1685

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1685 [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11]. §

[Prélude. Panegyrique du Roy] §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 1-52

C’est avec raison, Madame, que tous ceux qui ont entrepris l’Eloge du Roy, ont dit que sa vie estoit un continuel enchaînement de Miracles. Ce qui se passe aujourd’huy nous le fait connoistre, & il ne me seroit pas difficile d’y trouver une ample matiere aux loüanges de ce grand Prince si je n’avois accoûtumé de me taire, quand je puis faire parler un autre en ma place. Je n’ay ny le temps de ramasser toutes les choses que l’on peut dire à sa gloire, ny l’éloquence qui me seroit necessaire pour les bien representer. C’est ce qui m’oblige à commencer cette Lettre par le Panegyrique de Sa Majesté, qui fut prononcé à Caën le cinquiéme de Septembre, au sujet de la Statuë que les Habitans luy ont élevée. Je vous envoyay le mois passé une exacte Relation de cette Feste, & vous marquay que le Pere Fejacq, Professeur en Theologie, & Prieur des Jacobins de la Ville, avoit charmé par un excellent Discours le grand nombre d’Auditeurs que le zele qu’on a par tout pour le Roy, avoit attirez à cet auguste Spectacle. Voicy en quels termes ce Discours estoit conceu.

 

Qu’attendez-vous de moy, Messieurs ? Avez-vous esperé que je répondrois à vos idées, quand vous m’avez fait l’honneur de me choisir pour Panegyriste de nostre Auguste Monarque, & pour interprete de vos cœurs ? Ces deux qualitez sont difficiles à soûtenir ; ce qu’a faitLoüis le Grandest si extraordinaire & si singulier ; les sentimens que vous avez pour luy sont si vifs & si délicats, qu’on ne peut sans témerité se promettre de réüssir, soit qu’on soit obligé de parler de luy, soit qu’il faille parler pour vous.

L’Invincible, le MagnanimeLoüisfait le bonheur de la France, la destinée de l’Europe, l’étonnement de l’Univers. La gloire de son Nom s’étend jusqu’aux extrémitez de la terre ; & de ces extrémitez, des Peuples dont les Noms nous estoient presque inconnus, viennent le voir & l’admirer. Adoré de ses Sujets, respecté de ses Voisins, toûjours vainqueur, soit qu’irrité de l’orgueil de ses Ennemis, il leur fasse la guerre ; soit que touché de leur foiblesse, il leur donne la Paix. Quelles expressions peuvent égaler la gloire d’un tel Prince ? L’Eloquence accoûtumée à relever les actions des autres Heros, ne peut qu’affoiblir celles deLoüis, presque reduite à ne le loüer que par son desordre & son silence.

Il paroist bien, Messieurs, qu’un merite si extraordinaire a fait sur vos cœurs toute l’impression qu’il est capable de faire. L’éclat de ce jour qui va devenir celebre ; cette Pompe, cette Assemblée, la joye qui paroist dans vos yeux, la Place mesme que vous avez fait embellir, & la magnifique Statuë que vous venez d’y ériger, ne nous laissent point douter, qu’entre tous les Sujets d’un si grand Roy, il n’y en a point qui ressentent mieux que vous, le plaisir & la gloire de luy obeïr. Rien de tout ce que sa Grandeur vous a fait penser, ne devroit échapper à quiconque doit parler pour vous. Mais comment une langue pourroit-elle servir d’interprete à tant de cœurs ? Quel Orateur assez habile pourroit expliquer ce qu’ont pensé tant de spirituelles & d’illustres Personnes ?

Quand il ne seroit pas mesme impossible d’y réüssir, estoit-ce sur moy, Messieurs, que devoit tomber vostre choix ? Né dans une autre Province, & presque inconnu dans cette Ville, où fleurissent les beaux Arts, où plusieurs excellens Hommes joignent l’étude de l’Eloquence à celle des Loix, des belles Lettres, des Sciences humaines, & de la Divine Theologie, devois-je esperer d’autre part au Panegyrique que vous prepariez, que celle d’entendre & d’applaudir ?

Mais vous avez voulu que ce Panegyrique deust sa beauté à la grandeur de sa matiere, sans rien devoir à l’Orateur. Vous l’avez voulu, Messieurs, & j’obeis ; persuadé de mon insuffisance, seur neanmoins de vous plaire, puisque j’ay l’honneur de parler d’un Prince pour qui vous n’avez pas moins de tendresse que de respect, & qui merite l’admiration qu’ont pour luy les deux Mondes qui composent l’Univers, je veux dire le Monde Chrestien, & le Monde Politique. Il est rare qu’on leur plaise également. Tels Princes qui ont esté les delices de l’Eglise, n’ont pas eu l’approbation du Siecle ; & tels qui ont fait l’admiration de ces sages mondains, qui préferent à toutes les raisons la raison d’Estat, ont eu le malheur de déplaire aux Sages Evangeliques, qui préferent à tous les interests, l’interest de la Religion.

Ce qui distingue le Roy de presque tous les autres Rois, est qu’il plaist en mesme temps à ces deux Mondes. On voit en luy ce que l’Eglise peut aimer, on y voit ce que le Siecle peut admirer. Et si je suis assez heureux pour raconter seulement quelqu’une de ses actions sans en affoiblir la beauté, ou pour découvrir quelqu’une de ses vertus sans en diminuer l’éclat ; vous avoüerez, Messieurs, qu’on pourroit ajoûter aux nobles Inscriptions, que des personnes distinguées par leur rang, & par leur merite, ont fait graver au pied du superbe Monument, que cette Ville consacre à la gloire du Roy, qu’on pourroit, dis-je, y ajoûter ces deux mots, qui seuls valent un Panegyrique ; Loüis le Grand, l’Amour du Monde Chrestien, l’Admiration du Monde Politique.

Si ce que l’Eglise aime dans les Princes, n’est pas toûjours ce qui brille le plus en eux, c’est du moins ce qui merite le plus d’estime. Incapable qu’elle est de se laisser ébloüir par un faux jour, éclairée des lumieres de l’Evangile, elle n’estime que le vray merite, & ne donne que de justes éloges. Que peut on s’imaginer de plus grand que ce qu’elle aime dans les Rois ? Ne se croire élevé sur le Trône que pour rendre-des Sujets heureux ; n’entreprendre la Guerre que pour réprimer l’injustice, ou pour affermir la Paix ; n’avoir de puissance & de grandeur, que pour les faire servir aux interests de la Religion ; c’est ce qu’aime l’Eglise, & ce que nous admirons enLoüis le Grand.

Qu’on est heureux quand on obeït à un Prince, persuadé comme luy, que la Providence fait naistre les Rois pour l’utilité de leurs Sujets ! & que comme les Astres ne sont attachez au Ciel que pour éclairer l’Univers, les Souverains ne sont élevez sur le Trône, que pour le bien de leurs Estats ! Loüis ne pense qu’à faire la felicité des siens. Si nous l’admirons, il nous aime. Nous nous estimons heureux de l’avoir pour Maistre, & il ne seroit pas content de luy-mesme, s’il y avoit dans le monde un meilleur Maître que luy.

A qui devons-nous qu’à sa valeur & à ses soins, le repos dont nous avons joüy pendant une longue Guerre, qui ne nous a point empesché de goûter les fruits & les douceurs de la Paix ? Si nos voisins n’ont pas seulement approché de nos Provinces qu’ils esperoient conquerir, s’ils n’ont rien fait de tout le mal qu’ils vouloient faire ; n’est ce point qu’il les a prévenus, & que portant la terreur & la desolation sur leurs terres, il les a mis hors d’état d’entreprendre rien sur les nostres ?

A qui devons-nous qu’à sa prudence, & à la passion qu’il a de nous rendre heureux, l’établissement du Commerce, la sûreté de la Navigation, la reforme des Loix, le bon ordre de la Justice, la discipline des Armées ; tout enfin ce qui rend la France aussi florissante au dedans, qu’elle est redoutée au dehors ? De tout ce qui peut nous estre utile, rien n’échappe à sa prévoyance, rien ne fatigue sa bonté, remplissant selon nos divers besoins les differentes fonctions de Legislateur, de Pere & de Juge ; tantost il fait des Loix, tantost il accorde des Graces, & tantost il termine des Differens.

Plus sage que tant de Rois, qui ne se soucians pas que leurs Sujets soient bons, pourveu qu’ils leur soient soûmis, pensent plus quand ils font des Loix, à conserver à chacun son bien, que son innocence ; Loüis se considerant plûtost comme le Directeur des mœurs de ses Sujets, que comme l’Arbitre souverain de leur fortune, ne fait pas seulement des Loix pour maintenir la tranquillité dans son Empire, il en fait pour y conserver la vertu. Il punit le Blasphême, il défend les Usures, il arreste la fureur des Duels, fureur presque aussi ancienne que la Monarchie, inveterée, opiniâtre, incurable à tout autre qu’a Loüis le Grand, dont l’empire semble s’étendre jusques sur les cœurs. Il commande, & comme on perd en même temps jusqu’au desir, jusqu’à la pensée de luy desobeir, il ne trouve presque point de coupables qu’il soit obligé de punir.

Il voudroit bien ne pas trouver plus de malheureux ; mais parce que telle est nostre destinée, qu’il y en aura toûjours, il se fait un plaisir & une loy de les secourir. Qui d’entre ses Sujets distingué par le merite, & accablé par la fortune, luy a fait connoistre ses besoins sans le voir s’y interesser ? Laquelle de ses Provinces a veu mourir ses esperances par le déreglement des Saisons, sans les voir aussi-tost renaître par les soins qu’il a pris de la soulager ? Il suffit queLoüissçache qu’on est malheureux pour qu’on cesse aussi tost de l’estre. Son air seul & ses manieres obligeantes tiennent lieu de bonne fortune aux miserables qui ont l’honneur de l’aborder ; il y ajoûte des secours considerables, & il semble que la Providence ne permet qu’il arrive quelques disgraces, que pour luy laisser la gloire d’avoir fait seul le bonheur de ses Sujets.

