1685

Mercure galant, février 1685 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1685 [tome 2].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, février 1685 [tome 2]. §

[Prélude] §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 1-2

 

On vous a dit vray, Madame. Ce sont tous les jours Divertissemens nouveaux à Versailles. Les Apartemens, le Bal, l'Opéra & la Comédie, sont des plaisirs que l'on y fait succeder les uns aux autres, & tout y est digne de la majesté du Lieu ; mais ce qui vous surprendra, c'est que pendant que toute la Cour se divertit, le Roy que les longs Conseils où il est incessamment, devroient avoir rebuté, prend encore ce temps pour travailler en particulier, tant il a soin de répondre aux intentions du Ciel, qui ne l'a mis dans le Trône, qu'afin qu'en veillant au bien de ses Peuples, il portast la France dans le haut degré de gloire où nous la voyons. [...]

La France au Roy, sur l’Extirpation de l’Herésie §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 17-31

Mr le Président de Maisons son Pere, Surintendant des Finances, en celuy-cy. Il semble que Mr le Chevalier de Longueil ait voulu imiter dans ces Vers le zéle de Christophe de Longueil, le plus celébre Orateur Latin, que la France ait eu jusques à luy, lequel déclama dans l’Eglise de S. Pierre, en presence du Pape Leon X. cette éloquente Oraison, qu’il avoit composée contre l’Herésie de Luther alors naissante, & qui se trouve dans ses Ouvrages.

LA FRANCE
AU ROY,
SUR L’EXTIRPATION
DE L’HERESIE.

Grand Roy, qui dans l’Eglise avez le Droit d’Aînesse,
Et dans ses saintes Loix puisez vostre sagesse,
Pour régir des François l’Empire glorieux,
Qu’a signalé la Foy de vos premiers Ayeux ;
Cher Prince, à qui le Ciel a donné ma Couronne,
Pour tenir en vos mains tous les ordres qu’il donne,
Rétablir des Autels les honneurs méprisez,
Réunir tant de cœurs si long-temps divisez,
Et pour rendre à mes Lys cette pure innocence,
Qu’ils reçûrent du lieu de leur sainte naissance.
 Apres m’avoir portée à ce haut point d’honneur,
Qui refléchit sur moy vostre propre Grandeur ;
M’avoir donné du Rhin la Barriere fameuse,
Fait couler sous mes Loix, & l’Escaut, & la Meuse ;
Avoir pour le Commerce ouvert de nouveaux Ports,
De l’Inde & du Couchant attiré les trésors ;
Et pour joindre les Mers, prodiguant les miracles,
Des Rochers & des Eaux forcé tous les obstacles ;
Apres m’avoir donné, par le secours des Arts,
De superbes Palais, & de fameux Ramparts,
Et par tant de travaux, qu’en tous lieux on renomme,
Fait voir qu’estre François, c’est estre plus qu’un Homme ;
Par un ressentiment digne de vos bienfaits,
Je viens du Monde entier vous offrir les respects,
Et donner pour Garans de ma reconnoissance,
Les cœurs de vos Sujets, & mon obeïssance.
De mesme que la Terre au retour du Printemps
Découvre de ses Fleurs les Rubis éclatans,
Et pour en faire hommage au Roy de la Nature,
Semble luy présenter la naissante verdure ;
Telle, & plus redevable à vos soins glorieux,
J’étale mon bonheur & ma pompe à vos yeux.
 Mais le Ciel a voulu qu’à de plus nobles marques
Vous fussiez reconnu le plus grand des Monarques,
Et qu’un pieux Héros dans la prospérité,
Travaillant sans relâche à l’immortalité,
Extirpast l’Herésie, & coupant ses racines,
Enfin d’avec mes Lys séparast les Epines.
Depuis un siécle, ou plus, mes Peuples vos Sujets,
Ont pour ce grand dessein formé de vains projets.
Les Charles, les Henrys, & vostre auguste Pere,
Ont combatu ce Monstre, & n’ont pû le défaire ;
Et l’Univers connoist, sans en estre jaloux,
Qu’il n’estoit réservé qu’à vos illustres coups.
Quel spectacle de voir mon Roy couvert de gloire,
Faire de Constantin revivre la mémoire,
Elever comme luy l’Etendart de la Croix,
Faire regner celuy qui fait regner les Roys,
Contre ses Ennemis prendre en main sa querelle,
Et vanger en Chrétien son Eglise fidelle !
Ouy, Dieu mesme jaloux de ses propres honneurs.
S’est fait en tous les temps de pieux Défenseurs ;
Luy-mesme a soûtenu le cœur des Macabées,
Pour vaincre d’un Tyran les nombreuses Armées ;
Et l’heureuse valeur du Berger d’Israël,
Pour délivrer les Juifs, fut l’ouvrage du Ciel.
Vostre tour est venu, Grand Prince, il vous appelle,
Pour estre l’Héritier de leur gloire immortelle.
 O que j’aime à vous voir, épris de cette ardeur,
Chercher tous les moyens de dissiper l’erreur ;
Du fameux Bossüet emprunter l’éloquence,
Et du juste Tellier consulter la prudence ;
Exciter Chanvallon, dont la sainte ferveur,
D’Aurele & d’Augustin imitant la douceur,
Propose du Clergé la Lettre Pastorale,
Pour attirer les cœurs que retient la Cabale,
Et joindre à leurs travaux la libéralité,
La majesté des Loix, l’exemple, & l’équité ;
Des Nouveaux-Convertis soûtenir l’indigence,
Et punir des Relaps l’odieuse inconstance !
D’un sage & puissant Roy salutaire rigueur,
Qui détermine au Bien la liberté du cœur !
 Mais quoy ! doit-on ainsi nommer vostre justice,
Qui pardonne à tous ceux qui renoncent au vice ?
Elle qui n’interdit les emplois glorieux
Que jusques au moment que l’Homme ouvre les yeux.
Quand par vostre bonté, dont elle est prévenuë,
De ceux qui la craignoient le nombre diminuë ;
Lors que vous adoptez ces genéreux Enfans,
Dont les Peres, sans vous, deviendroient les Tyrans ;
Ou quand vos soins heureux, cherchant avec tendresse
Ceux que la Grace touche, & la Verité presse,
Font voir avec éclat d’illustres Déserteurs,
Ministres de Satan, abjurer leurs erreurs.
 Puisse du Grand LOUIS l’infatigable zéle
Aux Héros à venir estre un parfait modelle ;
Ou si de l’imiter on tâche vainement,
Que du moins on l’admire avec étonnement,
Dans le désir de voir réunis à l’Eglise
Les cœurs de ses Sujets, que le Schisme divise,
S’estimer fortuné, si de son Bras un jour,
Il payoit la valeur de cet heureux retour.
Mais formez d’autres vœux, Prince trop magnanime,
Le Ciel ne veut de vous qu’un tribut légitime.
Gardez ce Bras vainqueur, que craint tout l’Univers,
Pour punir les Mechans, & leur donner des fers.
Ce Bras, par qui la Foy de ses droits resaisie,
A jusque dans Strasbourg détrôné l’Herésie ;
Et qui pour la détruire en ses Retranchemens,
Renverse d’un signal ses plus chers monumens.
Pour fuir vostre justice, où se cachera-t-elle ?
Le fameux Montauban, l’orgueilleuse Rochelle,
Nismes & Montpellier, avec tant d’autres Lieux,
Où l’audace Herétique a bravé vos Ayeux,
Ont vû tomber les Murs qui luy servoient d’azile.
L’Anglois, qui la soûtint, luy devient inutile.
L’Union d’Allemagne & de ses Novateurs
Est le Phantôme vain de nos Réformateurs,
Et leur ambition clairement découverte,
En faveur de l’Etat doit avancer leur perte.
Sans répandre leur sang, vous sçavez m’en vanger ;
Vous les traitez en Pere, & l’on les voit changer ;
Mais pour les cœurs d’airain ayez moins de clémence.
De cet illustre Grec imitez la prudence,
Qui ne pouvoit souffrir le dernier Rejetton
Qui pust de Troye un jour ressusciter le nom,
Et ranger sur les Grecs la honte de l’Asie.
Vous connoissez, Grand Roy, ce que peut l’Herésie ;
Cet Hydre renaissant, de mon sang alteré,
Monstre des cœurs séduits follement revéré.
 Et vous, Sujets ingrats, rebelles Herétiques,
Que j’ay vûs les Autheurs des miseres publiques,
Volontaires Proscrits, ambitieux Titans,
Nourris du mesme lait de mes plus chers Enfans ;
De quel Démon poussez, de quelle barbarie,
Avez-vous déchiré le sein de la Patrie ?
Mes Fleuves teints de sang, & mes Roys méprisez,
Les Temples mis en cendre, & les Autels brisez,
Sont les affreux effets de ces tristes journées,
Où j’ay vû ma fortune & ma gloire bornées,
Quand l’erreur populaire infectant les grands cœurs,
De mes propres Héros faisoit ses Protecteurs.
Dreux, S. Denis, Jarnac, sont les témoins fidelles
Des premieres horreurs de ces Guerres cruelles,
Où j’ay, quand vostre fer ne me respectoit plus,
Couronné les Vainqueurs, & pleuré les Vaincus.
Soit de tels attentats l’audace terminée ;
Mon Roy tient sous ses pieds la Discorde enchaînée.
Pourriez vous soûtenir, impuissans Factieux,
Les regards d’un Héros toûjours victorieux,
Et faire soûlever les Cevennes fidelles ?
Non, à Religion ne fait point de rebelles.
 Grand Monarque, achevez la Conqueste des cœurs,
Elle doit égaler les Vaincus aux Vainqueurs ;
Et faites aveüer à la plus noire envie,
Que le Nom de LOUIS, fatal à l’Herésie,
Dans l’Eglise & l’Etat rétablit l’unité ;
Et que celuy de GRAND, tant de fois mérité,
Vient moins de vos Exploits, qu’honore la Victoire,
Que de la Pieté que marque vostre Histoire.

Aux Prétendus Réformez §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 32-33

Le Sonnet qui suit ces Vers, est de Mr Texier, Prestre de Saumur.

AUX PRETENDUS
Reformez.

Pensez-vous en loüant le plus sage des Roys,
Pouvoir de son esprit ébranler la constance ?
Apprenez que sa Foy, son zéle & sa prudence,
Feront par tout regner l’équité de ses Loix.
***
Sans cesse il vous exhorte à faire un digne choix ;
Ne vous opposez pas à tant de complaisance ;
Ses tendresses, ses soins, ses bienfaits, sa clémence,
Doivent gagner vos cœurs, qu’il combat tant de fois.
***
D’un Enfant qui se blesse on éloigne les armes,
La tendresse d’un Pere en reçoit trop d’alarmes,
Pour souffrir qu’à ses yeux il s’en perce le sein.
***
Ainsi LOUIS qui voit vostre erreur volontaire,
S’oppose à vostre perte, & par ce grand dessein
Surpasse la sagesse & la bonté d’un Pere.

Pour le Roy §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 40-42

Toutes ces choses sont des faits qui parlent. On y connoit la Bonté & la Justice du Roy, & je ne puis mieux finir cet Article, que par ces deux Sonnets qui ont esté faits à sa gloire. Le premier est de Mr de Grammont de Richelieu.

POUR LE ROY.

D’Alexandre sur tout on exalte & l’on vante
La belle ambition & l’intrépidité ;
La vigueur de Pyrrhus, & son activité ;
Et du grand Fabius la conduite prudente.
***
Du premier des Césars la fortune constante ;
Du second la clémence, & son intégrité ;
La grandeur de Pompée, & sa noble fierté ;
Les graces de Titus, & l’humeur bienfaisante.
***
Nostre illustre Monarque a de tous ces Héros
Les grandes qualitez, sans avoir leurs defauts ;
Dans luy comme dans eux la valeur est extréme.
***
Ainsi qu’eux il sçait vaincre, & se fait redouter ;
Mais il sçait, quand il veut, se vaincre aussi luy-mesme ;
Et les autres jamais n’ont pû se surmonter.

Sur les grandes Actions du Roy §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 42-44

SUR LES GRANDES
ACTIONS DU ROY.

On dira de LOUIS, par l’éclat de sa vie,
Qu’il est le seul Héros qu’on doit appeller GRAND,
Penétrant au Conseil, en Guerre foudroyant,
De tous les Potentats la terreur & l’envie.
***
Son nom a fait trembler & l’Afrique & l’Asie ;
Invincible par tout, & par tout Conquérant,
Affable à ses Sujets, genéreux, bienfaisant,
C’est un autre Titus, Pere de la Patrie.
***
Rétablir le Trafic, faire fleurir les Arts,
Proteger les Autels, joindre Thémis à Mars,
Sont des traits éclatans de sa gloire immortelle.
***
Aux siécles à venir ses vertus feront foy
Qu’il eust esté des Roys le plus parfait modelle,
Quand par droit de naissance il n’eust pas esté Roy.

III. Lettre concernant les Langues, les Lettres & les Ecritures §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 44-87

Je vous ay déja fait voir deux Lettres du sçavant Mr Comiers sur les Langues. En voicy une troisiéme, que vous ne trouverez pas moins curieuse que les autres.

III. LETTRE
Concernant les Langues, les Lettres & les Ecritures.
A Mr DE S.…SDIKS.

Je répons à la vostre, à la maniére du Cardinal d’Ossat, article par article, & laconiquement, mais je m’explique en telle sorte, que vous n’avez pas lieu de dire comme S. Jerôme, en lisant le Poëte Perse. Si tu ne veux pas estre entendu, tu ne dois pas estre lû.

Je souhaiterois vous pouvoir répondre aussi briévement que les Lacedémoniens, qui par la seule Lettre S, qui signifie Non, répondirent à la longue Epistre des demandes de Philippe, Pere d’Alexandre le Grand.

La Langue Sainte, c’est à dire l’Hebraïque, a 22 Lettres, autant qu’il y a de Livres dans l’ancien Testament, dans lequel l’ordre des Lettres Hebraïques y est repeté 21 fois.

J’ay remarqué dans la 273 page du 26 Tome extraordinaire du Mercure Galant, que les trois versets 19, 20 & 21 du 14 chapitre de l’Exode, contiennent chacun 72 Lettres, par le mélange desquelles les Kabalistes forment les 72 noms de Dieu, tous terminez enahou enel, c’est pourquoy aprés le nom de l’office d’un Ange, la Sainte Ecriture ajoûteel ; ainsi Michaël, Raphaël, Gabriël.

