1686

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11]. §

[Prélude sur l’établissement de la Maison de S. Cir] §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 1-39

 

Je me sens si penetré de ce que j’ay à vous dire au commencement de cette Lettre, que ne sçachant de quels termes me servir pour bien exprimer ce que je pense, j’aime mieux me taire, & vous envoyer l’Edit de l’établissement de Saint Cir. C’est une Piece qui vous parlera au lieu de moy, puis qu’elle parle assez d’elle-mesme, & que les quatorze Articles qu’elle renferme, sont autant de sujets de Panegyriques pour Sa Majesté. Quel bonheur pour nous, aussi-bien que pour les François qui nous suivront, que Dieu nous ait donné un Monarque, qui outre un nombre infiny de grandes choses qu’il a faites pour la gloire de ses Peuples & pour leur utilité, en a fait trois si dignes de sa grandeur, & en mesme temps si surprenantes, que tous les Souverains de la Terre unis ensemble pour former quelque dessein qui fist assez éclater cette union de puissance, auroient peine à imaginer, & plus encore à executer l’une de ces trois choses. Vous les trouverez dans l’établissement des Invalides, dans celuy des Compagnies des jeunes Gentilshommes qu’on instruit en plusieurs Villes, comme en des Academies, & dans celuy de S. Cir. Ces trois Etablissemens font la grandeur de Sa Majesté, puis qu’en récompensant la Noblesse qui a servy, ils donnent en mesme temps moyen de continuer à ceux qui en ont encore la force. Les Invalides font qu’on trouve des Soldats, & l’on pourroit mesme dire qu’estant asseurez d’avoir tout ce qui est necessaire pour la vie dans un lieu si beau, qu’il est peu de Souverains qui ayent de plus superbes Palais, ils brigueroient volontiers la gloire d’estre blessez, & de devenir Invalides aprés le travail de quelques Campagnes, afin de finir leurs jours tranquillement dans ce magnifique Hostel, & avec tous les secours qu’on peut esperer pour l’ame aussi-bien que pour le corps. Quoy que l’on donne le nom d’Invalides à tant de Braves, parce qu’ils sont hors d’estat de porter les armes, on ne peut pas dire qu’ils soient entierement inutiles, puis que l’établissement qu’on a fait pour eux, sert à faire éclater la gloire & la bonté de nostre Auguste Monarque. Celuy qui a esté fait pour les jeunes Gentilshommes, n’est pas moins considerable. Il décharge les Peres du soin que leur donneroit l’éducation de leurs Enfans, & de la dépense qu’il leur faudroit faire pour cela, & met les uns & les autres en estat de servir le Roy en mesme temps. Il apprend à ces jeunes Gentilshommes à estre Soldats & Chefs, à obeïr & à commander ; & il rend le dur Métier de la Guerre compatible avec la crainte de Dieu, ce qui n’est pas ordinaire.

Quant à l’établissement de la Maison de Saint Cir, il donne aussi lieu à la Noblesse de servir le Roy, puis que les Peres qui auront des Filles dans cette Communauté, estant déchargez de la dépense à laquelle les engageroit l’obligation de les faire instruire selon leur naissance, seront plus en pouvoir de servir le Roy avec leurs Fils. Ce sage Prince qui laisse la liberté là-dessus, fait voir par l’Avant propos de son Edit, que la Communauté de S. Cir est particulierement établie pour y élever les jeunes Demoiselles dont les Peres seront morts dans le service. L’éducation des Filles n’est pas une chose aisée. On en voit peu qui dans un âge tendre n’ayent du panchant vers le monde. La jeunesse est toûjours foible, & n’obeit pas bien volontiers lors qu’elle est gouvernée par d’autres que par un Pere & par une Mere, si ce n’est dans des Convens. Mais combien de jeunes Filles ont-elles de la repugnance à y entrer, & quand il arriveroit qu’elles n’en sentiroient pas, combien y a-t’il de Gentils-hommes qui n’ont pas assez de bien pour les y mettre ? N’ont-elles donc pas sujet de se tenir tres-heureuses d’estre dans une Maison comme celle de Saint Cir, où sans qu’on les oblige à prendre le Voile, elles vivront avec autant de regularité que dans le Convent, & attendront l’âge, où l’on a l’esprit assez meur pour voir le party que l’on doit prendre ? Que les prieres de cette jeunesse innocente doivent avoir d’efficace auprés de Dieu, & quelles benedictions n’attireront-elles pas, & sur ceux qui ont formé ce grand établissement, & sur tout l’Etat ! Toutes ces choses font voir que LOUIS LE GRAND sera toûjours Invincible, qu’il aura toûjours des Soldats & des Officiers autant qu’il en pourra souhaiter, que le Mestier de la Guerre leur sera parfaitement connu avant qu’ils ayent servy pour l’apprendre, & que des ames pures prieront continuellement pour la prosperité de ses Armes. Voicy l’Edit dont j’ay commencé à vous parler. Vous le trouverez remply d’Articles ou la prudence n’éclate pas moins que la grandeur, & vous avoüerez qu’on n’en a pas encore veu de mieux dressé.

EDIT D’ETABLISSEMENT
DE SAINT CIR.

LOUIS par la Grace de Dieu, Roy de France & de Navarre, à tous presens & à venir, Salut. Comme Nous ne pouvons assez témoigner la satisfaction qui nous reste de la valeur & du zele que la Noblesse de nostre Royaume a fait paroistre dans toutes les occasions, en secondant les desseins que nous avons formez, & que nous avons si heureusement executez avec l’assistance Divine pour la grandeur de nostre Etat, & pour la gloire de nos armes ; la paix que nous avons si solidement affermie, nous ayant mis en estat de pouvoir estendre nos soins jusque dans l’avenir, & de jetter des fondemens de la grandeur & de la felicité durable de cette Monarchie ; Nous avons étably plusieurs Compagnies dans nos Places frontieres, où sous la conduite de divers Officiers de Guerre d’un merite éprouvé, Nous faisons élever un grand nombre de jeunes Gentilshommes ; pour cultiver en eux les semences de courage & d’honneur que leur donne la naissance, pour les former par une exacte & severe Discipline aux exercices Militaires, & les rendre capables de soûtenir à leur tour la reputation du nom François ; Et parce que nous avons estimé qu’il n’estoit pas moins juste, & moins utile, de pourvoir à l’education des Damoiselles d’extraction Noble, sur tout pour celles dont les Peres estant morts dans le service, où s’estant épuisez par les dépenses qu’ils auroient faites, se trouveroient hors d’estat de leur donner les secours necessaires pour les faire bien élever, aprés l’épreuve qui a esté faite pendant plusieurs années par nos ordres, des moyens pour y réüssir, Nous avons resolu de fonder & établir une Maison & Communauté, où un nombre considerable de jeunes Filles, issuës de Familles Nobles, & particulierement de Peres morts dans le service, ou qui y seroient actuellement, soient entretenuës gratuitement, & élevées dans les principes d’une veritable & solide pieté, & reçoivent toutes les Instructions qui peuvent convenir à leur naissance & à leur Sexe, suivant l’estat auquel il plaira à Dieu les appeller, en sorte qu’aprés avoir esté elevées dans cette Communauté, celles qui en sortiront puissent porter dans toutes les Provinces de nôtre Royaume des exemples de modestie & de vertu, & contribuer, soit au bonheur des Familles où elles pourront entrer par mariage, soit à l’édification des Maisons Religieuses, où elles voudront se consacrer entierement à Dieu ; auquel effet Nous avons fait acquerir, construire & meubler de nos deniers la Maison de Saint Cir, située prés de noste Chasteau de Versailles ; & il ne reste plus qu’à declarer nos intentions tant pour les fonds, que pour les Reglemens necessaires pour l’entiere execution d’un établissement si utile & si avantageux, Sçavoir faisonsque pour ces Causes, de nostre propre mouvement, pleine Puissance & authorité Royale, Nous avons fondé, érigé & étably, fondons, érigeons & établissons à perpetuité par ces Presentes signées de nostre main, en ladite Maison de Saint Cir, une Communauté qui sera composée de trente six Dames Professes, de deux cens cinquante Demoiselles d’extraction Noble, & de vingt-quatre Sœurs Converses, pour y estre receuës ainsi qu’il sera expliqué cy-aprés, & vivre suivant les regles & constitutions qui leur seront données par nostre xamé & feal Conseiller d’Etat ordinaire, le Sr Evesque de Chartres, dans le Diocese & sous l’autorité duquel, & de ses Successeurs, sera & demeurera ladite Maison, pour tout ce qui dépend de la Visite, Correction & Jurisdiction Episcopale.

I.

Ne pourra ce nombre de trente six Dames estre augmenté pour quelque cause & occasion que ce soit, & vacation avenant de l’une desdites places, par mort ou autrement, Nous voulons qu’elle ne puisse estre remplie que de l’une des deux cens cinquante Demoiselles, qui sera choisie par la Communauté, & par la pluralité des suffrages, âgée au moins de dix-huit ans accomplis, pour estre receuë au Noviciat, & le temps du Noviciat passé, à la Profession ; Et lesdites Dames feront les vœux ordinaires de Pauvreté, Chasteté & Obeïssance, & un vœu particulier de consacrer leur vie à l’Education & Instruction des Demoiselles ; & les vingt-quatre Sœurs Converses seront pareillement receuës au Noviciat & à la Profession, en faisant les vœux de Pauvreté Chasteté & Obeïssance suivant les Constitutions.

II.

Pour regir ladite Maison & Communauté au Spirituel, ledit Sr Evesque commettra pour tout le temps qu’il jugera à propos, un Superieur Ecclesiastique Seculier qui nous soit agreable, & à nos Successeurs.

III.

Nous nous reservons pour nous & nos Successeurs Roys, la nomination & entiere disposition par simple Brevet des deux cens cinquante places des Demoiselles, pour par nous & nos Successeurs en disposer en faveur des Filles Nobles, & principalement de celles qui seront issuës de Gentilshommes qui auront porté les Armes. Voulons qu’aucune Demoiselle ne puisse estre admise pour remplir l’une desdites deux cens cinquante places, qu’elle n’ait fait quelque preuve de Noblesse par titres en bonne forme de quatre degrez du côté paternel, & en cas que par le rapport qui nous sera fait & à nos Successeurs desdites preuves, elles soient jugées de la qualité requise, Nous ordonnerons l’expedition de nostre Brevet en sa faveur, & sera le Procés verbal contenant l’Arbre Genealogique, avec les preuves de Noblesse inscrit dans un Registre qui sera gardé dans les Archives de la Maison.

IV.

Aucune Demoiselle ne pourra estre pourveuë de l’une de ces places, si elle n’est âgée au moins de sept ans accomplis, & celles qui auront plus de douze ans n’y pourront estre admises. Celles qui y auront esté receuës, n’y pourront demeurer que jusqu’à l’âge de vingt ans accomplis, & trois mois avant qu’elles ayent atteint cét âge, les Parens seront avertis par le Superieur de la Maison, de les retirer.

V.

Vaccation arrivant de l’une desdites deux cens cinquante places, soit par mort ou autrement, le Superieur & la Superieure de ladite Maison seront tenus de nous en informer incessamment, pour remplir la place vacante d’une autre Demoiselle de la qualité requise.

VI.

Les deux cens cinquante Demoiselles seront instruites par les Dames en tous les Devoirs de pieté Chrestienne, & autres exercices convenables à leur qualité, suivant les Regles & Constitutions de la Maison.

VII.

Les Peres & Meres des Demoiselles, leurs Tuteurs, ou à leur defaut leurs plus proches parens, pourront les retirer de ladite Maison pour les pourvoir par mariage, ou pour autres bonnes considerations & interests de Familles. Comme aussi lors que la Superieure jugera à propos par l’avis de la Communauté de renvoyer l’une desdites Demoiselles à ses Parens, elle les fera avertir de la retirer, sinon & en cas de refus ou delay, elle pourra sans aucune formalité la leur renvoyer, dont nous serons pareillement informez pour y pourvoir.

VIII.

Les trente-six Dames de S. Cir, les deux cens cinquante Demoiselles à nostre nomination, & les vingt-quatre Converses qui composeront la Maison & Communauté, seront receuës & entretenuës gratuitement dans la Maison, de toutes choses necessaires pour leur subsistance, tant en santé qu’en maladie ; deffendons tant au Superieur qu’à la Superieure & Communauté de souffrir qu’il soit reçeu, pris ny exigé aucunes sommes de deniers, rentes, ou autres choses pour l’entrée dans la Maison, ou pour la Reception au Noviciat & Profession, sous quelque pretexte que ce puisse estre, soit d’augmentation, fondation, concession de qualité, de Bienfaictrice, Pension, Aumônes à la Sacristie, Ornemens, frais de Ceremonie, de Noviciat & de Profession, achat de meubles, ou autres, en quelque cas ou occasion que ce soit, à peine d’estre procedé suivant les Constitutions de la Maison contre la Superieure, où autre de ladite Communauté qui auroit accepté un present tel qu’il pust estre, de confiscation des choses données, & de condamnation du double contre ceux ou celles qui auroient donné ou fait quelque Present, le tout appliquable moitié à l’Hôtel-Dieu, & moitié à l’Hôpital General de nostre bonne Ville de Paris.

IX.

Pour la Dotation, subsistance, & entretenement de la presente fondation, Nous avons de la mesme authorité que dessus, donné, cedé, quitté, transporté & delaissé, Donnons, cedons, quittons, transportons, & delaissons par ces presentes à ladite Maison & Communauté de Saint Cir, dés maintenant à toûjours pour Nous & nos Successeurs Roys ladite Maison de S. Cyr, Bastimens & Meubles que nous y avons fait faire, ensemble la Terre & Seigneurie dudit Saint Cir, & tous les Domaines, droits & revenus mentionnez au Contract d’échange passé par les Commissaires de nostre Conseil ou Deputez, avec nostre cher & bien amé Cousin le Duc de la Feüillade, en consequence de l’Arrest de nostre Conseil, & ce à quelque somme que le tout puisse monter & revenir ; Et en outre Nous donnerons à ladite Communauté la somme de cinquante mille livres de rente, en autre fonds de Terre qui sera declaré quitte envers Nous du droit d’amortissement & de tout droit d’indemnité envers les Seigneurs de Fiefs, ainsi que ladite Maison, Terre & Seigneurie de Saint Cir, & en attendant que nous ayons fait fournir ledit fonds jusqu’à concurrence desdits cinquante mille livres de rente, Nous ferons payer à ladite Maison & Communauté par chacun an la somme de cinquante mille livres à deux termes égaux, de Saint Jean & Noël, & nous la feront employer dans nos Etats des Charges assignées sur nos Domaines de la Generalité de Paris, au Chapitre des Fiefs & Aumônes.

