1686

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3].

2017
Source : Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3].
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Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3]. §

[Sonnet au Roy, pour avoir détruit l’Heresie, par Mr Marcel] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 1-5

 

Je vous tiens parole, Madame, & j’ajoûte à ma Lettre une seconde Partie, ainsi que je vous l’ay promis au commencement de la premiere. Presque tous les Ouvrages qui la remplissent, ont esté faits à l’occasion de ce que le Roy vient de faire en faveur de la Religion Catholique. Ceux qui ne sont point sur cette matiere, regardent le Roy par d’autres endroits. Ainsi l’on peut dire que le tout ensemble forme un corps d’Eloges de cet Auguste Monarque, composé par plus de cinquante personnes, dont les sentimens doivent faire mieux connoistre aux Siecles à venir ce que le nostre a pensé des avantages qu’il vient de procurer à l’Eglise, que ce qu’en dira l’Histoire. En effet, l’Histoire est l’ouvrage d’un homme seul qui peut déguiser la verité, au lieu que ce que je vous envoye estant l’ouvrage de quantité d’Autheurs differens, est comme un Acte signé de tous les Sujets de Sa Majesté, pour confirmer à ceux qui viendront aprés nous, des choses si éloignées de toute apparence de verité, que pour estre creuës elles ont besoin d’un nombre infiny de témoignages, & que ceux mesmes qui en parlent ayent vécu du Regne du Roy, sans quoy la Posterité auroit peine à croire les étonnantes merveilles qui font aujourd’huy l’entretien & l’admiration de tout l’Univers. Voicy les Ouvrages dont j’ay commencé à vous parler.

AU ROY,
Pour avoir détruit l’Heresie.
SONNET.

Qu’un fidelle Ecrivain, en traçant ton Histoire
Pour la faire passer à nos derniers Neveux,
La remplisse, grand Roy, de ces Exploits fameux
Qu’aux Siecles à venir on aura peine à croire.
***
Qu’il te peigne par tout suivy de la Victoire ;
Doux à tes Ennemis que la Paix rend heureux ;
Craint de tout l’Univers, dont tu reçois les vœux ;
Mais Calvin expirant met le comble à ta gloire.
***
Par là ta Pieté releve encor ton rang.
Oüy, nos Autels vangez, sans répandre de sang,
De LOUIS & du Ciel marquent l’intelligence.
***
Pour la rendre eternelle il n’estoit qu’un milieu.
Le Ciel donna LOUIS aux Peuples de la France,
LOUIS donne à son tour tous ses Peuples à Dieu.

[Dialogue de Damon & de Tircis à l’Honneur du Roy, par le mesme] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 6-13

DIALOGUE
De Damon & de Tircis, à l’honneur du Roy.

TIRCIS.

O vous, Princes, vous Rois, & vous, Peuples divers
Qui regnez dans la Paix, ou vivez dans la Guerre,
 Venez des deux bouts de la Terre
 Pour prendre part à nos concerts ;
Benissons tous le Dieu de l’Univers.

DAMON.

 Benissons-le, chantons la gloire
 Dont son bras protegeant LOUIS,
 Aprés mille Exploits inoüis,
Couronne enfin sa derniere Victoire ;
De son Eglise il est le Fils Aîné,
 Et des Rois le plus fortuné.

TIRCIS.

Qui ne sçait que LOUIS possede un grand Empire ?

DAMON.

Cet Empire est encor plus grand, qu’on ne peut dire,
 Puisque son Maître est au dessus des Rois,
Ce qu’est l’Astre du jour au-dessus des Etoiles,
Qui d’une belle nuit parent les sombres Voiles.
Pour celebrer son nom, Tircis, joignons nos voix.

TOUS DEUX.

Que la France en ce jour chante & se réjoüisse,
 Qu’elle offre au Ciel en sacrifice
 Mille & mille vœux pour son Roy
 Qui rétablit la veritable Foy.
Que ses Peuples heureux remplissent nos saints Temples
 De leurs chants les plus triomphans,
 Et que de si fameux exemples
 Passent à leurs derniers enfans.

DAMON.

C’est de LOUIS la valeur sans seconde,
 Qui fait trembler la Terre & l’Onde.

TIRCIS.

C’est luy, dont l’invincible bras
 Se fait craindre dans les Combats.

DAMON.

Mais si ses Ennemis le trouvent redoutable ;
 S’il est aussi puissant qu’heureux ;
Dans la paix qu’il leur donne, il n’est pas moins aimable ;
 Et n’attire pas moins leurs vœux.

TIRCIS.

Le nom de Tres-Chrétien, dont l’Eglise l’honore,
 Et qu’il compte parmy ses droits,
  L’éleve encore
 Sur la teste de tous les Rois.

TOUS DEUX.

 François, preparons à sa gloire
Des Cantiques de paix, de joye, & de victoire,
Pour celebrer ses triomphes nouveaux,
 Employons nos chants les plus beaux.

DAMON.

Combattre & vaincre est pour luy mesme chose.
Quel Heros peut du prix disputer avec luy ?
Non, tout ce que de grand nostre esprit se propose,
N’égalera jamais ce qu’on voit aujourd’huy.

TIRCIS.

 Son Regne produit des miracles ;
Son Trône est comme un Ciel d’où partent mille éclairs ;
 Sa valeur franchit tous obstacles ;
 Sa Grandeur remplit l’Univers.

DAMON.

Sa Sagesse profonde, & sa rare prudence
 Ont vaincu deux Monstres cruels,
 Les Blasphémes & les Duels
 Ne soüillent plus la gloire de la France.

TIRCIS.

 Il porte encor sa Pieté plus loin.
 Il réünit d’un charitable soin
 Tous ses Sujets à la Foy de nos Peres.
Et faisant triompher la sainte Verité,
Il détruit l’Heresie & ses vaines chimeres,
De mesme qu’un beau jour chasse l’obscurité.

TOUS DEUX.

O d’un Roy Tres-Chrestien entreprise admirable !
O des Decrets divins ouvrage memorable !

DAMON.

 Vous qui seduis par l’esprit de l’erreur,
Marchiez de bonne foy dans une fausse voye,
Ouvrez, ouvrez vos cœurs aux graces du Seigneur,
 Et recevez sa lumiere avec joye.

TIRCIS.

 Faites un divorce eternel
 Avec les œuvres de tenebres.
LOUIS vous tend la main dans ces routes funebres,
Rendez-vous aux attraits de son soin paternel.

DAMON.

Mais ne bornez pas là vostre reconnoissance,
 Et dans cette douceur immense
 Pour luy renouvellez vos vœux,
Luy qui n’a pour objet que de vous rendre heureux.

TIRCIS.

 Cessez de craindre,
 Mais cessez de feindre.
  Suivez la Loy
Que vous impose vôtre Maître ;
  Servez un Roy,
Par ses Vertus digne de l’estre ;
Detestez pour jamais vos premieres erreurs.
Et qu’une seule Eglise unisse tous nos cœurs.

[Priere pour le Roy, par le mesme] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 14-15

PRIERE A DIEV
pour le Roy.

TOUS DEUX.

 Estre infiny, de qui la main puissante
Sur tout ce qui respire étend ses justes droits,
 Baisse tes yeux sur le plus grand des Rois,
Et protege LOUIS ton Image vivante.

DAMON.

Que son Nom glorieux
Vole jusques aux Cieux !

TIRCIS.

Que sa Race feconde
Dure autant que le monde !

TOUS DEUX.

Prête-luy tes conseils, donne luy tes secours,
 A fin qu’il marche en ta presence ;
 Et fais pour le bien de la France
Que ses Lis triomphans refleurissent toûjours.

Marcel.

[A Loüis le Grand, sur le zele qu’il a pour la Religion, contre ses Ennemis, par Mr de Rochebrune] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 15-17

A LOUIS LE GRAND,
sur le zele qu’il a pour la Religion contre ses Ennemis.

Inébranlable Appuy de la parfaite Eglise,
Auguste Défenseur de nos sacrez Autels,
Qui donnez saintement vos soins continuels
A détruire l’Erreur que Calvin authorise.
***
Le Ciel qui voit l’ardeur dont vôtre ame est éprise,
 Prepare à vos travaux des honneurs immortels ;
 Quand vôtre cœur Royal abat ces criminels,
 C’est un triomphe heureux que
  Dieu mesme eternise.
***
La force & la vertu de vostre esprit divin
 Ont dompté la Fortune & reglé le Destin,
 Vous avez en tout temps enchainé la victoire.
***
Vostre Nom glorieux est celebre en tout lieu ;
Mais, Grand Roy, dans ces jours vostre plus grande gloire
C’est d’estre la terreur des Ennemis de Dieu.

Fr. DE ROCHEBRUNE, Prestre.

[Sonnet au Roy, sur la revocation de l’Edit de Nantes, par Mademoiselle de Villandon] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 17-20

Sur la Révocation de l’Edit
de Nantes.
SONNET AU ROY.

Arbitre souverain de la Paix, de la Guerre,
Tout fléchit sous tes Loix, tu n’as plus d’Ennemis,
A ta rare valeur quoy que tout soit permis,
L’ardeur de conquerir dans ton cœur se resserre.
***
La Tréve pour long-temps, suspend ton Cimeterre,
Tu n’as plus de Voisins qui ne soient tes Amis,
L’Algerien dompté, le fier Genois soûmis,
Ne te laissent plus rien à vaincre sur la terre.
***
Mais le Ciel qui t’a fait le plus grand de nos Rois,
Destine ta valeur à de nouveaux Exploits ;
Alcide Tres-Chrestien, aprés tant de Conquestes,
***
Il en destine une autre à l’effort de ton bras.
Luy seul doit étouffer ce Monstre à tant de testes,
Cette Hydre que Calvin fit naître en tes Etats.

AU ROY.
SONNET.

De l’Europe lignée accepter le Cartel.
La vaincre, la calmer, faire trembler le More.
Estre craint & chery plus loin que le Bosphore.
Et par tout acquerir un honneur immortel.
***
Fier dans le Champ de Mars, humble au pied de l’Autel ;
Détruire des Erreurs que le Ciel hait abhorre.
Estre juste, prudent, plus intrepide encore.
Si vaillant que jamais Conquerant ne fut tel.
***
Triompher par bonheur bien moins que par sagesse.
Sçavoir juger de tout avec delicatesse.
Avoir le cœur encore au dessus de son Rang.
***
Faire plus en un jour qu’en trente on n’en peut dire.
Eust-on d’Apollon mesme & la voix & la Lyre.
C’est ce que l’Univers voit dans LOUIS le Grand.

Mademoiselle De VILLANDON.

Entretien familier de l’Heresie & de Calvin en l’autre Monde §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 21-39

ENTRETIEN FAMILIER
De l’Heresie & de Calvin en l’autre Monde.

L’HERESIE.

 

Vous me semblez tout triste, d’où vient celà ? Il est vray que vous n’avez jamais esté bien guay quand vous estiez au Monde, mais marquer du mécontentement en un lieu qui vous a tant d’obligation, & que vous avez peuplé d’un si grand nombre d’Ames, c’est dequoy je m’étonne.

CALVIN.

 

C’est vous qui estes cause de la mauvaise humeur où je suis.

L’HERESIE.

 

Les Demons nos Confreres m’ont receuë bien autrement que vous, car je ne suis pas si-tost entrée dans ce lieu de tenebres, qu’ils sont venus au devant de moy avec une contenance qui marquoit de la joye. Les uns ont donné des éloges à mes travaux & à mes artifices ; les autres m’ont fait mille amitiez, & tous en general m’ont remerciée d’avoir reduit des Provinces & des Villes sous leur puissance. J’avois besoin de cét accüeil ; car en passant le Fleuve dans la Barque de Caron, je me trouvay je ne sçay par quel hazard auprés de deux Catholiques Romains qui passoient avec moy. L’un étoit Homme de Guerre & l’autre étoit Devot ; le premier se mit à invectiver si fortement contre moy qu’il ne restoit plus qu’à me jetter dans l’eau ; le second se mit à soûpirer & à pleurer sur mon aveuglement, disoit-il. jamais insulte ne m’a esté si sensible que la compassion de ce Devot. Il me tardoit que je ne vous visse au plûtost pour me consoler avec vous, & neanmoins vous avez de la peine à me voir, moy qui suis vostre Fille ; moy qui en renversant les Images des Prelats & des Apostres, ay étably les vostres en les rendant venerables parmy nos Peuples ; moy qui vous ay rendu plus celebre parmy les faux Prophetes, que celuy qui brûla le Temple d’Ephese ne l’a jamais esté parmy les Fous ; moy qui ay détaché tant d’Enfans de l’Eglise Romaine, pour estre les Disciples, sinon de vostre Doctrine, au moins de la Sensualité.

CALVIN.

 

Pourquoy avez-vous quitté le poste que vous aviez en France ?

L’HERESIE.

 

Et vous, pourquoy avez-vous quitté celuy que vous aviez à Genéve ?

CALVIN.

 

J’estois né Mortel, il falloit mourir, mais si le Docteur meurt, la Doctrine ne de voit pas mourir. Les Calvinistes sont mortels, mais le Calvinisme devoit estre immortel. Nous voyons tous les jours que les Traîtres meurent, mais que la Trahison ne meurt pas. Ne deviez-vous pas joüir du mesme privilege ? Je vous avois donné tout ce qu’il falloit pour ce sujet. La Sensualité qui ne meurt jamais pendant que les Sensuels meurent, je vous l’avois laissée. L’Hypocrisie qui ne s’en va jamais pendant que les Hypocrites s’en vont, je vous l’avois donnée, & neanmoins vous voilà aussi-bien que nous parmy les Morts. Pourquoy avez-vous laissé faire ceux qui vous ont fait mourir.

L’HERESIE.

 

Il est vray que vous m’aviez assez bien armée contre les Prêtres & les Moines, pour me rendre immortelle ; mais le mal est que vous ne m’aviez pas armée contre les Raisons des Roys.

CALVIN.

 

Je sçavois bien que les Raisons des Roys estoient puissantes, mais je vous avois laissé la Rebellion comme une grande resource contre les disgraces qui vous pourroient arriver.

L’HERESIE.

 

La Rebellion ne m’a pas manqué, ny moy à elle, mais le temps n’en est plus.

CALVIN.

 

Est-ce qu’il n’y a plus de Selerats ny de Broüillons au Monde ?

L’HERESIE.

 

Il y en a, & j’en avois qui ne manquoient ny de bonne volonté ny de violence, mais leur malheur & le mien a esté, qu’ils sont venus en un temps où la Sagesse armée d’une Souveraine Puissance, leur a osté tous les moyens de remüer.

CALVIN.

 

Si la Sagesse est de saison, que n’aviez-vous recours à la Politique que je vous ay enseignée, qui est de vous accommoder à tous les temps, & de faire la Grave avec les Serieux, la Triste avec les Penitens, la Severe avec les Devots, la Prudente avec les Sages, & de conserver cependant vostre esprit & vos droits ?

L’HERESIE.

 

Vous m’avez donné toutes ces Maximes, il est vray, & je les ay gardées autant que le temps l’a permis, mais vous ne m’avez pas donné la plus necessaire de toutes, qui estoit de ne me separer point, ny de Temples d’avec les Catholiques Romains, parce que le Libertinage n’est jamais plus autorisé que quand il est dans un lieu Saint, ny de la societé de ceux qui s’appellent Orthodoxes, parce que le Serpent n’est jamais plus en assurance que quand il dort dans les plys de la Robe de ceux qu’il veut picquer, ny de la Compagnie de ceux qui se disent les Disciples du Fils de Dieu, parce que l’Hypocrisie ne pousse jamais mieux ses desseins que sous les apparences de la Sainteté ; au contraire vous avez voulu qu’il y eust une guerre ouverte & déclarée entre eux & moy. Il est arrivé de là que je n’ay pû faire mes attaques si sourdement que j’aurois bien voulu, & que l’on s’est toûjours deffié de mes desseins & de ma Politique.

CALVIN.

 

J’avois pour veu à cela, en vous enseignant la maniere de cacher la Sensualité sous les apparences d’une Vie reformée, afin que si quelqu’un venoit à se deffier de vostre Politique, il ne se deffiast pas d’une Doctrine qui est si commode à la chair & aux sens ; car comme tout le monde a du panchant au Vice, on ne se deffie pas si aisément d’une Religion qui déclame en public contre le relâchement des mœurs, & qui permet à ses Disciples de se répandre en secret dans les plaisirs.

L’HERESIE.

 

Vous ne sçavez pas ce que c’est que de vivre sous un Prince éclairé, qui ne veut pas tromper & qui ne sçauroit estre trompé. Il a découvert mes Secrets & les vostres. Il a veu cette dissimulation que je cachois sous de belles paroles, il a veu cette Trahison ma fidelle Compagne, que je couvrois sous mille & mille protestations de ma fidelité, & là dessus il a pris le dessein de m’exterminer. C’est assez dire, car entre ses desseins & leur execution, il n’y a pas une grande distance.

CALVIN.

 

Comment s’y est-il pris ?

L’HERESIE.

 

Je n’ay jamais mieux éprouvé ce que peut une grande Sagesse avec un Pouvoir absolu. Il m’a premierement dénuée de tous mes ornemens, & privée de tous mes privileges. Secondement il m’a osté toutes les ressources que je pouvois avoir tant du costé de la France que du costé des Etrangers. J’ay paru alors si miserable & si confuse, que je me suis retirée dans mes Temples pour laisser passer l’Orage, & pour y gemir en secret en un temps où mes gemissemens en public passoient pour criminels. Durant la nuit j’y entendois des Hiboux, dont les chants estoient pour moy d’un mauvais présage ; & ce qui me confirma le plus dans mon présentiment est qu’il y en eut un qui s’alla percher sur la Chaize du Predicant, où il redoubla son chant d’une façon plus lugubre qu’auparavant. La dessus vostre Ombre s’apparoissoit à moy, mais triste & languissante, qui me faisoit entendre que j’estois menacée de quelque grand malheur. A mon réveil j’entendois quelques-uns de mes Ministres qui se disoient à l’oreille, chaque chose à son temps, voicy le regne de la verité, rendons-nous. Je les arrestois neanmoins par des Pensions & des honneurs qu’ils ne trouvoient pas autre part ; mais ce qui m’effraya le plus, c’est que j’entendis une fois dans mes Temples en plein jour la voix des Demons qui en estoient les Protecteurs qui disoient, sortons d’icy. J’avois alors vostre Portrait auprés de moy, je le regardois pour me fortifier, mais il me sembloit que la severité qui vous est naturelle se changeoit en indignation, & vôtre gravité en une tristesse inconsolable. Ie vis bien que tout cela ne me prédisoit rien de bon ; je n’y fus pas trompée, car peu de temps aprés j’entendis à la Porte de mon Temple un Decret Royal qui en commandoit la Démolition. jamais le pauvre Pescheur de Lucain n’eut si grand peur quand il entendit la main de Cesar qui frappoit à la porte de sa Cabane, que j’en eus pour lors.

CALVIN.

 

Et que faisoit en ce temps-là la Rebellion, elle qui ne m’a jamais manqué dans les bonnes occasions ?

L’HERESIE.

 

Ne la condamnez point de lâcheté ; je vous ay déja dit qu’elle estoit preste à bien faire ; mais qu’auroit-elle pû contre celuy qui se joüe de la puissance des autres Roys ? Tant que mes artifices ont esté en état de tromper ils ont trompé. Tant que ma violence a esté en estat d’éclater elle n’y a pas manqué, mais le temps est venu ou la finesse ne peut pas plus contre la Sagesse, que le Mensonge contre la Verité.

CALVIN.

Mais que ferez-vous icy où il n’y a plus personne à tromper ? Que fera vostre Sensualité où il n’y a personne qui puisse estre flatté par le plaisir des Sens ? Que fera vostre violence où il n’y a point d’Innocens à opprimer ? Que fera vostre Politique où il n’y a personne qui puisse estre gagné par les apparences du bien ?

L’HERESIE.

 

J’y feray ce que vous y faites, ma dissimulation y fera ce que les Dissimulez y font, mes passions y feront ce que les Gens passionnez y font.

CALVIN.

 

Mais si l’Hypocrite y passe mal son temps, l’Hypocrisie ne l’y passera pas mieux.

L’HERESIE.

 

Ce que le temps a si bien joint ensemble, l’Eternité ne le separera pas.

Sur la Revocation de l’Edit de Nantes. Sonnet §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 39-41

Sur la Revocation de l’Edit de Nantes.
SONNET.

Peuples trop fortunez que le Ciel a fait naistre
Sous l’ombre des Lauriers du plus puissant des Rois,
Respirez en repos à l’abry de ses Loix,
Il vient par ses Edits de faire un coup de Maistre.
***
Les Erreurs de Calvin vont bientost disparoistre,
Son Troupeau sans Pasteurs est réduit aux abois,
Il n’a plus que trois jours pour faire un meilleur choix.
Heureux, cent fois heureux s’il se veut reconnoistre !
***
LOUIS par sa valeur ne voit plus d’Ennemis,
Son bras victorieux les a si bien soûmis,
Qu’ils tremblent au seul bruit de ce Nom redoutable.
***
Mais pour comble de gloire, il montre à l’Univers
Que d’un trait de sa main il détrône le Diable,
Et qu’il peut triompher jusqu’au fond des Enfers.

[Sonnet au Roy, sur la Conversion des Heretiques, par Mr le Houx] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 41-42

AU ROY.
Sur la Conversion des Heretiques.
SONNET.

Que LOUIS ait toûjours vaincu ses Ennemis,
Que son bras l’ait conduit de Victoire en Victoire,
Que son bonheur l’ait mis au comble de la Gloire,
Que les plus grands Heros en soient tous ébloüis.
***
Que sur des monumens de ses faits inoüis
Les Siecles à jamais conservent la Memoire,
Qu’il soit à l’avenir l’ornement de l’Histoire,
Ces marques de Grandeur ne sont rien pour LOUIS.
***
Mais que malgré l’Enfer, sa rage & son envie,
Il ait depuis dompté l’Hydre de l’Heresie,
Qu’il se fasse un plaisir de convertir les cœurs.
***
Qu’il n’entreprenne rien que le Ciel n’authorise,
C’est par là qu’il fait plus que les autres Vainqueurs,
Et c’est par là qu’il est Fils Aisné de l’Eglise.

Le Houx.

Pour le Roy. Sonnet §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 43-44

POUR LE ROY.
SONNET.