Toutes les 22 Lettres Hebraïques sont contenuës dans le 25 verset du 5 chapitre du Prophéte Isaye.

Toutes les Lettres Grecques, sont dans les versets 19 & 20 du 3 chapitre de la premiere Epistre de S. Pierre.

Toutes les Lettres Latines sont dans ce Vers.

Gaza frequens Lybicos duxit Kartago triumphos.

Atticus le Fils du Sophiste Herodes, ne pût jamais apprendre l’Alphabet.

Un jeune Prince Barbare estant venu étudier dans Athénes, ne pût apprendre que les trois premieres Lettres de l’Alphabet, qu’il prononça d’un ton si digne de son esprit & de sa Nation, que le Préteur cessa de haranguer ; c’est pourquoy les Barbares ramenérent en Triomphe leur Prince, disant qu’il avoit vaincu le plus éloquent des Grecs.

La langue est presque le principal instrument de l’articulation, car les consones labiales n’ont pas besoin de l’office de la langue, elle a dix mouvemens, six droits & quatre en rond. Les lévres ont aussi jusques à six mouvemens differens. Le Larinx a aussi ses mouvemens pour la Trachée, qui ouvre le passage à l’air, que poussent les poulmons.

La Lettre A se prononce le gozier & la bouche ouverte, sans employer la langue ; elle est donc la Lettre la plus facile à prononcer, c’est pourquoy elle tient le premier rang dans l’Alphabet.

On dit qu’il n’y a eu que Zoroaster qui ait ry en naissant, & que les Mâles pleurent par la voyelle A, & les Filles par la voyelle E, ce qui a donné lieu à ce Distique.

Plorat adhuc proles quod commisere parentes,
A genitor dat Adam : E dedit E va prior.

Comme les consones B, M, P, sont purement labiales, elles sont aussi tres-faciles à prononcer. Il ne faut qu’ouvrir doucement les lévres en prononçant A, c’est pourquoy les Enfans prononcent facilement MaMa & Papa, parce que le P se prononce par la seule explosion de l’Air, en separant promptement les lévres, si vous prononcez P tout contre la flamme de la Chandelle, elle vous fera entendre cette explosion.

O, se prononce le gozier ouvert, & la bouche un peu enflée & voutée, c’est pourquoy les Puis, les Caves, & les Antres profonds, pour A, refléchissent O.

E, se prononce fermant un peu la bouche, & aprochant la langue du palais, ne laissant qu’un petit passage en largeur, à l’air poussé par les poulmons.

I, se prononce en appliquant davantage la langue au palais, pour ne laisser qu’une petite issuë à l’air, & on ferme davantage la bouche, & on joint presque les dents.

V, François, se prononce ayant joint les dents & la langue tout contre le palais, & serrant les lévres avancées pour ne laisser à l’air qu’une petite issuë ronde, & on ressent qu’il se forme un tremblement des lévres.

Il y a des Nations qui ne distinguent point Va de Fa, & pour Vin disent Fin.

A Siracuse, la Lettre M tirée au sort, donnoit le droit de la Harangue publique.

La prononciation de la Lettre L appartient à la langue, celle de D & de S, aux dents. M, aux lévres, & celle de N au nez, si vray que si on serre le nez, on ne peut prononcer Na, mais on entend Da, d’où il est facile de rendre raison des noms qu’on a imposé à ces Lettres.

La Lettre K est gutturale. Les Calomniateurs étoient marquez au front avec un fer chaud, des Lettres K & C, la raison est facile.

La Lettre Q estoit aussi imprimée au front de ceux qui épousoient une seconde Femme, la premiere estant vivante. Cette marque Q est assez significative du crime, de mesme que celle d’Astronomie Q pour marquer la conjonction de deux Planetes, &c.

Plusieurs Personnes, pour Q prononcent T, & pour Qui-Quonque, disent TiTonTe.

Du temps de François I. le Pere des belles Lettres, & Fondateur de l’Académie ou College Royal de Paris, la prononciation de la Lettre Q estoit celle de la Lettre K d’aprésent ; car pour QuisQuis, on prononçoit KisKis. La sçavante République des Lettres est redevable à P. Ramus, Doyen du College Royal, qui a donné la naturelle prononciation du Q. Mrs de la Sorbonne s’y opposérent, & même privèrent un Ecclésiastique de ses Revenus, parce qu’il prononçoit le Q comme Messieurs de l’Académie du Roy. Le Procez fut porté au Parlement, où Ramus ayant luy-mesme plaidé pour la nouvelle prononciation de la Lettre Q, il fut permis par Arrest solemnel de dire QuisQuis, ou KisKis, qui depuis est devenu un mot pour animer les Chiens au combat. Je croy que la Cour Souveraine fonda son Arrest sur ce que la Lettre Hébraïque Coph est Q & K dans sa valeur.

Plusieurs Personnes, & notamment ceux qui ont le Filet, ne peuvent prononcer la Lettre R, qui demande le tremblement de la langue ; c’est pourquoy pour R, ils prononcent L.

Messala, grand Orateur, fit autrefois un Volume entier de la Lettre S. Sa mauvaise prononciation cousta la vie à quarante-deux mille Ephraëmites, qui furent égorgez par les Galaadites, pour n’avoir sçû bien prononcer dans le mot Schiboleth la Lettre S, que les Hebreux nomment Scin.

Appius Claudius trembloit à la Lettre Z, lors qu’on la prononçoit par TS, parce qu’elle exprime le grincement de dents d’un Moribond.

La prononciation de S, ou ST, fait un siflement qui penétre, & qui sert pour ordonner le silence.

L’Echo n’est pas toûjours la veritable image de la voix articulée, puis qu’elle ne peut pas toûjours redire ou refléchir la Lettre S, car pour le mot Satan, l’Echo répond Vatan. Il n’en est pas de mesme des mots Sosia in Solario, Soleas Sarciebat Suas. Vous sçavez que la voix refléchie par l’Echo, employe deux fois plus de temps que la voix directe, laquelle dans la moitié d’une demy-seconde de temps parcourt 690 pieds.

L’Echo du Palais Simoneta, à un mille de Milan, repete du moins vingt-quatre fois le mesme mot.

La plus grande parleuse des Echos, est celle que je trouvay il y a dix-huit ans à Taxily, à une lieuë de la Ville de Luzy en Nivernois ; car estant la nuit dans le Jardin de la Cure, qui dépend de nostre Chapitre de Ternant, ayant le visage tourné contre la Colline de Nidi, elle repétoit de suite tres-fortement & tres-distinctement tous ces treize mots,

Arma virumque cano, Trojæ quæ primus ab oris,
Arma virumque cano.

Il est aussi facile de rendre raison pourquoy l’Echo pour Sa, dit Va, que d’expliquer pourquoy en tenant un doigt dans chaque coin de la bouche, pour la Lettre P, on prononce F.

La voyelle O. se fait entendre de plus loin, c’est pourquoy les noms des Chiens de Mutte se terminent en O.

Les voyelles O & E sont les plus fortes, puis qu’elles arrestent les Chevaux au milieu de leur course.

Le Sauveur du Monde dans l’Apocalipse a pris pour Symboles les deux Lettres Α, & ω, la premiere & la derniere Lettre de l’Alphabet Grec, pour signifier qu’il est le commencement & la fin de toutes choses.

Judas, ce vaillant Capitaine des Juifs fut surnommé Machabée, pour avoir pris dans son Etendari cette Devise, Symbole, ou Mot ma. ca. b. ai. composé des quatre premieres syllabes du xi. verset du xv. chapitre de l’Exode.

Ma Camocha Baelim Jehovah ?
Qui comme Toy entre les Dieux Jehovah ?

Les Romains prirent les quatre Lettres, S. P. Q. R. qui sont les premieres des quatre Mots suivans. Serva, Populum, Quem, Redemisti, qu’une Sybille avoit gravé sur une lame d’acier, comme dit Corrasius.

L’Empereur Maximilian prit pour Symbole les voyelles A. E. I. O. V. pour signifier Aquila Electa Juste Omnia Vincit.

Revenons à la Langue Sainte. Les Juifs & les Samaritains ont toûjours leu dans leurs Synagogues, la Sainte Ecriture en Hebreu. La Bible des Samaritains ne contient que le Pentateuque, qui sont les cinq Livres de Moïse, parce qu’en l’année du Monde 3971. c’est à dire 992. ans avant l’Incarnation, on n’avoit encore publié que le Pentateuque, lors que le Royaume d’Israël fut divisé, n’étant resté au Fils de Salomon que les Tribus de Juda & de Benjamin, les dix autres Tribus ayant obeï à Jeroboam.

Le Peuple d’Isc. Rab. El. Hominis magni Dei, de l’Homme du grand Dieu, ayant depuis esté dispersé & contraint d’habiter en Païs étrangers, il perdit peu à peu l’usage de sa Langue Hébraïque, c’est pourquoy apres la Captivité de Babylone, on ne parla que la Langue Syriaque dans Jerusalem, & la Langue Hebraïque y étoit comme inconnuë ; si vray que les Princes des Prestres & des Pharisiens dirent aux Archers. En S. Jean chapitre 7. verset 49. Cette Populace ne sçait ce que c’est que la Loy. Ce qui avoit obligé les Rabins ou Docteurs de la Loy, d’en faire des Versions en Langue vulgaire des Païs où ils étoient Etrangers.

Les Rabins Asiatiques firent à Babylone, la plus ancienne & la plus estimée des Paraphrases, qui est la Chaldaïque, ou le Targum Onkelos.

La Version Grecque du Pentateuque, dont S. Jerôme au premier chapitre de l’Epistre de S. Paul à Titus, dit Scientia pietatis est nosse Legem, fut faite 272. ans avant l’Incarnation, en Alexandrie d’Egypte, où les Juifs avoient un Temple comme en Jerusalem. Elle est surnommée des 70, parce qu’elle fut faite par l’Ordre, ou du moins aprouvée des 72, qui composoient le Venerable Senat du grand Sanhedrin. Tout ce qu’on en a dit au delà, a esté sur la bonne foy d’un Livre attribué à Aristée, l’un des 72. Interprétes, qui ne firent que la Version des cinq Livres de Moïse, bien qu’il ne soit nommé qu’en tierce Personne.

DES LIVRES,
leur ancienne Forme
& Relieure.

Les Juifs observoient de ne mettre que 30. Lettres à chaque ligne.

Les Anciens coloient au long plusieurs feüilles de papier les unes au bord des autres, & ils n’écrivoyent que d’un côté. Ils inseroient le bout de la derniere des feüilles dans la fente d’un bâton cilindrique, autour duquel on rouloit toutes les feüilles qui composoient ce Livre ou Volume. Ce bâton avoit un Chapiteau & une Baze, à la distance de la largeur du papier. Toutes les Bibliotéques étoient composées de semblables Rouleaux, chez les Grecs & chez les Latins, mesme long-temps apres Ciceron. Les Juifs ont encore sur l’Autel de chaque Synagogue, les Livres de la Loy sur deux semblables Rouleaux Cilindriques, & quand ils ont lû une page, ils la roulent autour du Cilindre qu’ils tiennent à la main droite. J’ay trouvé dans nos Archives du Chapitre de Ternant, fondée en l’année 1444. qui est quatre ans apres l’invention de l’Imprimerie, des Enquestes sur des feüilles de papier colées les unes au bas des autres, & écrites d’un seul côté.

Le Secret ayant esté trouvé de préparer le parchemin, en sorte qu’on peut écrire des deux côtez. Le Roy Attalus fit écrire & relier quelques Livres à la maniere des nostres.

L’Imprimerie commença en 1440 à Mayence, & les Offices de Ciceron, est le premier Livre qui ait esté Imprimé en Europe, il est maintenant bien facile de profiter de l’avis de l’Oracle, qui dit à Zenon que, Pour bien vivre, il faloit avoir commerce avec les Morts. C’est dans le mesme sentiment qu’Alphonse Roy d’Arragon disoit, Qu’il faut consulter les morts comme les plus fidéles Conseillers, car il n’y a point d’Amy plus libre qu’un Livre.

DE LA DIFFICULTÉ
de lire l’Ecriture Chinoise, & l’Hebraïque sans Voyelles.

Vous ne trouverez pas si étrange que l’Ecriture Chinoise ait un Caractere different pour chaque chose, & qu’un mesme mot prononcé differemment, signifie diférentes choses, si vous faites reflexion qu’en nostre Langue, un mesme mot a plusieurs significations : En voicy un exemple, il faut que je vous Conte, un Conte, d’un Conte, duquel je ne fais pas grand Conte.

A la sterilité de la Langue Chinoise, opposez la fecondité de la Langue Arabe ; elle a 80 mots pour signifier le Miel ; 200 mots pour signifier le Serpent ; 500 pour signifier le Lyon ; & 100. pour signifier l’Epée. Cela me fait souvenir des six Vers suivans d’un vieux Sonnet.

Il faut que par neuf fois la Lune ait fait son cours,
Avant que nous voyons la lumiere du jour,
Qu’un cruel Ennemy nous a bien tost ravie.
Misérables Mortels, n’avons-nous pas grand tort,
De faire tant d’Engins pour nous donner la mort.

L’Ecriture Hebraïque n’avoit originairement que les Lettres Consonnes, car les Points qui tiennent lieu de Voyelles, n’ont commencé qu’en l’année 508. de l’Incarnation, & 436 ans apres que Titus Vespasian eut brûlé le Temple de Jerusalem le 8 Aoust, & la Ville le 8. Septembre en la 72. année de Jesus-Christ. C’est pourquoy il y a à present onze cens soixante & dix-sept années que les Docteurs Juifs étant assemblez à la Tyberiade, Ville de la Palestine, inventerent & employerent les points ou voyelles secrettes, afin de conserver à leur Posterité dispersée par tout le Monde, la veritable lecture des Livres Sacrez de l’ancien Testament. C’est ce que le Rabin Helie Levite, rapporte dans sa troisiéme Preface sur le Massoreth. C’est pourquoy pour bien apprendre à lire l’Hebreu, je vous renvoye à la Mazore, ou Tradition de l’Ecole Tyberiade.

