1686

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15]. §

Portrait de Louis le Grand en Parallele avec celuy d’Auguste §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 1-12

Je commençay ma Lettre du mois passé par une Epître en Vers, qui contenoit une vive peinture des vertus qui rendent le Roy si digne de l’Immortalité qu’il s’est acquise. Quand on lit ces sortes d’Ouvrages, l’esprit en est tellement remply, & la Grandeur de Sa Majesté s’y trouve si bien dépeinte, qu’on croit que l’Autheur n’a rien oublié de tout ce qui peut la faire connoistre. Cependant comme la matiere est inépuisable, & toûjours belle, lors qu’elle vient à estre traitée par un autre, elle nous paroist briller d’un nouvel éclat, & l’on y découvre des beautez que l’on n’a point encore veuës ailleurs. Je ne doute point que vous n’en trouviez de grandes dans l’Ouvrage que vous allez lire. Il est de Mr l’Abbé de la Chaise. Quoy qu’il ait esté devancé dans ce dessein par beaucoup d’habiles Gens, il n’a regardé que la matiere, & seur de l’abondance qu’elle fournit, il a fait parler la Gloire. Il suppose que cette Déesse est au Temple de Memoire, où elle tient un pinceau, & regarde un Autel particulier qui luy est dedié, & qui d’un costé a pour ornement un Tableau d’Auguste, & une Table d’attente de l’autre.

PORTRAIT
DE
LOUIS LE GRAND
En paralelle avec celuy
D’AUGUSTE.

Auprés de cet Autel où je suis adorée
 Depuis le temps que j’y placé
 Auguste que j’avois tracé,
Cette Table d’attente est toûjours demeurée.
 L’Antiquité m’offrit en vain,
Pour mettre en paralelle avec ce grand Romain,
Les Heros qu’elle avoit les plus dignes d’envie ;
 Malgré cette fausse lueur
Que la Fable ajoûtoit à l’éclat de leur vie,
Aucun ne me parut meriter cet honneur.
***
Pour trouver icy place au mesme rang qu’Auguste,
 C’est peu que d’estre Conquerant,
 Il faut qu’un Prince vraiment Grand,
Soit vaillant, soit heureux, soit prudent, ferme, & juste,
 Qu’il soit l’Ame de ses Etats,
Qu’il décide au Conseil, qu’il commande aux Combats,
Qu’il fasse tout mouvoir, soit en Paix, soit en Guerre,
 Et qu’aprés avoir surmonté
Tout ce qui luy resiste & sur Mer, & sur Terre,
Il force les Vaincus d’admirer sa bonté.
***
Il faut que l’Univers le redoute & l’estime,
 Et qu’adoré de ses Sujets,
 Il soit l’ennemy des forfaits,
Comme le Protecteur de tous ceux qu’on opprime.
 Que si mesme on doute des droits
Qu’il prétend contre ceux qui reçoivent ses Loix,
Il faut qu’en leur faveur luy-mesme il se déclare.
 Dans Auguste on vit s’assembler
Toutes ces qualitez par un concours si rare,
Que jusqu’au Grand LOUIS nul n’a pû l’égaler.
***
C’est ce Heros François que doit sur cette Table
 Tracer aujourd’huy mon Pinceau,
 Et je veux luy faire un Tableau
Qui n’ait à tous ses traits qu’Auguste de semblable.
 A la teste de ses Guerriers,
Comme Auguste on l’a veu courbé sous les Lauriers,
Combattre, surmonter, & puis calmer le monde ;
 Comme Auguste il fait tout mouvoir,
Dans la Paix, dans la Guerre, & sur terre & sur l’onde
Sa conduite s’admire, & l’on craint son pouvoir.
***
Comme Auguste on l’estime, on l’aime, on le revere ;
 Ses Alliez toûjours en luy
 Rencontrent un solide appuy
Et toûjours ses Sujets y rencontrent un Pere.
 Ce Peuple avec facilité
L’aborde comme Auguste, & s’en voit écouté ;
Chez luy ceux qu’on opprime ont toûjours leur refuge ;
 Comme Auguste en ses interests
Il suffit que l’on doute, il examine, il juge,
Et contre luy, luy-mesme il donne des Arrests.
***
Je peindray donc ce Roy sur le Char de Bellonne
 Qui triomphe des autres Rois ;
 Je peindray leur Ligue aux abois,
Qui reçoit à genoux la Paix comme il la donne.
 Aprés les murs qu’il a forcez,
Paris, d’un pinceau d’or je peindray tes fossez,
J’y peindray ce Vainqueur, mais qui rendra les armes,
 Moy-mesme aussi je m’y peindray,
Themis desarmera ce Heros par ses charmes,
Et dans le mesme temps je le couronneray.
***
Ainsi j’ay peint Auguste, & pour ce grand Ouvrage
 J’emprunteray tous ses beaux traits,
 Mais il faut de ceux que j’ay faits,
Pour ne m’y pas tromper, que je fasse un triage.
 Tout le Tableau de ce Romain
N’a pas esté tracé par une mesme main,
Je voy couler du sang qui n’est pas de la mienne,
 Ces funestes Proscriptions,
Ce dur Triumvirat, n’ont rien qui m’appartienne,
Pour ces malheurs publics je n’ay point de crayons.
***
C’est ce qui de LOUIS fera la difference
 D’avec ce fameux Empereur ;
 Sous ce grand Roy jamais l’horreur
D’un beau Sang immolé n’a fait fremir la France.
 Aucune victime d’Etat
N’a de son Regne heureux jamais terny l’éclat,
Jamais de son couroux on ne l’a vû l’esclave,
 Et pour le bien representer,
Le vieil Auguste seul, & non le jeune Octave,
Me fournira les traits que je dois imiter.
***
Mais dans le vieil Auguste il se rencontre encore
 Des traits qui semblent obscurcis ;
 Un tel Prince n’a point de Fils,
Dans son plus grand éclat son Sang le deshonore.
 LOUIS au contraire aujourd’huy
Voit déja trois Neveux d’un Fils digne de luy,
Voit l’honneur de sa Cour dans leur Auguste Mere,
 Et je peindray tout à la fois
LOUIS un grand Heros, LOUIS un heureux Pere,
LOUIS le plus puissant & le meilleur des Rois.
***
Ainsi le Grand LOUIS remplira cette place
 Sous un caractere si beau,
 Qu’Auguste a mesme en son Tableau
Des Sceptres à ses pieds qu’il faut que j’en efface.
 Par là je voulois dessigner
Combien il surpassoit tous ceux qu’on voit regner ;
Mais c’est à LOUIS seul que ces marques sont deuës.
 Tu prévoyois un sort pareil,
Quand par ton ordre, Auguste, on fondit tes Statuës,
Afin d’en enrichir le Temple du Soleil.

