1686

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17].
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Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17]. §

[Discours prononcé par le Pere Loüis de Nazareth] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 10-30

Il s’est fait une Neuvaine fort solemnelle au Seminaire de l’Union Chrestienne, étably à l’Hostel de S. Chaumont. La closture s’en fit le 28. du mois passé. Mr l’Evesque d’Authun y officia en Habits Pontificaux, & le Pere Loüis, Religieux Penitent du Convent de Nazareth, fit un Discours qui fut admiré de tous ceux qui l’entendirent. Il prit pour son Texte ce Passage de la seconde Epistre de S. Paul aux Corinthiens. Gratias Deo super inenarrabilia dona eius, & adressa d’abord la parole à ce Prelat, en ces termes.

Tout est saint, Monseigneur, tout est juste, tout est loüable dans la Ceremonie qui nous assemble. Tout y est saint ; c’est à Dieu que nous venons rendre des actions de graces aprés luy avoir adressé des Prieres. Tout y est juste ; c’est pour une des plus rares faveurs que nous en puissions jamais obtenir, & que nous ne pourrons jamais assez meriter. Tout y est loüable ; on voit éclater dans vostre Grandeur le zele de l’Etat & de la Religion ; dans les illustres Filles de cette Communauté, une émulation noble & une devotion solide ; dans toute l’Assistance, un contentement & une satisfaction inexplicable. Ce n’est point aussi, Monseigneur, pour exciter ces sentimens dans les cœurs que je parois un moment dans cette Chaire ; c’est pour y prendre part, c’est pour y applaudir, c’est pour congratuler toute la France du grand bien-fait qu’elle vient de recevoir du Ciel par le rétablissement de la santé du Roy.

Mais que dis-je, Messieurs, & où voudrois-je icy m’engager ? La grace que le Ciel nous accorde en conservant nostre incomparable Monarque, est une suite de celle qu’il nous a faite quand il nous l’a donné ; & qui ne sçait, Messieurs, qu’il est autant impossible de s’en expliquer que de la reconnoistre ? Le rendre à nos vœux lors qu’il avoit peut estre sujet de l’enlever à nos crimes, c’est affermir plus que jamais la plus florissante de toutes les Monarchies, appuyer tout ce qu’il a medité de grand jusqu’icy, tout ce qu’il a resolu, tout ce qu’il a executé ; mais par quels traits, quels mouvemens, quelles figures, quelles expressions pouvoir atteindre un sujet si relevé, & qui ne renferme rien que d’inoüy & de prodigieux !

Un Ancien disoit autrefois qu’il estoit bien capable de faire la description d’un Ruisseau, d’un Torrent, & mesme d’une Riviere ; mais lors qu’il s’agissoit de representer l’Ocean, le voyant si vaste, si étendu, si profond, rouler ses flots contre ses bords avec tant d’impetuosité, les élever tout d’un coup iusqu’aux nuës, leur creuser aussi tost des abismes, se ioüer des plus grands Vaisseaux, tantost les briser contre les rochers, tantost les engloutir par ses tempestes, il venoit, disoit-il, à se perdre dans cette vaste étenduë, dans cette profondeur ; ces flots, ces naufrages, ces tempestes & ces abismes. Il nous arrive la mesme chose lors que nous voulons entreprendre quelque Discours à la loüange deLoüis le Grand. D’abord que nous nous arrestons pour le contempler, nostre imagination se trouble, nos idées se confondent & s’égarent, & nos forces ne pouvant soûtenir nostre zele, nous sommes contraints de baisser la veuë, & d’avoüer que nous ne pouvons porter nos pensées, où il a porté ses Armes & sa réputation.

Nous l’avons demandé longtemps, & Dieu s’est plû longtemps à nous écouter pour nous faire entendre, en nous le donnant, que c’estoit plûtost un Enfant de la Grace qu’un effet de la Nature ; mais dans la ferveur de nos Oraisons, & l’impatience de nos desirs, le demandions-nous tel qu’il est auiourd’huy ? Si un Prophete nous eust dit alors. Le Prince que Dieu vous destine doit obscurcir la gloire des Heros de l’Antiquité, & devenir le modelle sur qui se formeront les Heros à l’avenir.

Vous le verrez dés ses premieres années suspendre, allarmer, soûmettre toute l’Europe ; la suspendre dans l’attente de ses desseins ; l’allarmer par le nombre & la rapidité de ses Victoires ; la soûmettre sans resistance à toutes ses volontez ; s’ouvrir pour cela de nouveaux chemins parmy des lieux inaccessibles, dompter la Nature & les Elemens, braver les iniures du temps & des Saisons, aneantir les proiets de ceux qui voudront se liguer contre luy ; abatre l’orgueil des uns, punir la temerité des autres, rendre par son secours ses Alliez invincibles ; donner la loy à tout le monde, ne la recevoir de personne.

Vous le verrez toûjours à la teste de son Conseil & de ses Armées, estre l’ame de celuy-la par la superiorité de son genie, donner le mouvement à celles-cy par l’ardeur & par l’intrepidité de son courage, & prendre en tout temps de si iustes mesures, qu’elles assureront la réüssite de toutes ses entreprises.

Vous le verrez redoutable sur Mer autant que sur Terre, pousser le Commerce iusque chez les Nations où le Soleil se leve & se couche ; reformer tous les abus, cultiver toutes les Sçiences, embellir tous les Arts, ne laisser aucun merite sans Eloge & sans récompense.

Vous le verrez supprimer le Blaspheme, confondre l’Impieté, retrancher les Duels, étouffer les nouveautez, extirper l’Heresie, révoquer ce fameux Edit qui la favorisoit, & que la necessité des temps avoit extorqué.

Vous le verrez enfin si glorieux par la prise de tant de Villes, par la Conqueste de tant de Provinces, par le gain de tant de Batailles, par une conduite si éclairée, par des exploits si surprenans, que des extremitez de l’Univers on viendra l’admirer, & confesser aux pieds de son Trône qu’il est encore plus grand en luy-mesme que dans l’estime des hommes.

Qui nous l’eust dit, Messieurs, l’eussions nous cru ? L’eussions-nous mesme pensé ? Nous le voyons cependant. Les Siecles passez les plus memorables se retirent de honte de n’avoir fait par les Heros les plus magnanimes que des essays de celuy-cy, & les Siecles futurs seroient au desespoir, s’ils n’apercevoient dans son Sang qui coule déja en plusieurs veines, le principe fecond de toutes les actions les plus extraordinaires & les plus éclatantes. Nous le voyons, & nous en verrions encore davantage si sa moderation ne s’estoit opposée mille fois à sa gloire, & si sa pieté ne cedoit encore auiourd’huy à toutes ses pretentions. Josué poursuit les Ennemis d’Israël, & acheve de les défaire; mais les poursuivroit il avec tant de vigueur, & les déferoit-il avec tant de facilité, si le Soleil pour luy en donner le loisir ne vouloit bien s’arrester quelque temps.

Si le seul recit de tant de merveilles luy dévouë tous les esprits & tous les cœurs, sa presence charme tous ceux qui sont assez favorisez du Ciel pour l’approcher de prés, & estre toûjours devant luy. Cet air meslé de Majesté & de douceur qui inspire tout ensemble le respect & l’amour ; ces paroles, ou plûtost ces Oracles qui donnent sur le champ le tort & le droit aux Parties ; qui instruisent, qui démeslent, qui décident, qui contentent, qui honorent tous ceux ausquels ils s’adressent ; cette égalité d’ame, incapable d’alteration sous le poids de tant d’importantes affaires ; cet empire absolu de soy-mesme qui consacre toutes ses passions, & qui ne leur permet de se soulever que pour les faire servir aux Vertus ; Que vous diray-je, Messieurs ? toutes ces qualitez éminentes qui le feroient Roy par les Loix de la Nature & de la Raison, quand il ne le seroit pas par celles de la Naissance & du Royaume ; tout cela nous ravit, & nous fait connoistre assez combien est precieux le don que Dieu nous fait, en le faisant comme naistre une seconde fois aprés sa maladie, pour nos avantages & nostre felicité.

Aussi ne le recevons nous pas ce don precieux avec indifference, & nous pouvons bien nous rendre cette justice, puisque nous n’avons pas esté insensibles à la triste nouvelle que nous receusmes il y a quelques jours du peril où estoit Sa Sacrée Majesté.

Mais encore en cela le Roy nous a-t-il ménagé par un amour tendre & paternel envers son Peuple. Il ne nous a presque pas donné le temps de prévoir & d’aprehender ce qui auroit pû nous arriver de sa perte ; plus sensible à nos interests qu’aux siens, il a voulu nous épargner la douleur & la crainte, & se reservant tout le mal pour luy seul, il ne nous a fait avertir de l’Operation dangereuse à laquelle il s’est exposé que lors qu’elle a esté faite avec tout le succez possible, pour nous donner ainsi tout d’un coup une ioye que nous ne devons point à une tristesse precedente, mais à un bon heur soudain & inesperé.

