1685

Mercure galant, mai 1685 [tome 5].

2017
Source : Mercure galant, mai 1685 [tome 5].
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Mercure galant, mai 1685 [tome 5]. §

[Sur le livre Paralelle de Louis le Grand avec les autres Princes qui ont esté surnommé Grands et le Dictionnaire historique des Conquestes]* §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 8-11

Il ne faut pas s’étonner si une suite si continuelle d’Actions qui sont audessus de toutes sortes d’éloges, en attire tant tous les jours au Roy, non seulement de ses Sujets, mais encore des Nations les plus éloignées, où le bruit de sa grandeur s’est répandu. On ne la peut mieux connoistre que par le Livre intitulé Paralelle de LOUIS LE GRAND avec les autres Princes qui ont esté surnommez Grands. Cet Ouvrage est de Mr de Vertron de l’Académie Royale d’Arles. Il fait voir que le Roy a toutes leurs vertus, sans avoir aucun de leurs defauts, & l’on y trouve les plus beaux traits de l’Histoire universelle. Il finit avec ces paroles divines, qui font l’ame d’une Devise qui a le Soleil pour corps.

Non surrexit major.

Rien ne pouvoit mieux finir un Livre dont le but est de prouver que le Roy est audessus de tout ce qui a jamais porté le nom de Grand. Le mesme jour que Mr de Vertron présenta ce Paralelle à Sa Majesté, il eut l’honneur de luy donner en mesme temps un Dictionnaire Historique de ses Conquestes depuis 1643. jusques en 1679. Je ne sçay si celles de toutes les Puissances du Monde mises ensemble depuis un siécle, composeroient un Volume qui approchast de la grosseur de celuy dont je vous parle. Ce Dictionnaire n’est encore qu’en manuscrit. Je ne vous dis point de quelle maniere le Roy le receut. Il a toûjours beaucoup de retenuë sur ce qui le loüe ; & l’on sçait qu’un de nos plus illustres Autheurs luy ayant présenté un Ouvrage qui renfermoit son Eloge, & qui avoit esté recité en Public avec de grands applaudissemens, ce Prince luy dit, Qu’il le loüeroit davantage, s’il y estoit moins loüé.

[Inscription de Mr Verton pour le château de Versailles]* §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 11-13

Ce Monarque pouvoit dire la mesme chose à Mr de Vertron. C’est encore luy qui a fait l’Inscription suivante pour le Palais de Versailles.

Non est æqua domus Regi. Quid majus in Orbe ?
Naturam superat LODOIX, superavit & artem.

Ces deux Vers ont esté traduits de cette sorte.

 Tout merveilleux qu’est ce Palais,
 Il n’a rien d’égal à son Maistre.
LOUIS, le plus grand Roy que l’on ait vû jamais,
Donne l’ame aux beautez que l’on y voit paroistre.
A tout ce qui le forme un goust exquis a part,
 Et dans sa superbe structure
 Ce Monarque a surpassé l’Art,
 Comme il surpasse la Nature.

On n’a point encore choisy les Inscriptions qu’on doit mettre au Louvre & à Versailles. La beauté de la matiere, le desir de la gloire, & sur tout l’envie de faire quelque chose qui puisse plaire à Sa Majesté, ont engagé quantité de beaux Esprits à travailler sur ces grands sujets.

[Inscription pour le Louvre]* §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 13

Voicy une Inscription pour le Louvre, faite par un Autheur qui m’est inconnu. On suppose une Renommée au-dessus de ce grand Portail. Elle doit tenir le Portrait du Roy d’une main, & de l’autre sa Trompette, avec ces Vers dans la Banderole.

 Monde, viens voir ce que je voy,
 Et ce que le Soleil admire,
Rome dans un Palais, dans Paris un Empire,
 Et tous les Césars dans un Roy.

[Paris Ancien & Nouveau] §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 23-27

Si par ces Estampes on voit ce que le Roy a fait pour l’agrandissement & pour l’embellissement de son Royaume, on apprend ce que Paris luy doit dans un Livre qui se vend depuis peu de jours chez le Sieur Girard à l’Enseigne de l’Envie au Palais. Il est divisé en trois Volumes, & porte pour Titre Paris Ancien & Nouveau. On y voit la fondation, les accroissemens, le nombre des Habitans, & des Maisons de cette grande Ville, avec une Description nouvelle de ce qu’il y a de plus remarquable dans toutes les Eglises, Communautez & Colléges, dans les Palais, Hostels & Maisons des Particuliers, dans les Ruës & dans les Places publiques, & ce qu’il y a de surprenant, c’est qu’il s’est fait plus d’Edifices nouveaux, & plus d’embellissemens à Paris, depuis le glorieux Regne de Sa Majesté, qu’il ne s’y en estoit fait auparavant en plusieurs Siecles. Les grandes actions de ce Monarque ont esté cause qu’on a rebâty presque toutes les Portes de cette superbe Ville, afin de les y marquer, & la beauté de ces Portes a donné lieu de travailler à l’embellissement des Ramparts, & à l’élargissement des Ruës. On a fait en mesme temps des Fontaines nouvelles, & l’on a relevé des Quays. On a fait des Hôpitaux pour les Pauvres Mandians, & le Roy a pris le soin de tout ce qui a regardé le logement & la subsistance des Invalides. Tout cela se voit dans ces trois Volumes, qui font un éloge d’autant plus grand de ce Prince, sans luy donner pourtant aucune loüange, que les choses par lesquelles on auroit pû le loüer parlent elles mesmes, & n’ont pas besoin que l’on ajoûte qu’elles sont autant d’effets de sa bonté pour ses Peuples, & de sa magnificence.

Lettre à l’Autheur du Mercure Galant, concernant le Temple de Grenoble §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 27-37

J’aurois dequoy faire plusieurs Volumes ce mois cy, en ne parlant seulement que de ce qu’il fait à l’avantage de la veritable Religion, si je voulois entrer dans toutes les particularitez où ce grand Monarque veut bien se donner la peine de descendre, en faveur de ses Sujets aveuglez par une fatale obstination. Voicy ce qui m’a esté envoyé imprimé, sur un de ces Articles de Religion.

LETTRE
A L’AUTHEUR
DU MERCURE GALANT,
Concernant le Temple de Grenoble.

MONSIEUR,

Il n’est point de Province en France où la Religion Prétenduë Reformée ait esté plûtost receuë qu’en Dauphiné. J’en trouve trois causes principales. L’une, c’est qu’elle a produit les premiers Ministres de cette Religion, parmy lesquels a esté Guillaume Farel. L’autre, c’est que le Baron des Adrets, le Marquis de Monbrun, & le Connestable de Lesdiguieres, trois Chefs Protestans tres-puissans & redoutez, en attirerent plus par les armes, & par leur autorité, que les Ministres par leur éloquence ; & la troisiéme, que le Calvinisme y ayant trouvé quelque levain de la Secte des Vaudois, il luy a esté facile de se répandre, & de s’estendre en plusieurs endroits ; d’où vient que par tout on avoit basty des Temples, mesme contre la disposition des Edits.

Avant que Grenoble en eust un, les Huguenots, aprés qu’ils eurent abbatu la pluspart des Eglises, firent prescher en celle des Cordeliers, puis ils éleverent un Temple à la fin du dernier siecle dans un lieu qui estoit alors hors de la Ville, & que le fameux Lesdiguieres fit comprendre dans un nouvel agrandissement.

L’an 1671. le Roy estant pleinement instruit de quelle maniere la chose s’estoit passée, & d’ailleurs ce Temple estant fort proche du Palais Episcopal, & de l’Eglise Cathedrale, en ordonna la démolition, & permit qu’on le rétablist au Fauxbourg de Tracloistre.

On ne suivit pas tout-à-fait les ordres de Sa Majesté, car au lieu qu’il devoit estre élevé en ce Fauxbourg, il le fut dans une Prairie voisine, à une portée de Pistolet des Murailles & des Ramparts de la Ville, & si proche du Collége des Jésuites, du grand Convent des Recollects, de celuy des Carmes Déchaussez, du second Monastere de la Visitation, de celuy des Bernardines, & de la Maison des Orphelines, que lors que les Huguenots chantent leurs Pseaumes, on ne peut dans ce Collége, ces Convents & ces Monasteres, étudier avec attention, ny faire le Service Divin, sans en estre interrompis.

Comme ces inconveniens ont esté representez au Roy, ce Pieux MONARQUE a voulu en estre mieux informé par un Procez verbal dressé sur l’expérience, sur une descente des lieux, dont Sa Majesté donna il y a quelques mois sa Commission à Mr le Bret, Intendant en cette Province, & à Mr le Marquis d’Arzeliers, l’un des plus considerables Gentilshommes parmy ceux de cette Religion, lesquels firent leur procédure hier Vendredy sixiéme de ce mois, d’une maniere qui merite qu’elle soit racontée.

Pour éviter le tumulte, on logea aux avenuës du Temple une Cempagnie de Milice, composée de cent Hommes, puis sur les deux heures aprés midy on donna la liberté à tout le monde d’y entrer. Ce fut pourtant avec quelque peine, parce que la clef de la grande Porte se trouvant perduë, égarée, ou cachée à dessein, il fallut passer par une petite Porte, l’un aprés l’autre.

Plusieurs Ecclesiastiques, Seculiers & Religieux, grand nombre de Catholiques, & quelques Huguenots, occuperent d’abord tous les Bancs & toutes les Chaises du Temple. Cependant comme il est grand & vaste, il ne fut point remply, bien que la procedure ne finist qu’à sept heures du soir, & que chacun y pust entrer librement.

Il s’y trouva pourtant assez de monde pour faire connoistre par les Hymnes, les Antiennes, & plusieurs Prieres de l’Eglise Catholique, Apostolique & Romaine, qui y furent chantées, qu’on pouvoit estre entendu distinctement de toutes les Eglises & Monasteres que je viens de nommer ; ce qui fut facilement connu par les Commissaires qui s’y trouverent, & qui y avoient passé pendant que l’on chantoit dans le Temple.

Cette experience a fort étonné les Huguenots, & ils craignent tous que leur Temple ne soit démoly. On voit visiblement que Dieu se lasse de leur séparation, & qu’il leur tend les bras. Les plus éclairez le connoissent, les autres le méprisent ; mais leur obstination est si grande, qu’ils ne veulent point consentir à estre instruits. Ils publient qu’ils le sont assez, sans considerer que leurs Ministres ne leur ont presché que leur Religion, & n’ont eu garde de leur faire voir la bonté de la nostre. Ils les ont élevez dans des erreurs qui leur plaisent, & ils leur ont caché des veritez qui les éclaireroient s’ils les connoissoient. Peut-estre que le Saint Esprit les touchera, & qu’ils l’écouteront. Cependant nous devons tous prier DIEU pour leur conversion, benir nostre AUGUSTE MONARQUE qui s’y employe avec tant de zele, loüer son Conseil des empressemens qu’il témoigne pour cela, demander au Ciel le don de persuasion en faveur de ceux qui travaillent à les instruire, & la perséverance en nos Prélats pour achever le grand ouvrage de la réünion. Je suis vostre, &c.

