,
Dois-je employer ma voix & grossiere & tremblante ?
Non, je ne prétens pas d’un esprit égaré
Faire au pied du Parnasse un naufrage assuré.
C’est ainsi que sur Mer un Nocher témeraire
Rend, sçachant le danger, sa perte volontaire.
De mes foibles efforts mon esprit prévenu,
N’a garde de donner contre un écueil connu.
Puis-je, aidé foiblement des Filles de Mémoire,
Toucher à tant d’endroits qui soûtiennent ta gloire ?
Ce n’est pas par les vœux d’une foule d’Amans,
Que ton Sexe reçoit ses plus beaux ornemens ;
Je ne compte pour rien qu’il tire par ses charmes
Le frivole tribut des soûpirs & des larmes.
Que ce Sexe est orné de solides honneurs,
Quand la seule vertu fait ses Adorateurs !
Que ne te doit-il pas quand ta vertu sublime
T’attire des Sçavans le respect légitime ?
Leurs esprits admirant tes Ouvrages divers,
Sont instruits par ta Prose, & charmez par tes Vers.
Quel est ton noble feu ! quelle est ta politesse !
La délicate Rome, & l’éloquente Gréce,
Ont elles plus montré d’attraits dans leur discours
Qu’on en voit dans les tiens qui brilléront toûjours ?
Nous veux-tu prudemment remettre en la mémoire
Les plus grands des Héros que célebre l’Histoire,
Ils ont dans tes Ecrits & leur air, & leur ton ;
César parle en César, Caton parle en Caton.
Enfin quand il te plaist, ton esprit nous rameine
Et la vertu des Grecs, & la grandeur Romaine.
Tu fais encore plus ; tes Ecrits immortels
Sont dignes de LOUIS, ils parent ses Autels.
Si tu veux quelquefois par une main habile
Redresser de nos mœurs la route difficile ;
Si tu veux, t’éloignant d’un si grave projet,
De mille traits fleuris embellir un Sujet,
En quelques tours divers que ton esprit se plie,
Tu montres ton solide & fertile génie,
Il se répand par tout, & son cours est heureux,
Semblable en cet état à ce Fleuve fameux
Qui ne sort de son lit que pour rendre féconde
Par le cours de ses eaux la Plaine qu’il inonde.
Toute l’Europe sçait, Sapho, ce que tu vaux.
Dois-je t’importuner par mes foibles travaux ?
Je les connois assez ; n’est-ce pas à bon titre
Que je n’ay pas voulu t’adresser une Epître ?
Cependant je finis, & je m’apperçois bien
Qu’il faut à ton esprit un plus noble entretien.
Je n’ay tracé ces Vers, que pour te pouvoir dire,
Mon illustre Sapho, que je n’osois t’écrire.

Histoire §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 106-131.