X.

Et d’autant que ce Revenu ne seroit pas suffisant pour satisfaire aux charges d’une Communauté si nombreuse, Nous confirmons pour plus ample dotation & fondation Royale nostre Brevet du deuxiéme May de la presente année 1686. pour l’Union de la Mense Abbatiale de l’Abbaye de S. Denys en France à ladite. Communauté de S. Cir ; Voulons & nous plaist que toutes diligences soient continuées en Cour de Rome, & Lettres necessaires expediées pour la Suppression du Titre Abbatial, & pour l’Union des revenus en dépendans, à ladite Maison & Communauté, sans neanmoins en ce fait prejudicier à la Mense conventuelle des Religieux, & sans que leur nombre & le Service Divin, & les Fondations en puissent estre aucunement diminuées.

XI.

Deffendons expressément à ladite Maison & Communauté de Saint Cir, de recevoir ny accepter à l’avenir aucune augmentation de dotation & fondation de quelque nature de biens que ce puisse estre, si ce n’est de la part des Roys nos Successeurs, ou des Reynes de France, ou de faire aucune acquisition en fonds, ou d’accepter aucuns fonds, legs ny oblations, sous quelque pretexte que ce soit, mesme à titre de Confrairie, & neanmoins mettant en consideration que ladite Communauté a esté formée par les soins & la conduite de Madame de Maintenon, Voulons que ladite Dame puisse faire au profit de ladite Maison de Saint Cir, telles dispositions & dons que bon luy semblera, tant en meubles qu’immeubles, lesquels ladite Communauté sera tenuë d’accepter sans tirer à consequence.

XII.

Au cas que les Charges & les dépences de la Communauté acquitées, & aprés avoir laissé un fonds de cinquante mille livres, en reserve pour les cas impreveus & besoins de ladite Communauté, il se trouve par l’arresté des Comptes du Receveur de la Maison, à la fin de chaque année, des deniers revenans bons, Nous voulons & ordonnons qu’ils soient employez à marier quelques-unes de ces Demoiselles, suivant le choix qui en sera par Nous fait & nos Successeurs Roys, sur la proposition qui en sera faite par la Superieure & la Communauté. Voulons mesme qu’au défaut dudit fonds, il soit pris des deniers dans nostre Trésor, pour contribuer à la dot de celles desdites Demoiselles, qui se seront distinguées dans la Maison par leur pieté & bonne conduite, & qui seroient agreables. Voulons en outre que celles desdites Demoiselles qui seront appellées à la Religion, soient preferées dans la nomination aux places des Religieuses dont la disposition nous appartient és Abbayes Royales, dans lesquelles elles seront receuës gratuitement, suivant qu’il sera estimé à propos par Nous & nos Successeurs Roys.

XIII.

Voulons & nous plaist, qu’en consideration de nostre presente Fondation Royale, ladite Communauté soit tenuë de faire celebrer une Messe haute, & deux Messes basses tous les Dimanches & Festes de l’année, & deux Messes basses les jours ouvrables, à l’intention qu’il plaise à Dieu nous donner & à nos Successeurs les lumieres necessaires pour gouverner nostre Etat selon les Regles de la Justice, & pour augmenter son culte & exalter son Eglise dans nostre Royaume, Terres & Seigneuries de nostre Obeïssance, comme aussi à l’intention de remercier Dieu des graces qu’il répand sur Nous, sur nostre Maison Royale & sur nostre Etat. Nous voulons qu’à la Messe de la Communauté il soit chanté le Pseaume Exaudiat te Dominus, avec le Verset & l’Oraison accoûtumée, & à la fin de Vespres, le Domine salvum fac Regem ; Et comme nous mettons cette Maison sous la protection de la Sainte Vierge & de Saint Loüis, Voulons que l’une desdites deux Messes qui doivent estre dites chaque jour, soit celebrée pour le repos des Ames des Roys nos Predecesseurs, & de la feuë Reyne nostre Epouse, & aprés qu’il aura plû à Dieu de disposer de nous, ladite Messe sera pareillement celebrée à nostre intention, & seront lesdites Dames tenuës de dire à la fin de la Messe de la Communauté & Salut les jours cy-dessus un Deprofundis pour le repos de nostre Ame.

XIV.

Si nous trouvons par la suite des temps qu’il soit necessaire d’expliquer quelques-uns des Articles de nostre Fondation, Nous nous reservons la faculté d’y pourvoir, comme aussi au Reglement particulier de l’administration du revenu temporel de ladite Maison, sans neanmoins qu’il puisse estre rien changé ny derogé par Nous & nos Successeurs aux principaux Articles de la presente Fondation.

Et pour l’execution Canonique des Presentes, Nous voulons qu’elles soient presentées au Sieur Evesque de Chartres, pour estre par luy decretées en la forme prescrite par les Regles de l’Eglise. Si Donnons en Mandement, &c.

Idyle de Madame des Houlieres Sur le retour de la Santé du Roy §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 39-46

 

Les Vers que vous allez lire ne sont pas nouveaux, mais ils le seront pour vous, puis que vous me dites qu’on ne vous les a point encore envoyez. D’ailleurs ils sont de Madame des Houlieres, & tout ce qu’elle fait est si beau, qu’en tout temps on le voit avec plaisir. Ils ont esté faits sur le rétablissement de la Santé du Roy, aprés le mal dont Sa Majesté a esté guerie avant les accés qu’Elle a eus de Fiévrequarte.

IDYLE
DE MADAME
DES HOULIERES
Sur le retour de la Santé
du Roy.

Peuples, qui gemissez au pied de nos Autels,
Qui par des vœux ardens, des soûpirs & des larmes,
Demandez la santé du plus grand des Mortels,
 En plaisirs changez vos alarmes ;
 Couronnez vos testes de fleurs,
LOUIS n’est plus en proye à de vives douleurs,
D’une santé parfaite il goûte tous les charmes.
***
Dés ses plus jeunes ans à vaincre accoûtumé,
Il a dompté les maux qui luy faisoient la guerre,
 Ils n’ont servy qu’à montrer à la Terre
Combien LOUIS est grand, combien il est aimé.
***
Tandis que devorez par des craintes mortelles
Nous cherchions en tremblant d’agreables nouvelles,
Tandis qu’il nous coûtoit tant de pleurs, tant de cris,
Luy, dont rien ne sçauroit ébranler le courage,
Regardoit ses douleurs avec un fier mépris,
Elles ne paroissoient que sur nostre visage.
***
Au milieu des plaisirs qu’enfante un deux repos,
 Eut-il jamais l’esprit plus libre ?
Vous le sçavez, Tamise, Elbe,
  Rhin, Tage, Tibre ;
Vous le sçavez aussi, Mers, dont il joint les flots.
***
 Ces soins qu’on voit toûjours renaistre,
Et dont, hors le Heros que nous avons pour Maistre,
Nul Roy n’a porté seul le penible fardeau,
Les a-t-on veu cesser dans ses douleurs cruelles,
 Quoy qu’en des mains sages, fidelles,
Il eust pû confier le timon du Vaisseau ?
***
Mais pourquoy dans des jours destinez à la joye
 Rappeller des jours douloureux ?
Ioüissons du bonheur que le Ciel nous envoye,
LOUIS ne souffre plus, nous sommes trop heureux.
***
 Que dans nos murs le travail cesse,
 Que le vin coule, qu’on s’empresse
 D’allumer d’innombrables feux ;
Qu’on lance dans les airs de si vives estoiles,
 Que leur éclat fasse pâlir
 Celles de qui pour s’embellir
 La nuit seme ses sombres voiles,
 Et vous, qui par un sage choix
 Preferez vos rustiques toits
A ces lambris dorez, sous qui la temperance,
 La tranquillité, l’innocence,
 Logent rarement avec nous ;
Bergers, pour qui la vie a si peu de dégoûs ;
 Bergers, plus heureux qu’on ne pense ;
 Quittez le soin de vos troupeaux,
 De guirlandes parez vos testes,
Foulez l’herbe naissante au son des chalumeaux ;
Que des jeux innocens, que d’agreables festes
Ramenent les plaisirs que vous aviez bannis,
LOUIS ne souffre plus, nos malheurs sont finis.
***
 Les Bergeres jeunes & belles,
Qui font regner l’amour, & qui regnent par luy,
 Sont seules à plaindre aujourd’huy ;
Je fremis des malheurs que je prévoy pour elles.
 Ils sont plus grands cent & cent fois,
 Que si dans les plus sombres bois,
Sans chiens leurs moutons alloient paistre,
Que sur leurs foibles cœurs elles veillent toûjours,
S’il est vray que la joye est mere des Amours,
La santé de LOUIS en va plus faire naistre
 Que le doux retour des beaux jours.

Madrigal §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 46-47

 

Dans le mesme temps, Mr Doujat, Doyen de l’Academie Françoise, fit ce Madrigal sur le mesme sujet.

MADRIGAL.

 Arrêtons desormais nos larmes,
 Elles ne sont point de saison,
Le Ciel donne à LOUIS l’entiere guerison
 Du mal qui causoit nos alarmes.
Grand Dieu, qui de la France es l’éternel appuy,
Qu’au delà de Nestor nostre Monarque vive ;
C’est l’unique souhait qu’elle forme aujourd’huy.
 Si ce bien par toy nous arrive,
 Le reste nous viendra par luy.

[Prieres & Réjoüissances faites en divers endroits de la Ville de Paris, & en plusieurs Villes du Royaume, le jour de la Feste de S. Loüis, à cause que le Roy porte le nom de ce Saint] §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 48, 54-65

 

 

On cherche en tous lieux à donner des marques du zèle ardent & respectueux qu'on a pour Sa Majesté. Ce qui s'est fait au Ponteaudemer en est une preuve. On y a célébré la Feste de S. Loüis avec une grande pompe, suivant le Concordat que les Echevins de la Ville ont fait du consentement du Magistrat avec les Pères Carmes, pour une Messe qui sera chantée solemnellement tous les ans à pareil jour dans leur Eglise. [...]

 

[...] Le Sermon finy, on chanta l'Exaudiat en Musique, & l'on dit des Prieres ordinaires pour le Roy. Les corps qui s'estoient trouvez à toute la Ceremonie, sortirent dans le mesme ordre avec leurs Chefs, & on alla disner chez Mrs de Tricqueville, qui fit un second Regale aussi magnifique que le premier. Quantité de Dames s'y trouverent, & il envoya de toutes sortes de confitures à celles qui ne pûrent estre de ce grand Repas. Il n'oublia dans cette magnificence ny l'Hospital general, ni les Prisonniers, ausquels il fit faire distribution d'argent & de vin. Il fit placez le Buste du Roy dans une place éminente. Il estoit d'Albastre avec des ornemens d'or.

Mrs de l’Academie de Ville-franche en Beaujolois, ont solemnisé la même Feste avec des circonstances qui meritent d’estre sceuës. Le matin ils se rendirent dans l’Eglise Collegiale, où Mrs du Chapitre chanterent avec beaucoup de solemnité la grand’ Messe, qui fut suivie de Prieres pour le Roy. Mr Libert Prieur d’Alys, y prononça le Panegyrique de S. Loüis, que l’Academie a pris pour Patron. C’est un Predicateur celebre dans ces Provinces, distingué de beaucoup d’autres par de grands talens naturels pour la Chaire, & par une profonde érudition soûtenuë avec éclat d’une éloquence forte & penetrante. Son sujet fut le zele de Saint Loüis pour la Conversion des Infidelles, & vous jugez bien qu’il luy fut aisé de faire entrer naturellement dans son Discours les Eloges de Sa Majesté touchant la Conversion des Heretiques ; mais comme c’estoit la matiere que l’Academie avoit choisie pour les Discours publics de l’apresdinée, il ne fit que l’ébaucher, afin d’en laisser toute la gloire aux excellens Orateurs dont la Compagnie est composée. A trois heures aprés midy, les Academiciens en Corps se rendirent dans la Salle de Mr Bessie du Peloux, Secretaire perpetuel de l’Academie, qui par sa magnificence & par son honnesteté, contribuë beaucoup tous les ans à l’éclat de ces sortes d’actions. La Salle estoit remplie d’un grand nombre de personnes Sçavantes, & de la premiere qualité. Les Dames y vinrent dans une grande parure, & avec une propreté extraordinaire. Les Orateurs choisis pour faire le Panegyrique du Roy sur le Triomphe de l’Heresie, estoient Mr Mercier Docteur en Medecine, & Directeur de l’Academie, & Mr Terrasson de l’Abbaye Royale de Joux Dieu. Ils s’en acquiterent avec l’applaudissement de toute l’Assemblée. Mr Dubost, President en l’Election, avoit fait un Poëme Latin sur le mesme sujet, qui fut leu & écouté avec beaucoup de plaisir. La Compagnie fut invitée à se rendre le lendemain en la mesme Salle. On la trouva parée de deüil pour la Pompe funebre de Mr Bottu de la Barmondiere, Seigneur de S. Fonds, un des plus celebres Academiciens de Ville-franche, fort connu & estimé par plusieurs Ouvrages d’Eloquence & de Poësie qu’il a donnez au Public. Il mourut au mois de May dernier ; cette perte a esté grande pour ce Corps. Elle a donné lieu à une Elegie que leut Mr Mignot de Bussy, Lieutenant General au Bailliage de la Province. Mr de la Roche, Avocat du Roy au mesme Bailliage, fit l’Oraison Funebre avec ce beau feu d’esprit qui brille dans tous les Discours qu’il fait à l’Academie, & dans les fonctions de sa Charge. Ensuite ces Mrs allerent à l’Eglise Collegiale qui estoit tenduë de noir, & éclairée d’un tres-grand nombre de Cierges, & ils assisterent au Service qui se fit pour cét Illustre Academicien.