Allard, ancien Président en l’Eslection de Grenoble.

A Grenoble ce 7. d’Avril 1685.

Lettre sur le Pronostic du Sr de la Riviere [...] touchant la Religion protestante en France §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 37-53

Le mesme Mr Allard m’a fait encore l’honneur de m’adresser la Lettre suivante, & la Copie que j’en ay receuë estoit aussi imprimée.

LETTRE
SUR LE PRONOSTIC
du Sr de la Riviere, Medecin du Roy Henry IV. touchant la Religion Protestante en France.
A Grenoble le 28. d’Avril 1685.

MONSIEUR,

Toute la Terre admireroit la facilité que vous avez à loüer incessamment, & toûjours diféremment nostre auguste Monarque, si ce grand Roy ne renouvelloit tous les jours par ses belles & genéreuses actions, par les marques de sa Justice & par les témoignages de sa Pieté, les amples matieres & les vastes sujets par lesquels il remplit si dignement tous les Panégyriques que l’on fait de luy. Il est sans doute bien aisé de le loüer de cette maniere ; mais quand on l’a voulu faire avant sa naissance, & qu’on a voulu penétrer l’avenir, il a falu alors que le Ciel s’en soit meslé, & que les heureuses destinées de Sa Majesté ayent prévenu ses Faits héroïques & pieux, pour les publier avant qu’ils fussent arrivez.

Vous avez sans doute lû les Mémoires de Mr de Sully ; mais je ne sçay si vous avez remarqué le Pronostic fait par le Sr de la Riviere, Médecin du Roy Henry IV. lors de la naissance du feu Roy, où prévoyant la fin de la Religion Protestante en France, il l’attribuë aux soins & à l’application de LOUIS le Grand. Il est dans le second Volume imprimé à Amsterdam in fol. ch. 5. pag. 36. en ces termes.

Mais retournant à la suite de nos narrations, de laquelle nos déplaisirs de voir toutes choses aller, ce nous semble-t-il, en depérissant, nous avoient tirez, nous vous ramentevons pour achever ces Mémoires de l’année 1601. comme le Roy & la Reyne receurent une extréme joye le 27. de Septembre par la naissance d’un Dauphin que Dieu leur envoya, à laquelle allegresse participa toute la France, & vous notamment, tant les prospéritez du Roy & de l’Etat vous estoient sensibles, chacun espérant que d’un Prince tant genereux, debonnaire & prudent, il viendroit des Enfans à luy semblables, ce que le Roy confirmoit par les projets de le nourrir comme il avoit esté, & de n’obmettre nul soin pour essayer à luy faire prendre son exemple pour regle de sa conduite ; & comme il s’est fort peu veu de grandes joyes & liesses qui ayent esté entiérement épurées de tous soucis & sollicitudes, voire n’ayent esté entremêlées ou suivies de déplaisirs & traverses, aussi arriva-t-il ors, qu’une curiosité non necessaire diminua en quelque sorte l’extréme contentement du Roy ; dont la cause fut telle. Sa Majesté ayant un premier Médecin nommé la Riviere, lequel n’avoit pas grande Religion, mais neanmoins inclinoit plus à la Reformée qu’à la Romaine, & qui se mesloit de faire des Nativitez, en quoy il avoit souvent bien rencontré, Elle luy commanda lors qu’Elle vit la Reyne sa Femme en travail, de mettre une Montre bien ajustée sur la Table, pour connoître certainement l’heure & la minute que l’Enfant viendroit au monde ; que si c’estoit un Fils, d’en tirer une Heure natale, ce qu’il promit de faire, & neanmoins fut quinze jours sans en parler ; dequoy Sa Majesté se ressouvenant lors que vous luy parlâtes de la Brosse, autrefois vostre Précepteur, qui se mesloit aussi de prédire, il appella ledit Sr de la Riviere, & l’ayant tiré à part, luy dit devant vous, Mais à propos, Mr de la Riviere, vous ne me dites rien sur la naissance de mon Fils le Dauphin. Qu’en avez-vous trouvé ? SIRE, répondit il, j’en avois commencé quelque chose, mais j’ay tout laissé là, ne me voulant plus amuser à cette Science, que j’ay en partie oubliée, l’ayant toûjours reconnuë grandement fautive. O ! dit le Roy, je vois bien que ce n’est pas là où il vous tient, car vous n’estes pas de ces tant scrupuleux, mais c’est en effet que vous ne m’en voulez rien dire, crainte de mentir ou de me fâcher ; mais quoy qu’il y ait, je le veux sçavoir, voire vous commande, sur peine de m’offenser, de m’en parler librement. Sur quoy le Sr de la Riviere se voyant pressé, apres trois ou quatre autres refus, finalement comme tout en colere, luy dit. SIRE, vostre Fils vivra âge d’Homme, regnera plus que vous ; mais vous & luy serez tous diférens en inclinations & humeurs. Il aimera ses opinions & fantaisies, & quelquefois celles d’autruy ; plus penser que dire sera de saison ; desolations menacent vos anciennes assistances ; vos ménagemens seront déménagez ; il exécutera choses grandes ; sera fort heureux en ses desseins, & fera fort parler de luy dans la Chrestienté ; toûjours Paix & Guerre ; de lignée, il en aura, & apres luy les choses empireront ; qui est tout ce que vous en sçaurez de moy, & plus que je ne m’estois resolu de vous en dire. Sur quoy le Roy s’estant mis à resver, assez mélancolique, il luy dit. Vous entendez les Huguenots, je le vois bien ; mais vous dites cela parce que vous en tenez. Sire, dit Mr de la Riviere, j’entens tout ce qu’il vous plaira, mais vous n’en sçaurez pas davantage de moy ; & comme tout mutiné se retira. Puis le Roy vous ayant pris par la main, vous mena dans le creux d’une Fenestre, où il vous entretint assez long temps sur ce sujet, comme nous l’avons entendu de vous-mesme, sans neanmoins en avoir rien sceu davantage, ce que vous suppléerez quand il vous plaira.

Des quatre Autheurs qui ont recüeilly les Mémoires de Mr de Sully, quelques-uns témoignent en plusieurs endroits, qu’ils estoient de la R.P.R. Cependant ils parlent de ce Pronostic fort naturellement. Mr de Sully l’estoit aussi, le Livre a esté imprimé en une Ville Protestante, & par conséquent il en doit paroistre moins suspect. Que dites-vous, Monsieur, de celuy qui l’a fait ? Trouvez-vous qu’il ait deviné ? Ces assistances données par Henry IV. aux Huguenots, ont-elles esté de quelque considération sous son Successeur ? N’a-t-on pas veu que Loüis XIII. a bien sceu déménager les ménagemens de son Pere, & par l’abatement d’un nombre infiny de Temples, par des Conversions continuelles, & par la décadence des Affaires des Huguenots ? Le Sr de la Riviere n’a-t-il pas bien jugé que LOUIS XIV. en feroit plus que son Prédecesseur, & que sous la lignée de celuy-cy les choses des Huguenots empireroient. Nos Prétendus auront beau chercher quelque détour & quelque explication à cet Entretien, qui leur soit favorable ; je croy qu’ils y reüssiront aussi mal, qu’ils ont reüssy à trouver dans la Sainte Ecriture leurs Dogmes & leurs Erreurs. Il y a apparence que si le Sr de la Riviere avoit voulu s’expliquer, il auroit prédit de grands événemens là-dessus ; mais comme il estoit mutiné de ce que sa science luy en avoit trop apris, & qu’il lisoit trop bien dans l’avenir que la ruine de sa Religion estoit reservée aux pieux desseins du Roy, il aima mieux se taire, que de se trouver obligé de dire des choses qui le chagrinoient, qui auroient étonné ceux de son temps, & préparé tout le monde à voir reüssir ce qu’il avoit préveu. Je voudrois bien, Monsieur, que nos Sçavans voulussent un peu raisonner sur la Science des Horoscopes, & apprendre au Public par vostre moyen, si elle est asseurée ou non. Je suis persuadé avec bien des Gens, que les Constellations qui régnent au temps des naissances, peuvent inspirer des inclinations particulieres, & former la bonne ou la mauvaise fortune ; mais que sur des Figures tracées, que sur l’examen d’une Etoile, que sur l’influence d’un Signe, on puisse fonder quelque certitude pour les actions futures des Enfans de celuy qui naist, c’est ce qui me passe. Cependant le Sr de la Riviere, en faisant l’Horoscope de Loüis le Juste, a fait connoistre ce que Loüis le Grand son Fils devoit faire apres luy ; & non content d’avoir appris à Henry IV. que son Fils attaqueroit l’Herésie, il a fait connoistre qu’elle seroit aux abois sous le Régne de son Petit-fils. Pour moy, je crois que pour tout autre que pour le Roy, de semblables Propheties seroient impossibles ; mais il faut que pour un Prince extraordinaire, tout ce qui le regarde soit extraordinaire. Je suis, &c.

[Controverses du Père Alexis du Buc]* §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 58-60

Cet Arrest, & plusieurs autres de mesme nature, confirment bien ce que le Pere Alexis du Buc, Theatin, a dit à la loüange du Roy dans une de ses Controverses. On ne dira pas de ce grand Monarque, comme d’Aza Roy d’Israël, Verumtamen non abstulit excelsa. Aza estoit pieux ; il avoit du zéle pour le culte du vray Dieu. Fecit Aza, dit l’Ecriture, rectum ante conspectum Domini. Mais quelque grand que fust son zéle pour exterminer l’Idolatrie, non abstulit excelsa, il n’abatit pas les Temples que Salomon avoit fait bastir aux Idoles. Henry le Grand, dans un temps fâcheux, & dans l’impossibilité de se vanger des outrages de ceux de la Religion Prétenduë Reformée, signa en leur faveur l’Edit de Nantes, & leur accorda le Temple de Charenton, qui est contraire à l’Article 14. de cet Edit, qui défend de faire aucun Exercice public de la Religion, plus prés de Paris que quatre lieuës. Loüis le Juste, à qui Dieu avoit presté son Bras pour ôter la Rochelle aux Prétendus Reformez, n’abatit pas les Temples qu’ils y avoient, verumtamen non abstulit excelsa ; mais Loüis le Grand imitant la pieté & le zéle du Saint Roy Josias, qui ôta les Autels des faux Dieux, & chassa les faux Prophetes, fait démolir les Presches par tout son Royaume, détruit les Colléges où l’on enseignoit l’Herésie, dans tous les endroits où l’on n’a point de droit d’en avoir, & employe sa puissance à exterminer ce Monstre du sein de ses Etats.