Je trouve tant de plaisir à vous satisfaire dans toutes les choses qui vous donnent de la curiosité, que je me suis informé avec grand soin de ce que c’est que la Prisonniere de Soissons qui a donné lieu à l’Extrait de Lettre dont je vous fis part il y a un mois. Il est certain que tout ce qui est contenu dans cet Extrait est tres-veritable, mais ce sont des actions que la prétenduë Demoiselle Hollandoise ose faussement s’attribuer. Elles sont d’une Héroïne, qui ayant pris l’habit de Garçon, a fait diverses Campagnes avec beaucoup de courage & de bravoure, sous le nom du Chevalier Baltasar. Celle qui est aujourd’huy dans les Prisons de Soissons, est Fille d’un Artisan appellé la Fosse, & née à Valenciennes, où elle a esté baptisée à la Paroisse de Saint Giry, & nommée sur les Fonts Marie-Magdelaine. Elle a présentement vingt-huit ans, & n’en avoit que quatre, quand son Pere & sa Mere moururent. Elle fut mise apres leur deceds dans un Hôpital, où l’on reçoit les Enfans abandonnez. Elle y demeura jusqu’à l’âge de neuf ans, & on ne l’en fit sortir que parce qu’on sçeut qu’elle s’estoit donnée au Diable. Elle parut possedée, & fit des choses si extraordinaires pendant plusieurs années, que personne ne pouvant plus la soufrir, & les exorcismes qu’on luy faisoit chez les Peres Dominicains estant inutiles, on fut obligé de la mettre quelque temps dans les Prisons de Valenciennes. Elle vint à bout de s’en tirer, & abandonnant la Ville, elle alla à l’Armée, où elle servit en qualité de Soldat. Elle revint en suite à Valenciennes, disant qu’elle n’estoit plus possedée, & enfin on trouva moyen de l’y marier avec un Brodeur appellé la Croix. Elle le quitta quelque temps apres son mariage, & mena une vie assez pleine de desordres. Vers la fin du mois de May de l’année 1681. elle vint à Versailles, & alla loger d’abord au grand Cigne couronné chez Mr Gourlier, où elle passa environ deux mois. Pendant ce temps, elle parla plusieurs fois à Mr le Curé de Versailles, à qui elle dit qu’elle estoit Anabaptiste, & Fille de Mr Antoine le Duc, Grand-Prevost de la Maréchaussée de Flandre & de Hollande. Apres qu’on l’eut fait instruire, on la baptisa, & elle eut pour Marraine Me Gourlier son Hôtesse, & Mr Baton pour Parrain. La cerémonie de son Baptesme ayant esté faite, on la présenta à Madame la Duchesse de Coislin, sous le nom du Chevalier Baltasar, qu’elle disoit avoir porté à l’Armée. Cette Duchesse la présenta à la Reyne, & elle demeura à la Cour, où l’on s’apperçût qu’elle avoit la main subtile. Elle disparut quelque temps apres, & emporta la valeur de quatre cens livres à Me Gourlier sa Marraine. De là elle revint à Paris aux Nouvelles Catholiques, se disant Luthérienne, & fit abjuration entre les mains de Mr l’Abbé de Saint Mesmin, Aumônier du Roy. En la mesme année, au mois d’Octobre, elle fut présentée à Mr l’Evesque de Châlons sur Saône, comme estant Anabaptiste. On la fit instruire tout de nouveau, & ce Prélat la baptisa luy-mesme en présence de Mr le Duc & de Madame la Duchesse de Foix. Elle souhaita d’avoir le nom de Marie-Thérese. Apres ce nouveau Baptesme, elle revint à Paris sur la Paroisse de S. Sulpice, où Mr l’Abbé de la Pérouze preschoit le Caresme. Elle alla le trouver chez Mr le Curé de S. Sulpice, où il logeoit, & luy fit croire, comme elle avoit déja fait ailleurs, qu’elle estoit Hollandoise, Fille d’Antoine le Duc, Grand-Prevost de la Maréchaussée de Flandre & de Hollande ; qu’elle avoit sa Grand-Mere à Valenciennes, riche de plus de quatre cens mille livres, dont elle estoit l’unique Heritiere ; qu’elle avoit tout quitté pour la Foy ; qu’elle avoit porté les armes sous un Capitaine nommé de la Goncelle, & qu’elle vouloit changer de conduite, & mener une vie retirée. Comme elle se disoit née en Hollande, & par conséquent de la Religion des Hollandois, Mr l’Abbé de la Pérouze en prit soin, & la mit chez des Personnes de pieté, qui se chargerent de la faire instruire ; apres quoy, il luy fit faire abjuration le Mardy des Festes de Pasques de l’année 1682. Elle feignit d’estre fort touchée, & luy témoigna une grande ardeur de se faire Religieuse, afin de se donner toute à Dieu. Il la fit mettre chez les Filles de Nostre-Dame de Liesse, qui sont des Benédictines, dans le Faux-bourg S. Germain. Elle y demeura trois mois, & se servant de l’adresse de ses mains, elle déroba la valeur de mille francs tant en hardes qu’en argent, à une Demoiselle qui estoit Pensionnaire dans cette Maison. On ne s’estoit pas encore apperçû du vol, lors qu’elle en sortit avec violence, menaçant les Religieuses de mettre le feu dans le Convent, si on ne luy en ouvroit la porte. Deux ans se passerent sans qu’on la revist. Elle prit ce temps pour s’en aller à Roüen, où elle s’adressa à Mr le Curé de S. Vivien. Elle abjura l’Héresie de Calvin entre ses mains, & pour le remercier des soins qu’il prit de l’instruire, elle luy emporta cent écus. Estant enfin revenuë à Paris il y a six mois, elle fut reconnuë, & on la mit en prison à l’Abbaye S. Germain. Elle y fit connoissance avec un jeune Cadet aux Gardes, qui se trouva dans cette mesme Prison. Il crût ce qu’elle luy dit de ses grands Biens, & l’ayant fait sortir, dans la pensée qu’il l’épouseroit à Valenciennes, où elle voulut qu’il l’accompagnast, il se laissa si bien abuser, qu’il dépensa mille écus dans cette recherche. Lors qu’elle vit qu’il manquoit d’argent, elle alla le livrer aux Espagnols comme Espion dans la Ville de Mons, où il est encore prisonnier. S’en estant défaite, elle se rendit à Soissons, feignant encore d’estre Anabaptiste, & pour la troisiéme fois elle demanda à se faire baptiser. Comme on y avoit esté averty de ce qu’elle avoit déja fait en d’autres Villes, on l’a de nouveau arrestée en ce lieu-là, & on luy fait son procés. Lors que j’en auray appris l’évenement, je vous le feray sçavoir. Cependant quoy que je sçache que vous connoissez les Anabaptistes, pour ceux qu’on appelle Rebaptisans, je croy que vous ne serez pas fâchée qu’à l’occasion de la fausse Hollandoise qui s’est dite plusieurs fois Anabaptiste, je vous explique en peu de paroles les erreurs de cette Secte.