L’amour qu’il a pour eux le fait souvent descendre du Trône pour monter sur le Tribunal, où comme s’il n’estoit point d’ailleurs occupé à regler la destinée de presque tous les Souverains de l’Europe, il se fait une serieuse occupation de terminer les Differens de ses Sujets. Il écoute, il examine, il prononce ; mais avec quel discernement ? Avec quel respect pour les loix ? Ceux dont il daigne prendre les avis, avoüent que plus habile qu’eux il ne regne pas moins dans son Conseil par l’élevation de son genie, que par la superiorité de son rang. Il démele toûjours le bon droit ; & si nous en exceptons les occasions, où sa bonté pour ses Sujets l’empesche de se rendre justice à soy-mesme, il le favorise toûjours ; inflexible dans la justice qu’il rend aux autres ; injuste avec honneur dans les injustices qu’il se fait à luy mesme ; & par tout également digne de l’amour du Monde Chrestien.

Mais peut-estre qu’il paroist moins aimable à ce monde pacifique, quand à la teste de ses redoutables Armées il porte la guerre chez les Peuples jaloux de sa puissance. Rien moins, Messieurs, il plaist autant sous les armes que sur le Trône.

Qu’on ne se figure point icy un de ces Conquerans, qui ne troublent le repos de la terre, que pour calmer le trouble qu’un desir déreglé de s’agrandir excite dans le cœur. Tels ont esté les Cesars & les Alexandres, qui en acquerant un peu de gloire, se sont attirez beaucoup de haine ; au lieu que nostre invincible Monarque ne s’est pas moins acquis par ses conquestes l’amour que l’admiration de l’Univers.

Ne sçait-on pas, que le desir de vaincre, le plaisir, de se vanger, le dessein de nuire, ny aucune de ses farouches passions qui font les guerres injustes, ne luy a point fait prendre les armes ? Nos Ennemis mesmes peuvent-ils desavoüer que quelque ardeur qu’il eust pour la gloire, quelque asseuré qu’il fust de triompher, il n’a combattu que malgré luy ? Jamais il n’eust fait la guerre, si sans la faire, il eust pû réprimer l’injustice de ses voisins, ou assurer le repos de ses Sujets ?

Empereurs, Rois, Souverains, Republiques, Estats, Peuples qu’il a vaincus, ne vous en prenez qu’à vous mesmes de vos pertes & de vos malheurs. Si l’Espagne n’eust pas contesté des Droits trop bien justifiez, Loüisn’eust point attaqué les Païs-bas, qu’il parcourut comme un foudre, avec une incroyable rapidité, laissant par tout d’éclatantes marques de ses victoires. Si la Hollande eust esté moins ingrate, on ne l’eust point veuë succomber sous la mesme puissance, à laquelle elle estoit redevable de son élevation. Si l’Allemagne eust mieux connu ses veritables interests ; si des craintes imaginaires, si d’injustes défiances ne l’eussent fait armer contre la France, le Roy qu’elle a contraint de devenir son Ennemy, n’eust jamais esté que son Protecteur.

Combien les Princes liguez avec tant de peine, & avec si peu de succés, eussent-ils épargné de sang ? Combien de Places eussent-ils conservées, si leur opiniâtreté ne les eust empeschez d’observer les Traitez que leur foiblesse les avoit forcé de conclure ? Luxembourg n’eust point changé de maître, s’il n’eust fallu par un coup de si grand éclat mettre fin aux lenteurs & aux artifices de la Politique Espagnole. L’obstination des Ennemis à perdre cette importante Place, a forcé le Roy à la prendre. Passionné pour la paix jusques dans le sein de la victoire, il n’a fait cette derniere conqueste que pour n’estre pas obligé d’en faire de nouvelles.

Quel autre obstacle, que sa seule moderation s’est opposée à celles qu’il pouvoit faire ? L’occasion sera-t-elle jamais plus favorable de remonter sur le Trône de Charlemagne, & de s’assujetir l’Empire, qui sur le penchant de sa ruine sembloit demander un nouveau Maître, & un plus puissant Protecteur ? Le Roy n’avoit qu’à le vouloir, il pouvoit tout. Mais semblable au grand Theodose, que Saint Augustin admire pour avoir esté moins sensible au desir d’acquerir un Empire, qu’à la gloire de secourir un Empereur destitué de tout secours : Loüis, pour laisser à l’Empire la liberté de réünir ses forces contre les Turcs, retire les siennes du voisinage de Luxembourg, prest à secourir l’Empereur, & à renouveller sur les bords du Danube les merveilles de la journée du Raab, si ce Prince n’eust mieux aimé s’exposer à perdre tout, qu’à devoir deux fois sa Couronne.

Que cet endroit, Messieurs, a esté touchant pour l’Eglise ! & que le Roy parut aimable au Monde Chrestien, quand il suspendit ses conquestes pour faciliter le secours de Vienne, dont la perte n’estoit pas tout le mal qu’on devoit craindre. Les interests de la Religion estoient meslez avec ceux de l’Empire dans la conservation de cette Place : c’est ce qui faisoit trembler le Monde Chrétien, & c’est ce qui touchaLoüis le Grand : car fut-il jamais un Prince plus religieux ?

J’en prens à témoin toute la terre : on voit par tout des marques de son zele & de sa pieté. Dans l’Empire, Strasbourg & Munster assujetis à leurs Princes legitimes, & en mesme temps à leurs legitimes Pasteurs ; dans la Hollande, des lauriers consacrez au Dieu des Batailles, & au lieu d’Arcs de triomphe, des Croix élevées & des Autels reparez ; en Afrique les Prisons de Tripoli, d’Alger & de Tunis ouvertes par de glorieux Traitez, ou brisées par d’heroïques efforts ; & un nombre infini d’esclaves arrachez à la fureur des Ennemis du nom Chrétien ; dans tout l’Empire Ottoman, le Christianisme florissant à l’ombre des lys ; dans la Palestine les Lieux saints protegez contre l’impieté des Infideles, & mis à l’abry de leurs insultes ; dans les Indes, dans le Japon, dans la Perse, des Missions d’Hommes Apostoliques, établies, protegées, entretenuës ; dans l’Italie, la fameuse Pyramide qui fut élevée pour vanger l’honneur de la France, abattuë pour ménager la gloire du saint Siege ; à nos yeux, de dangereuses nouveautez ou prévenuës, ou dissipées ; la paix renduë à l’Eglise, & ce qui fera l’éternité de cette Paix, l’Episcopat remply d’excellens Sujets, & de grands Hommes.

Ajoûtons à tant de merveilles ce qui seul suffiroit pour immortaliser la pieté deLoüis le Grand : le Calvinisme presque aneanty ; il expire ce monstre qui desoloit autrefois la France ; elle languit, elle meurt cette heresie qui fut la source funeste de nos divisions & de nos guerres. Ils ne subsistent plus ces Temples élevez sur les ruines de nos Eglises ; ces Temples où l’on n’offroit pas de Victimes, & où l’on formoit des vœux qui n’avoient peut-estre pas pour objet nos prosperitez. Des millions de Protestans sont réduits à un petit nombre, & bien-tost ce ne sera plus que par l’Histoire qu’on apprendra qu’elle a esté la fortune de ce formidable party.

Il avoit resisté aux armes de plusieurs grands Rois, & il cede presque sans resistance àLouis le Grand, qui n’employe pour le ruiner que sa bonté, sa douceur, ses bienfaits, son zele, & ses Loix ; Loix qui sans violer d’anciens Edits en repriment les abus ; Loix également douces & severes, justes & charitables ; Loix favorables à ceux mesmes qui les trouvent dures, & ausquelles ceux qui s’en plaignent se confesseront quelque jour redevables de leur salut.

L’Eglise peut-elle donner moins que son cœur à un Prince qui luy rend de si grands services ? Est-ce assez qu’elle l’appelle le Prédicateur de la Foy, le Defenseur des Veritez Orthodoxes, l’Evesque seculier de ses Sujets ? Noms glorieux que Saint Remy donnoit autrefois à Clovis. Est-ce assez .… mais laissons à l’Eglise le choix de ce qu’elle doit faire pour marquer sa reconnoissance à ce Grand Roy ; & voyons dans le peu de temps qui nous reste, s’il ne merite pas aussi justement l’admiration du Monde Politique, que l’amour du Monde Chrestien.

L’admiration, toute muette qu’elle est ordinairement, est le plus glorieux de tous les Eloges. Tandis que ce qu’on estime laisse la liberté de parler, ce qu’on dit peut estre soupçonné de flaterie ; tout est naturel, tout est sincere dans le silence qui accompagne la surprise ; ce qu’on voit ne peut estre que tres-grand, quand on admire sans loüer. Alexandre toûjours brave, toûjours heureux, ne trouva rien qui pût arrester le cours rapide de ses Victoires, toute la terre en fut saisie d’étonnement ; & comme il est remarqué dans l’Ecriture, ne pouvant le loüer, elle se tût, & l’admira. Salomon fut le plus magnifique de tous les Rois, & ceux qui le virent, tomberent dans une espece de ravissement qui leur osta l’usage de la parole. Ce que ces Princes ont esté dans leur Siecle, Louis le Grandne l’est-il pas dans le nostre ? Est il moins vaillant & moins heureux qu’Alexandre ? Est-il moins magnifique que Salomon ? N’en doutez pas, Messieurs, la posterité l’admirera, comme nous les admirons.

