1686

Mercure galant, mars 1686 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, mars 1686 [tome 4].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mars 1686 [tome 4]. §

Au Lecteur §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. I-II

AU LECTEUR.

Des ordres auxquels il est glorieux d’obeïr, ayant engagé à un Ouvrage du temps, dont le travail ne souffre point de delay, l’Extraordinaire qui devoit paroistre au quinziéme d’Avril, ne sera mis en vente qu’au quinziéme de Juillet. On est aussi obligé de remettre l’Histoire des Estampes. Le Public sera averty par un Avis particulier du temps auquel elle paroistra.

[Extrait de Sermon] §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 12-43

 

Ce Mandement devant estre publié dans toutes les Paroisses de Paris, il fut mis entre les mains de Mr l’Abbé Faydit, qui presche le Caresme à S. Jacques du Haut-pas, & qui aprés l’avoir leu à ses Auditeurs, leur parla de cette sorte.

Messieurs,

Vouloir ajoûter quelque chose de nouveau à l’éloquence & aux lumieres de M. l’Archevesque, c’est vouloir ajoûter de nouveaux rayons au Soleil ; & j’ay appris de Saint Augustin, que lorsque le Ciel gronde & menace les hommes par le tonnerre & par les éclairs, la Providence Divine fait taire les petits oiseaux dans l’air, & oblige les vils insectes des Marais de se cacher dans leur bouë, & de ne pas rompre la teste davantage au monde par leurs cris grossiers & importuns. Cælum tonat, ranæ taceant. Ainsi, aprés vous avoir lû les Remontrances également fortes & éloquentes que ce grand Prelat fait dans ce Mandement aux Profanateurs des Eglises, je n’ay garde d’y rien ajoûter du mien, de peur d’affoiblir par la bassesse de mes expressions les mouvemens vifs & les impressions puissantes que cette lecture doit avoir produit dans vos esprits ; & de peur aussi qu’on ne me reproche le mesme defaut que le Prophete Daniel trouva dans la Statuë de Nabuchodonosor, d’avoir joint dans un mesme Ouvrage l’or & l’argent le plus pur avec le cuivre le plus roüillé, & l’argile la plus méprisable. L’un gâtera l’autre, dit-il, & ce meslange de deux choses si differentes, fera qu’elles se détruiront toutes deux. Non adhærebunt sibi sicut ferrum misceri non potest testæ. Je me contenteray donc, MESSIEVRS, de vous representer pour vostre edification, qu’il semble que Dieu veüille renouveller en ce temps pour nostre avantage ce qu’il fit autrefois dans l’ancienne Loy, pour le bien & la gloire de la Synagogue.

Nous apprenons de l’Ecriture, & sur tout du Prophete Zacharie, que les Babyloniens & les Assyriens ayant pris Jerusalem, & remply tout de feu & de sang, pillerent, profanerent, & brûlerent le Temple, & que les Samaritains, & autres Juifs tres-corrompus se joignirent à eux, & commirent dans cette sainte Maison de Dieu, des abominations non moins scandaleuses, que celles que les Gentils & les Etrangers y avoient faites. Les Gens de bien gemirent de ce double desordre, & Dieu touché de leurs Prieres, resolut de rétablir le Temple dans sa premiere pureté & splendeur, & de purger Jerusalem du culte sacrilege qui s’y estoit introduit dans ce temps de tenebres & de guerre. Pour cet effet, il suscita un Prince selon son cœur, plein de valeur, de courage, & de prudence, & il donna en mesme temps aux Juifs un Grand Prestre & Souverain Pontife, aussi recommandable par sa vertu & par son zele pour la Religion, que par sa science & par ses lumieres. Ce Prince fut Zorobabel. Ce Pontife fut Josedech ou Jesus. Non content de les avoir donnez à la Synagogue, pour remedier à ses maux, il les unit tous deux de l’amitié la plus étroite. Ils ne faisoient rien sans se le communiquer. Ils concertoient ensemble toutes leurs mesures, & toutes ces mesures tendoient à la paix. Consilium pacis erit inter illos duos. Parce moyen le Temple fut bien-tost remis dans son premier éclat. Jerusalem fut bien-tost purgée des desordres & des schismes qui la défiguroient & la divisoient de toutes parts. Les Impies qui ne craignoient pas les armes spirituelles, & l’Excommunication du Grand-Prestre, (car l’Excommunication dont on use parmy les Chrestiens, vient originairement des Juifs) apprehenderent l’Epée du Roy, & ainsi le Sacerdoce & l’Empire estant joints ensemble, firent rendre à Dieu, à la Religion, & aux Autels, le culte & le respect qui leur est dû.

La mesme chose se prepare parmy nous. L’Eglise, qui est la veritable Maison de Dieu, comme dit Saint Paul, estoit horriblement défigurée par les Sacrileges que les Etrangers & ses propres Enfans, commettoient depuis long-temps. Qui pourroit expliquer les desordres que les premiers, je veux dire les Heretiques, firent dans les Eglises de France au commencement de leur revolte & de leur separation ? Saint François de Sales qui vivoit pour lors, en fait la peinture dans une de ses Lettres à Clement VIII. en ces termes. Quand j’arrivay dans mon Diocese, je ne trouvay dans cette Partie qui releve de la France, ny Autels ny Croix ; Nullibi Altaria, nullibi Crucis signa. Les Temples estoient tous ruinez, & ceux que la fureur des Calvinistes avoient épargnez, estoient tous nus & tous dépoüillez d’Ornemens & d’Images ; Templa partim diruta, partim nuda. Enfin, je ne trouvay nulle part aucune trace ny aucun monument de l’ancienne pieté de nos Peres. Ubique veræ & antiquæ Fidei monumenta deleta.

Il est certain que les Babyloniens & les Assyriens ne firent jamais tant de degast dans le Temple de Salomon, car au moins ils ne toucherent pas à l’Arche du Seigneur. Ils donnerent le temps à Jeremie de la mettre à couvert, & de la cacher dans une Caverne inconnuë, comme nous apprenons d’une Lettre Circulaire des Juifs, rapportée au premier Livre des Machabées ; au lieu que la profanation de l’Eucharistie fut le premier attentat de ces Pretendus Reformateurs. Ils commencerent à reformer l’Eglise par jetter aux chiens, par fouler sous les pieds, par jetter dans des égouts & des cloaques le Saint du Seigneur, & la veritable Arche d’Alliance qui avoit toûjours esté, comme elle sera toûjours, l’objet de l’adoration & de l’amour des Fidelles, & devant qui les Cherubins mesme tremblent, & étendent leurs ailes pour s’en couvrir le visage par respect, comme ils les étendoient sur la premiere Arche qui n’en estoit que la figure. Ces Sacrileges furent commis generalement par toute la France. Le nombre des Heretiques grossissant tous les jours, augmenta aussi leur audace à piller, à profaner, à brûler les Eglises & les Reliques des Saints qui y estoient conservées depuis tant de Siecles. Il n’en reste guere aujourd’huy qui ne portent des marques de leur rage & de leur emportement. Mais le croirez-vous, Chrestiens ? Les Enfans de la Maison ont achevé de mettre le comble à l’iniquité des Heretiques, par la profanation continuelle & scandaleuse qu’ils font de ces mesmes Eglises. Celles que les Calvinistes n’ont pû, ou n’ont pas voulu ruiner, sont deshonorées par des abominations aussi criminelles des Catholiques ; car que vaut mieux brûler les Eglises, ou les conserver pour en faire un marché, où l’on cause, où l’on trafique, où l’on parle d’affaires, où l’on s’entretient de nouvelles ; que d’en faire un rendez-vous, où l’Amant trouve à coup seur sa Maîtresse, un theatre où l’on rit, où l’on chante des Airs d’Opera ; enfin que d’en faire le mesme usage que les Payens faisoient autrefois de leurs Temples de Venus & de Mars, où un Poëte leur reproche qu’ils ne venoient que pour voir & estre veus, & pour y admirer la beauté des plus belles Dames de la Ville. Dieu est assurément aussi offensé par les uns que par les autres, & encore devons-nous rendre aux Heretiques cette justice, que Saint Paul rend à Pilate & aux autres Meurtriers du Fils de Dieu, qu’ils ne l’auroient jamais crucifié, s’ils l’avoient connu pour le Seigneur de la Gloire ; au lieu que le connoissant d’une part pour tel, & estant tous fortement persuadez que ce Seigneur de la Gloire reside dans nos Ciboires & dans nos Eglises, nous l’y crucifions tous les jours, & luy faisons mille outrages plus scandaleux que ceux que les Juifs luy firent sur le Calvaire.

C’est à ces deux grands maux, à ces deux funestes & dangereuses playes, que Dieu ayant regardé ces temps de malice d’un œil de misericorde, veut remedier souverainement & efficacement à l’Heresie, & à la profanation des Eglises. Pour cet effet, il nous a donné un Roy incomparable, un Roy non seulement le plus grand, le plus accomply, le plus heureux qui ait esté depuis l’établissement de la Monarchie, mais qui ne cede en rien pour sa prudence, pour sa sagesse, pour sa pieté, & pour son zele aux David, aux Salomon, aux Cyrus, & aux Zorobabel. D’un autre costé, il a mis sur le Chandelier de l’Eglise de Paris, c’est à dire sur le plus illustre Theatre de l’Univers, le plus grand, le plus sçavant, & le plus aimable Prelat qui fut jamais. Non content d’avoir donné à la France ce grand Monarque & ce grand Prelat, ou comme parle plus correctement Saint Augustin, dans une occasion toute pareille, ces deux sublimes Personnes, ausquelles tout doit obeïr : Duas illas sublimes personas Regem & Sacerdotem, quibus omnis terra caput inclinat, il les a unis tous deux d’une amitié sainte & étroite. Comme il tourne le cœur des Rois selon ses volontez, il a inspiré à celuy de nostre invincible Monarque un panchant, une tendresse & une inclination toute particuliere pour nostre illustre Prelat. Tout le monde le sçait & le voit, MESSIEURS. Le Roy honore M. l’Archevesque d’une estime & d’une confiance toute particuliere ; & ce nouveau Josedech est aussi attaché au Roy par tant de liens, & par de si fortes chaînes de respect, de reconnoissance & d’amour, qu’on ne vit jamais une liaison semblable. Dieu a eu ses veuës dans cette conduite ; c’est afin que se communiquant mutuellement l’un à l’autre leur puissance & leur lumiere, ils travaillassent de concert à rétablir la Maison de Dieu dans son ancien lustre, telle qu’elle estoit du temps de Charlemagne & de Saint Loüis, que nulle Heresie ne l’infectoit au dehors, nul scandale ne la defiguroit au dedans. Consilium pacis erit inter illos duos. Nous en voyons déja un effet bien éclatant dans la ruine de l’Heresie. Cette Heresie épouvantable, qui avoit englouty prés des trois quarts de la France, & où l’on a compté jusqu’à dix-sept cens mille Sectateurs, est entierement détruite par les soins de ces deux grands Heros. Tous les Temples abatus, toutes les Synagogues de Satan démolies, tous les Presches & les Chaires de mensonge renversées par terre, sont le fruit de leur union toute sainte. On ne voit plus de Ministres prescher en Chaire, avec les Habits tels que les Avocats & les Procureurs en ont lors qu’ils plaident au Barreau. Nos oreilles ne sont plus importunées du jargon & des miserables rimes des Pseaumes de Marot. Nos yeux ne sont plus soüillez de la celebration d’une Cene polluë, & qui n’avoit rien de saint, mesme en apparence, que le nom. Il ne se fait plus d’exercice de cette Pretenduë Religion, qui vouloit reformer toutes les autres ; & au lieu qu’un Ecrivain celebre (c’est l’Historien Sleimdam) croyant que la Messe alloit estre abolie de son temps, & qu’on en oublieroit mesme jusqu’aux Ceremonies & aux paroles dont elle estoit composée, crut obliger la Posterité, & bien meriter d’elle, de luy conserver des Estampes des Habits du Prestre, & une Copie de nos Missels & de nos Rubriques, un Religionnaire de France a fait imprimer depuis peu en Hollande les faux Synodes des Calvinistes, & un Livre de leur Rit & de leurs Prieres, pour en conserver le souvenir, parce qu’il a bien veu qu’il s’alloit perdre dans un oubly eternel. En effet, tout est converty en France. Tout a renoncé à Calvin, & à sa pretenduë Reforme. Le peu d’opiniastres qui sont restez, se retirent dans les Pays Etrangers, & y portent des nouvelles du débris de leur Colosse. Ils disent tous, les larmes aux yeux, ce que disoient ces vagabonds & ces malheureux Fugitifs de cette Ville si fameuse de la Fable ou de l’Histoire, lors qu’elle eut esté brûlée & saccagée par les Grecs : Nostre dernier jour est venu, ce jour fatal & funeste que les Destins avoient marqué, pour estre le jour de nostre desolation & de nostre ruine entiere. Nous sommes perdus sans ressource. Nous avons été autrefois bien crains & bien redoutez. Nous ne serons plus rien pour jamais. Troye, la superbe Troye, est détruite. Elle est toute en cendre. Nostre premiere gloire est passée.