Ceux qui en sont, improuvent le Baptesme conferé aux petits Enfans, & se fondent sur ces paroles de l’Ecriture, Celuy qui croira, & sera baptisé, sera sauvé. Ils prétendent que pour croire, & par conséquent pour estre en état de recevoir le Baptesme, il faut estre parvenu en un âge raisonnable, & ainsi ils rebaptisent ceux qui l’ont reçeu dans l’enfance, parce qu’en cet âge-là ils ne pouvoient pas avoir la foy actuelle. Outre cette erreur, ils veulent que le Fils de Dieu ne se soit point incarné. Ils rejettent la Réalité & la Messe, enseignent qu’une Femme est obligée de consentir à la passion de ceux qui la recherchent, & condamnent le mariage des Personnes qui sont contraires à leurs sentimens. Ils trouvent que les Souverains éteignent la liberté, & qu’il est permis d’employer les armes pour la recouvrer. Il y a diférentes opinions touchant l’Autheur de cette dangereuse Cabale. Les uns disent que c’est Luther, à cause qu’écrivant aux Vaudois, il dit qu’il vaut mieux ne pas conférer le Baptesme, que de le faire recevoir aux Enfans. Les autres nomment Carlostade pour l’Autheur de cette Secte ; & quelques-uns, Zuingle, ou Mélancton. Il est certain que Thomas Muntzer, Disciple de Nicolas Scorkius, a esté un des principaux de ceux qui l’ont soûtenuë. Cet Héresiarque fit de grands desordres vers l’an 1324. Il assuroit que le S. Esprit luy avoit révelé qu’il eust à établir un nouveau Royaume au Sauveur du Monde, avec le Glaive de Gédeon que Dieu mesme luy avoit mis entre les mains ; & il trouva des Sectateurs si zélez, qu’ils obligérent les Païsans d’Allemagne à prendre les armes, pour se tirer de la domination de leurs Princes. Plus de cent mille de ces Abusez périrent dans cette guerre, qui fut tres-sanglante. On la nomma Guerre des Rusteaux. Thomas Muntzer y fut pris, & eut la teste coupée. Cette défaite arrivée l’an 1525. n’abatit point le courage de ceux qui resterent de ce Party. Ils reprirent les armes dans la Westphalie en 1534. ayant pour Chef un Tailleur de profession, nommé Bocold, à qui on donna le nom de Jean de Leiden, à cause qu’il estoit né à Leiden en Hollande. Ce Malheureux qui n’estoit âgé que de vingt-quatre ans, se joignit à Jean Mathieu Boulanger, qui prenant le nom de Moïse, tint une Assemblée des Siens à Amsterdam, & envoya douze de ses Disciples, comme autant d’Apostres, pour établir une nouvelle Jérusalem, suivant le pouvoir qu’il prétendoit en avoir reçeu du Pere Eternel. Ces Fanatiques se rendirent maistres de Munster, où ils commirent des indignitez inconcevables, profanant les Eglises, violant les Vierges, & n’épargnant rien de ce qui estoit sacré. Ils enseignoient la Doctrine des Anabaptistes, qu’ils disoient leur avoir esté revélée du Ciel, & dont les principaux points estoient la Communauté des biens, & la pluralité des Femmes, qui selon cette Doctrine devoient estre communes. Les Magistrats ayant voulu s’opposer à leur fureur, il y eut une sanglante meslée, dans laquelle Jean Mathieu fut tué. On mit en sa place Jean de Leiden, qui se croyant établir en renversant les Puissances légitimes, prenoit le nom de Roy de Justice & d’Israël. L’Evesque de Munster assiégea ces Furieux, & fut enfin introduit dans la Ville par un Compagnon du faux Roy. Il le prit, luy & les principaux Ministres de ses pernicieuses erreurs, qu’ils expiérent en 1635. par de rigoureux suplices, apres qu’on les eut promenez long temps dans les Païs circonvoisins, pour les faire servir de joüet aux Peuples.

L’erreur des Rebaptisans a esté celle de quelques Héretiques dans la Primitive Eglise. Les Novatiens, les Cataphryges, les Donatistes, & autres, avoient coûtume de rebaptiser ceux qu’ils attiroient dans leur Party. Quelques Prélats Catholiques commencérent aussi à observer la mesme pratique envers ceux qui abjuroient l’Herésie. Ce fut bien-tost comme une Loy genérale. Plusieurs Evesques de Cilicie, de Cappadoce, de Galatie, & des Provinces voisines, s’estant assemblez dans la Ville d’Iconie l’an 256. déclarérent que le Baptesme des Herétiques estoit nul, & que par conséquent il faloit le conferer de nouveau. Le Pape Etienne I. combatit cette opinion de tout son pouvoir, & refusa d’avoir aucune communication avec les Evesques d’Orient. S. Cyprien qui suivoit leurs sentimens, assembla dans la mesme année un Synode à Cartage, où l’on définit que le Baptesme conferé hors de l’Eglise estoit invalide. Le Pape s’estant déclaré contre ces Decrets, le mesme S. Cyprien convoqua de nouveau une Assemblée des Prélats d’Afrique, de Mauritanie, & de Numidie, au nombre de 87. qui confirmérent la Décision du premier Synode. Tertullien dans son Livre du Baptesme, s’étoit déja expliqué contre la validité de ce Sacrement conferé par les Herétiques. Ainsi ce sentiment des Prélats Orthodoxes donna beaucoup de peine à l’Eglise, mais enfin les Esprits se soûmirent à ses ordres. Elle trouva un tempérament tres-raisonnable pour les calmer. Ce fut d’interroger ceux qui estoient nouvellement convertis, & de les rebaptiser, si on trouvoit qu’ils n’eussent pas esté baptisez au nom du Pere, du Fils, & du S. Esprit. L’Eglise a observé cette pratique depuis ce temps-là, & elle l’observe encore aujourd’huy. Cela fut cause que le premier Concile genéral de Nicée ordonna, que les Paulianistes, nommez ainsi pour estre les Sectateurs de Paul de Samosathe Evesque d’Antioche, qui établissoit deux Personnes distinctes en Nôtre-Seigneur, & les Cataphryges qui corrompoient la forme du Baptesme, seroient rebaptisez lors qu’ils se convertiroient, parce que leur Baptesme n’estoit pas bien conferé. Le Concile de Laodicée fit un semblable Decret pour quelques autres Herétiques, qui n’observoient pas ce qui est essentiel au Baptesme.