Le fameux Passage du Rhin va prendre parmy les prodiges le rang qu’ont tenu jusqu’icy les passages du Granique & de l’Hydaspe. On y verraLouis le Grands’estimer heureux d’avoir enfin trouvé un peril digne de luy ; & ce que ne put faire Alexandre, on l’y verra imprimer dans les cœurs de tous les siens la noble ardeur dont il brûloit. Soûtenus par sa presence, animez par sa valeur, glorieux de combattre sous les yeux d’un si grand Roy, ils se précipiterent dans les eaux, & ils allerent malgré la profondeur & la rapidité du Fleuve, chercher des Ennemis qui n’eurent ny assez de fermeté pour les recevoir, ny assez de cœur pour les attendre.

Cent prodiges ont suivy ce premier miracle ; mais la Posterité qui les doit admirer, les croira t-elle ? Vous mesmes, Messieurs, qui les avez veus, les croyez-vous ? L’Histoire deLouis le Grand, toute vraye qu’elle est, a t-elle moins que celle d’Alexandre l’air de la Fable ? Y a-t-il de la vray-semblance dans les veritez qu’on dit de luy ?

Qu’en quinze jours, dans la plus fâcheuse saison de l’année, il ait subjugué toute une Province considerable par le nombre & par la force de ses Places ; qu’en moins d’un mois il ait pris plus de Villes qu’il n’en faudroit pour faire un puissant Etat ; qu’il ait resisté seul à toute l’Europe ; qu’il ait triomphé par tout où il a combattu ; que ses Ennemis n’ayent esté que les témoins & les spectateurs immobiles de ses victoires ; qu’il leur ait osté jusqu’au courage de se défendre ; qu’il ait réduit Alger à confesser qu’il luy faisoit grace, quand il luy imposoit des Loix ; qu’il ait humilié Gennes, sans achever de la détruire : souffrez que je le repete, vous qui en avez esté les témoins, le croyez-vous ? Ou parce qu’il vous est impossible d’en douter, esperez-vous que les Siecles futurs n’en doutent point ? Alexandre crût qu’il étoit de sa gloire de les tromper, par les vaines apparences d’une grandeur qu’il n’avoit pas : il est au contraire de la gloire du Roy qu’on les ménage, & qu’on ne leur apprenne des grandes choses qu’il a faites, que celles qu’ils pourront croire.

Que la Posterité sçache, queLoüiss’est rendu deux fois maître de Valenciennes par ses Armes & par ses Bienfaits. Mais ne luy disons pas que cette importante Place attaquée au milieu de l’Hyver, a esté prise en un quart d’heure & en plein jour ; qu’on la vit passer en un moment de la confiance au desespoir, & du desespoir à la joye ; & que le sort des Vaincus y fut bien-tost égal à celuy des Victorieux ; ceux-cy pensant avec plaisir à la gloire qu’ils avoient acquise, ceux-là au pardon qu’on leur avoit accordé ; & tous à la Victoire queLoüisavoit emportée.

Que la Posterité sçache, que le formidable Cambray n’a resisté que tres-peu de jours : mais qu’elle ignore que le Roy n’employa pour le prendre que la moindre partie de ses Forces : & que plus genereux qu’Alexandre, qui croyoit perdre autant de gloire, que les autres en acqueroient, il avoit envoyé ses meilleures Troupes à son illustre Frere, qui dans le mesme temps prenoit une Ville, & gagnoit une Bataille.

Ce que nous retrancherons des surprenantes actions que l’InvincibleLoüisa faites, empeschera ceux qui viendront aprés nous de le prendre pour un Heros fabuleux ; & le peu que nous en dirons suffira pour le faire regarder comme le plus grand des Heros.

Pourra-t-on luy refuser ce titre, quand on sçaura qu’aprés avoir triomphé de ses ennemis, il s’est vaincu luy-mesme ? C’est ce qu’il faudra raconter exactement à la Posterité. Il est de l’interest de toute la terre, qu’aucun Prince ne le puisse ignorer. Loüisplus grand que sa gloire & que sa fortune, aussi maître de luy-mesme que de ses Ennemis, s’arreste au milieu de sa course, & borne ses Conquestes dans un temps où son glorieux destin sembloit l’appeller à l’Empire de l’Univers. Il est vray qu’il fait la Paix en Conquerant & en Maître ; il la donne à ses Ennemis, comme il donne des Loix à ses Sujets ; seul Arbitre, seul Mediateur, il conclut, il décide ; ce qu’il pretend qu’on restituë, ce qu’il veut donner, ce qu’il doit retenir, il regle tout ; mais il le regle d’une maniere si desinteressée, si genereuse, qu’il semble vouloir partager avec les Vaincus le fruit de ses Victoires ; & qu’il donne sujet de douter, lequel des deux luy est plus glorieux, ou d’avoir si souvent triomphé durant la guerre, ou d’avoir sacrifié tant de Conquestes à la Paix.

L’Antiquité, toute fiere qu’elle est du grand nombre de ses Heros, pourroit-elle nous en montrer un, qui dans telles conjonctures ait fait un si grand sacrifice ? Il y a peu de Conquerans qui ne se soient laissez entraîner comme des esclaves par leur bonne fortune ; Alexandre succomba sous le poids de la sienne, aveuglé de son bonheur il perdit toute moderation. C’estoit, Messieurs, c’estoit àLoüis le Grandqu’estoit reservé l’avantage de donner au monde ce rare exemple de vertu ; & d’apprendre aux Souverains qu’ils doivent préferer aux charmes de la gloire, le repos de leurs Sujets, & au titre de Conquerant la qualité de Pacifique.

Un Prince connu sous ce nom dans la Judée, fut autrefois adoré de toute la terre ; & ce Prince semble renaître enLoüis le Grand. Ces nombreuses Armées prestes en tout temps à marcher & à combattre ; ces Flotes qui font trembler toutes les mers ; ces fortifications si regulieres, & presque aussi-tost achevées que resoluës ; ces richesses immenses, ces magnifiques Palais, cet assemblage de tous les Chefs-d’œuvres de la Nature & de l’Art ; ces Montagnes abattuës, ces Rivieres détournées, cent autres semblables merveilles ne renouvellent-elles pas dans nos jours les merveilles du temps de Salomon ? N’en voyons-nous pas mesme un grand nombre qui échaperent à la magnificence, ou aux soins du Monarque des Juifs ? Ce fameux Hostel, qui disputeroit de beauté avec les plus superbes Palais des Rois, & qui sert d’azyle à de braves & d’illustres malheureux ; ces soins si noblement employez à former de jeunes Guerriers, ces établissemens où la beauté trouve une protection qui l’empesche de devenir criminelle, & où la Noblesse trouve des secours qui l’empesche d’estre miserable ; ne sont-ce pas des prodiges de magnificence inconnus jusqu’au temps deLoüis le Grand ? Le monde les admire ; mais ce qu’il admire le plus, est la personne mesme de Loüis.

Quelle grace ! quel air ! quel admirable mélange de douceur & de majesté ! peut-on le voir sans l’aimer ? Et se lasse-t-on de le voir ? N’y a-t-il point dans ses moindres mouvemens je ne sçay quel agrément qui enchante ? Un air de Heros & de Souverain ? Je ne sçay quoy de plus qu’humain qui charme les yeux, qui ravit les cœurs, & qui inspire tout à la fois la tendresse, l’obeïssance & le respect : Un seul de ses regards le fait mieux connoître, que ne le feront jamais ses Historiens & ses Panegyristes : & pour estre persuadé de tout ce que la renommée publie de luy, il ne faut que le voir un moment. On se l’imagine d’abord, tel qu’il est, à la teste de ses Armées, intrepide, agissant, infatigable ; tel qu’il est dans son Conseil, assidu, pénetrant, judicieux ; tel qu’il est dans sa Cour, & au milieu de cette foule d’adorateurs, que son merite plûtost que sa fortune luy attire de tous les endroits de la terre, doux, caressant, de facile accés, sensible à l’amitié, distinguant le merite, récompensant la vertu, dissimulant les defauts, supportant les foiblesses ; enfin plus grand Homme encore que grand Roy, & toûjours digne de l’admiration du Monde Politique, & de l’amour du Monde Chrestien.

Que n’ay-je, Messieurs, une éloquence assez vive & assez forte pour le representer tel qu’il paroist à ceux qui ont l’honneur de le voir ! Mais vous avez heureusement supplée à ce que vous sçaviez qui manqueroit à ma voix. L’excellente Statuë que vous avez érigée parle pour vous, elle parlera mesme dans tous les temps ; & ce monument travaillé avec un art & une délicatesse capables d’immortaliser son Autheur, n’est pas seulement le témoin fidelle des sentimens respectueux que vous avez pour le Roy, il sera son Panegyriste eternel. Les Siécles les plus reculez se souviendront en le voyant, des Victoires & des Vertus deLoüis le Grand ; on pensera tout ce que vous pensez aujourd’huy, & l’on dira que si Loüis a esté le plus Grand des Roys, vous avez esté les plus fidelles, & vous vous estes estimez les plus heureux de ses Sujets.

Faites, ô mon Dieu ! que nous joüissions long-temps de ce bonheur, & qu’il dure encore aprés nous. Conservez-nous un Prince que vous nous avez donné, parce que vous nous aimez. Laissez-luy le temps d’achever ce qu’il medite pour vostre gloire, & comblez-le de vos graces, tandis qu’il nous comble de ses faveurs. Qu’il n’ait point d’ennemis, ou qu’il en triomphe toûjours ; Que la felicité de son regne s’étende également sur sa Famille & sur ses Etats ; Que le glorieux heritier de sa Grandeur le soit de sa vertu ; Qu’il ait son cœur, comme il a son nom ; Que les peuples reverent ce Monarque, l’amour de l’Eglise, l’admiration du monde ; Que les Roys l’imitent ; Que tout luy soit assujetty, & que luy-mesme vous soit soûmis.