[Détail des Ceremonies observées le jour que l'on consacra l'Eglise Paroissiale de Versailles, avec la Description de cette nouvelle Eglise, & du Bastiment des Prestres de la Mission] §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 13-22

 

Ce que j'ay à vous dire de nouveau regarde la Paroisse de Versailles que ce Prince a fait élever à ses dépens ; en sorte que par les soins qu'il apris d'en faire fournir les fond nécessaires, ce grand Ouvrage, si digne de celuy qui l'a fait construire, a esté commençé & achevé en deux années, aussi-bien que les beaux & grands logemens des Prestres de la Mission qui doivent desservir l'Eglise. Toutes choses ayant esté mise en estat pour la consacrer, Mr l'Archevesque de Paris donna permission le 26 Octobre dernier à Mr l'Evesque de Bethlèem d'en faire toutes les Cérémonies. Le jour en fut indiqué le lendemain Dimanche au Prosne de la grande Messe, pour le Mercredy 30 du mesme mois. Le Lundi 28 Mr l'Evesque se rendit à Versailles accompagnez de Mrs les Abbez de la Mothe & de la Roche, l'un Archidiacre, & l'autre Chanoine de Nostre-Dame de Paris, tant pour observer le Jeune qui avoit esté ordonné pour le jour suivant, à tous les paroissiens de cette nouvelle Eglise, que pour faire dès la veille toutes choses prescrites par le Pontifical. Le 30 la Cérémonie fut annoncée au Peuple à quatre heures du matin par le son des Cloches, & elle commença sur les sept heures en cette manière. Mr l'Evesque de Bethléem s'estant rendu à l'ancienne Eglise Paroissiale, y prit les Habits Pontificaux, & précédé de plus de quarante Prestres de la Mission, & de Mr Jolly leur Général, outre plusieurs Curez des environs, il en sortit processionnellement, ayant toûjours près de luy Mr l'Abbé de la Mothe [...] Il y laissa les Reliques qu'on y avoit déposé le jour précédent & après que l'on eut fait l'Eau-bénite à la porte de la nouvelle Eglise, on fit en dehors les Aspertions tout autour jusqu'à trois fois avec les Prières propres pour une pareille Cérémonie. En suite on reïtera en dedans les mesmes Prières, & les mesmes Aspersions avec l'Alphabet Grec & Latin que Mr l'Evesque écrivit avec le bout de sa Crosse sur la cendre que l'on avoit répanduë en croix sur le pavé ; & après beaucoup de Prières, d'Aspersion & d'Encensemens faits sept fois autour de l'Autel qui devoit estre consacré, on retourna à l'ancienne Eglise prendre les Reliques de Saint Julien & de Saint Jucombe Martirs, qui en estoient les Patrons, & on les porta en Procession autour de la nouvelle. Avant que d'y entrer, Mr l'Evesque se mit sur un Fauteüil à la Porte, & fit un fort beau Discours sur cette Cérémonie. Il le finit par les loüanges du Roy [...] Après cela on rentra dans l'Eglise, où les Reliques furent enfermées dans le Sépulcral de l'Autel, avec une pierre que Mr l'Evesque scella à la chaux & au sable. La Consécration ou Dédicasse fut faite sous l'Invocation de la Vierge [...] & après d'autres Cérémonies ausquelles Mr Bontemps fut toûjours présent, l'on retourna encore une fois à l'ancienne Eglise d'où l'on apporta le Saint Sacrement sous un magnifique Dais. Les Rües estoient tenduës de tapisseries de la Couronne, & les Récolets précédèrent le Clergé Séculier à cette Procession, à laquelle tous les Confrères du Saint Sacrement assistèrent avec un Cierge blanc à la main. Madame la Maréchale de la Mothe & quantité d'autres personnes s'y trouvèrent, aussi bien qu'à la Messe qui fut chantée Pontificalement par Mr l'Evesque de Bethlèem, revestu des ornemens précieux que le Roy a donnez à cette Eglise. [...] La Cérémonie ne finit qu'à deux heures après midy. [...]

[Suit la description de l'architecture de l'église]

[Devises] §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 29-31

Mr Magnin, toûjours remply d’admiration pour les grandes choses que fait le Roy, continuë à marquer son zele par ses Ouvrages. Voicy trois Devises avec un Sonnet de sa façon, qui meritent bien d’avoir place icy. Le corps de chaque Devise est le Soleil. La premiere a ces mots pour ame, Videt & regit omnia solus.

 Il remplit de sa lumiere
Le Monde de bout en bout ;
Seul du haut de sa carriere
Il voit tout & regit tout.

La seconde, Formâ, virtute, nomine magnus.

LOUIS dans sa pompeuse & brillante carriere
 Est comme le Soleil ;
En charmes, en vertus, en grandeur, en lumiere
 Il n’a point de pareil.

La troisiéme, Et spes & gloira rerum.

 A mille corps divers
Une heureuse influence
Fait sentir sa puissance ;
Il est de l’Univers
La gloire & l’esperance.

Louis le Grand. Sonnet §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 31-33

LOUIS LE GRAND.
SONNET.

Les loüanges qu’on donne aux Testes couronnées,
Tandis que le Heros que l’on loüe est vivant,
Passent pour un Encens mercenaire, & souvent
Ce n’est pas sans raison qu’elles sont soupçonnées.
***
Mais celles qu’à mon Roy j’ay mille fois données,
Ne viennent point d’un charme & feint & decevant ;
Non, l’Univers jamais n’a rien veu de si grand,
Rien qui puisse égaler ses belles destinées.
***
Si quelqu’un contredit à cette verité,
Qu’il parcoure avec moy toute l’Antiquité,
J’y trouveray dequoy l’instruire, ce me semble.
***
Car parmy tant de Rois qui sont évanoüis,
Qu’il joigne tous les temps les plus heureux ensemble,
Il n’en formera pas le Regne de LOUIS.

[Madrigal] §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 38-39

Je ne sçay si vous avez entendu parler d’un petit Nain, qui a fait icy plus de bruit que le plus grand homme. Il a trente-cinq ans avec une Moustache d’un doigt, & n’a que quatorze pouces de hauteur. Il est de Bretagne, & a esté envoyé à Sa Majesté par Mr de Lavardin, Lieutenant de Roy de cette Province. C’est ce qui a donné lieu au Madrigal que je vous envoye. On y fait parler le Nain.

Non, je ne me plains point de ce que la Nature
 M’a fait de petite structure,
C’est un bonheur pour moy qui par tout retentit.
 Je n’aurois pas la gloire sans seconde
 D’estre au plus grand Homme du Monde,
  Si je n’estois le plus petit.

Rien n’est plus juste & plus agreable que ce Madrigal. Aussi a t’il receu plus d’applaudissement que l’on n’en donne souvent a de grands Ouvrages.

Il est de Mr Vignier, ainsi que la Lettre que vous allez lire.

[Histoire] §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 39-53

Vous y trouverez une Avanture fort singuliere dont je vous puis garantir la verité, puisqu’il veut bien que je vous l’envoye, non seulement sous son nom, mais encore de la maniere qu’il l’a écrite. Quoy qu’il n’y ait rien dans cette Avanture qui puisse choquer personne, & que la Nature soit seule à blasmer, je ne vous l’envoyerois pas, si les choses qui ont esté plaidées à l’Audience d’un Parlement, pouvoient ne pas devenir publiques.