[Article touchant la Démolition du Temple de Montelimart]* §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 67-73, 75-77

 

[...] le 12. Juillet de l'année derniere, le Parlement de Grenoble donna Arrest, portant que l'Exercice de la Religion Prétenduë Reformée seroit pour toûjours interdit dans la Ville de Montelimard, le Temple razé, & qu'au milieu de sa place, il seroit élevé une Croix de Pierre sur un pied d'estal, pour y demeurer à perpetuité ; le Ministre Chirou, & la Relaspe, condamnez au Bannissement. Quoy que le coup fust rude aux Prétendus Reformez, il falut qu'ils obeïssent, & ils abattirent eux-mesmes leur Temple dés le mois d'Aoust dernier ; mais comme les fondemens qui en restoient leur laissoient quelque esperance de le revoir un jour sur pied, il leur fur ordonné par un second Arrest du mois de Septembre suivant, d'arracher les fondations des murailles du Temple, & d'en porter les Materiaux hors de la Ville ; ce qui ayant esté fait, il ne manquoit plus pour l'execution entiere de ces Arrests, que de faire élever une Croix au milieu de la Place où l'on avoit abatu le Temple, qui fust un monument éternel de la victoire qu'elle a remportée sur l'Herésie. Mr de Valence ayant voulu aller luy mesme en personne rendre compte de toutes ces choses à Sa Majesté, en remit la Ceremonie [d'érection de la croix] jusqu'au 16. Avril dernier, qu'elle se fit à Montelimard avec beaucoup d'éclat & de pompe. On n'épargna aucune dépense pour embellir cette Croix. Aux quatre faces de son pied d'estal, on lit de fort belles Inscriptions Latines de la composition du Pere le Brun Jésuite, qui a presché tout le Caresme dans l'Eglise Collégiale de cette Ville-là avec l'applaudissement général de son Auditoire. Une partie de ces Inscriptions marque le fait, & l'autre est à la loüange du Roy. Toutes choses ayant esté disposées, Mr l'Evesque se rendit à Montelimart, non seulement pour la Benediction de la Croix, mais pour celle d'une Cloche qui servoit au Temple des Religionnaires, par un privilege qu'ils avoient usurpé. Par les Déclarations de Sa Majesté des années 1666. & 1669. il leur est défendu de s'assembler au son de la Cloche dans les lieux où il y a Citadelle ou Garnison, ce qui donna lieu à Mrs du Chapitre de Sainte Croix, de se pourvoir en 1680. devant Mr d'Herbigny, Intendant alors en Dauphiné, pour faire ordonner qu'en conformité de ces Déclarations, le Clocher du Temple seroit démoly, & la Cloche sequestrée. Mr Bauteac, fameux Avocat de Montelimard, entreprit cette Affaire au nom du Chapitre, & la mit en état par deux Discours publiquement faits en presence de Mr d'Herbigny ; de sorte que les Religionnaires se tenant pour condamnez, osterent leur Cloche dans le delay qui leur fut donné pour répondre, & l'enterrerent dans une Cave. Cette Cloche ayant esté remise à Mrs du Chapitre, par les soins de Mr Remond l'un des Chanoines, Mr Fargier en fut le Parain au nom de la Ville, & Madame de Combeaumont la Maraine. [...]

 

[A son arrivé, l'évêque de Valence fut harangué et complimenté, puis] Mr de Valence revestu de ses Habits Pontificaux, précedé de tous les Corps Religieux & du Chapitre, partit en Procession pour aller à la Place du Temple, pendant que la nouvelle Cloche & les anciennes sonnoient à la fois. Mr le Comte de Virvile, Gouverneur de Montelimard, qui avoit regalé ce Prélat magnifiquement, avoit fait mettre sous les armes une partie de la Bourgeoisie, aussi bien que la Garnison de la Citadelle. L'une & l'autre fit une fort belle décharge. La Benediction faite avec les Ceremonies ordinaires, Mr de Valence receut au pied de la Croix l'Abjuration d'une Femme. Il avoit auparavant receu celle d'un Gentilhomme dans un autre lieu. Aprés qu'il luy eut fait faire sa Profession de Foy, il retourna à l'Eglise dans le mesme ordre qu'il estoit party. La Musique qu'on avoit fait venir des Villes voisines, entonna le Te Deum, & la Benédiction du Saint Sacrement fut donnée par Mr l'Evesque, qui fut ramené chez luy par Mrs du Chapitre, & par tous les Corps Religieux.

[Sonnet] §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 78-80

La Démolition du Temple de Montelimard a donné lieu à ce Sonnet de Mr l’Abbé du Claux, Chanoine de Sainte Croix de Montelimard. C’est un digne Frere du Président dont je viens de vous parler. Vous vous souviendrez que le nom de Mr l’Evesque de Valence est Daniel.

Edifice autrefois de superbe structure,
Qu’avoient fait l’Herésie & la Rebellion,
Temple, des plus fameux de la Religion,
Où long-temps ont regné l’erreur & l’imposture.
***
Tu ne prévoyois pas une telle avanture ;
Tes Pasteurs t’asseuroient que toy, Sainte Sion,
N’estant jamais sujette à la corruption,
Tes Murs ne tomberoient qu’avecque la Nature.
***
Mais où sont ces longs jours dont souvent t’ont flaté
Ces Ministres zélez contre la Verité ?
Ton sort perpétuel n’estoit donc rien qu’un Songe ?
***
Malgré le Pronostic tes Murs sont démolis.
Peuples qui le voyez, n’en soyez pas surpris,
Daniel sçeut toûjours triompher du mensonge.

A Monsieur l’Evesque de Valence, sur son zéle pour la Religion §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 80-83

Les Vers qui suivent sont du jeune Gentilhomme dont je vous envoyay dans ma Lettre du dernier mois l’Ouvrage galant qui vous a tant pleu, sur ce qu’Iris en mourant avoit ordonné à Damon d’aimer Celimene. Vous ne l’approuverez peut-estre pas moins dans le sérieux que dans l’enjoüé.

A MONSIEUR
L’EVESQUE DE VALENCE
Sur son zéle pour la Religion.

Illustre & grand Prélat, dont la sagesse exquise
Sert avec tant d’éclat d’ornement à l’Eglise,
Que tu sçais bien regler parmy tant d’Ennemis
Le Peuple que le Ciel à ta garde a commis !
De deux Religions malgré la diférence,
Chacun voit les effets de ta rare prudence.
Ton œil veillant à tout, l’Herésie aux abois
Apprend de nos Edits à respecter les Loix ;
Et tandis que LOUIS pour ouvrir la Campagne
Enleve en Conquerant Luxembourg à l’Espagne,
Qu’au superbe Génois il fait craindre ses coups,
Ton zéle luy prépare un Triomphe plus doux.
Déja Montelimart t’en fournit la matiere,
C’est par toy que son Temple est réduit en poussiere ;
L’Herétique en frémit, & le voyant tomber
Avec tout le Party s’attend à succomber.
Poursuis, & nous verrons bien-tost d’autres miracles ;
Ta pieté jamais ne craignit les obstacles,
On luy résiste en vain ; cent Temples abatus
Ont assez à la France annoncé tes vertus.

[Vers aux réformés, sur la démolition de leur temple]* §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 83-85

Le mesme adresse ces autres Vers aux Prétendus Reformez, sur la démolition de leur Temple.

Calviniste obstiné dans ta Secte rebelle,
Cesse pour le Seigneur de t’armer d’un faux zéle,
Ouvre les yeux enfin ; ton culte luy déplaist,
Pour abatre ton Temple il a donné l’Arrest.
S’il paroist prononcé par une bouche humaine,
Le Ciel pour te punir en ordonna la peine,
Et ne l’auroit pas fait, si dans ce triste lieu
Tu rendois les honneurs que l’on doit au vray Dieu.
Mais ne te trompe pas ; pour le rendre propice,
Tel qu’il l’offrit luy-mesme il faut un Sacrifice.
C’est par là qu’on luy plaist, & tes Chants languissans
Ne luy tiennent point lieu ny d’Autel ny d’encens.
Qui te retient le bras, quand il faut qu’il s’appreste
A renverser ce Temple, autrefois ta Conqueste ?
Frape sans t’émouvoir, tous delais seroient vains,
Il est juste aujourd’huy qu’il tombe par tes mains,
Et que ton Herésie où se joint le blasphême,
Par ses propres Enfans se détruise elle-mesme.

[Autres vers aux réformés, sur la démolition de leur temple]* §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 85-86

Un Illustre, connu & estimé de toute la France par ses Ouvrages galans, a fait ce qui suit sur la Démolition de ce mesme Temple.

Chers Dévoyez, mes pauvres Freres,
J’entre dans vos vives douleurs ;
Tous les Astres vous sont contraires,
Je ne vois par tout que malheurs
Regner dans vos tristes affaires.
***
Nostre ferme & pieux Prélat,
Dont le zéle fait tant d’éclat,
Dont l’ardeur n’est point hypocrite,
Qui depuis trente ans vous combat,
Eleve son fameux mérite
A mesure qu’il vous abat.
***
Il vous fait une juste guerre ;
Sur l’appuy d’une fausse Pierre
Voyez combien vous hazardez ;
Vos Bastimens les mieux fondez,
Ou vont tomber, ou sont par terre.
***
Vous n’avez sceu que trop oser ;
Ne prétendez plus abuser
De vos Edits, de vos Franchises.
Vos Temples vous vont écraser,
Sauvez-vous vite en nos Eglises.

[Madrigal sur la religion réformée]* §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 86-89

Je ne sçaurois finir cet Article sans vous faire part d’un Madrigal qui enferme une Réponse aussi juste que spirituelle, faite par un Ministre de la Religion Prétenduë Reformée dans le Païs des Sevenes, Homme fort estimé parmy ceux de son Party, mais qui a fait voir une fidélité particuliere pour son Prince en toutes sortes d’occasions, quelque préoccupation qu’il ait pour la Religion qu’il professe. Le Madrigal explique le Fait.

 Dans une certaine Province
 Où nôtre incomparble Prince
Souffre encor ceux qu’on dit Reformez Prétendus,
Où les Presches publics ne sont pas défendus,
En un Lieu qu’on a veu peu souvent dans l’Histoire,
Il arriva debat dedans le Consistoire.
L’on reçoit dans ce Corps des Gens de tout état,
Le petit Artisan, tout comme l’Avocat,
Et mesme à cet honneur la force du sufrage
Mieux que la pieté peut frayer le passage.
Cependant un Tailleur ayant esté nommé,
Ce choix par quelques-uns ne fut pas confirmé.
 Sur ce Fait, au lieu de Sentence,
Le Ministre est prié de dire ce qu’il pense.
Mes Freres, répond-il, le party le meilleur,
Malgré des Opposans les raisons mal conçuës,
 C’est de recevoir le Tailleur,
 Nos Affaires sont décousuës.

Bouts-rimez pour Madame de R… §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 89-91

Tout le monde est si fort charmé du Roy, que ceux mesme qui ne s’occupoient qu’à des Vers galans, semblent n’en pouvoir plus faire que pour luy. Ce Sonnet de Mr de Grammont de Richelieu en est une preuve. Il est sur des Bouts-rimez, envoyez par la Dame mesme à qui il s’adresse.