Ce sont, ô mon Dieu, les Vœux que forment de toute l’étenduë de leur cœur ce Prelat si vertueux & si digne de son Auguste Caractere : Ce Sage & judicieux Intendant, digne Ministre d’un si grand Roy ; ces Magistrats si zelez pour le bien public ; ces Docteurs si habiles ; ces Juges équitables, & éclairez, ces Sçavans de toutes professions, & tout ce Peuple. Ils vous demandent, Seigneur, & je vous demande avec eux, la continuation des graces que vous avez si liberalement répanduës sur la Personne, sur la Famille, & sur les Etats deLoüis le Grand.

Dialogue de l’Eloquence et du Louis d’Or §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 52I-68

Je vous envoye un Dialogue qui a receu icy de grands applaudissemens. Je ne sçay point le nom de son Auteur, mais l’Ouvrage parle assez de luy-mesme, sans qu’il soit besoin d’autre chose pour vous le faire estimer.

DIALOGUE
DE L’ELOQUENCE
ET DU LOUIS D’OR.

L’Eloquence.

A vous voir & à vous entendre, les Hommes n’ont point d’autre Divinité que vous ; il ne reste plus qu’à vous bâtir un Temple.

Le Loüis d’or.

On m’en a déja bâty un où je ne faisois pas mal le Personnage d’un Dieu ; mais il m’importe fort peu d’avoir un Temple de pierre & de bois, pourveu que j’aye le cœur de l’Homme pour mon Autel, où il me consacre tous ses travaux & ses soins.

L’Eloquence.

Vous parlez bien haut pour le Fils de la Terre.

Le Loüis d’or.

Je ne suis point tellement le Fils de la Terre, que je ne sois aussi le Fils du Soleil & des Astres.

L’Eloquence.

Pour moy, je suis la Fille de l’entendement & du cœur de l’Homme.

Le Loüis d’or.

S’il n’y a qu’à sortir de l’entendement & du cœur de l’Homme pour prouver sa noblesse, les trahisons & les grands crimes seront bientost illustres, & disputeront avec vous de la gloire de la Naissance. Il est vray que j’ay esté conceu dans un lieu bien obscur, mais j’ay trouvé dans cette obscurité là je ne sçay quoy qui ébloüit les yeux, & qui n’est pas fort desagreable aux vostres. J’avouë que ma Naissance m’a rendu le voisin des Enfers, mais on m’y a trouvé ; & si vous y estiez cachée comme moy, je ne sçay pas qui vous iroit chercher là pour vous déterrer.

L’Eloquence.

Je sçay bien que vous plaisez aux Hommes, mais ce n’est qu’à cause que vous leur imposez par de petits agrémens qui donnent dans les yeux.

Le Loüis d’or.

Mes agrémens ne donnent point si fort dans les yeux, qu’ils ne donnent encore plus dans le cœur. Pour ce qui est d’imposer, nous sommes dans un temps où l’on ne peut faire fortune dans le monde à moins qu’on n’impose. Nous le faisons tous deux, mais avec cette difference que vous n’imposez que par des paroles, au lieu que j’impose par ma solidité, car on dit qu’il n’y a point de raison plus solide que moy, & qu’on ne peut donner une plus belle couleur à la verité que la mienne ; au moins vous m’avoürez qu’elle vaut bien le brillant de vos pensées.

L’Eloquence.

Toute comparaison est odieuse, mais s’il est question d’en venir au merite, c’est moy qui ay reüny les Peuples quand ils estoient errans dans les Déserts, & qui les ay fait vivre en Republique.

Le Loüis d’or.

C’est moy qui suis le nerf de leur Republique & la liaison de leurs Estats ; c’est moy qui suis les delices des Jeunes, & le soin des Vieillards.

L’Eloquence.

Je suis la bien venuë par tout.

Le Loüis d’or.

Principalement quand je vous accompagne.

L’Eloquence.

J’ay accés dans le Palais des Roys.

Le Loüis d’or.

Vous n’y en avez point tant, qu’un Mulet qui me porte n’y en ait encore davantage que vous.

L’Eloquence.

J’ay beaucoup de pouvoir sur le cœur de l’Homme.

Le Loüis d’or.

Vous en avez, mais avec un grand embarras de paroles, au lieu que moy, sans preparation & sans artifice, j’ay le don de me faire écouter dans les cœurs, & de m’en rendre le maistre ; car étant question dernierement de consoler un miserable, vous tachâtes de le faire par beaucoup de paroles ; peut-estre qu’il n’estoit pas fait à un si beau langage, mais vôtre discours luy sembloit bien fade, lors que quelqu’un s’avisa de me mettre dans sa main, & alors on vit la joye qui s’épanoüissoit sur son visage, & à l’entendre il sortoit de moy une vertu secrete qui luy alloit gagner le cœur. Feriez-vous bien par vos paroles, ce que je faisois en ce temps-là par mon silence ?

L’Eloquence.

Je rends bien d’autres services à l’Homme.

Le Loüis d’or.

Vous en rendez, mais je ne sçay s’ils valent les miens ; car je m’en vais chez un Roturier, je le rends Gentil-homme ; je m’en vais chez un Ignorant, aussi-tost c’est un Homme d’un sens profond ; je m’en vais chez un Témeraire, aussi-tost c’est un Brave ; & si vous faites les Doctes, j’ay le privilege de faire les Docteurs. Vos services valent-ils bien ceux là ?

L’Eloquence.

D’où vient donc qu’aprés tant de bien-faits que vous rendez, je vous voyois dernierement sous le marteau d’un Artisan où vous faisiez une pauvre figure ?

Le Loüis d’or.

Je ne sçay pas si vos figures sont plus agreables, mais je sçay bien que le tour qu’on me donnoit alors, vaut bien le tour de vos Periodes & de vos Vers.

L’Eloquence.

Mais avec ce beau tour on vous voit courir le Monde comme un miserable qui n’a point de Pays.

Le Loüis d’or.

Si c’est un mal que de courir le Monde, il m’est commun avec le Soleil. Je n’ay point de Pays arresté, mais par tout où je suis l’Homme trouve sa Patrie.

L’Eloquence.

Il a donc grand tort de vous traiter aussi mal qu’il fait ; car vous tombâtes dernierement entre les mains d’un vieux Avare qui vous mit en prison dans un Coffre fort, & qui vous enfoüit dans la terre.

Le Loüis d’or.

Quand je suis en prison de la sorte, il n’y a personne qui n’aime mieux y entrer, que d’aller dans les Jardins des Princes. Je n’y suis pas tout seul, le cœur de celuy qui m’y met, s’y cache avec moy.

L’Eloquence.

Mais que faites-vous là ?

Le Loüis d’or.

Ce que vous faites dans vos Ecrits qui sont cachez dans la Boutique d’un Libraire.

L’Eloquence.

Je suis là comme le monument des Orateurs, où leur Esprit repose.

Le Loüis d’or.

Et moy je suis dans ce Trésor enfoüy, comme le monument du Riche où son Ame repose.

L’Eloquence.

Je plains pourtant bien vostre destinée, puis qu’au sortir delà on vous voit souvent à la discretion d’un faux Monnoyeur.

Le Loüis d’or.

Je ne plains pas moins vos Ecrits, puis qu’aprés avoir esté lûs avec tant de plaisir, on les voit quelquefois dans un Cabinet à la discretion des Souris.

L’Eloquence.

Vous allez aprés cela dans des lieux pestiferez.

Le Loüis d’or.

Je n’y prens point de mauvais air, & je n’en suis pas moins bien venu à la Cour, où les Creatures les plus délicates disent que je porte la santé avec moy.

L’Eloquence.

On vous voit mesme sortir quelquefois d’entre les mains des Scelerats.

Le Loüis d’or.

Je n’en repose pas moins agreablement entre les mains des Innocens.

L’Eloquence.

Parmy eux il s’en trouvent qui font merveille à déclamer contre vous.

Le Loüis d’or.

Ils ne déclameroient pas si fort, s’ils ne me proposoient à eux-mesmes comme le prix de leur déclamation.

L’Eloquence.

Cela n’empeche pas qu’il n’y ait des Philosophes qui vous condamnent en Public.

Le Loüis d’or.

Il n’y en a pas un qui ne m’approuve en particulier lors que je suis dans sa Bourse.

[Benediction de l'Abbesse de Betancourt en Picardie] §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 69-71

 

Le Dimanche 7. du dernier mois, Dame Catherine Elisabeth de Longueval de Manicamp, Abbesse de l'Abbaye de Bestancour en Picardie, fut benite par les mains de Messire François Faure, Evesque d'Amiens. Ce Prelat estoit revestu de ses Habits Pontificaux, & assisté de tous ses Officiers. La Ceremonie se fit au bruit de plusieurs décharges, & en presence de quantité de Noblesse de la province, de l'un & de l'autre sexe. La Messe fut chantée par la Musique. Cette Abbesse alla recevoir sa Benediction, précédée de Dame Elisabeth de Monchi de Senarpont, Religieuse de l'Abbaye de Bestancour, sa Chapelaine, qui portoit la Crosse. A costé d'elle marcherent Dame Gabrielle Faure, Niece de Mr l'Evesque d'Amiens, Prieure de cette Abbaye, & Dame Marguerite Foucault Souprieure. Mademoiselle de Monchi, seconde Fille de Mr de Monchi, Marquis de Senarpont, & Mademoiselle d'Augenlieu, Pensionnaires de la mesme Abbaye, portoient sa queuë. Une simphonie fort agreable se fit entendre pendant la marche du Chœur des Religieuses jusques à l'Autel. Mr de Senarpont, dont je viens de vous parler, Mr de la Roche Marquis de Fonteville, Mr de Monchi Baron de Vismes, Mr de Monchi Seigneur de Courcelle, & Mr de Vauchelle, portoient les Offrandes. La Ceremonie finit par le Te Deum chanté en Musique [...].