A Mr LE BARON DE C***

Puisque malgré tant de belles resolutions la tentation enfin vous a pris de vous marier, ne vous laissez pas tant aveugler par vostre passion que vous en soyez la dupe. J’avois cru jusqu’à present que quand il estoit question de choisir une Femme riche & bien faite, il suffisoit de prendre garde à sa teste ; mais aujourd’huy je vous dis qu’il faut mesme prendre garde à ses pieds, pour ne pas tomber dans l’inconvenient de ce Gentilhomme de Bourgogne, qui pour n’avoir pas eu ce soin voulut ces jours passez faire casser son Mariage. C’est un homme fort riche, & qui fait ordinairement sa demeure à la Campagne proche de Dijon. Quelques-uns de ses Amis estant venus luy rendre visite, il leur proposa d’aller voir une fort belle Maison à trois lieuës de la sienne, & où il n’avoit jamais esté. Une Veuve en estoit Fermiere. Son Mary luy avoit laissé en mourant de grands Biens & deux fort belles Filles, mais la beauté de la Cadette l’emportoit sur celle de l’Aisnée. La Dame receut ces Messieurs fort honnestement, leur fit voir tous les Appartemens du Chasteau, les Avenuës & les Jurdins. Elle avoit donné l’ordre à ses deux Filles de tenir la Collation preste, de sorte qu’au retour de la Promenade la Compagnie trouva une Table proprement couverte des plus excellens fruits de la Saison. On se rangea autour sans ceremonie, mais les deux Filles voulurent se retirer. Ces Messieurs coururent aprés, & dirent à la Mere qu’ils s’en iroient si elles ne s’y mettoient pas. Elles se mirent donc à table & en firent les honneurs ; & la Cadette particulierement les faisoit de si bonne grace, que nostre Gentilhomme songeoit bien moins à manger qu’à la regarder, ou plûtost à l’admirer, & si ses gens ne l’eussent averty qu’il avoit trois lieuës à faire & que la nuit approchoit, il n’auroit pas pensé à remener sa Troupe chez luy. Je vous laisse à juger, Monsieur, tout ce qui fut dit par le chemin en faveur de ces deux Belles, & l’estat où le cœur de nostre Amant se trouva quand le lendemain ses Amis luy eurent dit adieu. Ce fut avec peine qu’il attendit jusqu’au jour suivant à retourner voir ce qui l’avoit déja jetté dans des inquietudes extraordinaires. Il feignit de faire un Voyage plus éloigné, afin de passer chez la Veuve. Lors qu’il en fut proche il rencontra heureusement celle qu’il cherchoit au bout d’une grande Allée, jusqu’où elle avoit conduit sa Mere qui estoit allée à quelque Métairie voisine. Cette aimable Fille ne fut point déconcertée de sa rencontre, & il trouva tant de sagesse, tant d’esprit, & tant d’agrément dans toutes ses réponses, qu’il s’en retourna dans la resolution de la demander en Mariage. Cette proposition surprit la Fermiere. Elle crut d’abord que c’estoit un railleur ; mais comme sa demande estoit accompagnée de sermens pour luy persuader qu’il parloit serieusement, elle fit ses efforts pour luy donner le change, & luy representa qu’il estoit juste que l’Aisnée passast devant sa Cadette, & qu’elle luy feroit tous les avantages possibles pour reconnoistre l’honneur qu’il faisoit à sa Famille ; mais il fallut ceder aux raisons & à l’inclination de l’Amant, qui d’ailleurs estoit un Party trop considerable pour le refuser. La Fille qui n’avoit rien oublié pour le détourner de penser à elle, luy avoüa enfin qu’elle seroit la plus ingrate personne du monde, si elle n’estoit pas touchée d’une aussi forte passion que celle qu’il luy témoignoit, & le supplia de croire que le refus d’une aussi grande fortune que celle qui se presentoit en sa personne, ne provenoit que d’un défaut qu’elle avoit, & qu’elle ne pouvoit vaincre. Le Gentilhomme la conjura de s’expliquer davantage, & luy fit mille protestations de l’aimer passionnément, quelque grand que pust estre ce défaut qui se vouloit opposer à son amour. Puisque vous le voulez sçavoir, dit-elle, avec un vermillon qui donnoit un nouvel éclat à sa beauté, je vous diray, Monsieur, que la Nature m’a donné une telle aversion pour les pieds nuds, que je ne puis mesme souffrir la veuë des miens ; c’est pourquoy si vous desirez sincerement que j’aye l’honneur d’estre vostre Femme, il faut que vous me prometiez de coucher toute vostre vie chaussé, & de trouver bon que i’en fasse de mesme. Quoy que cela fust capable de faire resver un homme, il ne hesita pas un moment à le luy promettre, & elle eut suiet d’estre contente des assurances qu’il luy en donna. Ainsi peu de temps aprés on passa le Contract de Mariage, par lequel il luy fit tous les avantages que la Coûtume permet. La nuit tant desirée arriva. Le Gentilhomme & la Demoiselle se mirent au lit, chaussez l’un & l’autre, & l’on ne vit jamais de Mariez plus contens qu’ils le parurent le lendemain au matin. Ce bonheur dura plusieurs années, mais il arriva qu’un jour ce Gentilhomme fit une Partie de Chasse où il fut blessé. On le reporta chez luy tout sanglant, ce qui saisit tellement sa Femme qui l’aimoit fort tendrement, qu’elle s’évanoüit. On fit tout ce que l’on pût pour la soulager, mais il fallut en venir à une Saignée du pied qui découvrit le mystere qu’elle avoit caché avec tant de soin. On luy trouva des pieds & des jambes de Chevre, dont le Mary conçeut une telle horreur, que dans cet instant il eut autant de haine pour elle qu’il avoit eu d’amour. Il la fit oster de sa presence, & ne put souffrir depuis ce temps-là qu’elle parust devant luy. Il presenta ensuite Requeste à Messieurs du Parlement de Dijon pour faire casser son Mariage, alleguant qu’il avoit épousé un Monstre plûtost qu’une Femme. Surquoy les Parties appellées l’Avocat de la Dame parla le premier. D’abord il fit voir qu’une si grande défectuosité n’avoit point d’autre cause que l’imagination de sa Mere, qui se voyant grosse d’elle, s’avisa de faire alaiter sa Sœur aisnée par une Chévre, dont elle avoit soin de tenir les pieds de peur d’accident ; & il dit ensuite des choses si fortes & si touchantes en faveur de la Dame, que toute l’Audience en fut émeuë. Le Gentilhomme mesme n’y pût resister ; il en fut attendry, & comme il portoit incessamment ses regards sur celle qu’il avoit aimée avec tant de passion, ses beaux yeux, quoy que languissans, ayant penetré son cœur, il repassa tout d’un coup de la haine à la tendresse, en sorte qu’il défendit à son Avocat de répondre. La Cour sur cela rendit son Arrest, & renvoya les Parties hors de Cour & de Procés. Le Gentilhomme plus amoureux que jamais conjura sa Femme d’oublier ses foiblesses & de retourner chez luy ; mais elle n’en a voulu rien faire jusqu’à present. On croit que la Cour rendra un second Arrest qui portera, que ceux qui se marieront à l’avenir, ne coucheront point avec leurs Femmes qu’ils ne les ayent fait déchausser, & qu’ils ne leur ayent fait laver les pieds devant eux, de peur qu’on ne leur lave la teste à eux mesmes. Je suis, Monsieur, Vostre, &c.

La Pinçonne. Fable §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 58-69

Le grand nombre de Conquestes est quelque chose de doux pour la vanité des Belles, mais c’est bien souvent un avantage dont la suite est dangereuse, & en voulant trop avoir, il est à craindre qu’on ne garde rien. L’Avanture que vous trouverez sous des noms d’Oiseaux dans la Fable que je vous envoye, est un exemple sur lequel on pourra faire d’utiles reflexions.

LA PINÇONNE.
FABLE.

