1684

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1684 [tome 14].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14]. §

[Explications de la Galerie de Versailles] §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 3-4, 27-28.

EXPLICATION
DE LA GALERIE
DE VERSAILLES.

L’Allégorie est la maniere la plus ancienne d’exprimer les pensées par des caracteres. Les lettres n’ont esté en usage que longtemps apres que les Egyptiens eurent, par des figures, laissé à la Postérité les Mistéres de leur Religion, & les Loix de leur Etat. Les Poëtes depuis, sous des sens allégoriques, dans les Métamorphoses, & dans les Fables, nous ont donné les plus beaux préceptes, & les leçons les plus utiles de la Philosophie. [...]

Dans le second, a on reconnoist l’institution des Académies. Le Roy est accompagné de Minerve, qui tient un Plan de l’Observatoire. L’Académie Françoise porte un Câducée b à la main. Elle est à la teste de ses Compagnes, pour lesquelles elle remercie le Prince de l’honneur de sa protection. [...]

1 2

Pour le Roy §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 85-87.

L’empressement est si grand à parler du Roy, la matiere est si brillante, & chacun y trouve un si grand plaisir, que quelques Bouts-rimez qu’on propose, on n’en trouve point de difficiles, quand on les remplit à la gloire de cet auguste Monarque. Je croy, Madame, vous avoir déja envoyé quelques Sonnets sur les Rimes de ceux que vous allez lire. Si la nouveauté leur manque par là, ils ont d’autres agrémens qui réparent ce defaut.

POUR LE ROY.

Venez, Peuples, venez contempler dans sa gloire
L’invincible LOUIS, & le choisir pour Roy ;
A l’Univers entier il doit donner la Loy ;
Devant luy va Bellone, apres luy la Victoire.
***
Ses exploits inoüis sont trop hauts pour l’Histoire,
Ils ne sçauroient trouver d’Ecrivain ny de foy ;
Mais ses fiers Ennemis, qu’il a remplis d’effroy,
Dans le fonds de leur cœur en gardent la mémoire.
***
Sa Teste a tout conçû, son Bras tout achevé ;
Au dessus des Césars luy seul s’est élevé
Par sa rare conduite, & son cœur intrépide.
***
Leurs hauts faits prés des siens cessent d’estre immortels ;
Et s’il estoit encore un Thesée, un Alcide,
Ils perdroient prés de luy leur Nom & leurs Autels.

Sur le Zele de sa Majesté pour sa Religion & l’Extirpation de l’Herésie §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 88-89.

SUR LE ZELE
DE SA MAJESTÉ
Pour la Religion, & l’extirpation
de l’Herésie.

LOUIS LE GRAND n’est point ébloüy par sa gloire ;
Au dessus de son Trône il reconnoist un Roy ;
Il en sçait maintenir & les droits & la Loy,
Et c’est là sa plus noble & plus chere Victoire.
***
Son zéle tres-Chrétien brillera dans l’Histoire ;
Ses Lauriers serviront de Couronne à sa Foy ;
Des erreurs de Calvin son Nom le juste effroy
Va de ses Sectateurs abolir la mémoire.
***
C’est-là de mon Héros le Chefd’œuvre achevé.
De ce Monstre d’horreur, dans l’Enfer élevé,
Mille Testes montroient leur fureur intrépide.
***
Ses traits envenimez devoient estre immortels ;
Mais LOUIS, & l’Aîné de l’Eglise, & l’Alcide,
Sçaura seul immoler cette Hydre à ses Autels.

Sur la Sage et Secrete Conduite de Louis le Grand §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 90-91.

SUR LA SAGE ET SECRETE
CONDUITE
DE LOUIS LE GRAND.

Il s’est vû des Héros amoureux de la gloire ;
Mais aucun d’eux jamais sçût-il comme mon Roy,
Ce grand Art du secret, dont la discrete Loy
N’annonce les desseins qu’avecque la Victoire ?
***
Les plus fiers Conquérans que nous vante l’Histoire,
Et qu’on revere encore aujourd’huy sous sa Foy,
Avides de répandre & l’horreur & l’effroy,
Par leurs emportemens ont terny leur mémoire.
***
LOUIS ne parle point, & tout est achevé.
Ce silence est l’effort d’un esprit élevé,
Qui seconde à propos un courage intrépide ;
***
Et l’art mistérieux de ses soins immortels
Forme un Héros si grand, qu’en sa présence Alcide
Rougiroit de prétendre à l’honneur des Autels.

[Devises] §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 91-93.

Mr Magnin, Autheur de ces deux derniers Sonnets, a fait aussi deux Devises pour le Roy. Elles sont sur la Publication de la Tréve. L’une a pour corps le Soleil, qui au sortir des nuages darde ses rayons sur des Parterres. Ces mots luy servent d’ame, Reddit sua gaudia terris. Mr Magnin les a expliquez par ce Madrigal.

 Apres l’orage & les Tempestes,
 Cet Astre comme un Souverain,
 Vient d’un air brillant & serein
Renouveler le Champ & la Scene des Festes.
 Apres mille travaux guerriers,
Plus haut que la hauteur où sa gloire l’éleve,
LOUIS va faire naistre, en accordant la Tréve,
Les Mirtes amoureux à l’ombre des Lauriers.

Le Soleil dans son Midy fait le corps de la seconde Devise, dont ces paroles font l’ame.

Facit exiguas altissimus umbras.

Son élevation a fait cesser les ombres.
 Son immortelle clarté
 Regle la serénité ;
Ne craignons plus des jours sombres
 L’importune obscurité.

[Prix que l’Académie doit distribuer au mois d’Aoust prochain] §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 108-112.