C’est sans sujet que vous me prenez pour un Gale Razaia, Revelateur des choses secretes. Vous me demandez mille choses, comme si j’avois tout cela dans mon Jalkut, ou Poche Rabinique, ou que je fusse le tout sçavant Hippias Eleen metempsicosé. Merite-t’on quelque chose pour beaucoup parler ? Avez vous oublié que Plutarque loüe Epaminondas qui estoit le plus sçavant, & parloit le moins. Je profite en bien des choses du bon mot de Socrate, qui étant interrogé pourquoy il ne donnoit aucun Ecrit au Public, répondit que le papier vaudroit mieux que ce qu’il faudroit dire. Pour vous répondre à tant d’articles, il me faudroit une mémoire aussi heureuse que celle d’Esdras, qui dicta par cœur les Livres de l’Ancien Testament, tels que nous les avons. Du Grec Carmides, qui disoit par cœur ce qui estoit contenu dans quel Volume d’une Bibliotéque qu’on souhaitoit. De Cyrus, ou de L. Scipion, qui sçavoient le nom de tous leurs Soldats ; ou la mémoire de Mithridate, de Crassus, de Cyneas, de Themistocle, ou celle de l’Empereur Claude, qui sçavoit tout Homere par cœur, de Saluste qui sçavoit tout Demosthene, d’Avicenne qui sçavoit aussi par cœur toute la Metaphisique d’Aristote. Je ne suis ny Ciceron qui se souvenoit de tout ce qu’il avoit leu ou entendu. Je n’ay pas la mémoire de Senéque l’Orateur, qui asseure dans la Préface du Livre des Plaidoyés ou Controverses, qu’il avoit la Mémoire si heureuse, qu’il redisoit deux mille noms differents dans le mesme ordre qu’ils avoient esté prononcez, & que dans l’Ecole plus de deux cens personnes ayant dit chacun un Vers, il les repéta en commençant par le dernier Vers. Le Pape Clement VI. ayant receu une grande blessure à la teste ; sa mémoire devint si heureuse, qu’il ne pút rien oublier de ce qu’il avoit leu. J’ay esté present avec feu Mr le Marquis de S. André Montbrun, Capitaine Genéral des Armées du Roy, & Gouverneur du Nivernois, à un semblable essay de Mémoire entre Mr de la Barre, pour lors Intendant du Bourbonnois, & Me Adam le Poëte Menuisier de Nevers. De plus, je n’ay pas un Secretaire si expert dans la Tachigraphie, que ceux dont Martial disoit, lib. 14.

Currant verba licet, manus est velocior illis,
 Nondum lingua, suum dextra peregit opus.

Je ny suis pas si exercé qu’Origene, quand mesme je formerois aussi mal mes Lettres que le grand Quintilien, dont les lignes sembloient des Serpens. Il est autant surprenant qu’avantageux pour le bien public, qu’entre tant de millions d’Ecritures, il ne s’en rencontre pas deux tout à fait semblables, quand mesme on auroit apris à écrire sous un mesme Maistre. Il en est de l’Ecriture comme des Voix & des Visages, qui sont tous en quelque chose diférens. Il est vray que Tite Vespasian le Fils, disoit ordinairement qu’il auroit pû estre le plus grand Faussaire de l’Empire Romain, parce qu’il sçavoit tres-bien contrefaire toutes les signatures.

Contentez-vous, Monsieur, de ce peu que je vous envoye pour vos Etrennes de l’année 1685. Je réponds à vos autres demandes, comme les Juifs dans les Questions tres difficilesThisbi, Jethares, Kasiot, Elie Thesbite, qui nâquit huit ans avant la mort de Solomon, les soudra.

La Kabale des Rabins aussibien que les deux Volumes de Visions Parfaites, ne contiennent que futilités avec la Lettre R de trois Nations bien differentes, l’Italique, le Grec & l’Hebreu, & à tous ces Livres, il ne manque que la Syllabe Grecque Noun.

Vous apprendrez dans 24 heures la Langue Hebraïque, dans la nouvelle Grammaire de Cristofori Cellarii, imprimée Cizæ, au commencement de l’année 1684.

Le manque de Voyelles dans l’Ecriture Hebraïque, est la cause que la Version Grecque de l’Ancien Testament, faite par les 72 Rabins en Alexandrie l’année 272. avant la naissance de Jesus-Christ, n’est pas toûjours conforme à l’Original Hebraïque, quoy qu’en ait dit l’Autheur du Livre attribué à Aristée l’un des 72 Interpretes. Puis que cette Version a des passages mal expliquez, & bien des choses oubliées, & d’autres ajoûtées, comme dit S. Jerôme, qui mourut l’année 420 : c’est pourquoy la Version Latine qu’on fit sur la Grecque du temps des Apostres, ne peut estre meilleure, bien que nous chantions les Pseaumes suivant cette Version, parce que l’Eglise y estoit accoûtumée, lors que saint Jerôme fit sa Version Latine de l’Ancien Testament, que nous appellons la Vulgate.

Si la Langue Chinoise est difficile par la differente signification d’un mesme mot, la Langue Hebraïque est aussi difficile par la mesme raison ; car par exemple, le mot ou RacineHhanah, signifie humilier, appauvrir, affliger, occuper, témoigner, chanter, crier, parler, répondre, exaucer. Le mot Hhalal, signifie estre la cause, causer, rendre affligé, envelopper, designer, enlaidir, vendanger, mépriser, méditer, tâcher, agir, cautionner. Le mot Hharab, signifie dresser, embellir, plaire, engager, négocier, mélanger, s’obscurcir, devenir doux.

Bien davantage, les mesmes mots Hebreux ont souvent deux significations contraires. Par exemplekds, signifie sanctifier, prophaner. brh signifie, benir, maudire. nchm signifie estre consolé, estre desolé. skn signifie appauvrir, s’enrichir, & mille autres, par le changement des conjugaisons qu’ils appellent Binjanim, Structure.

Par le manque des Voyelles, au lieu de lireChomer, qui signifieUrne, dans laquelle les Hebreux gardoient la Manne ; les Payens ayant leuChomar, qui signifieAsne, ils accuserent les Juifs, & ensuite les premiers Chrestiens, d’adorer la Teste d’un Asne dans le Sanctuaire du Temple.

Le 47 Chapitre de la Genese, parlant de Jacob adorant Dieu, finit par ces mots Halrosch, Ham, Mitthah, chevet du lit, & les 70 ayant leu Matthe, l’interpreterent Verge, ou bâton.

Dans le 11. chap. de Zacharie, vers. 7. au mot Hebreuchblm, les septante-deux Interpretes leurentChabalim, Cordaux : & suivant les Points ou Voyelles, depuis marquées par les Rabins de Tyberiade, nous lisonsChobelim, qui signifie Corrupteurs.

Les Septante leurent par les 3 Consonnesz k r, du 14. Vers. du 26 Chap. d’Isaye, le mot Zaker, qui signifie Masle ; & S. Jerôme ayant leu Zakar, l’interpreta Memoire.

Les Septante dans le Chap. 3. Verset de Jeremie, leurent Rehhim, qui signifie Pasteurs. Et S. Jerôme ayant leu Rohhim, l’interpreta Amateur, & dans le Chapitre 9. Verset 22, leurent Deber, qui signifie la Mort. Et S. Jerôme ayant leu Daber, l’interpreta Parle. De mesme aussi les Septante dans Osée, Ch. 13. Verset 3, leurent Harbeh, qui signifie Langouste, & S. Jerôme ayant leu Habah, l’interpreta Cheminée.

En voicy assez pour cette fois, & bien que l’Empereur Honorius ait esté blâmé de signer toutes les Lettres que ces Officiers luy presentoient sans les lire, dequoy sa Sœur Placidie le corrigea, apres luy en avoir fait connoistre le peril, car elle fit glisser une Lettre à signer avec les autres, par laquelle l’Empereur promettoit Placidie en Mariage à un miserable Esclave. Je me fie pour ce coup à la bonne foy de mon Scribe, plus Homme de bien que le Notaire Lampo, surnommé Calamosphacten : Je finis, vous asseurant de ma main que je suis, Monsieur, Vostre, &c.

Comiers.

Discours de Mr Magnin à Messieurs de l’Académie Royale d’Arles §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 92-112

Messieurs de l’Académie Royale d’Arles ont fait depuis peu une acquisition tres-considérable, en recevant Mr Magnin dans leur Corps. Son mérite vous est connu par tant d’Ouvrages que je vous ay envoyez de luy, qu’il me seroit inutile de vous en parler. Voicy le Remercîment qu’il leur a fait.

DISCOURS
DE Mr MAGNIN
A MESSIEURS
DE
L’ACADEMIE ROYALE
D’ARLES.

Messieurs,

Comme c’est le prix & le merite des graces, qui regle la mesure & le degré de la reconnoissance, celle que je dois avoir de l’honneur que vous m’avez fait, en m’accordant une place parmy Vous, ne sçauroit avoir, ny plus de sensibilité, ny plus d’étenduë ; mais si c’est aussi par ce mesme prix qu’on doit juger de la difficulté qu’il y a d’en faire un juste Remerciment, vous vous persuaderez sans peine, que je n’ay rien entrepris de ma vie de si difficile à bien executer, que celuy que j’ose & que je dois vous faire aujourd’huy. Le Tître glorieux d’Academicien Royal, étonne mes idées au lieu d’élever mon esprit, & me met dans un jour dont la surprise m’ébloüit, au lieu de m’éclairer.

Vous le sçavez par vous-mesmes, Messieurs, vous le sçavez ; il suppose un merite solide & distingué, un génie heureux, une sçavante & fine politesse, & mille autres talens que je reconnois, que je revere, & que tout le monde admire en chacun de vous.

Comment pourrois-je donc, quand je ne sens & ne puis faire remarquer aucun de ces avantages en moy, me persuader que j’auray celuy de soûtenir dignement un Tître dont on doit avoir une idée si noble & si élevée ?

Que je serois heureux, Messieurs, que je serois heureux, si dans une occasion si essencielle à mon devoir, & à ma reputation, je pouvois de bonne foy & sans supercherie, me dispenser de vous faire un aveu si propre à vous donner un juste repentir du choix que vous venez de faire ! Que je serois heureux encore une fois si je pouvois me flâter un moment que cette déclaration si honteuse & si sincere toutefois, passera pour une de ces figures ingenieuses qui servent à faire valoir le merite à force de le desavoüer, & qui rehaussent la réputation de l’esprit par celle de la modestie !

Mais quand je considere à quoy je suis engagé par le Titre d’Académicien Royal dans cette premiere action ; quand je mesure mes pensées & mes expressions à la hauteur des merveilles que j’entrevois, & qui dévroient entrer dans mon sujet, si j’avois l’adresse de les ranger, je sens bien que je n’auray dit que trop vray, & que le prétexte de l’Art, & de la Figure ne fera rien à mon avantage.

Dispensez-moy donc, Messieurs, dispensez-moy de la nécessité que le Titre que vous m’avez fait l’honneur de me donner, semble m’imposer, de repasser sur tant de beaux traits, qui rehaussent le merite & la gloire de l’Academie Royale, dans mille circonstances toutes plus avantageuses l’une que l’autre, & qui la ménent à l’immortalité, par la mesme route & par le mesme vœu que l’Academie Françoise, qui la reconnoît pour sa Fille aînée, est depuis si long-temps en droit d’y aspirer. Qu’ajoûterois-je à tout ce que ceux qui m’ont devancé, vous ont dit de riche, de sçavant & de poly, sur la dignité du Titre Royal que vous portez ? Ne sçait-on pas que si les Noms que le Créateur voulut imposer à ses Ouvrages, exprimoient les qualitez & la nature des choses nommées, Loüis le Granddont la conduite est une Image si visible de la Sagesse du Tout-Puissant, n’a donné le surnom de Royale à l’Academie d’Arles, que pour exprimer par ce beau Tître l’excellence des soins, ausquels il l’a destinée, & parce que la Gloire & les Merveilles de son Regne le plus florissant & le plus auguste qui fut jamais, devoient estre l’objet de ses veilles, de ses études, & de ses ouvrages ?

Certes, ce grand Roy qui connoist si distinctement, & ce qui a manqué aux Régnes précedens, & ce qui peut servir à la gloire du sien, apres avoir par des Conquestes qui ont étonné l’Univers par la force invincible de leur rapidité, étendu & assuré ses Frontieres, a bien jugé que le repos & le bon-heur de ses Etats & de ses Sujets, dépendoit de l’établissement des Sciences, & de la Culture des beaux Arts, & remontant par l’esprit de cette Sagesse, qui voit & penetre tout dans un si bel ordre, jusques à la source de l’Heresie, dont l’extirpation fait le plus cher, le plus constant, & le plus assidu de tous ses soins, il s’est bien aperceu que cette Cangréne si maligne dans son origine, & si funeste dans son progrez, ne s’est introduite & n’a pris racine dans ses Etats, qu’à la faveur de l’ignorance ; & pour combatre un mal si dangereux & si opiniâtre par un reméde convenable, il ménage, il soûtient, il protége les Sciences par des établissemens commodes, & des liberalitez genereuses & nécessaires, & les a mises, enfin en état de triompher par tout des piéges & des fuites de l’erreur & du mensonge, & de faire comprendre à tout ce qui n’a pas abandonné le party de la raison & du bon sens, que celuy de l’Heresie n’a plus que l’obstination pour toute défense.

Apres que les Sciences auront secondé les pieuses intentions deLoüis le Grand, en soûtenant les Droits Sacrez de la Religion & de l’Eglise, qui n’a jamais eu, & n’aura jamais de plus ferme appuy que son Fils aîné, elles serviront encore avantageusement au dessein qu’il a d’inspirer à tous ses Sujets, l’amour & la pratique des vertus morales, & des mœurs honnestes. Elles forment le cœur en éclairant l’esprit. La lumiere du Soleil dans l’ordre naturel précede la chaleur, & les connoissances doivent disposer l’ame à l’amour, & à la poursuite du bien ; c’est pourquoy Dieu qui en est la source immense, ne sçauroit estre souverainement aimé, comme parle saint Denis, qu’il ne soit parfaitement aimé.

Que vous concevez bien, Messieurs, le merite, la grandeur & l’excellence de vos soins, & de vos applications, & dans leur principe, & dans leur objet ? Vous n’étes pas à la Cour & sous la vuë auguste & Royale deLoüis le Grand, mais vous ne laissez pas de ressentir les effets glorieux de ses soins & de sa sagesse. Le Soleil produit les plus riches Metaux, au delà de la portée de ses rayons, ses vertus s’insinüent où sa lumiere ne penetre pas ; & ce Monarque Auguste, le Soleil non seulement de ses Etats, mais de plusieurs Mondes s’il y en avoit fait sentir les influences de sa sagesse par tout. Elle est immense dans ses soins, & dans ses operations, comme sa puissance est invincible dans ses entreprises.