BOUTS-RIMEZ
Pour Madame de R

Ne soyez pas surprise, adorable Climéne,
De n’avoir plus de moy ny sonnet ny Chanson.
Le moyen d’approcher maintenant d’Hypocréne ?
LOUIS occupe seul tout le sacré Vallon.
***
J’ay mille fois pour vous sollicité ma Veine,
Et pour vous mille fois monté sur l’Hélicon ;
Autant de fois pour moy l’entreprise fut vaine ;
De ce Prince on n’y peut séparer Apollon.
***
Aujourd’huy, par un sort que je ne puis comprendre,
Ce Sonnet que pour vous je voulois entreprendre,
Se va trouver encor tout entier pour mon Roy.
***
Ne vous en fâchez pas ; & songez que ses charmes
Triomphent en tous lieux aussi-bien que ses Armes,
Et que ce Prince est né pour nous donner la Loy.

[Jeux Floraux, & leur origine, avec plusieurs Piéces faïtes sur ce sujet] §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 91-97, 104-106, 126-127.

Je vous ay parlé il y a déja quelques années de divers Jeux qui se font en plusieurs Villes le premier jour de ce mois. Ceux qu'on nomme Floreaux ou Floraux, sont de ce nombre. Ils se font dans la Ville de Thoulouse Capitale de Languedoc, & tirent leur origine de ce qu'autrefois au commencement de ce mesme mois de May, toute la Jeunesse du Pays & des Provinces voisines s'y assembloit, dans un certain lieu choisy, où l'on récitoit toute sorte de Poësies, Odes, Madrigaux, Stances, Elegies, Sonnets, & sur tout des Chants Royaux. Cela se faisoit pendant trois jours, lesquels estant expirez, les Anciens recueilloient les voix pour donner le prix. Celuy qu'on en jugeoit digne, recevoit une Couronne de Laurier, & on l'appelloit l'Amant Fidelle de la Cour d'Amour. Il y avoit mesme des Dames qui composoient ainsi que les Hommes, mais afin qu'on ne creust pas que la complaisance engageast les Juges à leur estre favorables, elles renonçoient au prix. Enfin aprés un fort grand nombre d'années, une Femme de qualité appellée Clemence, entraînée par le panchant qu'elle avoit pour la Poësie, forma le dessein d'éterniser sa memoire en instituant une Feste remarquable, qu'on nomma les Jeux Fleureaux, & qu'elle voulut estre celebrée le premier, & troisiéme jour de May. Elle laissa pour cela la plus grande partie de son bien à Mrs de Ville, à condition que tous les ans il feroient faire quatre Fleurs de Vermeil qui seroient l'Eglantine, le Soucy ; la Violette, & l'Oeillet. Les trois premieres qui valent au moins quinze Pistoles chacune, sont pour les jeunes Gens que l'on trouve dignes de les remporter par le merite de leurs Ouvrages. Elles sont d'une coudée de hauteur, & representent la Fleur dont elles portent le nom, avec un pied de Vermeil, où les Armes de la Ville sont gravées. La quatrieme qui est plus petite que les autres, est pour les petits Enfans, & se donne par faveur. L'Hostel de Ville qui est tres-beau, tres-grand, & tres-spacieux, estoit la maison de cette Dame. Elle la donna pour y celebrer ces Jeux, ainsi que la Place du Marché que l'on appelle La Pierre. C'est un lieu couvert, où quantité de Marchands étalent leurs marchandises. On commence cette cerémonie tous les ans le premier jour du mois où nous sommes, par une Messe solemnelle qu'on chante en Musique, & à laquelle tout le Corps de Ville assiste. Pendant tout ce jour chacun récite les Vers qu'il a composez, & le troisiéme du mesme mois, on convie quantité de Personnes des plus considerables de Thoulouse à un disné magnifique, aprés lequel on examine tous les Ouvrages qui ont esté recitez, & chacun donne sa voix pour les Prix. [...]

 

[p. 104] Ces divers Essays à la fin desquels chaque Autheur écrit son nom, servent à déterminer les Juges qui ont à prononcer sur les prix. Aprés qu'ils ont décidé de tout, on leur apporte une collation fort magnifique, & l'on en sert une autre separément à la Jeunesse qui a recité des Vers. On se rend ensuite dans la grande Sale, où est la Statuë de Dame Clemence dans une Niche contre la Muraille. Elle est de Marbre blanc, couronnée de Fleurs, & ceinte aussi d'une Ceinture de Fleurs qui va jusqu'en bas. Les Capitouls au nombre de huit se mettent sur leurs Siéges ordinaires, & Mrs du Parlement prennent leurs Places de l'autre costé. Mr le Président fait sa Harangue aprés quoy un Huissier de Ville appelle tout haut celuy qui a merité le prix de l'Eglantine. Il vient le recevoir de la main du Chef du Consistoire de la Ville, qui est celuy qui préside aux Jeux. Toute l'Assemblée fait de grandes acclamations, qui sont suivies des fanfares des Trompettes. Les Hautbois & les Violons qui leur répondent, font retentir le triomphe du Vainqueur. Toute cette Simphonie le mene chez luy accompagné de tous ses Amis, & de quantité de Gardes de l'Hostel de Ville avec leurs Casaques & leurs Halebardes. C'est un Huissier qui porte la Fleur. On rend les mesmes honneurs à ceux qui ont remporté les Prix de la Violette & du Soucy. [...]

 

[p. 109 à 126 sont reproduites quelques-unes des pièces lauréates des Jeux Floraux de Toulouse.]

[...]

 

Je ne doute point, Madame, que toutes ces Piéces ne vous donnent une estime particuliere pour les Muses Toulousaines. Il y a beaucoup de feu, & un tour fort naturel, dans ce qui part d'elles ; & j'espere que de temps en temps je pourray vous procurer le plaisir de voir leurs productions.

En voicy une d'un de nos Illustres en Musique. Quand elle n'en seroit pas, vous l'aimeriez par la beauté des paroles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Si l'Hyver vous tenez vos passions secrettes, doit regarder la page 127.
Si l'Hyver vous tenez vos passions secretes,
Vous les publiez au Printemps.
Petits Oyseaux, quand vous estes contens,
Vos ardeurs ne sont plus discretes.
Pour moy, dans l'Empire amoureux
Je me plains du Destin à mes desirs contraire ;
Mais si j'estois heureux,
Je sçaurois bien me taire.
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Plainte pour un Mouton à sa Bergere §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 157-161

Quoy que les Moutons soient doux, ils se plaignent quelquefois. Les Vers qui suivent nous le font connoître. Ils sont de Mr Vignier de Richelieu.

PLAINTE
POUR UN MOUTON
à sa Bergere.

Bergere, il n’est rien moins que beau
De s’enfermer dans le Hameau,
Quand vostre Mouton tout en nage
Est couru des Chiens du Village,
Et vient pour se sauver chez vous
De ces Chiens pires que des Loups.
En vain il bêle, en vain il gratte,
En vain il s’écorche la patte,
Vous aviez enjoint à Nannon
De n’ouvrir point à ce Mouton.
De puis un traitement si rude
Plein d’ennuy, plein d’inquiétude,
On croit à le voir qu’il est fou.
Sans manger le quart de son sou,
Il ne fait que tourner sans cesse,
Tant son petit cœur est en presse,
Et pour vous le dire entre nous,
Je ne sçay s’il n’est point jaloux,
Car vous sçavez bien qu’une Beste,
Comme l’Homme a martel en teste.
Il craint, & non pas sans raison,
Qu’estant sur l’arriere Saison,
Cela veut dire de son âge,
Sa Bergere ne soit volage.
Mais qu’elle ne s’y trompe pas,
Un vieux Mouton, fors en un cas,
Doit l’emporter prés d’une Belle,
Sur jeune Mouton sans cervelle ;
Et je suis bien seur que Buscon,
S’il voyoit un autre Mouton,
Japperoit d’une telle sorte,
Qu’il luy feroit passer la porte
Beaucoup plus vîte que le pas,
Quand vous ne le voudriez pas.
Ce Chien vous aime, il est fidelle,
Mais de voir une Amour nouvelle,
Eust-il du Mouton de Colches
La Toison d’or dessus le dos,
Il y feroit entrer sa grife,
Et cela n’est point apocrife.
Alors quel fracas, quel conflit,
S’il approchoit de vostre Lit
Dans le temps que Dame Paresse
Ou quelque petite foiblesse,
Vous retiennent à ruminer,
Sans pouvoir vous déterminer,
J’entens à quiter vostre Couche,
Où comme ailleurs toûjours farouche,
Vous feriez enrager l’Amour,
S’il vous y surprenoit un jour !
C’est là qu’imitant sa Maistresse,
Aussi Tygre qu’elle est Tygresse,
N’estant point de ses Dépendans,
Il le mordroit à belles dents.
Je croy de plus, que vostre Chatte
Feroit son devoir de sa patte,
En miolant d’un triste ton,
A l’aspect de ce fin Mouton.
Pour le vostre perdez l’envie
De le changer de vostre vie ;
Puis que vous sçavez ce qu’il vaut,
Traitez-le toûjours comme il faut ;
Autrement la mutinerie
Se mettant dans la Bergerie,
Bergere, les Chiens & les Chats
Vous laisseroient piller & manger par les Rats.

Des Choses difficiles à croire. Dialogue troisiéme §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 161-194

Voicy un troisiéme Entretien de Mr B. Vous y trouverez tant de choses curieuses, que je suis seur qu’il ne vous plaira pas moins que les deux premiers que vous avez veus.

DES CHOSES
DIFFICILES A CROIRE.
DIALOGUE TROISIÉME.
BELOROND, LAMBRET.

Belorond.

Depuis nostre dernier entretien, j’ay pris un plaisir singulier à lire quelques Relations, de la verité desquelles je ne doute point, parce que ceux qui ont bien voulu les donner au Public, & qui nous asseurent avoir esté témoins de ce qu’ils y rapportent, sont trop obligez à ne la point trahir, tant par leur esprit que par leur état, puis qu’ils font une profession particuliere de la soûtenir jusques aux extrémitez du monde.

Lambret.

C’est un aussi grand défaut d’ajoûter foy avec trop de facilité à toutes sortes de Relations, que de ne rien croire de ce qu’elles contiennent.

Belorond.

Je l’avouë ; mais avoüez aussi qu’il faut concevoir comme un Axiôme certain, que ceux qui tiennent pour Fables tout ce qui se dit des coûtumes differentes des nôtres, des effets extraordinaires, & des merveilles de la Nature, se rendent enfin eux-mesmes la Fable des Gens d’esprit, qui connoissent mieux qu’eux les changemens & les varietez dont l’esprit humain est capable, & le pouvoir de cette Nature dont il nous est impossible de penetrer ny de mesurer toute l’étenduë. Quand on lit, par exemple, dans de certains Autheurs, qu’il y a eu des Hommes qui ont vécu des mois & mesme des années sans manger, un ignorant qui veut passer pour esprit fort, traitera de Fables ces sortes d’Histoires, pendant qu’un Pomponace, ce grand Sectateur d’Aristote, & d’autres Philosophes ne s’en étonneront pas, à cause de cette réflexion, que tout ce qui se voit au reste des Animaux la Nature se plaist à le réaliser en quelque Homme. C’est pourquoy ils ne sont pas surpris quand ils apprennent qu’il y a eu des Hommes qui ont vécu long-temps sans manger, puis que l’étude qu’ils ont fait de la Nature, leur a appris que non seulement les Serpens, les Mouches, les Marmottes & les Hirondelles, mais encore les Ours mesmes, & les Crocodiles, tous grands qu’ils sont, passent une partie de l’année sans manger.