L’Académie Françoise, qui ayant l’honneur d’avoir le Roy pour son Protecteur, n’a point de soin plus pressant que celui de s’attacher avec un zele respectueux, à tout ce qui peut contribuer à la gloire de cét auguste Monarque, a fait publier que le 25. jour d’Aoust de l’année prochaine, Elle donnera les Prix qu’Elle a accoûtumé de distribuer tous les deux ans, à ceux qui réüssissent le mieux dans les matieres qu’Elle propose pour un Discours d’Eloquence, & pour la Poësie Françoise. Le sujet du Discours d’Eloquence sera cette fois, suivant l’intention de Mr de Balzac, de la douceur de l’esprit, sur ces paroles du Sauveur du monde dans l’Evangile, Discite à me quia mitis sum, & humilis corde. Ce Discours dont le Prix sera un Crucifix, ou un Saint Loüis d’or, ne doit estre tout au plus que d’une demy-heure de lecture, & on est obligé de le finir par une courte Priere à Nostre Seigneur. Le sujet de la Poësie Françoise, suivant l’intention de ceux qui l’ont envoyé, sera la comparaison du Roy & d’Auguste, sur les paroles de Suetone, en la vie de cét Empereur. Loca, in urbe, publica, juris ambigui possessoribus adjudicavit. Le Roy a jugé contre luy mesme dans une affaire qui regardoit son Domaine ; & dans une recherche qui fut faite aussi du Domaine pour des Places de Rome, Auguste les ajugea à ceux qui en estoient en possession, si-tost que le droit luy parut douteux. On y pourra joindre tel autre sujet de loüange, que chacun voudra sur quelques actions particulieres de Sa Majesté, ou sur toutes ensemble, pourveu qu’on n’excede point cent Vers. Ils doivent finir par une courte Priere à Dieu pour le Roy, separée du corps de l’Ouvrage, & de telle mesure de Vers qui agréra le plus à l’Autheur. Ceux qui prétendront au Prix, doivent mettre leurs Ouvrages dans le dernier jour du mois de May prochain, entre les mains de Mr l’Abbé Regnier, Secretaire perpetuel de l’Académie Françoise, à l’Hostel de Créquy sur le Quay Malaquest, ou en son absence chez le Sr le Petit, Imprimeur du Roy & de l’Académie, Ruë Saint Jacques à la Croix d’or. On ne doit point y mettre de nom, mais seulement une marque ou paraphe, avec un Passage de l’Ecriture Sainte, qu’on écrira sur le Registre du Secretaire de l’Académie, & dont il délivrera son Recepissé au Porteur de chaque Ouvrage.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 112-113.

Vous devez estre contente de l'Air nouveau que je vous envoye, puis qu'il est d'un de nos plus sçavans Maistres.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Tout le monde me dit que j'abrége mes jours, doit regarder la page 113.
Tout le monde me dit que j'abrége mes jours,
Pour aimer trop Bacchus, pour aimer trop Sylvie ;
Cependant, malgré ces discours,
Avecque tous les deux je veux passer ma vie.
J'aime bien mieux contenter mes desirs,
Et vivre moins de huit ou dix annnées,
Que d'aller prolonger mes tristes destinées,
En me privant de ces charmans plaisirs.
images/1684-12_112.JPG

[Eglogue de Madame des Houlières] §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 114-121.

Voicy des Vers qui sont admirez de toute la Cour. Ils sont de Madame des Houlieres, c’est tout dire.

La Terre fatiguée, impuissante, inutile,
Préparoit à l’Hyver un triomphe facile.
Le Soleil sans éclat précipitant son cours,
Rendoit déja les nuits plus longues que les jours,
Quand la Bergere Iris de mille appas ornée,
Et malgré tant d’appas Amante infortunée,
Regardant les Buissons à demy dépoüillez ;
Vous, que mes pleurs, dit-elle, ont tant de fois moüillez,
De l’Automne en couroux ressentez les outrages,
Tombez, Feüilles, tombez, vous dont les noirs ombrages
Des plaisirs de Tircis faisoient les sûretez,
Et payez les chagrins que vous m’avez coûtez.
 Lieux toûjours opposez au bonheur de ma vie,
C’est icy qu’à l’Amour je me vis asservie.
Icy j’ay vû l’ingrat qui me tient sous ses loix ;
Icy j’ay soûpiré pour la premiere fois.
 Mais tandis que pour luy je craignois mes foiblesses,
Il appelloit son Chien, l’accabloit de caresses ;
Du desordre où j’estois loin de se prévaloir,
Le Cruel ne vit rien, ou ne voulut rien voir.
Il loüa mes Moutons, mon Habit, ma Houlete,
Il m’offrit de chanter un Air sur sa Musete ;
Il voulut m’enseigner quelle herbe va paissant
Pour reprendre sa force un Troupeau languissant ;
Ce que fait le Soleil des broüillars qu’il attire,
N’avoit-il rien, hélas ! de plus doux à me dire ?
 Depuis ce jour fatal que n’ay-je point souffert ?
L’absence, la raison, l’orgueil, rien ne me sert.
J’ay de nos vieux Pasteurs consulté le plus sage ;
J’ay mis tous ses conseils vainement en usage ;
De Victimes, d’Encens j’ay fatigué les Dieux ;
J’ay sur d’autres Bergers souvent tourné les yeux ;
Mais ny le jeune Atis, ny le tendre Philene,
Les délices, l’honneur des Rives de la Seine,
Dont le front fut cent fois de Mirthes couronné,
Sçavans en l’art de vaincre un courage obstiné,
Et que j’aidois moy-mesme à me rendre inconstante,
N’ont pû rompre un moment le charme qui m’enchante.
Encor serois-je heureuse en ce honteux lien,
Si ne pouvant m’aimer, mon Berger n’aimoit rien ;
Mais il aime à mes yeux une Beauté commune,
A posseder son cœur il borne sa fortune ;
C’est pour elle qu’il perd le soin de ses Troupeaux ;
Pour elle seulement résonnent ses Pipeaux ;
Et loin de se lasser des faveurs qu’il a d’elle,
Sa tendresse en reprend une force nouvelle.
 Bocages, de leurs feux uniques Confidens,
Bocages que je hays, vous sçavez si je mens.
Depuis que les beaux jours, à moy seule funestes,
D’un long & triste Hyver eurent chassé les refles,
Jusqu’à l’heureux débris de vos frêles beautez,
Quels jours ont-ils passez dans ces lieux écartez ?
Que n’y reprochiez-vous à l’Ingrat que j’adore,
Que malgré ses froideurs, hélas, je l’aime encore !
Que ne luy peigniez-vous ces mouvemens confus,
Ces tourmens, ces transports que vous avez tant vûs !
Que ne luy disiez-vous, pour tenter sa tendresse,
Que je sçay mieux aimer que luy, que sa Maîtresse !
Mais ma raison s’égare. Ah ! quels soins, quels secours
Dois-je attendre de vous, qui servez leurs amours ?
Les Dieux à mes malheurs seront plus secourables ;
L’Hyver aura pour moy des rigueurs favorables.
Il approche, & déja les fougueux Aquilons,
Par leur soufle glacé désolent nos Valons ;
La neige qui bien-tost couvrira la Prairie,
Retiendra les Troupeaux dans chaque Bergerie,
Et l’on ne verra plus sous vostre ombrage assis,
Ny l’heureuse Daphné, ny l’amoureux Tircis.
 Mais, hélas ! quel espoir me flate & me console ?
Avec rapidité le temps fuit & s’envole,
Et bientost le Printemps à mon ame odieux
Ramenera Tircis & Daphné dans ces lieux.
Feüilles, vous reviendrez, vous rendrez ces Bois sombres ;
Ils s’aimeront encor sous vos perfides ombres,
Et mes vives douleurs, & mes transports jaloux,
Pour mon ingrat Amant renaistront avec vous.