Au reste, Messieurs, quand Dieu n’eust point exaucé nos vœux, nos voix & nos soûpirs, pouvoit-il voir sans se laisser fléchir la sainte disposition d’un cœur qu’il a toûiours entre ses mains ? S’il prolongea autrefois la vie à Ezechias, touché par les larmes & les gemissemens de ce Prince, la pouvoit-il refuser, ie ne dis pas aux gemissemens & aux larmes, mais à la constance, & à la resignation du Roy ? Sans s’effrayer, sans pâlir, sans murmurer, remettant entre les mains de sa divine bonté, & sa santé & le salut de ses Peuples, il a souffert en Heros, encore plus en Chrétien, tout ce qui luy a esté conseillé de souffrir. Vous l’avez veu, Anges tutelaires de nos Lis, vous qui estiez alors à ses costez, & qui conduisiez si adroitement l’heureuse main qui operoit sa guerison. Vous l’avez veu, vous l’avez loüé devant le Seigneur, vous l’avez prié pour luy.

Continuons à le prier ainsi qu’eux, & par la pratique des plus rares vertus, dont ce grand Prince nous donne de si beaux exemples, tâchons de nous rendre dignes de le posseder long-temps : car comme Dieu donne quelquefois à son Peuple des Rois dans sa colere, il oste aussi quelquefois à son Peuple les Rois qu’il luy a donnez pour son bonheur & ses avantages.

Continuez d’offrir pour le mesme suiet vos pieux exercices, Vous Mesdames, qui avez merité d’estre loüées par la bouche de Sa Maiesté, Vous dont Elle protege les Maisons & l’Institut, Vous à qui Elle a confié ces jeunes Plantes nouvellement arrachées d’une terre étrangere & sterile, afin qu’elles produisent par vos travaux & par vos instructions des fruits de vie dans la Vigne du Seigneur. Mais vous-mesmes, mes cheres Sœurs, seriez-vous assez negligentes pour manquer à un si iuste devoir ? Vous, dis-ie, qui luy estes obligées de vostre Conversion, & qui avez esté apellées par ses soins des tenebres à la lumiere. Entrez donc toutes dans l’esprit de l’Eglise, dans les sentimens de la France. Joignez vos vœux & vos prieres aux prieres & aux vœux de cet Illustre Prelat, qui va achever une Ceremonie à laquelle par mon Discours i’ay souhaité aioûter quelque chose ; mais que ie n’ay peut-estre que trop long-temps interrompuë.

Avant ce Discours on avoit chanté le Pange lingua, & si-tost qu’il fut finy, on commença le Salut.

[Prières pour le Roy] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 38-39, 41-44

 

[Pour rendre grâce à Dieu de l'entière guérison du Roi, plusieurs personnalités religieuses firent dire des Messes solennelles.]

 

Le Père Alexis du Buc, Supérieur des Théatins, a fait voir dans [cette] occasion, le zèle ardent dont il a donné des marques en beaucoup d'autres rencontres. Il fit chanter une Messe Solemnelle, à laquelle toute sa Communauté communia. L'Exaudiat fut aussi chanté à l'issuë de Vespres, & les Litanies à la fin de la Prière du Soir. Ces Prières furent continuées pendant neuf jours, & la Neuvaine se termina par une Messe en Musique de la composition de Mr Lorenzani, à laquelle plusieurs Personnes de qualité assistèrent. Ce fut encore le Père du Buc qui la célébra.

 

[Le Père Seguin, Prieur du Couvent des Jacobins de la rue Saint-Honoré, fit exposer la relique de saint Hyacinte que le roi avait déjà invoqué lors de sa maladie survenue à Calais, dans la chapelle de la communauté.] [...] On y a chanté pendant neuf jours une grand'Messe, & plusieurs autres Prières. [...] Le Père Seguin les fait encore continuer par une Procession qui se termine à la Chapelle du mesme Saint, où l'on chante les Litanies de la Vierge, & diverses Oraisons, avec une confiance & une ardeur singulière. [Le Chapitre] de la Ville de Saint Quentin en Vermandois, n'a pas montré moins d'ardeur pour la guérison du Roy. Il ordonna des Prières le 25 du mois passé, en action de grâce dans toute l'étenduë de sa Juridiction, & l'ouverture s'en fit le 27 par une Messe du S. Esprit, que chanta une excellente Musique dans l'Eglise principale. [...]

[Prieres en Vers pour Sa Majesté] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 44-47

Je vous ay trop parlé de Prieres, pour ne vous en pas faire voir une qui a esté faite par Mr l’Abbé de la Chaise.

PRIERE POUR LE ROY.

 Souviens-toy, Seigneur, que la France,
 Qui regarde son Souverain
 Comme un miracle de ta main,
 Tient de tes bontez sa Naissance.
 Souviens-toy des vœux redoublez,
 Que tant de Peuples si zelez
 Afin de l’obtenir t’offrirent,
 Et conserve leur ce grand Roy !
 Qui, par ce doux air qu’ils respirent,
Les fait joüir du don qu’ils ont reçû de toy.
***
 Tu l’as protegé dans la Guerre,
 Pour le bonheur de ses Sujets ;
 Protege-le pendant la Paix
 Pour celuy de toute la Terre !
 Que sa pieté puisse enfin
 Du nom funeste de Calvin,
 Abolir par tout la memoire ;
 Et qu’à tant de travaux divers
 On ajoûte que pour ta gloire,
Du Monstre de l’Erreur il purgea l’Univers.
***
 Qu’un bonheur constant toûjours marque
 Qu’il est sous ta protection ;
 Comble de benediction
 La Maison de ce grand Monarque.
 Que le Dauphin & ses Enfans,
 Sur ses vestiges triomphans,
 Soient conduits par ta main sacrée ;
 Et que son Regne, avant le leur,
 Du Siecle d’or ait la durée,
Comme il en a déja l’éclat & la douceur.

[Devises] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 47

L’Operation que s’est fait faire le Roy, a donné lieu à une nouvelle Devise de Mr Magnin. Elle a pour Corps le Soleil éclipsé, & ces paroles pour Ame, Terret, non deserit orbem.

Regnant sur la Terre & l’Ondes
Sa peine en vain icy-bas
Remplit de terreur le Monde,
Il ne l’abandonne pas.

[Madrigal de Mr Vignier]* §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 47-48

Je finis par un Madrigal de Mr Vignier, sur le mesme sujet.

Quoy que LOUIS ait fait, il faut dire aujourd’huy,
Que ce qu’il vient de faire avec tant d’asseurance,
Est un vray coup d’Estat qui met toute la France
 Hors de crainte & d’ennuy ;
Et l’on peut desormais avoüer sans scrupule,
Que l’Univers entier soulevé contre luy,
Nous eust fait moins de peur qu’une simple fistule.

[Discours contenant l'origine des Cardinaux, la grandeur de leur Dignité, combien il y en doit avoir dans le sacré College, ce que c'est que leur Titre, & la manière dont se fait leur élection] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 85-86, 88-92, 99-100

 

[Après un long exposé historique sur l'histoire des cardinaux au sein de l'Eglise de Rome, l'auteur de l'article expose] [p. 79] ce qui s'est fait au Sujet de la dernière Promotion du deuxième de Septembre.

 

[...] Le Jeudy 5 du mesme mois le Pape leur donna le Chapeau le matin dans un Consistoire public avec beaucoup de solemnité. Les nouveaux Cardinaux avoient eu ordre de se rendre de bonne heure dans la Chapelle du Palais de Montecavallo. Ils y vinrent dans leurs Carosses de cérémonie, accompagnez d'un cortège de Prélats & de Noblesse. [...]

 

Deux Maistres de Cérémonies demeurèrent à l'entrée pour recevoir les nouveaux Cardinaux qu'ils firent placer sur le banc à main droite du Trône [sur lequel était le Pape] ; & la Musique de la Chapelle leur servit d'entretien pendant tout le temps qu'ils y furent.

Une heure après les anciens Cardinaux se rendirent aussi au palais de Montecavallo dans la Salle du Consistoire. [...] Deux Massiers de Sa Sainteté gardoient la Porte du Consistoire, & les Suisses estoient sur les montées, dans les Anti Salles, & autour des Bancs de la Salle, & prenoient soin de faire ranger le menu Peuple, & de ne laisser entrer que les Personnes d'aparence & de mise.

Quand la plus grande partie des Anciens Cardinaux fut venue un Maistre de Cérémonie leur vint donner avis que tous les nouveaux Cardinaux estoient arrivez. Aussi tost trois Cardinaux Chefs d'Ordre, je veux dire, le plus ancien des Evesques, le plus ancien des Prestres, & le plus ancien des diacres, se transportèrent dans la Chapelle avec le Cardinal Altieri, Carmerlingue de la Sainte Eglise, & le Cardinal Crescentio, Carmerlingue du Consistoire, précédez de deux Maistres de Cérémonies, & d'une partie de la Garde Suisse, & il y firent prester serment aux nouveaux Cardinaux sur l'Autel. Cela estant fait, ils se retournèrent au Consistoire, laissant les nouveaux Cardinaux dans la Chapelle, où les musiciens s'appliquèrent de nouveau à faire paroistre la justesse de leurs voix & la délicatesse de leurs compositions. [...]