Le mesme jour, Feste de S. Loüis, il y eut un salut fort solemnel dans l'Eglise des Pères Augustins Déchaussez de Nostre-Dame de Victoire. La Musique estoit de la composition de Mr Laloüete, Elève de Mr de Lully, & satisfit fort tous ceux qui y assistèrent. Ce salut sera chanté tous les ans dans la mesme Eglise. Je ne vous dis point le nom de celuy qui l'a fondé. Il cherche moins à estre connu, qu'à donner occasion de prier Dieu pour le Roy.

Peut-estre n'avez-vous pas sçeu jusqu'à présent que le 5 ce mois, jour de la naissance de Sa Majesté, on disoit tous les ans une Messe basse dans l'Eglise des Clercs Réguliers, dits Théatins, pour rendre grâce à Dieu du présent qu'il luy a plû de faire à la France en la personne de ce grand Monarque. C'est une Fondation de la Reine Mère. Le Père Alexis du Buc, Supérieur, qui n'oublie rien quand il s'agit de marquer son zèle pour LOUIS Le GRAND, a rendu cette année ce Remerciement plus solemnel en faisant chanter la Messe en Musique. Elle estoit de la composition de Mr Lorenzani, Maistre de Musique de la feuë Reyne. Tous ceux qui l'ont entenduë avoüent qu'on ne peut rien faire de plus beau. L'Exaudiat qui suivit la Messe, charma toute l'Assemblée. Elle ne fut pas moins illustre que nombreuse, puis que Mr le Nonce, & plusieurs Evesques s'y trouvèrent.

Le soir Mr le Marquis de la Feüillade, célébra le jour de cette heureuse Naissance, en faisant tirer quantité de Boëtes dans la Place des Victoires. Cette premiere décharge fut suivie d'un nombre infiny de Fusées volantes. Ce n'estoit que feux autour de la Place, & la Figure du Roy estoit environnée de Haut-bois, de Violons, & de Flûtes douces. Tout un grand Peuple joüit de ce divertissement pendant trois heures entières, & ne pouvoit se lasser de louer le zèle de Mr de la Feüillade, qui avoit déjà fait la memes chose le soir du jour de la Feste de S. Loüis. Il y eut distribution de pain & de vin.

[Madrigal à Sapho] §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 66-67

 

Je vous ay mandé que Mademoiselle de Scudery avoit donné au Roy une Agate qui representoit Homere. Sa Majesté luy a fait donner ensuite une grande Medaille d’or où est son Portrait, & luy a marqué par là plus d’estime que s’il luy avoit fait un plus grand Present, quoy que la Médaille soit d’un poids considerable. C’est là dessus qu’on a fait les Vers qui suivent. On y a donné le nom d’Alexandre au Roy.

A SAPHO.

Alexandre, il est vray, merite vostre Homere,
Sapho, de deux costez j’admire vostre choix ;
Mais ce charmant Heros, à qui vous voulez plaire,
Surpasse également d’une commune voix,
Tout ce que nous faisons & tout ce que vous faites ;
Lors que vous luy donnez le plus grand des Poëtes,
 Il vous rend le plus grand des Rois.

[Le nouveau Panthéon] §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 67-69

 

Comme jamais Prince n’a merité tant d’Eloges que le Roy, on a peine à se borner sur une si belle & vaste matiere. Mr de Vertron vient d’en composer un Livre entier, & cependant bien loin qu’il ait épuisé ce grand sujet, on peut tous les jours écrire, & tous les jours dire quelque chose de nouveau sur ce que fait ce Monarque. Le Livre de Mr de Vertron est intitulé, le Nouveau Pantheon, ou le rapport des Divinitez du Paganisme, des Heros de l’Antiquité, & des Princes surnommez GRANDS, aux vertus & aux actions de LOUIS LE GRAND, avec des Inscriptions Latines & Françoises en Vers & en Prose pour l’Histoire du Roy, pour les revers de ses Médailles, pour les Monumens Publics erigez à sa gloire, & pour les principales Statuës du Palais de Versailles. Le titre de cét Ouvrage parle assez, sans qu’il soit besoin de vous en rien dire. Il marque la secondité du genie de son Autheur, & l’attachement qu’il a pour ce qui regarde la gloire du Roy.

Des Choses difficiles à croire. Dialogue neufieme §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 69-162

 

Les Articles importans qui ont remply mes dernieres Lettres, ne m’ont point permis depuis quelques mois de vous envoyer la suite des Dialogues de Mr Bordelon. Celuy que vous allez lire, est fait sur une matiere des plus curieuses, & pourra desabuser beaucoup de personnes de vostre Sexe, qui ont de la foy aux Predictions.

DES CHOSES
DIFFICILES A CROIRE.
DIALOGUE NEVFIEME.
BELOROND, PHILONTE.

Philonte.

 

Je viens de lire une particularité historique que nous pourrions mettre au nombre des choses difficiles à croire, si nous ne devions pas estre convaincus, comme nous l’avons déja dit tant de fois, de la foiblesse de l’esprit humain. C’est chez Herrera que je l’ay leuë lors qu’il dit * que les Insulaires du Ternate aux Moluques pleurent aux Eclipses du Soleil & de la Lune, parce qu’ils croyent qu’elles doivent causer la mort du Roy ou de quelque Grand.

1

Belorond.

 

Bien des Gens plus éclairez que ces Peuples dont parle Herrera, sont tombez dans des erreurs plus grossieres à l’égard des Eclipses. Ils y avoit autrefois des Philosophes qui pretendoient que l’Eclipse de la Lune n’estoit autre chose que la Lune en travail, & ce travail n’étoit que la violence que luy faisoient les Magiciens pour l’attirer en Terre, & s’en servir dans leurs enchantemens. Les Vers Magiques ont la force d’arracher la Lune de son Ciel, dit Virgile. *

2
Carmina vel Cœlo possunt deducere Lunam.

 

Horace parle * d’une fameuse Sorciere d’Ariminum, qui par ses enchantemens, faisoit descendre du Ciel la Lune & les Astres.

3
Quæ sidera excantatâ voce Thessala,
Lunamque Cœlo deripit.

 

Les Sorciers faisoient croire au Peuple, toûjours credule & superstitieux, dit un habile Critique sur ce passage d’Horace, qu’ils avoient le pouvoir d’arracher du Ciel la Lune & tous les Astres par des enchantemens, & de les faire descendre en Terre. Ils prenoient pour cela le temps des Eclipses, & se servoient de certaines pierres transparentes qu’ils avoient accommodées de telle sorte qu’ils y faisoient voir, ou la Lune, ou le Soleil. Plutarque parlant d’une Eclipse de Lune, nous apprend qu’en cette occasion les Romains sonnoient des Instrumens d’Airain, & élevoient au Ciel de grosses Torches allumées, s’imaginant que par ce moyen la Lune estoit beaucoup soulagée. C’est pourquoy Ovide * appelle ces Instrumens les auxiliaires de la Lune.

4
Cum frustra resonant æra auxiliaria Lunæ.

 

 

Et Juvenal parlant dans sa Satire sixiéme d’une Femme qui ne fait que babiller, dit qu’elle est capable de faire assez de bruit pour secourir la Lune dans son travail.

Vna laboranti poterit succurrere Lunæ.

 

La raison de cette Ceremonie selon quelques uns, estoit qu’ils craignoient que le monde ne s’endormist quand ils voyoient qu’un de ses yeux commençoit à se fermer ; c’est pourquoy ils faisoient ces bruits pour l’éveiller, & se servoient de ces flambeaux allumez pour luy donner la lumiere qu’elle commençoit à perdre. Enfin on ne pouvoit se persuader que cét obscurcissement fust une chose naturelle. Les Armées, comme nous l’apprennent Plutarque en la Vie de Nicias, & Quintilien * s’en estonnoient en les voyant, & laissoient passer trois jours, ou tout le reste de la Lune, sans vouloir rien faire. C’estoit un crime de leze Majesté Divine que d’en vouloir donner aucune cause naturelle. Anaxagoras en fut mis en prison. Protagoras en fut banny d’Athenes. Les Mathematiques en furent condamnées, comme dangereuses dans la Religion. Aprés cela la Relation d’Herrera vous doit-elle surprendre, & aurez-vous de la peine à croire ce qu’on dit de Christophe Colomb, qu’ayant predit aux Indiens du nouveau Monde que la Lune indignée contre eux de leur barbarie, s’obscurciroit à l’heure qu’il leur marqua, & qu’il avoit preveuë par le moyen de l’Astronomie, il mit ses affaires en meilleur estat parmy eux ? Cela ne seroit pas sans doute arrivé s’ils avoient eu pour eux un Pericles qui dissipast leurs vaines frayeurs.

5

Philonte.

 

Je sçay bien que Pericles estoit un grand Capitaine ; mais je ne vois pas pourquoy vous le citez icy à propos des Eclipses.

Belorond.

 

Vous le verrez si vous voulez vous ressouvenir que Plutarque dit que Pericles, Capitaine Athenien, estant prest de partir avec une Armée Navale pour aller assieger Epidaure, il se fit une Eclipse de Soleil qui donna de l’effroy à tous ses gens, & particulierement au Pilote de sa Galere, parce qu’ils pensoient que c’estoit un tres-mauvais presage pour leur navigation. Pericles voyant donc ce Pilote si effrayé, étendit son manteau, luy en couvrit les yeux, puis luy demanda si cela luy sembloit de mauvais presage ; le Pilote luy répondit que non. Hé bien, dit Pericles, il n’y a point d’autre difference entre cecy & ce qui vous donne tant de peur, sinon que le corps qui fait ces tenebres, est plus grand que mon manteau qui te bouche les yeux. Tous les jours le Peuple se laisse saisir par la peur, & s’alarme avec aussi peu de raison que ce Pilote, & pour des choses plus legeres, & tous les jours il se trouve des gens fins, rusez & artificieux, qui sçavent se prevaloir de sa foiblesse & de sa facilité. Tous les jours ils se trouve des Astrologues qui veulent faire croire qu’ils arrachent, non pas la Lune & les Astres, mais leurs influences, sur lesquelles ils pretendent fonder la suite des actions de ceux qui sont assez simples pour les croire ; foiblesse pour laquelle on ne peut avoir trop de mépris ; erreur qu’on ne peut trop detester, & sur laquelle je vous prie de vouloir permettre que nous nous entretenions aujourd’huy.

Philonte.

 

C’est avec plaisir que j’écouteray tout ce que vous me direz sur cette matiere, & ce sera en mesme temps avec beaucoup de déference à vos sentimens que je vous temoigneray ce que j’en pense, puisque dans nos derniers entretiens, j’ay connu que vous estiez plus habile que moy en cette matiere. Ne voulez-vous pas bien que je vous dise par exemple que l’Astrologie me paroist avoir ses utilitez & ses certitudes ? En effet, ne predit elle pas souvent certaines choses accidentelles qui dépendent ordinairement de l’Influence des Cieux, comme les maladies generales, les grandes chaleurs, les pluyes excessives, les secheresses extraordinaires ? Ne nous apprend-elle pas par des principes universels, constans & invariables, les choses qui doivent necessairement arriver selon le cours ordinaire que Dieu a estably dans la Nature, comme les Eclipses, les Revolutions des Saisons, le cours des Etoiles & des Planetes, leurs conjonctions, leurs aspects, & leurs oppositions ? Enfin condamnerez-vous plusieurs Predictions qui ne sont fondées que sur des experiences autant Phisiques qu’Astrologiques, comme quand elles conseillent de ne se point exposer au Soleil pendant les mois qui ont des R R.

Mensibus gratis ad Solem ne sedeatis.

 

ou quand elle nous fait remarquer par les differentes couleurs de la Lune les differentes dispositions du temps.

Pallida Luna pluit, rubicunda flat, alba serenat.

Belorond.

 

Ce n’est pas cette sorte d’Astrologie que je crois impertinente & criminelle, puisque Salomon mesme confesse * qu’il tient immediatement du Tout-Puissant la connoissance du cours des années, & de la disposition des Etoiles ; mais c’est celle qui estant fondée sur des Principes inconstans & variables, predit avec asseurance les choses casuelles & non necessaires, & celles qui dépendent de la volonté de Dieu ou de la liberté de l’homme, comme si elles estoient necessairement causées par les Corps Celestes. Enfin c’est celle que nous appellons Astrologie judiciaire, qui pretend par l’inspection des Astres penetrer dans l’avenir, & y découvrir le cours de la vie des hommes avec leurs fortunes, conditions, Etats, & autres choses qui dépendent de leur liberté.

6

Philonte.

 

Cette Astrologie est pourtant fort recherchée en plusieurs Pays, & mesme dans les plus éloignez, comme nous l’apprenons des Relations que nous en ont donné des Personnes dignes de foy. Herrera asseure que toutes les affaires du Royaume de la Chine se resolvoient sur des Observations Astronomiques, le Roy ne faisant rien sans consulter son Thême natal que luy dressent ceux du College Royal, ausquels il est seulement permis d’étudier dans ce Livre du Ciel. Agathias dit * que les Perses se fioient tellement aux Predictions des Mages qui estoient leurs Astronomes, qu’ayant esté assurez par eux que la Veuve d’un de leurs Roys estoit grosse d’un Fils, ils couronnerent le ventre de cette Reyne, & proclamerent Roy son Enbrion. Mr Bernier nous apprend dans sa Relation du Mogol, que la Charge d’Astrologue y est erigée en titre d’Office, & qu’on n’y ose planter un arbre ou prendre un habit neuf sans l’approbation de cét Astrologue. Mr Tavernier dans sa Relation de Perse, & les Ambassadeurs de la Compagnie Hollandoise dans celle de la Chine, confirment la mesme chose de ces Pays. Delrio dit aussi, ** que cette Science avoit tant de credit en France du temps de la Reyne Catherine de Medicis, que les Dames de la Cour n’osoient entreprendre aucune chose sans avoir auparavant consulté les Astrologues, qu’elles appelloient leurs Barons.

7 8

Belorond.