[Détails des Cerémonies faites au Mariage de Mad. La Princesse de Hanover] §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 136, 138-139, 150-154, 158-173, 168-174, 180-181.Voir aussi cet article pour la première relation de ce mariage.

 

Je vous ay déja parlé du Mariage de Mr le Prince Eléctoral de Brandebourg avec Madame la Princesse de Hanover. En voicy de plus amples circonstances. [...]

 

Madame la Princesse de Hanover est une Personne tres-aimable. [...] Pour de l’esprit, elle en a beaucoup, & une douceur fort engageante. Elle chante bien ; jouë du Clavessin, danse avec beaucoup de grace, & sçait ce que fort peu de Personnes sçavent dans un âge aussi-peu avancé que le sien. Elle eue justement seize ans accomplis le jour que se fit son Mariage.

 

[...] Le lendemain au matin Leurs Altesses passerent dans l’Appartement des Mariez, & leur souhaiterent d’heureux jours. [...] Ce jour & le jour suivant se passerent en jeux, en danses, & en Festes particulieres, jusqu’au Mardy 10. d’Octobre destiné pour l’entrée du Prince à Hanover, qui fut tres-bien ordonnées. Leurs Altesses trouverent dans la Plaine trois Regimens de Cavalerie, qui aprés avoir fait leur décharge, défilerent quatre à quatre, & tinrent la teste du Cortege. Les Ruës estoient abordées par les Regimens d’Infanterie de Podvvits & de Berhnolph, & les Gardes à pied occupoient la Court du Château, & les avenuës. Ensuite on voyoit vingt-quatre Chevaux de main de Mr le Duc de Hanover, avec des Couvertures magnifiques, menez par autant de Palfreniers ; puis douze Pages à cheval de Mr le Duc, avec les Ecuyers à deux teste, douze Chevaux de main de Mr le Prince Electoral, huit Pages de ce mesme Prince ; trente Carrosses à six Chevaux de la Cour de Hanover, vingt-trois autres à six Chevaux de Mr le Duc, dont il y en avoit six d’une tres-grande beauté ; trois du Prince Electoral, d’une magnificence extraordinaire ; surtout le dernier, dont l’Impériale, le dedans, aussi bien que le Siege du Cocher, & les Harnois des six Chevaux, sont d’un Velours dont le fond est d’argent, & les fleurs d’or. On y voit seulement un peu de Cramoisy en quelques endroits. Il est doré partout, & fort bien peint. Aprés cela paroissoient douze Trompettes de Mr le Duc de Hanover, & huit de Mr le Prince Electoral, qui remplissoient l’air d’une harmonie agreable, à laquelle répondoient les Trompettes des trois Regimens qui estoient postez dans la Plaine. [...]

 

Le Soupé fut servy. On n’y but aucune santé qui ne fut celebrée par trois coups de Canon, dont on avoit mis cinquante petites Piéces aux environs du Château. Le signal leur estoit donné par douze Trompettes, qui estoient postez sur les Galeries & sur les Balcons, & dans les intervales douze Violons & six Hautsbois charmoient par leurs doux accords toute cette auguste Compagnie. [...]

Aprés le Soupé, on se rendit dans une grande Salle, parée pour le Bal. Il commença par une Danse qu’on ne connoit point en France, & que l’on conserve en Allemagne par une vieille tradition. Six de la Cour de Hanover donnerent la main à six de Mr le Prince Electoral, tous un flambeau de cinq blanche à la main. Les Mariez se placerent au milieu, en sorte qu’il y en avoit six devant, & six derriere ; & commencerent la Dance. Il danserent à deux reprises. Mr le Duc vint prendre la place du Prince, & dansa comme luy. Ensuite Madame la Duchesse prit celle de Madame La Princesse Electorale ; le Prince de Hanover celle du Duc ; la Princesse, celle de la Duchesse ; & le Prince Charles, celle du Prince de Hanover. Il finit la Dance qui se fait au son des Trompettes, sans qu’il y ait aucun Violon qui joüe. Aprés cette Dance on commença un Bal à la Françoise.

[...] Le lendemain la plus grande partie de la journée s’estant passée en divertissemens, on prit celuy de la Comedie. L’Inconnu fut representé, avec un Balet entre les Actes, composé de vingt Entrées. Les Recits qui estoient à la loüange des Mariez, en furent chantez par les Musiciens de Mr le Duc de Hanover. [...] Le Soupé fut encore suivy du Bal. Le Vendredy 13. tous les Princes & Princesses firent l’honneur à Mr Podvvits Lieutenant Genéral, d’aller disner chez luy. Il y eut ce jour là deux petites Comédies, & le Bal estoit. Le Samedy ont joüa Britannicus, & le soir il y eut un tres-beau Feu d’artifice. [...]