Pour l’incertain abandonner le seur
Est, à mon sens, trait de peu de sagesse,
C’est en un mot, n’avoir pas l’esprit meur,
C’est s’oublier, & n’avoir pas d’adresse.
Gens sont assez qui manquent en ce point,
Et sottement donnent dans l’apparence,
Si dans ce cas ils ont peu de prudence,
C’est-là le fait, & je n’en doute point.
Si l’ignorez, jadis en une Fable
Par maints beaux dits Esope le prouva ;
Mais en ce jour Histoire veritable
Sous noms d’Oyseaux, surprenante, agreable,
Vous l’apprendra. Voicy comme il en va.
***
 Dans une Voliere charmante
 Fut une Pinçonne fringante,
Belle causeuse, & qui n’ignoroit rien,
Pleine d’esprit, de maniere engageante,
 Au reste, Pinçonne de bien,
 Et qui parloit Italien
 Comme sa Langue naturelle.
 Enfin tout ce qu’il faut avoir
 Pour estre parfaitement belle,
Elle l’avoit, & qui pouvoit la voir,
Incontinent estoit amoureux d’elle.
Moult en estoit, mais un tres-facheux cas
Desesperoit ; elle estoit infidelle
 Autant que fut jamais femelle,
Faisant tout son plaisir, quand on goûtoit l’appas
 De certains tours fins de prunelle,
D’inspirer de l’amour, & de n’en garder pas.
De ses Amans grande estoit la sequelle.
 On y voyoit un Perroquet
 Plein de sçavoir & de caquet,
 Beau diseur, conteur de fleurette,
Mais de son Bien le calcul trop tost fait
 N’avançoit pas son amourette ;
Il faut du Bien, prou d’écus font effet.
 Ce n’est pas pourtant que le drole
Par beau maintien, & par belle parole,
 N’eust tant soit peu gagné son cœur.
 Mais quoy, tout change, & par malheur
 Changeante estoit nostre mignonne ;
 D’ailleurs assez bonne personne.
Ce changement l’avoit fait enrager,
Pester, crier, il vouloit se vanger,
Mais comme enfin de tout on se console,
Aussi s’en consola l’avisé Perroquet,
 Et tout homme sage ainsi fait.
 Depuis l’Oyseau joüa son rolle,
En Oyseau sage, & de bon jugement.
Prés de Pinçonne estoit encor un autre Amant.
C’estoit maistre Butor, de tous le moins charmant,
Aussi jadis aimé, mais pour qui l’inconstante
 Estoit alors assez indifferente,
 Lors qu’un Pinçon de maniere éclatante,
La voyant un beau jour, d’elle s’amouracha,
 Ny peu ny prou ne la facha.
Il estoit beau, bien fait, avoit une Escareille
Pleine d’écus, item fort grande Kyrtelle
De belles qualitez, plus estoit de Maison,
Avoit l’esprit tourné de la bonne façon,
Somme toute, il estoit avenant pour la Belle.
 Tous deux en assez peu de temps
 L’un de l’autre furent contens ;
 Ils se marquoient une tendresse extrême ;
 Si l’un juroit d’aimer toûjours,
 L’autre aussitost faisoit de mesme
 Et promettoit d’éternelles amours
Eloignez, ils souffroient avec impatience,
Ce n’estoit que sanglots, que larmes, que soûpirs ;
 Se revoyant ce n’estoit que plaisirs.
  Tous deux avoient mille desirs ;
Pour deviner sur quoy n’est besoin de science.
  Pendant ce temps un autre Oyseau
En donnant au Pinçon de jalouses alarmes,
  De cet Amour si plein de charmes
  Mal à propos vint creuser le tombeau.
Un certain Rossignol de noble parentage,
 Le mieux renté des Oiseaux du boccage,
Ayant veu par hazard Pinçonne, en fut épris ;
 Il la choisit pour sa Cloris,
 Mit tout son sçavoir en usage,
 Pour luy donner l’amour qu’il avoit pris.
  Pas n’y faillit ; l’éclat de sa naissance,
 D’un gros bien la belle apparence
 Estoient d’assez puissans attraits,
 Outre mille autres galans traits
 Dont il sçavoit assaisonner la chose,
Il en avoit croqué plus d’une à moins de frais.
C’estoit un maistre Sire, en Vers ainsi qu’en Prose
 Il l’emportoit, il estoit écouté,
 S’il parloit, c’estoit un Oracle,
 S’il faisoit, c’estoit un miracle,
 Pinçonne en luy ne trouvoit que beauté.
Aussi rien n’épargnoit pour attendrir son ame,
Par mille empressemens il luy marquoit sa flâme,
Sans cesse il soupiroit, pleuroit mesme souvent,
 Afin de la rendre plus douce.
 Mais en amour quelques soupirs qu’on pousse,
 Autant en emporte le vent.
Pinçonne cependant payoit de complaisance
 Les petits soins de son nouvel Amant,
 Et pleine de reconnoissance
 Luy marquoit son ressentiment.
Pour luy d’abord on conceut de l’estime,
De là sans y penser on vint à l’amitié ;
 Ensuite l’on se fit un crime
 De ne le payer qu’à moitié.
 Il falloit plus ; un Rossignol si tendre,
Meritoit bien pour luy que l’on prist de l’amour,
 Pinçonne ne s’en pût deffendre,
 Le Galant sçavoit plus d’un tour
 Pour la contraindre de se rendre.
Pinçon eut beau pleurer & demander raison,
  Pinçonne fut sourde à Pinçon ;
 De Rossignol elle estoit trop éprise.
  Chaque Oyseau se scandalise
  De ce cruel changement,
  Mais l’ingrate fit serment
  De n’en faire qu’à sa guise.
 Qu’arriva-t-il ? Le Pinçon desolé,
  Aprés avoir crié, parlé,
  Maudit Pinçonne & sa Maignie,
Par nostre Perroquet à la fin consolé,
  Traita son amour de manie,
  Resolut de changer de vie,
 Et de chercher dans une autre Beauté
 Plus de constance & de fidelité.
***
 Une Linote sincere
 Dont il devint amoureux,
 Le rendit bien-tost heureux.
 Elle estoit faite pour plaire,
 Comptoit parmy ses Ayeux
 Les Oyseaux les plus fameux ;
 Tout conspiroit pour leur joye,
 Et les jours de ces Amans
 Sans soucis & sans tourmens
 Paroissoient filez de soye.
 Il n’en estoit pas ainsi
 Des jours que passoit Pinçonne ;
 L’Amant d’abord si transi
 En peu de temps l’abandonne.
 Du nom d’Epoux point n’estoit entesté ;
Outre plus, en Pinçonne il ne trouvoit finance
  Convenable à sa qualité,
  Et sans écus une Beauté
  Ne merite pas qu’on y pense.
 Rossignol en faisant une infidelité,
  Fit voir à la Belle volage
  Qu’elle eust esté cent fois plus sage,
  Si son cœur satisfait d’un tendre empressement
  Eust conservé Pinçon pour son Amant,
  Sans en demander davantage.

[Madrigal]* §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 70

On ne m’a point dit le nom de l’Auteur de cette Fable. Je sçay seulement qu’il est de Troyes, & qu’en l’envoyant à Mademoiselle C… il l’accompagna de ce Madrigal.

 Si la Belle dont il s’agit
 Avoit eu vos yeux, vostre esprit,
Et mille qualitez qu’en vous chacun admire,
 Pinçon malgré son changement,
 Quelque chose qu’on eust pû dire,
N’auroit jamais cessé de l’aimer un moment.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 70-72.

Voicy un Air de Mr l'Abbé, de qui vous connoissez le Genie par ceux que je vous ay envoyez de sa composition avant qu'il fust étably à Roüen, où on l'a fait venir de Caën comme un homme rare, & qui passe pour un des plus habiles Musiciens du Royaume, non seulement pour l'Art de composer, mais aussi pour la belle métode du Chant, qu'il enseigne à tout ce qu'il y a de Personnes de qualité dans la Ville.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Ma douleur est extrème, doit regarder la page 72.
Ma douleur est extrême,
Je ne puis le celer,
En perdant ce que j'aime
Comment me consoler ?
Mon mal est sans remède, il faut perdre la vie,
Mourons, mais du regret d'avoir perdu Silvie.
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[Réjoüissances faites au Havre de Grace] §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 72-85

 