Sur les quinze heures d'Italie qui pourroient estre environ dix heures du matin suivant l'Horloge de France, le Pape se rendit au Consistoire vestu pontificalement en Chape & en Mitre d'étoffe d'or. [...] [Il reçut les nouveaux Cardinaux en leur mettant le chapeau rouge sur la tête.]

 

Le Pape s'en retourna dans le mesme ordre qu'il éstoit venu en donnant sa Bénédiction, & les Cardinaux estant demeurez dans le Consistoire, la Musique de la Chapelle entonna le Te Deum à la porte, & marcha en Procession, les Cardinaux suivant deux à deux, & les Anciens donnant toûjours la droite aux Nouveaux. [...]

[Madrigaux] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 122-128

Les trois Madrigaux, & les Traductions de trois Epigrammes de Catulle qui suivent, sont de Mr Moreau de Mautour, Frere de Mr Moreau, Avocat General de la Chambre des Comptes de Dijon. Ils ont l’un & l’autre beaucoup de talent pour la Poësie galante, & plusieurs Ouvrages qui ont déja paru dans mes Lettres, ou sous leur nom, ou sous des noms supposez, vous l’ont fait connoistre.

SUR DE BELLES DENTS.

 Que vostre air est deux & riant !
Vos Dents seules, Philis, plus blanches & plus belles
 Que Perles d’Orient,
Causeroient dans un cœur des blessures mortelles ;
Si j’osois les baiser, ah ! je serois perdu,
Je ne puis y penser mesme sans vous déplaire ;
Je sçais que ce plaisir est pour moy défendu,
Et pour punir mon desir témeraire,
Je voudrois en estre mordu.

Sur un Baiser dérobé.

Quand j’ay pris malgré vous, charmante Celimene,
Sur vostre belle bouche un baiser tendre & doux,
Pourquoy me menacer de toute vostre haine ?
 Pourquoy montrer tant de couroux ?
Vos appas, dont en vain je tasche à me défendre,
Vous ont vangée assez de ma témerité,
 Puis qu’ils ont pris ma liberté
 Pour celle que j’ay voulu prendre.

Pour deux belles Amies inseparables, dont l’une est Brune, l’autre Blonde.

 Charmer & plaire également
Entre Amies n’est pas chose qui soit commune ;
Les beautez de la Blonde & celles de la Brune
 Partageroient également
Les vœux & les soupirs du plus fidelle Amant,
Et je sens bien qu’un cœur delicat en tendresse
Qui voudroit pour vous deux se laisser enflamer,
 Auroit avec le doux plaisir d’aimer,
 Le plaisir de changer sans cesse.

Epigr. 71. de Catulle.
Nulli se dicit mulier, &c.

Si j’en crois ma Maistresse, elle n’aime que moy,
De tout autre son cœur méprise les tendresses,
 Et seul je suis l’objet de ses caresses,
 Comme je le suis de sa foy ;
Quand mesme Jupiter me voudroit pour Epouse,
Je suis de mon bonheur, dit-elle, si jalouse,
Que je ne voudrois pas un autre Epoux que toy.
Elle me parle ainsi ; mais tout ce qu’une Femme
 Dit à celuy qui l’aime tendrement,
Pour flater son amour & soulager sa flame,
 Je ne le crois que rarement.
Son esprit est leger, & son serment moins stable,
Que s’il estoit écrit sur l’onde ou sur le sable.
Elle a des mots flateurs, mais les plus doux souvent
Ne sont que mots en l’air & que discours frivoles ;
De toutes leurs douceurs, de toutes leurs paroles,
 Autant en emporte le vent.

Epig. 76.
Huc est mens deducta, &c.

Lesbie a sceu tellement me charmer,
Et rendre à la raison mon esprit si contraire.
Que quelque bien ou mal qu’elle veüille me faire,
Je ne la puis haïr, ny ne la puis aimer.

Epigr. 110
Jucundum mea vita, &c.

 Tu me promets, Lesbie, en ce moment,
 Qu’une amour tendre & mutuelle
Nous unira tous deux d’une chaisne eternelle.
 Grands Dieux, faites que ce serment
 Parte d’un cœur & sincere & fidelle.
Entre Lesbie & moy, vous connoistrez toûjours
  Une amitié si belle,
Que la mort n’en pourra mesme rompre le cours.

Bouquet sans bouquet §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 129-132

Vous trouverez dans ces autres Vers une fiction, dont je ne doute point que vous n’estimiez la nouveauté.

BOUQUET SANS BOUQUET.

Philis pour vous offrir des fleurs,
J’allay chez la Déesse Flore
Si-tost que j’apperçeus l’Aurore
Nous montrer les vives couleurs.
Je fis le tour d’un grand Parterre,
Où je rencontray mille Amans,
Qui pour l’objet de leurs tourmens
Faisoient une petite guerre.
Comme je vis que dans ces lieux
C’estoit à qui pilleroit mieux,
Je voulus entrer en partage
 De tout ce que ce jardinage
Avoit produit de beau, d’œillets & de jasmins.
De roses & de lys j’avois remply mes mains,
Quand Flore sans dessein de se mettre en colere,
Me demanda pourquoy j’avois cueilly ces lys.
Moy qui de sa demande ignorois le mystere,
Je luy dis, pour Philis. Ah ! si c’est pour Philis,
 Rends-les-moy, Berger, me dit-elle,
 Philis n’est point une Mortelle,
 Et ces fleurs ne sont en ces lieux
 Que pour celles dont les beaux yeux
 Aux Hommes seuls donnent atteinte,
 Comme une Iris, comme une Amynte ;
 Mais Philis, dont les traits puissans
 Forcent la raison & les sens,
 Qui jusqu’aux Cieux met son Empire,
 Pour qui tout l’Univers soupire,
 Dont les Dieux mesme sont jaloux ;
 Ah ! je ressentirois leurs coups,
 Si ces fleurs qui font mon partage,
 Avoient l’honneur & l’avantage
D’approcher de Philis ; ainsi, mon cher Berger,
 Va-t-en sans me mettre en danger
De souffrir du grand Dieu quelque coup de tonnerre,
Qui gâteroit mes fleurs, & brûleroit ma terre.
Ainsi je sortis du Jardin
Sans lys, sans roses, sans jasmin.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 132. En janvier 1687 (cf. Mercure), le rédacteur du Mercure publie un air qu'il juge « ... aussi beau que celuy du mois passé, de la composition de cet illustre Autheur [M. Labbé] ». Deux airs ont été publiés en décembre 1686 : l'un de Bacilly, et celui-ci que l'on peut donc attribuer à Labbé.

Je vous envoye un Air nouveau, dont les Vers ne plaisent pas moins que la Musique. C'est une peinture naturelle d'un Amant qui n'est occupé que de son amour.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Petits Moutons qui dans la plaine, doit regarder la page 62.
Petits Moutons, qui dans la plaine
Paissez sans crainte des Loups,
Ne vous reposez point sur celuy qui vous mene,
Il resve à son Inhumaine,
Et ne songe point à vous.
images/1686-12a_132.JPG

[Histoires] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 137-156

Les Parlemens décident des grandes Affaires, mais peut-estre n’en fut-il jamais aucune, ny plus importante, ny plus extraordinaire, que celle qui vient de faire intenter Procez, & dont vous allez trouver le détail dans une nouvelle Lettre que je vous envoye de Mr Vignier. Il l’a écrite à Madame la Marquise d’Anguitard. C’est une Dame d’un fort grand merite, de la Maison de Saint Gelais de Lusignan, & qui n’est pas moins considerable par son esprit que par sa naissance. Vous jugez bien qu’il ne voudroit pas l’entretenir d’une Avanture dont il croiroit les circonstances douteuses. Sa Lettre est du 4. de ce mois.

A MADAME
LA MARQUISE
D’ANGUITARD.