Venit summa dies, & ineluctabile tempus, &c.

A la verité il reste encore, & il restera peut-estre quelque temps des Enfans Heretiques, qui ont sucé avec le lait le poison de l’erreur ; mais on a pris des mesures pour empescher qu’il ne passe jusqu’à leurs Descendans. La Tige estant morte & sechée, le rejeton sera sain & pur, & on l’entera sur l’Olivier franc, pour estre fait participant de son suc & de sa séve, comme parle l’Apostre. En un mot, cette race d’Amorréens & de Chananéens, en moins de cent ans, sera effacée de dessus la face de la Terre-promise. J’appelle ainsi la France, puisque, selon le têmoignage de Saint Jerôme, elle ne porta jamais de Monstre dans son sein, & n’y souffrit jamais d’Heretiques. Nos Neveux ne sçauront que par la lecture des Livres, qu’il y a eu une Heresie en France, qui nâquit sous François I. & qui expira sous Loüis le Grand ; & au lieu qu’un puissant Roy de Perse, fameux dans nos Ecritures, & dans les Historiens profanes, j’entens Xerxes, pleura de douleur en faisant la reveuë de son Armée, qui estoit de dix-sept cens mille hommes, selon Herodote, & se souvenant que dans cent ans il ne resteroit pas un seul homme de cette prodigieuse multitude, le Saint Pere Innocent XI. a pleuré de joye, en faisant reflexion que d’un pareil nombre d’Heretiques qu’il y avoit autrefois en France, il n’en resteroit pas aussi un seul en moins de cent ans ; & pour en témoigner son ravissement au Roy, il luy a écrit une Lettre toute pleine de congratulation & de loüanges ; ce que la Pieté du Roy luy a fait regarder comme plus glorieux pour luy que les anciens Mandemens & Decrets que le Senat Romain envoyoit autrefois aux Generaux d’Armées victorieux, & aux Heros qui avoient gagné des Batailles, par lesquels il leur ordonnoit des supplications & des triomphes, sur tout lorsque ces gains de Bataille, & ces ruines de Villes ennemies n’avoient guere coûté de sang, comme il n’en a pas coûté une seule goute aux Calvinistes pour la ruine de leur Heresie, tout s’estant passé dans la douceur par la sagesse du Roy, & la prudente conduite de M. l’Archevesque. Consilium pacis erit inter illos duos.

Il ne reste donc plus, pour rendre à l’Eglise son premier éclat, d’autre desordre à corriger, que les mœurs corrompuës des méchans Catholiques, & sur tout le scandale effroyable qu’ils causent aux nouveaux Convertis, par le peu de respect qu’ils ont pour les Temples où Dieu reside ; & c’est à quoy la Pieté du Roy, & celle de M. l’Archevesque, les applique aujourd’huy. L’un a fait une Declaration, par laquelle il condamne à une amende pecuniaire les Profanateurs de la Maison de Dieu. L’autre a fait le Mandement dont je viens de vous faire la lecture, par lequel il les menace des Censures Ecclesiastiques. Je ne sçay pas ce qui pourra toucher les Pecheurs, si les menaces de ces deux Puissances jointes ensemble ne les effrayent pas. Qu’y a-t-il de plus redoutable que la colere du Roy, que cette main qui a foudroyé Mastric, Cambray, Luxembourg ? Qu’y a-t-il de plus à craindre que ces Armes spirituelles de l’Eglise, qui firent mourir subitement d’une mort tragique Ananie & Saphiré ? Quand le Ciel & la Terre se joignent ensemble pour punir l’homme, il faut estre, je ne dis pas endormy, mais tout-à-fait mort & insensible, dit saint Augustin, pour n’en estre pas ébranlé. Réveillez-vous au bruit de ces deux Tonnerres, & faites reflexion à cette belle parole que dit autrefois Philon Juif, au plus méchant & au plus brutal de tous les hommes l’Empereur Caligula, pour l’empescher de profaner le Temple de Jerusalem, en y mettant sa Statuë. Prince, songez que Dieu vous a laissé le Maistre de tant d’autres Lieux, du Cirque, de l’Amphitheatre, des Places publiques, des Hostels de Ville, & de tant de beaux Palais qu’il vous a donnez. Faites-y ce que vous voudrez. Placez-y telle Statuë qu’il vous plaira ; ce grand Dieu qui est le Maistre de tout, ne s’est reservé dans ce vaste Univers qu’il a crée, que le seul Temple de Salomon pour s’y faire adorer ; pourquoy le troublez-vous dans cette possession ? Pourquoy voulez-vous luy insulter jusque chez luy-mesme ? Trouveriez-vous bon que dans vostre Palais on vous fist outrage, qu’on adorast un autre que vous, que l’on manquast au respect qui vous est dû ? Enfin, Chrestiens, faites quelque reflexion sur la Pieté avec laquelle le Roy luy-mesme assiste à l’Eglise. Vit-on jamais rien de si modeste & de plus composé ? Tourne-t-il le dos à l’Autel ? Parle-t-il à haute voix à qui que ce soit ? Se tient-il appuyé sur un pied ou debout pour jetter les yeux de costé & d’autre ? N’est-il pas au contraire toûjours à genoux, toûjours priant, toûjours dans la posture d’un homme contrit & humilié ? D’un autre costé, fut-il jamais rien de si grave, de si serieux, & de si édifiant que nostre grand Prelat ? L’air dont il celebre l’Office, n’imprime-t-il pas du respect pour les Ceremonies de l’Eglise ? Peut-on traiter les Misteres de la Religion plus noblement ? Les Ambassadeurs des Pays Etrangers n’en sont-ils pas touchez ? I’espere aussi que ces deux Exemples vous toucheront, & que dans le dessein d’imiter vostre Roy & vostre Pasteur, vous édifierez les nouveaux Convertis par vostre modestie, & que nos Eglises seront desormais comme elles estoient du temps de saint Augustin, des Assemblées pures & chastes, Sancta & casta celebritas.

Sur l’Anéantissement de la R.P.R. qui a commencé en France sous François I. & qui vient de finir sous Louis le Grand §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 43-45

 

Je vous envoye deux Sonnets, dont on m’a fait part, sur l’Extirpation de l’Heresie. Le premier est de Mr l’Abbé de la Chaise, & le second de Mr Ramonnet de Nogent sur Seine.

SUR
L’ANEANTISSEMENT
De la R.P.R. qui a commencé en France sous François I. & qui vient de finir sous Louis le Grand.

En vain pour étouffer l’Erreur dans sa naissance,
François aux Huguenots fit preparer des feux ;
En vain ses Successeurs employerent contre eux
Les efforts redoublez de toute leur puissance.
***
On les vit s’en défendre, & par leur resistance,
Les forcer à souscrire à des Traitez honteux.
Mais nostre Grand LOUIS dit seulement, je veux,
Et dans trois mois à peine il s’en rencontre en France.
***
Princes, que sa valeur a contraints d’accepter
Les Articles de Paix qu’il a voulu dicter,
Que cet évenement aujourd’huy vous console.
***
Pourriez-vous éviter de recevoir des Loix
D’un Heros qu’on voit faire avec une parole
Ce qu’en cent ans n’ont pû les forces de sept Rois ?

Sur le mesme sujet §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 46-47

SUR LE MESME SUJET.

Tel que dans ses travaux Alcide infatigable,
Quand de Monstres sans nombre il purgeoit les Etats,
A l’Hydre fit sentir la force de son bras,
Et d’un coup écrasa ce Monstre épouvantable.
***
Tel nostre Auguste Roy, par un coup favorable,
De l’Heresie enfin met la puissance à bas ;
Plus glorieux encor que dans tous les combats
Où triompha toûjours sa valeur redoutable.
***
Du Serpent toutefois qui tout Lerne infectoit,
Sur les corps seulement le venin se jettoit,
Et de jours passagers coupoit trop tost la trame ;
***
Mais LOUIS, de Calvin détruisant les erreurs,
Extermine un poison qui passoit jusqu’à l’ame,
Et la précipitoit dans d’éternels malheurs.

[Devise] §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 47-48

 

La défaite de l’Heresie a donné aussi sujet au Pere Bigot Jesuite de faire une Devise, dont le corps est une Hydre celeste. Ces paroles en sont l’Ame, Periisse salus. Vos Amies les trouveront expliquées dans ce Madrigal.

Je ne suis plus ce Monstre, aux Mortels odieux,
Tel que pour les punir le Ciel me laissoit vivre ;
Un Heros m’a défait, sa valeur les délivre,
Mon sort change, & ma mort me place dans les Cieux.

[Lettre en Prose & en Vers] §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 48-53

 

Cet Article de Religion, doit faire trouver place icy à une Lettre que je vous envoye de Mr Vignier. Elle est adressée à Madame de Tibergeau, Fille de Mr le Marquis de Sillery, & petite Fille de Madame de Puisieux.

A MADAME
DE TIBERGEAV.

Ce 2. Mars 1686.

Je ne trouve point étrange, MADAME, que dans un temps où les personnes de vostre Qualité quittent la Province pour venir à la Cour, vous soyez demeurée dans vostre Solitude. Vous ne pouvez pas sans doute vous y ennuyer, apprenant ce que nostre grand Monarque fait tous les jours pour la Conversion des Pretendus Reformez, & tous les Eloges qui luy sont donnez par les bouches les plus eloquentes, & les Plumes les plus sçavantes du Royaume ; de sorte que pour vous dire quelque chose de nouveau, il faudroit que je vous disse en Vers ce que l’on a dit en Prose, & en Prose ce qui s’est dit en Vers. Quelque plaisir pourtant que vous ayez eu jusques icy de voir un Heros Guerrier, ce vous en sera un plus grand de voir un Heros Chrestien, qui fait encore plus pour l’Eglise, qu’il n’a fait pour l’Estat ; & qui par une moderation sans exemple, n’a pas voulu étendre davantage son Royaume, pour mieux étendre celuy du Sauveur du Monde, car comme il a sceu recouvrer par la force des Armes ce que la France avoit perdu sous quelques-uns de ses Predecesseurs, il veut aussi recouvrer par des moyens pacifiques ce que l’Eglise Catholique a perdu sous les Valois.

 Ainsi l’on voit qu’au mesme temps
Que les Peuples conquis entonnent ses loüanges,
Les Nouveaux Convertis paroissent si contens,
Qu’ils meslent avec nous leurs chants à ceux des Anges.

 

Plusieurs Religionnaires mesme, qui s’estoient retirez dans les Pays Etrangers pour éviter de se convertir, ont reconnu leurs Erreurs en des Lieux, où, selon toutes les apparences, elles devoient se fortifier, & n’ont point eu de repos qu’ils ne soient venus icy en faire une Abjuration publique ; & la pluspart de ces Fugitifs, qui avoient emporté plus de bien qu’il n’en falloit pour vivre fort à leur aise, ont avoüé qu’ils n’avoient pû resister aux Sentimens que Loüis le Grand imprime dans le cœur de ses Sujets, & que ce charme seul les avoit forcez de se rendre à des Veritez, que sans cela ils n’auroient peut-estre jamais reconnuës. Vous voyez, Madame,

 Qu’il n’est point de si bon Docteur
 Que celuy qui touche le cœur.
LOUIS le Grand le fait par toutes les manieres
 Qui peuvent faire ouvrir les yeux
 Aux pures & saintes lumieres,
 Que l’Eglise receut des Cieux.

[Epigramme] §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 53-54

 

Mr Botu de la Barmondiere, de l’Academie de Ville-franche en Beaujolois, a fait l’Anagramme que j’ajoûte icy.

LOUIS LE GRAND.
RANG DU SOLEIL.

Si comme un Astre au Ciel un Roy brille sur terre,
 LOUIS le Grand se trouvant sans pareil,
  Soit dans la Paix, soit dans la Guerre,
  Tient le Rang du Soleil.

[Anagramme] §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 54-55

 

Cette autre Epigramme vous fera connoistre que le Roy, aprés avoir travaillé aux Affaires de l’Estat, ne dédaigne pas de se délasser dans l’Etude des belles Sciences. Elle est adressée au fameux Mr Rainsant, Garde des Medailles du Cabinet de Sa Majesté.

 Delicat Antiquaire,
 Rainsant, toy qui sçais plaire
 Au plus sage des Rois,
 Lors que ton éloquente voix
Sur plusieurs Medaillons, tous d’un prix non vulgaire,
Etale à ce grand Prince un Discours curieux,
C’est toy dans ce moment qui dois le plus apprendre.
Quand on peut, comme toy, voir LOUIS, & l’entendre,
La docte Antiquité n’a rien qui vaille mieux.