 

Je suis persuadé que cette vaine science a eu credit dans presque tous les Païs qui ont en quelque connoissance du cours des Astres, & de leurs révolutions. Je sçay mesme que plusieurs grands Hommes ont donné dans cette Erreur, qu’ils ont regardé les Cieux comme un Livre, où Dieu a écrit l’Histoire du Monde par le moyen des Estoiles ; que Plotin & Origene l’ont crû, au rapport d’Eusebe, * jusque-là qu’Origene voulant confirmer son sentiment par quelque chose de bien fort, apporte l’autorité d’un Livre apocriphe attribué au Patriarche Joseph, où l’on fait dire par le Patriarche Jacob à ses Enfans, qu’il a lû dans le Livre des Cieux tout ce qui leur doit arriver, & à leurs Enfans. Legi in tabulis cæli quæcumque contingent vobis & filiis vestris. Je sçay enfin que bien des Rois & des Princes ont donné cours par leurs exemples à cette Science, & qu’ils n’ont souvent banny les Astrologues, qu’afin de les posseder tous seuls, & qu’ils n’ont condamné la Judiciaire, que pour se reserver une connoissance qu’ils envioient au reste des hommes, comme fit Vespasien, si nous en croyons Dion ; mais tout cela ne veut dire autre chose, que de mesme que tout homme est menteur, aussi tout homme est capable d’ajoûter foy aux mensonges des autres, & qu’ainsi quoy qu’une Erreur soit receuë de plusieurs personnes, & en plusieurs lieux, elle ne laisse pas d’estre erreur. Que l’Astrologie Judiciaire soit une erreur, c’est ce qu’il me sera facile de prouver, aprés que j’auray répondu à tout ce que vous pourrez dire en sa faveur.

9

Philonte.

 

Vous sçavez le credit d’Aristote dans les Ecoles, & que ses sentimens, s’ils ne sont pas receus, meritent du moins qu’on prenne la peine de donner de bonnes raisons du refus qu’on fait de les recevoir ; ainsi vous voulez bien que je vous dise qu’il me semble que les principes de ce Philosophe paroissent estre fort favorables à l’Astrologie Judiciaire. En effet, il tient pour constant que rien n’arrive jusqu’à l’entendement qui n’ait passé par les sens, Nihil est in intellectu, quod non fuerit in sensu. Or selon la commune opinion, les sens, comme materiels, dépendent beaucoup des Corps superieurs, qui operent incessamment sur tout ce qui est sublunaire. L’entendement dépend donc en quelque façon des Cieux, & par consequent aussi la volonté, puis qu’elle ne fait rien que par la direction de l’entendement. S. Thomas mesme en est tombé d’accord, * disant que les causes celestes ne causent pas les actions humaines directement, mais seulement indirectement lors qu’elles agissent sur la matiere qui compose l’organe des sens.

10

Belorond.

 

Avant que de répondre à ce que vous venez d’avancer, je veux bien vous dire que je me persuade que si Aristote avoit eu bonne opinion de l’Astrologie Judiciaire, & qu’il eust ajoûté foy à ses promesses, il en auroit témoigné quelque chose dans ses Problêmes, où il y a tant de Questions Mathematiques, ou dans sa Morale, où il discourt des prosperitez & des adversitez qui dépendent de la Fortune, ou dans ses Livres du Ciel & des Méteores. Cependant, quoy qu’il ait eu tant d’occasions de parler en faveur de cette Science, il n’en dit pas un mot, autant que j’en puis juger par la lecture que j’ay faite de ces Ouvrages. Pour ce qui est de l’objection que vous me faites, fondée sur un de ses principes que je ne me crois pas obligé de recevoir, elle se détruit (entre plusieurs réponses qui se tireront de ce que j’espere vous dire dans la suite) par la consideration des agens libres, tels que nous sommes qui cesserions de l’estre, si nous pouvions estre forcez dans le libre arbitre que Dieu nous a donné. Le Ciel peut bien donner, si vous voulez, de certaines dispositions à la matiere, qui nous donneront quelque espece d’inclination au bien & au mal, selon la doctrine de S. Thomas ; mais toutes ces influences, outre que leurs proprietez sont inconnuës, ne nous sçauroient forcer à faire, à dire, ou à penser quoy que ce soit, n’ayant aucun pouvoir sur nous que de nous émouvoir simplement, comme le dit le mesme S. Thomas. * C’est tout au plus ce qu’on peut recueillir de plus fort en faveur de cette Science des Ouvrages de ce saint Docteur, & encore connoistrez-vous dans la suite de nos raisonnemens, que cette émotion est si simple & si legere, qu’à peine merite-t-elle d’en porter le nom.

11

Philonte.

 

Mais vous ne pouvez nier que les choses d’en haut sont encore, selon la doctrine de S. Thomas, * les causes de ce qui se fait icy-bas. Ainsi la connoissance des causes donne tellement celle des effets, qu’en bonne Philosophie on ne sçait rien de bien que ce que l’on connoist par sa cause, & par consequent celuy qui possedera la Science du Ciel, comme fait l’Astrologue, connoistra les effets de ce qui se passe en terre dans leur cause, & les pourra prédire avec certitude.

12

Belorond.

 

Pour répondre à cela, il ne faut que considerer la nature & les genres differens des causes, dont les unes sont generales, les autres particulieres, les unes éloignées & les autres prochaines ; les unes necessaires & les autres accidentelles. Or puis que le Ciel ne peut estre pris que pour une cause universelle & éloignée, on ne peut pas dire qu’il pourra faire prévoir avec asseurance des effets singuliers qui dépendent d’autres causes plus prochaines, & souvent fortuites, parce que, selon la doctrine de l’Ecole & de la raison, on ne doit jamais attribuer précisément un effet particulier qu’à sa cause particuliere, ny un effet universel qu’à une cause universelle ; ce qui fait voir que tout ce qu’on peut obtenir de ce raisonnement, c’est que si on connoissoit bien cette cause universelle du Ciel, on pourroit prédire par son moyen les effets universels, comme sont les differentes saisons de l’année, les Eclipses, &c. Mais à l’égard des choses singulieres qui sont infinies, & qui dépendent de plusieurs causes qui concourent en leur production, c’est s’abuser, que de prétendre en pouvoir lire l’évenement dans les Cieux. Vous me direz peut-estre, que le Soleil est cause de la lumiere & de la chaleur, & qu’en s’approchant ou en s’éloignant il cause la suite & la vicissitude des saisons, qu’il fait naistre les plantes & les animaux, qu’il engendre même l’homme avec l’homme ; que la Lune remplit ou vuide les coquillages & les os des animaux, à mesure qu’elle croist ou décroist ; qu’elle a un pouvoir singulier sur les choses humides, particulierement sur la Mer dont elle cause le flux & reflux, & que par consequent tous ces grands Corps Celestes peuvent produire les effets que leur attribuënt les Astrologues que je condamne. Pour réponse, j’avouë que le Soleil fait la diversité des Saisons, & que peut-estre la Lune remplit & vuide les os & les coquillages, & est la cause du flux & du reflux de la Mer. Cela suffit-il pour nous convaincre que les Astrologues puissent prouver quelque chose de semblable des signes du Zodiaque & de leurs degrez, de Saturne, de Mercure, & des autres Planetes, ou que par aucune observation ils puissent jamais montrer le moindre effet qui se doive plûtost rapporter à un Astre qu’à un autre ? En effet, les Astres n’estant que des causes generales à l’égard des choses d’icy-bas, nous ne devons pas leur rapporter la détermination de chaque effet singulier, mais plûtost à une cause singuliere & determinatrice qui soit icy-bas. De mesme qu’ayant à expliquer pourquoy une telle Plante naist & croist en cét endroit là, & non pas dans celuy-cy, & une autre au contraire dans celuy-cy, & non pas dans celuy là. Nous attribuons cela aux semences, dont l’une aura esté jettée dans cét endroit & l’autre dans cet autre, & non pas à l’eau dont elles sont toutes arrosées, parce que cette eau est seulement une cause generale & indifferente pour toutes les Plantes. Enfin comme ces Astres ne concourent pas seuls aux actions des hommes, c’est une erreur de vouloir leur en attribuer le succez, & puisque nous ne connoissons pas mesme ces autres causes qui nous sont plus prochaines que les Astres, n’est-ce pas une temerité de pretendre plûtost connoistre la proprieté de ceux-cy que de celles là ? Nous ignorons la vertu des moindres herbes que nous foulons aux pieds, & nous voulons connoistre la vertu des Astres dont mesme nous ne connoissons pas la nature. De plus, quelle apparence y a-t-il d’attribuer au Ciel seulement tous les évenemens de la vie des hommes, s’il n’est pas seul la cause de leur estre ? Le Soleil & l’Homme produisent un autre Homme, dit Aristote, & il pouvoit ajoûter encore plusieurs autres causes subalternes outre la premiere qui est Dieu. Pourquoy donc n’y aura-t-il que le Ciel qui soit cause de tout ce qui arrive aux Hommes, & s’il y a plusieurs autres causes qui cooperent avec luy en ce qui est de nostre bonne ou mauvaise fortune, comment se pourroit-il faire que la seule connoissance des Astres nous donnast celle que disent les Judiciaires ? Les influences des Cieux ne peuvent bien souvent pas tant sur nous que les Loix & les exemples. Mais pour vous faire voir la vanité de cette Science plus au long, voicy en quoy elle consiste particulierement. Les Astrologues Judiciaires veulent par exemple que tout ce qui doit arriver à un homme pendant le cours de sa vie, dépende du moment précis auquel il vient au monde, & qu’en quelque endroit que soient alors les Astres, & principalement les sept Planetes, ils agissent d’une telle maniere sur cét Enfant par les rayons qu’ils rassemblent & dirigent conjointement sur luy, qu’ils luy impriment une espece de necessité de vivre un certain espace de temps determiné, de mourir d’un certain genre de mort, de se marier dans un certain temps, de faire naufrage dans un autre, un jour de perdre un Procés, un autre de tomber malade, & ainsi de tous les autres accidens differens & presque innombrables de la vie ; & tout cela avec autant d’assurance que si les Astres n’étoient occupez qu’à former la seule destinée d’un Enfant, & cependant en ce mesme moment il en naist une infinité d’autres par toute la terre, dont les suites de la vie seront d’une inconcevable diversité. Ils n’appuyent toutes leurs conjectures que sur un moment dont ils pretendent avoir une connoissance parfaite ; mais comment avoir cette connoissance, puisque l’enfantement se fait successivement ; qu’il est tres-rare que des Astrologues soient à presens à la naissance de cét Enfant avec l’Astrolabe à la main (c’est à dire un Instrument qui ne peut avoir toute l’exactitude qu’on demande) pour prendre ce moment, & que la rapidité des mouvemens Celestes surpasse presque l’imagination ? Ils doivent sçavoir le veritable lieu du Soleil & des Etoiles, ce qu’on ne connoist pas encore assez. Ils doivent connoistre exactement la hauteur du Pole, ce qui a esté observé en peu de lieux, & ce qu’on peut dire n’estre connu entierement en aucun. Ces connoissances sont fondées sur les experiences, disent quelques-uns ; mais comment pouvoir prouver ces experiences, puisque les Etoiles & les Planetes n’ont jamais eu deux fois une mesme disposition entre elles, parce que la grande revolution celeste ne s’achevera qu’en trente-six ou quarante neuf mille ans ? Ajoûtez pour confirmer tout ce que je viens de dire contre la vanité de cette sçience, qu’en matiere de sçiences réelles & veritables, la contrarieté détruit la discipline, comme dit fort-bien un Sçavant de ce siecle, d’une tres-grande érudition. Or est-il qu’on ne voit rien de si different que les principes que se sont donnez les Astrologues chacun à sa fantaisie, ny de si contraire que leurs Axiomes. Ils n’ont pû convenir du calcul qu’il falloit suivre, ny de quelles tables on devoit se servir. Les uns approuvent les Prutheniques, les autres celles d’Alphonse, quelques-uns celles de Blanchin, d’autres celles de Royaumont, & neantmoins la suputation des unes est fort differente de celle des autres, comme ceux de l’Art sont obligez de l’avoüer. Les Caldéens n’avoient qu’onze signes dans le Zodiaque. Les Chinois, selon le Pere Trigault, ont cinq cens constellations plus que nous. Ils ne s’accordent point sur le sexe des Astres. Alcabice par exemple & Albumasar font Mercure Masle. Il est souvent Femelle chez Ptolomée, il le considere comme un Androgine au sixiéme Livre de son Quadripartit, & depuis que Tiresias eut mis cette difference de sexe entre les Planetes (d’où les Poëtes ont pris sujet de dire qu’il avoit l’une & l’autre nature) on n’a pû mettre d’accord les Astrologues sur ce sujet ; mais voicy bien d’autres contrarietez….

Philonte.