J’aurois bien de la joye, Madame, d’apprendre souvent quelque nouvelle extraordinaire pour vous en faire part, puisqu’une de vos Lettres vaut mille fois mieux que tout ce que l’on peut vous mander. J’ay receu celle que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire comme un bien qui me venoit de pure grace, & que je ne meritois pas pour une Historiette que vous n’avez pû voir que huit mois aprés que je vous l’eus adressée. J’espere que celle-cy ne sera pas si long-temps par les Chemins, & qu’elle vous fera connoistre le plaisir que j’ay de parler à l’avantage d’un Sexe qui ne sçauroit estre assez loüé. La Dame dont je vais vous entretenir en fera foy, & si quelques incredules prennent cette Relation pour une Fable, un des premiers Parlemens du Royaume fera voir par l’Arrest qu’il rendra que c’est une verité. Il y a plus de quinze ans qu’un jeune Gentilhomme d’Auvergne, Fils unique d’un Pere fort riche, qui tenoit un rang considerable dans sa Province, estant Officier dans les Troupes du Roy, eut son quartier d’Hiver proche d’une Maison de Chanoinesses. Vous sçavez, Madame, qu’il y en a peu qui ne soient d’une qualité distinguée, & vous sçavez encore l’honneste liberté qu’elles ont de voir le monde, & mesme de se marier quand elles y trouvent leur avantage. Nostre Gentilhomme ne fut pas long-temps dans un si agreable Voisinage, sans y rendre des visites, & sans se rendre aussi dés le second voyage au merite d’une de ces Dames. Comme il se faisoit distinguer par son nom, par sa bonne mine, & par mille qualitez avantageuses qu’il possedoit, la belle Chanoinesse ne fut pas faschée de s’apercevoir qu’elle avoit sceu le toucher ; mais elle fut encore plus contente, lorsque sans perdre le temps à soûpirer, il la pria de le recevoir pour son Epoux, ce qu’elle accepta volontiers, & il luy fit promettre de tenir la chose secrete à cause de ses Parens. Il en recevoit souvent des Lettres, & leur tendresse le pressoit de les venir voir, mais il ne pouvoit se resoudre d’y aller seul. Sa nouvelle Epouse pour le satisfaire s’offrit de se déguiser & de le suivre. Sa Nourrice qui ne l’avoit jamais quittée fut du déguisement, & dans cet estat ils se mirent en chemin. N’estant plus qu’à sept ou huit lieuës de la Maison de son Pere, il s’arresta chez un de ses Amis, & le pria de trouver bon que les deux Cavaliers qui estoient avec luy demeurassent quelques jours dans sa Maison. Il les y laissa, & partit pour se rendre auprés de ceux qui l’attendoient avec grande impatience. La joye qu’ils eurent de le voir si bien fait, & avec autant d’esprit que de bonne mine, ne leur laissa rien oublier de ce qui pouvoit le divertir, mais quelques caresses qu’ils luy fissent, sa Mere s’aperceut qu’il avoit un fond de mélancolie extraordinaire, & elle fit tout ce qu’elle put pour en découvrir la cause, qu’il sçût attribuer tantost à une chose, tantost à une autre. Il arriva dans ce temps là qu’une Demoiselle de sa Mere fut mariée, & que l’on parla de donner une Gouvernante à une petite Sœur qu’il avoit. Cette occasion luy parut favorable pour n’estre point separé de celle qu’il armoit plus que sa vie, & pour ne la laisser pas échaper, il dit à sa Mere qu’en passant chez un de ses Amis il avoit veu deux Demoiselles tres-bien faites, & capables de remplir avec satisfaction les deux Places de Gouvernante, & de Suivante. La Mere qui ne cherchoit qu’à le satisfaire, l’assura en l’embrassant, qu’elle auroit plus d’inclination pour deux personnes qui luy seroient données de sa main, que pour toutes celles dont on luy avoit déja parlé, & qu’il pouvoit les faire venir quand il voudroit. Il partit dés le lendemain, découvrit le secret à son Amy, fit reprendre les habits à sa Bien-aimée & à sa Nourrice, & les instruisit de tout ce qu’elles avoient à faire. Elles furent admirablement bien receuës du Maistre & de la Maistresse du Chasteau qui estoient charmez de la bonne mine de l’une, & de la beauté de l’autre. Ils furent dans la suite si satisfaits de leur conduite qu’ils leur donnerent la disposition de toutes choses. La Dame mesme disoit souvent à son Fils qu’elle se sentoit une tendresse de Mere pour cette Demoiselle, & qu’elle luy souhaiteroit une Femme qui eust autant d’esprit & d’agrémens qu’elle en avoit. Vous ne doutez-pas, Madame, du plaisir que cela faisoit à nostre jeune Epoux, à qui l’enjoüement revenoit de jour en jour, ce qui le rendoit aussi de plus en plus agreable à tout le monde.

Tout commençoit à flater leurs desirs,
Mais une funeste tempeste,
Dans le plus fort de leurs plaisirs.
S’en vint troubler toute la Feste.

Cette illustre Suivante s’aperçût qu’elle estoit grosse, & pour surcroist d’affliction son cher Epoux receut un ordre de la Cour pour se rendre en diligence à son Regiment, L’honneur & le devoir ne luy donnerent pour faire ses tristes Adieux que jusques au lendemain qu’il partit en Poste. Il ne fut pas plûtost arrivé à sa Garnison, qu’un nouvel ordre du Roy l’obligea d’aller joindre un Corps d’Armée que l’on avoit fait avancer sur la Frontiere pour s’opposer aux desseins des Ennemis. Ayant esté choisy pour commander un Party de trois cens Chevaux, il en rencontra un des Ennemis plus fort ; mais il ne laissa pas de le charger avec tant de vigueur & de conduite, qu’il le défit entierement. Il y fut blessé à mort, & comme il avoit fait son Testament & qu’il le portoit toûjours sur luy, il eut le temps avant que d’expirer d’en charger un de ses intimes Amis pour le mettre entre les mains de son Pere & de sa Mere, avec une Lettre qu’il avoit écrite à sa Femme. Cet Amy peu de jours aprés tomba dans une Embuscade des Ennemis, & fut fait prisonnier. Cependant on sceut dans la Province la nouvelle de cette mort, on la cacha tant que l’on pût à ceux qui ne pouvoient l’apprendre sans courir risque de mourir eux-mesmes. Il fallut pourtant qu’ils la sceussent, & chacun dans l’interest qu’il y prenoit fit éclater tout ce que l’on peut s’imaginer de plus douloureux. L’aimable Suivante estoit la plus à plaindre ayant à garder des mesures, où les autres n’en avoient point. Durant l’absence du Défunt elle avoit souvent visité un Hermite qui n’étoit qu’à une lieuë du lieu où elle demeuroit, & luy avoit fait confidence de son Mariage & de sa grossesse. Sur ces entrefaites un vieux Reclus qui demeuroit proche de l’Hermite vint à mourir, & à laisser sa Place vacante.

Que ne fait point un noble Cœur,
Quand il est penetré d’une juste douleur !
La Veuve souhaita cette affreuse demeure
 Afin d’y faire son Séjour,
 Et d’y pleurer jusqu’à sa derniere heure
 Le digne Objet de son Amour.

Elle en fit la proposition à l’Hermite qui luy fit voir tant d’impossibilitez du costé de la Terre & du costé du Ciel, que tout autre qu’elle n’y auroit pas pensé davantage. Elle ne se rebuta pourtant pas, & son obstination prévalut sur toutes les raisons du Solitaire. Ils conclurent donc qu’elle se renfermeroit avec sa chere Nourrice qui ne vouloit point l’abandonner. Comme il estoit le Maistre du Lieu, il trouva les moyens de les y faire entrer, & d’en murer la porte sans que personne s’en apperçût, & de leur fournir toutes les choses necessaires pour leur subsistance. Le Gentilhomme qui avoit esté fait prisonnier aprés la mort de son Amy ayant esté eschangé, vint en Province, & porta au Pere & à la Mere le Testament de leur Fils qui redoubla vivement leur douleur, quand il leur fit voir qu’il estoit marié à la personne dont ils avoient tant regreté l’absence, qu’elle estoit grosse, & d’une naissance qui ne pouvoit leur faire de deshonneur, & qu’il les conjuroit de la reconnoistre pour leur Fille, & d’avoir pour l’Enfant qui en viendroit la mesme tendresse qu’ils avoient euë pour luy. Ils l’auroient souhaité, mais quelques recherches qu’ils pussent faire, ils n’en purent avoir aucunes nouvelles. Cependant nostre Recluse accoucha au bout de six mois d’une Fille dont elle fut elle-mesme la Nourrice, & qu’elle éleva jusqu’à l’âge de quinze ans, avec tout le soin dont une Mere aussi noble & aussi vertueuse qu’elle, estoit capable. Lors qu’elle se vit sur le point de quitter la Terre & d’y laisser sa Fille sans Pere & sans Mere, Elle la fit approcher d’elle pour luy donner le Portrait de son Mary, & pour luy remettre entre les mains leur Contrat de Mariage & quelques Papiers qui pouvoient luy servir dans la suite. L’Hermite, qui par des raisons particulieres n’avoit osé parler de la qualité de la Recluse, fut obligé dans cette rencontre d’aller trouver le Pere & la Mere du Gentilhomme, & de leur dire tout ce qui s’estoit passé. Ils luy firent beaucoup de reproches, mais il fallut qu’ils se contentassent de la restitution qu’il leur faisoit d’une Fille toute charmante. Ils reconnurent le Portrait de leur Fils qu’elle avoit à son cou, & ne pouvant se lasser de l’embrasser, ils la menerent chez-eux avec leur fidelle Gouvernante. Quelque-temps aprés, leur Fille dont la Nourrice avoit aussi esté Gouvernante mourut, & n’ayant plus que celle qu’ils avoient recouvrée, ils la déclarerent heritiere universelle de tous leurs biens. Ils estoient âgez, & ne pouvant s’exempter de payer le Tribut à la Nature, le Mary & la Femme moururent à cinq ou six mois l’un de l’autre. Ils avoient des Neveux qui pretendoient à leur Succession, dont leur petite Fille s’est mise en possession, surquoy ils ont intenté Procés contre elle. On sçaura ce que le Parlement en ordonnera. Je suis avec beaucoup de respect, Madame, Vostre, &c.