[Relation de la Chine] §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 131, 143-145, 156-157.

 

On a eu nouvelles par les Peres Jésuîtes qui sont à la Cour de Pekin, du Voyage que l’Empereur de la Chine fit l’année derniere dans la Tartarie Occidentale, avec la Reyne son Ayeule, qu’on appelle la Reyne Mere. [...]

 

Comme il a étably une Paix solide dans tous les Etats, il a rappellé de chaque Province ses meilleures Troupes, & résolu dans son Conseil, de faire tous les ans trois Voyages pour aller chasser en diférentes saisons. Ces sortes de Chasses ont plûtost l’air d’Expéditions militaires, que de Parties de divertissement, puis qu’il s’y fait accompagner d’un tres-grand nombre de Chevaux, & de Soldats, armez tous de Fléches & de Cimeterres, divisez par Compagnies, & marchant en ordre de Bataille, apres leurs Enseignes, au bruit des Tambours & des Trompetes. Pendant leurs Chasses, ils investirent les Montagnes & les Forests entieres, comme si c’estoient des Villes qu’ils voulussent assiéger. [...]

 

Outre tout cet attirail, il voulut encore estre accompagné de toutes les marques de grandeur qui l’environnent à la Cour de Pekin, de cette multitude de Tambours, de Trompetes, de Timbales, & autres Instrumens de Musique, qui forment des Concerts dans le temps qu’il est à table, & au bruit desquels il entre dans son Palais, & en sort. Il fit marcher tout cela avec luy, pour étonner ces Peuples barbares par cette pompe extérieure, & leur imprimer avec la crainte le respect deû à la Majesté Impériale. [...]

Pour Monsieur le Comte de Toulouse, aux Dames religieuses de Fontevrault §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 168-171.

Je vous envoye de tres-jolis Vers, qui ont esté faits sur ce que Mr le Comte de Toulouse a esté depuis peu à l’Abbaïe Royale de Fontevrault, où il entra avec Mesdemoiselles de Nantes & de Blois.

POUR MONSIEUR
LE COMTE
DE TOULOUSE,
Aux Dames Religieuses de Fontevrault.

Les Gens deviennent-ils des Loups
Parmy vos Bois & vos Bruyeres,
Que vous mettez entr’eux & vous
Tant de Gardes & de Barrieres ?
***
Ah ! Vestales, je vous entens,
Vous craignez certaine avanture ;
C’est bien fait ; mais il n’est plus temps
De défendre vostre Clôture.
***
L’Amour est dedans, c’est le pis ;
Songez moins à garder la Porte,
Qu’à prendre un Thomas-à-Kempis
Pour parer les coups qu’on vous porte.
***
Ne pensez pas que dans ce lieu
Je vienne débiter un conte ;
C’est chose sûre que ce Dieu
Est chez vous sous le nom de Comte.
***
Pour se cacher il s’est montré
Sans Flambeau, sans Arc, & sans Fléche,
Et doucement il est entré
Par la Porte, & non par la Bréche.
***
Dans ses yeux qui sont sans Bandeau
Vous pouviez découvrir ses Armes,
Et voir le feu de son Flambeau ;
Mais vous ne voyez que ses charmes.
***
Non, vostre œil dans ce rare Enfant
Ne voit que sa beauté divine,
Que cet air si doux & si grand
Qu’il tire de son Origine.
***
Ah ! comme vous j’en suis charmé ;
Cependant, sans choquer personne,
S’il est trop long-temps renfermé,
Je ne répons d’aucune Nonne.

Pour Mesdemoiselles de Nantes & de Blois §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 172.

POUR MESDEMOISELLES
DE NANTES & DE BLOIS.

  Quel effort pourroit arrester
  Les Exploits dont LOUIS remplit la Terre & l’Onde,
 Et quel cœur pourroit resister
A cette belle Brune, à cette belle Blonde ?
Ce Héros se fait craindre, elles se font aimer.
Le Pere est né pour conquerir le Monde,
 Et les Filles pour le charmer.

[Epitaphe] §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 197-199.

Je vous envoye l’Epitaphe d’un Animal qui a fait verser des pleurs à une Dame d’un fort grand mérite. C’est d’une Guenon qu’elle aimoit fort, & qui ayant fait quelque malice à un Page, eut le malheur de s’attirer son aversion, Le Page encore plus malicieux qu’elle n’estoit, résolut de s’en vanger, & il n’en trouva point de moyen plus propre que de luy attacher un Petard au derriere. Il y mit le feu, le Petard fit son effet, & les blessures que la Guenon en reçeut la firent mourir. C’est ce qui a donné lieu aux Vers qui suivent. Je ne vous diray rien de l’Autheur, sinon qu’il a l’esprit fort galant, quoy qu’il le dissimule ; mais il a beau vouloir le cacher, de petits Ouvrages de cette nature le trahissent quelquefois.