 

J’avoüeray, si vous voulez, qu’il y a beaucoup de contrarietez dans les principes de l’Astrologie Judiciaire ; mais enfin que pourriez-vous répondre à plusieurs exemples de prédictions que ses Sectateurs ont faites, qui sont arrivées avec succés ? On en trouve un grand nombre dans les Histoires anciennes & modernes, qui semblent justifier cette Science dans tout ce qu’elle promet. Entre plusieurs que je pourrois vous rapporter icy, en voicy quelques uns que je vay vous dire, qui meritent bien qu’on les écoute, quelque préoccupé qu’on puisse estre contre la science qui les a produis. Spirink, Astrologue fameux, dit au dernier Duc de Bourgogne, que s’il alloit contre les Suisses comme il s’y préparoit, il y periroit ; ce qui arriva, quoy que ce Duc eust répondu en se moquant de la prédiction, que la fureur de son épée vaincroit facilement le cours des Cieux & de toutes leurs Planetes. Spartian écrit qu’Adrian estoit si bon Mathematicien, qu’il avoit accoûtumé de marquer de sa main le premier jour de Janvier ce qui luy devoit arriver le reste de l’année, mais qu’en celle où il mourut, on trouva que ses prédictions n’alloient que jusqu’à l’heure de son trépas. Porphire asseure que lors qu’il estoit dans la résolution de se tuer, Plotin leut son intention dans les Astres, & l’en détourna. Richard Cervin reconnut, au rapport de Thuan, * dans l’Horoscope de son fils Marcel, qu’il devoit arriver aux plus hautes Dignitez de l’Eglise, ce que Luc Goric mit dans son Livre des Genitures, imprimé à Venise trois ans avant que Marcel fust Pape. Un Landgrave de Hesse, tres-habile en l’Astrologie Judiciaire, donna charge, encore au rapport de Thuan, à Baradat de dire au Roy Henry III. qu’il se gardast d’une teste rasée, & vous sçavez qu’il fut tué par un Moine. Enfin l’Histoire de Tibere & de Trasule est une des plus fameuses qu’on puisse rapporter sur ce sujet. La voicy tirée de Tacite. Tibere estant de loisir dans Rhodes, voulut satisfaire sa curiosité touchant l’Astrologie Judiciaire. Pour cet effet desirant éprouver la suffisance de ceux qui en faisoient profession, il se servit d’un lieu de sa Maison fort haut, élevé sur des rochers qui se perdoient dans la Mer, & où on ne pouvoit monter que par des précipices qui remplissoient l’esprit de crainte & d’horreur. C’est en cet endroit qu’il faisoit venir ceux qui se mêloient de prédire l’avenir, les y faisant conduire par un de ses Libertins en qui il se fioit, homme aussi puissant de corps qu’ignorant d’esprit. Au retour cet homme ne manquoit pas à un signal de précipiter dans la Mer ceux que Tibere avoit trouvez trompeurs, comme le sont la pluspart de ces sortes de gens. Trasule fort sçavant en cet Art, ayant esté mené en ce lieu comme les autres, asseura Tibere qu’il seroit Empereur, & luy revela plusieurs autres choses qui regardoient l’avenir. Tibere luy ayant demandé s’il sçavoit bien sa destinée, celuy-cy dresse son Theme sur l’heure, ensuite pâlit, tremble, & s’écrie enfin qu’il est menacé par les Astres du dernier moment de sa vie. Tibere l’admire, l’embrasse, & le tint ensuite pour un Oracle, le mettant au rang de ses plus intimes Amis. Je vous pourrois icy rapporter plusieurs autres exemples aussi convainquans que ceux-cy, si je ne craignois d’abuser de vostre patience ; mais vous repartirez peut-estre qu’il y a beaucoup d’exemples de Prédictions qui se sont trouvées fausses ; on répond que c’est une chose tres-évidente qu’il se commet beaucoup d’erreurs dans toutes sortes de Professions, qu’on n’impute qu’à ceux qui les ont mal exercées. La Medecine, la Jurisprudence, & mesme la Theologie ne laissent pas d’estre estimées, quoy qu’il y ait des Charlatans, des Chicaneurs, & des Heretiques, qui semblent devoir les diffamer, & s’il falloit condamner les choses à cause des abus qui s’y commettent, les meilleures se devroient rejetter. Les Yvrognes seroient cause qu’on arracheroit la vigne, & les Diables nous mettroient en défiance des Anges de lumiere.

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Belorond.

 

Avant que je réponde en particulier à toutes vos Histoires, & sans vous rapporter icy plusieurs Prédictions, qui se sont trouvées fausses, & qui pourroient détruire celles que vous venez de m’apprendre, je veux vous donner cinq réponses generales. La premiere, c’est que les Astrologues dont il s’agit font tant de prédictions differentes, qu’il est presque impossible que le hazard n’en fasse pas trouver quelques-unes de veritables, & ce sont seulement celles-cy que l’on remarque dans les Histoires. Il ne se passoit point d’année ny de mois où les Astrologues n’annonçassent selon les conjonctures tirées des affaires d’alors, plûtost que par l’inspection des Astres, à Henry le Grand la terrible menace de sa mort. Ils diront vray enfin, dit un jour ce Prince, & le public se souviendra mieux de la seule fois où leur prédiction aura esté vraye, que de tant d’autres où ils ont prédit à faux. Il est vray qu’un certain Oberius, Beneficier de Barcelone, prédit à peu prés le temps de la mort de ce grand Prince ; mais il ne falloit pas qu’il fust Astrologue pour cela ; car il pouvoit avoir sceu quelque chose de cet execrable dessein, dont quelques Grands d’Espagne n’avoient pû se taire, & dont le bruit estoit tellement répandu par tout, que nos Ambassadeurs, & particulierement Mr Bochart de Champigny, qui estoit à Venise, en avoient écrit au Roy ; & qu’il ne venoit pas un de nos Vaisseaux du costé d’Espagne, qui ne demandast d’abord si le Roy estoit mort, parce que le bruit couroit par toute l’Espagne qu’il avoit esté, ou devoit bientost estre tué. La seconde Réponse generale, c’est que l’ambiguité avec laquelle ces Charlatans celestes parlent ordinairement, & les differentes conditions qu’ils ajoûtent pour ce qu’ils prédisent, les mettent à couvert de bien des reproches qu’on leur pourroit faire sur leur ignorance, ou plûtost de leur mauvaise foy. Ils parlent ordinairement avec ambiguité, comme autrefois les Oracles parloient, afin que quelque chose qui arrive, on interprete qu’ils l’ont prédite, ou s’ils semblent quelquefois dire la chose clairement, ils y ajoûtent une condition, afin que si par hazard elle n’arrive pas, ils puissent en rejetter la faute sur cette condition, & que si elle arrive ils puissent alors sans avoir aucun égard à la condition, se vanter de l’avoir prophetisée. La troisiéme, l’ignorance & la simplicité de ceux qui les interrogent, leur aident souvent à trouver la verité, comme vous me l’avez fait voir dans vostre Histoire de ce Devin, qui pour réüssir à Bourges dans son Art, faisoit acroire qu’il ne sçavoit pas parler François. La quatriéme, la malice industrieuse de ces Faiseurs d’Horoscopes verifie souvent leurs prédictions ; en voicy deux exemples. Cardan ayant prédit le jour auquel il devoit finir sa vie, & y estant arrivé, il se laissa mourir de faim, selon l’opinion commune de ce temps-là, rapportée par Scaliger & Mr de Thou, pour conserver sa réputation. Aubigny dit* que le fils du Duc de Monpensier ayant pris le Poussin, Place entre Lion & Marseille, comme on pilloit la Ville, le jeune Nostradamus, fils de Michel, qui avoit asseuré Mr de S. Luc qu’elle periroit par les flâmes, fut trouvé qui mettoit le feu par tout, afin de verifier sa prédiction ; mais le lendemain Mr de S. Luc, pour châtier sa malice, & en mesme temps se moquer de sa prédiction, luy demanda quel accident notable luy devoit arriver ce jour-là. Je n’en prévoy point, répondit-il. Aussi tost Mr de S. Luc le toucha, comme en se joüant, du bout d’une baguette qu’il tenoit en sa main ; en mesme temps le cheval sur lequel il estoit monté, fait à cela, luy porta un si grand coup de pied dans le ventre, qu’il le creva sur la place. Enfin la cinquiéme Réponse generale, c’est qu’il ne faut pas croire toutes les Histoires. Les bœufs & les arbres ont parlé chez Tite-Live, dont les œuvres ont esté condamnées au feu par S. Gregoire. L’eau des Rivieres s’y voit convertie en sang, l’air & le Ciel y paroissent pleins de Spectres, & plusieurs animaux, outre les hommes, y changent d’espece. Ce n’est pas pourtant à dire que luy & la pluspart des autres Historiens qui rapportent des Histoires fausses, ayent eu intention de faire croire ce dont ils n’estoient pas eux-mesmes persuadez. Au contraire, ils debitent tous ces prodiges de telle sorte, qu’on voit bien qu’ils n’ont eu d’autre but que de faire comprendre de quelles erreurs le peuple estoit alors abusé, les loix de l’Histoire les obligeant à cela.

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Ces réponses generales me paroissent suffisantes pour détruire les consequences que l’on pourroit pretendre tirer de nos Histoires, en faveur de l’Astrologie Judiciaire Je n’en veux pourtant pas demeurer là, parce que je pretens répondre en peu de mots à chacune en particulier. Voicy donc mes réponses. Les Amis de ce Duc de Bourgogne, surnommé le Temeraire, jugeant son entreprise contre les Suisses temeraire & de peu d’utilité, puisque ce n’estoit que pour vanger un autre d’une charette de peaux de Mouton enlevée, exciterent apparemment Spirink à luy predire sa perte s’il l’executoit, afin de l’en détourner, s’il est vray qu’il la luy ait predite aussi formellement qu’on le rapporte. Il fut facile à Adrien de predire sa mort si vostre Histoire est veritable, puis qu’aprés l’avoir cherchée par plusieurs moyens, il se la causa luy-mesme en se laissant mourir par desespoir, aprés avoir méprisé tous les conseils de ses Medecins. Porphire est un menteur en cette occasion aussi-bien qu’en plusieurs autres. Je sçay bien que les Rabins se sont imaginé que le Ciel estoit plein de Caracteres, qui nous pouvoient apprendre bien des choses cachées, & que Postel s’est vanté hardiment d’y avoir lû confusément tout ce que contient la Nature ; mais ce sont des visions indignes de repartie. Je voudrois bien demander à ceux qui pretendent faire valoir ce Rabinage pour qui est fait ce bel A B C des Cieux, puis qu’il n’appartient pas à l’homme de connoistre les momens de l’avenir, dont Dieu selon l’Evangile, s’est reservé à luy seul la connoissance ? Pour ce qui regarde le Pape Marcel, il n’y a rien dans cette historiette qui me surprenne, quand je fais réflexion qu’il n’y a guere de Cardinaux dans Rome, à qui quelque Astrologue n’ait promis la Chaire de Saint Pierre s’ils en ont voulu écouter. La mort d’Henry III. n’estoit pas extremement difficile à deviner à ceux qui estoient instruits dans la Politique, & dans les affaires du temps de ce Roy. La grande prudence du Landgrave qui jugeoit naturellement tres-bien des affaires du monde, luy put faire donner cét avis. L’Histoire de Trasule me paroist un vray conte ; car comment tant d’hommes eussent-ils esté jettez dans la Mer sans que la Justice, ou du moins Trasule en eussent esté avertis ? Mais quand mesme le fait seroit veritable, Trasule ayant consideré l’assiete du lieu, l’air du visage de Tibere, ou plusieurs autres marques qui paroissoient le menacer, put facilement connoistre le danger où il estoit, & par consequent le deviner ; mais pourtant en faisant croire qu’il le voyoit dans les Astres pour se tirer d’affaires. Mais afin de confirmer ce que je viens de vous répondre, pour prouver que nous ne devons ajoûter aucune foy à ce que nous promet cette sçience, je veux encore vous faire voir ses ridiculitez, son impieté, ses dangereuses maximes, & son inutilité, quand mesme elle seroit veritable dans ses Predictions.