Lambret.

Vous voulez bien qu’à ce propos j’interrompe le recit de ce que vous avez leu dans les Relations dont vous venez de parler, en vous disant ce que j’ay appris ils n’y a pas long-temps, de quelques Personnes qui ont vécu plusieurs jours, & mesme plusieurs années sans manger.

Belorond.

Parlez, me voila prest à vous écouter.

Lambret.

Alexandre Beneicus Medecin, écrit qu’un Vénitien demeura quarante jours sans boire ny manger. On apprend dans nostre Mercure François, que la Fille d’un Maréchal de Confolent en Angoumois appellée Jeanne Belon, a vécu plus de dix-huit mois de suite, sans prendre aucune nourriture. Tout ce qu’elle faisoit, c’estoit d’ouvrir au matin les Fenêtres de sa Chambre, & de se tenir à l’air. Hermolaüs Barbarus dit que du temps de Leon X. un Prestre a vécu quarante ans à Rome de la respiration de l’air ; ce que ce Pape verifia en présence de plusieurs Princes. Albert le Grand asseure avoir veu dans la Ville de Cologne un Fol qui passa sept semaines sans rien manger, beuvant seulement quelquefois de l’eau. Du temps de Gregoire XI. un jeune Ecolier qui étudioit à Lubech, se retira en un lieu secret pour dormir, & là il dormit pendant sept ans, tout le monde croyant qu’il s’étoit retiré hors de la Ville. Krentz. Vandal. l. 8. c. 36. Pontanus nous asseure aussi avoir veu un Homme qui ne bût jamais en sa vie ny Eau ny Vin. Je puis mettre dans le mesme rang ce que nous apprend Iamblique c. 3. De Vita Pyth. quand il dit que Pythagore demeura trois jours & deux nuits dans une mesme posture sans boire, sans manger & sans dormir, ce que je crois facilement quand je fais reflexion aux fréquentes abstractions & aux élevations d’esprit de ce Philosophe.

Belorond.

Tous ces Gens-là n’avoient pas apparemment mangé d’un certain Animal qui se trouve en Sue de appellé Filfros ou Rosomach, c’est à dire le Goulu, au rapport de Cardan, & du Medecin Lombard Megabenus. Ils disent que cét animal a toûjours faim sans se jamais rassasier, avec cette proprieté, que si l’on se couvre de sa peau, l’on a aussi toûjours envie de boire & de manger, sans qu’on puisse estre rassasié.

Lambret.

Il faut plûtost croire qu’ils se seroient servis, s’ils l’avoient sceu, du fruit nommé Coca ou Cocos, semblable à un Melon, qui se trouve au Perou en l’Isle Zebut, parce qu’il a toutes sortes de gousts sans en avoir aucun, & que ceux qui le portent dans leur bouche ne sont sujets à avoir ny faim ny soif ; ce qui me fait ressouvenir d’un autre Fruit nommé Peci, qui se cueille à la Chine, & dont parle le Pere Martini. Il dit avoir fait plusieurs fois l’experience qu’en le mettant dans la bouche avec une Monnoye de cuivre, les dents la rompent avec la mesme facilité que ce Fruit, réduisant le tout en une substance bonne à manger. Les Malabares, Peuples des Indes Orientales, passent bien tout le jour sans manger, en prenant deux grains d’une Paste qu’ils appellent Anfian, & qu’ils font venir de Cambaye ; mais ils sont obligez de continuer cette nourriture, car si une fois ils l’avoient quitée, ils ne pourroient pas vivre quatre jours, quand mesme ils useroient d’autres viandes. Mais cela suffit sur cette matiere. Venons, je vous prie, à ce que vous avez remarqué dans les Relations que vous avez leuës.

Belorond.

Ces Relations sont celle d’un Pere Jésuite touchant ce qui s’est passé en Canada aux années 1657. & 1658. & celle de Mandeslo. Voicy ce que j’ay trouvé de plus curieux dans la premiere. Chez les Peuples qui habitent ce Païs, on se cicatrise & on se barboüille le visage, pour le rendre plus agreable. Les cheveux noirs, roides, & luisans de graisse, sont estimez les plus beaux. Au lieu de poudre de Chipre, on se sert pour les poudrer, de duvet ou de petites plumes d’Oyseaux. Le Muse put à leur nez. Le petit Oyseau qui se trouve dans les œufs que nous appellons couvis, leur est de tres-bon goust. Ils hument l’écume du pot, & boivent la graisse avec volupté. Le potage s’y sert le dernier. Le pain se mange separément sans le mesler avec les autres viandes, & on n’y boit qu’apres le repas. La chemise se met pardessus l’habit. C’est une galanterie chez eux, que d’avoir les ongles tres-grands. Lors qu’ils dancent, ils se tiennent fort courbez afin d’avoir bonne grace. Ils enterrent leurs Morts avec plusieurs hardes, s’imaginant qu’ils s’en serviront en l’autre Monde ; & en les enterrant ils leur font garder dans la fosse où ils les mettent, la mesme posture & assiette qu’ils tenoient dans le ventre de leur Mere. Ces coûtumes sont à présent la plûpart détruites, comme le raportent ceux qui reviennent de ces Païs-là, parce qu’elles sont trop opposées à celles des François qui y habitent, & qui n’ont pas eu moins de soin de policer ces Peuples, que de les instruire dans la veritable Religion. J’ay remarqué dans la seconde Relation, que la main gauche est reputée la plus honorable chez les Japonnois ; que les Filles Banianes des Indes Orientales se marient dés l’âge de sept ou huit ans, parce que celles qui en ont douze, sont reputées surannées ; qu’elles font gloire d’avoir les dents noires, & que tout le Clergé de l’Isle Formose est féminin, n’y ayant que ce Sexe qui se mesle de la Religion. Ne m’obligez pas, je vous prie, à vous faire un plus long recit de toutes ces bizarreries, parce que je ne puis resister plus long-temps à la curiosité d’apprendre quelque chose de la vie & des opinions de Pytagore, que je me suis toûjours représenté comme un Homme extraordinaire. Ce que vous m’avez déja dit de ce Philosophe, me donne sujet de croire qu’il vous sera aisé de m’instruire de ce que j’ay envie de sçavoir.

Lambret.

Je le feray volontiers, autant que je pourray rappeller dans ma mémoire ce que j’en ay leu chez Diogénes Laërce, Iamblique, Diodore de Sicile, Ciceron, T. Live, Josephe, Plutarque, Clement Alexandrin, S. Ambroise, Eusébe, Philostrate, S. Thomas, & Vossius.

Pytagore estoit de Samos, & vivoit du temps de Tullius Hostilius, selon T. Live, & de Tarquin le Superbe, selon Ciceron & Aulugelle. S. Ambroise prétend qu’il estoit Juif d’extraction, & Clement Alexandrin dit qu’il s’estoit laissé circoncire par les Prestres d’Egypte, pour estre instruit en leur Philosophie, qu’ils tenoient des Juifs ; & c’est à propos de cette Circoncision, qu’il rapporte l’opinion de ceux qui l’ont mesme pris pour le Prophete Ezéchiel. Josephe luy donne le premier rang entre tous les Philosophes, & veut qu’il ait tiré les plus beaux traits de sa Philosophie, de la Synagogue des Hébreux. Il fit plusieurs Voyages, pour s’instruire de tout ce qu’il y avoit de plus curieux de son temps dans toutes les Sciences, & il reüssit si heureusement dans cette avidité de sçavoir, qu’il se rendit extrémement habile dans la Morale, la Politique, la Physique, la Medecine, les Méchaniques, l’Astrologie, la Geographie, la Musique, l’Arithmétique, la Geométrie, & en tout ce qu’il y a de plus rare dans les Mathematiques. Voicy les preuves que nous donne son Histoire de son habileté dans toutes ces Sciences.

Pour la Morale, il ne faut que faire reflexion sur les beaux Préceptes & sur les Symboles énigmatiques qu’il en a donnez, & entre autres sur ceux-cy.

Ou taisez-vous, ou dites quelque chose qui soit meilleur que le silence, pour faire connoistre qu’on doit prendre garde à ne parler que bien à propos.

Ne soyez pas moins fidelle à garder le dépost d’un Secret, que celuy d’un Trésor. Cet avis n’est pas de moindre importance que le premier pour la vie civile.

Touchez la Terre, quand il tonne, pour faire entendre le besoin que nous avons de nous humilier devant le Ciel, autant de fois qu’il nous marque sa colere par les adversitez dont ils nous afflige.

Ne combatez jamais pour obtenir la victoire, parce qu’on ne sçauroit éviter avec trop de soin l’envie qui la suit.

Ne cheminez pas dans les grands Chemins. C’est à dire, ne suivez pas les sottes opinions du Vulgaire.

Ne vous asseyez jamais à table, que le Sel n’y ait esté mis auparavant. C’est à dire, faites provision de justice & de sagesse avant que de vous mettre à manger, parce que c’est dans ce temps qu’on en a le plus de besoin.

Toutes choses doivent estre communes entre les Amis, parce qu’un Amy doit regarder son Amy comme un autre soy-mesme.

Regardez les Loix comme les Couronnes des Villes, ausquelles on ne peut toucher sans crime.

Ne frapez pas dans la main de toutes Personnes indiféremment, c’est à dire, ne prostituez pas vostre amitié.

Ne souffrez point d’Hyrondelles sur le toit, pour montrer que nous devons nous défier de ceux qui ne nous font des caresses que dans la prospérité.

Abstenez-vous des Féves. Il vouloit enseigner par ce Précepte, qu’il ne faut pas rechercher les Magistratures, parce qu’elles se donnoient par des sufrages dont les Féves estoient les marques.

Ne mangez point de Poissons, pour faire voir combien ceux qui aimoient le silence luy estoient chers.

Ne mangez jamais de la main gauche. Ses Disciples ont entendu par ce Précepte prohibitif, qu’il ne faloit jamais tirer sa subsistance d’un gain illégitime, ny d’actions qui fussent contre la justice & l’équité.

Gratez le dedans de vostre teste en sortant du Logis, & le derriere quand vous y entrez. L’une & l’autre action signifioit selon ma pensée, qu’il faut le matin, lors qu’on va dehors, songer attentivement à ce qu’on doit faire, & le soir en se retirant, faire réflection sur les actions de la journée, pour remédier à celles qui auroient esté obmises.

Ne sortez jamais d’un Carrosse les pieds joints. C’est à cause que cette posture oblige à une descente précipitée, & qui s’exécute tout d’un coup. Il vouloit apprendre par là à ceux qui changent de résolution, & qui quitent un dessein, ou un employ pour en prendre un autre, qu’ils doivent exécuter ce changement petit à petit, & presque insensiblement, afin d’éviter par cette prudence & cette circonspection tout ce qu’on y peut trouver de surprenant.