Il sçait que les Sciences sont dans Arles comme dans leur centre, qu’elles y sont naturalisées depuis plusieurs Siécles. Les Obelisques, les Arénes, les Amphithéatres, & tant d’autres Antiquitez dont elle montre encore aujourd’huy les magnifiques monumens, font assez connoistre de quelle consideration elle a esté dans tous les tems. Qui voudroit remonter jusques aux plus anciens & moins connus, découvriroit sans doute que la politesse y régnoit, avant mesme que les Romains y eussent élevé tant de marques, de la magnificence de leur Empire, & de l’estime qu’ils faisoient de son sejour ; & qu’apparemment la Colonie des Grecs qui vint aborder à Marseille, & qui vint à propos pour polir les mœurs des premiers Gaulois, eut ses premiers établissemens dans la Ville d’Arles ; &Loüis le Grandqui recherche jusques à la source les semences des beaux Arts, n’y a sans doute étably l’Academie Royale, que parce qu’il a jugé que dans un air, où les Sciences sont en commerce depuis si long-temps, elles ne manqueroient pas de faire un progrés éclatant, & digne de la gloire de son Regne.

Joüissez, Messieurs, joüissez des beaux jours qu’enfantent aux desseins de vos veilles, des auspices si heureux, si constans & si magnifiques. Vous vivez, graces aux soins & à la faveur du plus parfait des Roys ; vous vivez d’une vie glorieuse & spirituelle, dont un seul jour vaut mieux que les plus longues années de l’ignorance. Vous aprenez au Monde tout ce qu’il y a de plus curieux à sçavoir, des mœurs, de la Police & de la Religion des Anciens. Vous tirez des rüines qui vous environnent, mille monumens d’antiquité, propres à faire admirer la penetration sçavante de vos recherches. Que n’avez-vous pas dit de curieux, sur la verité de cette belle & fameuse Statuë que Diane & Venus ont disputée si long-temps, & d’une maniere si fine & si spirituelle, & qui enfin sous le nom de Venus, doit estre placée avec tant d’autres, qui sont venuës de tous les endroits du Monde, pour rendre hommage àLoüis le Grand, dans la Galerie de Versailles ? Vivez, Messieurs, vivez heureux dans le noble soin qui vous occupe. Vous servez aux desseins d’un Monarque qui vient renouveler la face du Monde, & finir tous ces grands desseins, que ceux qui l’ont précedé n’ont fait qu’ébaucher. Aspirez à la gloire immortelle qu’il vous propose ; rien ne vous manque pour y arriver. Vous avez de sa main, & par son choix, un Protecteur, illustre par sa naissance, distingué par sa faveur, recommandable par son merite, qui sçait allier avec tant d’art & tant d’agrément, la plus douce, la plus fine, & la plus sçavante delicatesse des Muses, avec la fiere intrepidité de Mars, en qui l’on voit la belle ame, le bel esprit, & la grandeur de courage, dans un si noble & si doux accord, que les Sçavans & les Guerriers peuvent également y trouver un modéle pour se former l’esprit & le cœur.

Que je trouverois, tout foible que je suis, Messieurs, que je trouverois de choses à representer, s’il m’étoit permis de m’abandonner à tout ce qui vient s’offrir à mes idées, & si je pouvois oublier, que ne pouvant vous donner des marques d’érudition & d’esprit, je dois au moins vous en donner de ma retenuë ! Ce sera, Messieurs, en étudiant à me former sur vostre merite, & sur tant de nobles & avantageuses qualitez, qui vous distinguent parmy les Sçavans, que je puis esperer d’apprendre à surmonter une partie des defauts qui me rendent indigne de l’honneur que vous m’avez fait, & cette rudesse que je sens mieux dans mes expressions, que je ne la sçay corriger. Je méditeray sur la beauté de vos Ouvrages, pour m’instruire à polir les miens ; & comme ceux qui marchent au Soleil sont colorez sans qu’ils y pensent, je fortifieray mes connoissances à force d’estre éclairé par vos lumieres. Dans la passion que j’ay toûjours euë, & que j’auray tant que je vivray, de faire distinguer ma voix parmy tant d’autres, qui chantent & sans cesse, & si bien la gloire, les vertus, les travaux deLoüis le Grand, j’essayeray de regler mes tons sur vos doux accens, d’adoucir mes Chalumeaux, en étudiant les accords sçavans de vos Luts ; & ne pouvant meriter l’honneur de vostre aprobation par aucune production d’esprit, je seray soigneux de meriter celuy de vos bonnes graces, & de vostre estime, par le respect & la sincere soûmission que j’auray toûjours pour vous.

[Avanture] §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 115-121

On dit qu’un bienfait n’est jamais perdu, & cela se justifie par beaucoup d’exemples. En voicy un aussi récent qu’il est remarquable. Un Gentilhomme qui demeure à la Campagne, retournant chez luy un soir, rencontra deux Cavaliers reformez, qui le priérent fort civilement de les secourir dans le besoin d’argent où ils se trouvoient pour achever leur Voyage. Le Gentilhomme les voyant assez bien faits, & jugeant de leur naissance par la maniere honneste dont ils luy parlérent, ne se contenta pas de leur donner. Il leur dit qu’il estoit tard, & qu’ils feroient bien de venir chez luy, où ils passeroient la nuit plus commodement que dans un Village. Le Party fut accepté, les Cavaliers le suivirent, & payérent le Soupé qu’il leur donna, par la complaisance d’écouter le long récit de quelques Campagnes qu’il avoit faites pendant ses jeunes années. Apres un entretien de trois heures, il les conduisit dans une Chambre qui n’estoit séparée d’une autre que par une Cloison d’ais. Ils se couchérent, mais heureusement pour le Gentilhomme, ils ne pûrent s’endormir. Un profond silence régnoit dans tout le Logis, quand la voix de deux Personnes qui parloient à demy bas dans l’autre Chambre, commença à les fraper. Chacun d’eux presta l’oreille ; & quoy qu’ils perdissent plusieurs mots, ils ne laisserent pas d’en entendre assez pour comprendre qu’il y avoit dispute entre deux Valets, sur le complot d’aller égorger leur Maistre. Il avoit vendu depuis peu de jours pour huit cens écus de Bled, & il s’agissoit entr’eux d’avoir cet argent. L’un trembloit d’estre surpris en executant le crime dont ils estoient demeurez d’accord, & l’autre tâchoit de l’encourager. Enfin, ayant entendu que ces Misérables sortoient de leur Chambre, ils se leverent le plus doucement qu’ils pûrent, & se jetterent sur eux lors qu’ils entroient dans celle du Gentilhomme. Il s’éveilla à ce bruit, & demanda ce qu’on luy vouloit. Toute la Maison fut en rumeur. On fit apporter de la lumiere, & les deux Valets troublez, quoy qu’ils n’avoüassent rien, firent assez voir par leur desordre & par leur pâleur, qu’ils étoient coupables. On leur trouva des rasoirs, & des coût aux fort tranchans, & on les mit en lieu seur jusqu’au lendemain, qu’on les mena en prison. Vous pouvez croire que le Gentilhomme n’auroit pas si tost congedié les Cavaliers qui luy ont sauvé la vie, quand leur presence n’eût pas esté nécessaire pour l’instruction de ce Procez criminel. Je m’informeray de l’évenement pour vous le faire sçavoir.

Le Loup, le Renard, et la Mule. Fable §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 121-129

Je vous envoye une Fable que vous trouverez aussi finement tournée que toutes les autres que vous avez déja leuës de Mr de la Barre de Tours. Vous me mandiez qu’il vous ennuyoit de ne plus rien voir de luy, & heureusement j’ay dequoy vous satisfaire.

LE LOUP,
LE RENARD,
ET LA MULE.
FABLE.

Helas, que n’ay-je encor mon heureuse ignorance !
Qu’il m’est fâcheux, Iris, d’estre trop bien instruit !
Je vous aimois, & j’avois l’espérance
Que par devoir ou par reconnoissance
 Vous me feriez goûter le fruit
Que méritoient mes feux, mes soins & ma constance ;
Mais aujourd’huy mon espoir est détruit,
 Et par ce que vous m’avez dit
J’ay connu vostre cœur & son indiférence.
Hélas, que n’ay-je encor mon heureuse ignorance !
Qu’il m’est fâcheux, Iris, d’estre trop bien instruit !
***
 Mon Rival a par son absence
 Evité la triste Sentence,
Qui le pouvoit réduire où me voila réduit.
Il n’est pas plus aimé, j’y vois de l’aparence ;
 Mais son malheur n’est point en évidence.
Je ne goûteray plus l’espoir dont il joüit.
 Ah, trop malheureuse science !
Voyez l’ennuy cruel que vous avez produit.
Hélas que n’ay-je encor mon heureuse ignorance !
Qu’il m’est fâcheux, Iris, d’estre trop bien instruit !
***
 Ainsi parloit un pauvre Diable,
 Trop curieux pour son malheur,
 Qui voulant lire au fond du cœur
D’une jeune Beauté qui n’étoit pas traitable,
Y vit ce que le Loup va voir dans cette Fable.
***
 Sire le Loup & Sire le Renard,
Animaux exerçans par tout la tyrannie
Se rencontrerent par hazard,
Tous deux ne cherchant point mauvaise compagnie,
Ne se plaisant pas moins, qu’avec plus méchans qu’eux ;
Enfin donc, par hazard, s’étant trouvez tous deux.
 Apres quelque ceremonie,
Comme il convient à Gens sçachans leur pain manger.
Ils font un petit tour de promenade ensemble.
 Il faut sçavoir comme un Berger,
 A leur aspect tous ses Moutons r’assemble,
Et comme tout Manan pour Volatille tremble,
Renard & Loup, par tout conduisant le danger.
Ils marcherent parlant du beau temps, de la pluye,
 Car Couple qui ne s’aime pas,
 Et qu’aucun commerce ne lie,
A des narrez bien longs trouve fort peu d’appas.
 Pour animer leur teste-à-teste,
Que n’ont-ils quelque Tiers ? un Tiers est un secours,
 Qui sert beaucoup, lors que le Couple est beste :
De cecy nous voyons la preuve tous les jours.
Ce Tiers à point nommé parut dans un pacage
 Grave & pensif, mais qui n’étoit point sot,
 Rouge de poil, de moyen âge,
 C’estoit une Mule, en un mot.
 Nos deux Messieurs y viennent tout en nage,
 Pour accourir ils avoient pris le trot.
Estant un peu remis, le Loup fit la Harangue,
Mais, comme vous sçavez, il a mauvaise langue,
 Et ne pût pas persuader
La Mule à découvrir comment elle s’appelle.
Sire Renard, s’approche plus prés d’elle,
 Afin de mieux luy demander
Ses qualités, son nom, & sa naissance,
Car, ny le Loup, ny luy, n’eurent, dit-il, jamais,
Ny l’honneur de la voir, ny de sa connoissance.
  Avouray-je mon ignorance,
Dit la Mule ? excusez l’aveu que je vous fais,
 (Il est un peu d’une Pecore)
Foy d’Animal d’honneur, je ne sçay pas mon nom.
 Bon, c’est railler, dit le Loup. Non,
Non, repartit la Mule, il est vray, je l’ignore,
Mes Parens, pour raison, ne me l’ont point appris.
D’un tel discours nos Gens estant surpris,
 Tous deux s’obstinerent encore
 A la presser à qui mieux mieux ;
 Mais la Mule en sçavoit plus qu’eux.
 Qui de vous deux sçait le mieux lire,
Leur dit-elle ? Le Loup luy dit d’abord, c’est moy.
Le Renard ne dit rien, voulant sçavoir pourquoy
Se fait cette demande. A mon pied de derriere,
Dit la Mule, mon nom est écrit, lisez donc.
Qui, moy, dit le Renard ? lire je ne sçûs onc,
Disant ces mots, il tourna le derriere.
Je lis comme un Docteur, Oh, montrez, dit le Loup.
La Mule en luy montrant, vous luy lâche un grand coup
De son Fer à crampons au milieu du visage,
Et de ce coup il fut étendu roide mort.
 Tant pis pour vous, Signor Dottor,
Dit le Renard, fuyant sans parler davantage.
***
 Or sus, lequel est le plus sage
 A vostre avis, de ces deux Animaux ?
Je tiens pour le Renard, & pour son ignorance,
 Une fâcheuse experience,
 Nous faisant voir, que si par la science
Il vient un peu de bien, il vient beaucoup de maux.

[Parution de Fables nouvelles]* §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 130.

A propos de cette Fable, vous serez bien aise d’apprendre que le Sr Blageart en doit debiter un Recueil au commencement du mois prochain, sous le Tître de Fables Nouvelles. Je ne vous puis dire qui en est l’Autheur. Je sçay seulement que plusieurs Personnes d’esprit qui les ont veuës, les estiment fort, & disent en les loüant, que l’Illustre Mr de la Fontaine qui a poussé si loin ce genre d’écrire, les lira luy-mesme avec plaisir.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 137-138.

Je vous envoye un Air nouveau que vous aimerez, & par la beauté de la Musique, & par celle des paroles qui sont d´un fort bon Autheur.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par C'en est fait, la raison a chassé de mon ame, doit regarder la page 138.
C'en est fait la raison a chassé de mon cœur
L'ingrat qui faisoit mon martyre,
Je veux le revoir, pour luy dire
Que je ne sens pour luy qu'une extréme froideur.
Mais pourquoy l'asseurer de mon indiférence ?
Si je n'ay point d'amour, ces soins sont superflus.
Ah, c'est aimer plus qu'on ne pense
Que de dire qu'on n'aime plus.
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[Lettre en Prose & en Vers] §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 139-146.

Un Amy de la Mariée qui s’est rencontré à Londres, lors qu’elle y est arrivée, a écrit là dessus une fort jolie Lettre, que vous serez bien aise de voir. En voicy une Copie.

A MADAME DE ***

Rien n’est plus certain, Madame. L’Anglois qui a épousé Mademoiselle de *** ne parle point nostre Langue, & Mademoiselle de *** ne sçait pas un mot d’Anglois. Cela paroist d’abord assez bizarre, mais c’est faute de bien considerer ce dont il s’agit.

 Dés le moment qu’un cœur soûpire,
On connoist en tous lieux ce que cela veut dire,
 Et malgré Babel & sa Tour,
 Dans le Climat le plus sauvage,
 Ne demandez que de l’amour,
 On entendra vostre langage.
La Terre en mille Etats à beau se partager ;
En Asie, en Afrique, en Europe, il n’importe
 L’Amour n’est jamais Etranger
 En quelque Païs qu’on le porte.