  Cy dessous gist une Guenon,
Qui n’avoit rien de petit que la mine.
 Elle vescut en Héroïne,
 Et mourut d’un coup de Canon.
 Passant, calmez vostre tristesse ;
  Son illustre Maîtresse
  Vient de pleurer sa mort.
Pour mériter ces prétieuses larmes,
Bien des Gens distinguez dans le
  Mestier des Armes
 Envîroient un semblable sort.

[Plusieurs ouvrages en Vers sur la Mort de Corneille] §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 205-213.

Je vous ay déja envoyé quelques Vers sur la mort du fameux Mr de Corneille. En voicy d’autres qui me sont tombez entre les mains. On impute les belles Comédies de Térence à Scipion l’Africain, & à son inséparable Amy Lélius. Scipion estoit de l’illustre Famille des Cornéliens, qui estoit une des plus nobles de Rome, & qui a produit les Cinna, les Marius, & plusieurs autres grands Personnages ; & c’est ce raport de noms qui a donné lieu à ce Sonnet.

C’en est fait, il n’est plus, cet illustre Corneille,
L’ornement de Paris, les charmes de la Cour,
De nos Voisins jaloux la surprise & l’amour,
Et d’un Siecle poly la plus rare merveille.
***
Le Corneille Romain à ce bruit se réveille,
Et quitant Lélius dans le sombre sejour,
Embrasse sa grande Ombre, & luy jure à son tour
Vne amitié d’estime à cette autre pareille.
***
Par toy nous survivons (dit-il) à nos travaux,
De nos Ecrits Latins les malheureux lambeaux
Font parler un Romain comme parle un autre Homme.
***
Mais dans tes doctes Vers qu’envieroient les Neuf Sœurs,
A nos foibles Rivaux nous parlons en Vainqueurs,
Et ce n’est que dans eux que je reconnois Rome.

Les deux Madrigaux qui suivent, ont esté faits sur la mesme mort. Le premier est de Mr Etienne, Président du Grenier à Sel à Senlis, & l’autre de Mr Diéreville.

MADRIGAL.

Corneille n’est pas mort comme l’on s’imagine,
C’est en vain que chacun regrete ses beaux jours ;
Son esprit l’a rendu d’une essence divine,
La mort n’empesche pas qu’il ne vive toûjours.

Autre.

Non, Philis, c’est en vain que tu me sollicites
 Pour te faire de jolis Vers.
Helas ! Corneille est mort, & ce triste revers
 Rend les Muses tout interdites.
Tout pleure son trépas dans le sacré Valon,
 On voit gémir mesme Apollon,
 Puis-je luy refuser des larmes
Tandis que le Parnasse est pour luy tout en deüil ?
Non, tes plaisirs pour moy n’ont point assez de charmes,
Je sçay ce que mon cœur doit rendre à son Cercueil.
Laisse-moy donc pleurer, importune Bergere ;
 Le moyen de se consoler
D’un Homme que jamais, quoy que l’on puisse faire,
 Nul autre ne peut égaler ?

On me donne encore dans ce moment un Sonnet & un Madrigal sur ce mesme sujet. Ils sont de Mr Magnin.

SONNET.

Muses, Corneille est mort, & les pleurs du Parnasse
N’ont jamais eu, jamais, de plus juste Sujet ;
Vous fustes de ses soins le cher & digne objet,
Il vous servit longtemps, & de si bonne grace.
***
Qui peut d’un tel Autheur oser prendre la place ?
Quelle veine, quel art, fera ce qu’il a fait ?
Est-il rien de sublime, est-il rien de parfait,
Est-il rien d’éclatant, que Corneille n’efface ?
***
Qui n’a pas admiré les accords de sa voix,
Et l’honneur du Théatre, & le charme des Roys ?
Il fust à vostre Cour, il fut comblé de gloire.
***
Cependant du trépas il a senty les coups,
Et sa mort nous apprend, ô Filles de Mémoire,
Que l’Immortalité ne dépend pas de vous.

MADRIGAL.

Enfin le grand Corneille a suby du trépas
 La Loy nécessaire & cruelle.
 Helas ! quand elle nous appelle,
Le mérite & l’esprit, n’en garantissent pas.
Corneille en eust beaucoup, il en eust de bonne heure,
 Il en eust mesme si longtemps,
Que le Ciel icy-bas luy devoit sa demeure
 Iusqu’au dernier moment des temps.
Toutefois il est mort, & sa mort nous fait croire,
Quoy que l’on puisse dire en faveur du bel Art,
Qui donne quelque rang au Temple de Mémoire,
Qu’on peut sur le Parnesse acquérir de la gloire,
 Mais qu’on y meurt comme autrepart.

[Bénédiction du Couvent des Récolets de Versailles] §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 214-216.