 

Le Dimanche 15. on chanta le Te Deum dans l’Eglise du Château, & le soir les deux petits Princes avec les petits Seigneurs, & les jeunes Demoiselles de la Cour, danserent un Balet de douze Entrées, qui fut parfaitement bien executé, & qui attira l’applaudissement de toute la Compagnie. [...] L’apresdinée ont eut le plaisir de la Chasse au Sanglier dans la Cour du Château, [...] Ensuite les Princes & les Princesses se rendirent chez Mr de Groot, où l’on commença le Bal sur les six heures. Il fut interrompu par un Repas d’une propreté & d’une abondance surprenante. [...] On recommença le Bal aprés le Soupé. Le Mardy 17. se passa en jeu, & le soir on représenta Psyché, qui fut un spectacle tout charmant, tant pour la richesse & la beauté des habits, que pour la justesse des Machines. Aprés Soupé il y eut encore Bal. Mr le Baron de Platen, grand Maréchal, & Premier Ministre de Mr le Duc de Hanover, qui s’estoit reservé un jour pour régaler Leurs Altesses, s’en acquitta le Mercredy 18. avec une si grande profusion, & tant de délicatesse, qu’on n’eust pû rien ajoûter à la somptuosité de cette Festes. Lors qu’on fut au fruit, il y eut pendant une demy-heure une Fontaine d’Eau de Senteur au milieu de la Table des Princes. [...] Ce Repas finy, l’on passa dans celle de la Comédie, dont l’on diversifia les Entractes par de nouvelles Entrées. Après cela toute cette illustre Compagnie se rendit chez Madame Harling, Dame d’honneur de Madame la Duchesse, qui voulut régaler à son tour la Princesse Electorale, dont elle a toûjours eu la conduite. Elle donna un Souper très propre & très galant ; dans un Appartement séparé du Château, [...] Il y eut une fort jolie Mascarade de six Filles d’honneur de la Cour, & d’autant de Cavaliers deguisez en Paysans & en Paysanes, qui vinrent féliciter les Mariez, & les servirent à table. Leurs Dances rustiques succederent au Repas, & ne furent pas un des moindres divertissemens de cette journée. [...]

 

[...] j’ajoûteray le Portrait de Madame la Princesse de Hanover, Fille de Mr le Duc de Zell. [...] Elle dance parfaitement bien, jouë du Clavessin, & chante de mesme. [...]

L’Amour propre puny. Fable §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 182-190.

Avec tant de belles qualitez, il est assez difficile de se défendre de l’Amour propre. Cependant c’est un défaut qui est condamné, & dont vous allez voir la punition dans la Fable que je vous envoye. Elle est de Mr de la Barre de Tours, Capitaine au Regiment Royal.

L’AMOUR
PROPRE PUNY.
FABLE.

 Tel vaut peu, qui beaucoup se prise.
 Ce Proverbe est vray tres-souvent,
 Et tel vole au-dessus du vent,
Qu’on voit tomber bien bas, & qu’ensuite on méprise.
 Pour peu qu’on veüille m’écouter,
 En peu de mots je vay conter
 Ce que fit autrefois Mercure,
Et nous corrigerons ce Dieu, quoy qu’immortel.
 Qui, toy, chétive Creature,
 Me dira-t-on par avanture,
 Faut-il ainsi faire une injure
A cet Ambassadeur qui mérite un autel ?
Pourquoy non ? Quoy que grand, ne sçauroit-on mal faire ?
  Tout au contraire,
 Un Grand a plus de vanité.
Plus on est élevé dans un degré supréme,
  Plus l’on est entêté
  De l’amour de soy-mesme ;
 Vous en allez sçavoir la vérité.
***
  Ce Messager Celeste
 Croyoit valoir luy seul mieux que le reste
  De tous les autres Dieux
 Qui sont les Habitans des Cieux.
 Il n’en exceptoit pas son Pere
Jupiter, dont le Foudre étonne les Humains.
Quand il avoit sa Verge à Serpens dans les mains,
 Ses Talonnieres, sa Testiere,
  Il venoit icy-bas
  Gober maint Sacrifice ;
Et sous ombre souvent d’établir la Justice,
Il causoit par ses vols de terribles fracas,
Il faisoit mille tours, sans en avoir de honte,
Estoit Excroc, Menteur, Fourbe ; du reste, Dieu,
Adroit, s’il en étoit dans le Céleste Lieu,
 Mais cecy n’est pas de mon Conte.
***
Il croyoit donc valoir autant que Jupiter,
 Dont il tenoit naissance & Caducée ;
  Et sa pensée
Estoit qu’il valoit mieux que le Dieu de l’Enfer,
 Et mesme que le Dieu de l’Onde.
Il les traitoit tous deux comme Faquins du Monde.
 Le Dieu de la Guerre & du Fer,
 Mars, à son gré n’étoit qu’un Drille ;
Saturne un Sot, avec sa Faux ou sa Faucille ;
Cupidon un Enfant, n’aimant que la vetille ;
  Atlas un vieux Bouquin ;
Momus un Fou, quoy que d’humeur gentille ;
  Et le boiteux Vulcain
Son demy Frere, avecque sa Bequille,
 Estoit traité de Cocu, de Coquin.
 Vénus n’estoit qu’une Coureuse ;
Iunon, sa Belle-Mere, une Capricieuse.
Minerve, avec ses Arts, son Dard, son Brodequin,
N’estoit qu’une Brutale, ou qu’une Précieuse.
Enfin luy seul estoit un Dieu parfait,
 Brave, puissant, poly, bien fait,
 Payant d’esprit comme de mine.
Un jour refléchissant sur la grandeur divine,
Et sur les beaux talens dont il estoit pourvû
(Non pour se détromper de son humeur peu sage,
 Dont son orgueil le rendoit prévenu,
Mais pour s’y confirmer encore davantage)
 Un beau jour, dis-je, nostre Dieu
 Partit du Ciel sans dire adieu,
 Et prenant une forme humaine,
 Va dans Thebes, & s’y promene.
 Précisément je ne vous diray pas
 Si Thébes fut le lieu de l’Avanture ;
 La circonstance est de fort peu de cas.
 Quoy qu’il en soit, le Dieu Mercure
S’estant bien promené, feignit d’estre un peu las,
  Ou-bien d’avoir affaire
 Dans la Maison d’un Statuaire.
Mon Amy, luy dit-il, je suis un Curieux,
Qui voudrois acheter les Images des Dieux ;
N’auriez-vous point icy dequoy me satisfaire ?
 J’ay vostre fait, dit l’Ouvrier,
Et de l’autre costé vous en pourrez trier,
 Si vous voulez me suivre.
 L’Amy, gagnez-vous dequoy vivre ?
 Trouvez-vous bon vostre Métier ?
Le temps ne vaut plus rien, Monsieur, je vous proteste,
Dit l’Ouvrier, comme estant hors de soy ;
 Et le jour & la nuit je peste
 Contre mon malheureux Employ.
Le Marchand vient assez visiter ma Boutique,
 Mais au Diable l’un qui prend rien.
 Si vous estes Homme de bien,
 Je demande vostre pratique ;
Aussi-bien, par ma foy, vous iriez loin d’icy,
 Pour trouver mieux que tout cecy.
 Soit, je le veux. Bon, grand-mercy ;
Combien de Iupiter vendez-vous la Figure ?
 Je vous la vendray six Ducats.
Celle de Iunon ? Six. Et celle de Mercure ?
 A vous je ne regarde pas ;
 Si de Ducats vous donnez la douzaine
 Pour Iunon & pour Iupiter,
Mercure ira pour rien ; il ne vaut pas la peine
  De disputer.
Qui fut bien sot, ce fut le Dieu de l’Ambassade,
 De voir qu’on l’estimoit si peu.
 Il en devint plus rouge que du feu,
Et dit en tranchant court, adieu, mon Camarade.
***
 L’Univers est plein aujourd’huy
 De Gens de pareille nature ;
 Et s’ils faisoient comme Mercure,
Sans peine ils connoistroient qu’ils valent moins que luy.