[Sonnet] §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 55-58

 

Ce n’est pas seulement en France que l’on employe son Genie à loüer le Roy ; voicy des Vers qui ont esté faits en Grece, & que j’ay receus de Sainte-Maure. Vous-sçavez, Madame, que cette Place a esté conquise depuis peu de temps sur les Turcs dans la Morée. Mr de la Madelene, homme de naissance, voyant que la Paix luy ostoit l’occasion de signaler son courage, partit de Paris au mois de Juillet dernier, & alla servir en qualité de Volontaire chez les Venitiens, qui ayant reconnu son merite, l’ont fait Commandant de Dragons. Quoy que l’Employ luy soit glorieux, il témoigne par ces Vers qu’il voudroit ne porter jamais les armes que pour le service de son Prince.

AU ROY.

Grand Roy, dont les hauts Faits & le rare merite
 Font retentir tout l’Univers,
De ce que je te dois soufre que je m’acquite,
 En élevant ton grand Nom par mes Vers.
***
Mais quel est mon orgueil, & qu’osay-je entreprendre ?
 Suis-je digne de cet Employ ?
Appellés seulement osa peindre Alexandre,
Cet exemple aujourd’huy me doit servir de loy.
***
Pour chanter dignement un Heros invincible,
 Sous qui tremblent les autres Rois,
Charmant pour ses Amis, pour les autres terrible,
 Il n’est point d’assez forte voix.
***
Les plus profonds respects dans un humble silence
Marqueront mieux mon zele & mon obeissance,
 La Lyre est trop douce pour moy ;
Ma main est pour l’épée, & ce que je demande,
 C’est que ta Bonté me commande
De m’en servir toûjours pour mon Auguste Roy.

[Extrait d’une Oraison Funebre] §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 59-71

 

Chacun s’efforce à l’envy à donner des marques publiques de la douleur qu’il ressent de la perte de feu Mr le Chancelier, & plusieurs Corps continuent à faire celebrer des Services pour le repos de son Ame. Mrs les Secretaires du Roy en firent faire un aux Celestins sur la fin de Février, & Mrs les Avocats du Conseil de Sa Majesté en firent faire un autre le Samedy second de ce mois, dans l’Eglise des Grands Augustins, avec toute la pompe qui estoit deuë à la memoire d’un si grand Homme. L’Oraison Funebre fut prononcée par Mr l’Abbé Maboul, qui s’attira l’applaudissement d’un tres-nombreux Auditoire. Il est Frere de Mr Maboul, Procureur General des Requestes de l’Hostel, qui se distingue depuis dix ans dans cette importante Charge, & ils font voir l’un & l’autre que l’Eloquence est le partage de leur Maison. Vous pourrez juger de celle de Mr l’Abbé Maboul par quelques endroits de son Oraison Funebre. Son Texte estoit sur le bonheur de l’homme qui a trouvé la sagesse ; non pas cette sagesse qui n’ayant pour fondement que l’orgueil de l’homme, n’est que vanité devant Dieu ; mais celle qui prend son origine de Dieu mesme, qui a avec soy le Conseil, l’Equité, la Prudence, la Fortune ; celle par qui les Rois regnent, les Legislateurs font des Loix justes, les Puissans tendent justice, & enfin celle, qui aprés avoir comblé l’homme d’honneurs & de graces pendant sa vie, le couronne de gloire aprés sa mort. Il fit voir ensuite que feu Mr le Chancelier estoit reconnoissable à toute la Terre dans ces paroles de son Texte, & qu’on se pouvoit former l’idée qu’on avoit de sa felicité sur celle qu’on avoit de sa sagesse. Il ajoûta que la Sagesse estant l’assemblage de toutes les Vertus, s’il avoit à prononcer l’Eloge d’un autre que de ce Ministre, il pourroit au milieu de tant de Vertus en trouver une, qui luy estant propre, le feroit reconnoistre, mais que s’agissant de parler de Mr le Tellier, il les falloit toutes pour former son caractere. Il poursuivit en ces termes. Joindre aux lumieres de l’esprit, la droiture du cœur ; à la verité, l’amour de la Justice ; à la facilité de concevoir les grands desseins, le courage de les executer ; accorder les interests les plus éloignez sans les blesser ; remplir tous les devoirs de la Vie publique, sans oublier les devoirs de la Vie privée ; agir avec force contre les méchans, quand il faut les confondre ; les traiter avec bonté, quand il faut les gagner ; severe sans rigueur ; doux sans foiblesse ; élevé sans orgueil ; moderé sans contrainte ; fidelle au Roy ; tendre envers le Peuple ; plein de zele pour la Religion ; tout cela n’est qu’une partie de l’Illustre Mort dont les Obseques vous assemblent. Je voy toutes les Vertus qui se presentent en foule, & qui demandent place dans son Eloge. Accablé par le nombre, que puis-je faire de mieux que de vous les montrer sous l’idée generale de la sagesse qui les renferme ?

Il passa de là à sa Division qu’il fit de cette maniere. Cette Sagesse incomparable, qui ne fut point en luy le fruit tardif de l’experience, luy servit de guide dans tous les Emplois où il plut à Dieu de l’appeller ; dans les Affaires de l’Etat, dans l’administration de la Justice, dans sa conduite particuliere. Dans les Affaires de l’Etat elle en fit un Ministre fidelle ; dans l’administration de la Justice, elle en fit un Ministre accomply ; dans sa conduite particuliere, elle en fit un parfait Chrestien.

On peut juger par cette Division de la beauté, & de la netteté de tout le Discours. Elle represente parfaitement feu Mr le Chancelier à ceux qui le connoissoient, ou plûtost à toute l’Europe, puis que toutes ses grandes qualitez y sont generalement reconnuës. Ainsi je ne rapporteray point icy tout ce qu’on se peut aisément imaginer ; je me contenteray de vous faire part de quelques endroits, où Mr Maboul employe des paroles de ce grand Homme. Il asseure qu’on luy a souvent entendu dire, Qu’il ne pouvoit pas à la verité juger par tout, mais qu’il estoit obligé de répandre par tout l’esprit de la Justice, & de la faire regner dans tous les tribunaux du Royaume. Ce grand Ministre disoit aussi souvent, Qu’il ne pouvoit rien luy-mesme, mais qu’il jugeoit sur ce qu’il entendoit ; qu’il estoit l’Arbitre des Affaires, & non pas le Maistre ; & que le Dieu de l’Univers, qui jugera les Juges mesmes, l’avoit étably, non pas pour suivre le panchant de sa propre volonté, mais pour se conformer aux ordres inviolables de l’Eternelle Iustice.

Ayant pendant deux mois entiers tenu Conseil deux fois dans un mesme jour, & sa Famille par l’interest de sa santé le pressant d’aller à la Campagne ; afin d’y prendre un peu de repos : Ie n’en puis, leur dit-il, avoir de veritable, si je retiens à Paris des Gens éloignez de leur Famille, pendant que je puis les renvoyer. Les dernieres paroles d’un homme, qui pendant le long cours de sa vie en avoit tant prononcé de dignes d’estre conservées, ne pouvoient estre que belles. Il expira en disant. Misericordias Domini in æternum cantabo. Je n’ay plus rien à vous dire de cette Oraison Funebre, que ce que dit Mr l’Abbé Maboul en la finissant. Le Roy en perdant Mr le Tellier, perdit un Ministre fidelle, l’Etat un Chancelier plein de justice, la Religion un zelé Défenseur. Les Pauvres pleurerent un Pere tendre, les Gens de bien un Protecteur, tout le Royaume un grand exemple. Perte cruelle, dont nous serions inconsolables, si la Providence ne l’avoit heureusement reparée. Un illustre Successeur, une illustre Epouse, d’illustres Enfans font revivre parmy nous toutes ses Vertus. Sa pieté éclate dans son Epouse ; sa fidelité, & sa prudence se font admirer dans un grand Ministre ; son amour pour l’Eglise paroist dans un Sçavant Archevesque ; enfin sa justice, sa capacité, sa vaste intelligence, sa sagesse, son experience se trouvent toutes dans Mr le Chancelier, qui par ses rares qualitez, & par ses longs services s’est rendu digne de l’estime, & du choix du plus grand Roy du Monde. Mais pendant que j’essaye de tromper vostre douleur, ne perdez pas le fruit de ce lugubre Spectacle, & tournant les yeux vers ce Tombeau, souvenez-vous que c’est là que toutes les Grandeurs aboutissent, que nous allons à grands pas à la mort ; qu’en ce moment toutes choses periront pour nous ; que nos desseins seront détruits, nos fortunes renversées, & qu’estant confondus dans une juste égalité, nous ne serons distinguez que par nos Vertus, & nos bonnes Oeuvres. Puissiez-vous vous convaincre efficacement de cette sensible verité, afin que profitant des grands exemples de Mr le Tellier, vous puissiez meriter la Gloire.

Des Choses difficiles à croire. Dialogue huitieme §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 74-128

 

Je vous envoye une suite des Dialogues de Mr Bordelon.

DES CHOSES
DIFFICILES A CROIRE.
DIALOGVE HVITIEME.
BELOROND, PHILONTE.

Philonte.

 

J’ay leu avec beaucoup de plaisir la Liste Alphabetique que vous avez faite des differentes sortes de Divinations, & je croy aussi-bien que vous qu’il y a eu des Gens assez superstitieux pour les mettre en pratique ; mais je ne puis croire qu’elles ayent produit les effets qu’elles promettent, puisqu’ils sont au dessus des forces de ce qu’on pretend qui devoit les produire. La connoissance de l’Avenir libre & contingent, est si particuliere à Dieu, qu’on ne doit l’attendre du pouvoir naturel d’aucune Creature, non pas mesme du Demon, quelque Pacte Exprés ou Tacite qu’on puisse faire avec luy.

Belorond.

 

Avant que de continuer vostre Proposition, je vous prie de me dire ce que vous appellez Pacte Tacite, parce que je souhaite sçavoir si nous l’entendons vous & moy de la mesme maniere.

Philonte.

 

On fait un Pacte Tacite avec les Demons, lors que sans convenir expressément avec eux, sans les invoquer ou les faire invoquer visiblement, sans leur attribuer ce qu’on fait, & sans attendre d’eux aucun des effets qu’on veut produire, on se sert de certaines choses qui n’ont aucune vertu naturelle ou surnaturelle, pour la production de ce qu’on en espere, & qui ne sont ny d’institution Divine, ny d’institution Ecclesiastique.

Belorond.

 

Je suis fasché de vous avoir interrompu, parce que vous concevez le Pacte Tacite de la mesme maniere que je le conçois. Continuez, je vous prie.

Philonte.

 

Je dis donc qu’on ne peut pretendre en aucune sorte de la puissance naturelle des Demons, la connoissance de l’Avenir libre & contingent, parce que cette connoissance appartient à Dieu seul. Dites-nous ce qui doit arriver dans le temps à venir, & nous vous reconnoistrons pour des Dieux, dit Isaye ; & l’Ecclesiaste ajoûte, qu’il n’y a personne qui puisse sçavoir l’Avenir. Les Payens mesmes ont reconnu cette verité, témoin Horace qui dit, que Dieu par son infinie Sagesse a caché l’Avenir dans une profonde obscurité, & qu’il se moque des hommes qui veulent porter leur esprit au delà des bornes qu’il leur a prescrites. En effet pour connoistre les choses libres & contingentes, il faut les considerer en elles-mesmes, ce qu’on ne peut faire que lors qu’elles sont presentes. Ainsi quand elles sont à venir, elles ne peuvent estre connuës des Demons, mais de Dieu seul, à qui l’Eternité est toûjours presente, par un caractere propre de la simplicité de sa nature. Il connoist & comprend luy seul l’Eternité, & comprend en mesme temps ce que comprend cette même Eternité, c’est à dire les choses futures, aussi-bien que les passées & les presentes. Les choses qui sont dans les choses contingentes sont necessaires devant luy, dit un Sçavant du dernier Siecle en termes expressifs, quoy que peu polis. Il voit, poursuit-il, eternellement present à soy, ce qui est futur aux choses. Il voit en soy la cause des causes, & voit eternellement à faire ce qu’on a à faire, volontairement ce que volontairement, naturellement ce que naturellement, sans que nostre liberté perde pour cela aucun de ses Privileges. Il connoit la nature des hommes en la graine, au lieu qu’à peine la connoissons-nous en la fleur. Jugez aprés cela combien on doit traiter de ridicule ce que Solin écrit au Chap. 27. d’une Pierre qui estant mise sous la langue fait predire l’Avenir.

Belorond.