Comme il est Pere de tous les Hommes, il est entendu de tous ses Enfans. Il est vray que quand il veut faire quelque mauvais coup, comme il faut qu’il se masque & qu’il se déguise, il faut aussi qu’il se serve de la Langue du Païs ; mais quand il est conduit par l’Hymenée, sans lequel il ne peut estre receu chez les honnestes Gens, il luy suffit de se montrer pour se faire entendre.

En quelque Langue qu’il s’exprime,
On sçait d’abord ce qu’il prétend ;
Et dés qu’il peut parler sans crime,
Une honneste Fille l’entend.

La raison de cela, c’est que la Langue d’Amour n’est qu’une tradition tres-simple & tres-aisée, dont la Nature est dépositaire, & qu’elle ne manque jamais de reveler à toutes les Filles quand elles en ont besoin.

 Parmy toutes les Nations
Si tost que l’on en vient aux privautez secretes,
 L’Hymen en ces occasions
 A certaines expressions
 Qui n’ont point besoin d’interpretes.

Ne vous étonnez donc point que deux Personnes Etrangeres, & d’un langage si diférent, ayent pû se résoudre de se marier ensemble, & croyez comme un Article de Foy naturelle, que dans ces sortes de mysteres, tout le monde parle François. Ajoûtez à cela que de jeunes Epoux ont leur maniere particuliere de s’entretenir indépendamment de toutes les Langues de la Terre.

 Les plus beaux discours qu’on entend,
Pour des cœurs enflamez sont des contes frivoles,
 Et l’Amour pour estre content,
 Ne s’amuse pas aux paroles.

L’Amour est la seule de toutes les Divinitez dont le service n’a jamais changé ; son culte est encore à présent tel qu’il estoit au commencement du Monde. On luy adresse les mesmes vœux ; on luy fait les mesmes Sacrifices ; on luy immole les mesmes Victimes ; & quand deux Amans veulent bien assister en personne à ses Misteres secrets, on n’en a pas sitost chassé les Prophanes, que pleins de ce Dieu qui les possede, ils en comprennent en un moment toutes les Ceremonies, & tout ce qui se fait en son honneur.

Si vous faisiez ce sot Argument à Thomas Diafoirus ; Vos deux Epoux ne parlent pas la mesme Langue ; Ergo, ils ne s’entendent pas. Il vous répondroit. Distinguo, Mademoiselle. Ils ne s’entendent pas le jour. Concedo, Mademoiselle. Ils ne s’entendent pas la nuit. Nego, Mademoiselle. Or s’entendre la nuit, c’est s’entendre la moitié de la vie, & c’est beaucoup pour des Mariez. Je connois bien des Gens, & vous aussi, qui parlent tres bon François, & qui n’en demanderoient pas d’avantage.

 Qu’un Mariage est plein d’appas
Quand la nuit un Epoux peut contenter sa flame,
 Et que le jour il n’entend pas
 Les sottises que dit sa Femme.

[Arrivée de la Statuë du Roy au Havre] §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 160-163

 

Le Samedy 17 de ce mois, on déchargea au Havre de Grace la Statuë Equestre du Roy, faite par le Cavalier Bernin, dont je vous ay parlé plusieurs fois. Elle y a esté conduite de Civita Vecchia, par Mr Barbaut, Capitaine de Marine, sur la Flute du Roy, nommée le Tardif. On l'a mise dans un Smak Hollandois, qui doit la porter à Roüen, & peut-estre jusqu'à Paris sans la décharger, ce qui ne s'estoit point encore vû ; mais rien n'est impossible aux François sous le Regne, & pour le service de LOÜIS LE GRAND. Mr de Montmor, Intendant de Marine au Havre, a célébré l'heureuse arrivée de cette Statüe, par la décharge du Canon & de la Mousqueterie, & par le bruit des Bombes & des Carcasses. Cela s'est passé en présence de tous les Officiers, & des Dames mesme, dont beaucoup estoient venües des Environs, sur ce qu'elles avoient sçû que l'on a préparoit pour cette Cérémonie. Chacun à l'envy a marqué sa joye par des cris reïtérez de Vive le Roy, & par quantité de Muids de Vin qui ont esté défoncez au bruit des Tambours & des Trompetes. On peut reconnoistre par là combien nostre auguste Monarque est aimé de ses Sujets, puis qu'ils rendent à la Statüe les honneurs qu'on n'avoit accoûtumé de rendre qu'aux seules Personnes des Roys.

A Mademoiselle d’Orville. Stances §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 163-169

Vous avez esté si satisfaite de divers Ouvrages galans que je vous ay envoyez de Mr Vignier de Richelieu, que je croirois vous priver d’un grand plaisir, si je négligeois de vous faire part des Vers qu’il a faits pour une tres aimable Demoiselle, qu’il presse de sortir d’une Maison qui menace rüine, & où il croit qu’elle ne peut demeurer sans un peril évident. Voicy ce qu’il luy écrit.

A MADEMOISELLE
D’ORVILLE.
STANCES.

 Iris, sortez de vostre Cage,
 Ne demeurez plus dans un Lieu,
 Ou sans l’assistance de Dieu,
Vous estes tous les jours preste à plier bagage.
***
 Voyez quelle est vostre conduite,
 De voir les Rats quitter leurs trous,
 Et n’oser demeurer chés vous,
Et de ne vouloir pas profiter de leur fuite.
***
 Encor si vous pechiez en âge,
 Vous auriez un peu moins de tort,
 Mais ce n’est pas estre fort sage,
Que d’estre belle & jeune, & d’avancer sa mort.
***
 Connoissant le peril si proche,
 Pouvez-vous dormir en repos,
 Et pensez-vous que vostre dos
Soit pour vous garantir, ou de bronze, ou de roche ?
***
 Considerant cette avanture,
 Tout le monde sera d’accort,
 Que vous avez un esprit fort,
Mais que vous n’avez pas la cervelle assez dure.
***
 Des Vertus vous estes l’exemple,
 Mais pour dire la verité,
 On ne peut sans temerité,
Vous aller rendre hommage en vostre fresle Temple.
***
 Voulez-vous estre l’homicide
 De vous mesme & de vos Amis,
 Ou si c’est à vos Ennemis,
Que vous dressez ce piége en faisant l’Intrépide ?
***
 C’est une chose pitoyable,
 Qu’il faut pour vous voir seurement,
 Se confesser dévotement,
Et se mettre en état de n’aller pas au Diable.
***
 Il est aussi fort nécessaire,
 Qu’étant de tous pechez absous,
 Ceux qui veulent aller chez vous,
Pour faire Testament appellent leur Notaire.
***
 Tel est charmé de vos œillades,
 Qui craint fort vostre hebergement,
 Et qui feroit son logement,
Plûtost sur un Rampart au feu des Mousquetades.
***
 Si vous y restez par finesse,
 Et pour éprouver un Amant,
 Une visite d’un moment,
Vous marquera sans doute un grand fonds de tendresse.
***
 Ah, quelle nouvelle fatale,
 Si quelqu’un me disoit dans peu,
 Iris sans manquer à son vœu,
Vient d’estre ensevelie ainsi qu’une Vestale !
***
 Cette beauté qu’on idolâtre,
 Ce teint de Roses & de Lys,
 Pourroient-ils dans un tel débris,
Conserver leur éclat sous des monceaux de plâtre ?
***
 Non, dans un état si funeste,
 On ne vous reconnoistroit pas,
 Et de tant de charmans appas
Est-ce là, diroit-on, est-ce là ce qui reste ?
***
 Mais touché de vostre merite,
 Et tout penetré de douleur,
 Suivant le panchant de mon cœur,
J’irois vous retrouver sur les bords du Cocyte.
***
De vostre mort & de la mienne,
Arrestez le coup mal heureux ;
Iris, quelque tard qu’elle vienne,
Ce sera trop tost pour nous deux.

Vignier.

[Histoire des malheurs de Charles II. Roy d’Angleterre] §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 179-262

La mort du Roy d’Angleterre est un de ces grands évenemens, dont tout le monde est instruit si-tost qu’ils sont arrivez. Ainsi, Madame, je ne doute point que vous ne l’ayez apprise presque en mesme temps qu’on l’a sceuë icy. Avant que de vous en faire aucun détail, je croy qu’il sera bon de vous dire en peu de mots, quelle a esté la vie de ce Prince. Sa fortune est singuliére, & la maniére dont il est monté au Trône apres les grands perils qu’il a essuyez, merite bien qu’on s’en rafraichisse la mémoire. Charles II. du nom, Roy d’Angleterre, d’Irlande & d’Ecosse, né le 29. May 1630. étoit Fils de Charles I. & d’Henriette de France, Fille de Henry le Grand, & de Marie de Medicis. Il eut pour Parrains le Roy Loüis XIII. & le Prince Electeur Palatin, representez par le Duc de Lenox, & le Marquis Hamilton, & pour Marraine Anne d’Autriche, Reyne de France, dont Madame la Duchesse de Richemont tenoit la place. Il fut ensuite proclamé Roy d’Angleterre, d’Ecosse & d’Irlande, Prince de Galles, Duc de Cornuaille & Comte de Chester, avec les ceremonies accoûtumées. Le soin de son éducation fut confié au Comte de Nevvcastle, & à peine eut-il receu les premieres impressions des Leçons qu’il luy donnoit, que l’envie & l’ambition commencerent à exciter les Soûlevemens, dont les suites ont esté si funestes. Le Prince élevé dans ces desordres, ne respiroit que la Guerre, & le Roy son Pere qui regardoit l’ardeur naturelle de son Fils, comme un secours contre l’audace de ses Sujets, ne négligea rien pour la cultiver. Il n’avoit point encore atteint sa seiziéme année, lors qu’il soûtint un Party, qui étoit beaucoup plus fort que le sien, & que commandoit Farfax. Il y fit des actions surprenantes, mais sa valeur fut contrainte de céder au nombre, & il se trouva réduit à la nécessité de la retraite, ce qu’il fit avec beaucoup de prudence. Le trouble ayant augmenté, & les forces du Roy diminüant, le Prince se rendit à la Cour de France auprés de la Reyne sa Mere, dans l’esperance d’y agir utilement, pour obtenir des secours étrangers contre les Rebelles. Il écrivit delà à tous les Princes de l’Europe, qui étoient Alliez de la Couronne d’Angleterre, mais n’ayant pû obtenir assez promptement ce qu’il demandoit, le Roy qui demeuroit sans Armées, fut obligé de s’aller jetter dans les bras des Ecossois, ses plus mortels Ennemis. Ils le receurent avec toutes les marques d’un zéle sincere, & les promesses pleines d’artifice dont ils se servirent, pour luy faire croire qu’ils entroient veritablement dans ses interests, l’engagerent à faire quitter les Armes au Marquis de Montrosse. C’etoit un Homme inviolablement attaché à son Party, & qui avec plus de valeur que de forces, avoit réduit le Marquis Dargil, Chef des Ecossois rebelles, à luy ceder deux fois la Campagne. Il avoit gagné plusieurs Batailles, pris Edimbourg, & signalé sa fidélité par des actions qui avoient intimidé les Ecossois. Il auroit poussé ses progrés plus loin, si la bonté du Roy trop facile, ne l’eust obligé à les arrester. Il eut besoin des ordres les plus pressans pour obeïr, parce qu’il prévoyoit une partie des malheurs qu’on devoit craindre ; mais enfin son zéle fut inutile. Il falut qu’il congédiast ses Troupes, & il sortit déguisé de l’Ecosse, délivrant ses Ennemis des terreurs que sa valeur leur donnoit. A peine le vîrent-ils éloigné, que les Perfides, sur la foy desquels le Roy s’estoit confié, le trahirent lâchement. Ils le livrérent aux Rebelles d’Angleterre ; & le jeune Prince de Galles ayant appris ces indignes traitemens, résolut de périr glorieusement en tâchant de luy procurer la liberté par les Armes. Il envoya aussi tost Barclay qui estoit auprés de luy, afin d’entrer s’il pouvoit en quelque négotiation avec l’Armée ; mais Cromvvel & Farfax s’estans rendus maistres des esprits, les Officiers ne voulurent point l’écouter, & son Voyage n’eut aucun succés. Le Comte de Kent fut le seul qui pendant ces troubles osa marquer sa fidélité en prenant les armes pour le Roy. D’un autre costé, Keme sollicité par Batten, qui avoit esté auparavant Vice-Amiral du Comte de Warvvic, agit avec tant d’adresse, qu’il mit dans les intérests de Sa Majesté plusieurs Capitaines de Vaisseaux, qui estoient aux Dunes à l’embouchure de la Tamise. Quelque temps auparavant, le Duc d’York qui étoit gardé à Londres dans le Palais de S. James, résolut de se sauver. Ce jeune Prince s’estant fait donner un jour la Clef du Parc, sous prétexte de chasser, fut assez heureux pour se dérober de ceux qui l’observoient ; & se déguisant avec une Perruque noire, & un emplastre sur l’œil, il sortit du Parc, & entra dans un Carrosse, qui le porta jusqu’au bord de la Tamise. Une Gondole l’y ayant reçû, il se rendit en un lieu où il prit un habit de Femme. Il revint de là dans sa Gondole, qui le rendit à Grenvic sans aucun obstacle ; mais en ce lieu-là celuy qui le conduisoit refusa de passer outre, non seulement à cause d’un vent contraire qui venoit de s’élever, mais par la crainte de contribuer à la fuite de quelque Personne considérable, ce qui estoit dangereux en ce temps-là. Malheureusement pour le jeune Prince, son Cordon bleu qu’il avoit mal caché en se déguisant, parut aux yeux de ce Marinier, qui plus intelligent que plusieurs de sa profession, sçachant qu’une marque si illustre ne se donne en Angleterre qu’aux Personnes du premier rang, comprit le mistere, & ne douta point que ce ne fust le Duc d’York qu’il menoit. L’embarras où le met cette rencontre, le fit s’obstiner à n’avancer plus. Banfila qui accompagnoit le Prince, desesperé du retardement, conjura le Matelot de passer promptement la Dame qui étoit dans sa Gondole, parce qu’elle avoit des affaires tres-pressantes. Il luy répondit d’un ton severe, qu’il falloit que cette Dame eust des privileges bien particuliers, pour avoir receu l’Ordre de la Jarretiére, qu’on ne donne point aux Femmes. Le Prince qui avoit l’ame intrépide, & les maniéres persuadantes, prit une résolution digne de luy. Il tendit la main au Matelot, & avec une douceur qui auroit gagné les moins traitables ; Je suis le Duc d’York, luy dit-il. Tu peux tout pour ma fortune, & peut-estre pour ma vie. C’est à toy à voir si tu veux me servir fidellement. Ce peu de mots desarma le Matelot. Il luy demanda pardon de sa résistance, & commença à ramer avec tant de vigueur, qu’il fit arriver le Prince à Tibury, plûtost qu’il ne l’avoit esperé. Il y trouva un Vaisseau Hollandois qui l’attendoit, & qui le porta à Midelbourg. Son évasion inquiéta les Etats. Il arriva des desordres en Ecosse. Les Communes du Comté de Kent prirent les armes, pour demander la liberté de leur Roy. La Noblesse appuya leurs justes prétentions, & la pluspart des Vaisseaux qui étoient aux Dunes, se déclara pour les mesmes interests. Ce soûlevement donna lieu à une entreprise assez surprenante. Un jeune Homme appellé Corneille Evans, né dans Marseille, d’un Pere sorty du Païs de Galles, arriva dans la Ville de Sandvvic, couvert d’un habit si déchiré, qu’étant pris par tout pour un Homme de néant, il eut de la peine à trouver où se loger. Enfin, ayant esté receu dans une Maison de peu d’apparence, où il se fit assez bien traiter, il tira son Hoste à part, & luy dit que pour reconnoistre l’honnesteté qu’il venoit d’avoir pour luy, il vouloit luy confier un secret dont il pouvoit attendre de grands avantages, s’il en sçavoit bien user. Il ajoûta qu’il étoit le Prince de Galles ; qu’il s’étoit mis en l’état où il le voyoit, pour se dérober aux yeux de ses Ennemis ; qu’ayant appris que les Peuples de cette Province se soûlevoient, il prétendoit leur donner courage, & commencer avec eux le secours qu’ils devoient au Roy son Pere. Cet Homme crédule se laissa persuader, & tout glorieux d’avoir chez luy le Fils de son Roy, il alla sur l’heure avertir le Maire, qui étant venu rendre ses respects à ce faux Prince, le fit loger dans la plus belle Maison de la Ville. Chacun le traita de la mesme sorte. On luy donna des Gardes avec ordre de se tenir découverts en sa presence, & le bruit de son arrivée s’étant répandu dans tout le Comté de Kent, grand nombre de Gentilshommes, & de Dames mesme, vinrent luy offrir leurs biens, pour le secourir dans son entreprise. Ceux qui s’étoient soûlevez, députerent aussi-tost pour le prier de se vouloir montrer à leur teste ; & il auroit joüé plus long-temps ce personnage, si le Chevalier Dishinton que la Reyne & le Prince de Galles avoient envoyé en Angleterre, pour s’informer du veritable état des affaires, n’eust fait connoistre la fourbe. Il se disposoit à retourner en France, lors qu’il apprit ce qui se passoit à Sandvvic. Il y courut, & convainquit l’Imposteur, qui fut arresté, conduit à Cantorbery, & de là à Londres, d’où il se sauva quelques mois apres. On n’en a point entendu parler depuis.