Entre un nombre presque infiny d’impertinences & de ridiculitez je choisis celles-cy. Les Astrologues judiciaires font des signes feconds comme les Poissons, des steriles comme la Vierge, des spirituels comme les Jumeaux, des stupides comme le Taureau, des beaux & des laids, des gras & des maigres, de ruminans & de non ruminans, de coleriques, de patiens, &c. Ils soûmettent les Regions, les Provinces & les Villes à ces signes, par exemple la France au Belier, l’Italie au Lion la Norvegue au Scorpion-Marseille au Belier, Paris à la Vierge, Avignon au sagitaire. Il n’y a pas jusques aux parties du Corps qu’ils ne fassent sujettes à de certains signes, comme la teste au Belier, le col au Taureau, &c. Saturne & Mars selon ces ridicules Superstitieux promettent une courte vie ; Jupiter & Venus une longue ; le Soleil, des Charges & des Commandemens ; Mercure, des Sçiences ; la Lune, des Voyages ; Saturne & Mars dans une certaine Maison, des miseres & de la pauvreté ; Jupiter & Venus, de l’abondance ; le Soleil de la beauté ; Mercure de la faveur. Saturne à les entendre dire preside à l’Agriculture, Jupiter au Gouvernement, Mars à la Guerre, le Soleil aux honneurs, Venus aux Amans, Mercure à la Marchandise, &c. & tout cela sans aucune autre raison que celle de l’imagination & du caprice qu’ils prennent pour regle des évenemens des choses les plus serieuses & les plus considerables de la vie. Mais l’Astrologie judiciaire n’est pas seulement ridicule, elle est encore impie dans plusieurs de ses Aphorismes, soûmettant la Religion & les choses les plus saintes à ses extravagances. En voicy des exemples. Celuy qui naistra, dit Maternus, ayant Saturne dans la Maison du Lion, son ame ira droit en Paradis quand il mourra. Quiconque priera Dieu, dit Aponensis, lors que la Lune est conjointe à Jupiter dans le Lion, quelque chose qu’il demande, il est assuré de l’obtenir. Il suffit, selon Albumasar, d’avoir en sa naissance la Lune conjointe à Jupiter dans la teste du Dragon, pour estre asseuré que Dieu ne nous peut rien refuser. Nous devrions aux Elections des Papes invoquer Mercure, selon Borat en sa Preface sur la Theorie des Planetes. Voicy encore d’autres Impietez semblables tirées de la Somme Anglicane d’Omer, d’Haly, d’Alcabice, de Ville-neuve & de Schoner, dans lesquels on en trouvera plusieurs autres. Si les Jumeaux ascendans avec Mercure & Saturne dans le Signe du Verseau, remplissent la neuviéme Maison, il est impossible qu’il n’en naisse un Prophete. Mars bien placé dans la neuviéme Maison du Ciel, donne le pouvoir de chasser les Demons des Possedez. Tiberius Russilianus & un autre que je ne veux pas nommer pour cause, ont osé faire l’Horoscope de Nostre-Seigneur au rapport de Petrus de Aliaco aprés Albert le Grand. Hierosme Colombe trouve que toutes les Vertus de ce Dieu Incarné sont visibles dans cét Horoscope, & Cardan qui aime à dire des choses extraordinaires, & qui sont pour moy tres-difficiles à croire, pretend que son genre de mort y est tout marqué dans une mauvaise position de Mars. Il y en a qui font Saturne autheur de la Religion Judaïque, d’où vient le jour du Sabath des Juifs au Samedy ; Venus du Mahometisme, c’est pourquoy le Vendredy y est respecté, & la Luxure cruë une grande felicité. Ils croyent le Soleil autheur de la Chrétienté, & que par cette raison nous avons mis nostre Dimanche au jour soûmis à cette Planete Je ne veux point répondre à toutes ces extravagantes Impietez. Bardesanos Syrien, le plus sage des Caldéens, leur va répondre mieux que moy dans Eusebe. * Vous divisez, dit-il, le monde en sept Climats, dominez par chaque Planete ; mais sous chaque Climat, combien de Nations ? Sous chaque Nation combien de Provinces ? Sous chaque Province combien de Villes differentes en Loix, en Dieux & en Religions ! Aux Indes sous un mesme Climat, les uns mangent les hommes, les autres s’abstienne de toute chair ; les uns adorent les Idoles, les autres n’en reconnoissent aucune. Les Magiciens qui sortent de Perse en quelque lieu qu’on les transporte, sont incestueux selon leur coûtume, & les Juifs épandus par tout le monde, sous quelque Climat qu’on les loge, ne changent ny de Religion ny de façon de vivre. Enfin un Peuple part d’un Climat & va donner de nouveaux Dieux & de nouvelles Loix à l’autre, sans que le Climat où il va luy apporte aucun empeschement. Les Forests, les Montagnes & les Rivieres rendent plûtost les Loix differentes que les Climats & les Signes. Les Coûtumes & les Victoires reduisent les Loix en une, en dépit des Climats de Saturne, de Jupiter & des autres Planetes. En effet, d’où vient qu’aux Provinces où autrefois Venus & Mercure estoient adorez, ces Signes estant au mesme lieu, cependant les Dieux en sont abolis & Chassez ; & comment la Loy Judaïque dure-t-elle encore sous tous les Climats, quoy qu’elle soit bannie du sien propre ? Comment la Religion Mahometane subsiste-t-elle où fut autrefois le Christianisme, & la Chrestienne où estoient autrefois les sanglans Autels de Saturne & de Mars ? Est ce que les Signes qui présidoient dans le lieu où regnoit, par exemple, la Loy Judaïque, ont changé de place dans les Cieux pour la suivre en quelque lieu qu’elle ait esté portée ? Il faut que ces Astrologues soient réduis à faire cette impertinente réponse, ou à avoüer que leurs raisonnemens ne sont fondez que sur l’erreur & le mensonge. Il est maintenant facile de faire voir, aprés ce que je viens de dire, les dangereuses consequences de cette Science, puis que toute sorte d’Impieté ne peut sortir que d’un sujet suspect & dangereux. Je veux pourtant ajoûter icy quelques pensées qui ne sont pas de moy, pour confirmer le danger qu’il y a de s’appliquer à l’étude de toutes ces folies & extravagances. Origene rapporté par Eusebe, ** dit nettement que si les Astres ont quelque pouvoir sur nostre volonté, il s’ensuit premierement que nous ne sommes pas libres, & par consequent que ne pouvant meriter ny démeriter, nos actions ne sont dignes ny de loüange, ny de blâme. Secondement, que nostre Foy, la venuë du Sauveur du monde, & toutes les Prédications des Apostres sont inutiles. Troisiémement, qu’on ne peut avec justice nous imputer les plus grands crimes, puis que nous y tombons par la dure necessité que Dieu nous impose par les influences des Astres. Quatriémement, qu’il est inutile de prier, de faire des vœux, & de demander à Dieu le secours de ses graces, Hé bien, en faut-il davantage pour convaincre ceux qui ont un peu de Religion, de l’horreur que l’on doit avoir d’une Science, dont les consequences sont si pernicieuses. S. Basile ajoûte cette reflexion : Si le bien & le mal que nous faisons, ne sont pas en nostre liberté, & qu’ils dépendent de la necessité fatale que nous imposent les influences des Planetes dans nostre naissance, en vain les Legislateurs ont prescrit ce qu’il faut faire & ce qu’il faut fuir. En vain les Juges honorent la vertu, & punissent le crime. Enfin si nostre naissance nous impose une necessité d’agir, nous ne pouvons ny loüer les Gens de bien, ny blâmer les Impies, dit *** Saint Ambroise. Il est vray que les Astrologues Judiciaires disent que les Cieux ne font qu’incliner sans forcer personne, que le Sage donne la loy aux Astres, Sapiens dominabitur Astris, & qu’on doit prendre leurs regles comme tenant le milieu entre le possible & le necessaire ; mais toutes ces protestations ne sont faites que pour oster le scrupule à ceux qui feroient sans cela conscience de les écouter : car quand il s’agit de pratiquer leur Art, ils prononcent aussi décisivement, que si au lieu d’animaux libres & raisonnables, nous n’estions que de vrayes Marionnettes attachées aux Astres par des influences, comme par des cordes, de qui nous receussions tous nos mouvemens, sans en avoir aucun de propre. Enfin quand mesme l’Astrologie Judiciaire ne seroit ny ridicule, ny impie, ny dangereuse, elle seroit encore à mépriser à cause de son inutilité, parce que le bien qu’elle promet, nous desespere s’il ne vient pas, & s’il vient, l’attente en est ennuyeuse, & l’esperance en diminuë ce qu’il y a de plus sensible ; & si elle nous menace de mal, l’imagination nous le fait sentir avant qu’il arrive ; & s’il n’arrive pas, la crainte n’a pas laissé de nous faire souffrir quelque peine.

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Philonte.

 

En voilà assez pour me faire avoir de l’horreur pour cette Science, du mépris pour ceux qui la mettront en pratique ; de la compassion pour la foiblesse & la sotte facilité de ceux qui leur en donner ont occasion, a en mesme temps pour m’engager à mettre au nombre des choses difficiles à croire tout ce qu’on pourra dire en faveur des Faiseurs d’Horoscopes, & autres pareils Charlatans celestes.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 162-163.

On fait des Automnes comme des Printemps, & puis que nous commençons à entrer dans cette saison, je vous en envoye un de Mr Ludet.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Doux Raisin dont l'Amour redoute la puissance, doit regarder la page 163.
Doux Raisin, dont l'Amour redoute la puissance,
J'implore à mon secours vostre aimable liqueur ;
Jus divin, tost, coulez jusqu'au fond de mon cœur,
Et faites y toûjours regner l'indifference.
Mais helas ! plus je bois de ce jus de l'Automne,
Plus Climene me rend sensible à ses appas.
Ah ! j'ay beau m'enyvrer, la raison m'abandonne,
Mais le cruel Amour ne m'abandonne pas.
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[Description du Carrousel fait à Florence] §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 164-165, 167, 169-171

 

Je ne vous ay point parlé d'un Carrousel qui s'est fait depuis quelque temps à Florence, & qui représentait la Sagesse & la Valeur, sous la conduite de Mr le Prince Ferdinand, Fils aisné de Monsieur le Grand Duc de Toscane. C'est un Prince fort bien fait, âgé seulement de vingt trois ans, grand, de belle taille, & qui est tres-bien à cheval. Comme il a esté élevé dans tous les Exercices Militaires, il a voulu prendre pour sujet de cette Feste Pallas & Mars qui envoyent leurs Champions contre les Hydres, & autres Monstres qui troublent le repos de la Terre. [...]

 

[Suit la description de l'évolution des Quadrilles composant le carrousel qu'accompagnent] plusieurs Choeurs de Musique, composez de diffèrens instrumens, & des meilleures voix d'Italie [...]

 

[...] Mr le prince Ferdinand, suivy de ses Chevaliers, alla une Lance à la main, & défit les Monstres avec une adresse qui attira mille cris de joye des Spectateurs. L'applaudissement fut general, les Trompetes & les Timbales se firent entendre, & un Choeur de Musique ayant suivy, ce jeune Prince s'avança jusqu'au milieu de la Place à la teste des Chevaliers de Pallas, pour faire le coup de Pistolet, avec ceux de la Quadrille de Mars qui luy estoit opposées. Ils caracolerent, & firent des votes, passant souvent les uns devant les autres aprés quoy toutes les Quadrilles se disposèrent à un Combat général avec l'épée. Il ne fut pas si tost commencé que Mars & Pallas rappelèrent leurs Chevaliers, & les invitèrent à la Paix par divers Choeurs de Musique. Mr le Prince Ferdinand revint à son premier poste auprés des divinitez, & fit des courbettes en differentes voltes avec une grace merveilleuse. Les Chevaliers se rangerent autour de luy en faisant plusieurs figures, dont la derniere estoit en forme de demy-Lune. La Feste s'estant terminée par là, ils défilerent au bruit des Timbales & des trompetes, ayant ce jeune Prince à leur teste.

[Histoire de Boucaniers ou Flibustiers] §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 171-185

 

Je me souviens, Madame, que vous m’avez demandé ce que c’est que les Boucaniers, ou Flibustiers. Apparemment l’envie de les connoistre ne vous est venuë que depuis qu’un Livre nouveau, qui a paru depuis peu, a donné occasion de parler d’eux. Je puis vous en dire des particularitez sans le secours de ce Livre, puis que j’ay veu & entretenu un Boucanier François, de qui j’ay appris toutes leurs Coûtumes. Il n’y a pas fort long-temps que leur nom est generalement connu en ce monde-cy. Il n’estoit auparavant celebre que dans l’Amerique, dont ils sont l’effroy & la terreur. Vous sçavez que la pluspart des Americains avoient cette barbare coûtume de brûler & de rôtir leurs Ennemis, lors qu’ils les avoient pris en guerre. Le lieu où ils exerçoient cette cruauté s’appelloit Boucan en leur Langue, & de la l’action a esté nommée Boucaner. Les Européens habitans de l’Amerique, estant souvent obligez d’aller à la Chasse, soit pour leur subsistance, soit pour le commerce des cuirs, rôtissoient & fumoient la viande des Bestes qu’ils avoient prises ; comme les Naturels du Pays celle de leurs Prisonniers, & c’est par cette raison que le nom de Boucaniers leur a esté donné. Leur premier employ fut donc seulement d’aller à la Chasse des Sangliers, dont ils vendoient la viande, ou des Bœufs sauvages, dont ils envoyoient les cuirs en Europe ; & c’est encore plus particulierement cette derniere espece de Chasseurs qu’on appelle Boucaniers. Ces gens-là qui n’avoient point d’autre moyen de subsister, qu’un Métier si dur & si penible, se firent une habitude des fatigues les plus grandes, & formerent differens petits Corps, plus redoutables par leur courage & par leur intrepidité, que par leur nombre. Il y a des Boucaniers de toutes les Nations Européennes qui habitent l’Amerique ; mais comme les Espagnols sont la Nation la plus puissamment établie dans le nouveau Monde, & qu’il n’y en a presque point de si miserables entre eux qui ne trouvent moyen d’y faire fortune, les Boucaniers Espagnols moins pressez par la necessité que les autres, se sont aussi moins aguerris, & on ne compte pour vrais Boucaniers que ceux d’entre les François, Anglois, ou Hollandois, qui se sont mis à exercer ce métier. Ceux-cy dégoûtez du peu de profit que leur apportoit la Chasse, à proportion des peines qu’elle leur coûtoit, & prenant l’occasion des Guerres qui survenoient entre l’Espagne & les Couronnes dont ils dépendoient, commencerent à pirater sur les Espagnols, & à piller les lieux qui les reconnoissoient pour Maistres. L’Espagne est presentement si foible en Amerique, & les Boucaniers sont si bons Soldats, que presque toutes leurs entreprises leur ont réüssi. Les Avanturiers ne craignent point de se mettre sur un petit Canot, tout au plus sur une méchante Barque, & d’aller aborder un grand Vaisseau qui portera beaucoup d’hommes & de Canon ; & ce qui vous paroistra peut-estre inconcevable, ils sont si déterminez qu’ils le forcent à se rendre. Lors qu’ils sont maistres d’un bon Vaisseau, ils songent à de plus hautes entreprises. Ils entrent dans les Ports d’Espagne, & pillent des Villes tres-riches. Le Boucanier que je vous ay dit d’abord que j’avois entretenu, s’estoit trouvé au pillage de Vera Cruz, dont on a tant parlé. Il m’a conté quantité de choses qui regardent, ou leur discipline, & la forme de leur Gouvernement, ou leur Histoire, & leurs Avantures. Ils n’ont point de General en Amerique ; ils n’ont que des Commandans particuliers, qui ne le sont que pour l’Expedition que l’on va faire. Ils sont élûs à la pluralité des voix, ou reconnus pour Commandans parce que le Vaisseau est à eux, ou qu’ils sont d’une réputation établie. Quelquefois ils composent une petite Flote de cinq ou six Vaisseaux, qui sont ordinairement en mauvais estat, & seulement redoutables par le courage de ceux qui les montent. Avant que de partir pour leur entreprise, ils font entre-eux un accord par lequel ils conviennent de la maniere de partager la proye, de la part qu’y aura le Commandant, son Lieutenant, & les autres, selon leurs divers emplois, ou selon ce qu’ils fournissent pour l’expedition. On arreste aussi de donner tant par dessus sa part legitime à celuy qui montera le premier sur un Vaisseau Ennemy, & tant à celuy qui aura esté estropié de tels membres. Enfin ils n’ont en veuë dans un tel accord que d’éviter la division qui pourroit se mettre entre-eux, d’animer leurs gens à bien faire, & de leur proposer des recompenses capables de les porter à ne s’épargner pas, car le desir de la gloire n’a aucune part à leurs belles actions ; ce n’est que le gain. Je ne doute point que vous ne soyez sur prise de la Religion de ces gens là. Dés qu’ils découvrent un Vaisseau Espagnol, ils, font la Priere, & demandent à Dieu fort devotement qu’il y fasse trouver un Butin considerable, & qu’ils puissent s’en rendre maistres, aprés quoy ils se preparent à l’attaquer. Mon Boucanier m’a dit que les François Catholiques & les Anglois Protestans allant ensemble en course, faisoient tous les jours la Priere chacun à leur mode, & que mesme dans les Villes qu’ils pillent, & où ils ont toute sorte de licence, si un Protestant faisoit une irreverence remarquable à l’Image d’un Saint, le Conseil de Guerre ne manqueroit pas de luy faire casser la teste. Ils ont quelquefois surpris des Villes qui se seroient défenduës contre des Sieges reguliers, & qui n’ont pû se défendre de la fureur de ces determinez Boucaniers, à qui l’esperance du pillage fait entreprendre des choses qui ne paroissent presque pas humaines. Quand les Habitans d’une Ville sont avertis de la marche des Avanturiers, ils commencent par fuir dans les Bois, & y emportent le plus qu’ils peuvent de leurs richesses, & de ce qu’ils ont de plus precieux, tant on se trouve remply de terreur à leur seule approche, & tant on est persuadé qu’on resisteroit inutilement. Les Boucaniers, Maistres d’une Ville, y trouvent toûjours assez dequoy piller, quelque abandonnée qu’elle puisse estre, mais ils envoyent encore dans les Bois differens Partis, qui y découvrent les Habitans, & qui les font Prisonniers afin de les mettre ensuite à rançon. Aprés une prise considerable ils sont tous riches, mais au bout de quelques mois aucun d’eux n’a rien. Ils se jettent dans les débauches les plus outrées si-tost qu’ils ont de l’argent, & ils le répandent avec autant de déreglement & de folie, qu’ils ont eu de courage & de hardiesse pour le gagner. De là vient que leurs Courses sont fort frequentes, & qu’à peine revenus d’une expedition, il faut qu’ils songent à en commencer un autre.