[Madame Simiane de Moncha est élevée Abbesse de Bouxfier] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 156-157, 162

 

Je ne sçay, Madame, si je vous ay mandé, que les Dames Chanoinesses de Bouxfier en Lorraine ayant tenu Chapitre, y avoient élu pour leur Abbesse Madame Anne de Simiane de Moncha, Chanoinesse de Remiremont, que son mérite rend aussi considérable que sa naissance. [...] [On reprend ici les circonstances de son élection et la description des cérémonies organisées à cette occasion à l'issue desquelles :] [...]

 

On chanta le Te Deum, où une belle Simphonie se fit entendre aussi bien à la Messe qui fut célébrée ensuite. Au sortir de l'Eglise, toutes les Dames [menèrent la nouvelle Abbesse] dans sa Maison, & elle leur donna un repas très magnifique.

[Etablissement de l’Académie royale d’Angers, avec les particulariez d'une Feste qui a esté faite dans la mesme Ville le jour qu'on y a élevé un Buste à la gloire du Roy] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 162-211

Il y a des choses d’un certain poids, qui peuvent se faire attendre. Le détail de ce qui s’est fait à l’Etablissement de l’Academie Royale d’Angers est de ce nombre. Je vous le promets depuis quelques mois, & enfin je vous tiens parole d’une maniere qui vous recompensera du retardement. La Relation que j’en ay receuë, non seulement en contient jusques aux moindres circonstances mais elle enferme les particularitez d’une Feste qui a esté faite dans la Ville pour une Statuë qu’on a élevée au Roy. Cette Relation qui est tres-exacte, est d’ailleurs bien mieux écrite qu’elle ne l’auroit esté, s’il m’eust fallu la dresser sur des Memoires envoyez sans ordre, Elle m’a esté donnée en ces termes.

La Province d’Anjou n’a pas seulement esté favorisée par la Nature de tout ce qui peut contribuer à la rendre une des plus agreables, & des plus fertiles du Royaume, elle est encore plus recommandable par un tres-grand nombre d’hommes Sçavans qu’elle a produits dans tous les Siecles ; & la subtilité de son climat semble s’estre communiquée jusqu’aux esprits de ses Habitans. L’inclination naturelle des Angevins pour les Sciences, obligea l’un de leurs Ducs d’établir dans la Ville d’Angers une Université, qui a toûjours esté comme une pepiniere de grands Personnages, & que les Rois de France ont depuis honorez de grands Privileges, en des termes si pleins d’estime pour le Genie des Peuples de cette Ville, que si dans la suite ils ont répondu à l’opinion qu’on avoit conceuë de leur merite, on peut croire qu’ils y ont esté portez autant par le desir de se rendre dignes des loüanges de leurs Princes, que par leur propre inclination. Ceux qui habitent aujourd’huy cette Province n’ont point dégeneré de la vertu de leurs Ancestres. Ils ont conservé la mesme ardeur, & les mesmes dispositions pour les plus hautes connoissances ; mais comme sous un Regne aussi florissant que celuy du Roy on ne sçauroit rien souffrir qui ne soit dans la derniere perfection, ils n’ont pas crû pouvoir y parvenir, s’ils ne joignoient à leurs Etudes le secours des Conferences Academiques, également propres à former les esprits par la communication de leurs connoissances & de leurs lumieres, & à leur inspirer cette noble émulation, qui les entretient dans un travail plus assidu. Sa Majesté qui favorise avec une extrême bonté tout ce qui peut rendre les Peuples plus heureux, accorda sans peine l’établissement d’une Academie de belles Lettres dans la Ville d’Angers, à la priere que luy en firent Mr le Comte d’Armagnac, Grand Ecuyer de France, & Gouverneur de la Province d’Anjou, & Mr de Chasteauneuf, Secretaire d’Etat.

Les Officiers du Corps de Ville, qui regardent cette nouvelle Compagnie, comme un des plus grands ornemens de leur Patrie, resolurent pour en témoigner leur reconnoissance au Roy, de luy élever une Statuë dans leur Hostel. Ils en demanderent la permission à Sa Majesté qui la leur accorda pour leur propre satisfaction plûtost que pour sa gloire ; & afin que cette Ceremonie se fist avec plus d’éclat, on resolut de faire dans le mesme jour l’ouverture de l’Academie.

Mr de Nointel, Maistre ordinaire des Requestes de l’Hostel, Intendant de la Generalité de Tours, & l’un des trente nommez par le Roy pour composer cette Compagnie, ayant receu l’ordre de Sa Majesté d’en faire l’établissement, se rendit dans la Ville, & choisit pour cette Ceremonie le Lundy, premier jour du mois de Juillet dernier. La Feste fut annoncée dés le point du jour par une décharge de tout le Canon, qui fut aussi-tost suivie du bruit des Tambours, & des Fanfares des Trompetes. Mr l’Evesque d’Angers, persuadé que l’Eglise qui participe aux bien-faits des Rois, ne doit pas se contenter de leur en marquer sa reconnoissance par des Prieres, & par des vœux, mais qu’il est mesme de son devoir d’entrer dans les Réjoüissances publiques que les Peuples font à leur honneur, avoit ordonné qu’on sonnast les Cloches de la Ville pendant une heure ; l’Eglise Cathedrale en donna le signal, & fut suivie de toutes les autres. Il ne fut pas necessaire d’avertir les Habitans de cesser leur travail & de tenir les Boutiques fermées ; la joye déja répanduë dans le Peuple, luy fit oublier le soin de ses propres affaires, & le sentiment de ses besoins, pour ne penser qu’à contribuer à la magnificence de cette journée, & tous se rendirent en Armes sous 24. Drapeaux, suivant l’ordre qu’ils en avoient receu de Mr d’Autichamp, Lieutenant de Roy, & Commandant dans la Ville & dans le Chasteau d’Angers. Un tres-grand nombre de Personnes remarquables, non seulement de la Ville & de la Province, mais aussi des Provinces voisines, que l’éclat de cette Feste avoit attirées, se trouverent dans la grande Salle de l’Hostel de Ville, qu’on avoit parée de riches Tapisseries, de divers Portraits de nos Rois & des Comtes d’Anjou, * Tiges illustres des deux Maisons Royales de France & d’Angleterre, & de ceux des Hommes de Lettres originaires de cette Province. Bien-tost aprés Mr l’Evesque d’Angers, Mr l’Intendant, & Mr d’Autichamp, accompagnez de la plus considerable partie de la Noblesse, & de quelques-uns des Academiciens, partirent du Chasteau, où Mr d’Autichamp leur avoit donné un magnifique Repas, & se rendirent à l’Hostel de Ville au travers d’une double haye de Bourgeois sous les Armes. Ils y furent receus par les Officiers de Ville, & prirent place dans trois Fauteüils au bout d’un grand Bureau destiné pour l’Academie. Les Academiciens, & les Officiers de Ville se placerent des deux costez.

* Robert le Fort, Tige de la Maison Royale de France.

Geoffroy Plantegens, Tige de la Maison Royale d’Angleterre.

Ce fut un agreable Spectacle de voir en mesme temps les Portraits des Souverains qui ont commandé dans cette Province, ceux des Hommes de Lettres qu’elle a produits, & dans le mesme lieu les Descendans de ceux-cy, qui formoient cette nouvelle Academie, & que les Images de leurs Ancestres excitoient encore à marcher sur leurs traces, & à imiter leurs vertus. On voyoit en mesme temps un tres-grand nombre de Dames, dont la beauté sembloit disputer à l’Academie l’honneur de cette Feste ; & à la teste d’une aussi belle Assemblée trois Personnes qui se sont renduës celebres, Mr l’Evesque d’Angers, dans l’Eglise, Mr de Nointel, dans la Robe, & Ms d’Autichamp, dans l’Epée, par les longs services qu’il a rendus avec autant de valeur que de prudence.

Ce Spectacle nouveau occupa long temps les yeux & l’esprit de toute l’Assemblée, & fit un silence d’admiration, qui ne fut interrompu que par la lecture des Lettres patentes, & des Statuts de l’Academie, de la liste des Academiciens, de l’Arrest de verification au Parlement de Paris, & de l’Enregistrement fait au Presidial d’Angers, où Mr Martineau, premier Avocat du Roy dans ce Siege, & l’un des Academiciens, avoit porté la parole pour le requerir, avec sa grace & son éloquence ordinaire.

Aprés cette lecture Mr l’Intendant prit la parole, & fit un Discours qu’on ne peut assez loüer. Il commença par l’éloge de la Province d’Anjou, & des Hommes qui s’y sont rendus celebres dans les Lettres. Il parla de l’utilité des Academies, des esperances qu’on doit concevoir de celle d’Angers, de l’obligation qu’elle a d’employer ses veilles à loüer le Roy, son Auguste Fondateur ; & luy-mesme en donna l’exemple avec tant de force & tant d’éloquence, qu’il sembla n’avoir rien laissé à faire à cette nouvelle Compagnie, & l’on peut dire qu’il n’établit pas moins l’Academie par la beauté de cette action, que par les Lettres patentes.