Comme toutes les choses dont la cause est bonne & l'effet agréable, doivent toûjours estre estimées, quoy qu'arrivées entre des particuliers, sur tout lorsqu'ils sont d'une qualité qui les distingue, je croy que je puis vous faire sçavoir ce qui s'est passé au Havre de Grâce la veille & le jour de S Martin. La parfaite santé dont le Roy joüissoit à Fontainebleau, & le souvenir encore récent de la naissance de Monseigneur le Duc de Berry ayant disposé tous les esprits à la joye, Mr le Duc de Saint Aignan, qui se trouve dans son Gouvernement, & dans la Ville du Havre, où il ne s'estoit encore rien fait d'assez éclatant pour célébrer ces deux Festes, & marquer le zèle qu'il sçait si bien inspirer dans le coeur des Peuples, sur tout ce qui regarde Sa Majesté, donna un disner la veille de la S Martin à Mr de Montmor, Intendant géneral de la Marine de la Province de Normandie, que la délicatesse, l'abondance, & la propreté de la table qu'il tient ordinairement au Havre, ne rendirent pas moins délicieux, que la Compagnie de Cavaliers & de Dames qui s'y rencontra. Le reste du jour fut employé en Concerts, promenades, & autres divertissemens, qui ne manquèrent point dans la Maison de ce Duc. Le lendemain jour de la S. Martin, ce Gouverneur accompagné de Madame la Duchesse de S Aignan, & d'une suite nombreuse de Gentilshommes, d'Officiers & de Dames des plus qualifiées de la Province, s'estant rendu sur les cinq heures du soir chez Mr de Montmor, où il estoit prié de souper, fut receu au son des Tambours, Trompettes, Timbales, & d'un grand bruit d'artillerie, par cinquante à soixante Officiers de la Marine lestement vestus, qui l'attendoient dans la Place qui est vis à vis de la Maison de Mr de Montmor, où il vit avec une surprise agréable une très belle Illumination qui éclairoit toute la façade du logis. [...] Le bruit des Trompettes & des Tambours céda à un Simphonie charmante qui estoit dans un Salon, d'où toute la Compagnie a esté conduite dans un Apartement richement meublé, elle trouva dans une des Salles un Théâtre dont les décorations estoitent d'Azur semées de Fleurs de Lys. On y représenta une Comédie. Les Dances qui suivirent furent accompagnées de Concerts meslez de Simphonie qui durèrent prés de deux heures, après quoy on descendit dans une Salle très parée & fort éclairée, où estoit un Dais sous lequel on avoit mis le Portrait du Roy, & où se trouva un magnifique Buffet à deux Tables. [...] Il y eut pendant le Soupé une Simphonie de Flûtes & de Violons très agréable. Elle fut interrompuë par les Timbales & les Trompettes qu'on entendoit lorsqu'on beuvoit les Santez. Le Soupé ne fut pas plûtost finy, qu'on présenta à Madame de S. Aignan une Lance à feu avec laquelle elle alluma un Dragon par la fenestre de la Salle. Ce Dragon alla embraser un Feu d'artifice qui estoit dans la court, & après ce premier spectacle, on monta en haut pour voir le Feu d'artifice qui estoit préparé sur la Place vis à vis de la Maison de Mr de Montmor, où le Peuple attendoit patiemment en se désalterant à des Fontaines de vin qui estoient aux costez de la face du logis, & en dançant au bruit de mille cris de joye. Rien n'estoit mieux imaginé que ce Feu, dont les ornements & le dessein estoient sur les Victoires du Roy, & particulièrement sur l'Extirpation des l'Hérésie. La Religion, la Victoire, & la Renommée paroissoient en l'air tenant un Enfant couronné, dont le Maillot estoit semé de Fleurs de Lys, qu'ils élevoient à un Soleil fort brillant, en luy montrant plusieurs actions mémorables de LOUIS LE GRAND. Elles faisoient la Décoration de ce feu avec plusieurs Anges, dont les Epées flamboyantes chassoient l'Hérésie & tous les Vices. Le Bal commença ensuite. Il y eut plusieurs Entrées de Masques très galantes ; on y fit mesme des Sauts périlleux, & plusieurs jeunes gens de la Ville pour divertir cet Illustre Gouverneur qui estoit vestu très sobrement, dansèrent des Danses qui sont ordinaires sur les Ports de Mer & qui luy parurent très divertissantes. On y distribua en abondance toutes sortes de liqueurs, & tous ces plaisirs qui avoient commencé à cinq heures, ne finirent qu'après minuit. [...] Tous ces divertissemens estant finis, [le duc de Saint Aignan] fut conduit dans la Citadelle avec les Trompettes & les Tambours qui se mesloient aux cris de Joye, & de Vive le Roy que tout le Peuple poussoit, & qui sont les honneurs qu'on rend sur les Vaisseaux de Sa Majesté

L’Age d’aimer §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 85-86

Quoy qu’on se mesle d’aimer à tout âge, ce n’est pas du consentement de l’Amour, si l’on en doit croire ce Madrigal.

L’AGE D’AIMER.

On dit que les Graces un jour
S’entretenant avec l’Amour,
Vinrent à discourir de l’âge
De ceux qui sont receus à composer sa Cour.
 Chacune en tint divers langage,
 Surquoy Cupidon à son tour
 Fit cette réponse tres-sage.
 O cheres Graces, nous disons
Que passé quarante ans tout Amant qui soûpire
 Doit estre mis aux Petites Maisons,
Et que pour les Beautez de nostre vaste Empire,
 Malgré les Diseurs de Phebus,
 Et les Amateurs de grimaces,
Six Lustres écoulez elles ne doivent plus
 Sinon regenter dans nos Classes.

[Question galante avec la réponse] §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 86-88

Les belles Personnes ont un privilege particulier pour estre de cette galante Cour, mais elles y font rarement fracas si leur beauté n’est accompagnée des agrémens de l’esprit. Ainsi je ne doute point que vous ne soyez du sentiment de celuy qui a décidé une Question que vous aurez sans doute oüy souvent proposer, & qui a esté faite encore depuis peu dans les termes que je vous l’envoye.

Demande.

Si vous aviez dessein d’aimer,
Qui pourroit plûtost vous charmer,
Ou la Sotte qui seroit belle,
Ou la Laide spirituelle ?

Response.

 La Bestise est un Monstre affreux
 Qui fait tout paroistre hideux,
Ce qu’on en voit atteint n’a rien qui ne déplaise,
Et je dis hardiment de bouche & par écrit,
 Qu’un laid Objet remply d’esprit
Me charmeroit plûtost qu’une Beauté niaise.

La belle Sotte §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 88-91

Celuy qui a fait cette réponse a rendu raison de son sentiment par ces autres Vers que vous trouverez d’une Muse aisée.

LA BELLE SOTTE.

 Je vous aimerois bien, Aminte,
 Mais s’il faut vous parler sans feinte,
La beauté sans l’esprit ne sçauroit me charmer,
Malgré tous vos attraits, Sotte comme vous estes,
Je soûtiens que sans crime on ne peut vous aimer,
 Si c’en est un d’aimer les Bestes
***
 Vous me direz, belle Niaise,
 Que ce n’est pas l’esprit qu’on baise,
Mais c’est là raisonner fort bestialement ;
Un Corps inanimé ne cause point de flâme,
Et vos meilleurs Amis confessent hautement,
 Que vous estes un corps sans ame.
***
 La passion n’est point émeuë
 Par la beauté d’une Statuë,
Fust-elle de la main du Docte Phidias.
Comme on ne peut aimer des charmes en peinture,
Vous n’estes point, Aminte, un Objet plein d’appas,
 Vous n’en estes que la figure.
***
 Il n’est plus de Culte Idolâtre.
 Une Divinité de plâtre
Parmy nous aujourd’huy n’a plus d’Adorateurs ;
Vous pretendez en vain que chacun vous cajole,
On ne peut vous donner ny d’encens ny de cœurs,
 Puisqu’on ne souffre plus d’Idole.
***
 Vive la Belle Ingenieuse,
 Dont la Grace victorieuse
Gagne tout par sa veuë & par ce qu’elle dit.
Ce sont les qualitez de ma chere Corine,
Dont la beauté m’enchante, & l’esprit me ravit,
 Mais dont la rigueur m’assassine.

