1687

Mercure galant, février 1687 [tome 3].

2017
Source : Mercure galant, février 1687 [tome 3].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, février 1687 [tome 3]. §

Avis §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. I-V

AVIS.

Comme les Festes solemnelles qui ont esté faites dans toute la France, pour marquer la Joye que la guérison du Roy a causée à tous les Peuples, ont, pour ainsi dire, esté jusqu’à l’infiny, il a esté impossible de les faire entrer toutes dans trois ou quatre Volumes ; & on l’a pû d’autant moins, qu’il arrive encore tous les jours des Memoires des Provinces les plus éloignées, ainsi l’on est obligé de differer jusqu’au au mois prochain à donner le reste de ces saintes réjoüissances. Il ne seroit pas juste que l’avenir n’en trouvast que la moitié dans l’Histoire journaliere que renferment les Mercures, & l’on auroit lieu de croire qu’il n’y auroit qu’une partie de la France qui se seroit imposé ce pieux devoir, quoy que le zele ardent de l’autre n’ait pas paru avec moins d’éclat. Quelques-uns croyent que parce que l’on ne prie plus, on doit cesser de dire qu’on a prié. Mais ces raisons ne sont point pour un Historien, & puis qu’on en trouve qui commencent aujourd’huy des Histoires de ce qui s’est passé il y a mille ans, on peut donner ce qui s’est passé il y a un mois. D’ailleurs, outre la justice qu’on rendra à ceux qui ont fait éclater leur zele pour le Roy, & qui auroient sujet de se plaindre si on ne parloit point d’eux, chacun ne peut esperer que du plaisir en apprenant ce que les autres ont fait, puis que la pluspart de ces Festes ont esté accompagnées de superbes ornemens pour l’embellissement des Eglises, dont on ne s’estoit point encore avisé en France, & qu’un zele de rendre plus d’honneur à Dieu, & de prier pour le Roy avec plus de pompe, a fait inventer. Les réjoüissances qui ont esté faites au sortir des Eglises, font encore une partie de ces Festes. On achevera le mois prochain de donner tout ce détail. On y fera entrer ce qu’il y a encore à dire de Paris & du reste de la France, & l’on ménagera les choses d’une maniere, que le Mercure ne laissera pas d’estre remply des Nouvelles ordinaires. On auroit fait des secondes Parties de toutes ces Festes, mais on n’a pas voulu en charger le Public, aprés les quatre Volumes que l’on vient de luy donner de l’Ambassade de Siam, quoy que ces quatre Volumes soient d’une tres-grande utilité, puis qu’ils apprennent à connoistre ce qu’il y a de plus beau & de plus curieux en France, dont on n’avoit encore fait qu’ébaucher la description.

[Relation exacte de ce qui s'est passé à la reception du Roy à Paris] §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 1-66

 