 

Il y a eu pourtant des Devins qui ont réüssi dans ce que leur Art promettoit, & entre plusieurs sortes que l’on peut remarquer dans l’Histoire, examinons particulierement les Oracles de l’Antiquité. Premierement tout le monde convient qu’il y en a eu. Nous en avons des preuves dans l’Histoire Profane, mais encore dans l’Ecriture Sainte, comme dans le Deuteronome Chap. 18. où il est défendu de les consulter. Les plus fameux de ces Oracles estoient celuy de Themis, celuy d’Amphiaraüs, les deux de Trophonius, l’un à Thebes, l’autre à Lebadie en la Bœoce ; celuy de Ceres qui faisoit voir dans un Miroir l’évenement des Maladies ; celuy d’Hercule qui enseignoit par la chance de quatre Dez qu’on jettoit ce qui devoit arriver ; celuy de Jupiter Hammon en Lybie ; celuy de Dodone en Grece ; mais le plus renommé de tous, estoit celuy d’Apollon à Delphes. On pretend que cét Oracle avoit prophetisé avant le Siecle des évenemens, qui rendirent Troye si memorable dans l’Histoire, & on veut que la Sybille qui prononçoit les Oracles fust appellée Pythie, à cause des Questions qu’on luy faisoit, d’un mot Grec qui signifie Interroger. Theodore dit que la découverte de cét Oracle est deuë à un Troupeau de Chévres, qui paissant autour d’une ouverture de terre, furent veuës par celuy qui les conduisoit, s’agitant & jettant des cris extraordinaires toutes les fois qu’elles s’approchoient de ce trou. Le Pasteur voulant donc reconnoître en visitant le lieu ce qui pouvoit produire un effet si violent, fut surpris d’une exhalaison qui en sortoit, & prononça en mesme temps, à ce qu’on dit, des Propheties, qui dans la suite se trouverent veritables. Cette merveille ayant esté publiée dans tout le Pays, une infinité de Gens curieux de l’Avenir, se transportoient en cét endroit là, & s’entredonnoient des réponses sur leurs demandes ; mais comme cette ouverture de terre estoit dangereuse, & que beaucoup de personnes agitées de fureur par l’exhalaison, y tomboient, on s’avisa d’accommoder ce lieu, en sorte que par le moyen d’une espece de Trepied, l’on recevoit sans aucun peril la vapeur qui faisoit deviner. On choisit alors des Filles consacrées à Diane pour prononcer les Oracles de son Frere, jusqu’à ce qu’un certain Enechrates de Thessalie en ayant enlevé une qu’il aimoit, on n’en destina plus à cét office qui ne fussent âgées de plus de cinquante ans.

Philonte.

 

Je sçay bien que des Philosophes ont attribué l’esprit de Divination de la Pythonisse à des Exhalaisons. Plutarque mesme est de ce sentiment, mais cette opinion a si peu d’apparence de verité, qu’elle ne merite pas d’estre refutée. La Divination est l’œuvre d’une nature remplie d’Intelligence, & non pas de la matiere. Il se peut faire que des exhalaisons ayent excité à se tourmenter par ces contorsions dont parlent les Historiens, & par ces fureurs que nous lisons dans Horace, & particulierement dans Virgile, lors que pour nous representer l’estat de ces Prestresses d’Apollon dans leur entousiasme, il dit. Leur visage se change, elles n’ont plus la mesme couleur, leurs cheveux se herissent ; elles sont hors d’haleine ; leur cœur est remply de fureur. Il se peut faire encore selon Aristote, que l’humeur mélancolique ou le temperament atrabilaire ait causé ces fureurs ; mais je ne voy aucune raison qui me puisse engager à croire que de la fumée ait en soy une proprieté assez puissante pour faire entrer dans l’Avenir, & y découvrir des choses que la subtilité des plus beaux esprits ne peut jamais penetrer. Je ne veux pourtant pas dire que l’Oracle de Delphes n’ait point eu de credit ; il faudroit estre peu instruit dans l’Histoire de l’Antiquité pour ignorer le concours extraordinaire de tant de Peuples differens qui l’alloient consulter. Je ne veux pas dire aussi, comme quelqu’un a pretendu, que ce qui contribuoit à sa renommée, estoit une Fontaine qu’on appelloit Cassiotis, située prés de son Temple, & dont les Eaux éteignoient des Flambeaux allumez, & allumoient ceux qui estoient éteints. Je suis persuadé que si ce n’est pas, comme je croy, la verité de ses Predictions qui l’a rendu recommandable, ce n’est pas aussi cette Fontaine, mais la facilité avec laquelle l’esprit humain se laisse souvent tromper, pour flater quelque passion qui le domine.

Belorond.

 

Mais enfin il me semble qu’on peut asseurer que les Oracles ont quelquefois predit la verité. Entre plusieurs exemples, en voicy quelques-uns ausquels il est assez difficile de répondre.

Latone avoit un Oracle à Butis en Egypte qui prédit la mort de Cambise à Ecbatane.

Les Doriens estant en querelle contre les Atheniens, à cause qu’ils pretendoient en avoir receu autrefois quelques injures, & ayant resolu de s’en vanger par la voye des armes, ils consulterent l’Oracle pour sçavoir quel seroit l’évenement de cette guerre. L’Oracle leur répondit qu’ils seroient victorieux pourveu qu’ils ne tuassent point le Roy des Atheniens. Les Doriens avant que la Bataille se donnast, recommanderent sur tout à leurs Soldats & à leurs Capitaines de ne luy faire aucun mal. Codrus qui regnoit pour lors à Athenes ayant appris la réponse de l’Oracle, & la précaution des Ennemis à son égard, prit un habit qui le déguisoit, & se fit tuer par un Soldat Ennemy qu’il avoit exprés insulté, & par le moyen de cette action, les Atheniens furent victorieux des Doriens, comme l’Oracle l’avoit prédit.

Ajoûtez à ces deux Histoires celle-cy que j’ay tirée de l’Ecriture Sainte. Saül premier Roy d’Israël, estant attaqué par une puissante Armée de Philistins, & voyant qu’aprés avoir consulté Dieu sur le succez de ses Armes, il ne luy faisoit aucune réponse, ny par les Songes, ny par les Prestres, ny par les Prophetes, alla consulter une Pythonisse, aprés s’estre déguisé pour n’en estre pas connu. Cette Prestresse ayant évoqué l’ame de Samuel à la priere de Saül, découvre que c’estoit le Roy qui l’interrogeoit. Celuy-cy reconnoist aussi à l’âge & à l’habit que c’estoit Samuel qui s’élevoit de terre. Le Prophete se plaint d’estre ainsi inquieté par le Roy, luy predit la perte de la Bataille, & que dés le lendemain luy & ses Enfans perdroient la vie, ce qui arriva comme il avoit esté prédit.

Vous n’ignorez pas aussi les Vers veritablement prophetiques des Sybilles touchant le Sauveur du Monde, & les particularitez de sa Vie & de sa Mort, comme ceux que nous lisons dans le 18. Livre Chap. 23. de la Cité de Dieu de Saint Augustin, & qui veulent dire en nostre Langue, Il tombera entre les mains Impies des Infidelles ; ils luy donneront des souflets, & luy cracheront au visage. Saint Augustin rapporte dans le mesme lieu vingt-sept Vers de la Sybille Erythrée traduits de Grec en Latin, qui déclarent nettement ce qui doit arriver à la fin du monde ; & les premieres Lettres de ces Vers ramassées ensemble forment en Grec des paroles qui signifient celles-cy. Jesus-Christ Fils de Dieu, Sauveur Croix. Ces Histoires ne semblent-elles pas justifier ce qu’on dit en faveur des Devins, & particulierement des Oracles de l’Antiquité ?

Philonte.

 

Ces Histoires paroissent justifier les Oracles, il est vray, mais elles ne les justifient pas. En effet pour répondre à celle de Cambise, & à quelques autres semblables, s’il y en a, je veux bien avoüer, si vous le voulez, que sa mort a esté prédite, & qu’elle est arrivée selon la Prédiction ; mais quelle consequence peut-on tirer de là, sinon que les Oracles prononçoient tant de Prédictions differentes, & qui pouvoient souffrir tant de sortes d’interpretations, comme dans celle-cy, qu’il estoit comme impossible qu’il ne s’en trouvast quelques-unes de veritables, & parce que c’estoit de celles là seules qu’on tenoit registre, il ne faut pas s’étonner si toutes les autres, quoy que fausses, ne détruisoient pas le credit de ceux qui les prononçoient. J’ay dit que la Prédiction de la mort de Cambise pouvoit souffrir differentes interpretations, parce qu’en effet elle estoit équivoque ; car nous lisons chez Herodote qu’il mourut dans une petite Bicoque de Syrie nommée Ecbatane, & non dans l’Ecbatane, Capitale de Medie, comme on avoit cru que l’Oracle l’entendoit.

L’Histoire de Codrus n’est pas plus favorable aux Oracles, puisque si les Atheniens furent victorieux des Doriens, ce ne fut que parce que ceux-cy ne voulurent pas combattre au rapport de Justin, tant le peuple estoit en ce temps-là préoccupé en faveur de ces sortes de Propheties, & tant nous sommes susceptibles de l’impression pour laquelle nous sommes déja prevenus. C’est cét entestement qui excitoit souvent les Peuples, & mesme les Princes à executer les Predictions de ces sortes de Devins. On a veu un Caligula, qui ayant appris que Trasylle avoit predit que celuy qui traverseroit le Golphe de Baye seroit Empereur, l’étant en effet, y fit faire un Pont de Vaisseaux, & y passa souvent à Cheval & en Carrosse, comme Suetone l’assure en sa Vie. On donne mesme des interpretations violentes à ces Predictions pour les rendre veritables. On predit à l’Empereur Constans qu’il mourroit dans le giron de sa Mere. Il fut tué dans un Bourg proche de l’Espagne, appellé Helene, & on voulut que la Prediction s’estoit verifiée, parce que son Ayeule s’appelloit de ce nom. Rutilianus ayant consulté le faux Oracle d’Alexandre dont parle Lucien, pour sçavoir quel Precepteur il donneroit à son Fils, il répondit, Pythagore & Homere ; mais l’Enfant estant mort quelque temps aprés, comme il estoit en peine de défendre son Oracle, Rutilianus aidoit luy-mesme à se tromper, & asseuroit qu’il avoit predit la mort de son Fils en luy donnant pour Precepteurs des gens qui n’estoient plus au Monde. Voilà quelle sorte de verité on trouvoit dans les Oracles. On leur faisoit, heureusement pour eux, deviner ce à quoy ils ne songeoient pas ; & s’il y en a eu quelqu’un qui ait rencontré la Verité, comme la Pythonisse à l’égard de Samuel, & les Sybilles, si ce n’est pas le hazard, ce n’est pas aussi par le pouvoir qu’ils ayent d’eux-mesmes ; mais par un secret & extraordinaire jugement de Dieu, dit S. Augustin, comme à Saül, pour le punir de son Impieté ; comme les Sybilles, pour prédire les effets de sa misericorde, & contraindre les Infidelles de les faire connoistre. Mais je vous prie, ne soyez pas surpris de ce que je viens de vous dire, puisque bien des Sçavans étoient convaincus de la vanité des Oracles, lors mesme qu’ils estoient en reputation. Euripide dit que le meilleur de tous les Oracles estoit celuy qui parmy une infinité de mensonges, prononçoit quelquefois la verité ; & Creon fait ce reproche à Tiresias dans l’Antigone de Sophocle. Tous ceux qui font mestier de deviner, aiment l’argent. Oenomaüs, Philosophe & Orateur Grec, ayant souvent esté trompé par l’Oracle de Delphes, fist un recüeil de ses Mensonges. Diogene dit aussi subtilement qu’agreablement chez Dion Chrysostome, que ceux qui ont de l’esprit se peuvent fort-bien passer des Oracles. Non seulement les Sçavans s’en sont mocquez, mais encore des Princes les ont traitez avec mépris, & ont mesme puny ceux qui les prononçoient. Alexandre le Grand coupant le Nœud Gordien dont le denouëment promettoit l’Empire de toute l’Asie à celuy qui en viendroit à bout, ne faisoit-il pas voir par cette action le peu de foy qu’il ajoûtoit à ces Predictions ? Le mesme Alexandre voulant consulter l’Oracle de Delphes, & la Sybille refusant de faire sa charge à cause que c’estoit un jour qui passoit pour malheureux, il la violenta de telle sorte qu’elle luy dit ces mots ; Vous voulez donc faire paroistre jusqu’à moy que vous estes invincible. A quoy il repartit agreablement, je ne veux point d’autre Oracle, parce que je n’en puis entendre de vostre bouche un plus avantageux, & la laissa aller sans exiger d’elle aucune Prediction. Pyrrhus Fils d’Achilles, Xerxes, la Nation des Phlegies, les Phocéens & plusieurs autres ont donné des marques du mépris qu’ils avoient pour les Oracles, y estant excitez par la connoissance de leurs Impostures, ou pour leurs obscuritez affectées, ou à cause de leurs bouffonneries ; comme lors que celuy de Delphes estant interrogé pour sçavoir quelle estoit la meilleur Religion, il répondit que c’estoit la plus ancienne ; & étant encore interrogé quelle estoit la plus ancienne, il repartit que c’étoit la meilleure ; ou comme lors qu’il ordonna aux Doriens de prendre pour Admiral un homme à trois yeux, ce qu’ils executerent en prenant un homme monté sur un Mulet borgne ; mais on ne les a pas seulement méprisez, on les a encore punis pour leur Impieté. En voicy un exemple memorable tiré de Strabon. Les Bœotiens étant allez consulter l’Oracle de Dodone sur leurs Affaires, il répondit qu’elles auroient de bons succez, s’ils faisoient des actions d’Impieté. Cette réponse leur parut si impertinente qu’estant indignez contre la Sibylle, ils la prirent & la jetterent dans le feu, disant qu’ils le devoient faire ainsi, soit pour la punir, soit pour obeïr à ses ordres en se montrant impies. Remarquez, je vous prie, que c’estoient trois Filles qui servoient de truchement à cét Oracle, & non des Colombes perchées sur un Chesne, comme les Poëtes le veulent faire croire. Ce qui a causé cette erreur c’est l’équivoque du mot Peleiade, qui signifie en Langue Thessalique & Colombe & Divinatrice. Enfin pouvoit on mieux se mocquer des hommes que lors que la Sybille écrivant les réponses qu’on attendoit sur des feüilles de Palmier dont on se servoit alors pour cela, le vent les dispersoit de sorte qu’on s’en retournoit aussi ignorant qu’on estoit venu. Le troisiéme & le sixiéme Livre de l’Eneide prouvent ce que je dis en exposant la crainte qu’Enée eut d’estre traité de cette maniere.