[Histoire] §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 153-167

Je croy, Madame, que ny vous, ny vos amis de Province, ne pourrez donner aucun éclaircissement sur un Billet qui m’a esté adressé. Cependant on me prie de l’employer dans ma Lettre de ce mois, pour voir si par ce moyen, un jeune homme qui est aujourd’huy dans une tres grande inquietude, ne pourra point sortir d’embaras. Comme vous avez souffert que toutes mes Lettres devinssent publiques, on espere que celle-cy tombera entre les mains des personnes, qui jusqu’à present ont pris interest à l’estat d’un malheureux qui ne s’est jamais connu. L’avanture est singuliere. Voicy le fait dans toutes ses circonstances. Il y a dix neuf ou vingt ans que des hommes & des femmes qui paroissoient estre de qualité, tant par leurs manieres que par l’équipage d’un Carosse à six Chevaux, arriverent à Falaise, Ville de Normandie à sept lieuës de Caën. Ils amenoient un Enfans âgé de six mois, qu’ils mirent entre les mains de la Femme du Sr Guillaume Vinquenelle, Marchand Drapier dans le Fauxbourg apellé Valdente, la priant de vouloir bien prendre soin de le nourrir & de l’élever. Cette Marchande leur dit qu’elle n’avoit plus de lait, & ils repondirent que l’Enfant n’ayant jamais teté, il suffiroit qu’on luy donnât du lait chaud de vache, comme il en avoit toûjours pris depuis qu’il estoit au monde Il ajoûterent qu’il s’apelloit Jaques du Plessis, & aprés luy avoir laissé de l’argent & toutes les choses qui luy pouvoient estre necessaires dans un si bas âge, ils s’en retournerent, l’asseurant qu’elle auroit souvent de leurs nouvelles. En effet un Religieux de l’Abbaye du Val qui est à vingt lieuës de Falaise, venoit tous les mois payer la pension de l’Enfant, recommandoit toujours qu’on en eust grand soin, & fournissoit à son entretien avec abondance. Il ne le laissoit manquer d’aucune chose, & pendant dix ans qu’il demeura dans cette maison, il le fit toûjours vestir en Enfant de qualité. Ce Religieux mourut & apparemment il trouva moyen de se décharger avant sa mort du secret qui luy avoit esté confié, puisqu’aussi-tost un autre Religieux prit soin de l’Enfant. Ce dernier qui estoit du petit S. Antoine de Paris & s’apelloit le Pere Coton, le fit venir de Falaise dans la Voiture publique, & le mit d’abord chez Madame Gadois, qui tient Auberge à la Perle ruë des Noyers, où il le laissa un an. En suite il le fit loger chez une Veufve d’une grande pieté nommée Madame le Fevre qui demeure ruë Sainte Avoye, proche Mr le President de Mesme. Il luy payoit pension pour le jeune du Plessis, qu’il entretenoit fort proprement comme un Enfant de naissance. Il luy faisoit apprendre à écrire, & à faire des Armes, & disoit toûjours que quand il croit un peu plus avancé en âge, il luy feroit avoir de l’employ dans les Troupes de sa Majesté. Les Armes estoient un exercice qui flatoit fort ce jeune homme, & l’inclination qu’il marquoit pour tout ce qui pouvoit regarder la Guerre, persuadoit aisément qu’il estoit né pour cette profession. Pendant qu’il estoit chez cette Veuve il eut une dangereuse maladie. On ne sçauroit exprimer avec quelle ardeur, & avec combien de soins le Pere Cotton le fit secourir. Medecins, remedes, rien ne luy fut épargné. Il estoit sans cesse auprés de luy, & un Laquais sans livrée venoit tous les jours sçavoir en quel estat estoit le malade. Sa grande jeunesse le tira d’affaire, & le Laquais inconnu ne revint plus. Six ou sept ans se passerent, & aprés ce temps, lorsqu’il pressoit pour l’employ qu’on luy faisoit esperer sans luy vouloir découvrir le secret de sa naissance, le Pere Cotton fut appellé pour confesser un Malade à la Charité des hommes. Il y fut surpris tout à coup d’Apoplexie, & ayant d’abord perdu la parole, il ne revint point de cet accident. Vous pouvez juger combien ce jeune homme sentit vivement la mort de ce bon Religieux. Quelque affliction qu’elle luy causast, il se consola par l’esperance qu’il eut que ceux qui l’ont mis au monde continuëroient à luy faire donner du secours, au moins par le ministere de quelque autre personne charitable, s’ils ne le vouloient pas secourir par eux mesmes. Ainsi il a attendu une année entiere sans découvrir à personne l’estat malheureux où il se trouve, mais ne recevant aucun adoucissement dans son malheur, aprés tant de soins qu’on a eus de luy depuis dix-neuf ans, il croit que ceux qui ont bien voulu prendre interest a sa fortune pendant un si grand nombre d’années, sont en peine eux-mêmes de ce qu’il est devenu, & par le Billet qu’il m’a fait rendre, il me prie de leur declarer dans cette Lettre, si par hazard elle tombe entre leurs mains, qu’ils sçauront de ses nouvelles en s’adressant au Pere Jerôme de Monceaux Capucin de la ruë S. Honoré, qui gardera le secret aussi inviolable que celuy de la Confession, à ceux qui viendront luy parler de cette affaire. On sçait qu’il est le Refuge des pecheurs, & des affligez, & que sa vertu & sa probité répondent pour luy, qu’on ne court aucun peril à luy confier les plus importans secrets. J’ay sceu de ce Pere, car je n’ay voulu parler de cette avanture qu’aprés luy avoir fait voir le Bille que j’ay receu, que ce qui inquiete le plus ce jeune homme, c’est de n’estre pas certain s’il a receu le Batême. Comme il a toûjours esté entre les mains de Religieux, il s’est reposé sur eux de toutes choses, & n’a point songé à le demander. Ce scrupule le tourmente, & si on ne luy donne au plûtost quelque éclaircissement là dessus, il est resolu de se faire baptiser sous condition. Ceux à qui il appartient, qui ne peuvent estre que des gens de qualité, sont d’autant plus obligez à le tirer de la misere où il est, qu’il est tres digne du secours qu’il leur demande. Voicy le portrait que m’en a fait le Pere de Monceaux. Il a la taille tres belle, le visage fort agreable, & un certain air de grandeur, qui malgré la necessité qu’il soufre presentement, fait éclater dans son port, dans sa démarche, & dans toute ses manieres, je ne sçay quoy qui est beaucoup au dessus de sa fortune. Les qualitez de son ame accompagnent avec avantage cet heureux exterieur. Il est doux, affable, honneste & civil, & n’a aucun des defauts d’une infinité de gens de son âge. Sur tout, il se sent le cœur si bien placé, que pour ne pas faire affront à son Pere & à sa Mere, il a mieux aimé jusqu’à present se voir denué de toutes choses, que de chercher du soulagement en se mettant en service. Je souhaite que l’avis que je donne icy de son malheur luy soit utile, & qu’il produise l’effet qu’il y a sujet d’en esperer.

[Vers sur le nom du Cardinal Ranuzzi]* §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 230-231

C’est ce qui a donné lieu à ces quatre Vers qui ont esté mis au dessous d’un de ses Portraits, par allusion au nom d’Ange que porte ce Cardinal.

Comme un Ange autrefois pour le salut de l’homme
 Fut envoyé des Cieux,
Cet Ange que tu vois est envoyé de Rome
 Pour la paix de ces lieux.