Peut-on porter plus haut le comble de la gloire ?
Estre le plus puissant & le plus heureux Roy.
Donner à l’Univers sa volonté pour Loy.
Pouvoir seul arrester le cours de sa Victoire.
***
Non, si l’on ne cherchoit que l’honneur dans l’Histoire ;
Mais un Heros Chrestien animé par sa Foy,
Ne se contente pas de regner par l’effroy
Que peut causer par tout son Nom & sa memoire.
***
LOUIS n’auroit pas crû son bonheur achevé,
Ses jours assez remplis, ny son Thrône élevé,
Si l’erreur n’eust gemy sous son bras intrepide.
***
Voilà l’unique but de ses faits immortels.
Aprés avoir paru plus genereux qu’ Alcide.
Rien n’est digne de luy que l’honneur des Autels.

Sur l’Extirpation de l’Heresie. Sonnet §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 44-46

Sur l’Extirpation de l’Heresie.
SONNET.

Ne nous retraçons plus cette odieuse image
De ses massacres & des horreurs
 Dont la Reforme & les Ligueurs
Ont fait durant trente ans un trophée à leur rage.
***
Un Roy, de tous les Rois le plus grand, le plus sage,
 A tonné contre les Erreurs,
 Et malgré ses vaines fureurs,
Si ce Monstre respire, au moins il est en cage.
***
LOUIS LE JUSTE fit un surprenant effort,
Il brida l’Ocean pour avancer la mort
De cette Hydre, qui n’a que son orgueil pour guide ;
***
La Rochelle à l’Histoire en est un bon garand :
Mais comme c’est une Hydre, il falloit un Alcide,
Cet Alcide paroist, & c’est LOUIS LE GRAND.

[Quatrains sur le mesme sujet] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 46-48

QUATRAINS.

Chantons tous l’heureuse Paix,
LOUIS a par sa puissance
Banny Calvin pour jamais
Hors de l’Empire de France.
***
Ce qui coûta vainement
Tant de temps & tant de testes
LOUIS l’a fait promptement
Comme ses autres Conquestes.
***
Quel bonheur de voir l’erreur
De toutes parts dissipée,
Sans que ce Grand Empereur
En doive rien à l’Epée !
***
Sans crainte d’aucun malheur
Il fait bien voir sa science
A retenir sa valeur
Pour faire agir sa prudence.
***
Cent Peuples sont tous rendus.
Quelle plus belle Victoire !
Que peut-il faire de plus
Pour le comble de sa gloire ?
***
Malheureux les ennemis
De ce Prince redoutable !
Heureux les Peuples soûmis
A son Empire équitable !
***
Huguenots, consolez vous,
Si l’on vous fait violence,
Un jour vous la prendrez tous
Pour un effet de clemence.
***
Pour faire ce changement
Quelques maux que l’on vous fasse,
Bien tost chez vous ce tourment
Aura le nom d’une grace.
***
Vostre ame en quittant sa foy
Sera ferme pour la nostre,
Encor plus à cette Loy
Qu’elle n’estoit à la vostre.
***
Entre nous plus de froideur,
Nostre Eglise est vostre Temple.
Nous y verrons vostre ardeur
Qui nous servira d’exemple.
***
Benissons cet heureux jour,
Nos cœurs seront tous sinceres.
La haine cede à l’Amour,
Et déja nous sommes Freres.

[Discours prononcé dans l’Hostel de Ville de Marseille, sur la proposition de supplier le Roy d'agréer qu'on u érigeast une Statuë Equestre de Sa Majesté] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 49-69

 

Le Conseil de Ville s’estant extraordinairement assemblé à Marseille, on y proposa de supplier tres-humblement le Roy d’agréer qu’on y érigeast une Statuë Equestre de Sa Majesté. Voicy le Discours que Mr Chaluet Avocat en Parlement, de l’Academie Royale d’Arles, & Assesseur de Marseille, prononça sur ce sujet dans la Sale de l’Hostel de Ville.

MESSIEURS,

L’image de LOUIS LE GRAND, que ses heroïques Vertus, sa Bonté paternelle pour ses Sujets, ses Exploits inoüis dans la Guerre, sa Sagesse incomprehensible dans la Paix, ont gravée dans nos cœurs, & tracée dans nos esprits : cette auguste Image, dont la distance des lieux, ny la suite des années ne peuvent nous empescher de recevoir ny de conserver l’aimable impression : il est temps de la produire au dehors, de l’exposer aux yeux de toutes les Nations, que le commerce ou la curiosité attire parmy nous, & de laisser à la Posterité un monument eternel de nostre bonheur & de nostre zele.

Marseille ! fameuse Sœur de Rome, cher objet de l’admiration de tous les Peuples de l’Univers ; ancienne Academie des Sciences & des beaux Arts ; Ville celebre par ta situation heureuse, par læ seureté, par l’affranchissement, par la commodité de ton Port, mais plus celebre encore par ton inviolable fidelité, il te manque le principal de tes ornemens. La Statuë de ton Roy, qui dans les Siecles idolatres auroit merité des Temples & des Autels, doit embellir, doit consacrer ta vaste enceinte ; & aprés cela tu n’as plus rien à desirer pour ta gloire.

Mais où m’engage insensiblement l’ardeur de mon zele particulier ? Que puis-je me proposer en parlant dans cette Assemblée ? Discours inutile, discours injurieux, si je vous faisois ce tort de m’imaginer que vous avez besoin d’estre persuadez pour consentir à la proposition qu’on vient de vous faire.

Témoin de la joye qui a éclaté dans vos yeux & sur vos visages, quand vous l’avez entenduë, je ne sçay si l’impatience où vous estes de conclure cette Déliberation solemnelle, que vous avez mille fois prévenuë dans vos entretiens, me permettra d’achever un discours que je consacre pour vous & pour moy à la gloire immortelle de LOUIS LE GRAND, dans une occasion où Marseille condamneroit un stupide, un lâche silence.

Suspendez, Messieurs, suspendez pour quelques momens cette juste & loüable impatience ; Et bien que je n’aye rien à vous dire que vous ne pensiez vous-mesmes, & que tout le monde ne pense & ne publie comme nous, agréez que sans art & avec cette naïveté que nostre Ciel & nostre Genie nous inspirent, j’explique icy nos pensées communes sur la Statuë qu’on vous propose d’ériger, que nul autre Roy n’a jamais si justement meritée, & qui ne sçauroit estre placée dans un lieu plus avantageux & plus propre que le sein de nostre Patrie.

La Providence mit la plus belle Couronne du monde sur la Teste auguste de ce grand Roy dans son enfance ; & la Fortune qui sembloit prévoir que la Vertu de ce merveilleux Enfant ne luy laisseroit rien à faire pour luy, quand il regneroit par luy-mesme, se hâta de le combler de ses faveurs, & le rendit victorieux & redoutable dés les premieres années de sa belle vie.

Durant le temps qui succeda à son Enfance, la sagesse d’une Heroine, & la prudence d’un grand Ministre, eurent part au Gouvernement ; tandis que ce Feu dont toute la Terre devoit sentir la chaleur, ou recevoir la lumiere, achevoit de s’allumer. Mais à peine LOUIS gouverne seul, qu’il se montre digne du titre de Grand, que le consentement general de tous les Peuples luy a donné. Il met en usage un nouvel Art de regner qu’il n’a appris de personne, & où personne ne pourra peut-estre jamais atteindre, si son auguste Fils n’en est excepté. Il n’a des Ministres que pour la dignité & pour la bienseance, & non pour la necessité & pour le besoin. Appliqué à tous les devoirs qu’il se fait dans la Royauté, comme s’il n’en avoit qu’un seul à remplir ; aimé, reveré au dedans ; admiré, redouté au dehors ; Arbitre de la Guerre dont il a changé les maximes ; Arbitre de la Paix, dont il a toûiours reglé les conditions ; il semble qu’il n’est pas sorty de cette longue suite de Rois celebres qui revivent en sa personne, mais que Dieu seul a pris plaisir à le former.

Il y a eu tant de mains sçavantes occupées à écrire ses loüanges, tant de bouches éloquentes ouvertes pour les prononcer, qu’il a toûjours esté loüé, mais il a toûjours esté au-dessus de tous les éloges : & je ne serois qu’un foible Echo, si i’osois entreprendre de publier en cette occasion une partie des iustes loüanges qui luy sont deuës.

Une seule reflexion me suffit en ce lieu. Les Loix renouvellées, les abus de la Justice reformez, & ses longueurs retranchées, le Commerce libre & florissant, les Finances reglées, la Discipline rétablie dans les Troupes, l’Etat conservé dans une paix profonde & constante, les Autels relevez, l’Heresie éteinte, le Duel aboly, & la valeur Françoise réduite à son legitime usage, la Noblesse purifiée, les desordres bannis, la Vertu récompensée, les Sciences & les Arts cultivez & favorisez, les Forces Navales du Royaume, si peu considerables autrefois, devenuës si redoutables & si heureuses sous son Regne ; tant de grandes choses que je rapporte sans ordre, parce que mon esprit s’y confond & s’y perd, que je propose sans ornement, parce qu’il n’y a point d’ornement étranger qui ne cede à leur grandeur & à leur beauté naturelle ; tant d’autres merveilles également surprenantes, que je ne dis pas qu’il est plus facile de concevoir que d’exprimer, & que je revere avec ce silence respectueux, qui est l’effet ou le langage de l’admiration ; que dis-ie ! une seule de toutes ces grandes choses, capable de rendre immortelle toute autre vie que celle de ce grand Roy, ne merite-t-elle pas la Statuë que nous allons luy ériger ?

Ne nous flatons pas pourtant, Messieurs, de pouvoir contribuer ou aioûter quelque chose à la gloire de Sa Maiesté par cet hommage ; trop heureux ! si ce monument n’est pas trouvé indigne de LOUIS LE GRAND, & au dessous de la veneration que nous luy devons.

Quelques Provinces, des Villes mesmes du Royaume ont pû nous prévenir dans ce dessein, mais consolons-nous : encore que leur exemple nous soit inutile, nous pouvons les surpasser, si ce n’est par la richesse & par la magnificence du Monument, du moins par l’ardeur & par la pureté de nostre zele, que nostre foiblesse & nostre impuissance mesme vont rendre plus considerable.

Cependant ioüissons par avance de l’effet que nous pouvons attendre de la Statuë du Roy dans Marseille. Commençons à goûter la satisfaction qui nous demeurera de luy avoir donné cette marque de nostre amour & de nos respects.

Je ne dis rien du plaisir qu’il nous sera permis de nous faire, d’avoir employé nos soins à élever cette Statuë. Mais quand nos Enfans, mais quand nos derniers Neveux la contempleront : Heureux nos Peres, s’écrieront-ils, qui ont veu ce grand Monarque, dont nous ne pouvons admirer que la figure ! heureux le Siecle, dont il a fait toute la gloire ! heureuse la France, dont il a assuré le repos, l’honneur, la felicité iusques à nous, & pour l’avenir le plus éloigné.

Et dans ce concours de Personnes de differentes Nations, qui abordent à Marseille, quand tous les Peuples de la Terre arresteront tour à tour leurs regards sur ce Monument auguste ; quelle admiration, quel concert de loüanges n’excitera-t-il pas ! quelles idées ne va t-il pas renouveller parmy eux !

Les uns reconnoistront avec un respect meslé de crainte, cet Illustre Conquerant, à qui ils eurent le malheur de déplaire. Ils se souviendront du fameux Passage du Rhin, aprés lequel il auroit bien-tost rétably sous la puissance des Rois toutes ces Provinces que la revolte en a soustraites ; si leur repentir & leurs soûmissions n’eussent appaisé son juste ressentiment, & arresté le cours & la rapidité de ses Victoires.

Les autres viendront reverer ce Vainqueur incomparable, qui prit, qui rendit, qui reprit leur Comté, mais toûjours avec une nouvelle gloire pour luy, sans qu’on ait pû expliquer, s’il y eut plus de justice & de valeur à la prendre & à la reprendre, qu’il n’y eut de Magnanimité quand il la rendit.

Ceux-cy dont le Païs fut toûjours le Theatre de la Guerre, avoüeront qu’on n’y vid jamais de Guerrier si formidable, que celuy que cette Statuë representera. Ils publieront qu’il prit des Villes, qu’il conquit des Provinces en aussi peu de temps qu’il en auroit fallu pour les parcourir, & que vaincre souvent sans combat par la terreur de ses armes toûjours victorieuses, & couronner ses conquestes par la memorable prise de Luxembourg, c’estoient des miracles reservez à sa Valeur.

Ceux-là admireront ce Monarque, qui auroit étendu les bornes de son Royaume au delà de Madrid, si sa moderation n’en eut mis à ses Victoires ; si sa Bonté & sa Sagesse ne les eussent enfin reduits à recevoir la Paix, qu’il donna à toute l’Europe, & qui termina une Guerre si fameuse par ses avantages & par leurs pertes.

Quelques-uns rappelleront le souvenir de l’avantage & de la gloire qu’il y eut pour eux, que leurs Rois ayent entretenu la foy des Traitez, contracté ou renouvellé des alliances avec le nostre.

Plusieurs à l’aspect de sa Statuë, se souviendront que la vigilance & les ordres de ce grand Roy, la valeur & l’obeissance de ses Troupes le rendoient present aux lieux mesmes où il n’étoit pas, & qu’avec une partie de ses forces Navales il défit, il brûla les Flotes d’Espagne & de Hollande unies pour sa plus grande gloire, & pour leur plus grande honte ; si toutefois il est honteux de ceder à un Conquerant à qui rien ne peut resister.

Enfin, sans que je m’engage dans un plus grand détail, qui seroit presque infiny, toutes les Nations de l’ancien & du nouveau Monde, informées comme nous des merveilles de la vie de nostre Heros, touchées comme nous de l’éclat de ses Vertus, & de la splendeur de sa gloire, avoüeront sans contestation que jamais Monarque ne fut si digne de commander à tout l’Univers.

Venez donc, fameux Ouvrier* que Marseille a produit & élevé ; vous à qui l’execution de nostre dessein doit estre commise, venez. C’est peu d’avoir égalé les Anciens ; il s’agit de les surpasser. Jamais la Sculpture ne travailla sur un si noble sujet. La Statuë que nous projetons, demande tous les secrets, tous les efforts de vôtre Art. Que toute la Posterité, que tous les Peuples y remarquent la majesté de Jupiter, la beauté d’Apollon, la fierté de Mars ; & pour dire quelque chose de plus encore, & en deux mots, tout ce qui se peut imaginer qu’on y reconnoisse LOUIS LE GRAND.

1

 

Le Conseil receut & approuva la proposition de Messieurs les Echevins, avec toutes les marques de joye qu’elle pouvoit exiger ; & délibera que le Roy seroit tres-humblement supplié de permettre de faire élever en Bronze la Statuë Equestre de Sa Majesté dans Marseille.

[Lettre écrite au Roy, sur le mesme sujet] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 69-73

[...] On écrivit aussi-tost la Lettre suivante, & on le fit avec d’autant plus d’empressement, que le dessein qui venoit d’estre pris, n’estoit pas seulement l’effet de la Harague qu’on venoit d’entendre, mais du zele commun de toutes les personnes dont le Conseil estoit composé.

AU ROY.

SIRE,

Marseille prosternée à vos pieds, ne vient pas demander à Vostre Majesté des graces qui regardent la fortune de ses Citoyens ; le bonheur qu’ils ont d’estre au rang de vos Sujets, leur tient lieu de toutes choses.

Elle pense à sa gloire, SIRE, parce que cette gloire Vous a pour objet. Ce n’est pas assez que vôtre Portrait soit imprimé dans nos cœurs, & qu’il doive passer avec nôtre sang jusqu’à nos derniers Neveux ; nous osons nous proposer de faire le principal ornement de cette Ville d’une Statuë Equestre de Vostre Majesté, en Bronze, s’il luy plaist de nous permettre de laisser à la Posterité cette preuve eternelle de l’amour & de la veneration que nous Vous devons.

Si nostre éloignement nous prive de la satisfaction de contempler vostre Personne sacrée ; ce monument, SIRE, y fera succeder pour nous la consolation de pouvoir du moins reverer Vostre auguste Image. L’avenir le plus éloigné y verra une marque de nostre bonheur & de nos respects, dont il n’y aura que la durée qui puisse avoir quelque rapport avec vos Vertus immortelles. Et à l’égard de tant de Nations de l’ancien & du nouveau Monde, qui abordent à Marseille, cette Statuë renouvellera dans leurs esprits l’idée des merveilles de vostre vie dont elles ont ou senty, ou admiré les effets.

Nous demandons, SIRE, avec une soûmission tres-profonde cette permission si ardemment & si justement desirée. Nous l’esperons comme une des plus grandes faveurs que nous puissions recevoir ; & nous tâcherons de l’executer comme une chose qui doit rendre témoignage à tous les Peuples & à tous les Siecles, du zele avec lequel nous sommes,

SIRE,

De Vostre Majesté.

Les tres-humbles, tres-obeïssans, & tres-fideles Serviteurs & Sujets, Les Echevins & Assesseur de vostre Ville de Marseille, J. Paul. M. Baulme. F. Borely. J. Charpuis. M.A. Chalvet. Assesseur.

[Vers en maniere de Poëme, pour le Roy] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 74-80

POUR LE ROY.

N’estoit ce pas assez que le plus grand des Rois
Eust remply l’Univers du bruit de ses Explois ;
Qu’on ait veu ce Heros que la gloire accompagne,
Triompher tant de fois de l’orgueil de l’Espagne,
Abattre sous ses coups Bataves & Germains,
Et sur passer enfin les plus grands des Romains ;
Qu’à ses fameux Vaisseaux Alger rendant hommage,
Ait tiré par luy seul les Chrestiens d’esclavage.
Et que Gennes tremblante implorant sa bonté,
Vinst soûmettre à ses pieds sa fiere liberté ?
Non, il fait plus encor, suivy de la Victoire,
A borner ses Explois il trouve de la gloire.
Aprés avoir vaincu cent Peuples ennemis,
Satisfait de les voir humiliez, soûmis,
Loin de s’assujettir le reste de la Terre,
Il arreste son bras, & retient son tonnerre.
A l’Europe alarmée il accorde la Paix,
Qui goutant les douceurs d’un calme plein d’attraits,
Et benissant LOUIS dans ce bonheur extreme,
Admire le Heros qui s’est vaincu luy mesme.
Mais de tous ses Sujets, quel est l’estat heureux !
Un repos plein d’appas regne toûjours chez eux,
Rien ne trouble jamais leurs retraites tranquilles,
La pompe & la grandeur éclate dans leurs Villes.
Dans ces superbes lieux on voit de toutes parts
Faire fleurir les Loix, cultiver les beaux Arts.
On y voit dans son jour la plus rare science,
Et jamais la vertu n’y fut sans récompense.
LOUIS la sçait connoistre, & par mille bienfaits
Prévient incessamment les plus vastes souhaits.
Le merite est toûjours chery sous son Empire,
Et dans un calme heureux l’innocence y respire.
Aprés avoir enfin comblé par ses bontez
Ses Peuples de plaisirs & de felicitez,
Son zele va plus loin, il sçait que cette vie
Par un ordre suprême est d’une autre suivie,
Et son cœur genereux plein d’une sainte ardeur,
Veut leur faire une voye à l’eternel bonheur.
D’une funeste erreur ils estoient les esclaves,
Et sans pouvoir sortir de ces noires entraves,
Mille & mille François remplis d’aveuglement,
Languissoient dans l’horreur d’un triste égarement.
Touché de leur malheur, ce Heros magnanime
Brise tous les liens du joug qui les opprime ;
Dévoile leurs esprits, & par ses soins pieux
Les retire du bord d’un précipice affreux.
Sa bonté les conduit, son zele les éclaire,
Et leur ouvre des Cieux la porte salutaire.
De ce Schisme fatal les funestes erreurs
Icy depuis long-temps tyrannisoient les cœurs.
Bien des Rois se servant de leur pouvoir auguste,
CHARLES, HENRY LE GRAND, enfin LOUIS LE JUSTE
Ne l’ont point abattu ; le seul LOUIS LE GRAND
Le terrasse aussi tost que son bras l’entreprend.
Oüy, le Ciel destinoit sa main victorieuse
Pour détruire ce Monstre & sa rage odieuse.
Fils Aisné de l’Eglise, il en défend les droits,
Ses Enfans à l’envy reviennent sous ses Lois,
Et des bords de la Seine aux bords de la Charante,
On voit de toutes parts l’Heresie expirante.
Quel triomphe éclatant pour son heureux Vainqueur !
Vit on jamais Heros atteindre à cet honneur ?
Quelque part qu’un Guerrier porte l’effort des armes,
Il en couste toûjours bien du sang & des larmes.
Mais LOUIS quand il vainc, c’est pour briser des fers,
C’est pour gagner des cœurs au Dieu de l’Univers.
On ne peut remporter de victoire plus belle.
Puisse le juste Ciel dont il prend la querelle,
Conduire à chaque pas ce Heros glorieux,
Et combler de faveurs des jours si précieux,
Faire toûjours briller ses grandes destinées,
Et retranchant nos jours prolonger ses années.

[Eloge du Roy, prononcé à Roüen, par le Pere Chevillard] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 80-95

 

Je vous envoye le Fragment d’un Panegyrique, que j’ay recherché avec d’autant plus de soin, que je l’ay crû digne de vous estre envoyé ; estant persuadé qu’un Ouvrage qui a receu de grands applaudissemens, ne pouvoit manquer de beautez. Les loüanges du Roy y sont mélées avec beaucoup de délicatesse, au sujet des Conversions que l’Eglise doit à son zele & à sa pieté. Le Panegyrique est de Saint François de Sales, il fut prononcé avec beaucoup d’éloquence à Roüen, dans le grand Convent des Religieuses de la Visitation le 29. du mois de Janvier jour de la Feste du Saint, par le R.P. Chevillard, Chanoine Regulier de Saint Augustin, de l’Ordre de Saint Antoine. Il fit entrer dans la suite de son Discours Saint François de Salles, comme un Apostre dans le Chablais, qui estant une Province du voisinage de Geneve, avoit suivy sa revolte & ses erreurs. Aprés avoir remarqué, Que l’Eglise a ses temps de souffrances & ses temps de repos ; qu’il y a une Providence qui l’afflige, & une Providence qui la console ; & que si Dieu permet quelquefois que le Demon luy arrache ses Enfans d’entre ses bras par des Jugemens de sa Justice, soit pour punir les pechez des Peuples, soit pour réveiller le zele des Pasteurs ; il le force aussi de les luy rendre par des Jugemens de sa Misericorde dans les temps qu’il a marquez. Il montra, que ces Jugemens de Misericorde & de Justice n’avoient jamais mieux éclaté qu’en ces derniers temps si funestes à l’Eglise ; où l’Allemagne seduite par l’Apostasie de Luther, l’Angleterre separée par le Schisme de Henry VIII. & la France reformée, ou plûtost difformée par la pretenduë Reforme de Calvin, estoient les fruits de nos pechez, Dieu n’ayant laissé sortir du fond de l’abisme cette noire & puante vapeur, qui, selon l’expression de l’Apocalipse, obscurcit le Soleil, sinon pour punir les tenebres du cœur par les tenebres de l’esprit. Il fit voir ensuite, Que si ces Jugemens estoient justes, ils n’avoient pas esté sans misericorde, puisque soixante & dix années abandonnées à l’Heresie, appaiserent déja sa colere sur une partie de son Peuple.