[Devises pour Madame la Dauphine] §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 190-191.

En vous envoyant ce que vous avez veu de Mr Magnin au commencement de cette Lettre, j’ay oublié d’y ajoûter la Devise qu’il a faite pour Madame la Dauphine. Le Corps est une Grénade ouverte, qui montre plusieurs grains. Le mot, Spes quanta Coronis ! Il est expliqué par ce Madrigal.

  Que de Testes Couronnées
  Elle va faire germer !
 France, cesse de t’alarmer
De voir finir des Lys les grandes destinées.
Nostre auguste Dauphine a sçû les confirmer.
 Que de Testes Couronnées
 Elle va faire germer !

[Devises pour Mr le Comte de Toulouse] §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 191-197.

Voicy plusieurs autres Devises pour Mr le Comte de Toulouse, Grand Amiral de France. Elles sont de Mr Bordelon de Bourges.

I. Un Mole, espece de Fortification faite pour commander sur la Mer. Surgit ad Imperium Pelagi. Pour faire connoistre le pouvoir de Mr le Comte de Toulouse sur la Mer, en qualité de Grand Amiral de France.

II. Un Croissant éclairé du Soleil, & au dessus de la Mer. Solis ab aspectu ponto imperat. Pour montrer que c’est du Roy que Mr le Comte de Toulouse a reçeu l’empire qu’il exerce sur les Mers.

III. Un Rocher au milieu de la Mer, & batu des flots. Rumpo irrumpentes. Pour faire voir combien Mr le Comte de Toulouse est à craindre sur les Mers.

IV. Scylla au milieu de la Mer, représentée avec la beauté que luy donne Virgile, & en mesme temps avec ces Chiens effroyables autour d’elle, qui inspirent la terreur à tous ceux qui en osent approcher. Et placet, & terret. Cela nous apprend que si Mr le Comte de Toulouse est agreable par sa beauté, il n’est pas moins terrible par la frayeur qu’il inspire sur la Mer aux Ennemis de la France.

V. Un Vent renversant d’un coup de flot une haute & belle Pyramide qui estoit élevée sur le bord de la Mer. Ponto assurgentem, ponto proruam. Si Génes s’éleve avec orgueil sur le bord de la Mer, Mr le Comte de Toulouse se servira de la mesme Mer, par le moyen des Vaisseaux du Roy, pour détruire entiérement cette superbe Ville.

VI. Un grand Vaisseau que l’on bâtit sur le bord de la Mer. Et me olim orbis uterque videbit. Cela marque l’espérance que donne Mr le Comte de Toulouse de ce qu’il fera lors qu’il aura atteint un âge parfait.

VII. Neptune qui paroist au dessus d’une Mer agitée pour l’apaiser. Meum est motos componere fluctus. La paix sur la Mer dépend de Mr le Comte de Toulouse, en qualité de Grand Amiral de France.

VIII. Le mesme Neptune au milieu de la Mer. Tua Nautæ numina sola colent. Un jour on ne reconnoistra sur la Mer que la puissance que Mr le Comte de Toulouse a reçeuë du Roy, en qualité de Grand Amiral de France.

Mr de Santeüil, Chanoine Régulier de S. Victor, ne s’est pas teu sur les Affaires du temps. Il a fait une Devise, dont le corps est un Soleil, qui forme un Ciel serein d’un costé, & un orage de l’autre ; avec ces mots,

Hinc fulminat, inde serenat.

Mr Diéreville les a expliquez par ce Madrigal.

L’astre que tous les jours nous voyons sur nos testes
 Commencer & finir son cours,
 Nous donne souvent de beaux jours,
Lors qu’il excite ailleurs de terribles tempestes.
 LOUIS, le plus grand des Héros,
 Fait comme luy dessus la terre ;
Il donne d’un côté la douceur du repos,
Et de l’autre il est prest de lancer son Tonnerre.
Trop superbes Génois, redoutez-en les coups,
 Vous l’allez voir tomber sur vous.

[Autres devises] §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 197-201.