Quoy que le Roy, comblé des faveurs du Ciel, & satisfait de tout ce que les Peuples ont fait d'extraordinaire, tant pour demander à Dieu sa guérison, que pour l'en remercier, ait marqué il y a un mois qu'il souhaitoit qu'on arrestast les effets d'un si grand zele qu'il voyoit s'augmenter de jour en jour, & qu'aprés un Mandement de Mr l'Archevesque de Paris donné sur ce sujet, les Eglises n'ayent plus esté décorées, & remplies que pour quelques superbes Festes, dont la permission avoit esté accordée avant ce judicieux Mandement, je ne puis si-tost cesser de vous entretenir de ces saintes réjoüissances. Elles ont esté faites en tant d'endroits dans un mesme temps, & avec une si fervente rapidité, que depuis qu'elles ont commencé, les jours n'ont pas esté assez longs pour me permettre d'écrire tout ce qui s'y est passé ; de sorte que je ne pourray vous parler ce mois-cy que d'une partie de ce qui me reste à vous apprendre. Mais si je n'ay pû encore achever de vous marquer la ferveur des Particuliers sur cet Article, j'ay du moins tâché à diverses reprises de vous faire une peinture générale de ce Peuple pleurant & priant aux pieds des Autels, lors qu'il estoit accablé de douleur, & de crainte, & rendant, aprés estre revenu de sa frayeur, des graces solemnelles au Ciel par des Cantiques d'allegresse, chantez avec tout ce que la Musique a de plus touchant & de plus beau, comme s'il eust cherché par cette sainte melodie à rendre ses remerciemens plus agreables à Dieu, & à faire voir à toute la Terre, par l'ingenieux travail & par la pompe des diverses décorations, qu'il n'épargnoit rien pour laisser à la posterité d'éclatantes marques de la sincerité de son zele. Aprés vous avoir fait plusieurs de ces Peintures, & leur avoir donné, non pas toute la vivacité qu'elles devroient avoir, mais toute celle dont j'ay esté capable, je dois aujourd'huy vous representer ce mesme Peuple au milieu des épanchemens de joye, s'il m'est permis de parler ainsi, que luy cause la presence de son Prince. Il a prié, il a soûpiré pour luy, & il l'a fait d'une maniere si tendre, que les Siecles passez ne nous fournissent rien de pareil dans des occasions de cette nature. Doit-on s'étonner aprés cela, si tout remply par avance du plaisir dont la veuë estoit sur le point de le combler, il n'a plus gardé de mesures dans ses transports, & si on l'a veu courir au devant de ce Monarque, & se trouver ensuite dans tous les lieux de son passage, n'estant pas satisfait de ne le voir qu'une fois & seulement en passant, mais estant toûjours en mouvement, pour se rencontrer en un même jour dans tous les endorits qu'il devoit honorer de sa présence? Quelque surprenans que soient les apprests d'un Feste toute magnifique, & quelque vaste matiere qu'elle offre à ceux qui en entreprennent la description, c'est moins au superbe appareil, au bon ordre, & aux mets delicats qu'ils se devoient attacher dans une occasion pareille à celle-cy, qu'à faire un Tableau naturel, & bien ressemblant de l'allegresse publique, & à bien peindre les vifs transports du tendre & ardent amour des peuples, & l'excés des bontez du Souverain. J'ay cherché à m'en instruire avec tant de soin, & j'ay apporté tant d'exactitude à bien remarquer ces differens mouvements, que j'ay lieu de croire que ma Relation pour paroistra nouvelle par un grand nombre de ces endroits, que ceux qui ont traité la mesme maniere, n'ont point touchez, de sorte que l'on pourra dire en la lisant, que si les coeurs de tout le peuple de Paris n'avoient pas esté veritablement penetrez d'un sincere & fort amour pour le Roy, ce Prince leur auroit inspiré des sentimens qui auroient beaucoup approché de l'adoration & que si le Roy n'avoit pas eu pour des Sujets si zelez toute la tendresse, & toute la confiance que l'excés de la bonté leur fit paroistre ce jour-là, il n'auroit pû se défendre d'aimer un Peuple dont il se seroit connu si fortement & si trendrement aime, dont toute l'ame luy parut dans les yeux, sur les lévres, dans tous les mouvemens qui luy furent inspirez paf son excessive joye.

Quoyque le Roy eust déja remercié Dieu du parfait rétablissement de sa Santé, & qu'il s'acquitast encore chaque jour de ce devoir par de bonnes oeuvres & par des prieres, Sa Majesté résolut d'en rendre encore publiquement de nouvelles actions de graces dans l'Eglise Cathedrale de Paris, en venant entendre la Messe à la Chapelle de la Vierge, Protectrice de son Royaume, & d'aller ensuite disner à l'Hostel de Ville. Ainsi l'on peut dire que dans la principale EGlise de Paris, ce Prince a remercié toutes les ??tres qui avoient ouvert les prieres pour le parfait rétablissement de sa Santé, avant que les Peuples eussent commencé à faire prier ; que sa presence à l'Hostel de Ville a témoigné de la satisfaction qu'il ??voit de tous les habitans de Paris qui avoient fait prier avec un zele qui n'avoit point encore eu d'exemple, & qu'en ??nant dans la Capitale de son Royaume pour qui marquer à quel point il en estoit satisfait, il faisoit connoistre combien il estoit content de toutes les autres Villes qu'il ne pouvoit honorer de presence.