Aux Portes de Geneve, dit il, Ville rebelle à son Prince & à son Dieu, siege d’iniquité, l’azile du crime & de l’erreur, il suscita le grand Saint François de Salles, pour subvenir au Monde Chrestien, & commencer en Evesque par sa douceur, ce que le pieux, ce que l’invincible, ce que LOUIS LE GRAND vient d’achever en Roy par son authorité ; mais en Roy Tres-Chrestien, qui purifie le Christianisme de la corruption & de l’erreur, & qui soigneux du salut de ses Sujets, comme s’il en estoit le Pere, envoye ses Serviteurs le long des grands chemins, afin qu’ils battent les hayes, les buissons & les épines, & qu’ils forcent tous les retranchemens de l’Heresie par des guerres innocentes. Heureux les Captifs volontaires qu’ils ont entraisnez aux pieds des Autels dans le cours de leurs victoires ! Heureux les pauvres que le Prince a gagnez par ses charitables aumônes ! Heureux les foibles & les boiteux, à qui il a tendu sa main Royale & son Sceptre pour les conduire à l’Eglise ! Heureux les aveugles & les esprits ténebreux, à qui il a envoyé des Guides éclairez pour les ramener dans le beau jour de la Verité ! Mais heureux luy-mesme, & mille fois heureux, d’y faire ainsi entrer par d’innocens moyens tous ceux que le malheur de leur naissance avoit separez de l’Eglise, afin que, selon le pieux desir du Pere de famille, toute la maison se remplisse par ses soins ! Vt impleatur Domus mea tota. Quel changement heureux ! quelle joye pour nous ! quelle douceur ! quel bonheur de n’avoir plus aujourd’huy qu’une mesme Maison, un mesme Temple, & un mesme Autel. Il estoit reservé au plus Chrétien de tous les Rois, de renverser & démolir tous les autres, semblable à ce Saint Roy de l’Ecriture, qui non content de ne point fléchir un genoüil superstitieux devant les Idoles, que les Rois ses Prédecesseurs avoient souffertes autour de Jerusalem, fit même détruire & brûler leurs Autels, afin qu’on n’en vist plus nul vestige. Telle a esté en ces derniers jours la Pieté de LOUIS ; ces Chaires d’erreur brisées & renversées ; ces Temples démolis & confondus avec la poussiere ; les Loups chassez loin du Troupeau, les Ministres hors du Royaume ; ce Peuple nouvellement acquis à Jesus-Christ ; voilà l’Eloge de François de Salles ; voilà l’Eloge de LOUIS ; celuy d’un grand Saint, & celuy d’un grand Roy.

Oüy grand par toutes ses autres Vertus, soit pacifiques, sot guerrieres ; mais plus grand encore par cette action récente de sa Pieté, quoy qu’il nous parust que sa grandeur ne pouvoit plus croistre ; mais nous ne prenions pas garde que si elle ne pouvoit plus croistre devant les hommes, les grands & glorieux évenemens de son Regne incomparable ayant mis le comble à sa grandeur à nôtre égard, elle pouvoit encore croistre à l’égard de Dieu.

Il y a dans la Nature un point fixe d’élevation, au dessus duquel le Soleil ne monte plus ; & déja depuis longtemps, les yeux humains contemploient le Soleil du Monde François dans ce point suprême de grandeur, & dans le Midy subsistant de sa gloire ; mais dans la grace rien n’y est fixe, rien n’y est borné ; comme elle sort du sein de Dieu, elle ne s’arreste nulle part parmy les Creatures, qu’elle n’ait achevé ce cercle de lumiere qui la rappelle au premier point de son origine, où elle monte toûjours de splendeurs en splendeurs par des degrez qui se suivent, mais dont on ne trouve jamais le dernier. Par là, LOUIS a pû s’ouvrir de nouvelles routes à une belle gloire inconnuë aux anciens Heros, & monter du costé de Dieu à de nouveaux degrez de grandeur par sa Pieté, aprés avoir parcouru du costé de l’homme tous les autres par sa valeur.

Le Roy donc, grand devant les hommes, grand devant Dieu ; le Roy, les delices de ses Peuples, l’étonnement des Etrangers, & le spectacle de tout l’Univers, n’aura point à l’avenir de plus grande gloire que celle d’avoir fait regner dans toute l’étenduë de son Empire celuy par qui il regne luy-mesme si heureusement & si glorieusement.

Ce que je dis, Mesdames, n’est point étranger à mon discours. Les loüanges de vostre Roy en cette rencontre, sont les loüanges de vôtre Pere, & j’ay crû ne pas abandonner l’Eloge de Saint François de Salles, en rappellant à vôtre memoire les choses passées par l’exemple des presentes. Rien n’entre si naturellement & si noblement dans mon discours, que cette religieuse application du Prince à réünir à l’Eglise Romaine ceux de ses Sujets qui s’en trouvoient separez par le malheur de leurs Peres. Là je vois tout le zele & la pieté de Saint François de Salles, dont les soins n’alloient qu’à convertir des ames à Dieu. Là je découvre toutes les Victoires d’un Heros du Christianisme, d’un Apostre de Jesus-Christ, du grand Evesque de Geneve, comme dans ses Victoires Chrestiennes je trouve aussi toutes celles que nos infatigables Prelats, & leurs Troupes sacrées, viennent de remporter avec tant de gloire sur les mesmes erreurs. Leur travail, leur doctrine, leur zele, leur prudence, leur douceur, voilà quelles furent les Vertus qui servirent à Saint François de Salles à faire tant de conquestes à Jesus-Christ.

Sur le fierté du Cheval qui porte le Roy. Sonnet §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 96-97

Sur la fierté du Cheval qui porte
la Statuë du Roy
.
SONNET.

Qu’on ne nous vante plus le superbe Cheval
Qui ne pouvoit souffrir un autre qu’Alexandre,
Tout ce qu’on en a dit, il est vray, peut surprendre,
Mais nous en voyons un qui n’eut jamais d’égal.
***
D’un air fier & hardy l’on voit cet animal
S’élancer furieux comme s’il vouloit fendre
Cent Bataillons épais, afin de leur apprendre,
Que tous doivent ceder à son fardeau Royal.
***
En vain nos Ennemis l’arrestent sur le Tibre,
Malgré tous leurs efforts il se rend bien tost libre,
Et bondissant de joye il les brave aisément.
***
Comme s’il distinguoit le prix de sa Victoire,
Il traverse les Mers pour aller promptement
Porter LOUIS LE GRAND sur le Mont de la Gloire.

[Discours au Roy, sur la Conversion des Heretiques, par le Pere Claude Sallé, Celestin] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 98-100

AU ROY.
Sur la Conversion des Heretiques.

Grand Roy, qui avez cette clarté de jugement qui tire les Heretiques des ténebres du mensonge, & qui découvre à leurs yeux l’éclat de la Verité, nous ne devons plus regarder le Soleil que comme un Ambassadeur muet, qui nous avertit de vous consacrer nos hommages dés le commencement du jour, & qui nous dit par son silence que vous n’estes pas seulement juste dans vos Guerres, genereux dans vos Combats, clement dans vos Victoires, moderé dans vos Triomphes ; mais que vous témoignez que la tranquillité de l’Eglise vous est plus chere que le repos que vous donnez à la France. Monarque invincible, qui n’estes pas moins au-dessus des autres par la grandeur de vos Actions, que par la Dignité de vostre Sceptre. Objet digne de Vous-mesme, & seul capable de Vous donner une gloire qui réponde à vôtre Grandeur, nous publions qu’il n’est rien de si auguste que les perfections qui sont renfermées dans Vostre Majesté ; mais que pouvons nous dire pour en bien parler, sinon de protester que vous vous estes acquis un triomphe immortel dans l’esprit de vos Peuples ; & qu’aprés avoir détruit ce Monstre, qui ne subsiste que de la perte des Mortels, vous n’aurez point d’autre siege dans le Ciel, que le Trône des Cherubins, des Puissances, & des Dominations.

Par le Pere Claude Sallé, Celestin.

Plaintes de l’Eglise contre ses Enfans Rebelles §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 100-127

PLAINTE DE L’EGLISE
Contre ses Enfans Rebelles.

 Vous qui semblez cherir la paix
Du moins faites mieux voir que la Paix vous est chere,
 Qu’en desavoüant mes bien-faits
Et qu’en vous separant d’avecque vôtre Mere.
 Esprits trop attachez à vos illusions.
 Esclaves malheureux de vos opinions ;
Cedez à la raison, rendez enfin les armes,
 Et connoissez ma voix ou respectez mes larmes.
Bien qu’Enfans revoltez, vous estes mes Enfans ;
Je vous ay tous portez & concûs dans mes flancs,
Et si vous m’accusez d’un infame divorce
D’avec ce Dieu Puissant qui fait toute ma force ;
Si j’ay brisé les fers de cét aimable Espoux,
Quel nom devez-vous prendre, ou quel Pere avez-vous ?
Certes, loin de prévoir ce blâme temeraire,
J’ay servy de Nourrice aussi-bien que de Mere :
J’ay pour vous élever épuisé mes efforts,
J’ay prodigué pour vous, mes soins & mes tresors ;
Et si dans cette Secte où l’erreur vous engage
Vous pretendez avoir la justice en partage,
Si vous l’avez receuë & si vous la donnez,
C’est de moy qu’Elle vient, & que vous la tenez.
Pourquoy donc inconstant que le Ciel abandonne,
Pourquoy chercher ailleurs des Trésors que je donne.
 Vous qui semblez cherir la Paix,
Du moins faites mieux voir que la Paix vous est chere,
 Qu’en desavouant vos bien-faits
Et qu’en vous separant d’avecque vôtre Mere.
***
Je sçay que les abus & les déreglemens
Servent souvent d’excuse à ces soulevemens,
Que de beaucoup des miens la licence invincible
Est à vostre revolte un pretexte plausible ;
Que vous laissant séduire à de fausses couleurs,
Vous blâmez la Doctrine en regardant les mœurs,
Sur tout, si cét abus va jusqu’à mes Ministres,
Vous courez aussi-tost à des projets sinistres ;
Alors il faut ailleurs chercher la Verité,
Faire Autel contre Autel, & rompre l’Unité,
La faute du Ministre à vostre esprit severe
Devient au mesme temps celle du Ministere,
Au lieu de punir l’un ou de le reformer,
Il faut ou changer l’autre, ou bien le supprimer ;
 Mais helas ! pour l’erreur, ou le peché du Frere,
Faut-il cruellement abandonner la Mere,
 Et qu’un débordement qu’on me voit detester
Malgré mon amitié vous force à me quitter ?
Le Sauveur des humains nous paroist dans l’Eglise
Avec un grand filet, tout chargé de sa prise,
 Qu’on retire de l’onde avec beaucoup d’efforts,
 Et qui vient étaler son Butin sur les bords ;
 Le Pescheur suspendant sa douleur & sa joye
 D’un regard attentif examine sa proye,
Et trouvant dans ses Rets bons & mauvais Poissons
Rejette les mauvais & reserve les bons :
Cette comparaison bien prise & bien conceuë
Peut rendre la lumiere à vostre ame deceuë,
Elle peut rappeller vos esprits égarez,
Et desiller enfin vos yeux mal éclairez ;
Ce divorce eternel des uns d’avec les autres
Est pour le dernier jour & non pas pour les nostres ;
Il faut que le filet se traisne jusqu’au bord,
Que la sainte Nacelle arrive jusqu’au Port,
Et qu’elle offre à son Juge & clement & severe,
De quoy faire éclater, sa grace & sa colere,
Cependant gardons bien de détruire la Paix,
De briser la Nacelle ou de rompre les Rets,
Tant qu’au dernier des jours ce Juge redoutable
Separe l’innocent d’avec le coupable.
Sur les crimes des miens je pleure comme vous,
Mais ma tendre amitié les souffre avec nous ;
Il faut que le peché marque sa tirannie,
Qu’avecque le froment croisse la zizanie.
Il faut laisser venir leur derniere saison,
Et pour les separer attendre leur moisson,
Avecque le bon grain il faut souffrir la paille,
En vain à l’en purger nostre esprit se travaille,
Tant que le Maistre vienne & que le van en main
Il réjette la paille, & garde le bon grain.
En un mot confessons qu’en l’estat où nous sommes
Ce droit de separer n’appartient point aux Hommes,
Nostre esprit agité de son propre desir
Ne sçait pas justement ou laisser ou choisir,
Et si d’autres clartez sur luy ne viennent luire
Son propre sens l’égare au lieu de le conduire.
Laissez donc mes Enfans ce soin à diviser,
A cét œil clair-voyant qui ne peut s’abuser,
Et pour l’aveuglement, ou le crime du Frere
Sçachez qu’il ne faut pas abandonner la Mere ;
Mais que sert d’épargner vostre confusion
L’erreur est le signal de la division,
Et depuis ce moment qui vit naistre l’Eglise,
La Verité nous joint & l’Erreur nous divise.
 Vous qui semblez, &c.
***
Que si d’un Dieu vivant les importans discours
De vos soulevemens n’arrestent pas le cours,
Si sa parole en vous trouve une ame rebelle,
Du moins que son exemple instruise vôtre zele ;
Il voit ce deserteur qui songe à le trahir,
Il voit ses noirs projets & ne peut le haïr,
Loin de le retrancher d’avec ses Apôtres,
Il le carresse autant qu’il carresse les autres ;
Il veut malgré l’horreur de ses impietez
Qu’il annonce aux humains les grandes veritez,
Il veut qu’il participe au plus haut des Mysteres,
Et traitte un Ennemy comme il traitte ses Freres.
Voilà cette douceur qu’il falloit imiter.
Vous deviez nous souffrir & non pas nous quitter ;
Peut-estre qu’on verroit la licence détruite
Par vostre bon exemple & par vostre conduite,
Et que de vos vertus l’éclat officieux
Reschaufferoit nostre ame, éclaireroit nos yeux ;
Mais à d’autres conseils vous vous laissez conduire,
Vous vous cachez de nous de peur de nous instruire,
Vous fuyez mes Enfans comme des Scelerats,
Vous les traittez plus mal qu’on n’a traitté Judas.
Et pour l’aveuglement, ou le peché du Frere
Vous avez lâchement abandonné la Mere.
 Vous qui semblez, &c.
***
 Que sert de vous cacher des maux que nous sçavons
Vous avez des pescheurs comme nous en avons,
Et si d’avec nous le peché vous divise,
Proscrivez le chez-vous aussi-bien qu’en l’Eglise ;
Retranchez hardiment ce qui peut vous tâcher,
Et vous aurez sans doute assez à retrancher ;
Mais une autre maxime à droit de vous conduire,
Toute vostre vertu n’aboutit qu’à me nuire,
Et c’est executer saintement vostre Loy
Que d’outrager mon nom & tonner contre moy.
Parmy vos Sectateurs pourveu qu’on me haïsse,
Il n’est gueres de crime ou d’erreur qu’on punisse,
Quiconque a declaré contre moy son couroux,
Quelque Secte qu’il suive est bien venu chez vous.
N’importe que sa Loy soit contraire à la vostre,
Il tient vostre party, s’il attaque le nostre ;
Les pechez, les erreurs que vous nous reprochez,
Pour luy perdent le nom d’erreur & de pechez,
Et vostre aveuglement vous unit à des Hommes
Qui vous sont opposez bien plus que nous ne sommes,
Aussi ce nouveau Corps de membres si divers
Etale vostre honte aux yeux de l’Univers,
Et du plus clair voyant, l’ame est toute interdite,
Sçachant qu’on les reçoit, & sçachant qu’on me quitte.
 Vous qui semblez, &c.
***
 Je sçay bien jusqu’où va vostre injuste fureur,
Vous allez me charger d’opprobres & d’horreur,
Et pensez qu’à mes yeux vostre honte se cache,
Pourveu que l’on m’imprime une plus noire tâche.
Nous choquons direz-vous, les point Fondamentaux,
Nous adorons des Dieux de marbre & de métaux,
Nous avons lâchement par des raisons frivoles
Rappellé des Enfers le culte des Idoles ;
Nous avons transferé l’honneur d’un Dieu jaloux
A des Divinitez aveugles comme nous.
Ainsi l’Idolatrie & ses noires maximes
Rendent vos factions saintes & legitimes.
C’est ce Monstre hideux qui vous a devorez,
Qui vous a fait horreur & vous a separez ;
Mais ou d’un faux brillant ma raison est guidée,
Où ce Monstre hydeux n’est que dans vostre idée.
Pour seduire les cœurs vous feignez d’ignorer,
Ou bien vous ignorez ce que c’est qu’adorer,
Sçachez que c’est connoistre avecque déference,
La Majesté suprême & nostre dépendance,
Et rendre un plein hommage à l’Estre Souverain,
De l’Estre dépendant qui nous vient de sa main.
C’est la Loy qu’il impose à tout ce qu’il fait naistre,
C’est là, ce grand devoir qu’exige grand Maistre ;
C’est cét honneur qu’il aime à recevoir de nous
Le droit qu’il se reserve & dont il est jaloux.
Aussi qui dans son Temple a rendu ces hommages
A la grandeur des Saints, ou bien à leurs Images ?
Nous sçavons nous garder de tous ces faux appas,
Nous pouvons reverer, mais nous n’adorons pas.
L’honneur que Dieu demande est d’un plus haut étage,
Celuy qu’on porte ailleurs luy feroit un outrage,
Et si nous luy rendions l’honneur qu’on rend aux Saints
La foudre partiroit justement de ses mains,
Ce Culte ravalé deviendroit une offense,
Et contre un faux respect armeroit sa vengeance ;
Mais si l’erreur tient là vos esprits arrestez,
Que ces illusions passent pour veritez,
Pour laisser quelque force aux traits qu’on nous décoche
Changeons la calomnie en un juste reproche.
Quand nous aurions blessé l’honneur d’un Dieu jaloux
Ce n’estoit pas assez pour rompre avec nous,
Quand vous auriez senty la contrainte & la force
C’estoit peu pour courir à ce honteux divorce,
Et vous ne deviez pas en cette extremité
Faire Autel contre Autel, & rompre l’Unité.
***
L’Eglise des Hebreux a parmy ses Fidelles
Veu des Enfans pervers & des ames Rebelles.
Elle a veu mille fois fumer en mesme lieu
L’Encens pour les faux Dieux, comme pour le vray Dieu,
Au milieu de son Temple elle a veu l’Idolatre
Rendre hommage à des Dieux de métail & de plâtre,
Les Justes abbatus sous un cruel effort,
Les Prophetes livrez à la plus rude mort,
Les Prestres devenir de sanglantes Victimes,
Et les plus noirs forfaits se rendre legitimes,
Cependant elle n’ose en cette extremité
Faire Autel contre Autel & rompre l’Unité ;
Elle souffre avec elle un Monstre qui l’étonne,
Mais c’est Dieu qui le veut, & c’est Dieu qui l’ordonne.
C’est ce Dieu de la paix qui verse dans les cœurs
La haine des pechez, & l’horreur des Pecheurs,
Au point qu’elle gemit de sous la tyrannie
A ses cruels Tyrans elle fait compagnie,
Le Juste au Scelerat meslé confusément,
N’ose s’en separer que de cœur seulement ;
Donc si la verité peut souffrir l’imposture,
Si celuy qui connoist l’Autheur de la Nature
Demeure avec celuy qui ne le connoist pas,
Quel pretexte choisir à vos grands Attentats ?
La gloire de mon Nom à t’elle esté fletrie ?
Par des crimes plus noirs que n’est l’Idolatrie ?
Quel forfait assez grand vous separe de nous ?
N’avons-nous pas encore le mesme Dieu que vous ?
Avons-nous mit Baal ou Moloch en sa place ?
Attendons-nous d’un autre ou la perte ou la grace ?
Non, non, cœurs abusez, nous ne voulons que luy,
Il est tout nostre espoir & fait tout nostre appuy.
Lorsque nous reverons ou prions ceux qu’il aime,
Nous n’honorons en eux que sa bonté suprême,
Et ce Culte innocent qu’on leur rend icy bas
Ne passe que par eux & n’y sejourne pas.
Quiconque aime du Roy la personne Sacrée
Respecte son Portrait, son Sang & sa Livrée,
Et ce Prince équitable au lieu d’estre jaloux
Croit recevoir l’honneur qu’ils reçoivent de nous.
Ainsi loin d’outrager le Monarque suprême,
Nous servons sa grandeur en aimant ceux qu’il aime ;
Tout ce que je revere en Terre ou dans les Cieux
Ce n’est que par rapport à son Nom glorieux,
Et je proscris tout haut toute la déference,
Qui va se terminer dans une autre puissance.
 Vous qui semblez, &c.
***
 Autrefois le plus grand de tous nos differens
Estoit ce beau Mystere où se perdent les sens
Où d’un Dieu Tout Puissant les paroles expresses,
Promettent un Soleil sous les ombres épaisses,
Où du Sauveur enfin l’amour ingenieux,
Le découvre à nos cœurs, & le cache à nos yeux ;
C’estoit dis-je pour vous un devoir trop penible,
De croire un Dieu caché sous un signe visible,
Les trompeuses clartez d’un orgueilleux sçavoir,
A leur foible compas y regloient son pouvoir,
Et c’estoit contre nous provoquer sa vengeance
D’y chercher Jesus-Christ & croire sa presence ;
Mais vos nouveaux Decrets ont receu parmy vous
Cette Secte du Nord qui la croit comme nous.
Son cœur comme le nostre en ce point s’humilie
Sa raison se soumet & sa sagesse plie,
Comme nous elle avoüe, & de bouche & de cœur
Cette Realité qui vous fait tant d’horreur,
Et sans chercher de preuves & d’argumens sensibles,
Connoit un Dieu caché sous des signes visibles.
Je le sers direz-vous en un estat si bas,
C’est l’abus que je souffre & qu’il ne souffre pas ;
J’adore mon Epoux sous ce nuage bléme,
Par tout où je le croy, je l’embrasse & je l’aime,
Et dussent les Enfers avec vous murmurer,
Par tout où je le croy je le veux adorer,
Les Peuples ont pour vous des regles bien plus sages,
De croire un Dieu present sans luy rendre d’hommages,
De braver hardiment Jesus-Christ à ses yeux,
Aussi de vostre accord c’est le nœud specieux ;
Mais rappellez un peu vostre esprit qui s’égare,
Voyez ce qui vous joint & ce qui vous separe,
Respectez mon Espoux où je pretens qu’il est ;
Sçachez que c’est luy rendre un devoir qui luy plaist,
Sachez que c’est luy seul qui cherche cét hommage,
Quand il n’y seroit pas, c’est luy que j’envisage
Quand la credulité seduiroit mon ardeur,
Je ne fais pas un crime en luy donnant mon cœur,
Ou quand j’aurois enfin mal conceu sa parole,
Qui n’adore que luy ne sert pas un Idole.
Mais c’est un attentat des plus noirs d’icy bas
De croire sa presence & ne l’adorer pas,
Ou des sacrez concerts ou des Legions d’Anges
Celebrent sa grandeur & chantent ses loüanges ;
Certes c’est un mépris qu’il vous faut abhorrer
Que l’homme l’y connoisse, & n’ose l’adorer.
Aussi l’Autheur fameux de vostre infame Schisme
Auroit plûtost tenu pour le Mahometisme,
Plûtost avecque nous il auroit fait accord
Que de s’unir jamais à la Secte du Nord,
Mais enfin dans nos jours la Verité suprême
A voulu que l’erreur s’arme contre elle-mesme,
Que vous fassiez un Corps de Membres si divers,
Qu’il étale sa honte aux yeux de l’Univers,
Que la raison s’alarme & que la foy s’étonne,
De voir ce qu’on reçoit & ce qu’on abandonne.
 Vous qui semblez, &c.
***
 Revenez donc enfin, Revenez mes Enfans,
C’est trop que vostre erreur ait subsisté cent ans,
Et c’est injustement qu’elle vous semble belle,
Puisque cent ans passez elle n’est plus nouvelle,
Encore que pour moy vous n’ayez que rigueur
Je veux ouvrir pour vous & mes bras & mon cœur ;
Bien que vous n’ayez plus que haine & que colere,
J’ay toûjours de l’amour & je suis toûjours Mere ;
Helas ! pour vous resoudre à rompre avecque moy
A changer ma Doctrine & faire une autre Loy,
Pour donner aux humains de si honteux exemples,
Que vous aurois-je fait ? ou qu’avoient fait mes Temples ?
Qu’avoient fait mes Autels si chers à vos Ayeux,
Pour estre le supplice & l’horreur de vos yeux ?
Vous eut-on menacé de vous arracher l’ame,
De vous faire éprouver & le fer & la flame ?
De vos sombres terreurs il falloit triompher,
Et braver à la fois & la flame & le fer ;
Il falloit constamment attendre cét orage,
Vous armer d’un beau zele & d’un ferme courage,
Et non point vous soustraire à cette extremité,
Diviser Jesus-Christ & rompre l’Unité.
Ainsi que dans son tronc la branche divisée
Est de son propre suc aussi-tost épuisée,
Ainsi que de son Corps un Membre separé
Devient en mesme temps, pasle & défiguré,
Ainsi qui d’avec moy veut faire un plein divorce
Voit mourir à l’instant sa couleur & sa force,
Et l’aliment qu’il cherche ailleurs qu’en ma Maison
Ne porte dans son cœur qu’absinte & que poison ;
Certes, si l’un des miens dans une audace extrême
Semble d’avecque moy se separer luy-mesme,
Je proscris quelquefois cét Enfant revolté,
Mais sans troubler la paix ny rompre l’Unité ;
La plus saine raison permet bien qu’on se haste,
De retrancher du corps un Membre qui le gaste,
Mais c’est un nouvel ordre & de nouveaux efforts,
Qu’un membre s’authorise à retrancher le Corps ;
Voilà pourtant, voilà cette noire conduite,
Où malgré ma douleur vostre Secte est reduite,
Et ce petit Troupeau divisé du plus grand
Est de vostre revolte un visible garand,
N’allez plus alleguer des feintes concertées,
Des crimes supposez des erreurs inventées.
On voit des deux partis qui tient la Verité,
Quand on sçait qui des deux, entretient l’Unité,
C’est la roche constante & la ferme colomne,
Que l’Enfer conjuré ne sappe ny n’étonne,
Qui s’y tient attaché ne s’ébranle jamais,
Et c’est là seulement qu’il rencontre la Paix.
Sus donc rendez enfin les Enfans à la Mere,
Songez à réünir le Frere avec le Frere,
Que vos esprits flottans s’arrestent à ce point,
De ne diviser plus ce que le Ciel a joint,
Puisque ces factions, ces revoltes celebres
Ne sont que les Enfans du Prince des Tenebres.
 Vous qui semblez cherir la Paix,
Du moins faites mieux voir que la Paix vous est chere,
 Qu’en desavoüant mes bien-faits,
Et qu’en vous separant d’avecque vôtre Mere.