[Arrivée à Rouen de Mr Faucon de Ris, premier President au Parlement de cette Ville-là, avec les Harangues qui luy ont esté faites, & tout ce qui s'est passé sur ce sujet] §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 186-201

 

Le Mercredy 14. de ce mois Mr de Faucon de Ris, qui pendant plusieurs années a exercé l’Intendance de Bordeaux avec tant de gloire, & qui avoit esté nommé par le Roy Premier President en son Parlement de Normandie, arriva en sa Terre & Maison de Charleval, à cinq lieuës de Roüen, & il en partit le lendemain, jour de la Feste de l’Assomption, pour venir prendre possession de sa Charge. Si tost que la nouvelle en eut esté répanduë, tous les Officiers ordinaires de la Ville ayant en teste leurs Capitaines ou Lieutenans, avec leurs Drapeaux, & Trompettes, allerent à cheval au devant de luy jusqu’à la premiere Poste, & les autres à pied jusqu’à S. Paul, qui est au bas de la Montagne, Enseignes déployées, & Tambours battans, pour le recevoir & l’accompagner jusqu’à son Hostel. Il arriva avec un fort grand cortege de Carosses à six chevaux, où estoient les Personnes les plus qualifiées de la ville, dont il avoit esté salüé sur sa route. Il sortit d’ailleurs une si grande quantité de peuple que le chemin & les ruës en estoient toutes bordées. La joye estoit generale de voir le quatriéme Successeur de la mesme famille, en une charge si éminente que ses Ancestres ont si dignement remplie. Il fut salüé de la Mousqueterie à diverses reprises, sur sa route & devant son Hostel. La Ville le complimenta, ayant à sa teste Mr Tabouret premier Eschevin, & il en receut les Presens accoûtumez. Plusieurs Corps le complimenterent encore le lendemain, & le Presidial y envoya six Deputez, qui furent Mr du Montier, Lieutenant criminel, quatre Conseillers, & Mr Brunel Procureur du Roy, dont je vous ay fait connoistre l’esprit & le merite en une autre occasion. Mr du Montier porta la parole. Il avoit eu le jour precedent une vapeur terrible qui l’avoit fait croire mort, & ce fut là le sujet de son Discours. Il dit à Mr de Ris que la joye de luy voir reprendre la place de ses Peres le rappelloit à la vie, & qu’il ne devoit pas estre surpris que sa presence fist de si grands effets dans la Compagnie dont il estoit Député, puis qu’elle avoit esté toûjours attachée aux grands hommes de sa Maison qui avoient esté Chefs du Parlement ; que cét attachement estoit fondé sur celuy qu’elle a toûjours eu pour le service du Roy, & que le service du Roy avoit toûjours esté le seul but que ses Ancestres s’estoient proposé dans toutes leurs actions. Il donna à cette pensée toute l’étenduë qu’elle meritoit, & son Compliment fut tres-applaudy. S’il en receut de grandes loüanges, il en reçoit tous les jours beaucoup davantage, & de son habileté, & de l’exactitude qu’il a à remplir tous les devoirs de sa Charge. Le mesme jour Mrs du Chapitre de la Cathedrale de Roüen luy envoyerent des Deputez, & Mr le Pigny qui en est Archidiacre, porta la parole, avec le mesme applaudissement qu’il a eu toutes les fois qu’il a parlé en Public. Voicy les termes dont il se servit.

Monseigneur,

L’Eglise de Roüen nous a députez pour vous marquer la joye qu’elle a de vous voir reprendre une place que vos illustres Ayeux ont tenuë pendant un si long temps, avec tant d’éclat & tant de gloire.

Les services importans qu’ils ont rendus à l’Estat, & sur tout la fermeté inébranlable avec laquelle ils ont maintenu l’autorité du Roy, au milieu des tempestes qui ont tant de fois agité cette Province pendant leur Magistrature, leur ont acquis des noms fameux dans l’Histoire, que jamais le temps n’effacera, & fait meriter des récompenses de nos Rois, qui combleront d’une gloire immortelle toute leur posterité. Mais, Monseigneur, l’integrité avec laquelle ils ont rendu la justice à la teste de cet auguste Parlement, la grandeur de leur ame, soûtenuë par la noblesse de leur Extraction, la beauté de leur esprit jointe à une éloquence victorieuse, & à une érudition profonde, leur probité insigne, leur desinteressement, qui les a toûjours élevez au dessus des gains sordides & des pratiques basses qui obscurcissent quelquefois la splendeur du Corps de la Iustice ; c’est ce qui a attiré sur leurs personnes les benedictions du Ciel, & c’est ce qui fait encore aujourd’huy sortir de la bouche des Peuples mille loüanges, que l’envie & la jalousie ne pourront jamais flestrir.

C’est au souvenir charmant de toutes ces vertus si rares & si extraordinaires que nous voyons aujourd’huy revivre si heureusement en vostre personne, que nous abandonnons nos cœurs aux transports de la joye la plus parfaite & la plus sincere. C’est par là que nous oublions avec plaisir cette parenthese, qui ne nous a privez pour un temps de vostre Personne, qu’afin que vostre retour fust plus glorieux, semblable à ces nuages qui ne nous cachent le corps du Soleil, qu’afin qu’il répande ensuite sa lumiere avec plus de force & avec plus de vivacité. Ainsi, Monseigneur, vostre absence & vostre éloignement n’ont servy qu’à nous fournir de nouveaux sujets d’admirer vostre vertu, par l’avantage que vous avez eu de réüssir dans toutes les affaires importantes que Sa Majesté vous a confiées, soit dans ses Conseils, soit dans l’Intendance de ses Provinces, où vostre probité, vostre prudence, vostre habileté, ont égalé, pour ne pas dire surpassé, toutes les vertus de vos Ancestres.

C’est ce qui rend aussi vostre entrée dans toute cette grande Province si agreable ; car la Dignité que vous possedez, & qui est comme hereditaire dans vostre illustre Maison, n’auroit pas l’éclat & le relief qu’elle a, si vous y veniez comme les autres par un droit de succession ; mais y entrant, comme vous faites, par le choix, par la préference, & par le don du plus grand Monarque qui ait jamais regné sur la Terre, est-il rien qui soit comparable à vostre gloire, est-il rien qui égale vostre felicité ? En effet, quelque magnifique que soit ce don, je puis dire qu’il devient encore infiniment plus precieux par la main Royale qui vous le donne, & je puis à ce sujet vous faire souvenir des paroles du Poëte, Non tam ex dono quàm quia dedisti. C’est par cette action si signalée de sa justice que le Roy s’acquitte envers vostre Famille, ou pour mieux dire, couronne en vostre personne, tous les merites & tous les services des grands Personnages, ausquels vous avez la gloire de succeder. Fasse le Ciel que vous en joüissiez long-temps pour la gloire de Dieu, pour l’honneur du Royaume, pour la tranquillité publique, & pour la satisfaction de tous les gens de bien. C’est dans cet esprit que nous venons vous offrir les respects d’une Compagnie Ecclesiastique, qui a eu toûjours le bonheur d’estre cherie & d’estre protegée par vos illustres Ayeux. Elle espere que vous luy continuerez la mesme faveur ; & c’est, Monseigneur, le sujet de nos tres-humbles prieres & de nostre Députation.

 

Mr de Ris répondit à cette Harangue, avec beaucoup de vivacité d’esprit, & d’honnesteté, ainsi qu’à toutes les autres, qui luy furent faites par tous les Corps Seculiers & Reguliers. Le Mardy 17. il alla au Parlement commencer les fonctions de sa Charge. Toutes les Chambres s’estant assemblées il se mit à genoux sur un Carreau qu’on luy presenta, & presta le Serment ordinaire à portes closes. Il fut harangué à l’Audience par Mr le Guerchois Procureur general, dont l’éloquence est connuë, & par Mr de Languerie Avocat General, qui fut écouté avec beaucoup de plaisir. Aprés qu’ils eurent parlé, Mr de Ris fit un excellent & judicieux Discours sur le merite & la dignité de sa Charge, sur les obligations de tous ceux dont le Corps du Parlement estoit composé, & sur l’observation indispensable des Loix selon les intentions de Sa Majesté, & les Ordonnances des Roys ses Predecesseurs. Tout le monde s’écria sur la beauté de ce Discours, & quand l’Audience fut finie, Mr le Premier President retourna en son Hostel, où il regala avec beaucoup de magnificence une partie de Messieurs du Parlement, ce qu’il continua de faire les jours suivans.

[Galanteries espagnoles] §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 213-215, 217-218, 220, 222-225, 228-229, 231, 233-234

 

Quand les Espagnols trouvent quelque occasion de faire éclater leur galanterie, ils font connoistre qu'ils n'oublient pas les leçons que les Maures de Grenade leur ont autrefois données. Vous en allez trouver une preuve dans les honneurs que Mr le Marquis del Carpio, Vice-roy de Naples, a rendus à Madame la Duchesse de Bracciane. Je ne vous dit point de quel merite est cette Duchesse, tant pour l'agrément de sa personne, que pour la beauté de son esprit, & la delicatesse de ses sentimens. Je sçay que vous en avez entendu parler à plusieurs personnes qui la voyoient fort souvent pendant qu'elle estoit icy. Elle est Soeur de Mr le Duc de Noirmonstier, de Madame la Marquise de Royan, & de Madame la Princesse de Belmont. Mr le Duc de Bracciane, son Mary, est de la Maison des Ursins. C'est assez vous dire, pour vous apprendre qu'il est d'une tres-grande naissance. Cette Duchesse ayant envie de voir la Ville de Naples, & Mr le Marquis del Carpio luy ayant fait témoigner le plaisir qu'il se feroit de l'y recevoir, elle partit de Rome le premier de Juin, accompagnée de Mr le prince de Belmont, son Beaufrere, & alla souper à Albano, où elle fut receuë par le Prince, & par la Princesse Savelli. [...] [Elle atteint Naples par la mer le 3 juin. Le vice-roi vint au devant d'elle pour l'accueillir.]

 

Il entra dans sa Galère, & les Complimens se firent de part & d'autre dans les termes les plus obligeans & les plus honnestes. On continua la route, & lors qu'ils passerent devant le Chasteau del Ovo, Madame de Bracciane fut salüée de tout le Canon. Mr le Marquis del Carpio luy demanda la permission de répondre à ce salut par la décharge de son Artillerie, & enfin sur les trois heures ils arrivèrent au Port, où la Duchesse estoit attenduë par Madame la Princesse Cariati, de la Maison de Savelli, Cousine au troisième degré de Mr le Duc de Bracciane [...]

 

Le lendemain le Viceroy luy envoya un rafraîchissement magnifique de toutes sortes de fruits & de liqueurs portées par ving hommes, & sur le soir elle fut visitée du Marquis de Cogolludo, Fils aisné du Duc de Medina-Celi, & General des Galeres de Naples.

 

Le [jeudi] 6 [la duchesse de Bracciane] alla sur le soir chez la Marquise de Cogolludo, où elle trouva la Princesse d'Aveline avec plusieurs Dames. Le Viceroy y alla aussi, & y demeura jusqu'à la fin d'un Concert. Lors qu'il fut sorty, on ouvrit le Bal, qui fut commencé par les Dames & des Gentilshommes Espagnols, à la manière d'Espagne, & continué par les Filles de Madame la Duchesse de Bracciane, comme on fait en France. Il fut suivy d'une magnifique Collation, après quoy cette Duchesse fut reconduite chez elle.

Le 10 on luy fit voir le Palais des Rois de Naples. Tous les Gardes prirent les armes à son arrivée, & l'Enseigne joüa du Drapeau. La Mesme chose se fit dans tous les Corps de Garde ; ce qui est un honneur extraordinaire qu'on ne fait qu'aux Princes Souverains. Elle fut receuë dans ce Palais par toute la Cour du Viceroy, & après un Concert qui dura peu, on luy donna un somptueux Régale.

Le 12 elle fut priée par le Marquis & la Marquise de Cogolludo, d'aller voir les Antiquitez de Puzzol & de Baye. La Duchesse d'Aveline & le Duc de S. Macer l'y accompagnèrent, & elle fut escortée par huit Galères, qui estoient toutes remplies de Concerts & de Trompetes. [...]

 

Le 16 le Viceroy l'invita d'aller à Posilippe, Maison de Plaisance des Roys de Naples. Elle arriva vestuë à l'Espagnole, & pendant qu'elle visitoit les Appartemens, le Viceroy s'y rendit accompagné du Prince de Forin, de ses deux Fils, du Marquis de S. Elme & de son Frère. Après un Concert qui dura deux heures, on servit diverses Tables, dont l'un n'estoit que de deux Couverts, pour la Duchesse & pour la Princesse de Cariati. Le Viceroy afin de marquer un plus grand respect, servit la Duchesse sans Chapeau & sans Epée, & mit luy-mesme les Plats sur la Table & les en osta, sans vouloir permettre qu'aucun de ses Officiers luy epargnast cette peine. [...]

 

L'heure de s'en retourner estant venuë, le Viceroy prit congé de la Duchesse. Elle monta en Carrosse & revint à Naples. Elle croyoit que le Viceroy s'étoit retiré dans son palais, mais elle fut fort surprise de le trouver dans la Court du sien, où il l'attendoit pour la conduire jusque dans sa Chambre. La galanterie ne pouvoit aller plus loin. [...]

 

Le 20 [le vice-roi] alla encore la visiter, suivy de tous les Gardes, tant Soldats que Cavalerie, & après luy avoir fait quelques complimens il se retira. Comme elle avoit marqué ce jour là pour celuy de son départ, il retourna chez elle peu de temps après, & luy donna le divertissement d'un Ballet. Lors qu'elle voulut partir, il la conduisit au Port, & la fit monter avec toute sa suite dans la mesme Galère qui l'avoit amenée ; il y monta luy-mesme, & l'ayant accompagnée à quatre milles sur Mer, il prit congé d'elle avec toutes les marques qu'elle pouvoit souhaiter de son estime [...]