 

L’Eglise, & le Convent pour l’établissement de vingt-cinq Récolets que Sa Majesté avoit résolu de mettre à Versailles, ayant esté bastis en six mois avec une magnificence Royale, Mr l’Abbé de la Motte, Archidiacre de l’Eglise de Paris, eut ordre de Mr l’Archevesque d’en aller faire la Benédiction, [...] Il s’y rendit le 4. de ce mois, & le lendemain la Cerémonie commença à sept heures du matin, par une Procession que cinquante Récolets, ayant avec eux leur Provincial, firent de leur petite Maison à la nouvelle, où il apportérent les Reliques. Cette Procession estant arrivée, on dit les Oraisons, & on fit les Aspersions ordinaires suivant le Rituel ; apres quoy Mr l’Abbé de la Motte chanta la Messe, à la fin de laquelle les quarante jours d’Indulgence accordez par Mr l’Archevesque, furent publiez.

[Festes de Hanover] §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 221-228.Voir aussi cet article pour la relation complémentaire pour ce mariage.

 

Voicy quelques particularitez de ce qui s’est fait dans le temps du Mariage de Mr le Prince Electoral de Brandebourg avec Madame la Princesse de Hanover. Ce Prince estant arrivé à Hervenhaus, Maison de plaisance de Monsieur le Duc de Hanover, qui est à un quart de lieüe de la Ville, y demeura depuis le Mercredy du dernier mois jusques au Mardy suivant. Le Dimanche 8. il épousa la Princesse sans aucune pompe, & le Mardy 10. il fit son Entrée solemnelle dans Hanover, précedé de toute la Cour, qui consistoit en plus de deux cens Gentilshommes à cheval, & en un Cortége de quatrevingt Carrosses. Les Gardes à cheval, & trois Régimens de Cavalerie, marchoient les premiers. Le Prince entra dans la Ville au bruit du Canon, qui tira pendant une heure. Il arriva au Château entre deux Hayes que formoient trois Régimens d’Infanterie. Les Gardes à pied estoient dans la Court par où il passa au son des Timbales, des Trompetes & des Hautbois. Les Gentilshommes mirent pied à terre dans cette Court, & ceux qui remplissoient les Carrosses, en descendirent pour attendre ces illustres Mariez, qui furent ensuite conduits dans leurs Apartemens. La Milice s’estant mise en Bataille dans une Place qui est derriere le Chasteau, y fit trois Décharges avant que de se retirer. Il y eut en suite un magnifique Soupé, pendant lequel on entendit une Musique composée de Timbales & de Trompetes, au lieu de Hautbois & de Violons. Elle sembloit exciter à boire les Santez, qui furent toutes accompagnées de trois volées de Canon à mesure que chacun beuvoit. Un Bal assez extraordinaire suivit ce Soupé, & on y dança d’abord au bruit de ces mêmes Instrumens. Douze des principaux des deux Cours dançoient d’abord se tenant deux à deux par la main, & ayant dans l’outre chacun un gros Flambeau de la hauteur de six pieds. Les Princes & les Princesses suivoient, & six autres fermoient la file. Cette Dance, qui est une ancienne Cerémonie du Païs, dura environ deux heures, apres quoy les Violons & Hautbois commencérent à joüer, & l’on dança les Dances Françoises. Le lendemain on représenta la Comédie de l’Inconnu, embellie de Dances, & de divers agrémens, mais particuliérement d’un Prologue qui fut fait exprés, avec plusieurs Machines & Entrées de Balet. Le Vendredy 13. il y eut un Balet & une excellente Musique de Voix & d’Instrumens, avec des Machines. Il fut dancé par Mrs les deux jeunes Princes de Hanover, par le jeune Baron de Platen, & plusieurs autres Enfans de qualité de l’un & de l’autre Sexe. Quelques jours apres on représenta Psiché, avec des Machines & des Dances ; & tant que Mr le Prince Electoral a esté à Hanover, il y a eu tous les jours Comédie ou Bal, & bien souvent l’un & l’autre. On tira aussi un tres-beau Feu d’artifice dans la Place derriere le Chasteau. Ce Feu eut tout le succés qu’on en pouvoit souhaiter. La magnificence fut toûjours jointe à la propreté, & le délicat égala le somptueux.

[Divertissemens de Fontainebleau] §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 228-241.

 

La Cour s’est fort divertie à Fontainebleau. Le Roy a esté tirer de temps en temps, & quelquefois à la Chasse : Monseigneur y a esté tous les jours, & souvent deux foix en un seul jour. Il y a eu alternativement Apartement, Comédie Françoise, & Comédie Italienne. Les jours qu’il y avoit Apartement, il y avoit aussi Bal. Les Dames ont quelquefois dancé dans les Entr’Actes de la Comédie, ou pour y servir de Prélude. Madame la Princesse de Conty, & Mesdames les Duchesses de Choiseüil & de Roquelaure, avec Mr le Comte de Brionne, dancerent la Chacone d’Amadis, qui servit d’une espéce de Prologue à la Tragédie de Mithridate. Peu de jours avant le départ, il y eut un Inpromptu fort agreable de Comédie & de Dance. Les Italiens furent employez pour ce divertissement. Voicy le Sujet de la Comédie, qui fut faite exprés pour y méler les Entrées que je vay marquer.