[Lettre du Roy de Perse, au Roy] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 127-136

 

Comme tout ce qui est dans cette seconde Partie de la Lettre que je vous envoye tous les mois regarde le Roy, ou la Religion, & que ce qui la concerne n’est qu’un effet de l’application des soins de Sa Majesté, pour son accroissement & pour sa gloire ; je crois d’autant plus devoir donner place icy à la Lettre du Roy de Perse, dont vous avez déja oüy parler, qu’elle marque le zele de cét Auguste Souverain, pour tout ce qui la regarde, mesmes dans les Pays les plus reculez où elle a plus besoin de protection. Quoy que cette Lettre ne soit pas nouvelle, elle ne laissera pas de donner le mesme plaisir qu’on prend à toutes les choses curieuses qui n’ont point encore esté veuës, & qui sont toûjours nouvelles pour ceux qui les apprennent ou qui les voyent pour la premiere fois. Cette Lettre fut presentée au Roy par Mr Athanase Saffar Evesque de Maredin & de Nisibin en Mésopotamie. Elle a esté traduite par Mr de la Croix Interprete du Roy en Langue Persienne ; Ainsi vous devez croire que cette Traduction est fidelle. L’Evesque qui la presenta ne parla au Roy qu’en Langue Arabique, & fit son Compliment en Italien à Monseigneur le Dauphin, à Madame la Dauphine, à Monsieur & à Madame ; & quoy que toutes ces Augustes Personnes eussent une parfaite connoissance de la Langue Italienne, comme il est de leur Dignité qu’on leur explique tous les Discours qu’on ne leur fait point en leur Langue ; Ces Complimens furent interpretez par Mr de Carfueil, qui depuis Marseille avoit esté chargé de la conduite de cét Evesque. Voicy la Lettre du Roy de Perse.

C’est à Dieu à qui la Gloire
suprême est deuë.

Louis Empereur, qui faites honneur aux Roys par la Majesté, par la grandeur d’Ame, par la gloire & le bon-heur qui sont en vous, dont la Dignité est aussi élevée que les douze Maisons Celestes ; Qui avez une ardeur de Lion dans les Combats, & une Conscience si juste qu’elle donne de l’éclat au Trône Imperial que possede Vostre Majesté si digne de ce Trône sur lequel vous estes assis, & de la Couronne qui couvre de gloire Vostre Teste par vostre courage & vostre équité, qui estes le plus Grand, le plus Noble, le plus Liberal & le plus Magnifique des Roys & des Empereurs Chrétiens, & le Tres-Puissant Monarque des Royaumes de France. Nous donnons avis à vostre Haute Majesté, que nous avons heureusement receu par l’Evesque de Cesaropolis la belle Lettre dont vous l’avez chargé, qui marque vostre sincerité, & la bonne intelligence que vous voulez garder avec nous, en fortifiant les fondemens de l’union qui a esté contractée avec les Peres & Ayeuls de Vostre Majesté Imperiale, & les Roys de nostre tres glorieuse & tres-Auguste Famille. Cette Lettre a donc renouvellé dans nostre cœur la tendresse, & l’amitié ancienne & nouvelle, & comme vous nous y avez recommandé les Chrestiens Armeniens de la Province de Nakchivan avec des termes obligeans ; Je vous diray qu’il est vray qu’il arrive quelquefois que les Gouverneurs de Nakchivan estant changez, ces nouveaux venus n’estant pas informez de la recommandation de Vostre tres-Excellente Majesté, ny de l’auguste Commandement que nous avons fait en consequence de cette Recommandation ; ils ont peut estre manqué de proteger ces Armeniens. Pour ce qui concerne la Demande que vous faites d’un Commandement plus exprés & plus fort en faveur de l’Evesque de Cesaropolis, & des Chrétiens Europeans Catholiques Romains, principalement à l’égard des Peres Jesuites vestus de noir ; Je vous répondray que nostre intelligence semblable au Soleil qui penetre tout, a esté pleinement informée de toutes ces affaires, avant mesme que vostre Haute & Imperiale Majesté nous eut fait l’amitié de nous écrire son intention pour la protection des uns & des autres. Un Ordre à Papillon dont la Noblesse se fait obeïr souverainement, avoit déja esté delivré de nostre part en leur faveur, ainsi que nous avons marqué autrefois dans la Lettre d’amitié que nous vous avons écrite sur ce sujet. Cet Ordre est dans toute sa force, & presentement executé avec ponctualité par le nouveau Commandant, sans qu’il y ait sur ce sujet aucune innovation. Si vôtre Majesté à quelques autres affaires dans ce Pays faites le nous sçavoir, & nous donnerons nos Ordres à ce que les Esclaves de nostre Tribunal qui est la figure de celuy de Dieu, les executent selon vostre plus grand plaisir. Je souhaite que tous vos desseins ayent un succés aussi favorable que vous pouvez desirer.

Le Sceau du Roy de Perse, où est gravé Soliman Esclave d’Aly, Roy de la Sainte Terre, est attaché à cette Lettre, & autour du Sceau sont les Noms des douze Imans ou Prelats de la Religion de Perse.

Il y avoit autrefois un Papillon marqué à ces Ordres, qui sont les plus considerables de tous ceux qui sont accordez par le Roy de Perse.

[Idile au Roy [et prière], par Mr Perry] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 136-145

AU ROY,
IDILE.

Lors qu’une heureuse Paix donne à toute la France
 Des biens qui passent nos desirs,
 Que la joye & que l’abondance
 Y regnent avec les plaisirs ;
Chantez Muses chantez des Victoires nouvelles,
 C’est LOUIS, c’est vostre Heros,
 Qui par de glorieux travaux
 Rend ses Conquestes immortelles.
  Ce n’est plus Bellone en couroux
Qui soumet à ses Loix des Provinces rebelles,
Dans ce Triomphe heureux tout est tranquille & doux.
Je sçay que justement vous estiez alarmez,
Quand on voyoit LOUIS commander nos Armées ;
 Que rien ne calmoit vostre peur
Que le plaisir charmant de revoir ce Vainqueur,
 Si l’on disoit que la Victoire
Portoit ce nouveau Mars en des bords étrangers ;
Quoy faut-il disiez-vous, que l’amour de la Gloire
L’Expose tous les jours à de nouveaux dangers.
 Aujourd’huy qu’il veut bien loin du bruit de la Guerre
 Montrer sa grandeur à la Terre,
 Vaincre sans donner des Combats,
 Que nos voix ne soient plus tremblantes,
 Et que sur l’appuy de vos bras
Vos Lires, doctes Sœurs ne soient plus chancelantes.
  Vous sçavez par combien d’Exploits
 Il a signalé son courage,
 Son bras à fait trembler cent fois
 Le Rhin, le Pô, l’Ebre, & le Tage ;
 Vous sçavez qu’en tout l’Univers
  Rien n’est égal à sa puissance,
Les Monarques lointains cherchent son alliance,
Aux Corsaires d’Alger il a fermé nos Mers,
 Et fait taire leur insolence,
 Aprés tant d’Exploits inoüis,
Une infame furie, une Fille rebelle,
Un Monstre que la faim chassa de la Rochelle,
L’Heresie en un mot expire sous LOUIS.
Nos Rois en ont en vain entrepris la défaite,
 Leur Victoire estoit imparfaite,
 Cét Hydre écrasé renaissoit
 Sous le coup qui le terrassoit,
 Sa défaite augmentoit sa rage
 Le trépas luy rendoit le jour,
 Il sortit tout fier du Carnage
 De Jarnac & de Moncontour,
 Nos Villes estoient au pillage
Nos Citoyens trahis, nos Temples prophanez,
 Nos Roys exposez à l’outrage,
 Et nos Prestres assassinez.
Oublions aujourd’huy ces disgraces passées,
Nous vivons sous un Regne & plus doux, & plus beau,
 Nos larmes sont recompensées,
Nous avons en LOUIS un Alcide nouveau,
 Bien mieux que le Dieu de la Fable
Qui pour rendre le Ciel aux hommes redoutable,
 Foudroya jadis les Titans
Qui disputoient aux Dieux leurs Trônes éclatans.
LOUIS pour rétablir la France dans la France
 Ne donne rien à la vengeance,
 Mais son zele & sa pieté
Rappellent dans tes cœurs l’ancienne verité,
Remettent dans ses droits cette Illustre exilée,
Et de tant de Sujets on la voit rappellée,
Que la Foy qu’ils professe unira tous les cœurs,
Et le Ciel n’aura plus de faux Adorateurs ;
 C’est ainsi que LOUIS avec un soin extrême
Moissonne des Lauriers qu’il ne doit qu’à luy-mesme,
 Et qu’il daigne par des bien-faits
Des nouveaux Convertis prevenir les souhaits,
Aussi pleins de ses biens & de ses grands exemples ;
Nous les voyons en foule accourir dans nos Temples,
De leur retour heureux nous rendre les témoins,
Et benir de LOUIS les travaux & les soins.
 Jadis quand il soûtint l’Europe toute entiere
Qu’au pouvoir de ses Loix il la pouvoit ranger,
 Ce Prince loin de se vanger
Eut pour ses Ennemis la tendresse d’un Pere,
 De mesme son grand cœur fait agir ses bontez,
Sur ceux dont il pourroit forcer les volontez,
 Sa vertu pretend seule en avoir la Victoire,
Et veut avec le Ciel en partager la gloire.
 Que ne devras tu point à ces nouveaux Lauriers ?
Nourrice des beaux Arts, Mere des grands Guerriers,
France ? qui vit jadis les discordes Civiles
Ouvrir à l’heresie & les cœurs & les Villes,
Tu ne reverras plus l’injuste nouveauté,
Des Mœurs de tes François soüiller la pureté.
Mais faire triompher la veritable Eglise,
Ne vouloir point souffrir que l’Erreur la divise,
Reünir à son corps des membres separez,
Remettre dans son sein des Enfans égarez,
Rendre à Rome aujourd’huy toute son étenduë,
Soumettre à ses Decrets*** confonduë,
Et porter en tous lieux nos Mysteres sacrez,
 C’est de LOUIS LE GRAND la gloire la plus chere,
  Et c’est par ce beau Caractere
  Qu’il se rend aussi glorieux,
  Que si du Belge, ou de l’Ibere,
La France le voyoit encore Victorieux.

PRIERE.

 Grand Dieu conservez la Personne
D’un Roy qui sert l’Eglise en veritable Fils,
Nostre repos le veut, vostre gloire l’ordonne,
 Et tout nous parle pour LOUIS.

PERRY.

[Cantique pour le Roy, par Mr Magnin, de l’Académie Royale d’Arles] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 159-172

 

Aprés vous avoir donné une Description d’un des plus fameux Temple que l’Heresie ait jamais eu, & vous avoir appris en même temps de quelle maniere il a esté abatu, il faut que le Burin vous en fasse voir la figure, afin qu’elle conserve à la posterité la gloire immortelle dont le Roy se vient de couronner en le détruisant. C’est pourquoy je vous en envoye le profil, que i’ay fait graver.

CANTIQUE
Pour le Roy.

Repleatur os meum laude, ut cantem gloriam tuam, tota die magnitudinem tuam. Psal.

Pour chanter le plus Sage & le plus grand des Roys,
Pour celebrer sa gloire, & ses justes loüanges,
 Que ne puis-je à ma foible voix
 Unir la voix de tous les Anges !
 Ah ! dans l’impuissance ou je suis
 Reçois Monarque Magnanime
 L’essay de tout ce que je puis.
 Dans la juste ardeur qui m’anime :
La grandeur de ton Nom, tes Vertus tour à tour,
 Tes travaux éclatans, la gloire de tes Armes
 Sont des merveilles, dont les Charmes
Meritent mon respect, meritent mon amour,
 Je les chanteray tout le jour.

Tu confregisti Capita Draconis. Psal. 73.

Qui mieux a merité les vœux & les Cantiques,
De tout ce que l’Eglise a conservé de Cœurs,
 Qui detestent les Heretiques,
 Et leurs criminelles erreurs ?
 N’a-tu pas écrasé la teste
De ce Monstre long-temps si fier si redouté ?
N’as tu pas fait vomir le venin à la Beste
 Dans le sein de la Verité ?

De Cœlo auditum fecisti Judicium ; Terra tremuit, & quievit. Psal. 75.

 Aprés t’estre élevé sur toutes les Puissances,
Ne reconnoissant plus que le Maistre des Cieux,
Ta voix a prononcé ce Decret glorieux,
Qui retablit sa gloire, & vange ses offenses :
 L’incertitude du succés
 D’une Loy si juste, & si sainte
A causé sur la Terre un mouvement de crainte,
 Qui faisoit trembler tes Sujets ;
Mais ton Regne est un Regne, où rien ne donne atteinte
A la felicité qui doit suivre la Paix.

Memor ero ab initio mirabilium tuorum. Psal. 76.

  Quand je repasse en ma memoire,
 Qui ne s’occupe que de toy,
 Tous les beaux traits de ton Histoire,
 Je les admire, & dis, GRAND ROY,
 L’avenir les voudra t’il croire ?
 Quoy regner depuis le Berceau,
 Et chaque jour ravir le Monde
 Par quelque miracle nouveau,
Toûjours Vainqueur par tout sur la Terre & sur l’Onde ;
 Vit-on jamais rien de si beau ?
 Borner par une force extrême
La grandeur de courage à se vaincre soy-mesme ;
 Estre assez fort pour s’arrester,
Ne penser qu’à la Paix en faisant des Conquestes ;
 Et pour affermir ses Estats
 Contre les plus fiers Potentats
 Tenir ses Armes toûjours prêtes :
 Aux soins d’un Regne glorieux,
 Soins si grands, si laborieux,
 Allier les Jeux & les Festes,
 Ranger l’Univers sous ses Loix
Egalement heureux tout le temps de sa vie,
 Que de merveilles à la fois !
 Mais je n’en dis qu’une partie.

Notam fecisti in populis virtutem tuam, redemisti in brachio populum tuum. P. 76.

 La grandeur de tes actions
 Et de tes vertus triomphantes,
N’a-t’elle pas ravy toutes les Nations ?
Et n’as-tu pas receu des preuves éclatantes
 Du respect qu’elles ont pour toy ?
Elles ont admiré ton courage intrepide.
Ta Sage retenuë en ce penchant rapide,
De pousser la Victoire, & de donner la Loy
 A des Ennemis pleins d’effroy :
Mais il faut l’avoüer, l’Heresie abatuë
 Est le miracle le plus grand,
Le dessein, le succés, la suite tout surprend ;
Combien d’aveugles nez ont recouvré la veuë
 En mille lieux en un instant !
Ajoûte à tes lauriers Monarque incomparable,
Tant & tant de sujets vaincus, & reconquis ;
 Cette Victoire est d’un tel prix,
Que ton bras n’en a point remporté de semblable.

Hæc mutatio dextere excelsi. Psal. 76.

 Oüy grand Roy tu nous l’avoüeras,
 Ce rare & triomphant Ouvrage
De la main du tres-haut dont tu n’est que l’image,
 Est une merveille icy bas :
Il t’éclaire l’esprit, comme il guide ton bras ;
On dit par tout, LOUIS à fait cette merveille :
 Mais on ajoûte en mesme temps,
Non, c’est Dieu, qui par luy fléchit les sentimens,
Les hommes seuls n’ont pas une vertu pareille.

Increpasti gentes, & periit impius, nomen eorum delesti in æternum. Psal. 9.

 Ta Royale indignation
 Contre l’Erreur s’est soulevée,
 Par sa vaine obstination,
L’Eglise desormais ne sera plus bravée ;
Loin d’icy, loin d’icy, Docteurs seditieux,
La verité par tout est enfin reconnuë,
Les rayons du Soleil ont dissipé la nuë
Qui l’avoit si long-temps déguisée à nos yeux.
Fidelles Convertis qui voyez la lumiere,
Oubliez jusqu’au nom de cette nuit premiere,
 Dont le voile malicieux
 Fit d’une cruelle maniere
 L’aveuglement de vos Ayeux.

Exaltare Domine in virtute tua, cantabimus, & psallemus virtu-tes tuas. Psal. 20.

Mais, Grand Roy, si jamais le brillant de ta gloire
 Pouvoit te plaire & te charmer,
 C’est ce beau trait de ton Histoire,
Dont tu dois t’applaudir, que tu dois estimer.
Vante toy, tu le peux, Monarque incomparable,
Vante toy d’avoir fait un Ouvrage si grand,
Que le passé jamais n’en a veu de semblable ;
 Et l’avenir en l’apprenant
 L’écoutera comme une Fable.
  Et que pourroit-on ajoûter
 A cette merveille éclatante ?
 Ton ame en doit estre contente,
Mais ta gloire, Grand Roy, peut-elle encore monter !
Ta grandeur maintenant est dans son Apogée,
De nos charmans Concerts, c’est l’objet le plus doux ;
Si l’éclat de ta gloire irrite tes jaloux,
 Puisque le Ciel l’a partagée,
 Toute la Terre est engagée
 A la chanter ainsi que nous.

Non mortui laudabunt te Domine, neque omnes qui descendunt in infernum. Psal. 113.

 Ceux qui sont obstinez à mourir dans l’Erreur,
Au lieu de celebrer les grandeurs de ta vie,
Verront dans les Enfers d’une éternelle horreur
 Leur obstination suivie.