[Ouverture du Parlement] §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 235-253

Vous sçavez, Madame, que tous les ans le lendemain de la S. Martin, le Parlement se trouve en Robes rouges avec les Presidens au Mortier en teste dans la grande Salle du Palais, c’est à dire dans la Salle des Marchands, dans laquelle il y a une Chapelle. Tout le costé que cet auguste Senat occupe & qui est celuy de la Chapelle, est tapissé, & gardé par les Archers de Ville. La Messe se chante en Musique, & elle est toûjours celebrée par un Evesque, qui en est prié quelques jours auparavant, de la part du Parlement. La Messe finie, l’Evesque & le Parlement entrent dans la grand’ Chambre. L’Evesque remercie le Parlement du choix qu’il a fait de luy pour cette fonction ; & le Parlement le remercie par la bouche de son Premier President, de ce qu’il a bien voulu la faire. Ensuite le Parlement se retire, & n’entre que huit ou quinze jours aprés, & quelquefois mesme aprés trois semaines ; car la semaine qu’il rentre doit estre sans Festes, du nombre desquelles sont les Festes du Palais, comme Sainte Catherine. Quoy que le Parlement ne rentre pas le lendemain de la S. Martin, ou plûtost qu’il ne continuë pas ses Séances, les delais ne laissent pas de courir. Ce n’est que le jour qu’il rentre, que se font les Harangues de Mr le Premier President, & de Mrs les Gens du Roy. L’Evesque qui a celebré la Messe cette année est Mr de Monmor, Evesque de Perpignan. Il estoit à Paris parce qu’on luy avoit ordonné d’y demeurer pour travailler à des affaires qui regardent son Diocese. Il commença par un Eloge du Parlement & dit Que l’honneur que cette illustre Compagnie luy avoit fait en le choisissant pour une fonction aussi venerable & aussi sainte, que celle dont il venoit d’estre le Ministre, excitoit en luy de tres-grands sentimens de reconnoissance, mais que de toutes les raisons qui l’obligeoient d’y estre sensible, il n’y en avoit point de plus puissante que l’occasion favorable où il se trouvoit de faire connoistre publiquement, & en presence mesme de cette Auguste Cour, le profond respect, & la sincere veneration qu’il avoit, non seulement en general pour tous les sages Magistrats qui la composoient, mais encore en particulier pour celuy qu’une vive penetration, un juste discernement, & une application infatigable rendent si digne d’en estre le Chef ; pour ceux qu’une probité reconnuë & une droiture inflexible distinguoient bien plus que le rang qu’ils occupoient, & la majesté de la Pourpre dont ils estoient revestus ; & enfin pour ces celebres Organes du Roy & du Public, qui ne se faisoient jamais entendre qu’en faveur de la justice, de la verité & de l’innocence. Il ajoûta, que ce respect avoit pris en luy de profondes racines, puis qu’il n’estoit pas moins un effet de sa raison, qu’une suite de son éducation. Il dit qu’il estoit né d’un Pere qui l’avoit vivement imprimé dans son cœur par son exemple, & que cet exemple avoit esté soûtenu de tant d’autres qui luy estoient domestiques, qu’il auroit démenty le sang qui le lioit à plusieurs Magistrats de ce Corps Illustre, s’il n’avoit pas de luy les grandes idées qu’ils en avoient eux mesmes conceuës ; mais que quand dans un âge plus avancé, il avoit voulu examiner les préjugez de son enfance, c’estoit alors qu’il s’estoit confirmé par luy-mesme dans ces sentimens respectueux qui estoient déja formez en luy ; qu’il avoit reconnu dans ce Parlement auguste tant de grandeur, tant de lumiere, & tant de sagesse, que s’abandonnant entierement à tous les mouvemens que pouvoit produire un si beau mélange, il s’estoit fait une heureuse necessité de le regarder comme un objet qui demandoit toute son estime, & toute sa consideration ; qu’on pouvoit dire que la Justice sembloit avoir choisi cet auguste Corps comme un sanctuaire venerable pour établir sa demeure, soit que l’on considerast ou l’équité de ses Arrests, ou la severité qu’il exerce contre les vices, ou le zele qu’il fait paroistre pour étoufer les mauvaises doctrines, ou la protection qu’il fait toûjours gloire d’accorder à l’Eglise en la personne de ses sacrez Ministres, ou son attachement inviolable pour les droits de la Couronne. Il s’étendit la dessus avec beaucoup d’éloquence, & fit voir que toutes ces rares qualitez ensemble le rendoient non seulement la source de la felicité des Peuples qui reconnoissent ses Loix, mais encore le modele & la regle de tous les autres Tribunaux du Royaume, ce qui l’avoit mis dans une si haute estime dans toute l’Europe, que plusieurs Souverains avoient reconnu hautement son integrité, en soûmettant volontairement & par choix leurs plus importans interests à la décision de ses Oracles. Il prit de là occasion de loüer le Roy, & aprés avoir marqué qu’il ne craignoit point que les témoignages sinceres qu’il se sentoit obligé de rendre à la gloire de cette auguste Compagnie, fussent imputez aux flateries lâches & grossieres, où les Orateurs avoient si souvent recours, mais ausquelles la grandeur & la sainteté de son Ministere ne permettoient pas qu’il s’abaissast ; il dit que non seulement on ne pouvoit douter de ce qu’il avoit avancé, mais qu’il n’y avoit personne qui pust estre surpris de ce que tous les Parlemens prenoient pour regle un Parlement qui se regloit luy-mesme sur le plus grand Roy du monde, un Parlement qui n’avoit pour modele de sa conduite, de son esprit, de sa justice, de son integrité, de sa pieté, de ses jugemens ; que l’esprit, la justice, l’integrité, la pieté, la conduite du Monarque le plus accomply qui fust jamais. Une si grande matiere fut traitée par ce Prelat de la maniere la plus délicate. Il fit connoître que c’étoit un glorieux avantage pour tous ces grands Magistrats, que voulant remplir tous les devoirs de leur redoutable Ministere, au lieu de consulter pour cela des Livres morts & inanimez, au lieu de rappeller le souvenir de ces Grands Hommes qui ont esté l’admiration de leur Siecle, & qui cependant ne nous ont laissé que des Loix douteuses, ou obscures, ou imparfaites, ils n’avoient qu’à étudier les actions de LOUIS LE GRAND ; Actions qui luy faisant porter à si juste titre les noms augustes de Pere du Peuple, de Protecteur de l’Innocence, de soûtien de la Foy, d’Ange exterminateur des Heresies, & des nouveautez également contraires à la Religion & à l’Estat, estoient comme autant de regles fidelles, comme autant de Loix vivantes qui les conduisoient avec asseurance & sans craindre l’égarement, puis qu’ils les avoient toûjours devant les yeux, dans les routes penibles de la Justice.