Si l'on a veu Pytagore exceller dans la Morale, les autres Sciences n'ont pas moins contribué à rendre son nom fameux. Diogénes raporte que la Médecine luy doit beaucoup. On ne peut douter de son habileté dans la Politique, puisqu'il eut part au Gouvernement des Villes de Crotone, de Metapont, & de Tarente où il demeuroit ordinairement. Dans la Physique ; il prédit un tremblement de terre par la faveur de l'eau d'un Puits dont il avoit beu. Dans les Mecaniques ; Aristoxénus a écrit que les Grecs tenoient de luy leurs Poids & leurs Mesures. Dans l'Astrologie ; il s'aperceut le premier, que Vesper, & Phosphore ou Lucifer n'estoient qu'une même Etoile. Dans la Geographie ; il assura qu'il y avoit des Antipodes. Dans la Musique ; il la faisoit servir pour la Morale, adoucissant les plus violentes passions de l'ame par la mélodie ; témoin ce jeune Homme desesperé d'amour, qu'il remit dans son bon sens avec un Air Spondaïque ou Sacrifical. Dans l'Arithmétique ; il en inventa de nouvelles Régles. Dans la Geométrie ; il la mit en sa perfection, lorsqu'elle n'avoit que les premiers élémens qu'un certain Mœris avoit donnez. C'est luy qui a trouvé ce beau Theoréme qui se voit dans la 47e Proportion du premier Livre des Elémens d'Euclide.

Ce grand Homme, tout profond & universel qu’il étoit dans les Sciences, eut pourtant assez d’humilité pour estre le premier qui refusa le nom de Sage, disant que ce Titre n’appartenoit qu’à Dieu seul. Il se contenta de celuy de Philosophe, c’est à dire, d’Amy de la Sagesse, se faisant pour ainsi dire, le Parrain de la Philosophie. Quoy qu’il ait assez bien pensé de Dieu, que ce soit le premier des Philosophes qui ait soûtenu l’Immortalité de l’Ame, & que Saint Thomas le reconnoisse avec Socrate pour les deux plus vertueux Hommes qu’ait eu le Paganisme, il ne laisse pas d’estre tres-digne de censure, à cause de sa Métempsicose, ou Transmigration des Ames. On l’a accusé de Magie ; mais les contes dont on s’est servy pour authoriser cette accusation, sont si ridicules, qu’ils ne méritent pas la peine d’être refutez ; si on veut pourtant avoir cette satisfaction, on n’a qu’à lire la sçavante Apologie de Mr Naudé. Les Gnostiques & une certaine Marcelline adoroient son Image au rapport de Saint Irenée & de Saint Augustin. Justin dit que ceux de Metapont l’adorerent comme un Dieu. On ne sçait point certainement de quelle maniere il est mort. Quelques-uns disent qu’il fut assassiné sur le bord d’un Champ semé de Féves, parce qu’il n’osoit y mettre le pied ; mais cette Histoire est si indigne de ce grand Homme, que je ne la regarde que comme un Conte fait à plaisir par ses Ennemis. D’autres disent qu’il perit de faim & de miseres aprés quarante jours de prison. Il y en a enfin qui asseurent qu’un Homme à qui il n’avoit pas voulu enseigner sa Philosophie, le brûla avec ses Disciples dans la maison où ils estoient. La fin de la vie de ce Philosophe, sera s’il vous plaist, celle de nostre conversation.

[Couronnement du Roy d'Angleterre, contenant plusieurs particularitez qui n'ont point encore esté sceuës] §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 197, 205-206, 213-218, 245-251, 255-257, 259-267, 270-272, 275

 

Il y a long-temps qu'on préparoit tout ce qui estoit necessaire pour la Cerémonie du Couronnement du Roy d'Angleterre. Elle fut faite avec grande pompe le 23. d'Avril, Feste de Saint Georges selon l'ancien Calendrier, & selon nous le 3. de ce mois. [...]

 

Le Doyen & les Chanoines de Westminster apporterent en Procession solemnelle de l'Eglise Collégiale à la grande Salle du Palais de Westminster, les Couronnes & les autres marques de la Royauté. Ils estoient précedez des Poursuivans, Heraults, & Roys d'Armes, devant lesquels marchoient les Musiciens de la Chapelle en Manteaux d'Ecarlate, & des Chantres du Chapitre en Surplis. [...]

 

La Couronne, & toutes les autres marques de la Royauté ayant esté distribuées par le Roy mesme à ceux qu'il nomma pour les porter, la marche commença par les Tambours & par les Trompetes, qui alloient quatre à quatre de front. Les premiers estoient suivis du Tambour Major, & les derniers du Premier Trompete. Apres eux venoient les six Clercs de la Chancellerie, les quatre plus jeunes d'abord, & les deux Anciens ensuite. Ils précédoient les quarante-huit Chapelains ordinaires ou Aumôniers du Roy, qui sont la plûpart Docteurs en Theologie, & le plus souvent Doyens ou Chanoines. Il y en a quatre qui servent par mois, & qui preschent le Dimanche & les jours de Feste dans la Chapelle en présence du Roy. Ils preschent aussi pour le Commun le matin de chaque Dimanche. Ces Chapelains précédoient les Aldermans ou Echevins de Londres, qui marchoient comme eux quatre à quatre avec les autres Officiers de Ville chacun en son rang, ainsi que les douze Maistres de la Chancellerie, & les Sergens ou Conseillers en Loy. Le Solliciteur Genéral, & l'Attorney ou Procureur Genéral de Sa Majesté marchoient ensemble, & les deux plus anciens Sergens de Loy de mesme. On voyoit paroistre ensuite, aussi quatre à quatre, les Ecuyers du Corps, dont l'office est de garder le Roy pendant la nuit, de poser la Garde, & de donner le Mot ; & apres eux, les Gentilshommes de la Chambre Privée, qui sont au nombre de quarante-huit, & qui servent par Quartier. Il s'en trouve toûjours douze auprés du Roy dans son Palais, & dehors tant qu'il est à pied. Ils le servent, & portent la Viande quand il mange dans la Chambre Privée, ou dans l'Antichambre. Il y en a toûjours deux qui couchent dans l'Antichambre. Ils servent aussi aux Audiences des Ambassadeurs. Les quatre Maistres des Requestes marchoient apres eux, suivis des Juges & Chefs de Justice. Ensuite venoient les Pages de la Musique de la Chapelle du Roy, les Chantres de Westminster, les Gentilshommes de la Chapelle du Roy, les douze Chanoines & le Doyen de l'Eglise Cathedrale de Westminster, en Surplis & avec leurs Habits de Choeur, le Maître ou Garde des Joyaux du Roy, & les Conseillers d'Etat qui ne sont point Pairs du Royaume. [...]

 

La Noblesse & toutes les autres Personnes s'estant placées dans l'Eglise selon leur rang, leurs Majestez monterent sur un grand Théatre, & aprés avoir fait quelques Prieres en se tournant du côté de l'Orient, Elles prirent place sur les Fauteüils qu'on leur avoit préparez. On chanta quelques Motets en Musique, & pour s'acquitter de l'ancienne Cerémonie appellée Reconnoissance, l'Archevesque de Cantorbery s'avança devant l'Autel, & dit à la Noblesse. Voicy Jacques II. Heritier legitime de Charles II. Roy d'Angleterre, Ecosse & Irlande. Vous tous icy assemblez, voulez-vous le recevoir pour vostre Roy ? A peine eut-il achevé, que tous les Pairs & le Peuple poussèrent un grand cry qui témoignoit leur disposition à luy rendre hommage. L'Archevesque repeta encore deux fois les mesmes paroles aux deux costez du Choeur pour se faire entendre à tous les Assistans, & à chaque fois le Roy se levoit, & se tournoit vers le Peuple du mesme costé que l'Archevesque. Toute l'Eglise retentit toûjours des mesmes acclamations. Ensuites leurs Majestez conduites par les Evesques s'approcherent de l'Autel, où Elles firent leur premiere offrande. C'estoit une piece de Drap d'or, & une Masse d'or du poids d'une livre, que leur presenta le Tresorier de leur Maison, & que receut l'Archevesque, auquel les marques de la Dignité Royale furent aussi presentées par tous les Seigneurs qui les portoient. Alors deux Evesques, chanterent les Litanies estant à genoux sur les premiers degrez de l'Autel ; & le Choeur leur repondit. [A la suite de quoi, l'Evêque d'Ely [le docteur Turner] prononça un sermon]. [...] Le Sermon finy, le Roy osta son Bonnet fourré d'hermine, & l'Archevesque de Cantorbery lui vint demander s'il luy plaisoit de prester le Serment ordinaire. Ce Prince ayant répondu qu'il le vouloit, un Evesque leut la Requeste du Clergé, pour la conservation de ses Privileges, & Sa Majesté y répondit favorablement. Les deux Evesques qui avoient déjà assisté le Roy, l'ayant ramené à l'Autel, il y presta le Serment que prêtent les Roys d'Angleterre lors qu'on les couronne, & fut reconduit à son Prié Dieu. On portoit l'Epée Royale élevée devant luy. On chanta le Veni Creator qui fut commencé par deux Evesques, & achevé par la Musique. [...] [Le roi reçut ensuite les onctions des mains de l'archevêque de Canterbury avant d'être revêtu des habits royaux et couronné par l'archevêque.]

 

Trois heures sonnerent dans le temps qu'il la luy mit sur la teste. Alors les Tambours & les Trompettes se joignant aux acclamations de toute la Noblesse & du Peuple, qui cria plusieurs fois, Dieu sauve le Roy, firent retentir toute l'Eglise. Ce Spectacle parut d'autant plus auguste, qu'en mesme temps les Ducs, les Marquis, les Comtes, les Vicomtes, les Barons & les Roys d'Armes, mirent aussi leur Bonnets & leurs Couronnes. Au signal qui fut donné, le Canon du Parc de S. James, & celuy de la Tour de Londres, annoncérent à la Ville le Couronnement du Roy par plusieurs décharges. Ce furent par tout des cris qui marquoient la joye du Peuple. [...]

 

[Après que l'archevêque de Cantorbery eut remis les sceptres au roi, il] se mit à genoux devant Sa Majesté, qui receut sa soümission & le baisa. L'Archevesque d'York , & tous les Evesques & Prébendaires firent après luy la mesme chose. On chanta le Te Deum, & lors qu'il fut achevé, le Roy monta sur un Trône magnifique, dressé au milieu du Théatre. Ce fut là que les Prélats & les Seigneurs luy vinrent prester Serment de fidelité en se mettant à genoux, & le baisant à la jouë. Les Pairs du Royaume luy rendant hommage, tous selon leur rang, touchoient de la main droite le costé gauche de la Couronne. Ce pendant le Tresorier de sa Maison jettoit au Peuple des Médailles d'or & d'argent, ce qui faisoit redoubler les cris de Vive le Roy Jacques II. Le Garde du grand Sceau proclama le Pardon accordé par Sa Majesté à ses Sujets. Il estoit accompagné du premier Roy d'Armes, de deux Herauts, & de l'Huissier à la Verge noire.