Sed nos qui vivimus, benedicimus Dominum, ex hoc nunc, & usque in Sæculum. Psal. 113.

 Mais nous heureux cent & cent fois
 De vivre sous les saintes loix
 Du plus Auguste des Monarques !
Jusqu’à la fin des temps, par l’accord de nos voix,
 Par nos vœux prés du Roy des Rois,
De nostre amour pour luy nous donnerons des marques.

Mr Magnin de l’Academie Royale d’Arles.

[Poëme au Roy, sur les grandes Choses qu’il a faites pour la Religion Catholique, par Mr Bauldry] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 172-180

AU ROY.
SUR LES GRANDES choses qu’il a faites pour la Religion Catholique.

GRAND ROY, dans tous les lieux où le sort me conduit,
Je ne vois que l’éclat, je n’entens que le bruit,
Dont ton nom reveré sur la terre & sur l’onde
Frappe d’étonnement tous les Peuples du Monde.
On n’entend plus parler de tous ces demy Dieux,
Que les Siecles passez élevoient jusqu’aux Cieux,
L’Antiquité n’a rien que la France n’efface,
Et ton Regne aujourd’huy fait tout changer de face.
C’est en vain que les Roys dans leur seule valeur
Establissent l’espoir d’un semblable bon-heur,
Si marchant sur tes pas la vertu ne les guide,
Leur gloire n’aura pas un estat plus solide,
Que les foibles rayons d’un faux Astre qui luit
Qu’un moment fait paroistre, & qu’un moment détruit.
Mais ta valeur unie au beau feu de ton zele
T’a dés long-temps acquis cette gloire immortelle,
Déja ton sang heureux par sa fecondité
Reçoit le juste prix de cette Pieté,
Quand dans tes jeunes ans par un nouveau prodige
Ta gloire s’éternise en ton auguste tige,
Et te fait rencontrer dedans un petit Fils,
Le bonheur de ton Peuple, & la splendeur des Lys.
Sans toy la Verité souffrante & desolée,
Se voyoit en tous lieux au mensonge immolée,
Pendant que l’Enfer mesme avec impunité
Profanoit les Autels de la Divinité,
Et pour mieux établir le plus lâche des vices
Détruisoit le plus Saint de tous les Sacrifices.
Le Ciel pour arrester le progrez de ces maux
Te reservoit, Grand Roy, ces glorieux travaux,
Et comme un Fils touché de zele & de tendresse,
Aux larmes d’une Mere aussi-tost s’interresse,
Seul reconnu des Cieux digne de cét employ
Tu l’entreprens en Fils, & le poursuis en Roy :
Rebelles, dont la Ligue opposée à sa gloire
A suby tant de fois le joug de la Victoire,
Vous voyez que LOUIS en pardonnant à tous
Armoit contre l’Erreur, plûtost que contre vous ;
Lors que forçant le Rhin par un heureux passage,
De tant d’illustres morts il borda son rivage,
Et lors qu’il reduisit l’Escault au mesme estat
Ce fut un Sacrifice aussi-bien qu’un Combat,
Où son bras immolant l’Heresie & le crime
En vouloit faire aux Cieux une juste Victime,
Et du fameux débris des Temples abbatus
Eriger un Trophée à ses hautes vertus.
Grand Prince, quand je vois tant d’Ames égarées
Reprendre du salut les routes assurées,
Qu’avec tant de succés tes Illustres Prelats,
Déracinent l’Erreur qui troubloit tes Estats,
J’admire ce beau feu qui t’anime & t’enseigne
L’Art de faire regner, celuy par qui l’on regne,
Et qui fait que le Ciel te donne le moyen
D’étendre en mesme temps son empire & le tien.
Ministres aveuglez dont l’erreur criminelle
Donnoit à l’Etat mesme une atteinte mortelle,
LOUIS, des faits passez perdant le souvenir,
Ne veut que vous convaincre & non pas vous punir ;
Heureux crimes pour vous, puisqu’au lieu de Supplice
Ils vous ont fait trouver l’Eglise pour Nourrice,
Vostre naufrage ainsi vous a conduit au port,
Et vous trouvez la vie, où vous portiez la mort.
Orgueilleuses Citez, dont les remparts terribles
Rendoient de toutes parts vos murs inaccessibles,
Ce que n’avoient pas fait des Siecles & des Roys,
LOUIS en un seul jour vous reduit sous ses loix,
Et ce Fleuve indompté, dont la superbe rive
Tenoit dans ses détroits la Verité captive,
Voit dans ce mesme jour son auguste Prelat
Remis par ce Heros en son premier estat ;
Mais lors que par l’effet d’une si juste guerre
LOUIS purgeant l’Erreur qui regne sur la Terre,
Pour la gloire des Cieux fait un si grand progrés,
Son zele sur les Mers n’a pas moins de succés.
Ses commerces frequents du Couchant à l’Aurore
Ne recherchent point l’or du Chinois & du Maure ;
Mais ce Divin Heros use de ses moyens
Pour leur communiquer la source des vrais biens.
Heureux desseins pour vous, infortunez esclaves,
Qui depuis un long-temps reduits dans les entraves
Mouriez autant de fois que vous viviez de jours,
LOUIS vous va chercher dans ces affreux séjours,
Et tirant du cahos vostre troupe asservie
Vous fait respirer l’air d’une seconde vie.
GRAND ROY, que de concert ce grand & fameux corps
Qui du sacré valon garde seul les Trésors,
Destine son travail & sa plume à ta gloire :
Moy, de crainte que j’ay d’en ternir la memoire,
Et de voir succomber ma Muse sous le faix,
Je regarde, j’entens, j’admire, & je me tais.

BAULDRY.

[Histoire singuliere de deux Amans Calvinistes […]] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 181-311

HISTOIRE.

 

Tout Paris retentissoit du bruit des loüanges que faisoit donner au Roy la Suppression de l’Edit de Nantes, & l’on travailloit à la Démolition du Temple se Charenton, avec la vive chaleur qui fait toûjours agir ceux qu’un zele de Religion anime, lors qu’un Amant malheureux, & qui devoit, estre marié au premier Presche se trouva chez luy tout accablé de douleur. Il tomba dans une espece de foiblesse, dont il fut quelque temps à revenir. Au sortir de cet assoupissement, pendant lequel il avoit gardé assez de connoissance pour sentir toûjours son malheur, il mit la main à la plume, & écrivit ce qui suit à sa Maistresse.

Il ne falloit pas moins que les Edits de LOUIS LE GRAND, & la Destruction d’un superbe & fameux Temple, pour étonner mon amour. Cependant malgré les mauvais augures qu’on peut tirer du changement qui arrive, cet amour tout étonné & tout abattu qu’il est, ne peut perdre l’esperance. Je suis trop persuadé de la bonté de vostre cœur pour douter de sa constance, & les plus grands supplices ne me feroient pas résoudre à cesser de vous aimer. Nos Peres sont d’accord, nos cœurs le sont aussi ; mais une Puissance que nous devons reverer traverse nostre bonheur. Le coup est rude pour un Amant qui se voyoit prest de posseder tout ce qu’il a de plus cher au monde, & je ne le trouve supportable que dans la pensée qu’il ne vous est pas moins cruel qu’à moy. Le temps qui amene tout, nous rendra un jour heureux. Il faut l’esperer, mais helas ! qu’il doit paroistre long à un Amant, qui n’attend que de luy la fin de ses peines.

Cette triste Amante receut cette Lettre comme l’unique chose qui la pouvoit consoler en l’estat où elle estoit. Elle y fit cette réponse.

Aimez, perseverez, & croyez que pour vaincre tous les obstacles qui peuvent traverser une forte passion, il suffit de bien aimer. J’aurois trop à vous dire sur le sujet qui retarde nostre bonheur, & pour vous montrer que je suis sensible, je vous asseure que je ne quitte la plume que pour y penser, & que mon malheur ne sortant point de ma memoire, celuy qui le partage y sera toûjours present.

Cet Amant aussi malheureux que passionné, ne fit point de réponse à cette Lettre, mais si-tost qu’il fut un peu remis, il ne manqua point d’aller trouver sa Maistresse pour se consoler avec elle, & avec son Pere, des malheurs qui leur estoient communs. Ils eurent de longs entretiens là-dessus, mais ces entretiens ne produisoient rien qui fust favorable à leur Amour. L’Amant retourna plusieurs fois chez sa Maistresse, & ils se dirent souvent la mesme chose, les repetitions n’estant jamais ennuyeuses quand on s’aime. Un jour qu’il venoit de rentrer chez luy plein de sa passion, & qu’il y resvoit encore, son Pere le fit entrer dans son Cabinet, & luy parla en ces termes. Il est temps, mon Fils, que je vous ouvre mon cœur, & que je vous parle d’une chose plus importante, que n’est le succés de vostre amour, dont je voy que vous estes tout occupé. Vous jugez bien que ce que j’ay à vous dire regarde la Religion ; mais ne croyez pas que le mouvement où sont aujourd’huy toutes les affaires qui la touchent, m’ait fait faire des reflexions ausquelles, je me devrois estre plûtost appliqué. Non, ce ne sont point les Conversions qui se sont faites depuis un mois qui m’ont engagé à penser à la mienne. Je croy que ces nouveaux Convertis le sont de bonne foy, & que la necessité où on les a mis de se faire instruire, leur a fait découvrir des Veritez que leur obstination les empeschoit de connoistre. Cependant ce n’est pas tout ce qui me fait resver aujourd’huy à cette grande affaire, je fais reflexion sur le grand nombre de Conversions qui se sont faites depuis sept ou huit années, parmy lesquelles on en compte de beaucoup de Ministres. Ils ont eu le temps d’étudier la Verité, ils l’ont connuë, ils se sont rendus à ses lumieres, & ont écrit les motifs de leur changement. C’est ce qui a dû abreger le chemin à ceux qui viennent de suivre leur exemple, puis que tout ce qui les pouvoit arrester, estoit éclaircy par les Ministres les plus éclairez de leur Religion mesme ; & comme le zele du Roy n’a pas moins causé ces premieres Conversions, que celles dont elles viennent d’estre suivies, on peut dire qu’on les doit toutes à l’ardeur que ce Monarque a fait voir pour le salut de ses Sujets. Seray-je immobile au milieu de tout cela, & ne travailleray-je pas à découvrir la Verité, à l’exemple de tant de Personnes d’un merite & d’un esprit distinguez ? Si je me résous à la chercher, je puis dire par avance que je suis déja Catholique, puis que de mille qui ont voulu la connoistre, à peine s’en est-il trouvé un qui ait pû luy résister, lors qu’il a voulu de bonne foy luy prester l’oreille. Vous ne répondez rien, poursuivit-il, vous soupirez. Ah, mon Fils ! j’en connoy la cause, vous craignez que je ne suive en me convertissant, l’exemple de beaucoup de personnes plus sages, & plus éclairées que moy, & qu’ensuite je ne me serve de mon authorité pour vous engager à vous faire Catholique. Ce seroit un coup mortel à ton amour, tu l’apprehendes. Le Pere de ta Maistresse est obstiné dans sa Religion, & rien n’égale son opiniâtreté que celle de sa Fille ; mais si cette Religion n’est pas la veritable, ce que je découvre de jour en jour depuis que je commence à ouvrir les yeux, voudrois-tu combattre mes sentimens, & me conseiller de perdre mon ame pour te conserver ta Maistresse. Tu changes de couleur. Ah ! je n’en sçaurois douter, ton Amour t’occupe tout entier, & ton cœur n’est presentement remply que des suites dangereuses que tu aprehendes, lors qu’on sçaura que je cherche les lumieres necessaires pour me rendre veritablement Catholique. Ah ! mon Pere, repartit le Fils, que puis-je répondre, lors que je me trouve frapé d’un coup de foudre que je n’avois pas sujet d’attendre ? Puis-je dans le cruel embaras où me vient de jetter vostre Discours, entrer tout d’un coup dans vos sentimens ? Puis-je approfondir sur l’heure une matiere si delicate, & suis-je mesme en estat de raisonner ? La voix de la Nature se fait oüir d’un costé, l’amour effrayé me parle de l’autre, & l’interest de mon salut se mettant de la partie, ma raison tremblante & incertaine, écoute tout, & ne sçait de quel costé pencher. Mon Fils, repliqua le Pere, donne-toy de garde de l’Amour. Il devroit estre le plus foible, & cependant il triomphe presque toûjours. Mais je voy que dans cette occasion il sera également vainqueur, & vaincu ; car ou ton amour persuadera à ta Maistresse de se convertir, ou le sien empeschera ta Conversion. Examine l’estat où tu te trouves réduit, & tâche d’empescher que les faux plaisirs de l’Amour ne te causent des peines éternelles ! Ah ! mon Pere, repartit le Fils, d’un air qui marquoit la violence de sa passion, vous sçavez combien les Femmes sont obstinées en matiere de Religion, & mon amour, quelque fort qu’il soit, ne pourra vaincre l’opiniastreté de ma Maistresse. Cette constance des Femmes, repliqua le Pere, à l’égard des choses pour lesquelles elles ont pris de l’attachement, te fait voir qu’elle aura de la peine à étouffer la tendresse que tu luy as inspirée, & ton amour qui a sceu toucher son cœur, le sçaura peut-estre vaincre encore une fois en faveur du Ciel. Je crains bien que cela n’arrive pas, répondit ce triste Amant, lors que je surpris son cœur, il n’estoit remply d’aucun autre amour, mais la Religion qu’elle professe y regne avec trop d’empire, pour souffrir qu’une autre l’en chasse, & les cœurs préoccupez, & sur tout ceux des Femmes, sont trop difficiles à gagner.

Le Pere alloit repartir lors qu’ils furent interrompus, ce qui les empescha de pousser plus loin leur entretien. Le Fils promit seulement au Pere qu’il penseroit serieusement à la conversation qu’il venoit d’avoir avec luy. Le Pere n’en demeura pas là. Il fit parler à son Fils par des personnes éclairées dans l’une & dans l’autre Religion, & comme tout estoit en mouvement au sujet des Conversions, que le Mary pressoit la Femme de se rendre Catholique, ou la Femme le Mary ; que le Frere en usoit de mesme à l’égard de la Sœur, & la Sœur à l’égard du Frere, & que tous les Amis se faisoient les uns aux autres une innocente guerre sur le mesme sujet, il fut attaqué de tant d’endroits differens, qu’il se seroit avoüé vaincu, si sa passion n’avoit point esté un obstacle à cet aveu. La premiere fois qu’il retourna chez sa Maistresse, aprés avoir essuyé un si grand nombre d’assauts, il sentit en y entrant une agitation qui le rendit presque sans mouvement, de maniere qu’il parut à ses yeux comme un homme abattu, non seulement par la violence d’un mal cuisant, mais encore par une extreme tristesse. Il la regardoit plus qu’à l’ordinaire, il soupiroit, & faisoit assez connoistre par tous les mouvemens de son ame, & de ses yeux, qu’il n’osoit expliquer le sujet de son chagrin. Dés qu’on parloit des Affaires de la Religion, ses soupirs redoubloient, il baissoit la veuë, & n’osoit regarder fixement sa Maistresse, ce qui fit bien-tost deviner à cette aimable personne le sujet de l’abatement qu’il faisoit paroistre. Elle prit d’abord un serieux, qui achevant de l’accabler, le réduisit à un tel estat, qu’elle ne jugea pas à propos de luy faire voir tout le mépris qu’elle croyoit avoir déja pris pour luy. Elle le railla seulement ; & comme souvent l’esprit ne brille pas moins à défendre une mauvaise cause qu’une bonne, elle en fit paroistre beaucoup, en l’accusant de foiblesse, d’une maniere enjoüée, mais qui ne laissa pas de l’embarasser, parce qu’il crut pénetrer au fond de son ame, & y découvrir que son obstination seroit invincible sur le changement de Religion. Les choses ne se pousserent pas plus avant ce jour-là, & ils se separérent assez mal satisfaits l’un de l’autre.

Comme tout l’entretien de Paris ne rouloit que sur ceux qui se convertissoient chaque jour, ou qui estoient sur le point de se convertir, on apprit bien-tost que ce malheureux Amant & son Pere songeoient à faire Abjuration. Ce fut alors que la crainte fit sentir dans les ames de ces Amans, tout ce qu’elle a de plus rigoureux, & que le Cavalier crut que le Pere de sa Maistresse donneroit de terribles atteintes à son amour. C’estoit un Vieillard opiniastre, tout plein de Calvin, qui depuis cinquante ans n’avoit laissé passer aucune semaine sans aller à Charenton, & qui parce qu’il estoit Ancien, & qu’à force d’entendre des Presches, il estoit instruit aussi à fonds de sa Religion, que la pluspart des Ministres, la croyoit si bonne, qu’il se faisoit un crime d’entrer en Dispute sur aucun des Articles qui la regardoient. Ce Vieillard toûjours en colere contre ceux qui le chagrinoient là-dessus, ayant appris que son Gendre pretendu estoit sur le point de professer les Veritez Catholiques, en parla à sa Fille avec un emportement plein de mépris. Elle ne voulut luy témoigner aucune foiblesse pour son Amant, quoy qu’elle en sentist encore beaucoup ; & ayant renchery sur ce que son Pere luy dit, non seulement elle appaisa sa colere, mais elle le fit demeurer d’accord qu’on ne devoit point congedier cet Amant jusqu’à ce qu’il eust renoncé à leur Party ; parce que le mouvement qui l’y engageoit ne venant que de son Pere, il y avoit sujet d’esperer que son amour serviroit d’obstacle au changement qu’ils apprehendoient.

Les choses estoient en cet estat, lors qu’un autre Amant qui n’avoit pû réüssir auprés de la Belle, sentit renaistre ses esperances, parce qu’il estoit bon Protestant, & qu’il se tenoit asseuré qu’un Catholique ne l’obtiendroit pas. Dans cette pensée, il ne balança point à revenir dans une maison, d’où le peu de cas qu’on avoit marqué faire de luy, l’avoit obligé de se bannir. Le Pere n’en fut pas fâché, & la Fille mesme en parut assez contente, mais le motif de leur joye estoit different. Le Pere se mit dans l’esprit, qu’il pourroit renoüer avec luy, selon qu’il luy seroit utile, crut que cet Amant seroit propre à ses desseins ; & comme c’estoit un homme intriguant qui avoit fait beaucoup de Voyages, & qui connoissoit un grand nombre d’Etrangers, il s’imagina qu’il pourroit le consulter sur des veuës qu’il avoit, dont il n’osoit se confier à personne. Et la Fille se persuada que son Amant voyant auprés d’elle un Rival qui luy avoit déja donné des alarmes, en prendroit tout de nouveau, & que son amour estant réveillé par sa jalousie, ces deux choses l’engageroient à combattre avec plus de force les sentimens de son Pere, qui le pressoit de se faire Catholique. Cela produisit des effets assez nouveaux. Cet Amant, qui quelque temps auparavant avoit esté rebuté & du Pere & de la Fille, fut si favorablement receu de l’un & de l’autre, qu’il crut que la Belle avoit pris pour luy des sentimens plus avantageux, & que son Pere les autorisoit.

Un jour qu’il se trouva seul avec luy, la Conversation ayant tourné sur la difficulté qu’il y avoit à sortir du Royaume, & ce Vieillard tout plein de feu pour sa fausse Religion, ayant laissé échaper quelques paroles qui marquoient l’impatient desir qu’il avoit de quitter la France, cet Amant adroit, qui ne souhaitoit rien avec plus d’ardeur que de voir ce dessein executé, parce qu’il croyoit enlever par là sa Maistresse à son Rival, loüa la resolution où il le voyoit, & luy dit que connoissant sa délicatesse sur le fait de la Religion, il avoit déja resvé aux moyens de le servir, en cas qu’il fust dans la pensée de sortir d’un Pays où ceux de leur Religion ne pouvoient avoir que du chagrin, & que mesmes il estoit prest de l’accompagner. Le Vieillard tout transporté de joye, luy demanda avec empressement, les expediens qu’il avoit trouvez. Voicy la réponse qu’il luy fit.

On ne peut mieux entendre, ny mieux parler l’Italien que fait vostre Fille, & les Conversations que vos affaires luy ont donné lieu d’avoir chez vous avec plusieurs personnes de ce Pays-là, font que l’accent de cette Langue luy est naturel. Vous la sçavez parfaitement, ayant esté Agent d’un grand Seigneur Italien qui avoit icy des Procés. Vous en avez un fort grand nombre de Lettres, elles vous sont adressées, le dessus est en la mesme Langue, & elles sont cachetées du Cachet de ce Seigneur. Elles parlent toutes d’affaires, & cela me suffit, puis que je me promets d’accommoder quelques-unes de ces Lettres de maniere, qu’on croira qu’elles ne vous auront esté écrites, que comme à un Domestique Italien que ce Seigneur avoit à Paris. Ce n’est pas là-dessus seulement que je me fonde, poursuivit-il, & je ne pretens pas que ces Lettres nous servent qu’à la derniere extremité. Vous sçavez que je parle assez bien la mesme Langue, & que j’ay icy un Amy Italien, connu pour un homme qui peut avoir plusieurs Domestiques. Il doit s’en retourner dans peu en son Païs. Nous partirons avec luy, & afin que le bruit de vostre depart ne se répande point, on feindra que vous estes à vostre Maison de Campagne, d’où des Gens affidez affecteront de venir de temps en temps acheter icy publiquement des Vivres pour vous porter, & vous leur laisserez mesme des Lettres que vous écrirez à vos Amis, & que vous daterez de ce lieu-là. Pendant cela nous poursuivrons nostre Voyage, & quand nous approcherons de la Frontiere, plusieurs Italiens entreront en France, & feront quelques lieuës au devant de leur Amy, ils diront mesme le sujet de leur entrée dans le Royaume, & qu’ils repasseront dés le jour mesme, ou tout au plus tard le lendemain. Ce nombre d’Italiens connus, sera assez grand pour former un petit Corps. On vous mettra au milieu, & vostre Fille déguisée pourra aisément passer pour le Fils de quelqu’un d’eux. Comme l’Italie, ajoûta-t-il, n’est pas un Pays de Refuge pour ceux de nostre Religion, je ne croy pas qu’on examine avec la derniere exactitude ceux qui sortent de France de ce costé-là. En tout cas, je vous promets de chercher des moyens encore plus seurs pour nostre retraite, ce que je vous viens de dire ne devant estre regardé que comme les premieres idées qui me sont venuës, & sur lesquelles j’ay pourtant pressent y mon Amy, qui me servira assurément. Quand nous serons en Italie, nous prendrons nos mesures pour passer dans un Pays où nous puissions vivre sans être troublez. On ne peut témoigner plus de joye qu’en fit paroistre le Vieillard, d’une proposition qui luy estoit si agreable. Il embrassa cet Amant, & luy promit sa Fille, s’il arrivoit que par son moyen ils sortissent du Royaume. Il recommanda le secret, & il convint avec luy, que pour beaucoup de raisons, il le cacheroit à sa Fille mesme, qui n’en seroit informée qu’un peu avant leur départ. Cet Amant ayant pris sur luy toute la conduite de l’affaire, vint souvent en rendre compte. La Fille se chagrina du commerce étroit dans lequel elle le voyoit avec son Pere, & des Conferences particulieres qu’elle sçavoit qu’ils avoient ensemble. Elle crut que c’estoit autant d’attentats qu’on faisoit contre son cœur, & qu’en luy défendant bien-tost de voir un Amant aimé, on luy ordonneroit de regarder comme un homme qui devoit estre un jour son Epoux, celuy qu’elle haissoit, cette crainte redoubloit sa passion, elle écrivit ce qui suit au Cavalier qu’elle aimoit.