[Particularitez touchant l'Accouchement de Madame la Dauphine] §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 244-251

[...] Ce fut entre onze heures trois quarts & Midy. Mr Clement dit aussi-tost tout bas à Sa Majesté que c'estoit un Prince. Madame la Dauphine, qui avoit dit plusieurs fois pendant sa grossesse, qu'elle souhaitoit sçavoir dans le moment de quel Enfant elle seroit accouchée, pria le Roy de le vouloir dire, l'asseurant qu'elle l'apprendroit sans émotion, & Sa Majesté dit tout haut, C'est un Duc de Berry. En mesme temps le chagrin qu'on avoit eu de voir souffrir cette Princesse, & qui paroissoit encore sur tous les visages, se changea en joye. Le Roy la vint embrasser en luy disant, Je suis ravy, Madame, que vous nous ayez donné trois Princes. Monseigneur vint aussi l'embrasser, & luy témoigna la joye qu'il avoit de ce qu'elle ne souffroit plus. Cependant Mr Clement mit l'Enfant dans la couche, & dans les langes que Madame la Maréchale de la Motte tenoit, & Mr l'Evesque d'Orleans estant entré aussi tost, on loya ce Prince. Le Roy retourna au Conseil, & dit en y entrant, Loüons Dieu, Messieurs, de ce qu'il vient de nous donner encore un Prince. Le Conseil estant finy, Sa Majesté alla à la Chapelle rendre grâces à Dieu de l'heureux Accouchement de Madame la Dauphine. Le lendemain ce Monarque assista au Te Deum, qui fut chanté dans la mesme Chapelle, où se trouvèrent Mr le Nonce, & toute la Cour. Le soir il y eut des Feux de joye, & des Illuminations par toutes les ruës. Le Lundy 2 de ce mois on chanta le Te Deum dans l'Eglise de la Paroisse, & le soir on continua les réjoüissances du jour précédent. Le mesme jour il s'en fit de grandes à Paris. Elles furent annoncées dés le matin par le Canon de l'Arcenal, & par celuy que l'on avoit amené sur lee quais de la Greve. L'après-disnée on chanta le Te Deum dans l'Eglise de Nostre-Dame. Mr le Chancelier y assista à la teste du Conseil, ainsi que le Parlement, la Chambre des Comptes, & les autres Cours Superieures, avec le Corps de Ville, & les Ministres Etrangers qui y avoient esté invitez. Le Canon se fit entendre avant & aprés la Ceremonie, & recommença le soir avant qu'on tirast le Feu d'artifice qui avoit esté préparé devant l'Hostel de Ville. Il estoit remply d'Hierogliphes, & d'Incriptions sur cette naissance. Il y eut un grand Repas & Bal à l'Hostel de Ville, & l'on n'y oublia rien pour marquer la joye que chacun en ressentoit. Aprés que l'on eut tiré ce Feu, on en fit par toutes les ruës. On accompagna le bruit des Boëtes de quantité de Fusées qui furent dispersées en l'air, & tout le Peuple donna de fortes marques de Joye; ce qui dura la plus grande partie de la nuit. Si tost que Madame la Dauphine fut accouchée, Mr de la Soudiere, l'un de ses Ecuyers partit, pour en aller porter la nouvelle à Mr l'Electeur de Baviere. Je remets au premier mois les réjoüissances qui ont esté faites à Bourges, Capitale du Berry, pour la Naissance de ce Nouveau Prince.

[M. l’Abbé Galois est pourvû de la Charge de Professeur Royal en Langue Grecque] §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 262-263

 

La Chaire de Professeur Royal en Langue Greque, estant demeurée vacante par la mort de Mr Cotelier que je vous appris le mois passé, le Roy, pour la remplir dignement, a fait choix d’un homme dont la profonde érudition & les grands talens sont connus de tout le monde Pour vous en faire un Eloge qui vous fasse convenir de tout son merite, il me suffira de vous le nommer. C’est M. l’Abbé Galois. Il est de l’Academie Françoise, & de l’Academie des Sçiences, & la reputation qu’il s’est acquise dans l’une & dans l’autre, fait assez connoistre qu’on ne peut trop dire a son avantage.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 264-266.

Voicy un autre Air nouveau que je vous envoye. Vous vous connoissez trop bien en Musique pour ne pas juger par vous-mesme de tous les Ouvrages de cette nature.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Chante qui voudra le Printemps, doit regarder la page 265.
Chante qui voudra le Printemps
Je ne veux chanter que l'Automne.
Cette aimable Saison nous donne
Le Charmant jus de la tonne,
Et sans cette Liqueur il n'est point de bon temps.
Amans, cüeillez des Fleurs & foulez la verdure,
Pour moy, je ne veux plus fouler que le Raisin.
Toutes les Fleurs de la Nature
Ne valent pas une goute de Vin.
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[Journal de tout ce qui s’est passé à Anet pendant le sejour de Monseigneur le Dauphin] §

Mercure galant, septembre 1686 (première partie) [tome 11], p. 276-294

 

J’ay pris un si grand soin de m’informer de tout ce qui s’est passé à Anet pendant le séjour de Monseigneur le Dauphin, que je vous en envoye un Journal. Vous sçavez que Diane de Poitiers, Duchesse de Valentinois, a fait bâtir cette belle Maison, & que Monsieur le Duc de Vendosme à qui elle appartient, a fait beaucoup de dépense pour l’augmenter & pour l’embelir. Il se preparoit depuis long-temps à y recevoir Monseigneur ; mais ce Prince n’y voulut aller qu’aprés les Couches de Madame la Dauphine, disant, Qu’il ne pouvoit se divertir sans inquietude, jusqu’à ce que cette Princesse fust heureusement accouchée. Cela fut cause qu’il ne partit de Versailles que le Vendredy 6. de ce mois à six heures du matin. Sur les dix heures il arriva à Anet qui en est éloigné de treize lieuës. Peu de temps aprés l’arrivée de ce Prince, on servit à disner sur une Table de 16. à 18. Couverts, placée dans le milieu du Salon de ce Château, & dans le mesme moment on en servit une autre dans le mesme lieu de 18. à 20. Couverts, sans qu’il y eust aucune difference entre les Services de ces deux Tables. Monseigneur l’avoit ainsi ordonné, ce Prince ayant mesme resolu de se mettre à celle qu’il trouveroit la plus proche de luy lors qu’il entreroit dans le Salon, où l’on peut entrer par divers endroits. Ces Tables ont esté servies par quatre Contrôleurs de la Maison du Roy en Quartier. M. Gemat servant chez Monseigneur, a servy devant ce Prince, & M. Riveroles de l’autre costé. Le Contrôleur General servoit à boire à Monseigneur, & donnoit les Assiettes. Mrs Bastard, & Cornilau servoient l’autre Table. Ces deux Tables ont toûjours esté magnifiquement servies, & de la mesme maniere. Monsieur le Duc de Vendosme en a fait servir tous les jours sept ou huit autres.

La premiere passoit pour celle de ce Prince, quoy qu’il ne s’y soit guere trouvé. Elle estoit tenuë par M. l’Abbé de Chaulieu. On ne peut rien ajoûter à la delicatesse, & à la magnificence de cette Table.

La seconde estoit tenuë par M. de Bois de Laval, Capitaine ou Gouverneur du Chasteau. Ceux qui trouvoient quelquefois les autres Tables trop pleines, venoient manger à celle là. Elle estoit aussi destinée pour une partie des Demoiselles de l’Opera.

La troisiéme estoit celle de M. de Lully. Elle estoit servie avec autant de regularité que les autres, & il y avoit un Maistre-d’Hostel uniquement pour cela. On y voyoit toûjours bonne Compagnie tant à manger qu’à faire conversation avec M. de Lully pendant le Repas, parce que son entretien n’est pas moins agreable que ses Ouvrages.

La quatriéme estoit pour une partie des Demoiselles qui chantoient à l’Opera, & pour toutes celles qui y dançoient.

La cinquiéme pour tous les Musiciens & Danseurs.

La sixiéme pour tous les Joüeurs d’Instrumens.

La septiéme pour les Brigadiers, & Gardes du Corps qui servoient auprés de Monseigneur.

La huitiéme estoit celle des Suisses du Roy servant auprés de ce Prince.

Outre toutes ces Tables reglées, il y avoit une Cuisine avec des viandes toûjours prestes, & des Officiers destinez, pour attendre toutes les Personnes de qualité, & toutes les Dames qui venoient souvent de Paris & de Roüen en grand nombre. On leur donnoit à manger à toute heure suivant la qualité qu’ils prenoient, & ce qu’il y a de merveilleux, c’est qu’on en donnoit aussi à toutes les personnes qui venoient de la Cour, & qui la pluspart arrivoient la nuit. On peut dire mesme que toute la Cour y est venuë alternativement, & que toutes les Personnes distinguées qui la composent, ont du moins passé un ou deux jours à Anet. M. le Mareschal Duc de Vivonne y a toûjours demeuré. Tous les Seigneurs de la Cour ont esté logez dans le Château, & tous les Officiers ont eu des Chambres marquées dans le Village.

Le mesme jour que Monseigneur le Dauphin fut arrivé, il alla l’apresdinée courre le Cerf avec la Meute de M. le Grand Prieur, & il le prit aprés l’avoir couru trois heures. Sur les sept heures, il monta dans la Galerie de Diane, pour y voir l’Opera d’Acis & Galatée. Monsieur le Duc de Vandosme voulant donner à ce Prince un Divertissement qu’il n’eust point encore veu, en a fait toute la dépense. Les Vers de cet Opera sont de M. Capistron. Il reçût beaucoup d’applaudissemens.

Le Samedy 7. Monseigneur alla courre le Loup avec les chiens de son Equipage. Il le prit aprés trois heures de course. On joüa le reste du jour. A sept heures on alla à l’Opera, puis on soupa à l’ordinaire.

Le Dimanche 8. Monseigneur alla tirer, & permit à ceux qui l’accompagnoient de tirer aussi. Mr le Maréchal de Vivonne estoit du nombre, & ne tira pas inutilement. Monseigneur envoya toute la nuit cinquante tres-beaux Perdreaux au Roy, Sa Majesté luy ayant envoyé le jour precedent quatre grandes corbeilles du plus beau Fruit qu’il fust possible de voir Il y eut encore Opera, & l’on soupa ensuite.

Le Lundy 9. Monseigneur alla courre le Loup avec l’Equipage de Mr le Duc de Vendosme, & le prit aprés cinq heures de course. On soupa, & il y eut Jeu aprés Soupé.

Le Mardy 10. Monseigneur courut le Loup dans le Parc de Breval, avec son Equipage Il en prit un de huit mois, & un jeune Loup que devorerent les Chiens. Il y eut Opera avant Soupé.

Le Mercredy 11. Monseigneur alla courre le Cerf avec l’Equipage de Mr le Grand Prieur. Le Cerf aprés avoir couru plus de trois heures, se vint faire prendre dans la Riviere d’Anet. Beaucoup de Dames des environs estoient dans leurs Carosses. Il y a long-temps que cette sorte de Chasse n’a donné plus de plaisir, & pour le rendre plus grand, Monseigneur fit faire sur le champ une partie de la Curée. Il y eut Opera au retour.

Le Jeudy 12. Monseigneur alla courre le Loup avec l’Equipage de Mr le Duc de Vendosme, & prit une tres-grosse Louve. Il y eut ce soir là une Illumination, au milieu de laquelle estoit une Piramide d’environ soixante pieds de haut ; elle finissoit par une Fleur de Lys toute brillante de lumiere. Monseigneur voulut souper sur la Terrasse du Parterre, vis à vis de cette Piramide. Il y eut aprés le Soupé un tres-beau Feu d’artifice.

Le Vendredy 13. Monseigneur alla courre le Loup avec son Equipage. Il en prit un gros aprés quatre heures de course. Il y eut le soir Opera.

Le Samedy 14. Monseigneur alla encore courre le Loup du costé de Dreux, & aprés en avoir pris un des plus grands, il se rendit à Maintenon avant l’arrivée du Roy, avec la pluspart de ceux qui l’avoient accompagné à Anet. Cette journée fut une des plus fatigantes, & peu de chevaux y pûrent fournir.

Le Dimanche 15. Sa Majesté fit la Reveuë des vingt-deux mille hommes qui sont aux environs de Maintenon.

Le Lundy 16 Monseigneur entendit la Messe à sept heures du matin, & alla tirer jusques à Midy. L’aprésdisnée il suivit le Roy, qui alla visiter tous les Travaux de la Riviere d’Eure. Sa Majesté ne revint qu’à huit heures du soir.

Le Mercredy 17. Monseigneur entendit la Messe sur les sept heures, aprés quoy il monta à cheval pour retourner à Versailles, où il arriva à neuf ; ainsi il ne demeura pas deux heures à faire douze lieuës. Le Roy ne partit qu’entre dix & onze, & vint en relais jusques à Trape, où Sa Majesté avoit donné ordre qu’on luy tinst des chevaux propres pour tirer. Elle y arriva avant quatre heures, & chassa jusqu’à l’entrée de la nuit.

Pendant que Monseigneur a esté à Anet, & à Maintenon, Madame la Dauphine a tous les jours envoyé sçavoir de ses nouvelles, par les Officiers de sa Maison, qui ont l’honneur d’approcher le plus prés de sa Personne. Voicy les noms de ceux qui ont fait ces agreables Courses suivant l’ordre qu’ils sont partis de Versailles. Mrs de Soleiseil, de Bonneüil, de Chenedé, de Verneüil, Vandrevec. C’estoit à Mr de Soleiseil à recommencer ; mais comme il est aussi Gentilhomme ordinaire de la Maison du Roy, Sa Majesté l’envoya ce jour-là faire compliment à Mr le Nonce sur sa Promotion au Cardinalat, de sorte que Mr de Bonneüil y retourna au lieu de luy. Mr de Soleiseil reprit son rang le lendemain, & Mr de Chenedé y alla ensuite, & tous les autres chacun à leur tour, à commencer par le premier.