L'Archevesque de Cantorbery couronna ensuite la Reyne Marie, & en même temps toutes les Dames mirent leurs Couronnes sur leurs testes ainsi que les Seigneurs avoient fait lors qu'on avait couronné le Roy. Cette Princesse receut le Bâton d'Yvoire & le grand Sceptre, & fut conduite à son Siege sur le Trône. Cela estant fait, & l'Archevesque ayant finy la Solemnité par la Benédiction, Leurs Majestez allerent à la Chapelle de S. Edoüard, où le Roy remit sa Couronne entre les mains de l'Archevesque de Cantorbery, qui la posa sur l'Autel. Il entra de là dans le Vestibule, où le grand Chambellan le dépoüilla des Habits [Royaux], qu'il délivra au Doyen de Westminster, & le revestit d'autres tres-riches de Velours Violet, préparez pour ce jour là. Avec ce nouvel Habit Sa Majesté se rendit à la grande Salle de Westminster, ayant sur la teste la grande Couronne couverte de Pierreries, le Sceptre dans la main droite, & le Globe dans la gauche. Il n'y eut aucun changement dans l'ordre de cette marche, sinon que leurs Majestez, les Seigneurs & les Dames avoient leurs Couronnes sur leurs testes, & que les Pairs qui avoient porté les marques de la Royauté, marchoient selon le rang de leur dignité. A l'entrée de leurs Majestez dans ce Palais, les fanfares des Trompettes recommencerent avec le bruit des Tambours. Elles furent conduites sous le Dais jusqu'au bout de la grande Salle, où diverses Tables avoient esté servies avant que l'on fust venu, excepté celle de leurs Majestez, qui se retirerent pendant quelque temps dans une chambre voisine. Cette salle capable de contenir plus de trente mille Personnes, estoit tenduë de riches Tapisseries, & environnée d'Amphithéatres. Le Peuple fut placé dans les plus bas, & les Gens de qualité & les Dames occuperent les plus élevez. [...] [Le] premier service ayant esté mis sur Table aux chamades des Tambours & des Trompettes, Leurs Majestez en leurs Habits Royaux entrerent dans la Salle, ayant la Couronne sur la teste, & le Sceptre dans la main. [...]

 

Avant le second Service, le Chevalier Charles Dymoke, Champion du Roy, armé de toutes pieces, & le Casque en teste orné de plumes, entra dans la Salle, monté sur un tres-beau Cheval blanc, & precedé de deux Trompettes, du premier Trompette, d'un Sergent d'Armes, d'un Ecuyer portant l'Ecu aux Armes du Champion, d'un autre Ecuyer portant sa Lance, & d'Yorc Heraut d'Armes. Il estoit accompagné du Grand Connestable, & du Grand Maréchal, aussi à Cheval, & il faisoit cette fonction, à cause de son Fief de Scrivelsby dans le Comté de Lincoln. Après que les Trompettes eurent sonné, le Heraut fit le Défi en ces termes, selon ce qui se pratique en Angleterre en pareilles Ceremonies. Il n'est aucun, de quelque condition qu'il puisse estre, qui ose dire que nostre Souverain Seigneur Jacques II. Roy d'Angleterre, Ecosse & Irlande, Frere & legitime heritier du feu Roy Charles II. ne doit pas estre couronné, à qui son Champion icy present, ne soit prest d'en donner le démenty, & de justifier par la voye des armes, & corps à corps, qu'il est un Traistre. Aussi tost le Champion jetta son Gantelet à terre, & personne ne l'ayant ramassé, il luy fut rendu par le Heraut. [...]

 

Après le Festin leurs Majestez revinrent à Witheal aux acclamations du Peuple.

[Panégyrique du Roy, prononcé par M. le Recteur] §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 275-283

La Ville de Paris passa l’année derniere un Contract avec l’Université, par lequel sous de certaines conditions, elle fonda à perpetuité un Eloge public du Roy, qui doit estre prononcé le 15. de May de chaque année, jour de l’Avenement de Sa Majesté à la Couronne, par le Recteur qui se trouvera alors en Charge. Cela fut executé le Mardy 15. de ce mois par Mr Berthe, qui avoit esté nommé Recteur dés celuy d’Octobre, quoy qu’il fust alors Prieur de la Maison & Societé de Sorbonne. Aucun de cette Maison n’avoit possedé tout à la fois ces deux qualitez depuis long temps, quoy qu’elle soit composée de quantité de Personnes d’un profond sçavoir, & d’un merite extraordinaire. La dignité de Prieur de Sorbonne l’engageoit à deux grands Discours publics qui se font à l’ouverture de la premiere & derniere Sorbonique, & à plus de soixante Eloges particuliers qu’il luy a fallu faire suivant le nombre des Sorboniques qu’il a toutes faites par luy mesme, ce que personne avant luy n’avoit fait, lors que ces Actes estoient en si grand nombre. Il prononça le Panégyrique du Roy le jour que je viens de vous marquer, dans l’Ecole exterieure de Sorbonne, en presence d’un grand nombre de Prélats, entre lesquels estoient Mr l’Archevesque de Paris, & Mrs les Evesques de Meaux, de Troye, & du Mans. Plusieurs Genéraux d’Ordre s’y trouverent, avec quantité d’Abbez qualifiez, & de Religieux. Il y avoit aussi grand nombre de Présidents, Conseillers d’Etat, du Parlement, & Mrs les Procureur Genéral, & Avocats Genéraux. Mrs de Ville, revestus de leurs Habits de Satin, s’y rendirent avec un cortege de quinze ou seize Carrosses, précedez de soixante Archers de Ville, dont ils avoient envoyé un pareil nombre pour garder les portes & les places. Vis à vis la Chaire de l’Orateur estoit le Portrait du Roy sous un Dais, & au costé droit de la Salle, par rapport au mesme Orateur, un Buste de Varin d’une tres-grande beauté, estoit posé sur un pied d’estal de Marbre. Autour du Recteur, sur une Estrade élevée de part & d’autre, estoient les principaux Officiers de l’Université, au nombre de quatorze, dans leurs Habits de Cerémonie. Le reste de l’Université, c’est à dire plus de deux cens Docteurs en Théologie, les Docteurs de Medecine & de Droit, les Bacheliers, les Regents & autres, se placerent comme ils purent. Mr Berthe exposa dans son Exorde le dessein & les causes du Panégyrique qu’il faisoit. Il loüa la Ville du moyen ingénieux qu’elle avoit trouvé d’immortaliser le Roy d’une façon singuliere, en confiant un si illustre dépost à un Corps qui ne périroit jamais, & dont le zele pour la gloire de ses Princes, avoit mérité que ce fust dans son sein qu’on élevast un Autel au mérite incomparable de nostre auguste Monarque. Il entreprit dans la suite de justifier les deux Titres que toute la Terre donne au Roy, celuy de Grand, & celuy de Tres-Chrétien Il s’attacha à établir d’abord la grandeur du Roy sur une idée genérale de tout ce qui avoit jamais manqué aux Princes qui ont eu le nom de Grand, & fit voir que rien de tout cela n’avoit manqué à Sa Majesté, qui réünissoit en sa Personne tout ce qui avoit mérité ce mesme Titre de Grand, & qui possedoit sans aucun defaut, tout ce qu’il y a, & tout ce qu’il peut y avoir d’extraordinaire dans la vraye Grandeur. Il montra ensuite que le Roy estoit en effet Tres-Chrétien, qu’il avoit fait, & qu’il faisoit encore tous les jours pour l’Eglise, plus qu’aucun des Princes qui l’ont précedé. Il entra dans ce détail non pas en Historien, mais en habile Orateur, & finit par des vœux au Ciel pour la conservation de la Personne sacrée de Sa Majesté.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 287-288.

Je vous envoye un second Printemps. Il est encore d'un tres-sçavant Maistre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ce qui fait le Printemps, doit regarder la page 288.
Ce qui fait le Printemps,
N'est pas toûjours la naissante verdure,
Petits Oyseaux, ce ne sont point vos chants,
Ny des Zephirs le doux murmure ;
Mais, Philis, s'il est quelque temps
Oú vous soyez sensible aux peines que j'endure,
C'est pour moy, Philis, je vous jure,
Ce qui fait le Printemps.
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[Discours en italien du Doge de Venise et traduction]* §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 324-336

Voicy le Discours du Doge en Italien, dans les mesmes termes qu’il a esté prononcé.

Sire,

La mia Republica hà sempre havuto frà le massime piu radicate del suo Governo, quella principalmente, di segnelarsi nella somma veneratione a questa gran Corona, che trasmessa alla M. V. da suoi augusti Progenitori, ha ella elevata ad un si alte grado di potenza & di gloria, con imprese tanto prodigiose e inaudite, che la fama solita in ogni altro soggetto a’ingrandire, non sara bastevole, ancora con diminuirle, a renderle credibili alla posterità. Prerogative cosi sublimi che obligano qualonque stato a rimirarle è amirarle con profondissime ossequio, hanno particolarmente indotto la mia Republica a distinguersi sopra d’ogniuno nel professarle in modo che il mundo tutto douesse restarne evidemente persuaso ; ne vi è accidente che le sia mai occorso di apprendere ne piu funesto ne piu fatale di quello che veramente potesse offendere M. V. Non posso dunque adequatamente spiegare l’immenso cordoglio cagionato alla Medesima, d’haver havuto la minima cosa che sia dispiaciuta alla M. V. Benche ella si lusinghi essere cio arrivato per pura sua disgracia, vorrebbe nondimeno che tuto quello che puo essere succeduto di poca sodis-fattione della M. V. fosse à qual si voglia prezzo scancellato non solo dalla sua memoria, ma da quella di tutti li huomini.

Non è ella capace di sollevarsi da cosi immensa afflittione, finche non si veda reintegrata nella pregiatissima gratia di M. V. Per essere fatta degna di conseguirla, accerta la M. V. che li sforzi delle sue piu intense applicationi, e delle sue piu ansiose sollecitudini s’impie gheranno non solo à procurarsene vua perpetua conservatione, ma ad habilitarsi a meritarne ogni maggione accrescimento, in ordine à che non sodisfacendo si di qual si sia espressione piu propria e piu ossequente, ha voluto valersi di inusitate e singolarissime forme, inviandole il suo Duce con questi quatro Senatori, sperando che da tante speciali dimostrationi, debba la M. V. rimanere pienamente appagata dell’ altissima stima che fa la mia Republica della sua regia benevolenza.

Quanto à me, Sire, riconosco per mia grande fortuna l’honore d’esporle questi vivissimi e devotissimi sentimenti, ed al maggior segnomi preggio di comparire alla presenza di un si grande Monarcaa, che invittissimo per il suo gran valore e riveritissimo per la sua impareggiabile magnanimità e grandezza, come ha sormontato tutti li altri de passati secoli, cosi assicura la medesima sorte alla sua regia prosapia. Con si felice augurio hò somma fiducia che la M. V. per fare sempre piu comprendere all’ Universo la singolarità dell’ amimo suo generosissimo si compiacerà di riguardare quelle dimostrationi tanto divote e dovute, come parti non meno della sincerità del mio cuore, che delli animi di questi Signori Senatori e de Cittadini della mia Republica, che attendono con impatienza i contrasegni che la M. V. si degnerà voler le dare del suo benigno gradimento.