Belorond.

 

J’avouë avec vous que les Oracles ont esté méprisez & maltraitez ; mais avoüez aussi avec moy que plusieurs Princes les ont consultez avec autant de respect que de confiance.

Philonte.

 

Si ce n’estoit pas une foiblesse, c’estoit l’interest apparent de la Religion, ou bien l’interest veritable de l’Etat, qui engageoit ces Princes à ce respect & à cette confiance ; car s’il est vray, comme dit Seneque, que la crainte qu’impriment les Guerres dans les esprits, jointe aux terreurs que donne la Religion superstitieuse, fait ces esprits fanatiques qui se meslent de prédire l’Avenir, il faut penser la mesme chose de la pluspart de ceux qui les consultoient. Je me persuade donc que l’interest apparent de la Religion, ou celuy de l’Estat, estoit le mobile qui entraisnoit la pluspart de ces Princes vers ces Oracles ; l’interest apparent de la Religion, ou plûtost le leur propre, parce que s’ils les avoient méprisez ouvertement, on les auroit pris pour des Impies ; celuy de l’Estat, parce que souvent en les consultant ils les corrompoient, pour leur faire prononcer des Propheties qui leur fussent favorables, afin que l’esperance fondée sur Predictions, animast les Peuples à se défendre contre les Ennemis de l’Estat, & les Soldats à les attaquer. C’est pour ces raisons, ou de semblables, qui regardent l’Estat, que la Faction contraire aux Pisistratides, obtint par argent, selon Herodote, le commandement qu’Apollon fit aux Lacedemoniens de délivrer la Ville d’Athenes du joug de ces Usurpateurs ; qu’Alcibiade, au rapport de Plutarque, corrompit l’Oracle de Jupiter Hammon, pour faire agréer à ses Citoyens l’entreprise de Sicile, & que Demostene crioit publiquement, que la Sibille Philippisoit, c’est à dire que l’or du Roy Philippe faisoit répondre par cette fausse Devineresse tout ce qu’il souhaittoit. Jugez par ces exemples de la fourberie de ces Devins ; & si vous voulez en avoir une plus grande idée, lisez l’Histoire du Fourbe Alexandre, écrite agreablement par l’enjoüé Lucien ; mais s’ils estoient extremément fourbes, ils estoient tres-adroits pour déguiser leurs tromperies, & c’est particulierement avec les équivoques de gestes ou de paroles qu’ils les déguisoient, & se rendoient si obscurs, qu’ils avoient besoin d’autres Oracles pour estre entendus ; comme à Antioche Jupiter Philien, qui ne répondoit que par signes, branlemens de testes, & regards. J’ay veu pratiquer la mesme maniere d’imposture à Bourges il y a quinze ans par un Devin, qui fut assez heureux pour tromper une grande partie des Habitans de la Ville, & gagner beaucoup d’argent. Il fit accroire qu’il ne sçavoit pas la Langue Françoise, quoy qu’il la sceust fort bien ; il se disoit d’Irlande, & estoit de France, & tout cela pour n’employer que des gestes équivoques, que ceux qui le consultoient interpretoient toûjours en faveur de leurs demandes. Comme je n’ajoûtois point de foy à ce qui luy attiroit tant de Consultans, je l’étudiay avec attention. J’en avois le temps & la commodité, parce qu’il logeoit chez une personne de ma connoissance. Enfin je découvris, quoy qu’il se défiast de moy, qu’il sçavoit parler François. Vous jugez bien que ceux qui le consultoient, croyant qu’il ignoroit cette Langue, disoient ingenuëment devant luy les choses qu’ils vouloient qu’il devinast. Il les exprimoit ensuite par des gestes plus patetiques & plus significatifs que ceux dont il se servoit pour celles dont il n’avoit point la connoissance. Cet artifice luy réüssit si heureusement, qu’il estoit accablé d’un grand nombre de personnes qui le venoient consulter. Ses impostures furent pourtant découvertes, & on le chassa de Bourges ; mais revenons à l’antiquité. L’Oracle de Mercure en Achaïe, se servoit d’une maniere aussi adroite qu’extraordinaire pour se faire entendre. En voicy l’histoire. Les Habitans de Pharés, émus par je ne sçay quelle occasion, planterent au milieu de la grande Place de leur Ville, une Image de pierre de Mercure portant barbe, & se persuaderent que cette Image répondoit à ceux qui luy demandoient leurs avantures. Ceux qui vouloient l’interroger venoient le soir ; & aprés avoir brûlé de l’encens sur un Autel de pierre & devant l’image, ils emplissoient d’huile les lampes ; & les ayant allumées, ils mettoient en la main droite de cette Statuë une piece de monnoye du Pays, & declaroient à ses oreilles leurs demandes, puis bouchoient exactement les leurs, s’en alloient promptement en leurs maisons, les débouchoient en y entrant, & les premiers bruits ou mots qu’ils entendoient, c’estoit à leur avis la réponse de l’Oracle. Autres équivoques, comme lorsque la Pythie promit aux Heraclides leur retour aprés le troisiéme fruit ; ceux-cy l’entendoient des fruits que produit la terre, & celle-là de leur Race ou Famille. Elle promit à Cleomene qu’il seroit Maistre d’Argos ; celuy-cy croyoit que c’estoit la Ville d’Argos, & cette Prophetesse pretendit n’avoir voulu signifier que le Bois Argus qu’il fit brûler. Un Oracle avertit Satyrus, Vt à musculo sibi caveret. Il crut qu’il se devoit défier des Rats ; & estant mort d’une blesseure au muscle du bras, le Devin asseura avoir entendu le musculo, du muscle. C’est Diodore Sicilien, qui rapporte cette Histoire. Un autre Oracle prédit à Lysandre qu’il mourroit par un Serpent, il fut tué par un homme, & heureusement pour l’Oracle, celuy qui le tua avoit un Serpent peint sur son Bouclier. Enfin, lorsque ces Devins voyoient qu’ils ne pouvoient se servir d’équivoques, ny mentir hardiment, ils ne vouloient pas parler, priant qu’on les laissast en repos, dit Porphyre, & asseurant que si on les importunoit, ils diroient des mensonges. Admirez leur précaution, afin de ne pas passer pour menteurs, mesme en disant des mensonges. Le temps auquel ils ont cessé de parler, est encore une preuve de ce que j’ay avancé touchant leurs mensonges. Il ne faut pas attribuer leur silence à la quantité de Sages qui suppléoit à leur defaut, comme dit Plutarque, car il y en a eu de tout temps ; ny à des causes naturelles, comme celles qui font tarir quelquefois les Rivieres. C’est parler, dit Ceceron, de la force des Oracles, de la mesme maniere que l’on feroit de celle de quelque vin, que l’âge auroit diminué, comme si la nature des Dieux qui rendoient ces Oracles (selon l’opinion de ce temps-là) estoit sujette à de semblables foiblesses & imbecillitez. Ils ont commencé à se taire vers le temps de Jesus-Christ, Un jeune Enfant Hebreu, Dieu, Roy des Bien-heureux, me fait taire tout court, dit Apollon, chez Suidas, ce que nous apprenons encore de Ciceron, Strabon, Juvenal Lucain, Celsus Epicurien, Julien l’Apostat, & Porphyre ; & s’ils ont cessé plûtost dans ce temps-là que dans d’autres, c’est encore une marque de leur mauvaise foy, parce que le mensonge est incompatible avec la Souveraine Verité. Permettez que je cesse aussi de parler aprés cette reflexion, puisqu’on ne peut mieux découvrir la vanité des Oracles de l’Antiquité, que fait la presence d’un Dieu Incarné.

Belorond.

Vous ne pouvez finir d’une maniere plus convaincante & plus Chrestienne ; & je ne puis mieux vous témoigner combien je suis persuadé de tout ce que vous venez de me dire, qu’en vous asseurant que je n’ay rien à vous repartir là-dessus. Je vous dispense aujourd’huy volontiers de m’entretenir de la vie de quelques-uns des grands Hommes de l’Antiquité, comme vous me l’avez promis, parce que je souhaite, pour ne pas perdre tout ce que vous m’avez appris, me retirer au plûtost, afin de mettre sur le papier ce que ma memoire pourroit perdre, & dont je pourray me servir dans l’occasion, car je me souviens de ce Proverbe Arabe, avec lequel je vous laisse, Qui non habet in manica album, non habet in corde verbum.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 128-129.

Les Amans sont toûjours prests à se dégager quand on leur donne sujet de se plaindre, & il en est peu qui gardent long-temps le desir de se vanger. C'est ce qui est agreablement exprimé dans les paroles de l'Air nouveau que je vous envoye.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Venez, juste dépit, venez à mon secours, doit regarder la page 128.
Venez, juste dépit, venez à mon secours
Ma gloire vous attend, ma raison vous appelle,
Il faut punir un infidelle,
Et de mes longs ennuis interrompre le cours ;
Mais sur la foy de vostre violence
Je n'ose asseurer ma vangeance,
Car vos transports, helas ! ne durent pas toûjours.
images/1686-03_128.JPG

[Festes Galantes qui se font tous les ans à Thoulouse] §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 146-161

 

Ce n'est pas à la Cour & à Paris seulement que les François sont galans & magnifiques. Il y a peu de Villes en France, où ces deux qualitez si naturelles à ceux de nostre Nation n'éclatent. Toulouze est une de celles où elles règnent le plus. Tout le Carnaval s'y passe dans les divertissemens propres à cette saison, & ceux qui on esté Rois de Bal, font le Mardy gras une dépense extraordinaire, pour se distinguer dans des Mascarades publiques, les uns des Chariots & Chars de Triomphe, les autres à Cheval de grandes Escortes de leurs Amis masquez, ayant des habits particuliers & somptueux, & montez sur de superbes Chevaux ornez de Housses, de plumes, & de quantité de Rubans de la couleur qui plaist davantage à leurs Maistresses. Ils se promènent ainsi par la Ville, & se rendent dans la place appelée Salins, en distribuant des Confitures aux Dames, & d'autres Présens, qui font paroistre leur galanterie. Ces sortes de liberalitez se continuent pour elles pendant le Caresme, surtout les Dimanches qu'elles vont faire leurs prières dans les Chapelles des lépreux qui sont au bout des Faux-bourgs, où chacune de ces Chapelles a un Dimanche de Caresme destiné aux dévotions qu'on y vient faire. Au sortir de là, les Dames font une espèce de Cour, où ceux qui ont fait les Mascarades dont je viens de vous parler, font distribuer de très grands Gâteaux & des massepains chargez de Confitures exquises que les Dames reçoivent dans leurs Carrosses. Elles en renvoyent une partie à celuy qui leur a fait faire le présent, & qui ne manque pas de se trouver à ce Cours, aussi en Carrosse avec ses Amis. Cela s'appelle le Feretra d'un lieu de ce nom où l'une de ces Chapelles de Lépreux se trouve établie. On voit tous les ans plus de quatre mille hommes masquez à Cheval dans les Mascarades du Mardy gras. Il y en a eu de tres-magnifiques cette année, & entre autres on a admiré celle que fit ce jour là Mr Nolet Trésorier de France, de l’une des premieres Familles de Toulouse. Comme il y a peu de Personnes dans la Province qui ayent de plus beaux Chevaux d’Espagne que luy, il étoit avantageusement monté à la teste de ses Amis, qui marchoient devant un Char parfaitement bien attelé, & orné de plusieurs Tableaux qui representoient divers Amours, avec autant de Devises. Cette galante Troupe regaloit les Dames de presens de confitures, & distribuoit au reste du monde les Vers que vous allez lire. Ils expliquent les Devises des Amours qui estoient peints sur le Char.

LES AMOURS
A
L’AIMABLE IRIS.

Iris, de mille attraits le Ciel vous a pourveuë,
Cette troupe d’Amours ne s’adresse qu’à vous ;
 C’est vous seule qu’ils cherchent tout,
Et qui peut en douter, ne vous a jamais veuë.

Un Amour dans les chaînes.

Ie ne puis, ny ne veux les rompre.
***
Quoy qu’il en couste des larmes,
Des soûpirs & des alarmes,
Ie suis toûjours amoureux ;
Rompe qui voudra sa chaîne,
Un panchant trop doux m’entraîne,
Et je ne puis, ny ne veux.