Mr Gourreau, Conseiller honoraire au Presidial d’Angers, & Doyen des Conseillers de Ville, répondit au nom de l’Academie par un autre Discours, qui remplit tout ce qu’on pouvoit attendre d’une Personne qui a donné dans plusieurs Actions publiques des preuves de son éloquence & de son sçavoir. Il fit connoistre que l’établissement de l’Academie, quelque avantageux qu’il fust à la Province par l’utilité qu’on en pouvoit esperer, luy devenoit encore plus precieux de la main du Monarque à qui elle en estoit redevable. Il y mesla l’éloge de l’Academie Françoise, & quoy qu’il semble qu’on ait épuisé tout ce qui se peut dire de la grandeur de Sa Majesté, & de l’avantage des Academies des belles Lettres, ces deux Discours firent connoistre que ces matieres sont inépuisables, & fournissent toûjours quelque chose de grand & de nouveau, quand elles sont maniées par des Genies du premier ordre. Mr Gourreau ayant cessé de parler, toute la Compagnie se répandit sur les Terrasses, & dans le Jardin de l’Hostel de Ville, où l’on avoit élevé la Statuë du Roy.

Le lieu ne pouvoit estre mieux choisi. Cet Hostel qui peut passer pour un des plus beaux Edifices du Royaume, fut basty par Pierre Poyet, Lieutenant General, & Maire d’Angers, Frere aîné du Chancelier Poyet, & il a esté depuis beaucoup embelly par les soins de Mr Charlot, dernier Maire de la Ville, l’un des Academiciens, & celuy qui forma les premiers projets de l’Academie pendant son administration. Il est situé dans un lieu fort élevé, qui d’un costé commande à toute la Ville, & de l’autre à une tres-belle Campagne, arrosée de trois grandes Rivieres, qui viennent se joindre en ce lieu-la pour passer au travers de la Ville. En face de ce superbe Bastiment est une grande Court, avec des Terrasses en Balustrades, d’où l’on descend par un double Escalier d’une belle ordonnance, dans un Jardin, qui n’est separé de la principale Place publique que par une Balustrade de fer, qui le laisse voir tout entier. C’est dans ce Jardin que la Ville a fait ériger la Statuë du Roy, où elle est également en veuë de l’Hostel de Ville, & de la Place publique. Si-tost qu’on l’eut découverte, elle fut salüée par une décharge du Canon, & par plusieurs salves de toute la Milice. On entendit divers Concerts de Trompettes, de Hautbois, & de Violons, qu’on avoit dispersez sur les Terrasses de l’Hostel de Ville, où l’on avoit aussi placé des Fontaines qui coulerent tout le reste du jour.

La joye du Peuple éclata d’une maniere surprenante, & par des transports qui ne sont connus que sous le Regne des bons Princes. Aprés que ces agreables emportemens de plaisir eurent longtemps occupé tous les Spectateurs, les personnes de qualité furent rapellées dans une des Salles de l’Hostel de Ville, où elles trouverent plusieurs Tables que Mr Renou de la Feauté, Conseiller au Presidial & Maire d’Angers, avoit fait servir de tout ce qui se peut souhaiter de plus délicat, sans qu’il eust esté presque besoin de le chercher ailleurs que dans la Province mesme. Ce regale qui dura jusqu’à la nuit, fut interrompu par un grand éclat de lumiere qu’on vit aux Fenestres de la Salle. C’estoit une Illumination qui parut tout d’un coup dans toutes les Maisons de la Ville & jusqu’aux Clochers des Eglises. La Cathedrale se distingua non seulement par un feu qu’elle fit paroistre dans ce superbe Clocher, qui fait l’admiration des Etrangers & des plus Sçavans Architectes, mais encore par un tres-beau Concert qu’elle y fit entendre. Plusieurs Villages de la Campagne voisine, situez le long des bords de ces trois Rivieres, suivirent l’exemple de la Ville, & firent de toutes parts un si grand feu qu’il sembloit qu’on voulust prolonger le jour, qui paroissoit trop court à la joye publique. L’Hostel de Ville fut aussi illuminé d’une maniere assez ingenieuse. Sur le Balcon de l’Escalier qui descend dans le Jardin & qui fait face à la Place publique, on avoit élevé une Figure d’Apollon sur le Mont Parnasse au milieu des neuf Muses. Les rampes de l’Escalier estoient illuminées d’autant de bas-reliefs de douze pieds de long sur quatre de haut, dans lesquels on avoit representé les actions les plus éclatantes de nostre grand Monarque, & entre autres celles qui font le sujet de deux Prix proposez cette année par la Ville d’Angers ; ces Sujets sont le Triomphe du Roy sur l’Heresie, & le Canal de la Riviere d’Eure. Pour exprimer le premier d’une maniere qui fust plus sensible aux Personnes de la Province ; on avoit peint la démolition de plusieurs Temples que l’Heresie s’estoit élevez dans l’Anjou, & presque jusqu’aux Portes de la Ville d’Angers, à laquelle ils ont cousté tant de sang, & donné tant d’alarmes. Dans un autre Tableau on avoit dépeint la Riviere d’Eure, à la maniere des Fleuves antiques sous la Figure d’un Vieillard dans des Roseaux, appuyé sur une Urne, qui répandoit un gros ruisseau dans une vaste Campagne, où toutes les Troupes qu’on employe à l’Aqueduc de Maintenon estoient figurées dans leurs travaux. On lisoit ces mots sur l’Urne.

Lodoico monstrante viam.

Sur la rampe opposée on avoit exprimé ce mesme Sujet par le combat d’Hercule contre le Fleuve Acheloüs sous la forme d’un Taureau renversé par ce Heros, qui luy arrachoit une de ses Cornes, & dans le mesme Tableau l’on voyoit les Triomphes des Eaux de Versailles, qui sembloient attendre l’issuë de ce Combat, pour recevoir du Vainqueur la Corne d’abondance. Sur le frontispice du Pavillon destiné pour les Conferences Academiques, & basty dans le mesme Jardin, on avoit placé un Groupe qui representoit comme un Trophée de Sciences & de beaux Arts, composé de Livres, de Spheres, & d’autres Instrumens de Mathematique, & surmonté par une Renommée la Trompette à la main, avec ces mots d’Horace,

Ære perrennius.

pour marquer que quelque durables que soient les Monumens de bronze & de marbre qu’on dresse aux bons Princes, ceux que les hommes de Lettres leur érigent, les asseurent encore davantage de l’immortalité. Ce Trophée estoit accompagné de deux autres Pieces illuminées. L’une estoit une Fontaine avec ces mots,

Maculas ostendit & auffert.

pour marquer quelles sont les fonctions de l’Academie. On avoit peint dans l’autre plusieurs Lauriers naissans sous un grand Laurier avec cet Hemistiche du Poëte Latin

Parva sub ingenti.

qui s’appliquant au Roy fait connoistre que les Lauriers des hommes Sçavans naissent & s’élevent à l’ombre des siens ; & faisant l’application de cette mesme Devise à toutes les Academies qui se sont formées sur le modelle de l’Academie Françoise, elle marque que leurs Lauriers sont des rejettons de ceux que cette celebre Compagnie prend pour le corps de sa Devise. Au dessous de ces trois Figures on avoit écrit ces Vers adressez aux Academiciens d’Angers par un des premiers Hommes de ce Siecle, qui luy-mesme est du nombre de ceux qui composent cette Academie.

Hellados & Latii Doctis non invidus hortis,
Hortus hic doniis possit certare viretis.
O ! qui illum incolitis lectissima turba, Sodales,
Terdeni Proceres Andinæ gloria Gentis,
Magnanimi Herois belli pacisque Ministri,
Andina hic per quem Parisinæ Academia certat,
Floribus augustam LODOICI cingite frontem.
Cingite : sed nitidos brevis ævi linquite flores,
Quos non aut æstus, aut frigora lædere possint,
Carpite fulgentes immortales Amarantos.

Au milieu de la Balustrade de fer qui separe le Jardin de la Place publique, on avoit élevé un Soleil en feu, au dessous duquel estoient écrits ces mots.

Unus & omnis.

Des deux costez sur deux Pilastres estoient deux Obelisques, qu’on sçait estre les Figures consacrées au Soleil. Dans l’un estoit peint un Ciel étoilé de trente Etoiles, par rapport aux trente Academiciens, avec ces mots du 6. de l’Eneide.

Solemque suum sua sidera norunt.

L’autre representoit une pepiniere de jeunes arbres, pour marquer l’Academie naissante aux rayons de ce Soleil, avec ces autres mots de Virgile.

Format qui dedit ortum.

Dans la mesme façade sur quatre Pilastres rangez de front, des deux costez, estoient quatre Figures ; l’une de la Ville representée par une Femme, qui d’une main tenoit le Cartouche de ses Armes, & de l’autre montroit la Statuë du Roy, avec ces paroles.

Hoc sospite sospes.