Les Vaisseaux des Dunes que Farfax tâcha inutilement de séduire par ses offres, étant passez en Hollande, ceux qui les commandoient envoyerent avertir le Prince de Galles, qu’ils ne s’étoient soustraits de l’obeïssance des Etats, que pour recevoir ses ordres. Il partit de S. Germain en Laye, où il avoit toûjours demeuré depuis qu’il étoit sorty d’Angleterre, & s’étant embarqué à Calais accompagné du Prince Robert, & d’un grand nombre de Noblesse Angloise & Ecossoise, que la persecution des Ennemis du Roy avoit contrainte de se retirer en France, il passa heureusement en Hollande au commencement de Juillet en 1648. Apres avoir loüé la fidelité des Officiers qui persistoient courageusement dans le dessein de perir, s’il le falloit, pour s’opposer aux Rebelles, il monta sur l’Amiral, fit courir un Manifeste, par lequel il déclara qu’il ne prenoit les armes que pour maintenir la Religion dans la pureté de ses Instructions, pour donner la Paix aux trois Royaumes, en remettant les Loix dans leur force, & pour delivrer le Roy son Pere d’une tyrannique oppression, & ensuite il alla se presenter devant Yarmouth, demandant que les Portes de la Ville luy fussent ouvertes. Les Magistrats répondirent qu’ils n’en estoient pas les maistres, & leur obstination l’emporta sur l’inclination du Peuple, qui envoya des rafraîchissemens à ce Prince. Il se retira vers les Dunes avec sa Flote, & n’ayant reçû aucune réponse favorable des Lettres qu’il avoit écrites à Londres sur son Manifeste, il alla chercher le Comte de Warvvic, qui estoit en mer avec seize Vaisseaux, & que les Etats avoient étably Grand Amiral du Royaume. Le Comte évita les occasions d’en venir aux mains ; & la nuit les ayant obligez de jetter l’ancre à une lieuë l’un de l’autre, le Prince luy manda par un Officier, qu’estant en personne sur les Vaisseaux qu’il avoit veus, il luy commandoit de le venir joindre pour servir le Roy, & de mettre Pavillon bas quand il leveroit les ancres. Le Comte luy répondit qu’il ne reconnoissoit que les Etats pour ses Maistres, & qu’il ne devoit attendre de luy aucune soûmission. Le Prince irrité de cet orgueil, fit mettre à la voile si-tost qu’il fut jour, & alla droit à Warvic, dont il trouva la Flote augmentée de douze Vaisseaux sortis du Port de Porthmouth ; ce qui ne l’eust pas empesché de le combatre, si une tempeste qui dura vingt quatre heures n’eust séparé si bien les deux Flotes, que le Prince fut contraint de relâcher en Hollande. Tout ce qu’il pouvoit tenter pour la liberté du Roy son Pere, estant ainsi renversé, & tout luy manquant pour la subsistance de son Armée, il ne se remit point en mer, & attendit le succés de quelques Traitez d’Accommodement dont on parloit ; mais apres des Procédures qu’on ne peut entendre sans horreur, le Roy forcé de comparoistre devant ses Sujets, fut condamné, comme Traître, Tyran, & Perturbateur du repos public, à avoir la teste coupée ; & cet effroyable Arrest fut exécuté le 9. Fevrier 1649. à la porte de son Palais, dans la mesme Ville où il estoit né, & au milieu d’un Peuple dont sa bonté luy devoit avoir gagné tous les cœurs.