Un Amour dans un Berceau.

Crescendo, decrescit.
***
 Vous qui voyez au Berceau cet Amour,
Puis qu’il est, dites-vous, si fort dans sa naissance,
Et qu’enfant mesme encor, il a tant de puissance,
  Que ne fera-t-il point un jour ?
 Vous vous trompez, ce n’est pas le connoître,
 Avec le temps son agrément s’enfuit,
 Loin d’augmenter, luy-mesme il se détruit,
Et n’est jamais si fort, que quand il vient de naître.

Un Amour auprés d’un Alambic.

De mi fuego mis lagrimas.
***
Helas, que je serois heureux
Si je n’estois pas amoureux !
Mes soins, mes soûpirs, mes alarmes
Me causent un sort rigoureux,
Et vous voyez combien mes feux
Me coûtent tous les jours de larmes ;
Mais n’estre jamais amoureux,
C’est estre encor plus malheureux.

Un Amour avec une Trompette.

Sempre di favori, giamai di rigori.
***
 Que d’Amours de ce caractere !
 Tel ne parle que de faveurs,
Tel dit qu’il est aimé, qui n’a jamais sceu plaire,
Et pour qui les Beautez n’ont eu que des rigueurs.
 De ces Amours insolens, témeraires,
  Aimable IRIS, distinguez-nous,
Ils ne font que gâter les amoureux misteres,
  Il faut les chasser de chez vous.
Ils sont legers, indiscrets, & peu sages,
 Mais au regret des tendres cœurs,
 Ces indiscrets & ces volages
 Ont souvent toutes les faveurs.

Un Amour appuyé sur une Ancre, avec le doigt sur la bouche.

De mi silencio, mi esperança.
***
  Deux choses rares en ce temps,
Grande discretion, & beaucoup de silence ;
Cependant, jeune IRIS, sur cela je pretens
  Fonder toute mon esperance.
 Qui de l’Amour découvre les secrets,
 Merite peu l’avantage de plaire.
  Haissez donc les indiscrets,
  Aimez ceux qui sçavent se taire.

Un Amour qui porte une Lanterne, avec des mots Grecs signifians

Non comme Diogene.
***
Un Réveur autrefois, la lanterne à la main,
 Cherchoit un homme, & sage & veritable ;
 De cet Amour a figure semblable,
  Bien different est le dessein.
 Quoy qu’il s’explique en Langue peu vulgaire,
 Vous l’entendez, vous seule pouvez faire,
  Ou qu’il trouve, ou qu’il cherche en vain.

Un Amour qui peint un Portrait.

Le Bellezze, non i vitii.
***
 L’Amour est un Peintre flateur,
Quelque Portrait qu’il fasse, il nous enchante ;
Tout ce qui part de sa main complaisante,
  Charme les yeux, touche le cœur.
  Il peint avec un soin extrême
 Tout ce qui plaist dans ce qu’il aime,
La douceur, l’agrément, l’esprit & les appas ;
 Mais pour tout ce qui peut déplaire,
Changemens, trahisons, foiblesse, humeur legere,
 Iris, c’est ce qu’il ne peint pas.

Un Amour, avec son Bandeau sur la bouche.

Je voy tout sans parler.
***
I’aurois mille choses à dire ;
 Mais le Bandeau que j’avois sur les yeux,
Est tombé sur ma bouche ; en secret je soûpire.
Si je pouvois parler, je m’expliquerois mieux.

Un Amour avec le Bandeau sur les yeux, qui cueïlle la plus belle Fleur d’un Parterre.

Ben sceglio, benche cieco.
***
Parmy ces brillantes Fleurs,
Mon Bandeau n’empesche guere
Le choix que je pretens faire ;
Ie n’en voy point les couleurs,
Mais ce n’est pas une affaire,
Le cœur choisit toujours mieux ;
C’est-là mon guide fidelle,
Et sans le secours des yeux,
I’ay sceu choisir la plus belle.

Un Amour portant une Bourse dans une de ses mains, & des Fléches dans l’autre.

Mi poder no es de mis saetas.
***
 De tous les tendres Cœurs, maudit soit à jamais
 Le premier qui receut cet Amour dans le monde,
 Perisse cet Amour de qui l’espoir se fonde
 Sur son or, & non sur ses traits.
 Non, non, Venus n’est point sa mere,
 Ce n’est qu’un enfant supposé,
Et les Amours ont toûjours refusé
 De le reconnoître pour frere.
 C’est par luy que sont confondus
Le Jeune & le Barbon, le fourbe & le sincere ;
 Tel qui sans luy ne plairoit plus,
 Trouve encor le secret de plaire ;
Tous les plaisirs qu’il donne enfin sont imparfaits :
Cependant contre luy quoy qu’on parle & qu’on gronde,
 Il est trop bien étably dans le monde,
  On ne le chassera jamais.
***
 Voilà bien des Amours, Iris,
Chacun a son defaut, & chacun a son prix ;
Choisissez ; vostre choix est toûjours adorable ;
Mais quel que soit l’Amour que vous accepterez,
Quels que soient les Amours que vous rejetterez,
Puis-je vous dire, Iris, sans me rendre coupable,
 Sans accuser vostre cœur ny vos yeux,
Que si vous connoissez quel est le plus aimable,
Je sçay quel est celuy qui vous aime le mieux ?

[Histoire] §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 182-195

 

L’Avanture dont je vais vous faire part, a esté écrite par une Personne tres-digne de foy, & qui a esté témoin de toutes ses circonstances. Je ne change rien aux termes. Un Gentilhomme François âgé de vingt ans, ayant fait déja plusieurs Voyages avec un espece de Gouverneur, sur qui son Pere qui l’aimoit fort tendrement s’étoit reposé de sa conduite, arriva en Espagne, où il fit un plus long sejour que dans tous les autres lieux qui ne l’arrestoient que par une simple curiosité. Un jour estant à Madrid il entra dans une Eglise, & le hazard voulut qu’il se mit auprés d’une Dame, dont la beauté le frappa si vivement, qu’elle-mesme s’apperceut de l’admiration qu’elle luy causoit. Quoy que les déclarations se fassent bien viste en ce Pays-là, il n’osa pourtant luy découvrir si promptement ce qu’il commençoit à sentir pour elle, mais esperant qu’il seroit assez heureux pour la trouver encore d’autres fois dans la mesme Eglise, il s’y rendit avec beaucoup d’assiduité, & ne se rebuta point d’y venir plusieurs jours de suite, bien que ce fust inutilement. Enfin s’informant par tout de cette belle Personne qu’il ne pouvoit bannir de son cœur, il apprit qu’elle estoit tombée malade, & que ceux qui la traittoient ne répondoient pas de sa guerison. Cette fascheuse nouvelle luy causa les plus cruelles inquietudes qu’il eust jamais ressenties. Il mit toutes choses en usage pour sçavoir le cours que son mal prenoit, & lors qu’il étoit dans cette agitation, on luy apprit qu’elle commençoit à se mieux porter, & qu’elle devoit dans peu de jours aller à la Messe. Il ne songea plus qu’à se rendre au lieu où sa liberté s’estoit perduë quelques jours auparavant, & en y voyant la Jeune Espagnole, il la vit pour luy plus charmante que Jamais, quoy qu’un peu changée aux yeux des autres. Il ne fut pas si discret qu’il l’avoit esté la premiere fois. Il s’approcha d’elle pour luy déclarer sa passion, mais il connut avec beaucoup de douleur qu’il luy parloit sans qu’il en fust entendu. Il se consola pourtant sur l’attention qu’elle avoit euë à le regarder, & jugeant par là qu’elle l’auroit écouté avec plaisir s’il luy avoit parlé Espagnol ; il mit tous ses soins à apprendre cette Langue, & s’y appliqua avec un attachement qui devint suspect à son Gouverneur. Il observa toutes ses démarches, & l’empressement que ce jeune Gentilhomme avoit de se trouver dans les lieux où il pouvoit voir l’aimable Espagnole, l’ayant convaincu de son amour, il crut qu’il falloit le tirer d’un lieu où tout estoit à craindre pour luy. Ainsi sans balancer davantage sur le party qu’il avoit à prendre, il feignit d’avoir receu des nouvelles de son Pere, qui luy donnoit un ordre pressant de luy ramener son Fils le plus promptement qu’il seroit possible. Ce jeune Amant fit tout ce qu’il put pour reculer son départ, mais il se vit contraint de ceder à sa malheureuse destinée. Il resolut d’écrire en partant à la charmante Espagnole, & de remettre luy-mesme le Billet entre ses mains un jour qu’elle devoit se trouver dans une Assemblée où il l’avoit déja veuë. Il écrivit le Billet que vous allez lire en nostre Langue, & ayant obligé celuy qui luy apprenoit l’Espagnol à le traduire, il le porta où il estoit asseuré qu’il trouveroit l’aimable Personne qui luy avoit donné tant d’amour. Comme c’estoit la derniere fois qu’il devoit la voir, sa douleur le mit dans un tel accablement, qu’il n’eut de force que pour luy donner sa Lettre, & prononcer cinq ou six mots Espagnols qui luy apprenoient qu’on l’arrachoit d’auprés d’elle. Voicy ce qu’il avoit fait traduire en cette Langue.

Puisque ma passion n’a pû s’affoiblir par les difficultez qui m’ont empesché de vous l’expliquer, je croy, Madame, que vous ne trouverez pas mauvais que je prenne la liberté de vous faire entendre par cette Lettre des sentimens que mes paroles n’ont jamais pû vous découvrir, mais qui se sont assez montrez dans tout le reste de mes actions. Pour peu que vous ayez daigné les examiner, vous aurez connu que je meurs d’amour pour vous, & c’est ce qui me fait esperer qu’au moins par pitié vous voudrez bien lire dans ce Billet ce que je n’ay pû vous dire moy-mesme. Mais, Madame, ne me flatay-je point trop, quand j’ose croire que vous aurez cette bonté pour un homme qui vous est à peine connu, qui vray-semblablement n’a fait nulle impression sur vostre cœur, & à qui vous n’estes engagée ny par vos paroles ny par aucune conduite qui ait pû l’autoriser à prendre quelque esperance. Il me semble cependant, que vous devez cette justice à une passion qui toute muette qu’elle a esté, ne peut vous estre inconnuë. Tout le prix que j’en demande, c’est que vous puissiez estre convaincuë qu’en me separant de vous, je ne verray plus rien sur la terre qui m’attache assez pour m’y retenir.

La belle Espagnole n’eut pas le temps de lire toute la Lettre. Elle entendit un grand bruit qui s’éleva tout d’un coup, & elle vit son Amant évanouy, que son Gouverneur faisoit emporter. Il demeura sans aucune connoissance plus de six heures, & fut fort surpris lors qu’estant revenu à luy, il se trouva dans la compagnie de ceux dont son Pere l’avoit fait accompagner dans ses Voyages, & éloigné de Madrid de plus de deux lieuës. Son desespoir fut si grand qu’il ne parla plus que de mourir. Plein de cette idée, il apperceut une Hostellerie fort ruinée, & se trouvant effectivement accablé de mal & de fatigue, il demanda à s’y reposer quelques heures. Il n’y fut pas plûtost arrivé qu’une fiévre ardente le saisit. Il s’en tira neanmoins heureusement aussi-bien que de la cheute d’un Grenier chargé de bled qui fondit sur luy dans le temps qu’il estoit seul, & qui l’auroit sans doute accablé sans un Singe qui ne le quittoit presque jamais. Cét Animal le voyant étoufé sous ce fardeau, écarta le Bled avec tant d’adresse, qu’il luy rendit la respiration libre, & le mit par là en estat d’attendre un plus grand secours qui tarda peu à venir. Il s’estoit flaté que les ruines de cette vieille Maison finiroient sa vie & ses malheurs, mais son Gouverneur le contraignant d’en sortir, il se laissa ramener en France, resolu d’y traîner le reste de ses jours dans la Solitude. Il a executé ce dessein, en se retirant dans une des Terres de son Pere, où il vit éloigné de tout commerce, & conserve sans distraction l’image d’une Personne qui luy rend tout le reste ennuyeux, & insupportable.

[Conversions faites depuis le mois dernier, & tout ce qui s’est passé à ce sujet] §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 203-213, 221-223

 

Enfin le grand Article des Conversions, qui grossissoit tous les mois ma Lettre, commence heureusement à diminuer, faute de matiere, & la veritable Religion va regner entierement chez des Peuples, à qui il ne manquoit que cette union pour joüir avec une pleine joye de la gloire & du repos que leur procure le plus florissant & le plus beau Regne que l’on vit jamais. Je ne vous parleray plus de Conversions de Villes entieres, mais de quelques Particuliers seulement, dont l’obstination a rendu la défaite plus éclatante. Vous en allez voir trois de cette nature dans la Lettre que je vous envoye. Elle est curieuse, & remplie en peu de mots de choses touchantes.

A MONSIEVR
L’ABBÉ DE SAZILLY.