Une autre de ces Figures estoit l’Academie representée par une Muse, au dessous de laquelle estoit écrit.

Nec Phœbo gratior ulla.

La troisiéme estoit l’Hercule Gaulois, que nos Peres ont reconnu pour le Dieu de l’Eloquence, & qu’ils avoient de coûtume de representer suivy d’une foule de personnes qu’il tenoit comme enchaisnées par les oreilles avec des filets d’or qui luy sortoient de la bouche. Au dessous se lisoient ces mots.

Aderit ille Deus.

La quatriéme Figure estoit la Religion un Encensoir à la main, & une Couronne d’Etoiles dans l’autre, qu’elle sembloit presenter au Roy, avec ces mots empruntez de la Devise d’un des Ducs d’Anjou,

Manet altera Cœle.

Sur la porte de la Chambre du Conseil de Ville on lisoit ce Passage de Salomon,

Salus populi ubi multa Concilia.

Tout le reste de l’Hostel de Ville estoit illuminé par des Fleurs de Lys, & des Dauphins, par les Armes de Madame la Dauphine, par des Antiques, des Autels ardens, des Sacrifices, des Termes, des Trophées, divers Obelisques, des Phares, avec des Devises sur chacune de ces Figures, au nombre de plus de cent.

Cette multitude de lumieres jointe à la disposition qu’on leur avoit donnée, & à la situation avantageuse du lieu, composoit un Spectacle si agreable qu’on ne pouvoit se lasser de le regarder ; lors que tout d’un coup il sortit du Soleil sur le milieu de la Balustrade un tres-grand nombre de Fusées, qui formerent comme autant de rayons, & qui porterent le feu dans plusieurs Figures de l’Illumination, où l’on avoit renfermé des feux d’artifice, & qui s’allumant encore les unes & les autres par des Fusées de communication, s’éleverent toutes à diverses reprises pour se consumer en l’air, & firent un Feu d’artifice qui finit par une Girandole placée sur la Tour de l’Horloge dans une Bombe, sur laquelle estoient écrits ces mots en lettres de feu,

Dignos Phœbo concipit ignes.

C’est ainsi que la Ville & l’Academie d’Angers ont essayé de répondre aux bontez de nostre Auguste Monarque. La Ville luy a érigé une Statuë qui sera le plus cher objet de tous ceux qui passeront leurs jours dans une Province, à laquelle il ne manque que d’estre moins éloignée du séjour ordinaire de ses Princes ; & qui rendant la Majesté de ce Heros toûjours presente aux Academiciens, les animera sans doute à tracer dans leurs écrits les traits de sa gloire & de sa grandeur.

La premiere Assemblée de l’Academie se passa dans les témoignages de bien-veillance que se peuvent donner trente personnes choisies, que la conformité de leurs Etudes, & de leurs inclinations, avoit déja presque tous liez d’une étroite amitié, qui ont l’avantage de voir leurs occupations honorées de l’estime publique, & de se trouver en estat de gouster sous la protection du plus grand Roy de la Terre les douceurs de cette agreable Societé qui fait le charme des esprits. Dans l’Assemblée suivante on éleut les Officiers. Mr l’Evesque d’Angers fut éleu Directeur, Mr Gohin premier President du Presidial, fut nommé Chancelier ; Mr Goureau dont je vous ay déja parlé, & Mr Petrineau, cy-devant President de la Prevosté, Police & conservation des Privileges de l’Université d’Angers, & premier Echevin de la Ville, furent faits Secretaires perpetuels. On eut assez de quoy s’occuper dans quelques autres Assemblées de la Lecture de divers Ouvrages en Prose & en Vers, qu’avoient composez plusieurs beaux esprits de la Province rechaussez par ce nouvel établissement. L’Academie receut aussi quelques Complimens sur des Theses qui luy furent dediées.

Mr du Plessis de Gesté Euesque de Saintes, d’une des plus anciennes Maisons de la Province d’Anjou, s’estant trouvé dans la Ville d’Angers, l’Academie creut ne se pouvoir dispenser de rendre ses civilitez à un Prelat qui fait tant d’honneur à sa Patrie, & dont le Frere aisné, l’un des plus sages & des plus sçavans Gentilhommes du Royaume, est un des plus beaux ornemens de cette nouvelle Compagnie. Mr l’Evesque de Saintes fit l’honneur à l’Academie de se trouver à la Conference qui se fit ce mesme jour, & Mr du Tremblay Frain, connu par deux Traitez qu’il a faits, le premier contre le Jeu, & le second de la Vocation Chrestienne des Enfans, prit une occasion si favorable pour prier Mr de Saintes & la Compagnie, de luy dire son sentiment sur le dessein d’un Livre de Morale dont il lut le projet.

Mr l’Abbé le Pelletier, à qui nostre Langue est redevable de deux excellentes Traductions, l’une de la Vie du Pape Sixte V. de l’Italien de Gregorio Leti, & l’autre de l’Histoire de la Guerre de Chypre écrite en Latin par Antoine Mana Gratiani, Evesque d’Amelia, fut aussi prié de lire quelques endroits d’une Traduction qu’il doit bien-tost donner au Public de l’Histoire de la Chine, composée par le Pere Martin Jesuite Alleman.

La Conference finit par une sçavante Dissertation de Mr de la Vilete Breillet, Gentilhomme Angevin, & l’un des trente Academiciens, sur des Vers Latins composez par Francius Poëte Hollandois, en l’honneur de l’illustre Mr l’Abbé Ménage, qui est de la mesme Academie.

On éleut dans la derniere Assemblée en la place de Mr de Primé Martineau, mort depuis l’établissement. Mr Cupif Sr de Terdras Conseiller au Presidial & à l’Hostel de Ville, cy-devant Maire d’Angers.

Les Vacations qui survinrent peu de temps aprés, firent cesser les Conferences Academiques, qui viennent de recommencer par trois Discours publics. Le premier a esté un excellent Eloge de Mr de Primé Martineau, vivant Secretaire du Roy, prononcé par Mr de Livonniere Poquet, Conseiller au Presidial d’Angers. Le second a esté l’Eloge de Mr de Roye, celebre Docteur en Droit dans l’Université d’Angers, aussi l’un des Academiciens morts depuis la naissance de l’Academie. Cet Eloge a esté prononcé par Mr du Tremblay Frain. La place de ce dernier Academicien mort n’estant pas encore remplie, Mr Goureau Secretaire de l’Academie, prepara la Compagnie à faire une élection digne d’elle par un troisiéme Discours, dans lequel il fit connoistre quelles doivent estre les qualitez d’un Academicien ; & toutes ces qualitez se trouvant dans Mr Constantin, Grand Prevost d’Anjou, que la profession des Armes n’a pas empesché de joindre à de tres-beaux talens naturels une connoissance entiere des belles Lettres, il fut éleu en la place de Mr de Roye le 28. du mois passé.

Voilà quels sont les premices de cette Compagnie qui se prepare à meriter par de plus grandes choses l’honneur qu’elle a d’avoir pour Fondateur le plus grand de tous les Rois. J’auray un grand Article à vous faire le mois prochain sur cette mesme matiere. Il contiendra les noms des Academiciens, leurs Lettres Patentes, & plusieurs autres choses curieuses.

[Tout ce qui s'est passé en Hongrie depuis la prise de Bude] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 249-250

 

 

[...] Si tost qu'ilII fut de retour au Camp devant cette Place, il fit chanter le Te Deum au bruit de la décharge toute l'Artillerie, après quoy il envoya aux Assiègez un des Prisonniers qu'on avoit fait, qui leur fit connoître qu'ils ne devoient espérer aucun secours du Grand Visir, dont l'Armée venoit d'estre en fuite. [...]

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 259-261.

Voicy un Air de Mr de Bacilly, que vous trouverez d'autant plus beau, qu'il est sur des paroles presque toutes monosyllabes ce qui fait bien voir que Vossius n'a pas eu raison de dire que nôtre Langue n'estoit pas avantageuse pour faire des Chants agreables, à cause qu'elle abonde en monosyllabes. C'est ce que le Pere Menestrier a fort bien remarqué dans la page 107. de son Livre des Representations en Musique, où il cite contre ce Hollandois le sentiment de Mr de Bacilly, tiré de son Livre de l'Art de bien chanter.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ah ! je ne sçay ce que mon coeur demande, doit regarder la page 260.
Ah ! je ne sçay ce que mon cœur demande,
Je veux vous fuir & je suis tous vos pas.
Que je vous crains, que j'apprehende
De vous voir, de voir tant d'apas !
Mais ce n'est point ma crainte la plus grande,
Et je ne crains rien tant que de ne vous voir pas.
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[Madrigal] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 261-262

Les Madrigaux que je vous envoyay le dernier mois, meritent sans doute l’approbation que vous leur donnez. Cependant celuy qui a pour Titre, L’âge d’aimer, n’a pas esté également bien receu. On a prétendu que l’on pouvoit estre Amant tant qu’on n’avoit point l’humeur austere qui suit ordinairement la froide vieillesse ; & un spirituel Anonyme a répondu par ces Vers à celuy qui a soûtenu, que quand un homme passe quarante ans, il ne doit plus luy estre permis d’avoir de l’amont.