[Lettre en Prose & en Vers] §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 89-99

Voicy une Lettre meslée de Prose & de Vers, que vous trouverez fort agreable. Elle a paru telle à des Connoisseurs tres-délicats.

A CALISTE.

Vous avez eu raison de ne me point écrire, puisque vous m’avez crû mort. Je l’estois en effet, & je sçay trop bien mon monde pour ne pas mourir aprés vous l’avoir promis. D’ailleurs, il n’y a aucune difference entre mourir & estre éloigné de vous. Cependant je vous asseure de ma resurrection, que je croy devoir aux devotes prieres que vous avez faites pour mon ame. Je vous en suis infiniment obligé, & je vous diray franchement qu’il n’est que de vivre. La vie est bonne à cent choses, & la mort n’est bonne à rien. Ainsi j’ay esté dans une gesne insupportable durant trois ou quatre jours qu’elle m’a tenu captif. Enfin une ame sans corps est une chose du moins aussi triste qu’un corps sans ame ; & sans mentir, la mienne se trouva furieusement déconcertée, de n’estre plus dans mon corps. Ainsi, je vous declare que je ne veux plus mourir par complaisance. Me voilà donc bien & deuëment resuscité, pour autant de temps qu’il plaira au Maître des Destinées, & je seray, tant qu’il me sera possible, vostre tres-humble & tres-tendre adorateur. J’allois finir là cette Lettre, mais j’ay crû que vous seriez bien aise d’apprendre mes avantures de l’autre Monde. Ma Muse vous en va faire un recit fidelle.

 Si tost que je vous eus quittée,
 Aprés vous avoir dit adieu,
Adieu dont la douleur perça par le milieu
 Mon ame de vous enchantée,
Je fis venir la Mort qui me prit au collet
 D’une maniere violente,
 Et sa Bayonnete tranchante
 M’eut bien-tost coupé le siflet.
 Son abord me sembla si laid
Que je me repentis de l’avoir appellée ;
Mais quand d’un noir chagrin on a l’ame troublée,
 On ne sçait guere ce qu’on fait.
***
 Cependant, aimable Caliste,
 Je la crus l’unique recours
Que pouvoit esperer un Soupirant tout triste
D’estre loin de l’objet de ses cheres amours.
 Je mourus donc, & dans la Biere
 Tout de mon long on m’étendit,
 Et ma pauvre ame descendit
En ces lieux que jamais ne perça la lumiere.
***
 Dame, qui fut bien étonné,
Caliste, ce fut moy, comme s’il eust tonné.
(J’emprunte de Marot ce burlesque Distique.)
 Et là sans nul retardement
 Je receus, fort melancolique,
 Un assez rude Jugement.
Ce fut d’aller dans une chambre noire
 Pour y demeurer seulement
Deux mille ans sans dormir, sans manger, & sans boire.
***
Je demanday pourquoy dans ce lieu tenebreux
M’ordonner de subir un sort si rigoureux ?
 Et l’on me répondit, Lisandre,
 C’est pour expier le plaisir
Qu’à brûler pour Caliste a trop pris ton cœur tendre,
 Quoy que sans criminel desir.
***
 Incontinent la vive flame
 De ce lieu remply de douleur,
 Un peu trop fort me lécha l’ame ;
 Mais un Ange consolateur
 A peu prés de vostre figure,
 Fit que sans plainte & sans murmure
J’enduray ce tourment qui devoit prendre fin,
Et l’espoir asseuré de ma gloire future
 Adoucit beaucoup mon chagrin.
***
Il n’estoit pas petit sans doute.
Souffrir sans cesse, & ne voir goute,
Et plus que tout cela ne plus voir vos appas !
 Ah Ciel, l’insupportable gesne !
 Aussi dans l’excés de ma peine,
Je dis cent fois, j’eus tort de courir au trépas.
Ensuite je disois ; dans la cruelle absence
 De Caliste, quelle apparence
De se trouver encore au nombre des Vivans !
Oüy, je devois mourir, j’en donnay ma parole,
 Jamais elle ne fut frivole,
 Et j’ay tort si je m’en repens.
***
 Caliste, vous pouvez donc croire
 Ma mort comme une verité.
Cependant par bonheur malgré la Parque noire,
 Je me trouve resuscité,
 Graces à vous, belle Bergere,
Qui faisant pour mon ame une bonne Oraison,
 M’avez delivré de misere,
 La relogeant dans sa prison.

Cette Lettre est de Mr Petit de Roüen, & fait connoistre combien l’enjoüement galant luy est naturel. C’est un homme dont le merite est connu, non seulement de toute la Ville, mais de quantité de personnes qui tiennent le premier rang à la Cour. Comme il a beaucoup d’usage du monde par la longue experience que luy a fait faire un âge fort avancé, & que la vivacité de son esprit le rend capable de tout, il s’est appliqué depuis quelque temps à étudier les defauts des hommes, & cette étude luy a fait faire des Satyres generales pleines de moralité, où sans qu’il nomme personne, chacun pourra trouver son Portrait. Ces Satyres, dans lesquelles il s’est attaché à un stile simple, qui fait mieux sentir la verité que ne feroient tous les ornemens de la Poësie, se debirent chez la Veuve Blageart, Court-Neuve du Palais, au Dauphin. La lecture n’en peut estre que tres-profitable, puis qu’elle détrompe des erreurs, où l’emportement des Passions plonge souvent les plus éclairez.

[Translations] §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 99-106

 

On a fait une grande Ceremonie chez les Peres Minimes de Peronne, pour la Translation des Ossemens du Corps de S. Juste Martyr, qui ont esté nouvellement envoyez de Rome. La Procession alla prendre la Chasse qui avoit esté portée à un Reposoir dressé au bout de la Ville. Les ruës estoient tenduës de Tapisseries, & pendant la marche l'on fit des pauses de distance en distance, où la Musique chanta des Motets. Messieurs de Ville de l'ancienne & nouvelle Loy se trouverent tous à cette Procession, où tous les Drapeaux des Corps de Mestiers, au nombre de trente deux, furent portez quatre à quatre, chacun par le Capitaine-Enseigne de leur Corps, l'Epée au costé, & la pomme de la Lance sur l'estomach. On entra dans l'Eglise Royale & Collegiale de S. Furcy, où la Chasse reposa pendant le Panegyrique du Saint, qui fut prononcé par Mr Desfresnes, Chantre & Chanoine de la même Eglise. Ensuite elle fut portée chez les Peres Minimes, où elle demeura toute l'octave exposée à la Devotion du Peuple. L'Eglise estoit fort parée, & il y avoit quantité d'Inscriptions dans de grands Cartouches.

Le concours a aussi esté extraordinaire pour une pareille Ceremonie que l'on a faite à Niort, à l'occasion du Corps presque entier de S. Victor, dont le Pere Isidore de Niort, Ex-Provincial & Visiteur des Capucins de la Province de Touraine, a fait present à la Ville, pour y laisser un monument éternel de sa pieté & de son amour pour la Patrie. [...] La Procession fut tres-solemnelle le jour que l'on en fit la Translation. Il s'y trouva plus de douze mille personnes ; & comme l'Eglise des Capucins où elle devoit se rendre n'auroit pû les contenir, & que les Halles de Niort sont tres-grandes & tres-belles, on y avoit dressé un Autel fort elevé avec des gradins, & orné de Tapisseries. Une closture que l'on avoit aussi faite, composoit un Choeur, au milieu duquel estoit une Estrade sur laquelle la Relique fut posée. Mr de la Terraudiere, Maire de la Ville, avoit pris le soin de toutes ces choses. Mr le Curé de Nostre-Dame chanta solemnellement la grand'Messe sur cet autel, & le Pere Isidore fit le Panegyrique du Saint. La Procession s'estant renduë en l'Eglise de Capucins, qui est au Fauxbourg du Port, on chanta le Te Deum, au carillon de toutes les Cloches de la ville, & le soir il y eut des Illuminations & des Feux d'artifice dans le Convent. [...]

[Mort de Mr le Chancelier Le Tellier]* §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 106-127, 139-142

La triste Nouvelle que je vous ay fait attendre sans rien expliquer, en finissant ma derniere Lettre, estoit la mort de Mr le Chancelier. Il ne vous a pas esté difficile de le connoistre, puis que la douleur qu’elle a répanduë dans toute la France, convient aux termes que j’ay employez pour vous l’anoncer. Quoy que vous soyez instruite de toutes les grandes qualitez que possedoit ce Sage Ministre, la Peinture que Mr Magnin en a faite dans l’Ode que je vous envoye, ne vous sera pas desagreable. Sa modestie qui m’estoit connuë, m’empescha de luy faire voir le jour lors qu’elle fut achevée ; mais j’ay crû que je pouvois aprés sa mort, parler des loüanges qui vont estre dans la bouche de nos plus grands Orateurs.

ODE.