Il ébaucha une partie des grands traits qui frapent si fortement dans la Vie du Roy. Il dit que lors qu’il estoit question du bien du Peuple, on voyoit ce grand Prince sacrifier ses interests à l’avantage public, & se dépoüiller luy-mesme, parce qu’il est Roy, en faveur de ses Sujets, d’un droit que sa Justice conserve si religieusement au moindre de ceux qui luy sont soûmis ; que s’il falloit poursuivre le crime, il estoit aisé de remarquer les degrez d’éloignement & d’horreur avec lesquels ce Monarque l’envisageoit, ce zele ardent dont il estoit animé pour le punir, les sages mesures qu’il prenoit pour en prevenir les desordres, & la juste rigueur dont il s’armoit pour les bannir entierement de ses Etats. Il passa ensuite au sincere attachement de Sa Majesté pour les veritables interests de l’Eglise, & dit à ces Sages Magistrats que c’estoit par le soin qu’ils avoient de l’imiter qu’ils apprenoient à rendre à Dieu ce qui appartient à Dieu, comme ils sçavoient si bien tendre à Cesar ce qui appartient à Cesar. Il parla de la Foy, de la force, & de la sagesse que le Roy vient de faire paroistre pour soûtenir la Religion de nos Peres, & pour la faire triompher de la malheureuse & obstinée Heresie qui la troubloit depuis si long-temps. Il dit qu’on n’avoit qu’à lire ses Déclarations & ses Ordonnances, pour y voir avec autant d’admiration que d’étonnement, que leur justice, leur moderation, leur douceur, soûtenuës du bras du tres haut, entre les mains de qui sont les cœurs des Peuples & des Roys, avoient suffy pour abbatre ces Temples prophanes où regnoient le mensonge, & l’esprit d’aveuglement ; pour dissiper ces faux Pasteurs qui nourrissoient du pain de l’erreur, des Brebis égarées sorties de leur veritable Troupeau ; pour aneantir ces Cultes monstrueux, selon lesquels de malheureux Chrestiens sans Chef professoient une Religion sans Sacrifice ; pour revoquer à iamais ces déplorables Edits qui estoient l’ouvrage de la hardiesse d’un Peuple aveuglé, & dont la force & la necessité des temps avoient contraint le Parlement de charger ses Registres ; enfin pour saper iusqu’aux fondemens une heresie que l’esprit d’independance avoit fait naistre, que la rebellion avoit établie au milieu du carnage & des horreurs de la Guerre, que le libertinage avoit sceu conserver iusqu’à present, & qui subsisteroit encore parmy nous sans le zele infatigable de nostre Invincible Monarque. Ce Discours receut de grands applaudissemens de toute la Compagnie, au nom de laquelle Mr le Premier President le remercia, & de la fonction dont il avoit bien voulu s’acquiter, & de tout ce qu’il avoit dit à l’avantage du Corps. Il ajoûta qu’il n’y avoit point lieu d’estre surpris de son éloquence, puisqu’il estoit né parmy les Muses & dans la Robe. Il entendoit parler de feu Mr de Monmor son Pere, qui est mort Doyen des Maistres des Requestes & de l’Academie Françoise. Ce Prelat fut traité ensuite avec beaucoup de magnificence chez Mr le Premier President, où se trouverent la pluspart de Mrs les Presidens & Conseillers.

[Histoire des Oracles] §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 289-291

Je croy, Madame, que ce vous sera une nouvelle agreable d’apprendre que j’espere vous envoyer avec cette Lettre un Livre nouveau de l’Auteur des Dialogues des Morts. Quoyque la matiere de ses Entretiens sur la Pluralité des Mondes, soit entierement de Philosophie, & par consequent moins propre à plaire à celles de vostre sexe, ce second Ouvrage, aussi galamment tourné qu’il est, n’a pas laissé de vous confirmer dans l’estime que vous faisiez & de son esprit & de sa maniere d’écrire, & cette estime sera augmentée sans doute par son Histoire des Oracles, qui sera debitée au premier jour dans la Boutique de la veuve Blageart. Cette Histoire est composée de deux Dissertations. Il fait voir dans l’une, contre l’opinion qui a prévalu jusqu’à present, faute d’avoir esté assez bien examinée, Que les Oracles n’ont point esté rendus par les Demons ; & dans l’autre, Que les Oracles n’ont point cessé au temps de la venuë du Sauveur du Monde. Ces deux Dissertations sont divisées en divers Chapitres, pleins de traits d’Histoire finement tournez, qui ont dequoy satisfaire également & les delicats & les curieux.

[Nouvelles Lettres du Chevalier d’Her…] §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 291-295

Au reste, il faut que j’avoüe que je me suis trompé dans la pensée que j’ay euë que je pourrois découvrir l’Auteur des Lettres qui ont esté imprimées sous le nom de Mr le Chevalier d’Her…. Celle que je vous en envoyay le dernier mois, marquoit que ce Chevalier, veritable ou faux, avoit commerce avec une jeune Pensionnaire de Convent. Je connois un Cavalier plein d’esprit & de merite, qui a ce mesme commerce, & je m’estois figuré que c’estoit celuy que je cherchois ; mais cela ne sçauroit estre, puisque la personne à laquelle il rend des soins, est actuellement dans un Convent, & qu’il paroist par quatre ou cinq Lettres qu’on m’a fait voir de nouveau du Chevalier d’Her… que la Pensionnaire en question, a quitté la Grille, qu’elle est dans le monde, où sa beauté fait fracas, & qu’elle apprend à chanter & à joüer du Thuorbe ; ce qui ne s’accorde point avec ce que j’avois soupçonné. Il y a mesme une de ces Lettres qui marque d’une maniere tout-à-fait galante l’extrême surprise qu’elle eut la premiere fois qu’on luy fit voir l’Opera, & que cet Opera estoit Psyché. Cela fait connoistre qu’il y a déja long-temps que ces Lettres ont esté écrites, puisque l’Opera de Psyché n’a point esté representé depuis quatre ou cinq années. Comme l’on m’avoit promis de m’en donner une copie, c’estoit un regale que je prétendois vous faire de temps en temps ; mais au lieu de ces quatre ou cinq Lettres, je pourray vous en envoyer bien-tôt cinquante tout à la fois. L’Auteur ayant veu par celle dont je vous fis part le mois passé, qu’elles commençoient à estre publiques, a crû devoir les faire imprimer luy-même, afin qu’au moins elles fussent plus correctes. Ainsi un homme inconnu les a apportées à mon Libraire, qui en va hâter l’impression. Je les ay leuës toutes avec un fort grand plaisir, & je puis vous asseurer que cette seconde Partie sera une digne suite de la premiere.

[Voyage du Roy à Fontainebleau] §

Mercure galant, novembre 1686 (première partie) [tome 15], p. 317-321

Je ne vous parle point du Voyage que la Cour a fait à Fontainebleau ; vous devez estre persuadée qu’on y a fait regner les Plaisirs tant qu’elle y a demeuré. La Promenade, la Chasse, le Jeu, la Paume, les Apartemens, la Comedie Italienne, & Françoise, ont fait alternativement le sujet des Divertissemens qu’on y a pris. Le Roy qui agit incessamment pour le bien de l’Estat, s’est depuis quelques années retranché la plus grande partie de ces plaisirs afin de s’appliquer entierement aux Affaires. Mr Boësset Surintendant de la Musique de la Chambre du Roy, qui sert le Semestre de Janvier, ayant mis un Opera en Musique, cet Opera a esté representé à Fontainebleau en forme de Concert, & Sa Majesté a bien voulu l’entendre, mais Elle n’en faisoit representer qu’un Acte chaque soir, afin d’estre moins détournée de ses ordinaires occupations. La Musique en a esté trouvée excellente, & le Roy a marqué à Mr Boësset par des paroles tres obligeantes qu’il en estoit extremement satisfait. Sa Majesté estant sur le point de partir pour Versailles, & Monseigneur le Dauphin, & Madame la Dauphine y estant arrivez le 13. de ce mois, Madame la Duchesse de Bourbon qui avoit déja commencé à se sentir indisposée, se trouva tout à fait mal de la petite verole qui avoit peine à sortir, ce qui fut cause que le Roy ne voulut point partir tant qu’il la crut en danger. Monsieur le Prince n’eut pas si-tost apris cette maladie, qu’il se rendit à Fontainebleau. Il se trouva dans l’Apartement de cette Princesse quand Sa Majesté voulut entrer dans sa Chambre, & apporta des raisons si fortes pour l’empescher d’aller plus avant, que le Roy ne put refuser à son zele ce que sa tendresse luy fit longtemps disputer contre ce Prince. Madame la Duchesse de Bourbon s’estant trouvée quelque temps aprés hors de danger, le Roy revint le 15. à Versailles, & toute la Cour eut une joye qu’on ne sçauroit exprimer, d’apprendre qu’il n’y avoit rien à craindre pour la vie de cette jeune Princesse, qui en fait un des plus beaux, & des plus grands ornemens.