Je connoy peu l’Amour ; mais de la maniere qu’on le dépeint, & que je vous en ay oüy parler à vous-mesme, on n’aime pas beaucoup, lors qu’on voit si peu les gens. Vostre procedé a réveillé l’espoir de vostre Rival, & il est souvent en conference avec mon Pere, je ne sçay s’il s’agit de mon cœur ; on peut le promettre, mais je crains bien qu’on ne le puisse livrer. Ce n’est pas que vos manieres n’ayent fait diminuer la passion que mon devoir avoit fait naistre. Ainsi vous ne devez point vous applaudir d’une resistance que je ne feray pas pour l’amour de vous ; mais parce que je croy qu’il suffit d’avoir montré une fois en sa vie de la foiblesse à un homme. C’est encore trop. Craignez cependant que comme celles de mon sexe sont nées pour obeïr à leurs parens, on ne me force d’écouter vostre Rival. Vous avez trouvé le moïen de m’y faire contraindre, en prenant le dessein de vous rendre Catholique. Je ne sçais si vous aurez la foiblesse de perseverer ; mais je suis persuadée, que qui peut penser seulement à quitter sa Religion, peut bien avoir resolu de quitter sa Maistresse, & que quiconque est infidelle à Dieu, le peut estre aux Hommes.

Il ne répondit à cette Lettre, que par un Billet de quatre lignes, dans lequel il promit qu’il iroit luy-mesme porter sa réponse. La Lettre qu’il receut ne le surprit point. Il estoit beaucoup mieux instruit de ce qu’on luy mandoit, que ne l’estoit sa Maistresse. Il avoit de la prudence, & de cet esprit du monde, qui fait que ceux qui en connoissent les manieres, sont rarement pris pour dupes, & sçavent toûjours les affaires des autres sans que l’on sçache les leurs. Ayant appris, dés qu’il commença d’aimer la belle Personne qu’il auroit épousée sans la Démolition précipitée du Temple, où ils se devoient donner la foy, qu’il avoit un rival, assez intriguant pour estre craint, il prit de si justes mesures, qu’un homme qui estoit entierement à luy, entra chez ce Rival, en qualité de Domestique. On ne peut rien ajoûter à la pénetration qui fit découvrir à cet homme tout ce qui se passa de plus secret chez celuy où il n’estoit que pour en estre l’espion Et quoy que l’affaire, où il s’agissoit de la sortie du Royaume, y fust tenuë beaucoup plus secrete que les autres, il ne laissa pas d’en developer toutes les particularitez. Il n’y avoit pas long-temps qu’il les sçavoit, & qu’il en avoit instruit l’Amant, à qui sa Maistresse en venoit demander une partie, lorsque cet Amant alla chez elle, ainsi qu’il luy avoit promis par son Billet. Il la trouva seule, & ils eurent une assez longue conversation, dans laquelle il luy apprit le sujet des Conferences que son Pere & son Rival avoient si souvent ensemble. Il luy en fit un détail si exact, qu’elle n’eut aucun sujet d’en douter, parce qu’elle rappella dans sa memoire plusieurs choses ausquelles elle n’avoit point pris garde, & quelques paroles de son Pere, qu’elle trouva entierement conformes au recit de son Amant. Il ajoûta que son ame estoit dans un estat bien cruel ; qu’il ne pouvoit se resoudre à découvrir ce qu’il sçavoit, parce que sa declaration les rendroit coupables, & leur feroit meriter les peines portées contre les fugitifs ; mais que d’un autre costé son amour ne luy pouvoit permettre de laisser tranquillement sortir hors du Royaume, une personne qu’il adoroit, & qui seroit accompagnée de son Rival, lorsqu’il estoit en son pouvoir de mettre obstacle à leur fuite. Je ne croy pas, poursuivit-il, que dans la situation où je me trouve, il y ait aucun Amant qui pûst se répondre de ce qu’il seroit capable de faire. Avec tant d’amour, on n’est point maistre d’un premier mouvement, le desespoir n’écoute point la raison ; & quand mesme il la pourroit écouter, je ne sçay si la raison ne devroit pas estre en ce rencontre du party de l’amour. On ne laisse point ainsi partir ce qu’on aime avec un Rival. Ne dites point qu’il y auroit de la generosité à ne se pas opposer à un dessein de cette nature, c’est une vertu qu’un Amant ne doit point avoir dans une pareille occasion ; mais supposons que je m’en trouvasse capable, & que je voulusse immoler ma satisfaction à la vôtre, & au faux repos dont vous prétendez joüir hors du Royaume, je ne le doy pas faire, puisqu’il y va de la perte de vostre ame, & que je puis esperer que si vous ne quittez point Paris, vos amis, la raison, la verité, & le Ciel vous toucheront, & qu’à l’exemple de tout ce qu’il y a eu de gens d’esprit de vostre Religion, vous deviendrez un jour Catholique. Je vous parle, ajoûta-t-il, comme un homme qui le seroit déja devenu, cependant je ne suis encor que dans la voye, qui y conduit ceux qui n’ayant ny prévention, ny opiniastreté, cherchent de bonne foy les clartez necessaires pour connoître la verité. Faites comme moy, afin de n’avoir rien à vous reprocher à vous-mesme le jour que tous les hommes seront jugez. Tenez d’ailleurs pour certain, que ny vôtre Pere, ny mon Rival, ne feront aucun pas pour sortir du Royaume que je n’en sois averty, & que vous ne devez point risquer vostre départ, puisque l’amour, la jalousie, vostre propre interest, & vostre salut, m’engagent à ne le pas souffrir.

Le commencement de ce discours n’avoit pas dépleu, parce qu’il estoit la marque d’une forte passion. Et que la spirituelle personne à qui il estoit adressé, avoit jugé qu’un Amant qui prend tant de de soin pour découvrir les secrets de son Rival, doit aimer beaucoup ; mais si elle avoit esté contente de ce qu’il luy avoit dit d’abord sur les obstacles qu’il ne pourroit s’empescher de mettre à sa fuite, elle ne le fut pas de ce qu’il aioûta touchant la Religion, parce qu’elle avoit fortement resolu de demeurer dans la Protestante, & de ne point aimer un Catholique ; de maniere qu’ils se separerent ce iour-là avec une espece d’aigreur forcée, qui n’auroit pas laissé de faire connoistre à ceux qui auroient vû cette separation, qu’ils s’aimoient tous deux plus qu’ils ne pensoient. Peu de iours aprés, le Pere de cet Amant abiura publiquement l’Heresie, & son Abjuration fut bien tost suivie de celle du Fils : Cela fit du bruit dans la maison de sa Maistresse. Son Pere luy defendit de penser jamais à cet Amant, & le Rival qui se tenoit seur de son aveu, parce qu’il s’estoit déja engagé à luy donner sa Fille si-tost qu’ils seroient hors du Royaume, redoubla ses soins pour gagner le cœur de cette charmante personne ; mais le contre-temps qu’il prit, à cause de l’accablement de douleur où elle estoit, ne luy en attira que des mépris. Quelque temps aprés, elle receut cette Lettre de son Amant, qui avoit changé de Religion.

Enfin, je suis Catholique. Ne soyez point surprise de trouver dés le commencement de ma Lettre, un aveu si sincere & si peu enveloppé, lors que je doy craindre qu’il n’acheve de m’enlever tout ce que j’ay de plus cher au monde, puisqu’il m’expose à vous perdre entierement ; mais la Religion que je viens d’embrasser estant la veritable, ne sçauroit souffrir qu’on se cache, & ceux qui la professent se font une telle gloire d’en estre, qu’ils prennent plaisir à le publier. C’est la Religion de vos Ancestres ; ils estoient Catholiques, & vous ne pouvez faire de preuves d’une Noblesse un peu ancienne qu’il n’y en ait à la teste. Rentrez donc dans le party qu’ont suivy vos Peres, & ne montrez pas par vôtre obstination que vous les damnez. L’avenir ne sçaura peut-estre pas si la Religion que vous professez aujourd’huy aura infecté tant de personnes, & la posterité la regardera comme un songe. Il y a eu plus de trois cens Heresies, dont quelques-unes ont eu autant de Sectateurs que la vostre ; & cependant l’Histoire n’a conservé que les noms de la pluspart, & nous ignorons mesme si celuy de beaucoup d’autres n’a point esté ensevely. L’Eglise Catholique a toûjours esté seule universelle, & seule qui n’a jamais esté interrompuë. Son ancienneté est incontestable, & les Tours de Nostre-Dame sont plus vieilles que ne l’étoit le Temple de Charenton. Cette comparaison vous surprendra dans une Lettre comme celle-cy, mais Dieu permet qu’on fasse quelquefois reflexion sur des choses de cette nature qui nous frappent, & nous font ouvrir les yeux ; & c’est par ce raisonnement, ou pour mieux dire par ces propres paroles, qu’un homme generalement reconnu pour un des plus beaux esprits de France, trouva moyen de vaincre l’obstination de sa Femme, qui ne vouloit pas suivre son exemple en se convertissant. Si ceux qui refusent de se faire Catholiques, professoient une Religion aussi ancienne & aussi universelle, leur opiniastreté pourroit avoir quelque fondement ; mais le grand nombre des autres en fait connoistre la fausseté, & ceux qui ne veulent point estre Catholiques, sont fort embarassez à choisir parmy tant de Religions. On pourroit mesme croire, que comme ils n’en veulent point avoir, & qu’on ne souffre personne dans le monde sans paroître au moins estre de quelqu’une, ils choisissent celle qui leur permet de vivre le plus commodément. Toutes ces Religions se détruisent les unes les autres, & ne sont d’accord contre la Catholique, que parce qu’estant plus ancienne, seule, veritable, plus connuë, plus reverée, & plus suivie que toutes les autres ensemble, elles en ont de la jalousie, & s’unissent contre elle, comme des voleurs qui se batteroient les uns contre les autres, s’uniroient contre les Officiers de la Justice qui viendroit pour les saisir. Je suis persuadé, & plusieurs de vos Freres, ne le nient pas, que la maniere aisée de vivre dans la Religion Protestante, contribuë beaucoup à y faire demeurer la pluspart de ceux qui s’y trouvent nez ; mais vous ne voudriez pas estre de ce nombre-là, & vous damner en l’autre monde, pour vivre un peu plus commodément en celuy cy. Si l’on a vû des Royaumes changer presque en un jour de Religion, l’Histoire nous en fait connoistre les motifs, l’interest du Ciel n’y a eu aucune part ; & l’amour, la vangeance, & les autres passions des hommes en ont esté les seules causes. On sçait combien ce changement de Religion en a fait enfanter d’autres. C’est l’ordinaire. Dés qu’on c’est écarté du grand chemin, on se perd dans mille détours, en prenant des routes qui y sont opposées. Si vous jettez les yeux sur les Conversions qui se sont faites en France depuis quelques années, vous verrez un grand nombre de Ministres, qui non seulement ont renoncé à leurs Erreurs, mais qui ont mesme fait des Volumes entiers, pour marquer la fausseté de la Religion qu’ils abandonnoient. Serez-vous plus obstinée que tant de grands Hommes si sçavans dans tout ce qui regardoit l’Eglise, dont ils estoient les Pasteurs, & leurs lumieres ne vous éclaireront-elles point ? Faut-il que l’amour du party, la gloire de ne point paroistre vaincuë, & des bienseances humaines, vous empeschent d’ouvrir les yeux quand tout vous parle de vôtre salut ? Je sçais bien que lors qu’il est question de se defendre contre un ennemy, on se rend le plus tard qu’on peut ; mais en cedant aujourd’huy à ceux qui ne vous parlent que pour vous-mesme, c’est à la raison, à la verité, & à Dieu que vous vous rendrez. Tout est contre vous, je dis tout, puisque le nombre de vos Freres est si petit, qu’on n’y doit point avoir d’égard. Vous sçavez que la pluralité de voix fait les Arrests parmy tout ce qui a droit de decider, & que d’elle dépend aussi nostre vie, puisque dans les Consultations des Medecins, l’avis du plus grand nombre est suivy. La Pretenduë Reforme qu’ont fait les Autheurs de vostre Religion, & qui a causé tant de Guerres civiles, continuera-t-elle à mettre nostre amour en desordre ? Et le sang qu’elle a fait verser, nous fera-t-il répandre des larmes ? Ne vous faites point distinguer par vostre obstination, comme font aujourd’huy quantité de Femmes. Elles se font une vanité de ce qui fait connoître leur peu de lumiere, puisque si elles avoient de profondes connoissances de ce qu’elles s’opiniastrent à soûtenir, elles se rendroient aussitost que ceux qui sont plus éclairez qu’elles. Je ne vous demande point au nom de nostre amour, de faire reflexion à toutes ces choses. Les considerations humaines ne doivent point entrer dans une aussi grande affaire que celle qui regarde nostre salut. Pensez au vostre, mais ne m’oubliez pas.

Quoy que cette belle Personne fust persuadée il y a voit déja quelque temps, que son Amant se rendroit Catholique, cette nouvelle ne laissa pas de la surprendre beaucoup. Sa Lettre la surprit encore davantage, & en luy donnant un vray chagrin, elle excita dans son cœur le dépit que sentent ordinairement les personnes d’une humeur altiere, lors qu’on leur fait voir trop clairement ce qu’elles ne veulent pas avoüer. Ce qui regardoit la Religion estoit de cette nature à son égard, parce qu’elle avoit fortement résolu de n’en point changer. Ainsi plus on luy donnoit de raisons pressantes pour la convaincre, plus son cœur se révoltoit.

Comme elle estoit encore toute remplie du violent dépit qu’elle avoit contre son Amant, moins toutefois parce qu’il s’estoit rendu Catholique, qu’à cause de ce qu’il luy avoit écrit, son pere entra dans sa chambre, & luy dit : Je croy qu’aprés l’Abjuration que ton Amant vient de faire d’une Religion aussi bonne & aussi épurée que la nostre, & dans laquelle il avoit mille & mille fois promis de mourir, tu ne doutes pas qu’il ne renonce à ton amour, comme il a renoncé à sa Foy. C’est ce que ta gloire & un juste ressentiment te doivent empescher d’attendre. C’est pourquoy il faut que pour le prévenir, tu déclare hautement que tu le hais, que tu ne veux jamais entendre parler de luy, & que je t’ay défendu de le revoir. Comme la colere où sa Lettre l’avoit mise, l’occupoit entierement, elle promit à son Pere tout ce qu’il exigea d’elle, & elle parla d’un ton si fier & si animé, qu’il fut convaincu que toute sa passion s’estoit convertie en haine, ce qui fut cause qu’il luy fit un détail des mesures qu’il avoit prises avec le Rival de cet Amant Catholique pour sortir hors du Royaume, mais il fut bien étonné lors qu’elle luy fit connoistre qu’elle en sçavoit plus que luy, en luy , & jamais surprise ne fut égale à la sienne, lors qu’aprés luy avoir dit, qu’elle avoit tout sceu par l’Amant Catholique, elle ajoûta qu’il avoit des espions, par lesquels il seroit averty des moindres mouvemens qu’ils feroient pour leur depart, & que sa jalousie, & la peur de voir son Rival heureux, seroient cause qu’il découvriroit tout leur secret, afin qu’on les arrestast dés le premier pas qu’ils feroient pour s’échaper, ce qu’elle sçavoit de sa bouche mesme. Le Vieillard s’emporta extremement, & se plaignit de sa destinée, mais il fallut prendre patience, & resver à d’autres mesures, pour ne pas tomber dans le malheur qu’il apprehendoit le plus. Pendant ce temps on n’oublia rien pour luy persuader qu’il devoit changer de Religion. Il avoit quelques parens Catholiques qui s’empresserent fort pour luy faire connoistre ses erreurs, beaucoup de ses Amis firent la mesme chose. Les plus sçavans Docteurs furent employez, les Magistrats luy parlerent, & l’on combatit tellement les raisons ausquelles il se retrancha, qu’on le mit en estat de laisser voir, que l’obstination seule l’empeschoit de quitter sa Religion. Le zele dont il avoit toûjours esté penetré pour tout ce qui la regardoit, luy avoit fait élever un de ses Fils avec tous les soins necessaires pour en faire un habile Ministre. Le travail de ce Fils, & son assiduité à l’Etude avoient répondu à ses souhaits, & il exerçoit l’Employ auquel son Pere avoit souhaité de le voir parvenir, dans une des plus grandes Villes du Royaume. Tous les Protestans de cette Ville-là s’estoient convertis, & ce Ministre, qui avoit embrassé des premiers la Religion Catholique, avoit fort contribué à cet heureux changement. Son Pere le sceut des derniers, parce qu’on craignoit que son emportement, lors qu’il apprendroit cette nouvelle, ne fust préjudiciable à sa santé. Cependant la colere qu’il fit paroistre lors qu’elle vint à sa connoissance, fut beaucoup moins violente qu’on ne l’avoit crû ; & comme elle n’eut point tous les impetueux éclats qu’on en attendoit, ses Amis, & ses Parens Catholiques commencerent à en tirer bon augure. Ce Vieillard fit plus. Quelques jours aprés qu’on luy eut appris cette nouvelle, il consentit que son Fils partist de la Ville où il estoit pour le venir voir, & promit mesme qu’il le logeroit chez luy. Cependant il estoit toûjours d’une humeur insupportable, ne voulant voir ny écouter personne. Sa Fille estoit encore plus chagrine, puis que les affaires de la Religion n’estoient pas les seules qui l’inquietoient, & que celles de son cœur s’y trouvoient jointes. Son Amant devenu Catholique n’osoit plus venir chez elle, & le Protestant qui l’accabloit de visites, n’estoit pas plus heureux, depuis que le Pere avoit résolu de ne plus sortir du Royaume avec luy, de crainte d’estre arresté. Les choses estoient en cet estat, lors que le Fils converty arriva au logis de son Pere. Il y fut receu avec beaucoup de froideur, ce qui ne le surprit point. Il fut quelque temps sans parler d’aucune chose qui regardast la Religion, & sans qu’on luy en parlast, & tâcha auparavant de gagner les bonnes graces de son Pere par une maniere honneste & soûmise. Il estoit Fils ; la Nature parla, & il reprit dans son cœur sa premiere place. Tous ceux qui avoient déja livré des assauts à cet obstiné Vieillard pour l’engager à se rendre Catholique, les recommencerent, & le presserent plus vivement qu’ils n’avoient encore fait. On luy marqua mesme qu’il avoit beau differer, que ce n’estoit que gagner du temps, mais qu’il falloit qu’à la fin il se rendist. Ce fut alors que le Fils se mit de la partie, mais d’une maniere à faire croire qu’il eust triomphé dés le premier assaut, si son Pere n’eust point crû qu’il luy eust esté honteux de ceder si-tost. Il ne faut pas s’étonner de ce prompt succés. Cet habile Fils connoissoit par où son Pere tenoit le plus à sa Religion. Il sçavoit par quels endroits il le falloit attaquer, & les détours qu’il prendroit pour se défendre. Il s’estoit preparé à tout cela, & s’estoit armé de fortes raisons pour le convertir. Il en vint about dés le troisiéme jour qu’ils disputerent ensemble, & l’obstination de ce zelé Protestant fut cause qu’il fut tellement éclaircy de ses erreurs, qu’il ne luy resta aucun scrupule dans l’esprit-Ainsi les Peres de ces deux Amans furent convertis, mais avec cette difference, que le premier convertit son Fils, & que le second fut converty par le sien. Ce dernier voulut travailler à la Conversion de sa Sœur, mais bien loin qu’elle consentist à l’écouter, elle le traita comme s’il avoit fait le plus grand crime du monde, en portant son Pere à renoncer à ses erreurs. Ce Vieillard voulut à son tout prendre le soin de l’instruire. Elle luy dit qu’elle souffriroit qu’il luy parlast de la Religion qu’il venoit d’embrasser, parce que son devoir l’engageoit à l’écouter, mais qu’elle ne croyoit pas estre obligée à faire davantage, & qu’elle ne sçavoit mesme si en agissant de la sorte, elle ne feroit point plus qu’elle ne devoit. Son Pere indigné de ce procedé, l’abandonna à son obstination, & luy dit qu’elle ne meritoit pas d’estre detrompée, & que s’il n’estoit point son Pere, il la laisseroit sans aucune peine dans l’aveuglement qui luy plaisoit tant. Depuis ce temps-là elle entendit parler presque chaque jour de quelque Conversion éclatante, & il se trouva souvent que ceux qu’elle avoit citez peu auparavant, comme des personnes parfaitement éclairées, & qui devoient estre les colomnes inébranlables de sa Religion, estoient de ce nombre ; ce qui luy donnoit de cruelles mortifications. Son Pere & son Amant Catholique ne s’estant point encore vûs, depuis qu’ils avoient tous deux abjuré, se rencontrerent un jour chez un de leurs Amis communs. Ils se feliciterent sur leur changement de Religion, & le Pere permit à l’Amant de revenir chez luy avec sa premiere assiduité. Il luy promit mesme de nouveau sa Fille, s’il la pouvoit convertir, & le pria d’essayer si l’amour ne seroit point ce que la Nature n’avoit pû faire. Ils ne se separerent pas sans admirer les ressorts cachez de la Providence, & les merveilleux effets qu’elle avoit produits en si peu de temps dans leurs personnes.