Pretendez vous toûjours avec les cris de guerre
Mesler de vostre voix les timides accords ?
 Estes-vous fille du tonnerre
Pour soûtenir des tons si hardis & si forts ?
Non, non, je vous connois, ma Muse ; un air paisible
De vos plus chers accens est le panchant sensible,
Laissez à nos Guerriers suivre nos Ennemis.
Avecque les Tambours qu’un autre s’abandonne,
Vous en avez déja fait assez pour Bellonne,
Songez, songez, quels droits vous devez à Themis.
***
Si du plus grand des Rois la gloire triomphante,
De vos regards charmez l’unique enchantement,
 Sans cesse à vos yeux se presente,
Vous la verrez icy briller également.
Sur toutes les vertus, il cherit la justice,
Elle est de ses desseins la sainte directrice ;
Et quand vous chanterez le sage le Tellier,
Quand vostre voix suivra le beau feu qui l’anime,
Elle sera l’Echo de la Royale estime
De LOUIS, qui daigna le faire Chancelier.
***
Placé dans ce haut rang par ce Monarque Auguste,
Dieu par la voix du Peuple avoit prédit son choix ;
 Et qui ne le croiroit pas juste,
Sçait peu du vray merite & le prix & le poids.
Tant & tant de vertus si souvent admirées
Par mille emplois divers si long-temps épurées,
Cette judicieuse & sage égalité
Dans l’agitation des temps les plus contraires,
Ont dû faire avoüer mesme à ses adversaires,
Qu’il joüit d’un honneur qu’il a bien merité.
***
O vous, de la faveur chancelante & fragile
Esclaves enchantez, courtisans malheureux,
 Par un chemin court & facile
Voulez-vous arriver au succés de vos vœux ?
Concevez une fois qu’un merite solide
Doit de tous vos desseins estre l’ame & la guide ;
Mais pour en voir de prés un exemple aujourd’huy,
Du Heros que je chante examinez la vie,
Songez en la voyant de tant d’honneur remplie,
Qu’on n’y peut arriver qu’en vivant comme luy.
***
Parcourez de ses ans la noble & longue suite.
Les revolutions de tant d’évenemens
 Ne verrez vous pas sa conduite
Egalement reglée & sage en tous les temps,
Le mener droit au port à travers les tempestes
Qui menaçoient & mesme écrasoient tant de testes ?
Toûjours heureux & calme en ces jours orageux,
On a veu le Tellier en Ministre fidele,
Parmy tant de Partis faire éclater son zele,
Et choisir à l’Estat le plus avantageux.
***
Vous sçavez, vous sçavez, grands & fameux Ministres,
Illustres Cardinaux, Richelieu, Mazarin,
 Combien de presages sinistres
Il a sceu conjurer d’un air doux & serain.
De mille embarquemens, il a veu le naufrage,
Seur, tranquille, toûjours à l’abry de l’orage ;
Mais pouvoit-il manquer en ce penible effort ?
Dans sa fidelité constante & sans égale
Il a toûjours suivy l’autorité Royale,
Ainsi que le Cadran suit l’Etoile du Nord.
***
N’avons-nous pas encor des témoins plus illustres
De ce zele éclatant éprouvé tant de fois ?
 Zele pendant combien de lustres
Consideré, chery, reveré des François ?
Et de LOUIS le Juste, & d’ANNE la Regente,
Ne merita-t-il pas une estime éclatante ?
Egal dans tous les temps, & de guerre & de paix,
Il vit sans s’alarmer mille affreuses alarmes,
Il fut sans se troubler dans le trouble des Armes,
Et tout fut ébranlé, sans qu’il le fust jamais.
***
Quand les vents en fureur d’une mer agitée,
Soufflant de toutes parts, ont soulevé les flots,
 Et que la tempeste irritée
Semble braver l’audace, & l’art des Matelots,
Un sage Nautonnier observant sa Boussole
S’applique, se ménage & suit si bien son Pole,
Que tandis que la vague engloutit cent Vaisseaux,
Tranquille sur son bord & plaignant leur disgrace,
Il attend le retour d’une heureuse bonace,
Et se met à couvert de la fierté des eaux.
***
De mesme de ce temps & difficile & sombre,
Temps plein de tous costez, de troubles, d’embarras,
 De pieges & d’écueils sans nombre,
Le Tellier sagement ne se tira-t-il pas ?
Il plaignit, en prenant de plus justes mesures,
De ceux qui s’égaroient les tristes avantures,
Il les invita mesme à prévoir le danger ;
Il sceut au bon Party fidellement se rendre,
Et par quelques appas qu’on voulut le surprendre,
A nul autre jamais on ne put l’engager.
***
Du secret des Heros confidentes discrettes,
Doctes Sœurs, qui vivez en faveur auprés d’eux,
 Venez, sçavantes Interpretes,
Venez, conduisez-moy dans ce fonds lumineux.
De ces ménagemens d’interest & de gloire
Montrez-moy les ressorts, écrivez-moy l’Histoire,
Je prétendrois en vain icy les démesler,
Je ne vois qu’un amas de vertus excellentes,
De mouvemens reglez, d’habitudes constantes ;
Le détail, c’est à vous de me le reveler.
***
Que les foibles Humains aspirant à la gloire,
Fixent tant qu’ils voudront leurs desseins icy-bas,
 Et pour embellir leur histoire,
Et pour sauver leur nom de la nuit du trépas ;
De mille contretemps la surprise impréveuë
Forçant de leur raison la foible retenuë,
Dans les plus beaux endroits les veut faire échoüer.
Ainsi de mon Heros dans sa longue carriere,
L’égalité toûjours & sage & reguliere
Est sans doute un effort qu’on ne peut trop loüer.
***
Dans cette fermeté constante, inébranlable,
Maintenir sa faveur, & vieillir à la Cour ;
 Où voit-on d’exemple semblable ?
Le destin n’est-il pas d’y tomber tour à tour ?
Des projets les plus beaux la Fortune se jouë,
Tout suit le mouvement de sa volage rouë,
Et tel le vent en poupe est tout fier de monter,
S’applaudit vainement, mais plus heureux qu’habile
Il ne s’apperçoit pas dans ce poste fragile,
Que celuy qui le suit va le precipiter.
***
De ces entestemens dont la vapeur fatale
Au comble des honneurs ne peut se démentir,
 Par sa prudence sans égale
Le Heros que je chante à sceu se garantir.
Une application à ses devoirs fidelle
Par tout également a signalé son zele ;
Mille endroits de l’Histoire ont sceu le remarquer,
Ont tracé de ses soins les heureux avantages,
Toûjours reglé, toûjours à la teste des Sages ;
Avec d’autres jamais le sceut-on embarquer ?
***
Dans ses desseins son ame & contente & tranquille
Ne fut jamais en butte à nul trouble indiscret ;
 Un abord égal & facile
Est le signe constant de ce repos secret.
Elevé dans un rang, dont la hauteur étonne,
Des grandes Dignitez dont l’éclat l’environne,
Un air doux & serain tempere la fierté.
Le respect voit de prés l’amour qui le seconde,
Et jamais, non jamais on ne vit dans le monde
Les graces mieux d’accord avec la Majesté.
***
Mouvemens orgueilleux des Puissances humaines,
Triste écueil des heureux, fatal enchantement,
 Foible transport des ames vaines,
Qui t’a jamais icy veu regner un moment ?
Le Tellier a des biens, des honneurs en partage ;
Mais en fit-ou jamais un plus modeste usage ?
Conduit par une sage & supréme raison,
De ses prosperitez il fut toûjours le Maistre,
Et l’on ne dira point qu’elles ayent fait paroistre,
Ny folles vanitez, ny luxe en sa maison.
***
Qu’on ne s’y trompe point ; les vertus domestiques
Sont de l’Homme public le premier élement,
 Et les actions heroïques
Sur ce principe heureux roulent uniquement.
Ces travaux éclatans qui brillent dans l’Histoire,
Ces Monumens pompeux & d’honneur & de gloire,
Bien souvent du merite ont le dehors trompeur.
La seule ambition agit & les enfante,
Et sous quelque couleur qu’elle les represente,
Nous prouve-t-elle assez la droiture du cœur ?
***
Mais icy des vertus la source est vive & pure,
Tout est sincere, heureux, constant, de bonne foy ;
 Deux Regles en font la mesure,
Plaire sur tout à Dieu, plaire ensuite à son Roy.
Le Tellier s’est acquis par une longue étude
De ces deux grands devoirs la fidelle habitude,
Reglé dans ses desirs, juste dans ses desseins,
Guidé par la raison, fondé sur des maximes
Toûjours également seures & legitimes ;
A-t-il jamais manqué d’arriver à ses fins ?
***
Semblable, mon Heros, à ce Palmier auguste
Par l’Oracle divin celebré tant de fois,
 Florissant sous LOUIS le Juste,
Et sous LOUIS le Grand le plus parfait des Rois.
Du faiste des honneurs ce Ministre fidelle
Bien loin dans l’avenir voit sa gloire immortelle
De l’un à l’autre bout remplir tout l’Univers,
Et nos Neveux charmez par mille beaux exemples,
En consacrer l’Histoire, en graver dans les Temples,
Jusqu’à la fin des temps les monumens divers.
***
Mesme de ses Enfans (grande & rare merveille,
Qui fait faire icy bas tant de vœux superflus)
 Par une faveur sans pareille
Dans un merite égal ils verront les vertus.
Elevez à des soins d’une haute importance,
Ne signalent-ils pas la gloire de la France ?
Louvois du Grand LOUIS .… mais où vont mes transports ?
Ce nom seul me découvre une vaste Carriere,
Et ma Muse déja n’a que trop de matiere,
Sans l’engager encore à de nouveaux efforts.
***
Peut-estre un jour, peut-estre ayant repris haleine,
Temeraire qu’elle est, elle pourroit oser Abandonner icy sa veine
Qui commence à tarir & veut se reposer.
Aux celebres Acteurs je remets la Trompette,
Mais ce filet de voix sorty de ma retraite,
Doit à me soûtenir au moins les inciter.
Le dessein est heureux, la matiere infinie ;
Certes, une si longue, une si belle vie,
Aux Maistres des beaux Arts fournit bien à chanter.
***
Illustre Chancelier, toy par qui la Justice
Voit regner de ses Loix la sincere vigueur,
 Honore d’un regard propice
Ce grain d’encens brûlé dans l’ardeur de mon cœur.
Si la sincerité decide du merite
Des vœux dont envers toy le Parnasse s’acquitte,
De ta juste équité j’oseray présumer,
Tout foible que je suis, qu’encor que mon offrande
Ne soit ny du bel air, ny sublime, ny grande,
Ta bonté pourroit bien te la faite estimer.
***
Acheve de remplir tes belles destinées
A l’honneur de la France & de ce Siecle heureux,
 De mille Palmes couronnées,
Puissent-elles s’étendre aussi loin que mes vœux ;
Que tandis que LOUIS, les delices du monde,
Y fera reverer sa Sagesse profonde,
Redonnant aux Humains un nouveau Siecle d’or,
Du sage le Tellier la prudence fidelle
Signale sous ses loix son ardeur & son zele,
Et qu’Achille jamais n’abandonne Nestor.