Le Prince ayant appris cette funeste nouvelle à la Haye, sçût en mesme temps que les Etats avoient déclaré qu’on aboliroit le nom de Roy, & que le Royaume prendroit celuy de République. On ne laissa pas, malgré ces défenses, de voir des Placards affichez dans toutes les Villes d’Angleterre, avec ces mots, CHARLES STUART DEUXIÉME DU NOM, ROY D’ANGLETERRE, D’IRLANDE ET D’ECOSSE. Il y eut aussi une fort grande contestation à Londres pour les intérests du jeune Roy. Les Etats qui en avoient supprimé le titre, ne pûrent obtenir du Maire qu’il fist la Publication de cette Ordonnance. On l’interdit de sa Charge ; & celuy qui la remplit s’étant disposé à obeïr aux Etats, le Peuple courut aux armes, en criant de toutes parts, Vive Charles II. Le tumulte eust esté loin, si Cromvvel, qui avoit prévû ce zéle des Habitans, n’eust fait paroistre quatre Compagnies de Cavalerie, qui dissipérent la foule, & qui couvrant le nouveau Maire, luy donnérent le temps de publier l’injuste Ordonnance qui avoit esté faite. Pendant ce temps le Prince cherchoit à vanger l’exécrable Parricide qui venoit d’estre commis. Il sçût que les Ecossois l’avoient fait proclamer Roy dans la grande Place d’Edimbourg avec toutes les formalitez nécessaires à rendre cette reconnoissance autentique ; & comme il avoit une haute estime pour la vertu du Marquis de Montrosse, voulant se servir de luy pour remonter sur le Trône, il l’envoya chercher jusqu’en Allemagne, où il s’estoit engagé au service de l’Empereur. Montrosse ne balança point sur ce qu’il avoit à faire. Il supplia l’Empereur qui l’avoit fait Grand Maréchal de l’Empire, de trouver bon qu’il allast servir son Prince. L’Empereur loüa sa fidélité. Il luy permit de lever des Troupes ; & les Roys de Suéde, & de Dannemark, luy ayant donné la mesme liberté dans leurs Etats, il fit passer ses premieres Levées aux Isles Orcades, sous les ordres du Comte de Kennoüil, l’assûrant qu’il ne manqueroit pas de le joindre avec mille Chevaux & cinq mille Hommes de pied. Ceux qui composoient les Etats d’Ecosse, étant avertis que le Roy avoit envoyé chercher Montrosse, qui n’estoit pas bien dans leurs esprits, demandérent par un des Articles de Paix qu’ils firent avec ce Prince pour le reconnoistre, que ce Marquis ne rentrast point dans le Royaume. Le Roy ne pût se résoudre à l’abandonner. Il fit voir aux Commissaires envoyez à Breda pour conclurre le Traité, qu’il y alloit de son service, de ne pas laisser inutile le courage d’un Homme dont le zéle & la valeur luy estoient connus par de grandes preuves. Ces Commissaires insistérent sur leur demande, & pendant ce temps, les Troupes qui estoient descenduës aux Orcades arrivérent, & Montrosse arriva luy-mesme peu de temps apres avec un Corps de quatre mille Hommes. Les Etats s’en trouvérent alarmez. Ils avoient plus de douze mille Soldats sous les armes, commandez par David Lesley. Ce Genéral détacha six Cornetes de Cavalerie sous les ordres d’un Colonel Anglois nommé Stranghan, pour aller s’opposer au passage du Marquis de Montrosse. Ils se rencontrérent en un lieu fort avantageux pour la Cavalerie de Stranghan, qui l’ayant défait, le fit prisonnier. On le conduisit à Edimbourg, les mains liées, & avec les plus indignes traitemens que l’on peut faire à un Criminel. La Sentence de mort qui fut exécutée contre luy, portoit qu’il seroit pendu, qu’on mettroit sa teste au plus haut lieu du Palais d’Edimbourg, & que son corps partagé en quatre, seroit exposé sur les Portes des Villes de Sterlin, Glascovv, Perth, & Aberdin. La lecture de cette injuste Sentence ne l’étonna point. Il dit avec une fermeté digne de son grand courage, que ses Ennemis en le condamnant ne luy avoient pas fait tant de mal qu’ils avoient crû, & qu’il estoit fâché que son corps ne pust estre partagé en autant de pieces qu’il y avoit de Villes au Monde, parce que c’eust esté autant de Bouches qui auroient parlé éternellement de sa fidélité pour son Roy. Ce Prince fut sensiblement touché de cette mort, qu’il connut bien qu’on avoit précipitée de peur qu’il ne l’empeschast par son autorité, ou par ses prieres. Il fut sur le point de rompre le Traité de Breda, & tout commerce avec les Etats d’Ecosse ; mais la nécessité du temps & de ses Affaires ne le permit pas. Il s’embarqua à Scheveling le 2. de Juin, pour passer dans ce Royaume, & estant arrivé à l’embouchure de la Riviere de Spey, il y prit terre. Un grand nombre des plus considérables Seigneurs Ecossois étant venu le trouver, l’escorta jusqu’à Dundée, où il reçût les Députez chargez de luy dire que tous ses Peuples d’Ecosse le voyoient arriver avec une joye extréme, & qu’ils estoient prests de donner leurs biens, leur sang & leurs vies, pour luy faire avoir raison de ses Ennemis. Le Roy répondit à ce compliment avec de grandes marques d’affection pour les Ecossois ; & ses empressemens à solliciter les Etats de lever des Troupes, les y ayant obligez, les Commissions furent données pour seize mille Hommes de pied, & pour six mille Chevaux. On fit le Comte de Leven Genéral de l’Infanterie, & Holborne de la Cavalerie, avec Montgommery & Lesley, & le Roy fut Genéralissime. Le bruit de ces Armemens s’étant répandu en Angleterre, Cromvvel qui avoit accepté l’Employ de Farfax, s’avança entre les Villes d’Edimbourg & de Leith, où les Troupes Ecossoises s’estoient retranchées. Apres deux Combats donnez, sans nul avantage pour l’un ny l’autre Party, les Armées se rencontrérent le 10. de Septembre prés de Copperspec, & vinrent aux mains avec tant de malheur pour celle d’Ecosse, qu’il demeura de ce coste là pres de cinq mille Morts sur la place, avec toute l’Artillerie & tout le Bagage. Le nombre des Prisonniers monta à huit mille. Cette Victoire enfla le courage de Cromvvel, qui n’eut pas de peine ensuite de se rendre Maistre d’Edimbourg & de Leith. Des succez si malheureux refroidirent les Etats. Ils établirent des Commissaires pour régler le nombre des Domestiques du Roy, & des Officiers nécessaires à son service. Ils éloignoient les Affaires de sa connoissance, ne mettoient que de leurs Créatures auprés de luy, & ce Prince ne pouvant souffrir cet esclavage, résolut enfin de se retirer. Il partit de saint Johnstons, seulement avec quatre Hommes, & alla au Port d’Ecosse chercher un azile chez Milord Deduper, où il sçavoit qu’il devoit trouver le Marquis de Huntley ; les Comtes de Seaforth & d’Atholl ; & plusieurs autres Seigneurs, qui étoient inviolablement attachez à luy avec un Party assez puissant. Son départ ayant fait naistre divers sentimens sur la conduite qu’on devoit tenir, il fut résolu qu’on l’envoyeroit supplier de revenir à S. Johnstons, pour y recevoir les témoignages du zéle que les Etats avoient pour son service. Montgommery Genéral Major fut honoré de cette Commission. Il se rendit chez Milord Déduper, & apres avoir marqué au Roy le terrible déplaisir que son éloignement avoit causé aux Etats, il le conjura de vouloir bien le faire cesser par sa presence, & luy protesta qu’il ne trouveroit dans les Ecossois que des Sujets tres-soûmis. Le Roy que l’experience avoit persuadé de leur peu de foy, rejetta d’abord cette priere. Il dit qu’il étoit las de souffrir des Maistres dans un lieu où il devoit commander absolument ; qu’estant né Roy, il ignoroit comme il falloit obéïr, & qu’il avoit fait assez d’honneur aux Etats, pour les engager à avoir pour luy les déferences qui luy étoient deuës. Montgommery luy dit des choses si persuasives, & elles furent si puissamment appuyées par le Marquis de Huntley, que le Roy se laissa vaincre. Il considera qu’un refus pourroit irriter ces Peuples dont il devoit tout attendre, & consentit à reprendre le chemin de S. Johnstons, où il receut des Etats des remercimens qui luy firent perdre toute la crainte qu’il avoit euë. Ce bonheur ne dura pas. La division se mit entre les Generaux des Troupes, qui avoient esté conjointement levées par les Etats & par le Clergé. Le Roy n’oublia rien de ce qui pouvoit la faire cesser, mais il ne put en venir à bout. Les Anglois en profiterent. Le Château d’Edimbourg qui avoit toûjours resisté, se rendit par l’infidelité de Dundasse, qui fut séduit par Cromvvel. Cette perte & d’autres progrés que les Anglois faisoient en Ecosse, firent juger aux Etats que les querelles qui divisoient le Royaume, ne finiroient point que par une Autorité Royale. Afin que tout le monde fust obligé de la reconnoistre, on résolut de ne point differer davantage le Couronnement du Roy. La Cerémonie s’en fit le 4. Janvier 1651. dans l’Abbaye de Schoone, où l’on avoit accoustumé de la faire, & Charles II. est le quarante-huitiéme Roy que l’on y a couronné. Il partit de S. Jonstons avec une pompe digne de son rang. Il estoit accompagné de la Noblesse, & escorté de l’Armée. Milord Angus, en qualité de Grand Chambellan, le reçût dans la Maison qui luy avoit esté préparée ; & le Comte d’Argil, au nom des Etats, luy fit un Discours plein d’assurances tres-respectueuses, & de protestations d’une inviolable fidélité. Apres la Harangue, le Roy marcha vers l’Eglise, suivy de tous les Seigneurs d’Ecosse, & des Officiers de sa Maison, sous un Dais de Velours cramoisy, qui estoit porté par quatre Personnes considérables. Il avoit le Grand Connétable à sa droite, & à sa gauche, le Grand Maréchal du Royaume. Le Marquis d’Argil portoit la Couronne ; le Comte de Craford-Lindsey, le Sceptre ; le Comte de Rothes, l’Epée, & le Comte d’Eglinton, les Eperons. Le Roy, suivant l’usage des Roys ses Prédecesseurs, fit le Serment sur un Trône que l’on avoit élevé dans cette Eglise. Trois Personnes qui représentoient les trois Etats d’Ecosse, se présentérent devant luy, soûtenant chacune la Couronne d’une main. Ils la remîrent à trois Ministres députez du Clergé, dont l’un dit au Roy, Sire, je vous présente la Couronne & la Dignité de ce Royaume, & s’estant tourné vers le Peuple, il ajoûta, Voulez-vous reconnoistre Charles II. pour vôtre Roy, & devenir ses Sujets ? Le Roy s’estant aussi tourné vers le Peuple, ce furent par tout des cris de Vive Charles II. Les Ministres luy ayant ensuite donné l’Onction Royale, le Comte d’Argil luy mit la Couronne sur la teste, & le Sceptre dans la main. Son Couronnement étoufa beaucoup de troubles. On ordonna de nouvelles Levées, & l’on fit fortifier Sterlin. Cromvvel voyant l’Armée du Roy prés de cette Ville où l’on apportoit facilement toute sorte de munitions & de vivres, & apprenant qu’elle estoit dans la disposition de marcher vers l’Angleterre, se campa aux environs d’Edimbourg, afin de luy en fermer le passage. Il voulut engager ce Prince à un Combat en s’aprochant à la vuë de son Camp, & hazarda une Attaque, dans laquelle il fut repoussé & mis en desordre. Ce mauvais succés le fit résoudre à quiter la place. Le Roy aprit qu’il estoit allé s’emparer de Fife, & détacha malheureusement quatre mille Hommes, que commandoit le Chevalier Brovvn. Lambert les attaqua avec un Party plus fort, & les défit prés de Nesterton. Ce coup, quoy que fort sensible au Roy, n’abatit point son courage. Il fit assembler le Conseil de Guerre, où ses Capitaines luy ayant représenté que beaucoup de ses fidelles Sujets qui n’osoient se déclarer en Angleterre, prendroient son Party lors qu’ils l’y verroient entrer à la teste d’une Armée. Il résolut de le faire sans aucun retardement. Il partit de Sterlin le 10. Aoust, & si-tost qu’il fut dans le Comté de l’Enclastre, il fit publier une Amnistie Genérale, & défendit toutes les hostilitez que les Gens de Guerre ont accoûtumé de commettre lors qu’ils entrent dans un Païs Ennemy, afin de montrer par là, qu’il ne venoit qu’en Prince qui aimoit le bien de ses Sujets. Cromvvel le suivit, & Lambert voulut luy disputer le passage du Pont de Wariston, mais il ne pût l’empescher d’arriver à Worcester, dont les Habitans luy ouvrirent les Portes le 22. Aoust, apres luy avoir aidé à chasser la Garnison que les Etats y avoient mise. Le Roy y entra au milieu des cris de joye, & y fit celébrer un Jeûne, qui fut accompagné de Prieres extraordinaires. Cromvvel à qui les Passages étoient libres, arriva devant la Place le 2. de Septembre, & fit attaquer dés le lendemain le Pont de Hapton, qui en défendoit l’entrée du costé de la Riviere de Saverne. Ce Poste que le Colonel Massey défendit avec beaucoup de valeur, fut enfin forcé. La mesme chose arriva à un autre Pont, appellé Porvvik Bridge, encore plus important que le premier. Le Duc d’Hamilton fut mortellement blessé en le défendant, & mourut peu de jours apres de sa blessure. Cet avantage ne laissa pas de couster cher à Cromvel. Le Roy chargea luy-même son Quartier, blessa de sa main le Capitaine de ses Gardes, & donna mille preuves de conduite & de valeur ; mais enfin un Corps de huit mille Anglois s’estant approché de la Ville, dans le trouble où le mauvais succés du Combat avoit mis les Habitans, les Rebelles se rendirent maîtres d’une de ses Portes, y traitérent impitoyablement tout ce qu’ils trouverent du Party du Roy ; & tout ce que pût faire ce malheureux Prince, fut de rallier promptement mille Chevaux, & de sortir sur le soir par une Porte opposée à celle dont les Ennemis s’étoient emparez. Toute cette Troupe marcha plus d’une heure sans sçavoir où elle alloit. On s’arresta pour tenir Conseil. Quelques-uns proposérent de gagner quelque Poste avantageux, pour y attendre le ralliement des Fuyards ; mais Milord Wilmot leur fit connoistre qu’il estoit impossible de résister à cinquante mille Hommes qui les poursuivroient dés le lendemain, & qu’il faloit songer seulement à mettre le Roy en sûreté. Le Comte de Darby se chargea de luy trouver une Retraite assurée ; & prenant Wilmot pour compagnon de son entreprise, il ne voulut estre accompagné que de deux Gentilshommes nommez Giffard, & Walker. Le Roy partit sous la seule escorte de ces quatre Hommes, & ils firent une telle diligence, que lors que le jour parut, ils se trouvérent à demy-lieuë d’un Chasteau nommé Boscobel, éloigné de Worcester de vingt-six milles. Comme on n’y pouvoit entrer à une heure induë sans découvrir le secret, Giffard proposa de prendre la route d’un petit Hameau appellé les Dames Blanches, où il répondit de la fidélité d’un Païsan qu’on nommoit George Pendrille. On alla chez luy mettre pied à terre, & le malheur du Roy luy fut confié, ainsi qu’à trois de ses Freres, qui promirent tous de périr plûtost que de parler. Ensuite on coupa les cheveux du Prince, il noircit ses mains, ses habits furent cachez dans la terre, on luy en donna un de Païsan, & George Pendrille luy ayant fait prendre une Serpe, le mena couper du bois avec luy. Comme le sejour de ceux qui l’accompagnoient pouvoit le trahir, ils s’en séparérent, apres luy avoir marqué par leurs larmes la vive douleur que leur causoit sa disgrace. A peine le Roy fut dans la Forest, que deux cens Chevaux arrivérent au même Hameau. Les Commandans voulurent d’abord en visiter les Maisons, mais quelques Femmes leur ayant dit qu’elles n’avoient veu que quatre Hommes à cheval, qui s’étoient séparez il n’y avoit que deux heures, & avoient pris diférentes routes, ils crûrent que le Roy estoit un de ces Fuyards, & ayant fait quatre Escadrons de leurs Troupes, ils prirent tous des chemins divers. Ce Prince passa le jour dans le Bois, & revint le soir avec Pendrille. Comme il estoit résolu de se retirer au Païs de Galles, il se fit conduire cette mesme nuit chez un Gentilhomme nommé Carelos, dont il connoissoit la fidélité. Quoy qu’il y eust trois lieuës du Hameau à la Maison de ce Gentilhomme, il les fit à pied avec ardeur, & luy communiqua le dessein où il estoit de passer la Riviere de Saverne. Carelos l’en détourna ne luy apprenant que tous les Passages en estoient gardez, & la nuit suivante il le remena chez le Païsan qui l’avoit déja caché. Pendrille craignant que l’habit de Bucheron ne trompast pas les Habitans du Hameau, qui pouvoient le remarquer, luy proposa un plus sûr azile. Il y avoit dans le Bois un Chesne que la Nature sembloit avoir fait pour un dessein extraordinaire. Il estoit si gros, & toutes ses branches estoient si toufuës, que vingt Hommes auroient pû estre dessus, sans qu’on les eust découverts. Il pria le Roy d’y vouloir monter ; ce qu’il fit avec Carelos. Ils s’y ajustérent sur deux Oreillers, & y passérent le jour, sans autre nourriture que du Pain & une Bouteille d’Eau. Ce Chesne a depuis esté nommé le Chesne Royal. La nuit ils retournérent dans la Maison de Pendrille. Le Roy y trouva un Billet de Milord Wilmot, par lequel il le prioit de se rendre chez un Gentilhomme apellé Witgraves. Le Roy partit aussi-tost, apres avoir congedié Carelos. Il fit ce petit Voyage, accompagné des quatre Freres, & monté sur le Cheval d’un Meusnier. La joye de Wilmot fut grande lors qu’il vit son Prince. Il luy dit qu’il n’y avoit aucune assurance pour sa vie, s’il ne sortoit du Royaume, & qu’il avoit pris des mesures avec Witgraves pour le conduire à Bristol ; que Mademoiselle Lane, Fille du Colonel de ce nom, y devoit aller pour les Couches d’une Sœur, & qu’en qualité de Domestique il la porteroit en croupe. La chose fut fort bien exécutée. Quelques jours auparavant, cette Demoiselle avoit obtenu un Passeport pour aller à Bristol avec un Valet. Elle étoit adroite & spirituelle, & déguisa si bien le Roy en luy lavant le visage d’une Eau dans laquelle elle avoit fait boüillir des écorces de noix, & d’autres drogues, qu’il estoit difficile de le reconnoistre. On luy donna un Habit conforme à ce nouveau Personnage, que la fortune luy faisoit joüer, & dans cet état ils prirent le chemin de Bristol. Wilmot feignant de chasser un Oyseau sur le poing, les accompagna jusques à Bronsgraves. Le Cheval du Roy y perdit un fer, & il falut luy en faire mettre un autre. On s’adressa à un Maréchal, qui en le ferrant demanda des nouvelles du Roy, au Roy mesme. Le Prince ayant répondu qu’il le croyoit en Ecosse, le Maréchal ajoûta qu’asseurément il étoit caché dans quelque Maison d’Angleterre, & qu’il eust bien voulu le découvrir, parce qu’il n’auroit plus à se mettre en peine de travailler, s’il trouvoit moyen de le livrer aux Etats. Cette conversation finie, le Roy continua son chemin, avec la Demoiselle qu’il portoit toûjours en croupe. Peu de temps apres à l’entrée d’un Bourg, quelques Cavaliers envoyez pour l’arrester, vinrent à luy, & le regardant attentivement, celuy qui les commandoit leur dit qu’ils le laissassent passer, & que ce n’étoit pas ce qu’ils cherchoient.

Estant enfin arrivez chez Mr Norton à trois milles de Bristol, le Roy feignit de se trouver mal, & Mademoiselle Lane qui passoit pour sa Maîtresse, luy fit donner une Chambre. Le lendemain un Sommelier nommé Jean Pope, qui avoit long-temps servy dans les Armées du feu Roy, démesla les Traits du Prince dans ceux du Conducteur de Mademoiselle Lane, & l’ayant prié de descendre dans la Cave, il luy presenta du Vin, mit ensuite un genoüil en terre, & luy fit de si ardentes protestations de fidelité, que le Roy le chargea du soin de luy chercher un Vaisseau pour passer en France, mais il luy fut impossible de s’embarquer à Bristol. Milord Wilmot l’étant venu joindre, le conduisit chez le Colonel Windhams, dans le Comté de Dorset. Ils y furent trois semaines, attendant les facilitez d’un Passage à Lime. Il y eut encore un second obstacle. Un Capitaine dont on s’étoit asseuré, manqua de parole, & pour nouvelle disgrace, le Cheval de Milord Wilmot s’étant déferré, le Maréchal connut aux clouds, que celuy qui le montoit venoit du costé du Nord, & le bruit fut aussi-tost répandu que le Roy y étoit caché. Cela l’obligea de se rendre à Bridport sans aucun retardement. La nuit suivante, il arriva à Braadvvindsor, ou quantité de Soldats qui s’embarquoient, l’ayant mis dans la nécessité de se cacher, il retourna chez le Colonel Windhams, avec lequel il trouva à propos d’aller chez Mr Hides, du costé de Salisbury. Estant arrivez à Mere, ils descendirent à l’Image S. George. L’Hoste qui connoissoit le Colonel, voyant le Roy debout dans la posture d’un Domestique, luy demanda si c’étoit un de ses Gens. Ensuite il porta la Santé du Roy au Colonel. Ils se rendirent de là chez Mr Hides ; mais quoy qu’on pust faire, il fut impossible de trouver un Vaisseau dans tous les environs de la Mer, du costé de Southompton. Mr Philips que l’on avoit envoyé pour cela, rencontra le Colonel Gunter, qui se chargea de tenir une Barque preste à Britemhsthed en Sussex. Le Roy s’y rendit en diligence & y trouva Milord Wilmot ; & Maumsel Marchand, dont Gunter s’étoit servi pour le succés de son entreprise. Le Capitaine du Vaisseau, nommé Tetershall, se mit à table avec le Roy & Milord Wilmot. Comme il avoit vû ce Prince aux Dunes, il le reconnut, & s’aprochant de l’oreille du Milord ; Vous avez des Domestiques de bonne Maison, luy dit-il, & je croy qu’il y a peu de Gentilshommes en Europe aussi bien servis que vous. Il ne perdit point de temps. Il donna ses ordres pour l’embarquement, & le Vaisseau se mit en Mer le 20. Octobre à cinq heures du matin. Dans le Trajet un Matelot prenant du Tabac, & le Capitaine connoissant que la fumée incommodoit Sa Majesté, il le gronda, & luy ordonna de se retirer. Le Matelot le fit avec peine, & luy répondit en murmurant par une façon de parler Angloise, Qu’un Chat regardoit bien un Roy. Le Voyage se fit sans obstacle. On arriva à Fécamp en Normandie, où le Milord qui n’avoit rien dit jusque-là, avoüa au Capitaine que c’étoit le Roy qu’il avoit passé. Il se jetta aux pieds de son Prince, qui luy promit de récompenser un jour sa fidelité. Le Roy ayant changé d’habits à Roüen, où il demeura peu de temps chez Mr Scot, vint à Paris attendre les Révolutions qui sont ordinaires à la tyrannie.