Cintio, Fils du Roy Brandimarte, ayant esté pris jeune par des Corsaires, estoit devenu amoureux de Lucinde, Fille du Roy Glaucias, dans la Cour duquel il avoit esté élevé, sans qu’on le connust, ny qu’il sçeust luy-mesme sa naissance. L’ayant enfin découverte, il s’estoit rendu à la Cour du Roy son Pere, à qui l’on avoit aussi appris l’avanture de son Fils. Ainsi ce Roy l’attendoit ; & pour terminer une longue guerre qu’il avoit euë avec Adamante Roy voisin, il avoit promis que Cintio épouseroit une Fille d’Adamante. Le Theatre ouvrit par Cintio, qui ayant appris ce que Brandimatte avoit résolu, voulut qu’Arlequin passast pour luy, afin que si le Roy s’obstinoit à ce mariage, il fust en pouvoir de se retirer, & d’estre toûjours fidelle à Lucinde, dont il s’estoit fait aimer. Il fit instruire Arlequin de la conduite qu’il devoit tenir pour tromper son Pere, & consulta cependant des Bohémiennes sur ce qui luy devoit arriver. Les Bohémiennes dancérent, & furent représentées par

Madame la Princesse de Conty,

Madame la Duchesse de Choiseüil,

Madame la Duchesse de Roquelaure,

Madame la Marquise de Seignelay,

Mademoiselle de Pienne,

Mademoiselle de Broüilly, sa Soeur.

Le peu de satisfaction que Cintio reçût des Bohémiennes, l’obligea d’aller chercher une fameuse Magicienne. Pendant ce temps, le Roy Brandimatte son Pere fit entrer Arlequin, qu’on luy dit estre son Fils. Sa figure le surprit, & plus encore le compliment ridicule qu’il luy fit. Le Roy s’estant retiré apres qu’Arlequin se fut enfuy, Cintio revint avec la Magicienne, qui ayant pris de l’amour pour luy, luy conseilla de demeurer toûjours inconnu, & luy promit de luy faire voir Lucinde par enchantement. Comme elle cherchoit à détourner de la passion qu’il luy faisoit voir pour cette Princesse, elle fit un charme qui fit paroistre Lucinde dançant avec un Rival, & donnant des marques d’une grande joye. Ce fut une seconde Entrée, où il y eut une Chacone, que dancérent

Madame la Princesse de Conty,

Madame la Duchesse de Choiseüil,

Madame la Duchesse de Roquelaure.

Mr le Comte de Brionne

Les premieres Scenes du second Acte consistérent en des plaisanteries d’Arlequin crû Cintio, que l’Ambassadeur d’Adamante vint complimenter sur son Mariage avec la Princesse Fille de ce Roy ; apres quoy Cintio parut, & se plaignit de l’infidélité de Lucinde, avec laquelle il témoigna à la Magicienne qu’il avoit dessein de rompre. Pour l’exécuter, il la pria de luy donner des moyens de luy écrire, afin qu’il pust luy faire connoître la résolution où il estoit de ne plus songer à elle. La Magicienne fit aussi-tost venir des Folets pour porter sa Lettre ; & le voulant occuper agréablement, elle ordonna aux mesmes Folets de le divertir par quelque Dance. Ces Folets furent représentez par

Mademoiselle de Nantes,

Mr le Comte de Brionne,

Mademoiselle d’Estrées, Mademoiselle Hamilton,

Mrs Favier, Pecour.

Dans le troisiéme Acte, Arlequin s’ennuyant de joüer un Personnage de Prince, qu’il ne pouvoit soûtenir, avertit le Roy de la tromperie qu’on luy avoit faite. Lucinde que les Folets avoient aussi avertie du bruit qui couroit du Mariage de Cintio, transportées par l’art d’une autre Magicienne, vint sçavoir s’il estoit vray que son Amant la trahist. Le Roy la voyant si belle, montra la joye qu’il avoit de trouver son Fils dans Cintio ; & consentant à leur Mariage, il dit à l’un & à l’autre, qu’il se résoudroit plûtost à recommencer la Guerre avec Adamante, qu’à rompre leur union. La Magicienne à qui Cintio s’estoit adressé, touchée de la beauté de Lucinde, se repentit d’avoir traversé ces deux Amans ; & pour réparer ce qu’elle avoit fait contre eux, elle appella un Génie pour assister à la Nôce, & contribuer à la rendre heureuse. Tous les Courtisans entrérent, & témoignérent leur joye par des Chants & par des Dances. L’Entrée fut de dix, qui étoient

Mademoiselle de Nantes,

Mademoiselle de Levestein,

Mademoiselle de Crussol,

Mademoiselle d’Estrées,

Mademoiselle Hamilton,

Mr le Comte de Brionne,

Mr le Prince de Tingry,

Mr le Marquis d’Alincour,

Mr le Chevalier de Soyecourt,

Mr le Comte de Cossé.

Mrs Favier & Pecour firent aussi une Entrée, déguisez en Magiciens, & il y eut ensuite un Balet genéral, composé de tous ceux qui avoient déja dancé. Ceux qui chantérent dans les Entr’Actes de ce Divertissement, furent

Mrs Gaye,

Jonquet,

Pluvigny,

Mademoiselle de la Lande,

Mademoiselle Rebel.

Les Entrées avoient été faites par Mrs Favier & Pecour, tous deux Danceurs du Roy. Rien ne sçauroit estre plus agreable que le fut cet Impromptu. Madame la Princesse de Conty, & Mademoiselle de Nantes, s’attirérent l’admiration de tout le monde, estant impossible de mieux dancer qu’elles firent.