Je sçay, Monsieur, le plaisir que vous avez d’apprendre le nombre de ceux qui rentrent dans le sein de l’Eglise, non seulement par l’interest que vous prenez au salut de leurs Ames, mais encore parce que les merveilles que Dieu fait paroistre dans plusieurs de ces Conversions, sont autant d’Eloges pour nostre Auguste Monarque. Voicy ce que j’ay veu dans une Lettre écrite de Lodeve le 17. Janvier, par un Docteur de Sorbonne à M. Berthe, Superieur de Mrs de la Congregation de la Mission à Saint Lazare, dont le rare merite vous est connu. Aprés avoir parlé d’un grand nombre de Conversions, & de l’assiduité de plus de huit mille Personnes à entendre ses Sermons tous les soirs, il dit qu’une Fille âgée de dix-huit ans se cacha assez long-temps dans son lit, feignant d’estre malade, pour n’estre pas obligée d’aller à l’Eglise ; mais dans la crainte de s’y voir forcée, elle quitta le lit, & se retira dans une Caverne, qui auroit paru affreuse à toute autre. Elle y demeura prés de trois mois, sans en sortir que la nuit pour aller chercher des herbes de la Campagne, afin de s’en nourrir. Enfin pressée par des mouvemens interieurs du S. Esprit, elle quitta sa Solitude, & vint le jour mesme qu’il écrivit cette Lettre, le prier de recevoir son abjuration, qu’elle fit avec les sentimens les plus religieux du monde, aprés un entretien de cinq heures, où elle fit connoistre qu’elle estoit extraordinairement sçavante dans sa Religion, & fort attachée à sa croyance. Elle fit ensuite sa Confession generale, non sans verser beaucoup de larmes, tant pour ses pechez, que pour avoir trop tardé à se faire instruire. Sa Mere & son Frere, qui estoient dans une obstination inconcevable pour leur fausse Religion, touchez d’un exemple qu’ils n’auroient jamais attendu, se convertirent aussi. Voila, Monsieur, une Conversion qui fait voir,

Que Dieu répand souvent ses plus rares faveurs
 Dans les plus jeunes Cœurs ;
Une autre va montrer avec quel avantage
Il les répand aussi dans ceux d’un plus grand âge.

 

Une Demoiselle de Qualité fit connoistre dans le mesme temps qu’il ne faut qu’un moment à la Grace pour briser le cœur le plus endurcy. Elle se nomme la Baronne de Faugere, âgée de quarante ans. Son opiniastreté estoit si grande, qu’elle protestoit de se laisser plûtost massacrer, que d’aller jamais à confesse. Elle vint aussi se jetter aux pieds du mesme Docteur, & ses larmes couloient en si grande abondance du regret d’avoir demeuré si long-temps dans l’Erreur, qu’il eut toutes les peines du monde à les arrester, & fut extremement touché de sa penitence. Ce n’est pas seulement à Lodeve que Dieu a operé de tels Miracles, je croy me pouvoir servir de ce terme aprés S. Thomas. On feroit des Volumes entiers de tous ceux qui sont arrivez dans chaque endroit du Royaume, mais une Conversion qui s’est faite dans une Paroisse de Paris, est si particuliere, qu’elle peut tenir sa place icy ; & je m’asseure, Monsieur, que vous direz avec tous ceux qui en feront la lecture.

 Quand ce n’est que la seule bouche
 Qui demande à Dieu du secours,
 On ne voit pas qu’elle le touche,
Mais lors que le Cœur parle, il luy répond toujours.

 

C’est une Dame qui mene presentement une Vie si cachée & si remplie de pieté, que je ne pourrois la nommer sans luy faire de la peine, & blesser sa modestie. Ce que je puis dire, c’est qu’elle est Etrangere, & de grande Qualité ; qu’elle est tres-bien faite, & selon ce que l’on peut juger, d’environ trente-deux ans ; qu’elle a aimé le Monde, & a laissé de fort grands Biens en son Pays. Elle vint en France avec son Mary, qui estoit de la Religion P. R. comme elle, & qui est mort depuis quelques mois. Cette mort luy a esté tres-sensible, mais les grandes choses que le Roy a faites pour le salut de ses Sujets qui estoient dans l’Erreur, luy ayant fait naistre des doutes de sa croyance, elle oublia toutes choses pour ne penser qu’à celle-là. Elle ne s’en ouvrit pourtant à personne. Elle n’avoit de recours qu’à la Priere & à ses larmes, pour demander à Dieu qu’il luy enseignast le chemin qu’elle devoit suivre. Un soir fort tard qu’elle le prioit avec une ferveur extraordinaire, de luy faire cette grace, elle entendit une Voix qui luy dit fort distinctement, Leve-toy, & suy celuy qui passe. Elle court aussi-tost à la fenestre, & voit passer nostre Seigneur que l’on portoit à quelques malades. Elle prit soudain son Escharpe, & se mit à le suivre. Estant revenuë chez elle, elle passa une partie de la nuit à genoux, pour remercier son Divin Maistre de la grace qu’il luy avoit faite. Le lendemain elle fit son abjuration & sa Confession generale. On luy a voulu donner une Pension assez forte, mais elle n’a accepté que ce qu’il luy faut pour vivre tres-modiquement. Je suis, Monsieur, avec respect, vostre tres, &c. VIGNIER,

A Paris ce 3. Mars 1686.

[...] Son FilsI qui avoit épousé une Demoiselle de la Maison d’Alonville de Beauce, se convertit avant sa mort, & fit faire abjuration à ses Enfans qui sont demeurez bons Catholiques. Il n’y eut que Mr Despeaux son Cadet qui refusa de se convertir alors, & qui abjura le jour de Noël dernier. Gabrias Lenfant, Seigneur de Lirieres & de Boismoreau, se fit Protestant comme Pirrus son aisné, & répandit le poison de l’Heresie dans toute sa branche ; mais Mr de Boismoreau qui en est aujourd’huy le Chef, a reconnu son erreur depuis quelques mois, ainsi que Madame sa Femme, & Mesdemoiselles ses Filles, qui ayant esté mises par ordre du Roy aux nouvelles Catholiques, y ont fait abjuration entre les mains de Mr l’Abbé de la Motte-Fenelon, en presence de Mr le Premier President ; de sorte que de toute cette Maison il ne restoit plus dans le party des Pretendus Reformez que Madame de Laugerie, dont je vous apprens la Conversion, Mrs de la Gareliere & du Bordage-Lenfant, cadets de cette Branche, estant Catholiques il y a long-temps.

[Ouvrage de Mr l’Abbé Petit sur les conversions]* §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 225-240

[...] Tous ceux qui se sont senty quelque talent pour le salut des Ames, ont creu devoir l’employer pour la gloire de Dieu, & pour imiter le plus pieux des Monarques. Les uns ont parlé & écrit pour vaincre l’obstination des Heretiques, & les autres pour affermir dans la veritable Eglise ceux qui ont fait abjuration. Mr l’Abbé Petit de l’Accademie Royale d’Arles, a esté du nombre de ces derniers, & l’on voit depuis peu un Livre de ce Sçavant homme, Intitulé, Les Veritez de la Religion prouvées & défendues contre les anciennes Heresies par la verité de l’Eucharistie, ou Traité pour confirmer les nouveaux Convertis dans la Foy de l’Eglise Catholique.

Aprés un si grand nombre de Livres qui ont esté faits touchant la Réalité dans le Sacrement de l’Eucharistie, cet Ouvrage ne laisse pas de paroistre singulier. L’Auteur fait d’abord connoistre que le Miracle de l’Eucharistie que les Heretiques des premiers Siecles ont creu, a esté une preuve dont S. Irenée, ancien Evesque de Lyon, s’est servy pour prouver que Jesus-Christ est le veritable Fils de Dieu, & aprés avoir demandé à ceux qui ne sont pas encore pleinement convaincus de la verité de l’Eucharistie, si le sens qu’ils donnoient à ces paroles, Cecy est mon Corps, c’est à dire, la Figure de mon Corps, peut prouver la Divinité de J. C. il ajoûte : Si Saint Irenée disoit aux Heretiques de son temps, Comment croyez-vous le grand Miracle des Saints Mysteres, vous qui ne voulez point croire que celuy qui le fait, est le Fils de Dieu, N’avons-nous pas raison de dire à ceux qui ne sont pas encore convaincus de la verité de l’Eucharistie, pourquoy croyez-vous la Divinité de J. C. vous qui doutez encore du grand Miracle de l’Eucharistie, qui en a esté la preuve. Voyez combien la Foy de ce grand Miracle est ancienne. Saint Justin, Disciple des Apostres, S. Irenée, Disciple de S. Polycarpe, qui l’avoit esté de l’Apostre S. Jean, sont les Docteurs de qui nous l’avons appris, comme ils l’avoient eux-mesmes appris des Apostres. Voyez combien cette Foy estoit publique, & universellement receuë dans les premiers Siecles, puis que les Heretiques en convenoient avec les Catholiques. Voyez enfin combien elle estoit incontestable, puis qu’on s’en servoit pour prouver le grand Article de nostre Foy, qui est la Divinité de J. C.

Mr l’Abbé Petit dit dans un autre endroit de son Livre, Nous n’osons rien dire de cet adorable Sacrifice, que nous ne l’ayons appris des Peres de l’Eglise. Nous disons que ces paroles de J. C. Cecy est mon Corps, produisent ce Sacrifice, & qu’elles luy donnent toute sa force & toute sa vertu. Voila ce que nous avons appris de S. Jean Chrysostome, Cecy est mon Corps. C’est par cette parole, dit ce Pere, que les choses offertes par les Fidelles, sont consacrées ; & comme ces paroles de Dieu, Croissez, multipliez, & remplissez toute la Terre, quoy qu’elles n’ayent esté dites qu’une seule fois dans la Creation du Monde, ne laissent pas de produire leur effet dans toute la Nature ; ainsi quoy que ces paroles efficaces de J. C. Cecy est mon Corps, n’ayent esté proferées qu’une seule fois, ce sont elles neanmoins qui ont imprimé à ce Sacrifice la force & la vertu qu’il a euë jusques à present sur tous les Autels de l’Eglise, & qui la luy imprimeront encore sans cesse jusqu’au dernier Avenement du Seigneur.

Le mesme Auteur, aprés avoir rapporté plusieurs choses qui marquent la vertu miraculeuse du Sacrifice de l’Eucharistie, & qu’on lit dans S. Cyprien, dans S. Augustin, & dans S. Bernard, dit encore. Si nous croyons ce grand Miracle du Sacrifice de l’Eucharistie, que celuy qui ne communie que sous une seule espece, ou qui ne reçoit qu’une partie des Especes consacrées, ne laisse pas de recevoir tout entier le tres-saint Corps, & l’adorable Sang du Seigneur, nous le croyons avec S. Eutique, Evesque de Constantinople, dont la Naissance, la Vie, & l’Election à l’Episcopat, ont esté miraculeuses. Quoy que le Corps & le Sang, dit ce saint Evesque, soit divisé & distribué à tous, parce qu’il se mesle en chacun d’eux, il ne laisse pas de demeurer toûjours indivisible en luy-mesme. Comme un seul Cachet imprimé sur plusieurs cires differentes, leur donne à chacune en particulier toute sa figure & toute sa forme, & ne laisse pas de demeurer toûjours unique en soy-mesme, sans que la multiplicité des sujets qui reçoivent l’impression de son image divise ou change son unité ; & comme la voix qui est proferée par un seul homme, & qui se répand dans l’air, est toute entiere dans sa bouche, & entre toute entiere dans les oreilles de ceux qui l’entendent, sans que l’un en reçoive plus on moins que l’autre, parce qu’encore que la voix soit un corps, n’estant autre chose qu’un air agité, elle est tellement une & indivisible, que tous l’entendent également quand il y auroit ensemble dix mille Auditeurs. Ainsi personne ne doit douter qu’aprés la Consecration mystique & la sainte Fraction, le Sang du Seigneur, incorruptible, immortel, saint & vivifiant, & se formant par la vertu du Sacrifice dans les especes consacrées, n’imprime toute sa force dans chacun de ceux qui le reçoivent, & ne se trouve tout entier en tous, comme il arrive dans les exemples qui ont esté rapportez.