Quand vous n’entendriez point l’Italien aussi parfaitement que vous faites, je vous aurois envoyé ce Discours en cette Langue, parce qu’il y a des temps où les choses doivent estre sceuës dans les termes qu’elles ont esté prononcées, la traduction ne s’en pouvant faire si fort à la Lettre, que le mot François ne signifie quelquefois plus ou moins. Je ne laisse pas de vous envoyer celle qui a esté faite de ce Discours, & je prens ce soin en faveur de vos Amies. Quand il y auroit quelques endroits ausquels on pourroit donner un sens opposé à celuy du Doge, cela ne seroit d’aucune consequence, puis qu’en confrontant l’Italien, on connoistroit aisément qu’on n’y a voulu augmenter ny diminuer aucune chose.

Traduction du Discours
du Doge.

Sire.

Ma République a toûjours tenu pour une des maximes les plus fondamentales de son gouvernement, celle de se signaler particulieremen par le profond respect qu’elle porte à cette puissante Couronne, que V. M. a receu de ses augustes Ancestres, & qu’Elle a élevée à un si haut degré de puissance & de gloire par des actions inoüies, & si étonnantes, que la Renommée, qui dans tout autre sujet exagere ordinairement les choses, ne pourra pas, mesme en les diminuant, les rendre croyables à la posterité.

Ces prérogatives si sublimes qui obligent tous les Etats à les considerer, & à les admirer avec une soumission tres-profonde, ont particulierement porté ma République à se distinguer par dessus tous les autres, en la témoignant de telle maniere, que tout le monde en doive demeurer évidemment persuadé ; & l’accident le plus funeste & le plus fatal qu’elle ait jamais appris, est celuy d’avoir pû veritablement offencer Vostre Majesté.

Je ne puis donc assez bien exprimer l’extréme douleur qu’elle a euë d’avoir pû déplaire en quoy que ce soit à V. M. & bien qu’elle se flatte que c’est un pur effet de son malheur, elle voudroit neantmoins, que tout ce qui s’est passé, dont V. Majesté n’a pas esté contente, fût à quelque prix que ce soit effacé non seulement de sa mémoire, mais encore de celle de tous les Hommes, estant incapable de se consoler dans une si grande affliction, jusqu’à ce qu’elle se voye rétablie dans les bonnes graces de V. M.

Pour s’en rendre digne, elle asseure V. M. qu’elle employera desormais toute son application & tous ses soins, & qu’elle fera tous ses efforts, non seulement pour se les conserver éternellement, mais encore pour se rendre capable d’en mériter l’augmentation. C’est dans cette veuë, que ne se contentant pas des expressions les plus propres & les plus respectueuses, elle a voulu se servir de manieres inusitées & tres-singulieres, en luy envoyant son Doge avec quatre de ses Senateurs, esperant qu’aprés de telles démonstrations V. M. sera pleinement persuadée de la tres haute estime que ma République fait de vostre Royale bien-veillance.

Pour ce qui est de moy, SIRE, je m’estime tres-heureux d’avoir l’honneur d’exposer à V. M. ces sentimens tres-sinceres & tres-respectueux ; & tiens à une gloire tres-particuliere de paroistre devant un si grand Monarque, invincible par son courage, & tres-reveré par sa grandeur, & par sa magnanimité incomparable, & qui ayant surpassé tous les Roys des Siecles passez, asseure le mesme avantage à sa Race Royale. Aprés cét heureux présage, j’espére que V. M. pour faire voir de plus en plus à tout l’Univers la grandeur singuliere de sa genérosité, daignera regarder ces témoignages aussi justes que respectueux, comme venant de la sincerité de mon cœur, & de ceux de ces Messieurs les Senateurs, & de tous les Peuples de ma Patrie, qui attendent avec impatience les marques que V. M. voudra bien leur donner du retour de sa bien-veillance.

Vous observerez que toutes les fois que le nom de Sa Majesté se trouva dans ce Discours, le Doge se découvrit, que le Roy en fit de mesme, & que tous les Princes se découvrirent aussi, ce qui arriva plusieurs fois. Le Roy répondit au Doge, Qu’il estoit content des soumissions que luy faisoit faire la République de Genes ; que comme il avoit esté fâché d’avoir eu sujet de faire éclater son ressentiment contre elle, il estoit bien aise de voir les choses au point où elles estoient, parce qu’il croyoit qu’à l’avenir il y auroit une tres-bonne correspondance ; qu’il vouloit se la promettre de la bonne conduite de la République tiendroit, & que l’estimant beaucoup il luy donneroit dans toutes les occasions des marques du retour de sa bien-veillance. A l’égard du Doge, Sa Majesté parla de son merite personnel avec beaucoup de bonté, luy faisant connoistre qu’Elle luy donneroit avec plaisir des témoignages de l’estime particuliere qu’Elle en faisoit.

[Tout ce qui s'est passé depuis l'arrivée du Doge jusques à son départ] §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 362-363, 367-372

 

Ils allerent le soir au Bal, où ils furent placez par l'ordre de Sa Majesté dans un endroit fort avantageux pour voir toute la Cour. Elle estoit extrémement parée, & la beauté des Dames estant relevée par tout ce qui pouvoit la faire briller, on peut dire qu'on ne sçauroit rien voir de plus éclatant que l'étoit cette Assemblée. Le Roy fit l'honneur au Doge de luy parler fort obligeamment aprés le Bal, & sa Serenité comblée de tant de bontez, retourna à Paris le soir mesme avec les Senateurs, Mr l'Envoyé de Genes, & toute leur Suite. [...]

 

Voicy ce qu’il dit au Roy.

Sire,

Sono si abondanti e singolari le gratie che la M. V. s’è degnata di conferire nella mia Persona, & di questi signori Senatori alla mia Republica, che superano di gran lunga le speranze che la Medesima ne haveva concepilo. La generosità è la magnanimità come tutte le altre virtù Eroiche risplendono nella M. V. accedono à tal segno la proportione dell’humana capacità, che non è meraviglia che la mia lingua non habbia maniera d’esprimerne la grandezza. Tutto quello ch’io saprò rapresentarne alla mia Republica, per quanto studio ch’io vi vi ponga, non ne sarà mai che una minima parte. Questa però sarà piu che bastevole per obligarla perpetuamente a segnalarsi fra tutti gli altri Prencipi nella osservanza dovuta alla M. V. & ad essere intenta a conservare il pegno pretiosissimo della sua gratia che con tanta benignità si compiace di darle ; e se bene il possesso di tutto cio che habbiamo al mondo di piu pretioso è sempre congiunto a qualche ansioso timore di perderle, la mia Republica per lo contrario sicurissima di non doveo mai fau cosa alcuna da se che possa attirarle una si estrema disgracia, altro non haurebbe da tamere, se non chele sue rette intentioni, e le sue sincerissime operationi potessero per aventura comparire alla V. M. stante la lontananza, con faccia diversa da quella che portano in se medesime, se dall’ altra parte non fosse affidata che l’occhio perspicacissimo di V. M. penetrando nel di lei cuore, dissiperà con i suoi vivissimi raggi tutte quelle ombre estraniere che potessero insorgere per denigrarlo. Pieno di questa fiducia auguro a V. M. il possesso perpetuo della felicità e della gloria che col corso non mai interrotto delle sue meravi gliose attioni ha cosi bene conseguito.

Ce compliment a esté ainsi traduit.

Sire,

Les graces qu’il a pleu à V. M. de faire à ma République, tant en ma Personne qu’en celle de ces quatre Senateurs, sont si abondantes, & si singulieres, qu’elles surpassent de beaucoup les esperances qu’elle en avoit conceuës. La genérosité & la magnanimité, comme toutes les autres vertus heroïques qui éclatent en V. M. estant au dessus de tout ce qui s’en peut imaginer, ce n’est pas une chose surprenante que je ne puisse trouver des termes pour en exprimer la grandeur. Tout ce que j’en pourray representer à ma République, quelque effort que j’y employe, n’en sera qu’une tres-foible partie. Elle sera cependant plus que suffisante pour l’obliger perpetuellement à se signaler entre les autres Princes dans le respect qui est deu à V. M. & à s’appliquer avec soin à conserver l’avantage glorieux de ses bonnes graces, qu’Elle a bien voulu luy accorder avec tant de marques de bonté. Quoy que la possession de tout ce que nous avons au monde de plus prétieux, soit toûjours mêlée de quelque inquiete crainte de le perdre, ma République, se tenant fort asseurée de ne rien faire jamais qui puisse luy attirer une si fâcheuse disgrace, elle n’auroit autre chose à craindre sinon que ses droites intentions, & ses actions les plus sinceres, ne parussent autres par l’éloignement des lieux qu’elles ne sont en elles mesmes, si elle n’estoit asseurée que l’Oeil tres-perçant de V. M. dissipera avec ses vifs rayons toutes les ombres étrangeres qui pourroient s’opposer à sa clarté. Sur cette confiance j’augure à V. M. la possession du bonheur, & de la gloire qu’Elle s’est si justement acquise par le cours continuel de ses merveilleuses actions.

[Sermon en Grec par M. l'Abbé Barentin] §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 378-379

 

Je ne vous ay point encore parlé d'un Sermon extraordinaire qui se fait tous les ans aux Cordeliers le Dimanche de Quasimodo. La Confrairie des Pélerins de Jérusalem, établie dans l'Eglise de ces Peres, y fait dire ce jour-là une grande Messe que l'on chante en Grec, au milieu de laquelle on presche en la même Langue. L'usage est depuis long-temps de choisir pour cet employ de jeu des Ecoliers de qualité, distinguez par les progrés qu'ils ont faits dans leurs Etudes. Ils montent en Chaire, revestus d'habits Ecclésiastiques, & font un Sermon dans les formes. Messieurs de Lamoignon & Talon l'ont fait dans leur temps ; & Mr l'Abbé Barentin, Fils de Mr Barentin Premier Président du Grand Conseil, a esté choisy cette année pour ce mesme employ. On ne peut s'en acquiter avec plus de grace qu'il a fait, soit pour le geste & les flexions de voix, soit pour les autres talens qui sont propres à la Chaire. Il y avoit une tres nombreuse Assemblée de Gens de marque, qui en sortirent charmez. [...]

[Traduction nouvelle de la seconde Philippique de Cicéron] §

Mercure galant, mai 1685 [tome 5], p. 380

Je vous envoye une Traduction nouvelle de la seconde Philippique de Ciceron, faite par Mr Gillet Avocat au Parlement. Il a conservé toutes les beautez de l’Original ; & ce n’est pas une petite gloire pour luy, puis que cette Piéce passe pour le Chef-d’œuvre de ce grand Maistre de l’Eloquence. Je suis, Madame, vostre, &c.

 

A Paris ce 31. May 1685.