Ct Amant impatient de revoir sa Maistresse, ne manqua pas d’aller luy rendre visite dés le lendemain. Il la trouva avec un de ses Parens qui estoit Catholique né. C’estoit un homme d’une humeur assez enjoüée, dont il ne se cachoit point, & qu’il ne fut pas fâché d’y rencontrer, parce qu’il crut qu’avec ses manieres aisées, il pourroit le servir, en adoucissant l’erreur de cette aimable personne, s’il arrivoit qu’elle luy en fist paroistre. Elle fut extremément surprise lors qu’elle le vit entrer dans sa chambre. Elle luy fit pourtant un accueil, qui bien que froid, ne laissoit pas de marquer l’honnesteté qu’on doit avoir pour toutes les personnes que l’on considere. Aprés un quart d’heure de Conversation generale ; N’admirez-vous point, luy dit-il, combien de differens personnages on joüe dans la vie, & à combien de changemens on est exposé, sans que la prudence humaine les puisse prévoir. Il n’y a pas deux mois que j’estois à la veille de mon bonheur. J’entrois icy avec toute la liberté d’un heureux Amant, qui n’avoit plus qu’un jour à attendre pour être un heureux Epoux. Ce temps n’est plus, & quoy que nous soyons à peine plus vieux de deux mois, les choses ne laissent pas d’estre aussi changées que s’il y avoit un grand nombre d’années que nous ne nous fussions veus. J’estois Protestant, je suis Catholique. Vostre Frere estoit Ministre, il presche presentement contre ceux dont il a affermy les Erreurs. Vostre Pere me haissoit parce que j’avois changé de Religion, il en a changé luy mesme. Il ne vouloit plus que je fusse son Gendre parce que nos Religions étoient opposées, il y consent aujourd’huy par une raison contraire ; il auroit esté au desespoir s’il avoit sceu que vous eussiez eu dessein de vous convertir, & il m’envoye icy aujourd’huy pour travailler à vous faire connoistre, que puisqu’il s’est converty, luy qui sçavoit si parfaitement sa Religion, vous le devez imiter, puisqu’il n’a rien fait sans avoir examiné bien à fonds laquelle des deux Eglises est la veritable. Aprés tous ces miracles il n’en manque plus qu’un pour donner une joye parfaite à vostre Famille, c’est celuy de vostre Conversion. Je croy que vous aurez presentement moins de peine à vous y resoudre, & qu’estant éclairée par les exemples d’un Pere & d’un Frere, vos yeux s’ouvriront pour reconnoistre les lumieres qui les ont portez à faire Abjuration de leurs Erreurs. Il est naturel, répondit-elle, que je me rende aux clartez d’un Frere qui ayant esté Ministre, doit connoistre plus à fond tout ce qui regarde l’une & l’autre Religion ; Je dois regler ma conduite sur celle de mon Pere, & croire qu’il est assez éclairé pour prendre le bon party, & je dois enfin pencher du costé de mon Amant, puisque je le perds en refusant de le faire. Ainsi la Nature, le devoir, & l’amour, tout me parle de me rendre Catholique, de la maniere du monde le plus pressante, & il semble qu’on ne doive pas douter d’un changement qu’on a tant de divers sujets d’esperer. Croyez-vous poursuivit-elle, que je fisse un miracle si je me rendois à tant de raisons, sur tout quand elles sont si puissantes, que sans rien examiner davantage, on doit croire dans le Monde, que ce seroit inutilement que j’y voudrois resister ? Quand aprés toutes ces choses, je renoncerois aux Erreurs que vous imputez à ma Religion, le miracle que vous attendez seroit si petit, qu’on s’imagine qu’il est déja fait. A peine me met on presentement du nombre des Protestans. C’est pourquoy, puisque vous attendez de moy un miracle, j’en veux faire un plus grand que vous ne le demandez, & qui sera sans doute estimé tel. Ce miracle est, que je ne quitteray jamais ma Religion, que je ne suivray point les sentimens de mon Frere, que je ne me rendray point aux volontez de mon Pere, parce que je suis persuadée que le Ciel me le défend, & que mon Amant n’obtiendra rien lors que pour acquerir ma personne, il peut consentir à perdre mon ame. Ainsi continua-t’elle en haussant la voix, & en prononçant les dernieres paroles de son discours avec un visage assuré ; je n’écouteray ny l’amour ny la nature, je demeureray ferme dans ma Religion, & croiray que ceux qui me voudront persuader d’y renoncer, seront ou mes ennemis, ou du moins dans un aveuglement qui meritera que je les plaigne. Elle eut lieu de s’applaudir d’abord de sa resolution, car elle excita une telle surprise qu’on ne luy repliqua rien. Quoy qu’un double interest fist souhaiter sa Conversion à son malheureux Amant qui estoit demeuré comme immobile, & qu’il ne desirast pas moins de la voir changer de Religion, à cause de l’estat où estoit son ame qu’afin de l’épouser ; son zele ne put surmonter son accablement, & la douleur qui luy ferma la bouche auroit fait finir cette Conversation, si le parent n’eust pris la parole. En verité, ma Cousine, dit-il à cette belle obstinée, vous avez trouvé le moyen de confondre les plus grands Docteurs, & vous triompherez toûjours tant que vous ne voudrez pas qu’on vous réponde. Si vous n’avez pretendu que faire briller vostre obstination par dessus celle de tout vostre Sexe, vous avez assurément remporté la victoire ; mais si vous avez crû avoir l’avantage du combat, vous vous estes trompée, puisque vous n’avez point combatu. On a bien-tost donné une negative, lors qu’elle n’est soûtenuë de rien ; le plus ignorant la peut donner, & c’est ainsi que raisonnent les Enfans lors qu’ils commencent à parler, & qu’ils sont dans l’âge où l’on souffre leur obstination à cause de leur jeunesse, comme on souffre celle des Femmes à cause de leur Sexe. Si elles ont peu accoûtumé de raisonner, poursuivit-il, avec un air plus enjoüé, & plus galant, c’est parce qu’on a accoûtumé de leur ceder en toutes choses, & que pour se faire obeyr, elles n’ont besoin que d’un coup d’œil : mais croyez-moy, en matiere de Religion, il n’y a point de complaisance, & l’on n’en doit non plus avoir pour une Femme que pour le plus habile Docteur, puisque cette complaisance luy deviendroit trop fatale. Cette repartie embarrassa la Belle à son tour, & fut cause qu’elle entra insensiblement en dispute sur quelques points de Controverse. Elle parla beaucoup, changea vingt fois de matiere, & n’ayant donné le temps d’en approfondir aucune, elle dit en s’applaudissant, que l’esprit & les lumieres de son Sexe, en matiere de Religion, le faisoient traiter d’obstiné, parce que l’on ne pouvoit le convaincre, & que c’estoit par cette raison que les Hommes se convertissoient en plus grand nombre que les Femmes. Dites plûtost, luy repliqua ce Parent, que les Femmes n’estant pas ordinairement sçavantes, n’aprofondissent jamais une matiere, & qu’elles en changent si-tost que la replique les embarasse. La déference qu’on a pour leur Sexe, fait garder une certaine honnesteté qui empesche qu’on ne les pousse à bout, & sautant aussi souvent de matiere en matiere que les Oyseaux font de branches en branches, on ne peut les arrester sur aucune, de sorte qu’on perd son temps à disputer avec elles. C’est ce que vous venez de faire poursuivit-il, & pour vous mieux marquer que je dis vray, vous n’avez qu’à choisir une matiere telle qu’il vous plaira, & n’en point changer, & je m’engage à me rendre Protestant, si je ne vous fais pas demeurer d’accord de vos Erreurs sur l’Article que vous choisirez ; mais il faut aussi que vous me prometiez de vous faire Catholique si vous ne remportez pas la Victoire. Cette proposition ne plut pas à la Belle, & soit qu’elle tombast exprés ou naturellement dans ce qu’on luy venoit de reprocher, elle parla tant qu’il fut impossible de rien conclure avec elle. Ce Parent se souvint qu’il avoit sur luy un papier touchant l’affaire dont il estoit question. Ce Papier faisoit grand bruit dans le Monde, & avoit servy à plusieurs Conversions ; C’estoit un Ecrit qu’on avoit trouvé aprés la mort d’un grand Prince dans une Cassette qui luy appartenoit. Ce Prince faisoit une figure assez considerable parmy ceux de son rang, pour faire souhaiter d’entendre la lecture de cét Ecrit. Voicy ce qu’il contenoit. Il est dans les mesmes termes qu’il a esté traduit dans les Estats du Prince qui le fit peu de temps avant sa mort.

Je croy que vous estes pleinement satisfait du Discours que nous eusmes l’autre jour ensemble, que J.C. ne peut avoir icy en Terre qu’une seule Eglise. Pour moy je tiens plus visible que n’est l’Ecriture imprimée, que cette Eglise ne peut estre autre que celle qu’on appelle l’Eglise Catholique, Apostolique & Romaine. Je pense que vous n’avez pas besoin de vous tourmenter, en vous mettant dans un ocean de Disputes particulieres, puisque la principale question est de sçavoir où est cette Eglise, laquelle nous professons dans les deux Credo. Là dedans nous professons de croire une Eglise Catholique, Apostolique ; & il n’est pas permis au caprice de chaque homme bizarre, de croire cela comme il luy plaist ; mais seulement de croire à cette Eglise, à laquelle J. C. a laissé le pouvoir sur Terre de nous gouverner en matiere de Religion, & laquelle a fait le Credo pour nostre conduite. Il seroit tout-à-fait hors de raison de faire des Loix pour un Pays ou pour une Ville en particulier, & de permettre en mesme temps à ceux qui en seroient Habitans, d’estre les Interpretes & les Juges de ces Loix, puisqu’en ce cas chacun seroit Juge de soy-mesme. Pourrons-nous donc supposer que Dieu Tout-puissant nous ait laissé dans une telle incertitude, de nous donner des Regles pour nôtre direction, & qu’il ait laissé en mesme temps la liberté à un chacun d’estre Juge de soy-mesme. Je demande à tout homme de jugement, si ce n’est pas la mesme chose de suivre son caprice, & d’interpreter l’Ecriture suivant ce mesme caprice. Je voudrois que quelqu’un fist voir l’endroit où l’on a donné à chaque homme en particulier le pouvoir de decider en matiere de Foy ; Le Sauveur du Monde a laissé à son Eglise son pouvoir, mesme de remettre les pechez. Il a laissé son Esprit à ceux de son Eglise, & ceux-là l’ayant exercé aprés sa Resurrection, premierement par le moyen des Apostres dans le Credo. Et beaucoup d’années aprés par le moyen du Concile de Nice, où l’on fit le Credo, qui porte son Nom, furent toûjours les Juges de la mesme Ecriture, & deciderent quels Livres estoient Canoniques ou non. Si ceux-là eurent un tel pouvoir, je souhaiterois sçavoir comment ils l’ont perdu, & par quelle autorité quelques-uns se sont separez de cette Eglise. L’unique pretexte que j’ay entendu dire jusqu’à present, est parce que l’Eglise est venuë à manquer, en détournant & interpretant l’Ecriture en des sens contraires aux sens veritables. C’est icy que je souhaite sçavoir, qui doit estre le vray Juge de cela, ou toute l’Eglise, la succession de laquelle a duré jusqu’à aujourd’huy, sans aucune interruption, ou bien quelques hommes particuliers, qui pour leurs propres interests ont fait un Schisme.

On a fait beaucoup de Volumes touchant la Religion, qui tous ensemble disent beaucoup moins que ce peu de lignes, & l’on ne fera peut-estre jamais rien de si beau sur cette matiere, en si peu de mots. L’obstinée Maistresse de l’Amant Catholique en demeura d’accord, mais elle dit qu’elle n’étoit pas convaincuë pour cela, qu’il falloit approfondir les matieres, que tant qu’un homme parloit seul il avoit raison, & que de tres-belles choses pouvoient estre détruites par d’autres plus fortes & plus belles, qu’elle faisoit plûtost profession de croire que de disputer, qu’elle vouloit imiter les Catholiques en cela, & laisser à ses Ministres à disputer sur ce qui regardoit la Religion, de mesme que nous en laissons presque toûjours le soin à nos Docteurs. Il auroit esté assez inutile, & mesme de mauvaise grace, aprés une pareille declaration, de la presser dés ce mesme jour d’entrer dans une Dispute reguliere ; de sorte que si l’on ne quitta pas tout-à-fait les matieres de Controverse, on n’en parla que par reprises, & mesme assez foiblement. La Conversation tourna sur le zele du Roy pour le salut de ses Sujets, sur les bontez de ce Prince, & sur les grands soins qu’il prenoit, en s’appliquant avec tant d’ardeur à cette importante affaire. La difference de Religion n’empescha pas cette zelée Protestante, de tomber non seulement d’accord de ce que l’on dit du Roy, mais d’ajoûter mesmes beaucoup de loüanges qui parurent tres-sinceres, à celles que l’on donna à ce grand Monarque. L’Amant sortit peu de temps aprés, mais il fit voir un air si mortifié en quittant sa Maistresse, qu’elle ne put s’empescher de laisser aussi paroître quelque tristesse sur son visage. A peine fut-il sorty, que le Parent jetta les yeux sur un Porte-lettre qu’il apperceut à la place qu’il venoit de quitter, & qu’apparemment il avoit fait tomber de sa poche sans y prendre garde. Ce Parent le prit, & comme les Femmes sont naturellement curieuses, & que les Maistresses croyent que les affaires de leurs Amans ne leur doivent point estre cachées, elle fit connoistre à son Parent qu’ils pouvoient voir ce qu’il renfermoit. Il l’ouvrit, & ayant jetté les yeux sur une assez grande Lettre, & connu dés les premieres lignes de quelle matiere elle traitoit, il n’en témoigna rien, & lut ce qui suit.

A MONSIEUR DE ***

Puisque nous sommes dans un temps où tout est en mouvement pour le salut de ceux de vostre Religion, & que chacun travaille à leur faire connoistre leurs Erreurs, à l’exemple d’un Roy qui s’est acquis le surnom de GRAND, par cent Actions qui pouvoient toutes le luy faire meriter autant de fois ; je dois m’interesser avec tous vos Amis, à la Conversion d’un homme à qui il ne manque que la veritable Foy pour estre tout accomply. Je n’approfondiray point les choses en Docteur de l’Ecole, & feray parler mon zele autant que mes raisons ; mais ces raisons ne laisseront pas d’estre assez fortes pour vous convaincre, si vous voulez ouvrir les yeux aux lumieres de la Foy, & ne les point fermer à la Verité, comme font par une obstination déterminée la pluspart des Sectateurs de Calvin. Ouvrez donc les yeux Monsieur, & considerez que l’Eglise Romaine a de grandes prerogatives sur toutes celles qui s’en sont separées. Si vous le faites, vous serez convaincu que toutes les Sectes du Christianisme sont sorties de cette Eglise, & qu’elle a cet avantage sur toutes les autres, d’avoir succedé immediatement aux Apôtres, & par consequent d’être encore par le droit de la succession, ce Corps & cette Societé que ces saints Hommes établirent sur la Terre. L’Eglise Romaine est authorisée par son antiquité, & son étenduë par tout le Monde, pendant plus de quinze Siecles, & confirmée par un grand nombre de Miracles. Tout ce que vos Ministres avancent pour vous donner des idées desavantageuses de son Service public, est fondé sur de faux principes, sur des imputations injustes, & sur de fausses explications. Vostre simplicité affectée veut empescher qu’on ne serve Dieu avec majesté, & rejete les Ceremonies sacrées dont l’ancienne Eglise s’est toûjours servie pour faire l’Office divin avec bienseance, & avec cette sainte Majesté qui imprime dans l’ame de ceux qui regardent ces Ceremonies, les sentimens d’une devotion tendre & respectueuse, pour honorer Dieu dans ses plus redoutables Misteres. Vos Ministres ne sçauroient nier que vostre Confession de Foy, qui contient quarante Articles, n’ait esté fabriquée au Fauxbourg Saint Germain, en l’année 1559. par quarante personnes, dont la pluspart estoient Apostats. Ainsi il n’y a pas un Siecle & demy que vostre Religion est établie. Calvin ayant voulu estre Chef de Party aussi-bien que Luther, travailla à l’établissement de celle que vous professez ; & quoy que le mesme Plan eust servy à cet esprit subtil, les Lutheriens & les Calvinistes se traitoient d’Heretiques, avant que quelques raisons politiques eussent obligé ces derniers à rechercher l’union ; mais les premiers demeurerent toûjours dans le mesme sentiment. On peut dire que comme aprés le Deluge, les hommes voulurent se bastir une haute Tour, afin de se preserver d’une seconde innondation, Dieu témoigna visiblement qu’il desapprouvoit leur dessein, & condamnoit leur Ouvrage, quand il confondit leur langage, & les fit parler chacun differemment. De mesme ceux qui pretendoient s’estre sauvez du Deluge des Erreurs & des Superstitions en sortant de l’Eglise Romaine, voulurent se faire un édifice, & bâtir une nouvelle Eglise, qui ne fust plus sujette à une pareille innondation. Dieu marqua sans doute manifestement, qu’il desapprouvoit leur dessein, & condamnoit leur Ouvrage, en confondant leur langage pour les laisser parler si diversement. J’ay déja dit quelque chose des fausses imputations de vos Docteurs. Il en paroist une manifeste, lors qu’ils mettent le mot d’Images à la place d’Idoles taillées que Dieu defend. Il faut remarquer, que l’Image differe de l’Idole, en ce que l’Image est la representation d’une chose réelle, comme le Portrait d’un homme est proprement une Image, & l’Idole est une representation d’une chose qui n’est point, & qui n’a jamais esté. Saint Augustin a fort bien expliqué, que par ces Idoles il faut entendre les faux Dieux, puisque c’est d’eux que Dieu parle immediatement avant que de dire, Tu ne te feras point d’Idoles taillées, qui est ce qu’il a déja dit, Tu n’auras point d’autres Dieux que moy. L’Eglise dont vous vous separez, conserve toûjours son ancien culte, & ses premieres prérogatives, son ministere, & son ordre ; & ceux qui en ont voulu former une nouvelle, ne sont que des hommes fort ordinaires, sans mission, sans vocation, & sans Miracles, qui n’agissent que par passion, ou du moins par occasion ; de sorte que ce ne peut estre que par une criminelle témerité qu’ils se sont separez de l’Eglise Romaine. On dira peut-estre qu’il n’estoit pas necessaire qu’ils fissent des Miracles pour authoriser une Mission, parce qu’ils ne venoient pas annoncer une nouvelle alliance comme faisoient les Apostres, & qu’ils ne preschoient que le mesme Evangile, que les Apostres avoient si bien confirmé par leurs propres Miracles ; mais c’est là la question. C’est là proprement ce qu’on leur dispute. On les accuse d’alterer cette alliance, de falsifier cet Evangile à divers égards, de sorte qu’ils avoient besoin de preuves autentiques pour se justifier de cela, & il ne serviroit de rien de dire qu’ils se justifieroient par la sainte Ecriture, par la Parole de Dieu, car on pretend que ce n’est pas la Parole de Dieu qui leur rend témoignage, mais leurs propres paroles, ayant détourné l’Ecriture à leur sens, par leurs subtiles, mais vaines explications ; de sorte qu’il estoit toûjours necessaire qu’ils fissent des Miracles, pour faire recevoir sans contredits leurs Explications, comme conformes à l’intention de Dieu, sur tout parce qu’elles s’opposent à un consentement tranquille & universel de toute l’Eglise, & à une tradition qu’elle tient des Apostres mesme. Souffrez donc, Monsieur, que je vous conjure encore une fois d’ouvrir les yeux, & de faire serieusement reflexion sur des veritez si incontestables. Je sçay que Dieu veut, comme parle l’Ecriture, qu’il y ait des Erreurs, afin que les veritables Fidelles soient manifestez. Mais ayant autant de lumieres que vous en avez, vous ne devez pas demeurer enveloppé dans les ténebres d’une Heresie, que tant d’hommes illustres par l’esprit & par la naissance viennent d’abjurer.

Avoüez, dit-il à sa Parente, aprés qu’il eut achevé de lire, que vostre curiosité vient d’estre punie, & que vous croyiez entendre autre chose. Il faut, ajoûta-t-il, que cette Lettre ait esté écrite à vostre Amant, quelque temps avant sa Conversion, par un Amy zelé pour son salut. Vous ne pouvez nier qu’elle ne soit remplie de raisonnemens solides. Ils sont si forts, qu’il est impossible que vous ne tombiez d’accord qu’on n’y sçauroit faire reflexion sans en avoir l’esprit pénetré. C’est ce que je ne puis bien vous dire, luy repartit-elle, parce qu’aussi-tost que j’ay connu la matiere qui estoit traitée dans cette Lettre, j’ay songé à autre chose, & ne vous ay point du tout écouté. Voilà, dit-il en riant, pousser l’obstination jusqu’où elle peut aller ; mais cependant vous avez beau faire, vous rentrerez au sein de l’Eglise, comme ces Enfans débauchez, qui ayant abandonné le logis de leur Pere, sont trop heureux d’y revenir, & d’y trouver un azile, aprés leur desobeissance, & l’Eglise qui est vostre Mere fera de mesme. Elle vous recevra, & vous pardonnera vostre revolte. Pensez-y, de grace, un peu serieusement, ajoûta-t-il avec un air plein d’amitié, pendant que je vais prier le Ciel pour vostre Conversion. Il prit congé d’elle en achevant ces paroles, & se retira parce qu’il estoit déja fort tard.

Quelque fermeté qu’elle eust fait paroistre, elle ne laissa pas de resver lors qu’elle fut seule, à tout ce qu’elle avoit oüy lire, & elle repassa mesme dans son esprit pendant la nuit, quelques endroits dont elle s’estoit sentie frappée, & qui luy donnerent de l’inquietude. Son Amant n’en avoit pas moins de son costé, mais elle estoit d’une autre nature, & l’opiniastreté qu’il voyoit en elle, commençoit à le faire desesperer de son changement. Comme il resvoit à de nouveaux moyens pour l’y engager, il se souvint qu’elle n’avoit pû s’empescher de donner au Roy les loüanges qui estoient deuës au zele ardent que ce Prince faisoit paroistre pour la Religion. Il prit de là occasion de luy écrire la Lettre qui suit, & eut sujet de bien augurer de la suite, par la maniere dont on luy apprit qu’elle avoit esté receuë. En voicy les termes.