Vous voyez par cette Ode les choses generales qui sont venuës à la connoissance de Mr Magnin, & qui n’ont esté ignorées presque de personne.

[...]

Quelque temps aprés, Mr le Procureur General presenta ses Lettres de Chancelier au Parlement, afin qu’elles fussent enregistrées. Elles y furent leuës tout haut, & receuës avec un applaudissement qui ne se peut concevoir. Elles contenoient les grands & importans services que ce Ministre a rendus à l’Etat, en Italie pendant le Regne du feu Roy, en France pendant la Regence, & ensuite sous LOUIS le Grand. Parmy tous les Eloges dont ces Lettres estoient remplies, il y estoit expressément marqué, Que par ses soins & par sa prudence, il avoit beaucoup servy à pacifier les Troubles de l’Etat. Mr le Procureur General fit un Eloge fort court de ce Ministre ; mais il dit beaucoup en peu de paroles, & fit voir entr’autres choses, Que Mr le Tellier estoit heureux, d’estre né avec toutes les qualitez qui le rendoient recommandable ; heureux d’avoir trouvé tant d’occasions de s’employer pour l’Etat ; heureux de se voir Chef d’une Famille qui secondoit si bien son zele dans les services qu’il rendoit incessamment à son Prince ; heureux d’avoir esté choisy pour remplir la Charge de Chancelier de France, & de l’avoir esté par un Roy, dont le juste discernement est la marque la plus incontestable du vray merite ; & heureux enfin pardessus toutes choses, de s’estre montré digne des avantages qu’il possedoit. Il fut complimenté de tous les Corps, & Mr l’Abbé Fléchier qui porta la parole pour l’Academie Françoise, se fit admirer. Je ne vous rapporteray point icy son Discours ; mais seulement un endroit qui luy attira beaucoup d’aplaudissemens. Il dit de la maniere du monde la plus délicate, Que si Mr le Tellier avoit conservé une pénetration d’esprit, qui sembloit ne devoir plus estre de son âge, Mr de Louvois dés son entrée aux Affaires, avoit prévenu par des connoissances avantageuses, ce qu’il n’y avoit qu’une longue experience qui luy dust faire acquerir.

[Choix que le Roy fait de Mr de Boucherat, pour remplir la place de Chancelier de France] §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 188-189

Mrs de l’Academie Françoise l’ont aussi complimenté. Mr Boyer, qui est presentement Chancelier de leur Compagnie, parla avec la justesse ordinaire aux Academiciens. Je vous entretiendray plus amplement le mois prochain de tous ces Complimens, & vous en envoyeray quelques-uns.

[Mort de Mr le Prince de Conty] §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 190, 195-199

 

Vous sçavez la mort de Monsieur le Prince de Conty, arrivée le 9. de ce mois. [...]

 

La vertu de cette Princesse [Anne Marie Martinozzi, Niece du Cardinal Mazarin] égaloit sa beauté ; elle a toûjours mené une vie exemplaire, & sa memoire est en veneration. Le Prince qui vient de mourir ayant esté élevé auprés de Monseigneur le Dauphin, & une si belle éducation ne luy ayant inspiré que de l’ardeur pour la gloire, il ne respiroit que les combats. Quoy qu’il n’eust que vingt-quatre ans, il s’étoit déja trouvé en plusieurs Sieges & Combats, en Flandre & en Hongrie. Voicy quelques Vers qui ont esté faits sur cette mort.

MADRIGAL.

 Pleurez, pleurez, Guerriers,
Le genereux Conti tout couvert de Lauriers ;
Pleurez le triste sort de cet Epoux fidelle :
Pour sauver du trépas un Objet plus qu’humain,
Aprés que de son mal il eut pris le venin,
 Il paya le Tribut pour Elle.

AUTRE.

 L’Illustre Prince de Conty
 Dans son malheur prit le party
 De souffrir avec sa Princesse.
Mausole n’a jamais témoigné tant d’amour,
Nous pouvons aisément juger de sa tendresse,
Pour luy sauver la vie, il a perdu le jour !

IMITATION
De la 58 Epigramme du Livre
10. de Martial.

 Par un trépas précipité
 Ce Prince à la France est osté,
 Tout le monde pleure sa perte.
Ah ! sans doute la mort nous l’eust ravy plus tard,
Mais comptant les Lauriers dont sa teste est couverte,
 Elle l’a pris pour un Vieillard.

Le premier de ces Madrigaux est de Mr Vignier, le second de Mr Estienne de Senlis, & le troisiéme de Mr de Losme, qui a traduit avec beaucoup d’agrément quantité d’Epigrammes de Martial, qu’il doit bien-tost donner au Public.

La mort de ce Prince fit cesser tous les Divertissemens qu'on devoit continuer à Fontainebleau, & celuy du Balet du Temple de la Paix fut du nombre.

[M. de la Vrillière s'est fait admirer dans le ballet du Temple de la Paix]* §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 199-205

Je n'eus pas le temps de vous dire le mois passé, que Mr le Marquis de la Vrilliere s'y estant fait admirer, les applaudissemens qu'il receut furent cause que Sa Majesté trouva bon qu'il dançast une Entrée seul. Il y réüissit d'une maniere si avantageuse, que l'on entendit en mesme temps toutes les voix s'élever pour luy donner des loüanges. Ce fut ce qui donna lieu à un des Spectateurs de faire les Vers suivans, sur le Personnage de Berger, qu'il representoit dans ce Balet.

 Bergeres, craignez la surprise,
 Défiez-vous de ce nouveau venu,
C'est l'amour, qui n'osat se faire voir tout nu,
Sous cet habit champestre se déguise ;
 Pour vous approcher de plus prés
 Il paroist sans Arc & sans Fléches ;
 Mais il vient avec mille attraits,
Qui ne font pas aux coeurs de moins sensibles bréches.
 Pour leur faire subir sa Loy,
 La force n'est pas necessaire,
Il ne faut point tant d'attirail pour plaire
Quand on a les graces pour soy.
 Encor qu'il ait quitté ses armes
 Vous n'estes pas moins en danger,
Il est aisé, quand on a tant de charmes,
 De trouver l'heure du Berger.

Pour le mesme, sur le mesme sujet.

 Ce Berger si jeune & si beau
 Sçait déjà marier son petit chalumeau
 Avec la plus douce musette ;
 Il entonne une Chansonnette
 D'un air surprenant & nouveau.
Que si pour quelque feste il dance sous l'Ormeau,
  Il le fait de si bonne grace
 Qu'il est fort peu de Bergers qu'il n'efface ;
  Il n'en est point dans le Hameau,
  Qui pour conduire son Troupeau
  Soit plus vigilant & plus sage,
  Bien qu'il ne soit qu'au Printemps de son âge ;
La nature chez luy n'a pas besoin de l'art.
 Si quelque jour, bondissant sur l'herbette,
 Une brebis se trouvait à l'écart,
 Elle doit craindre sa Houlette.

Pour le mesme, representant un Biscayen.

 Tandis que loin du bruit des armes
Au Temple de la Paix de tous les lieux on se rend,
Ce jeune Biscayen, dont l'éclat vous surprend,
 Prépare aux coeurs de nouvelles alarmes ;
La Belle qui le charmera
Perdra le temps à se défendre,
En vain elle l'évitera
Pour ne se pas laisser surprendre.
Il va viste, il l'attrapera ;
Un jour dans la tendre carriere
(De l'agilité dont il est)
Il laissera tous ses rivaux derriere ;
Qu'on fait de chemin quand on plaist !

Pour le mesme, sur le mesme sujet.

 Le bon air, la legereté
 Le font distinguer dans la dance ;
Mais il soumet l'agilité
Aux mesures de la cadence ;
Aucun pas n'est fait au hazard,
Tous sont formez par les regles de l'art ;
Ainsi de son esprit plein de vives lumieres
 Les brillantes manieres
Partent d'un jugement meur avant la saison,
 Et son feu cede à sa raison.

Pour le mesme, sur le mesme sujet.

 Deja son nom fait à la cour
 Bien plus de bruit que son Tambour ;
 Plein d'un beau feu, que le bon sens seconde,
 Il avance fort dans le monde ;
Mais s'il se presse ainsi, peut-on s'en étonner ?
A cette noble ardeur il doit s'abandonner,
 Sa diligence est necessaire,
 Il fait bien de doubler le pas ;
Pour arriver au merite d'un Pere
 Que toute la France revere
Il est fort à propos qu'il ne s'endorme pas,
 Il a bien du chemin à faire.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 205-206.