Mr Voille de la Garde, Intendant & Controlleur Genéral de l’Argenterie & des Menus-Plaisirs & Affaires de la Chambre du Roy, avoit pris soin de ce Divertissement, sous les ordres de Mr le Duc de Créquy, Premier Gentilhomme de la Chambre en année.

A Monsieur le Duc de S. Aignan §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 272-274.

Mr le Duc de Saint Aignan a un mérite si genéralement reconnu, qu’il donne lieu tous les jours à toutes sortes d’Ouvrages d’esprit. En voicy un que vous aimerez. Il est de Madame des Houlieres, sur des Bouts-rimez qui ont cours depuis deux mois.

A MONSIEUR
LE DUC DE S. AIGNAN.

Favory des Neuf Sœurs, tu sçais plaire omnibus ;
Doux à qui t’est soumis, fatal à qui te fâche ;
Tu sers LOUIS LE GRAND sans espoir, sans relâche,
Et de quatre tu sçais donner la mort tribus.
***
Tu pourrois inspirer la valeur au plus lâche ;
Grand Duc, on voit revivre en toy Gaston Phëbus ;
Tu sçais l’art d’employer noblement ton quibus ;
A tes propres dépens plus d’un bel Esprit mâche.
***
Le Sort pour toy constant, t’aime, te rit ; Item,
Te destine un Trésor (c’est là le tu-autem)
Qu’un Etranger cacha durant une grande ire.
***
Tu peux encore aimer, & faire dire amo.
Que ton Histoire un jour fera plaisir à lire,
Si jamais on l’écrit fideli calamo !

[Ouverture du Parlement & de la cour des Aydes] §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 285-286.

 

L’Ouverture du Parlement, qui se fait toûjours le lendemain de la Feste de Saint Martin, a esté faite le Lundy 13. de ce mois, avec les Cerémonies accoûtumées. Vous sçavez, Madame, que cette Ouverture consiste en une Messe du S. Esprit, que l’on chante solemnellement en Musique, à la Chapelle de la Grande Salle du Palais, & à laquelle le Parlement m’assiste en Corps, & en Robes rouges. Cette Messe est toûjours celébrée par un Evesque, & elle l’a esté cette année par Mr l’Evesque de Troyes, [...]

Chanson à boire §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 301-302.

Je vous envoye un Air Bachique, qui a l’approbation des grands Connoisseurs.

CHANSON A BOIRE.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par Bûvons à longs traits, doit regarder la page 301.
 Beuvons à longs traits
 De ce bon vin frais,
 Sa liqueur sans pareille
Me réjoüit & me réveille.
J’estois tout languissant auprés
 D’une jeune Merveille ;
 Mais à l’abry de la Bouteille
 Je ne crains plus ses attraits,
Et je viens parmy vous, chers Amis, tout exprés
Pour noyer mon amour dans le jus de la Treille.
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[Sur le livre Les diférens Caractères de l’Amour]* §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 310-311.

Le Sr Blageart doit debiter dans quatre ou cinq jours un Livre nouveau, intitulé Les diférens Caracteres de l’Amour. Vous ne douterez point qu’il ne soit tres-bien écrit, quand je vous diray que son Autheur est de l’Académie Françoise. Vous sçavez, Madame, que ceux qui composent cette illustre Compagnie, ont un talent tout particulier pour donner aux choses ce tour noble & naturel qui semble s’offrir sans qu’on le cherche, & qui est pourtant si difficile à trouver, Ils pensent juste, & s’expriment avec la mesme justesse qui paroist dans ce qu’ils pensent. Les diférens Caracteres qui donnent le titre à cet Ouvrage, sont expliquez par des Avantures qui font connoistre les divers effets que peut produire l’Amour, selon que l’estime, l’inclination, ou-la reconnoissance le font agir. Des Connoisseurs délicats qui ont lû le Manuscrit, assurent qu’on ne peut écrire plus finement, ny soûtenir des Historietes par des peintures plus vives.

[Sur le livre l’Illustre Gênoise]* §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 311-312.

Le mesme Libraire promet de donner dans le mesme temps un autre Livre intitulé L’Illustre Génoise. C’est une Nouvelle Galante du mesme Autheur que le Grand Vizir, qui vous a tant plû. Elle est du temps, puis que tout ce qui s’est fait par l’Armée Navale du Roy, se trouve meslé aux Avantures qui y sont décrites, & que les principaux incidens en sont fondez sur des faits connus de tout le monde. Ainsi je puis vous promettre par avance un fort grand plaisir de la lecture de cet Ouvrage, que j’auray soin de vous envoyer si-tost qu’il sera en vente.

[Sur le livre La Confidence réciproque]* §

Mercure galant, novembre 1684 [tome 13], p. 312.

Ceux qui aiment les Historietes, sont de vostre goust pour la Confidence Réciproque, que vend le mesme Libraire ; ils y estiment l’enchaînement de tant d’actions, qui naissent les unes des autres, & qui occupent agréablement l’esprit, sans qu’on y rencontre aucun de ces discours inutiles, dont la plûpart de ces sortes de petites Nouvelles se trouvent remplies. Je suis, Madame, Vostre, &c.