Je ne sçaurois mieux finir cet Article de Devises, que par celle qui a esté faite sur la bravoure de Mr de Relingue, qui avec un seul Vaisseau a batu les trente-six Galeres d’Espagne & de Génes, & s’est retiré vainqueur. Cette Action que la Postérité pourra prendre pour une Fable, est si vraye, que les Incrédules mesme n’en douteront point, quand ils apprendront que les Génois l’avoüent dans toute son étenduë ; ce qu’ils viennent de faire, en faisant arrester quelques Officiers de leurs Galeres, qu’ils accusent de n’avoir pas fait ce qu’ils devoient dans l’occasion de ce Combat. Cette Devise qui est de Mr Rault de Roüen, a pour Corps un Rocher au milieu de la Mer, attaqué des flots, des vents, des tempêtes, & des orages, & pour ainsi dire, de Neptune mesme ; mais il n’en peut estre ébranlé. Ces mots, Vt stat Marpesia cautes, luy servent d’ame. Ils sont tirez du 6. Livre de l’Enéide, & expliquez par ces Vers.

La Mer est en couroux, & la tempeste gronde ;
Elle appelle les Vents, pour soûtenir les flots ;
Et preste d’engloutir Vaisseaux & Matelots,
Elle attaque un Rocher, qui se rit de son onde.
***
Du dépit qu’elle en a, sa vague s’enfle & bruit,
Et contre ce Rocher vient vomir son écume ;
Mais estant toûjours ferme & stable à sa coûtume,
La Mer voit son couroux & son orgueil détruit.
***
Ainsi les fiers Génois, pour vanger leurs miseres,
S’apprestent à donner un furieux Combat ;
De Relingues les voit, les attend, & les bat,
Et retourne Vainqueur de trente six Galeres.
***
Apprenez, apprenez que sous le Grand LOUIS,
Quand on a l’Etendart & les Armes de France,
On en vient au Combat avec plus d’assurance,
Et que souvent on fait des Exploits inoüis.

[Mariage de Mr le Marquis de La Fare, & de Mademoiselle de Vantelet] §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 201-203, 210-213.

 

Sur la fin du dernier mois, Mr le Marquis de la Fare préta le Serment de fidélité pour la Charge de Capitaine des Gardes du Corps de Monsieur, dont il reçût le Bâton. [...] Quelques jours auparavant, il avoit épousé Mademoiselle de Vantelet. Vous sçavez déja que les premieres propositions de ce Mariage furent faites par Son Altesse Royale, & que Sa Majesté les agréa avec des marques d’estime tres obligeantes pour les deux Parties. [...] le Mariage fut celébré le Lundy 13. de Novembre à quatre heures du matin, dans la Chapelle de l’Hostel d’Armagnac, qui estoit magnifiquement meublé, [...] Cette Cerémonie fut précedée d’un grand Soupé, au bruit des Hautbois & des Violons, & en suite il y eut Balet. [...]

 

Je viens à Mademoiselle de Vantelet, présentement Marquise de la Fare. Mais, Madame, que vous en diray-je, ou plutost que ne vous en diray-je pas ? Jamais aucune personne dans un âge si peu avancé, n’est entrée au monde avec une estime & une approbation si genérale. [...] Elle sçait l’Italien, jouë fort bien du Clavessin, & dance parfaitement, & avec une grace merveilleuse. [...] Ceux qui la connoissent un peu particuliérement, luy trouvent une finesse d’esprit que l’on auroit peine à croire, de délicatesse de sentimens dont rien n’approche, & une sagesse dans sa conduite qui dément son âge. [...]

[M. Thevenot est nommé Garde de la Bibliothèque du Roy] §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 223-224.

Mr Thevenot a esté choisy pour remplir la place de Mr Varése, qui estoit Garde de la Bibliotéque du Roy. C’est un Homme d’un mérite distingué, qui a eu plusieurs Emplois dans les Païs Etrangers où il a voyagé, ce qui luy a donné la connoissance de plusieurs Langues, & particuliérement des Orientales. Il a donné au Public plusieurs Relations pleines de recherches singulieres.

[Sonnets] §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 224-228.

Je vous envoye deux Sonnets sur les Bouts-rimez qui courent. Le premier est d’un Homme extrémement estimé, & dont le sentiment est suivy par tous ceux qui se détachent assez de l’amour propre, pour le rendre Juge de leurs Ouvrages.

Ouy, je le dis par tout, & le dis omnibus,
Et je ne pense pas que personne s’en fâche ;
Quiconque aime une fois, doit aimer sans relâche,
Sans jamais s’attacher duabus ny tribus.
***
Qui veut faire autrement, passera pour un lâche,
Fust-il brave d’ailleurs, & fust-il’un Phœbus
Par ses beaux cheveux blonds, s’il n’a quelque quibus,
Il aura faim long-temps, sans qu’on luy dise, mâche.
***
De plus, il faut qu’il soit soûmis, accort ; Item,
Qu’il ne soit guére absent, c’est-là le Tu autem ;
Que dans ses passions on ne compte point l’ire.
***
Que sans cesse à la bouche il ait le verbe amo,
Pour le dire à sa Belle, ou qu’il luy fasse lire
Dans des Billets écrits d’un galant calamo.

Une Personne des plus Coquetes, ayant envoyé les mesmes Bouts-rimez à un de ses Amis, voicy de quelle maniere il les remplit.

Il est vray, ma Philis, que tu plais omnibus.
Tu n’as que trop d’Amans ; & c’est ce qui me fâche.
De mes Rivaux chez toy la foule est sans relâche.
Trop heureux si leur nombre estoit borné tribus !
***
Pour s’en accommoder, il faudroit estre un lâche,
Sur tout de ton Abbé, parlant toûjours Phœbus ;
Et de vingt autres Sots, graces au Ciel, quibus
Je dis les véritez, & jamais ne les mâche.
***
Donc, si tu veux de moy, faisons plus d’un Item.
Je seray toûjours tendre & constant ; tu autem
Pour tout autre que moy tu n’auras que de l’ire.
***
A ces conditions je dis encore amo.
Voila mes sentimens, Philis, tu les peux lire,
Et me marquer les tiens voce, vel calamo.

[Prise-de-Possession de l’Abbaïe de Vauluisant, pour M. l’Abbé le Tellier] §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 228-234.