 

Vous me dites dans nôtre dernier Entretien, qu’on ne pouvoit trop estimer le zele du Roy pour l’accroissement de sa Religion ; & que non seulement il devoit estre loüé de tous ceux qui servent Dieu d’une maniere differente, mais que tout ce que ce Monarque fait de grand, meriteroit les loüanges de ses Ennemis mesmes, & en recevoit tous les jours. Vous ajoûtâtes que c’estoit la marque la plus certaine à laquelle on peut connoistre un veritable Heros, parce que les Ennemis ne flatent jamais, que leurs loüanges ne sont point interessées ; & que lors qu’il leur arrive d’en donner, elles sont arrachées par le vray merite. Chacun demeura d’accord dans cette Conversation, que si l’on dressoit des Statuës au Roy, presque dans toutes les grandes Villes du Royaume, cela n’avoit rien de commun avec celles qu’on erigeoit autrefois en l’honneur des anciens Conquerans qui les souhaitoient, & dont l’ambition trop aveugle alloit souvent jusques à vouloir qu’on les traitast de Dieux ; mais qu’au contraire, tous les Sujets de Sa Majesté luy demandoient à genoux, & avec les plus respectueuses instances, la permission de luy en élever ; ce qu’Elle n’a souvent accordé qu’avec peine à l’empressement de leurs desirs, & pour ne point exciter de jalousie entre ses Peuples, parce que ceux qui n’auroient pû avoir ce glorieux avantage, auroient esté jaloux du bonheur des premiers, à qui ce Monarque n’avoit pû le refuser. Vous avoüastes avec moy, que si ce Heros continuoit à se distinguer par une foule d’actions si extraordinaires, que l’Antiquité n’en fournissoit aucune qui en approchast. Nous tomberions dans un malheur pire que celuy de faire profession d’une Heresie, puisque nous aurions peine à nous empescher de devenir Idolatres, en luy dressant des Autels, qu’il a peut-estre déja dans nos cœurs, lorsque ses Statuës sont dans les Places publiques. Vous fustes obligée de convenir, qu’il étoit impossible de concevoir comment, sans verser une seule goute de sang, le Roy avoit pû aneantir dans son Royaume, une Religion, qui toute commode qu’elle est, en avoit tant coûté pour l’établir ; ce qui ne pouvoit venir que d’un Prince qui n’a imité personne dans ce qu’il a fait de grand, & qui ne peut estre imité que par luy-mesme. Aprés cela, vous ne serez pas surprise, si je vous prouve par ce Monarque mesme, que vous devez croire que la Religion Catholique est la veritable. Dieu l’auroit-il fait naistre si parfait, luy auroit-il donné de si vives clartez, & un discernement si juste ? L’auroit-il rendu les délices du monde, & se seroit-il servy de luy pour executer tant de merveilles, & imposer la Paix à l’Europe entiere ? L’auroit-il enfin rendu le plus grand des Hommes, s’il ne luy avoit pas donné la veritable Religion, & s’il estoit vray qu’il ne l’eust pas possedée, ses grandes & vives lumieres qui pénetrent jusques dans le fond des cœurs, ne luy auroient-elles pas fait développer les voiles & l’obscurité qui la luy auroient cachée ? Il voit tout, il sçait tout, & rien n’échappe à la justesse du discernement qu’il fait éclater en toutes choses. Dieu ne luy a pas donné tant de grandes qualitez, tant de merite, tant de vertus, & tant de lumieres, afin qu’elles servent à sa perte ; & nous devons croire, que puisqu’il luy a esté si liberal, il ne luy a pas caché la veritable maniere de le servir. On le voit, on l’approche, on luy parle, il écoute, & sçachant par les lumieres de tout ce qu’il y a de sçavans Hommes, comme parles siennes propres, tout ce qui regarde l’une & l’autre Religion, il peut voir en un seul jour par l’étude de mille & mille personnes, ce que nous ne pourrions apprendre dans le cours de cent vies comme la nostre mises de suite ; & cependant il est non seulement Catholique, mais il est tellement persuadé de la verité de sa Religion, qu’il donne son temps, applique ses soins, & ouvre ses tresors, pour nous engager à n’en point professer d’autre. Nous ne risquerons rien à l’imiter, & nous devons croire que Dieu veut sauver celuy qu’il a tant pris de plaisir à former ; que les Rois estant ses Images sur la Terre, ce Monarque en est la plus parfaite ; & qu’aprés tant de Miracles que le Ciel a faits pour luy, il en feroit encore un pour luy enseigner la veritable Religion, s’il estoit vray qu’il ne la professast pas.

Cette Lettre la jetta dans une si profonde resverie, qu’elle ne se reconnut plus elle-mesme. Elle sentit tout à coup diminuer la grande fermeté qu’elle avoit pour la Religion Protestante, elle en avoit de la joye, & du chagrin tout ensemble, & ne sçavoit quels souhaits former. Elle repassa dans son esprit toute l’Histoire du Roy, & y trouva que devant estre le Favory du Ciel, puisqu’il l’avoit comblé de tant de Benedictions, il falloit qu’il fust éclairé des lumieres de la veritable Foy ; de sorte qu’elle se resolut de relâcher beaucoup de la severité qu’elle faisoit paroistre à ceux qui la portoient à se convertir. Elle écouta, & c’estoit assez puisque la Religion Protestante est si foible & si mal fondée, que dés qu’on veut bien entrer de bonne foy en dispute, on est seur de succomber. Elle n’avoüa pourtant pas si-tost sa défaite ; & comme son Amant en avoit esté la principale cause, elle voulut luy en donner la premiere nouvelle, ce qu’elle fit par ces lignes.

Il n’est pas honteux à une Place de se rendre, lors qu’elle a souffert plusieurs Assauts, & qu’elle est forcée par des Vainqueurs à qui l’on peut ceder avec gloire. Je me rends à mon devoir, à la nature, & à l’amour, puisque j’obeis à mon Roy & à mon Pere, & que je fais ce que mon Amant souhaite. Je pourrois dire Epoux en parlant de ce dernier, puisque la veritable Religion réünit ce que la fausse s’efforçoit de séparer. La Catholique est celle d’un Roy, qui ne se peut tromper ; elle est celle d’un Pere, à qui je dois obeïr ; & celle d’un Epoux, par qui je dois me laisser conduire. Mon Roy me commande, mon Pere me presse, mon Epoux me prie, & tous trois ont droit d’agir avec moy en Maistres. Quand je considere l’obeïssance que je leur dois, je sçay qu’en satisfaisant à ce qu’ils veulent de moy, je fais mon devoir selon les hommes, & je croy le faire aussi selon Dieu, puisque je soûmets mes volontez à ceux a qui il m’ordonne d’obeïr. Si je fais mal ils en seront la cause, & en porteront la peine, de mesme qu’ils seront recompensez s’ils m’ont mise dans la bonne voye. C’est à la clarté de leurs lumieres que je marche, je desavouë les miennes, je ne voy que par leurs yeux, & je les rends responsables devant Dieu, de ce que je fais aujourd’huy. Je croy qu’ils sont dans le bon chemin, & je le souhaite, puisque s’ils avoient besoin de tout mon sang, je le verserois pour eux autant par devoir que par inclination.

Jamais Amant n’a esté si satisfait que le fut celuy de cette belle Personne. Il baisa vingt fois sa Lettre, & s’applaudit en luy-mesme, de ce qu’il avoit dit du Roy, puisque cela avoit produit un effet si avantageux à l’un & à l’autre. Il alla sur l’heure chez sa Maistresse, & la joye dont il estoit tout penetré brilloit tellement dans ses yeux, que ceux qui le rencontrerent ne sceurent à quoy attribuer les vifs transports qu’il en laissoit échaper. Il fut à peine entré dans sa Chambre qu’il se jetta à ses genoux, & les embrassa. Le Pere le surprit en cette posture, & n’en pouvant deviner la cause, parce que sa Fille ne s’estoit point encore declarée à luy. Il fit voir sur son visage une froideur qu’il fut aisé de luy faire perdre. On luy apprit l’heureux changement qu’il souhaitoit avec tant d’ardeur, & la belle Convertie qui ne l’estoit encore que de volonté, luy parla à peu prés de la maniere dont elle avoit écrit à son Amant, il en eut beaucoup de joye. Le Contract avoit esté dressé avant que le Temple de Charenton fust abatu ; les habits de Nopce estoient faits, les Parens d’accord, les Amans contants ; Ainsi le jour fut choisy pour celebrer à l’Eglise ce Mariage, que l’on devoit celebrer dans un Temple où l’Heresie avoit toûjours regné.

[Devise pour Louis le Grand, par Mr de Verton] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 311-313

DEVISE
Pour Loüis le Grand.
Le Soleil avec ce mot :
Non surrexit major.
SONNET.

Les grands Heros qu’on voit tant vantez dans l’Histoire,
Celebres en vertus, fameux par mille Exploits,
Et qui malgré du temps les rigoureuses Loix
Dans l’Univers encor font briller leur memoire.
***
Surpris dans la défaite, enflez dans la victoire,
Ont laissé découvrir des defauts quelquefois :
Il n’est que LOUIS seul, dont le Ciel ait fait choix,
Pour arriver sans tache au comble de la gloire.
***
Tout conduit ce Monarque à l’immortalité,
Son zele, ses Edits, ses soins, son équité,
Ses immenses travaux, sa sagesse profonde.
***
Il est du nom Chrestien & l’honneur & l’appuy,
On n’en a jamais veu de si grand dans le monde,
Et l’on verra point de si grand aprés luy.

Mr de Vertron, Historiographe de Sa Majesté, de l’Academie Royale d’Arles.

[Devise sur la défaite de l’Heresie, par le mesme] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 313-314

DEVISE
Sur la Défaite de l’Heresie.

Elle a pour corps le Soleil montant sur l’Horison, & pour ame. Procul, error, & umbræ.

En ouvrant chaque jour la barriere des Cieux,
Je porte mon éclat aux endroits les plus sombres ;
Et faisant ressentir ma presence en tous lieux,
Je tire l’Univers de l’erreur & des ombres.

Le mesme.

[Inscriptions pour servir à la Statuë du Roy, par le mesme] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 314-315

Pour servir d’Inscription à la Statuë du Roy.

LUDOVICO XIV.
Imperatori lxiv.
Francorum.

CARMEN.

Es Magni quartus ; Justi, LODOICE, secundus ;
Primus es Invicti cognomine ; at Imparis unus.

VERSION.

Il est GRAND quatriéme ; il est JUSTE second ;
INVINCIBLE premier : que de Titres ensemble !
Mais pour le distinguer avec plus de raison,
Il est le seul à qui nul autre ne ressemble.

Le mesme.

[Devise sur la Figure Equestre de Sa Majesté] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 315-316

SUR LA FIGURE
Equestre du Roy.

Sit locus invidiæ vobis qui Sceptra tenetis,
Vester magnanimo pectore victor adest :

AUTRE.

Hîc certis ligata gemat fortuna triumphis,
Ille est, Principibus qui nova jura dedit :

AUTRE.

Cæsar, Alexander, Princeps hîc omnis in uno,
 Mens Regit Europam, solaquè dextra fugat.

Inscriptions pour le Louvre §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 316

INSCRIPTIONS
pour le Louvre.

Monde, viens voir ce que je voy,
Et ce que le Soleil admire,
Rome dans un Palais, dans Paris un Empire,
 Et tous les Cesars en un Roy.
***
Aula capit Romam, Regnumque Lutetia, Reges
 Tu LODOICE capis ; Majus in orbe nihil.

[Devise pour Sa Majesté, sur le sujet des Conversions, par le Pere Mourgues, Jesuite] §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 317

DEVISE
Pour sa Majesté,
sur le sujet des Conversions
presentes.

Le corps est un Champ semé d’Heliotropes tournez vers le Soleil. Et l’ame est, Ex te conversio nostra.

 Du Ciel descend l’attrait qui vers vous nous entraine,
 Rien de plus fort, rien de plus doux,
Tout tourne à vostre gré, tout obeït sans peine,
Vous reglez l’Univers, nous nous reglons sur vous.

Le Pere Mourgues, Jesuite.

[Devise sur le Soleil, par Madame de Saliez, Viguiere d’Alby §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 318

DEVISE.
Elle a le Soleil pour corps.
Et pour ame, Più Grande là sù.
MADRIGAL.

Mortels qui m’admirez, vous ne sçauriez connoistre
Par mes soins sans relâche & ma brillante ardeur,
Ny par tous mes bienfaits qui font vostre bonheur,
Combien je suis plus grand que je ne parois estre,
Et le Ciel seulement sçait toute ma Grandeur.

Madame de Saliez.

Lettre pastorale de M. l’Evesque d’Amiens §

Mercure galant, février 1686 (seconde partie) [tome 3], p. 319-333

LETTRE PASTORALE de Monsieur l’Evesque d’Amiens, pour regler les Actions de graces que l’on doit à Dieu & au Roy, pour avoir delivré ce Diocese de l’Heresie, & les Instructions qu’on doit faire aux nouveaux Convertis.

François par la Misericorde de Dieu, & par la grace du Saint Siege Apostolique Evesque d’Amiens ; A tous les Fideles de nostre Diocese, tant Ecclesiastiques que Seculiers, Salut & Benediction.

Il ne s’est jamais rien fait de si grand, que ce que vient de faire Louis le Grand ; je ne parle point de ce qu’a fait nostre Auguste Monarque au dedans de son Royaume, où il a reformé tous les Corps de l’Estat, que quelques uns de ses Predecesseurs avoient tenté, & que luy seul a pû entreprendre & achever ; ny de ce qu’il a fait au dehors ; où dans une Campagne il a forcé plus de Places estimées imprenables, que les plus grands Conquerans du Monde n’en ont emporté en toute leur vie ; ny de ce prodigieux nombre de Victoires signalées qu’il a remportées par Mer & par Terre, par lesquelles il a porté son Royaume jusqu’aux anciennes limites, en réünissant à sa Couronne tant & de si considerables Provinces, que les Guerres domestiques & les étrangeres en avoient enlevé. Je ne veux pas mesme parler de cette Paix qu’il vient de donner à toute l’Europe, si singuliere & si admirable dans toutes ses circonstances. Ce font-là neanmoins des choses veritablement grandes, que l’on regarde comme autant de prodiges & de miracles de sa Magnanimité sans pareille, & de sa Moderation sans exemple, qui ont étonné toute la Terre, & porté la terreur de ses Armes, & la gloire de son grand Nom dans toutes les parties de l’Univers. Je parle seulement, mes Freres, de ce que vient de faire nostre Monarque incomparable, pour la gloire de Dieu, pour l’honneur de l’Eglise, pour la tranquillité, & pour le salut de ses Peuples ; & je dis que cet Ouvrage est incomparablement plus grand, que tout ce qui s’est jamais fait de plus grand dans tous les autres Royaumes, qu’il est d’un merite plus grand grand que toutes les autres grandes choses qu’il a faites luy mesmes.

Nous trouvons dans l’Histoire Sainte, & mesme dans la Prophane, que Dieu a suscité quelquefois des Princes pour châtier les Peuples, & qu’en d’autres rencontres il en a fait naistre pour les rendre heureux. Tous ces Monarques ainsi choisis de Dieu, ou dans la fureur de sa colere, ou dans l’excés de sa Misericorde, ont fait de grandes choses ; & c’est pour cela que les uns portent les grands Noms de Massuë ou de Marteau, pour écraser toute la terre, ou de Fleau de sa vengeance, ou de Verges de sa fureur ; & que les autres ont esté nommez les Peres, les Pasteurs, & les Sauveurs des Nations. Mais tous ces Emplois estoient bornez & restraints, & celuy qui estoit destiné pour vanger les injures faites au Dieu des Armées, n’estoit pas employé pour exerces ses Misericordes : il ne s’en trouve que deux fort distinguez de tous les autres, qui ont porté tout ensemble ce double Caractere de Vengeurs des injures faites à Dieu, & de Dispensateurs de ses graces, le Grand Cyrus, & Louis le Grand. Cyrus a porté ce double Caractere, & Dieu s’en est servy dans l’ancien Testament pour châtier les méchans, & pour gratifier les gens de bien, pour détruire Babylone, & réédifier Ierusalem, pour affliger les Egyptiens, & pour consoler les Israëlites. Louis le Grand entre tous les autres Rois, porte dans le nouveau Testament, & avec plus de justice que Cyrus, ce double Caractere, & il paroist visiblement que Dieu s’est servy de luy pour exterminer la Babylone de confusion, & pour réédifier la Ierusalem pacifique, pour détruire totalement l’Heresie, & pour rétablir entierement l’Eglise, Louis le Grand vient de terrasser ce Monstre de l’Heresie, qui s’estoit engraissé du sang des Martyrs, dans toutes les parties de son Royaume, qui avoit élevé dans les lieux les plus Saint l’abomination de la désolation, en abolissant le vray, l’unique & l’adorable Sacrifice de nostre sainte Religion : Louis, le grand Louis a enlevé toutes les abominations de cette monstrueuse & maligne impieté, renversé tous ces Temples, banny tous ces Ministres, aneanty entierement le culte de cette fausse Religion. Il en a purgé non une seule, mais toutes, & presque tout à la fois, toutes les parties de son Royaume, & ce qui est de plus surprenant, que nous ne croirions pas, si nous ne l’avions vû, que la posterité aura peine à croire, parce qu’elle ne l’estimera pas faisable, c’est que Louis le Grand a fait toutes ces grandes choses si incroyables, en moins de temps que le Soleil n’en met à faire sa course, & qu’en moins d’une année, il a guery toutes les playes du Corps de l’Eglise de France, déchirée en mille manieres ; qu’il l’a purifiée & affranchie ; qu’il a rendu à cette chaste Epouse du Seigneur sa premiere santé, sa premiere beauté, & son ancienne liberté ; qu’il a rappellé tout ce grand nombre de Brebis égarées, & les a réünies dans une mesme Bergerie, sous un mesme Pasteur : En sorte que si on avoit peine autrefois de faire un pas dans le Royaume, sans trouver un Huguenot, dont le voisinage estoit toûjours contagieux, on auroit peine maintenant d’en trouver un dans ce grand & vaste Empire, dont quelques jours auparavant toutes les parties estoient infectées.

Aprés cela, mes Freres ; j’ose dire, que quand le Prophete Isaye a fait l’Eloge du grand Cyrus, il a fait le Portrait de Louis le Grand. Ils estoient nez l’un & l’autre pour de grandes choses, ils ont esté l’un & l’autre le bras & la main de Dieu pour executer ses volontez impenetrables, chacun d’eux s’est dignement acquité de son Employ. Mais il faut confesser qu’il y a bien de la difference entre ces deux grands Monarques ; les belles inclinations & les grandes qualitez que Dieu avoit données à Cyrus, pour le rendre capable de l’Employ auquel il le destinoit, furent affoiblies par ses vices, & toutes corrompuës par les crimes de son Idolatrie ; les excellentes inclinations, & les admirables qualitez dont Dieu a remply Louis le Grand, ont esté animées & soûtenuës par toutes les graces du Christianisme, & fortifiées par le continuel exercice de toutes les Vertus Politiques, Morales & Chrestiennes. Ainsi autant que l’Eglise est au dessus de la Synagogue, pour laquelle Cyrus estoit destiné, & que le Christianisme est au dessus de l’Idolatrie, autant Louis le Grand, employé pour l’Eglise, est élevé au dessus du grand Cyrus, non seulement par la dignité de ses Emplois, mais par la singularité & par l’éminence de ses merites. Que si le Prophete a dit, que quand le grand Cyrus executoit les volontez de Dieu à l’égard de la Synagogue, Dieu se cachoit en luy, & qu’il paroissoit par luy. Nous pouvons dire hardiment, que lors que LOUIS execute les ordres & les volontez de Dieu à l’égard de l’Eglise, c’est Dieu, qui par la main de LOUIS, disons par sa teste & par son cœur, a operé tant de grandes choses, que LOUIS dans ce grand Ouvrage a fait connoistre & sentir la main de Dieu pesante & severe sur l’Heresie qu’il vouloit détruire, douce & favorable sur l’Eglise qu’il vouloit sauver. Que Dieu s’est caché en LOUIS, & s’est manifesté par LOUIS. Il n’y avoit que Dieu & Louis le Grand capables d’entreprendre & de conduire à sa perfection ce grand Chef d’œuvre de la pieté Royale, qui couronne toutes ses autres grandes Actions d’une immortalité de gloire.

Or, mes Freres, puis que nous recevons maintenant dans ce Diocese le fruit de cet Ouvrage si grand, si saint, si surprenant & si admirable en toutes ses circonstances, entrepris avec tant de pieté, conduit avec tant de sagesse, executé avec tant d’efficace & de bonheur. De cet Ouvrage tout Royal & tout divin, quelles actions de graces ne devons-nous pas rendre à ce grand Dieu, qui nous a gratifié d’un si grand bienfait, & à ce grand Monarque, par lequel il nous la procure.

Pour ne pas demeurer ingrats, & pour satisfaire en mesme temps à Dieu & au Roy, par quelque Acte public d’une si juste reconnoissance, qui soit proportionnée, autant qu’il nous sera possible, à la grandeur d’un si insigne Bienfait, Nous n’avons pû nous imaginer de moyen plus propre, ny plus efficace, que celuy d’offrir à Dieu pour le Roy, l’Adorable Sacrifice du Corps & du Sang de Jesus Christ au Saint Sacrifice de la Messe, qui par son Institution, & par sa nature, est le veritable Sacrifice Eucharistique, ou d’action de graces.

C’est pourquoy, aprés en avoir communiqué avec nostre Venerable Chapitre, Nous avons résolu de celebrer pontificalement Dimanche prochain dans nostre Eglise Cathedrale, la sainte Messe pour le Roy, telle qu’elle est imprimée dans nostre Missel, qui sera terminée par un Te Deum, où tous les Corps de la Ville seront invitez de se trouver. Et Nous avons ordonné qu’il en sera celebré une tres-solemnelle dans toutes les Eglises de nostre Diocese, le mesme jour, ou le Dimanche immediatement aprés qu’ils auront receu nostre present Mandement.

Et pour rendre dans ce Diocese nostre reconnoissance publique & immortelle, tant envers Dieu, qu’envers nostre religieux Monarque, Nous avons ordonné, qu’à l’avenir cette Messe sera celebrée pour le Roy, avec la mesme Solemnité, & les mesmes Ceremonies dans toutes les Eglises du Diocese, tous les premiers Dimanches du mois de Février si ce n’est que la Feste de la Purification de Nostre Dame, ou la Septuagesime se rencontrent en ce premier Dimanche de Février.