Je ne vous préviendray point sur l'Air nouveau que je vous envoye. Vous en jugerez, je vous le laisse chanter.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par L'Amour, le seul amour est cause, doit regarder la page 205.
L'Amour, le seul amour est cause
Que je neglige mon Troupeau ;
Mais comme il est le moindre du Hameau,
On dira que c'est peu de chose.
Ah ! quand j'aurois tous les Moutons
Des Bergers de nos Cantons,
Je les negligerois encore
Pour la Bergere que j'adore.
images/1685-11_205.JPG

[Histoire] §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 209-221

Quelques mesures qu’on prenne pour venir à bout d’une entreprise, elles ne sont jamais assurées, & ce qu’on employe pour empescher une chose, est bien souvent ce qui la fait reüssir. Un homme tres-riche avoit atteint un âge fort avancé, sans autre chagrin considerable, que celuy de n’avoir point eu d’Enfans, quoy qu’il se fust marié deux fois. Sa seconde Femme, qu’il avoit épousée depuis quinze ans, n’en avoit encore que trente, & les Neveux du bon Homme, à qui elle plaisoit fort par une Sterilité qui leur étoit favorable, faisoient des vœux tous les jours pour la conservation de sa vie. Cependant quelque jeune qu’elle fust, une fiévre violente l’emporta en peu de jours, malgré tous les soins qu’ils prirent de faire venir les plus fameux Medecins. Sa mort les mit en inquietude touchant la succession de l’Oncle qui leur pouvoit échaper. Ils le connoissoient d’un temperament fort amoureux, & sa santé qui n’estoit point affoiblie par sa vieillesse, leur faisoit apprehender un troisiéme Mariage. Il n’y avoit que six mois qu’il estoit veus lors qu’ils découvrirent qu’il songeoit à épouser une Fille de vingt ans qu’il voyoit secretement. Ils firent d’abord éclater la chose, & comme ils estoient puissans, ils apporterent de si grands obstacles à ce qu’il avoit conclu, que l’affaire fut rompuë. Ce ne fut pas assez pour les rassurer contre la crainte continuelle où ils estoient qu’il ne s’engageât ailleurs, & qu’ils ne pussent pas toûjours empescher qu’il ne disposast de luy. Pour s’en délivrer entierement, ils s’emparerent de son bien sous divers pretextes, luy susciterent quelques affaires fâcheuses, & se rendant maistres de sa personne ils l’enfermerent dans une Prison, où le credit qu’ils avoient leur fit esperer qu’ils luy laisseroient finir ses jours. Afin qu’il la supportast avec moins d’impatience, ils le firent mettre dans une Chambre fort propre, & à la reserve de la liberté, rien ne luy manquoit de toutes les choses qu’il témoignoit souhaiter. Il ne manqua pas d’intenter Procez contre ses Neveux qui luy retenoient son bien si injustement, & qui le traitoient avec tant d’indignité ; mais il eut beau demander à estre oüy, toutes ses instances furent inutiles, & il se passa deux ans sans qu’il pust avoir raison de la violence qui luy estoit faite. Il avoit quelques Amis de l’un & de l’autre Sexe, qui n’estant point du party de ses Neveux, luy rendoient visite de temps en temps. S’ils ne pouvoient le remettre en liberté, du moins ils le consoloient dans sa disgrace, & c’estoit toûjours pour luy un soulagement qui adoucissoit ses déplaisirs. Un jour que quelques Dames parloient d’aller passer avec luy une apresdinée, une jeune Demoiselle qui estoit presente voulut les accompagner. Elle n’avoit jamais veu aucune Prison, & la curiosité fut le seul motif qui l’engagea à estre de la partie. Le Prisonnier les receut avec beaucoup de marques de joye, & comme il est naturel de faire le détail de ses malheurs, il exagera dans les termes les plus forts, l’indigne maniere dont ses Neveux le traitoient, & ajoûta qu’il ressentoit d’autant plus le chagrin de sa Prison qu’il estoit seur d’en sortir, pourveu qu’on voulust luy accorder Audience. La Demoiselle à qui le discours étoit sur tout adressé, parce que c’estoit la premiere fois que le Vieillard la voyoit, tascha de le consoler en le plaignant. Elle témoigna entrer dans ses interests, & l’assura qu’ayant des Parens au Parlement fort considerez dans leur Compagnie, elle employeroit tous ses soins pour obtenir ce qu’il souhaitoit. Le bon Homme luy promit que si elle luy rendoit un pareil service, il n’estoit rien qu’il ne fist pour elle, & cette promesse luy donnant des veuës qu’elle n’avoit pas d’abord, elle songea serieusement à le tirer de Prison. Elle avoit fort peu de bien, & le Vieillard qui pouvoit luy faire de grands avantages en l’épousant, l’auroit fort accomodée. L’occasion étoit favorable, il ne s’agissoit que d’en profiter. L’agrément de sa Personne joint à un esprit fort délicat luy en donna l’esperance. Ainsi elle disposa les choses en faveur du Prisonnier, & trois ou quatre visites qu’elle luy rendit encore sous pretexte de venir luy demander quelques éclaircissemens, l’ayant mis au point où elle croyoit devoir l’amener, elle fit agir si heureusement le pouvoir de ceux qui s’interessoient pour elle, qu’enfin on luy donna Audience. Cette Audience obtenuë, il eut bien-tost gagné son Procés. Si tost qu’il fut libre, il courut marquer sa reconnoissance à la Demoiselle, en luy offrant telle partie de son bien qu’elle pouvoit souhaiter. Elle répondit, que n’ayant envisagé que le seul plaisir de faire cesser une injustice, il suffisoit qu’elle eust réüssi pour avoir sujet d’estre contente. L’air tout charmant qui accompagna cette réponse, toucha sensiblement le cœur du Vieillard. Il luy dit tout transporté, que c’estoit trop peu pour elle qu’une partie de son bien, & que s’il estoit assez heureux pour ne luy voir point de repugnance à l’accepter tout entier avec sa personne, il la rendoit Maistresse de tout. Vous jugez bien que l’offre fut acceptée. Le Notaire vint : les Articles furent dressez & signez, & le Mariage se fit en trois jours. Le desespoir des Neveux fut grand, mais il a bien augmenté depuis, lors qu’ils ont appris la grossesse de la Dame. Le Vieillard en a une joye inconcevable, & il est ravy qu’un Heritier leur oste entierement l’esperance d’avoir jamais aucune part à son bien.

[Désignation de Huet comme évêque de Soissons]* §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 244-245

Mr l’Abbé Huet, de l’Academie Françoise, cy-devant Sous-Precepteur de Monseigneur le Dauphin, a esté fait Evesque de Soissons. C’est un homme d’une tres-profonde érudition, & dont le merite & la probité passent tout le bien qu’on en peut dire.

[Désignation de l’académicien Fléchier comme évêque de Lavaur]* §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 252-253

Mr l’Abbé Fléchier, de l’Academie Françoise, Aumônier Ordinaire de Madame la Dauphine, a esté nommé Evesque de Lavaur, à la place de Mr de la Berchere. On ne peut pousser dans un plus haut degré qu’il a fait l’éloquence de la Chaire, avoir le goust meilleur, plus de délicatesse d’esprit, ny estre plus honneste homme.

[Sur le livre Histoire des Troubles de Hongrie]* §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 315-316

Comme les desordres qui sont arrivez dans la Hongrie font grand bruit depuis long temps, je croy vous donner à vous & vos Amis une nouvelle agreable, en vous apprenant que le Sieur de Luynes & la Veuve Blageart, vont débiter un Livre nouveau, intitulé Histoire des Troubles de Hongrie. Elle est divisée en trois Volumes, & contient tout ce qui s’est passé à l’égard des Mécontens depuis l’année 1653. On y voit la naissance de leur revolte, & les progrez qu’elle a eu jusques à present. Cette Histoire nous manquoit, & on est obligé à l’Auteur, du soin qu’il a pris de ramasser en un Corps les divers Memoires qu’il a trouvez.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 316-317.

Le second Air nouveau que je vous envoye, est d'un Autheur fort celebre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par L'Amour fut il jamais, &c. doit regarder la page 317.
Fut-il jamais un plus charmant bonheur !
D'un vin choisy ma cave est pleine,
Et ma Phylis enfin sensible à mon ardeur,
Aprés tant de rigueurs cesse d'estre inhumaine.
Entre ces deux plaisirs je partage mon coeur,
La nuit est à Philis, le jour à ma bouteille.
L'une & l'autre sans cesse me réveille,
Fut-il jamais un plus charmant bonheur !
images/1685-11_316.JPG

[Monsieur Bonrepaus est pourveu de la Charge de Lecteur ordinaire de la Chambre du Roy] §

Mercure galant, novembre 1685 [tome 11], p. 324-325

Je vous ay quelquefois parlé de Mr de Bonrepaus, Intendant General de la Marine, & des Armées Navales de Sa Majesté, dont il s’acquitte avec beaucoup d’intelligence & d’exactitude. Ce fut luy qui entra dans Genes, lors que Mr le Marquis de Seignelay étoit devant cette Place. Tout le Monde sçait qu’il n’oublia rien pour persuader aux Genois ce qu’ils devoient faire, afin d’éviter les Bombes, qui causerent de si grands desordres dans leur Ville. Le mesme Mr de Bonrepaus vient estre pourveu de la Charge de Lecteur ordinaire de la Chambre du Roy, sur la Demission volontaire de M. l’Abbé de Dangeau. Vous pouvez croire qu’ayant toûjours servy le Roy avec autant de zele que de succés, il en a esté receu avec beaucoup d’agréement.