MADRIGAL.

 Quand on n’est plus dans la fleur de jeunesse,
Et que l’on est pourtant agile, vigoureux,
Et bien loin des froideurs de l’austere vieillesse,
 Pourquoy cesser d’estre amoureux ?
 Se regle-t-on toûjours par l’âge,
Et n’accorde-t-on rien au bon temperament ?
Les plus indifferens blâmeront davantage,
 S’ils ont le bon sens en partage,
Le Censeur importun, que le discret Amant.

[Sonnets sur la mort de M. le Prince] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 296-300

Je vous parleray le mois prochain des autres honneurs funebres qui doivent estre rendus à la memoire de ce grand Prince. Les Muses ne se sont pas teuës sur sa mort. Voicy deux Sonnets qu’elle a fait faire. Le premier est de Mr de Benserade, & l’autre de Mr Magnin.

SUR LA MORT
de Monsieur le Prince.

Condé traita la mort d’un air audacieux,
L’on eust dit qu’il gagnoit sa derniere Victoire ;
A peine l’Univers est assez spatieux
Pour suffire à pouvoir contenir tant de gloire.
***
 Nous aurons ses hauts Faits toûjours devant les yeux,
Monumens éternels du Temple de Memoire,
D’un si digne Heros les restes précieux,
Que la posterité refusera de croire.
***
 Quelle teste, quel bras, quels talens à choisir ?
Tout en fut merveilleux jusques à son loisir,
Dont le bruit a remply l’un & l’autre hemisphere.
***
 Nul ne put mieux agir quand il fut à propos,
Et mesme comme il sceut noblement ne rien faire,
Nul ne sceut mieux goûter un triomphant repos.

Sur le mesme sujet.

Condé vient de mourir, la Parque impitoyable
Ne l’a point distingué du reste des Humains.
Vertus, merite, honneurs, que vos efforts sont vains
Quand il faut appaiser sa fureur implacable !
***
 C’en est fait, il n’est plus ce Heros indomptable,
Tant de Lauriers si verts sont tombez de ses mains ;
Ce grand évenement fait gemir les Destins,
Mars a fremy d’horreur à ce coup déplorable.
***
 Lens, Nortlingue, Rocroy d’étonnement surpris
Elevent dans les airs de pitoyables cris ;
Mais d’un deüil geneal cette perte est suivie.
***
 A pleurer ce Heros tout le monde est d’accord.
Le moyen de sçavoir l’histoire de sa Vie,
Et de ne pas donner des larmes à sa Mort ?

[Histoire des Oracles, & Lettres diverses] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 304-306

Vous suivez le sentiment du Public dans l’approbation que vous donnez à l’Histoire des Oracles. On la trouve digne de son Autheur ; & c’est beaucoup dire, puis qu’il a l’esprit tres fin & tres-delicat, qu’il pense fort juste, & que ses expressions naturelles & aisées soûtiennent par tout d’une maniere agreable la solidité du raisonnement. J’espere que dans dix ou douze jours je pourray vous envoyer le nouveau Recueil des Lettres du Chevalier d’Her*** que vous demandez avec tant d’empressement. On a cru à cause du Titre de Lettres diverses, que porte la premiere Partie, que c’estoient Lettres ramassées que l’on avoit déja vouës, & qu’on avoit seulement pris soin de faire imprimer ensemble. Cependant il n’y en a aucune qui ne soit originale, & je suis fort seur que ceux qui aiment les Lettres, y trouveront tout l’esprit qu’on peut souhaiter dans ce qui doit estre simplement galant, & n’avoir rien de trop recherché.

[Continuation des Prieres pour le Roy] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 322-329

 

J'ay commencé ma Lettre par les Prières qui ont esté faites pour l'heureux succès de l'Opération, à laquelle la fermeté du Roy l'avoit engagé à s'exposer, & je la finis en vous parlant encore de Prières ; mais il faut que je vous explique que ces Prières ont esté pour deux sujets. L'Eglise ordonna que l'on en fist après l'Opération, afin que les suites en fussent aussi heureuses que les commencemens l'avoient esté. Ensuite tous les Corps des Officiers de Ville, ceux des Arts & Métiers, & toutes les Communautez commencèrent à en faire pour le mesme sujet ; mais dans le cours de ces prières, & avant que tant de Corps eussent pû avoir leur tour, toutes les Eglises retentissant de celles qui se faisoient avec grande solemnité, on apprit la parfaite guérison du Roy, & ces Prières qui n'estoient que pour demander à Dieu le retour de sa Santé, non seulement furent changées en des Actions de grâces, mais l'on y mesla des Te Deum. Ce sont celles que l'on continuë encore tous les jours, & l'empressement est si grand, que tout Paris semble estre occupé à ces saintes réjoüissances. Quand on est hors des Eglises, on entend toutes les Cloches de la Ville sonner dans le mesme temps, & quand on entre dans quelqu'une, on entend que de la Musique, & on les trouve toutes remplies d'un Peuple priant aux pieds des Autels, & avec un zèle qui tire des larmes de joye de ceux qui ont autant d'amour pour le Roy, qu'en mérite toute ce que ce grand Monarque a fait pour la France. Les Eglises où ces Prières se font, sont éclairées d'un nombre infini de Cierges, & l'on n'y voit que riches Tapisseries, Argenterie & Tableaux. [...] Ceux qui sont logez dans les Galeries du Louvre, & que l’on peut dire chacun en son genre les premiers de leur Profession, puis que ce n’est que par là qu’ils ont merité ces logemens, se sont extrémement distinguez dans la Messe qu’ils ont fait chanter dans la Chapelle du Louvre. Ce fut Mr le Curé de Saint Germain l’Auxerrois, Paroisse du Louvre, qui la celebra. Elle fut accompagnée d’un Te Deum, & l’on peut dire que tour y estoit choisi. La Musique estoit du fameux Mr Lorenzani, dont la réputation est si établie ; les Voix des plus belles de France & d’Italie ; la Chapelle magnifiquement décorée, & la Compagnie composée d’un tres-grand nombre de Personnes de qualité, & de Mrs de l’Academie Françoise, à qui le Roy, qui en est le Protecteur, a donné une Salle dans le Louvre pour s’y assembler. Ce n’est pas d’aujourd’huy que Mrs de la Galerie du Louvre ont fait connoistre qu’ils sçavent se distinguer. On se souvient de l’Illumination qu’ils firent à la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & qui l’emporta sur tout ce qu’on fit alors à Paris de cette nature.

Les nouveaux Catholiques qui doivent plus à Sa Majesté que les autres, puis qu’ils luy sont redevables de leur salut, en ont marqué leur reconnoissance par une Messe solemnelle qu’ils firent chanter à S. Sulpice le 12. de ce mois, & où la pluspart d’entre eux communierent

[Zele des nouveaux Catholiques, qui font faire des Prieres publiques pour Sa Majesté] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 329

 

Les nouveaux Catholiques qui doivent plus à Sa Majesté que les autres, puisqu'ils luy sont redevables de leur salut, en ont marqué leur reconnoissance par une Messe solemnelle qu'ils firent chanter à S Sulpice le 12 de ce mois, & où la plupart d'entre eux communièrent. [...]

[Prieres faites au Havre pour la guerison du Roy] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 333-335

 

Je ne parleray point encore des Prières qui ont esté faites dans les autres Villes, je pousserais ma Lettre trop loin ; mais le Havre ayant fait une chose extraordinaire, mérite d'être excepté. Le Dimanche 8 de ce mois, jour de la Conception de la Vierge, on y fit une Procession très solemnelle, qui commença après le Salut, & où le Saint Sacrement fut porté sous le Dais comme le jour de la Feste-Dieu. Toutes les Ruës estoient tapissées. Mr le Duc & Madame la Duchesse de saint Aignan suivoient le Dais, avec un grand nombre d'Officiers, de Dames, & de personnes considérables portant des Cierges. Les Confrères & tous les Prestres du Séminiare en portoient aussi, & plus de vingt cinq mille personnes suivoient la Procession. Après qu'elle fut rentrée, on commença les Prières par un Te Deum, en Action de Grâces de la meilleure santé du Roy. Il fut suivy de l'Exaudiat, & d'autres Pseaumes pour la conservation, pendant que les deux autres paroisses de S François & de S Michel, les Capucins, les Pénitens & les Ursulines, ne la demandoient pas avec moins d'ardeur.

[Te Deum chanté le 29. Décembre dans toutes les Paroisses de Paris, en action de grace de la parfaite Guerison du Roy] §

Mercure galant, décembre 1686 (première partie) [tome 17], p. 335-336

 

Je n'ay rien à ajoûter, sinon qu'il a plu à Dieu d'exaucer tant de Prières, & que la Santé du Roy est parfaite, qu'il a remply tous les devoirs d'un Chrétien pendant les Festes estant descendu à la Chapelle, & que ce Dimanche 29 de ce mois, on chanta le Te Deum dans toutes les Paroisses de Paris, en action de grâces d'une guérison si ardemment souhaitée.