 

Le Vendredy 24. du dernier mois, Mr Boileau, Docteur de la Faculté & Societé de Sorbonne, Doyen de l’Eglise Métropolitaine de Sens, assisté de Mr Vezou, Lieutenant Genéral de la mesme Ville, de Mr Jamard, Avocat au Parlement, & de plusieurs Gentilshommes ; prit possession de l’Abbaïe de Nostre-Dame de Vauluisant, Diocese de Sens, pour Mr l’Abbé le Tellier, Fils de Mr le Marquis de Louvoys, Ministre d’Etat, pourvû par Sa Majesté de cette Abbaïe. Jamais Prise-de-possession n’avoit esté si solemnelle & si magnifique, tous les Religieux de cette grande Abbaïe, l’une des plus belles de l’Ordre de S. Bernard, ayant voulu témoigner leur joye, d’avoir un Abbé d’un si grand nom. Le Pere Prieur estant averty de l’arrivée de Mr Boileau, alla en ses Habits de Cerémonie, le recevoit dans la Basse-Court, à la descente du Carrosse, & le mena au pied du Grand Autel de l’Eglise, qui est tres-superbe. Toute la Communauté s’y estant rendüe, Mr Boileau, avec ceux qui l’accompagnoient, furent conduits à la grande Porte, où un Notaire Apostolique luy présenta les Bulles obtenües pour cette Abbaïe, & la Procuration de Mr l’Abbé le Tellier, apres quoy le Pere Prieur s’estant avancé ; suivy de tous ses Religieux, Mr Boileau leur fit un petit Discours sur l’avantage qu’il avoit d’estre chargé de la Procuration de Mr leur Abbé, qui ne feroit pas moins d’honneur à leur Maison, que Mr le Chancelier son Ayeül, & Mr de Louvoys son Pere, en faisoient à toute la France. Vous serez aisément persuadée qu’il ne dit rien qui ne fust remply d’esprit, si vous songez qu’il est Frere de Mr Despreaux, dont la réputation est si connüe. Le Pere Prieur, répondit pour toute la Communauté, [...] Le Notaire Apostolique ayant repris la Procuration & les Bulles, présenta de l’Eau Beniste à Mr Boisleau, que l’on conduisit au grand Autel qu’il baisa. Ensuite il alla sonner la grosse Cloche, & fut instalé dans toutes les Places de Mr l’Abbé. Il se mit à genoux dans la derniere, & on chanta le Veni Creator, & le Te Deum avec l’Orgue, & au son de toutes les Cloches, ce qui fut suivy des Prieres pour le Roy. Cela fait, le Notaire Apostolique fit la lecture des Bulles & de la Procuration, & déclara à haute & intelligible voix, qu’il installoit & mettoit en possession de l’Abbaye de Nostre-Dame de Vauluisant, Messire Jacques Boisleau, pour & au nom de Messire Camille le Tellier. La Cerémonie se termina par un Disné magnifique, que le Pere Prieur donna à Mr Boisleau, à Mr Vezou, Lieutenant Genéral, & à plusieurs Gentilshommes, qui estoient venus de toutes parts pour en estre les témoins.

[Dispute pour la Chaire Grécque de l’Université de Caen] §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 239-249.

La Dispute de l’Université de Caen pour la Chaire Grecque, se fit le 8. de ce mois en présence d’une trés-grande Assemblée. Mr l’Intendant y assista. Elle fut ouverte par une Harangue Latine que Mr Verrier, Professeur d’Eloquence au College des Arts, & Doyen de la Faculté, & Mr Lair, Professeur au College du Bois, prononcerent alternativement sur les loüanges de Sa Majesté, qui a voulu qu’on dispute cette Place, & que la préférence en soit accordée au seul mérite. L’un & l’autre pour donner des marques de leur capacité en cette science, traduisirent à l’ouverture des Livres, plusieurs Autheurs Grecs trés-difficiles, & entr’autres Homére, Theocrite, la Bible, &c. Ils firent ensuite chacun une composition Grecque sur le champ, & satisfirent aux Questions les plus épineuses de cette Langue. Tous les Professeurs de l’Université se trouverent à cette Action, dont ils sont les Juges. Mr l’Abbé de Saint Martin, Seigneur de la Mare du Desert, connu dans toute la France, par les Ouvrages qu’il a donnez au Public, s’y seroit aussi trouvé pour y donner son sufrage comme les autres Docteurs de Theologie, si son indisposition ordinaire ne l’en avoit empesché. Il est trés-sçavant dans la Langue Grecque, & il l’a fait voir par son Livre du Respect dû aux Eglises & aux Prêtres, qui est remply de quantité de passages des Peres Grecs. Les Professeurs de cette Université devoient s’assembler quelques jours aprés, afin de dresser leur Procés Verbal, de tout ce qui s’est passé dans la Dispute. Ensuite ils l’envoyeront à Mr de Châteauneuf, Secretaire d’Etat, qui en instruira Sa Majesté, & sur leur rapport Elle choisira un des Aspirans.