Aprés avoir cité dans un autre endroit un passage de Saint Justin Martir, Disciple des Apostres, qui prouve aux Juifs qu’ils ne sont pas dans la veritable Religion predite par le Prophete Malachie, puis qu’ils ne sont pas repandus par toute la Terre pour y offrir le vray Sacrifice, au lieu qu’il n’y a aucune Nation au Monde où il ne se trouve des Chrestiens qui offrent à Dieu le Sacrifice de l’Eucharistie, ce qui fait voir que la Religion des Chrestiens est la seule veritable qui a esté predite par ce Prophete. C’est encore par cette mesme raison, poursuit-il, que les Peres de l’Eglise ont combatu les Heretiques & les Schismatiques. Quoy qu’ils offrissent le Sacrifice qui est offert par toute la Terre, comme ils estoient separez de l’Eglise Catholique, ils ne pouvoient pas l’offrir par tout. C’est pourquoy on leur disoit, l’Eglise est par tout où sont les Heresies, mais vous n’estes pas par tout où elle est. Il y a une Secte en Afrique, une autre en Orient, une autre en Egypte, & une autre en Mésopotamie. Le party de Donat est en Afrique, mais les Eunomeens n’y sont point, & l’Eglise Catholique est avec le party de Donat. Les Eunomeens sont en Orient, les Donatistes n’y sont point ; mais l’Eglise Catholique est par tout où ils ne sont pas. L’Eglise est cét Arbre qui estend ses branches par toute la Terre, & les Heretiques & les Schismatiques sont des branches rompuës qui n’ont plus la vie de la racine, & qui tombent chacune en son lieu. L’Eglise Catholique est donc la seule veritable, qui a esté predite par le Prophete Malachie, puis qu’elle est la seule qui puisse offrir en tous lieux le Sacrifice pur & digne de Dieu. Il ajoûte que c’est la le raisonnement des Peres contre les Heretiques, & principalement contre les Schismatiques ; que S. Pacien l’a employé contre les Novatiens, S. Jerosme contre les Luciferiens, S. Optat & S. Augustin contre les Donatistes. On ne peut avoir trop de surprise lors qu’on fait réflexion sur l’opiniatre aveuglement des Calvinistes, puis qu’il paroist par les raisons des Peres de l’Eglise, que les Heretiques contre qui ils disputoient, comme les Valentiniens, les Ariens, les Macedoniens, les Nestoriens, les Eutychéens, & plusieurs autres convenoient avec l’Eglise de la presence Réelle de J. C. au S. Sacrement, & de l’Adoration de l’Eucharistie ; de sorte qu’il y a sujet de s’étonner que dans ces derniers Siecles il ait pû naistre une Heresie, qui a attaqué une verité receuë par tous les Chrestiens du Monde, & dont l’Eglise dans les premiers Siecles s’est servie pour refuter tant de differentes sortes d’Heresies. Ce sont les termes que Mr l’Abbé Petit employe sur la fin de son Ouvrage, qui est remply de raisons si solides & si convaincantes, que cette lecture n’est pas moins utile pour ramener les Heretiques au sein de l’Eglise, que pour affermir les nouveaux Convertis dans la veritable Religion.

[Cérémonies au Chapitre Royal de S. Quentin en Vermandois]* §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 240-242

 

Le Chapitre Royal de S. Quentin en Vermandois qui employe tous ses efforts à seconder les intentions du Roy, ayant travaillé depuis trois ans avec un zèle extraordinaire à ramener à l'Eglise ceux qui en avoient ésté séparez par leur naissance, a veu enfin l'entier succez de ses soins, & pour en rendre des Actions de graces à Dieu, il ordonna une Procession Générale qui se fit Lundy dernier jour de l'Annonciation de la Vierge. Tous les Corps, tant Réguliers que séculiers s'y trouvérent. Mr l'Abbé Gebuys Chanoine de Soissons, prêcha doctement sur ce sujet, & s'attira beaucoup de loünanges. On chanta le Te Deum en Musique avec les Prières du Roy. Jamais Cérémonie ne s'est passée avec plus de modestie qu'en firent paroistre, tant les nouveaux Catholiques que les anciens. [...]

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 275-276.

Voicy un second Air nouveau, dans lequel vous ne trouverez pas moins de beautez que dans le premier.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Jeune & belle Saison, doit regarder la page 275.
Belle & jeune Saison, ton retour est charmant,
Et chacun le desire avec empressement.
Nous le souhaiterions encor bien davantage,
Si par luy nous estions toûjours dans le bel âge ;
Mais par malheur à force de Printemps,
Nous nous trouvons enfin dans l'hyver de nos ans.
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L’Alphabet des Nouveaux Convertis à la Foy de l’Eglise Romaine §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 280-286

 

Il court un Alphabet plein d’Instructions utiles, dont on m’a donné une copie. Je vous l’envoye. C’est l’Ouvrage d’un Pasteur zelé pour ses Oüailles nouvellement recouvrées. Il est de Mr Hamel, Curé de Moüy, Diocese de Beauvais.

L’ALPHABET
Des Nouveaux Convertis à la Foy de l’Eglise Romaine.

Adorez J. C. réellement contenu sous les Especes du Pain & du Vin dans l’Eglise Catholique.

Beuvez son Sang en mangeant son Corps sous la seule Espece du Pain, sans desirer l’usage de la Coupe, qui n’est necessaire qu’au Sacrifice.

Confessez vos pechez à l’oreille des Prestres ; faites les Penitences qu’ils vous enjoindront pour y satisfaire, & servez-vous des Indulgences de l’Eglise, pour vous acquiter plus promptement envers Dieu.

Dépoüillez-vous de tout respect humain, & de tous les sentimens de la Chair & du Sang, pour n’écouter que la seule Verité.

Expliquez l’Ecriture Sainte selon l’esprit des Saints Peres & Docteurs de l’Eglise, & non pas par vos lumieres particulieres.

Faites grand état de toutes les Ceremonies de l’Eglise Romaine, dont vous trouverez l’explication mysterieuse dans un grand nombre de Livres, composez pour cela.

Gardez toutes les Ordonnances de ses Conciles Generaux, & principalement de celuy de Trente.

Honorez tous les Saints qu’elle reconnoist comme tels, avec leurs Reliques & leurs Images.

Implorez leur credit auprés de Dieu, & pour meriter leur protection imitez leurs Vertus.

Lisez leurs Vies avec respect, & avec intention d’en profiter, aussi-bien que les autres Livres de Pieté.

Mortifiez vostre chair en gardant les Jeusnes du Caresme, des Vigiles & Quatre-temps, & l’abstinence des Vendredis & Samedis de l’année.

Nourrissez vos Ames du Pain de la Parole de Dieu, & de l’Oraison, pour vous convaincre des Veritez que vous avez ignorées jusqu’à present.

Oubliez les vieilles querelles que vous avez euës cy-devant avec l’Eglise Romaine, qui comme une bonne Mere vous tend les bras, pour vous recevoir avec amour au nombre de ses Enfans, nonobstant vos égaremens passez.

Purifiez-vous autant que vous pourrez en cette vie, & croyez qu’il y a un Purgatoire en l’autre, pour achever de vous rendre dignes du Royaume des Cieux, où rien de soüillé ne peut entrer.

Quittez genereusement vos Parens & Amis, qui ne voudront pas rentrer comme vous au giron de la veritable Eglise.

Reconnoissez nostre Saint Pere le Pape pour le Vicaire de J. C. en Terre, le Successeur de S. Pierre, & le Chef visible & universel de l’Eglise militante.

Soumettez-vous avec joye à son obeissance, comme de bons Enfans à l’égard de leur veritable Pere.

Travaillez fortement en la pratique des bonnes œuvres, sans lesquelles la Foy est morte, comme dit S. Jacques, & ne peut pas suffire pour nous sauver.

Veillez & priez, de peur que vous n’entriez dans la tentation de retourner à vos premieres Erreurs, & de vous perdre éternellement avec vos Peres qui les ont suivies.

[Histoire] §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 298-301

 

Il est quelquefois de nos avantages qu’on ne tienne pas ce qu’on nous promet. Ce que je vay vous conter en est une preuve. Un jeune Cavalier en reputation d’honneste homme, & qui l’estoit en effet, ayant des raisons qui l’obligeoient à se marier, jetta les yeux sur une Veuve fort riche, mais qui paroissoit tout au moins Sexagenaire. Comme il estoit fort bien fait, il n’eut pas de peine à toucher son cœur, & le mariage fut presque aussi tost conclu, à condition que l’on employeroit dans le Contract, qu’elle feroit ce que son premier Mary luy avoit toûjours permis de faire, c’est à dire qu’elle recevroit, payeroit, & auroit la Clef du Cabinet où seroit l’argent. Le Cavalier consentit à tout, & se maria. Le lendemain il luy demanda fort civilement la clef de son Cabinet. Elle crut qu’il vouloit rire, & ses longs refus ayant obligé le Cavalier à luy faire entendre dans les termes les plus honnestes qu’il put choisir, qu’il ne l’avoit épousée ny pour sa beauté ny pour sa jeunesse, mais pour estre maistre de l’argent, elle fut contrainte d’abandonner son trésor. Il l’asseura, lors qu’il eut la clef du Cabinet, qu’il en useroit d’une maniere dont elle auroit lieu d’estre contente. Il luy achepta de plus beaux Chevaux que ceux qu’elle avoit, & luy fit avoir toutes les choses qu’elle s’épargnoit par avarice. Ce procedé continuë. Il luy donne de l’argent, luy entretient bonne table, fait mettre tous les matins un bouquet sur sa Toilette, l’exempte du soin de recevoir & de compter avec des Fermiers, & luy dit toûjours qu’estant délivrée de ces sortes d’embarras, elle goûtera mieux les douceurs qui accompagnent une vie tranquille, & par consequent vivra plus long-temps. Elle a reconnu que ce party étoit le meilleur pour elle, & ils vivent fort satisfaits l’un de l’autre.

[Sur le livre Réponse fraternelle aux noms des nouveaux Catholiques de France]* §

Mercure galant, mars 1686 [tome 4], p. 302-309

 

Il a paru un Ecrit, qui est tres-utile, non seulement pour faire connoistre aux Protestans qu’ils sont dans l’Erreur, mais encore pour affermir les nouveaux Convertis dans la veritable Religion. Il a pour Titre, Réponse fraternelle au nom des nouveaux Catholiques de France, à une Lettre prétenduë Pastorale, attribuée au Ministre Claude. J’ay appris que cette Réponse est de Mr l’Abbé Huvet de Lyon, qui a servy prés de treize ans de Secretaire d’Ambassade à Rome, sous Mr le Duc d’Estrées. L’estime qu’il s’est acquise dans cet Employ, confirmée par les témoignages autentiques que ce Duc en a rendus, aussi-bien que Mr le Cardinal d’Estrées, son Frere, tous deux infiniment éclairez, est une preuve asseurée de son merite. Il réfute solidement, & par les Passages de l’Ecriture, les raisonnemens de la Lettre pretenduë Pastorale, & vous trouverez en la lisant, que sans s’embarasser dans aucun Article controversé, il s’est renfermé uniquement en ce qui regarde le Schisme, & son injustice. Par exemple, il se sert du Passage de S. Paul, Qu’il faut croire de cœur à Justice, & confesser de bouche à Salut, pour prouver que l’Eglise Catholique possedant tous les Articles fondamentaux & les Veritez capitales, rien n’avoit esté plus injuste que la separation, & qu’au contraire rien n’estoit plus juste que la réünion qui s’estoit faite. En effet, dans le seul developement de ce Passage de S. Paul, au sens propre & litteral de l’Apostre, que l’Auteur de la Lettre Pastorale a détourné à un sens tres-faux, pretendant montrer que les nouveaux Catholiques ont renié J. C. Mr l’Abbé Huvet fait voir clairement que l’Eglise Catholique à laquelle ils sont revenus, par le Symbole de la Foy qui s’y rencontre tout entier, possede tout ce qu’il faut pour estre la veritable Eglise, de laquelle on ne devoit point se separer, & à laquelle on devoit par consequent revenir ; qu’ainsi ils ont confessé veritablement J. C. par cette réünion en suivant son Esprit, qui est d’unir ensemble par le lien de la paix, c’est à dire, la Charité, tous ceux qui le confessent, ce qu’il confirme par d’autres Passages tirez du mesme Apostre. Il se sert aussi de ce Passage pour combatre en passant la fausse idée de justification parmy les Protestans, & détruit toutes les prerenduës illusions que cet Auteur a imputées aux nouveaux Catholiques, autant qu’il le peut, par les propres termes de l’Ecriture. Il n’applique aucune parole des Peres, qui ne se rapporte à cette mesme Ecriture, dont il fait regner l’esprit & le langage par tout ; & il finit aprés avoir ruiné tout ce que ce mesme Auteur a dit contre la réünion, par un Sistême de l’amour de Dieu, qui par sa seule opposition renverse celuy de predestination des Protestans, & il le tire purement de l’Ecriture. Il n’oublie pas de loüer le Roy, mais naturellement, & par des endroits qui viennent de la matiere, outre le beau Passage de S. Augustin, qui est au frontispice de l’Ouvrage, & qui donne une idée Chrestienne de l’employ que nostre Auguste Monarque fait de sa puissance Royale pour la réünion dont on luy est redevable. Voicy la traduction de ce Passage de S. Augustin. Qui refuse d’obeïr à la Verité, c’est à dire, au cœur d’un Dieu parlant par le cœur d’un grand Roy, pour réünir ses Enfans divisez, n’est pas seulement criminel devant les hommes, mais ne sçauroit estre innocent devant Dieu. En effet, lors que les Rois, qui sont les Ministres de Dieu pour le bien, en ordonnent un aussi grand que cette réünion, ce ne sont pas proprement eux qui commandent, mais Jesus-Christ, puis qu’ils ne commandent que ce que Jesus-Christ commande luy mesme.