Olivier Cromvvel, déclaré Protecteur des trois Royaumes en 1653. mourut en 1658. Apres sa mort on donna la mesme qualité à Richard son Fils ; mais estant incapable de la soûtenir, le Parlement luy fit demander sa démission, & il la donna. Le Genéral Monk se servit avec tant de zéle, de prudence & de conduite, des dispositions où il voyoit les esprits pour le rétablissement de la Monarchie, qu’il fut résolu qu’on rappelleroit le Roy. Le Parlement luy dépescha le 19. de May 1660. un Gentilhomme nommé Kilgrevv, pour luy porter la nouvelle de sa Proclamation, qui avoit esté faite à Londres ce mesme jour ; & ayant donné ordre à l’Amiral Montagu de se mettre en mer pour aller le recevoir sur les Costes de Hollande, il nomma dixhuit Commissaires, six de la Chambre des Pairs, & douze de la Chambre des Communes, pour le supplier de venir prendre possession de ses trois Royaumes. La Ville de son costé choisit vingt de ses plus illustres Habitans, pour luy aller rendre les mesmes devoirs. Tous ces Députez furent favorablement reçûs à la Haye, où le Roy estoit alors. Ce Prince en partit le 2. de Juin, & le Vaisseau sur lequel il s’embarqua, parut au Port de Douvres deux jours apres, 4. du mesme mois. Il y fut reçû par Monk, qui se mit d’abord à genoux. Le Roy le releva en l’embrassant, & en l’appellant son Pere. Apres une conférence d’une demie heure qu’il eut avec luy en particulier, ce Prince se mit sous un Dais qui estoit tendu au bord de la Mer, sous lequel les Ducs d’York, & de Glocester, ses Freres, se mirent aussi. Ils reçûrent là les respects de la Noblesse, & montérent ensuite en Carrosse, où le Genéral Monk prit place, aussi-bien que le Duc de Buckincam. Dans le chemin de Cantorbery ils trouvérent quelques vieux Régimens, avec les Compagnies de la Noblesse en Bataille. Le Roy monta à cheval, & y fit son Entrée à leur teste. Pendant son séjour dans cette Ville, il donna l’Ordre de la Jarretiere au Genéral Monk. Elle luy fut attachée par les Ducs d’York & de Glocester. Le Duc de Southampton y reçût le même honneur ; mais il y eut cette diférence, que ce fut seulement un Héraut qui luy mit l’Ordre. Peu de jours apres le Roy fit son entrée à Londres. Elle fut fort éclatante. Plusieurs Troupes de Gentilshommes & de Bourgeois richement vétus, & superbement montez, marchoient devant luy. Celle qui l’environnoit étoit composée des Herauts, des Porte-Masse, du Maire qui étoit teste nuë avec l’épée Royale à la main, du General Monk, & du Duc de Buckincam qui le precédoient aussi teste nuë. Il marchoit entre les Ducs d’Yorck & de Glocester, & à peine eut-il mis pied à terre à Witheal, qu’au lieu de se rafraîchir, il alla au Parlement. Il entra dans la Chambre des Pairs, manda celle des Communes, & les voyant assemblez, il les asseura qu’il se souviendroit toûjours de la fidelité qu’ils avoient gardée pour son service, & les pria tous d’agir pour le soulagement de son Peuple. Il fut couronné en 1661. dans la mesme Ville, avec une Pompe extraordinaire, & l’année suivante, il épousa Catherine, Infante de Portugal, Fille de Jean IV. & Sœur du Roy Alphonse VI. C’est une Princesse dont la vertu & la pieté, vont au delà de tout ce qu’on en peut dire. Il s’est depuis appliqué avec de grands soins à étouffer les desordres que les Factieux tâchoient de faire revivre. Il en est venu à bout, & a remporté de grands avantages sur les Hollandois, en deux diverses rencontres. Une preuve incontestable des grandes qualitez de ce Monarque, c’est qu’il s’estoit acquis l’amitié du Roy. Je viens aux particularitez de sa mort.

Le Dimanche au soir 11. de ce mois, il parut dans une parfaite santé, & plus gay qu’à l’ordinaire. Il eut la nuit de grandes inquietudes, & son sommeil fut interrompu. Il ne voulut neanmoins appeller personne ; & s’estant levé dés sept heures du matin, il demanda qu’on luy fist le poil. A peine luy eut-on mis un Peignoir, qu’un fort grand tressaillement luy fit pousser avec force les coudes en arriere. Il cria trois fois, Mon Dieu, & demeura ensuite prés de deux heures sans pouvoir parler. Un Valet de Chambre courut à l’Apartement de Monsieur le Duc d’York, & luy dit que l’on croyoit le Roy mort. Ce Duc vint tout effrayé, & en Robe de Chambre. On saigna le Roy deux fois, on luy appliqua des Vantouses, & on luy donna un Vomitif. La connoissance luy revint un peu, & il demanda à boire. On eut quelque espérance de sa guérison, jusqu’au Mercredy au soir. Cependant le mal l’ayant repris avec plus de violence, il mourut le Vendredy 16. entre onze heures & midy. Il n’a eu aucuns Enfans de la Reyne ; mais il en a laissé de naturels, qui sont

Jacques Scott, Duc de Montmouth, Comte de Duncaster, & de Dolkeith, Chevalier de la Jarretiere, &c.

Charles Lenox, Duc de Richemont, Fils de la Duchesse de Porthmouth.

Charles Filts Roy, Duc de Southampton.

Henry Filts Roy, Duc de Grafton, qui a épousé en 1672. la Fille unique de Henry Baron d’Arlington, Secretaire d’Etat.

Georges Filts Roy, Comte de Northumberland.

Anne Filts Roy, qui a épousé Thomas Leonard, Comte de Sussex ; tous Enfans de Barbe Villiers, Duchesse de Cleveland, Comtesse de Castelmene, Baronne de Nonsuch, & Fille du Comte de Grandisson.

Charles Filts Charles, Comte de Plimouth, Filts de Mademoiselle de Kyroüel, Duchesse de Portzhmouth, & Comtesse d’Aubigny. Il a épousé une Fille de Thomas Osborn, Comte de Damby, Grand Trésorier d’Angleterre.

Charlote Filts Roy, qui a épousé le Comte de Lieghfield.

Barbe Filts-Roy.

Si-tost que le Roy fut mort, le Conseil Privé s’assembla, & Monsieur le Duc d’York, présentement Roy sous le nom de Jacques II. s’y estant trouvé, parla de cette maniere à ceux qui composent ce Conseil.

[Harangue du Roy d’Angleterre Jacques II. après la mort du Roy son Frere] §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 263-265

MILORDS,

Avant que de commencer aucune Affaire, il est à propos que je vous fasse une Déclaration, que puis qu’il a plû à Dieu de me placer sur le Trône, & de me faire succeder à un Roy si bon & si clément, & à un Frere qui m’a aimé si tendrement, je feray tous mes efforts pour suivre son exemple, & pour l’imiter, particuliérement dans sa grande douceur, & dans l’affection qu’il avoit pour son Peuple. On m’a représenté dans le Monde, comme un Homme passionné pour le Pouvoir Arbitraire, mais ce n’est pas là la seule fausseté qu’on a publiée de moy. Je feray tout mon possible pour conserver le Gouvernement de l’Etat & de l’Eglise, ainsi-qu’il est présentement étably par les Loix. Je sçay que les Principes de l’Eglise d’Angleterre sont pour la Monarchie, & que ceux qui en sont Membres, ont fait voir qu’ils sont bons & fidelles Sujets ; c’est pourquoy j’auray toûjours soin de la défendre & de la soûtenir. Je sçay aussi que les Loix de ce Royaume suffisent pour rendre un Roy aussi grand Monarque que je sçaurois souhaiter de l’estre ; & comme je n’abandonneray jamais les justes Droits & Prérogatives de la Couronne, aussi n’ôteray-je jamais aux autres ce qui leur appartient. J’ay souvent autrefois hazardé ma vie pour la défense de cette Nation, & j’iray encore aussi avant que personne, pour luy conserver ses justes Droits & ses Priviléges.

[Etablissement d'un Opéra à Marseille] §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 287-289

 

L'établissement d'un Opera ayant réüssy à Paris, Mr Gautier, dont la réputation est connuë de tous ceux qui aiment la Musique, s'est accommodé avec Mr de Lully, pour avoir permission de faire le mesme établissement à Marseille, où il fit representer pour la premiere fois le 28. de Janvier, un Opera intitulé, Le Triomphe de la Paix. Les Habits furent trouvez magnifiques, les Machines justes, & les Décorations tres-belles. La Dance y plut fort, la Simphonie encore davantage, & toutes ces choses firent donner beaucoup de loüanges à Mr Gautier, qui a bien voulu prendre tant de peines, & hazarder tant de frais pour le divertissement de la Province. On s'est rendu de tous costez à Marseille, pour voir ce spectacle que l'on y donne plusieurs fois chaque semaine.

Chanson à boire §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 311-312.

Le temps du Carnaval où nous sommes porte chacun à la joye ; c’est pour cela que l’Air qui suit sera de saison.

CHANSON A BOIRE.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Que le temps soit laid, ou qu’il soit beau, doit regarder la page 312.
Que le temps soit laid, ou qu’il soit beau,
C’est de quoy jamais je ne murmure.
 Il n’appartient qu’aux Beuveurs d’eau
 De se plaindre de la froidure.
 Pour avoir chaud dés le matin,
Le vray secret est de prendre du Vin.
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[Sur la tragédie Andronic]* §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 318.

Les Comédiens François représentent depuis un mois une Tragédie intitulée Andronic. Cet Ouvrage est le charme de la Cour & de Paris. Il tire des larmes des plus insensibles ; & l’on a rien vû depuis long temps, qui ait eu un aussi grand succés.

[Sur la comédie l’Usurier]* §

Mercure galant, février 1685 [tome 2], p. 318-323.

La Comédie de l’Usurier, qu’on jouë alternativement avec cette Piéce, n’a pas esté traitée d’abord si favorablement, & plusieurs ont imité le Marquis de la Critique de l’Ecole des Femmes. C’est le sort des Piéces qui reprennent les vices, d’estre condamnées dans les premieres Représentations. Le chagrin de se reconnoistre dans des Portraits genéraux, & de s’accuser en secret des defauts qu’on blâme, oblige ceux qui se les reprochent à eux-mesmes, à décrier une Piéce, afin d’empêcher qu’on ne la voye ; mais les Gens sinceres & de bon goust, rétablissent dans la suite ce que ces Critiques intéressez ont tâché d’abatre. C’est ce qui ne pouvoit manquer à l’Usurier, puis que la Piéce passe pour bien écrite, & bien conduire, & qu’on y rit depuis le commencement jusques à la fin, sans qu’il y ait ny fade plaisanterie, ny équivoque dont la modestie puisse estre blessée. Ainsi l’on n’y peut rire que de la verité des choses qu’on y dit en reprenant les defauts des Hommes. Ces sortes de choses ne peuvent rendre un Autheur blâmable. Quand on fera voir que de certains Courtisans sont gueux par leur faute, loin de s’en fâcher, ils doivent remercier ceux qui en leur faisant ouvrir les yeux, leur donnent moyen d’éviter leur ruine entiere. Il est si vray qu’on n’a pas eu dessein de choquer la Cour dans cette Piéce, qu’apres avoir donné dans un Acte un Portrait des Courtisans qui vivent dans le desordre, on en donne un dans l’Acte qui suit, entiérement à l’avantage de la Cour. On s’est récrié sur ce que dans cette Piéce on avoit mis des Abbez sur le Théatre ; mais si ceux qui critiquent cet endroit, l’avoient bien examiné, ils connoistroient que le Personnage qu’ils prennent pour un Abbé, n’est qu’un des Usurpateurs de ce Tître, qui s’en servent seulement afin d’estre mieux receus dans les Compagnies ; de sorte qu’on ne peut faire aucune comparaison de ce personnage avec un veritable Abbé. D’ailleurs quand c’en seroit un, on ne pourroit alleguer qu’il désigne particuliérement aucun Abbé, puis qu’il dit des choses genérales, & qui ne peuvent estre appliquées à une mesme Personne. Cela fait voir que c’est fort injustement que l’on impute à un Particulier ce qui en regarde plus de cent. Il en est de mesme des Banquiers dont on parle dans la Piéce. Il est certain que l’Autheur n’en a eu aucun en veuë, mais seulement les vices de leur Profession. Ceux qui prêtent à usure, peuvent ne se pas corriger pour cela ; mais le Public sera du moins averty de beaucoup de choses qu’il doit éviter à leur égard. Cette maniere de corriger les vices à esté trouvée si utile de tout temps, que les Anciens se servoient de Masques semblables à ceux dont ils vouloient faire voir les defauts, afin de les faire remarquer au Public. Il n’en est pas de même aujourd’huy ; & l’on n’attaque à la Comédie que les vices, & non pas les Hommes.

Comme ma Lettre finit avant la fin du Carnaval, & que je veux vous en donner tous les Divertissemens en un seul Article, je remets au mois prochain à vous en parler, aussi-bien que de l’Abbaïe donnée à Mr le Cardinal d’Etrées. Si je ne vous dis rien encore de l’Accommodement de Génes, vous pouvez croire que je n’en oublieray aucune des circonstances, quand il sera temps de vous en entretenir. Je suis, Madame, Vostre, &c.

 

A Paris, ce 28. Fevrier 1685.