Aprés avoir satisfait vostre curiosité dans une de mes Lettres, touchant la Religion & les Coûtumes des Habitans du Royaume de Siam, & vous avoir parlé dans la suivante de l’Audience donnée par Mr le Marquis de Seignelay aux Envoyez du Prince qui le gouverne, je dois vous apprendre tout ce qui s’est passé à l’égard de ces mesmes Envoyez, depuis qu’ils sont à Paris. Mais avant que d’entrer dans ce détail, j’en ay un autre fort curieux à vous faire, qui vous plaira d’autant plus, qu’il vous fera connoistre de quelle maniere a pris naissance la haute estime que le Roy de Siam a conceuë pour Sa Majesté. Les Missionnaires qui n’ont que le seul Salut des Ames pour but dans toutes les peines qu’ils se donnent, s’étant établis à Siam, ils y gagnerent en peu de temps l’affection de tous les Peuples. L’employ de ces Ames toutes charitables, n’étoit, & n’est encore aujourd’huy, que de faire du bien. Comme en partant de France ils s’estoient munis de quantité de Remedes, & qu’ils avoient avec eux Medecins, Chirurgiens & Apoticaires, ils soulageoient les Malades, jusque-là mesmes qu’ils avoient des Hommes qui avec des Paniers pleins de ces Remedes, alloient dans toutes les Ruës de Siam, criant que tous ceux qui avoient quelques maux, de quelque nature qu’ils pussent estre, n’avoient qu’à les faire entrer chez eux, & qu’ils les soulageroient sans prendre d’argent. En effet, bien loin d’en exiger des Malades, ils en donnoient fort souvent à ceux qui leur paroissoient en avoir besoin, & tâchoient de les consoler dans leurs miseres. Des manieres si obligeantes, & si desintéressées, gagnerent bien-tost l’esprit des Peuples, & servirent beaucoup à l’accroissement de la Religion Catholique. Le Roy de Siam en ayant esté instruit, & ne pouvant qu’à peine le croire, voulut sçavoir à fonds qui estoient ceux dont ses Sujets recevoient de si grands soulagemens. Ce Monarque a commencé à regner dés l’âge de huit ans, & en a presentement environ cinquante. C’est un Prince qui voit, & qui entend tout, & qui examine long-temps, & meurement les choses, avant que de porter son jugement, comme vous le connoistrez par la suite de cét Article. Il dit aux Missionnaires, Qu’il estoit surpris de voir que de tant de Gens de diférentes Nations qu’il voyoit dans ses Etats, ils estoient les seuls qui ne cherchoient point à trafiquer. Il leur demanda où ils prenoient l’argent qu’il falloit qu’ils dépensassent pour leur subsistance, & pour leurs remedes. Ils luy répondirent que cét argent leur venoit des Missions de France, & des charitez que plusieurs Particuliers faisoient pour leur estre envoyées. Ce Monarque fut extrémement surpris de voir que des Peuples éloignez de six mille lieües, contribuoient par leurs largesses au soulagement de ses Sujets, & que ceux du plus grand Monarque de l’Europe, venoient de si loin par un pur motif de pieté, & qu’au lieu que les Peuples des autres Nations, se donnoient de la peine pour gagner par leur trafic, les François en prenoient pour dépenser, dans le seul dessein de travailler à la gloire du Dieu qu’ils adoroient.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 311-312.

Je vous envoye un second Air nouveau qui ne vous plaira pas moins que le premier.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Les Tambours & les Trompetes, doit regarder la page 312.
Les Tambours & les Trompetes
Doivent ceder à nos Musetes.
LOUIS triomphe dans ces Lieux ;
C'est assez qu'un Héros protege nos Houletes,
Pour goûter en repos les plaisirs amoureux.
Il ne nous manque rien, Iris, pour estre heureux.
La Saison nous offre à tous deux
Mille douceurs parfaites.
Ne perdons pas un temps si précieux.
Les Tambours & les Trompetes
Doivent ceder à nos Musetes.
LOUIS triomphe dans ces Lieux.
images/1684-12_311.JPG

[Livres Nouveaux] §

Mercure galant, décembre 1684 [tome 14], p. 317-319.

 

Le choix que le Roy a fait de Roland pour le sujet du nouvel Opéra que Mr de Lully prépare, a inspiré à Mademoiselle Girault le dessein de mettre l’Arioste dans un jour qui laisse voir tout ce qu’il a d’agreable, sans en découvrir les endroits trop libres. Ainsi puis que cet Opéra qu’on attend, va faire entrer l’Arioste dans le commerce du grand monde, il ne faut pas qu’il y paroisse en vieux Libertin ; il effaroucheroit les Dames, au lieu de les divertir. C’est ce qui a obligé Mademoiselle Girault d’adoucir ce qui luy a paru de trop outré, en conservant neanmoins le sens de l’Autheur, autant que la bienséance l’a pû permettre. Cette spirituelle Personne a crû aussi qu’on pouvoit suprimer les choses Saintes, & leur donner un autre tour, ne les trouvant pas bien placées dans un Ouvrage d’un caractere si libre. Elle a retranché quelques endroits languissans & ennuyeux, l’Arioste ayant dans sa Langue naturelle certaines beautez, qui passeroient dans la nostre pour de grands defauts. Cette nouvelle Traduction de Roland le furieux, que vos Amies seront peut-estre bien aises de voir, à l’occasion de l’Opéra, se trouve chez le Sr Guignard, à l’entrée de la grande Salle du Palais, à l’Image Saint Jean.

Le Sr de Luyne, qui a donné depuis quelques mois un grand nombre de Livres nouveaux au Public, en vend un présentement intitulé Agiatis, Reyne de Sparte, ou les Guerres Civiles des Lacédemoniens sous les Roys Agis & Leonidas. L’Autheur de cet Ouvrage estimé de plusieurs Personnes d’un bon goust, en a fait plusieurs autres qui ont eu de grands succés. C’est à luy que nous devons les cinq derniers Tomes de Pharamond, qu’il voulut bien se donner la peine d’achever apres la mort de Mr de la Calprenede. Le même Libraire vend un autre Livre nouveau, qui a pour titre, Les Regles de la Poësie Françoise. Elles sont tres-nettement expliquées, & peuvent estre d’une grande utilité pour ceux qui n’en ont pas une entiere connoissance.

Le Sr Blageart continüe à debiter d’agreables Nouveautez, & en promet une dans cinq ou six jours, dont le titre seul luy doit attirer tous les Curieux. Ce titre est Le Seraskier Bacha. C’est une Historiete meslée d’incidens qui sont ménagez avec beaucoup de conduite, & écrits d’un stile aisé. Vous y trouverez toute la vie du fameux Zouglan, élevé à la Charge de Seraskier, qui estoit éteinte chez les Turcs il y a déja plusieurs années, jusqu’à la Levée du Siége de Bude, dont elle contient les particularitez les plus remarquables. Cette galante Nouvelle est de l’Autheur du Grand Vizir, & de l’Illustre Génoise, dont vous me mandez que la lecture vous a si bien diverty.

Les diférens Caracteres de l’Amour, où celuy d’Inclination est si vivement dépeint, & que débite le mesme Blageart, ont reçû icy des plus difficiles Connoisseurs l’approbation que vous leur donnez. Tout le monde y reconnoist ce genre d’écrire naturel & fin, qui est particulier à Messieurs de l’Académie Françoise.