Comme on n'avoir point demandé au Roy qu'il vinst ? Paris, & qu'on n'auroit de le prier de disner à l'Hostel de Ville, ce mouvement eust un effet des bontez de Monarque. Lors qu'il eut resolu ce qu'il avoit dessein faire dans cette memorable journée qui rendra les Archives de la Ville recommandables à la posterité, il donna ordre à Mr le Pelletier contrôleur General, de faire dire à Mr le President de Fourcy, Prevost des marchands, qu'il avoit à lui parler. Mr le Pelletier lui écrivit aussi tost, de se rendre à Versailles le matin du 26 de Janvier qui estoit un Dimanche, ;e jour que sa Majesté avoit marqué. Mr de Fourcy estant arrivé dés le matin, alla chez Mr le Contrôleur General qui luy dit, qu'il apprendrait de la bouche du Roy, le ??let pour lesquel on l'avoit demandé, & quil estoit seur que la chose ne luy seroit pas desagreable. Ce President se rendit ensuite au lever de Sa Majesté, & le Roy l'ayant apperçu au travers de la foule qui l'environne ordinairement à ces heures-là, Sa Majesté le fit entrer dans son Cabinet, & luy dit qu'elle iroit le Jeudy suivant entendre la Messe à Nostre-Dame & de là disner à l'Hostel de Ville ; qu'il luy fist préparer une Table de vingt-cinq Couverts, & deux ou trois autres de quinze à vingt Couverts pour les Seigneurs de la Cour. Mr le Prevost des Marchands luy ayant demandé de quelle maniere Sa Majesté vouloit estre servie, le Roy lui repondit, que ce seroit comme il voudroit, & qu'il avoit une telle confiance en sa personne, aux Officiers de la Ville, & à tous les Habitans, qu'il mangeroit tout ce qu'on luy éroit aprester. Avoüez, Madame, qu'on ne peut rien ajoûter aux manieres honnestes & obligeantes du Roy, lorsque sa Majesté juge à propos de donner des marques de ses bontez, & qu'il est tout à fait impossible de trouver des termes pour les bien exprimer. On a mesme de la peine a décider si long que ce Prince fait du bien à quelqu'un, ce bien, quelque grand qu'il puisse estre, & quelque besoin qu'en ait celuy à qui il est fait, ne la doit pas moins toucher que la maniere dont il le reçoit ou dont sa Majesté luy accordre les honneurs qu'il a souhaitez, s'il s'agit de choses de cette nature. Il y a plus dans ce qui regarde aujourd'huy la Ville de Paris. Le Roy fait plus que prévenir ses souhaits, puisqu'elle n'auroit osé souhaitez ce que ce Prince propose luy mesme de faire, & que la nouvelle qu'elle en apprend de sa bouche, est accompagné de si glorieuses circonstances, & de paroles si obligeantes pour Mrs de Ville, & pour tous les Habitants de Paris, qu'elle n'en sçauroit marquer assez de reconnaissance, n'en ayant poinrt d'autres moyens que des acclamations pleines d'amour, & souvent repetées, & la sincerité de ses voeux. Mr le Prevost des Marchands comblé pour la Ville des bontez du Roy, mais trouvant en mesme temps comme impossible de le recevoir assez bien dans le secours des Officiers de Sa Majesté, luy demanda la permission de s'en servir, & le Roy continuant par ses manieres obligeantes à faire voir qu'il se confioit entierement aux Officiers de la Ville, & à ses Habitants, répondit à Mr le Prevost des Marchands, Qu'il vouloit estre servy par les Officiers de la Ville, mais que si elle avoit besoin des siens, il donneroit ordre à Mr de Livry, son premier Maistre d'Hostel, de l'aider de tout ce qu'il pourroit. Mr de Fourcy se retira aprés avoir remercié le Roy de l'honneur qu'il vouloit faire à sa Ville de Paris, & alla trouver Mr le Marquy de Livry, avec lequel il ne put prendre aucunes mesures, jusqu'à ce que ce Marquis eust receus les ordres de Sa Majesté. Elle luy ordonna pendant son dîsner, De donner à Mr le Prevost des Marchands tous les Officiers, & toutes les autres choses qu'il demanderoit, & de l'aider luy-mesme autant qu'il le pourroit faire. Mr de Livry ayant sceu la volonté du Roy, dit à Mr de Fourcy que le lendemain sur les quatre heures il se rendroit à l'Hostel de Ville, afin de voir quelles mesures il y auroit à prendre sur ce qu'on pourroit souhaiter de luy. Pendant tous ces mouvements Mr le Prevost des Marchands, qui jugea que le temps qui restoit jusqu'au Jeudy devoit estre entierement employé, sans qu'il y en eust un seul moment de perdu, avoit dépesché un Courrier aux Echevins, pour les avertir de se retrouver à l'Hostel de Ville sur les six heures du soir, afin qu'en arrivant de Versailles, il pust leur faire part d'une si bonne nouvelle, & voir avc eux de quelle maniere ils agiroient, pour répondre autant qu'il seroit en leur pouvoir, à l'honneur que Sa Majesté avoit dessein de leur faire.

Mr le Prevost des Marchands estant arrivé ce soir-là à Paris beaucoup plus tard qu'il ne l'avoit cru, & l'Assemblée ne s'estant pas trouvé complete, parceque que la pluspart des Echevins n'estoient pas chez eux lors que le Courrier de Mr de Fourcy arriva, l'ordre fut donné pour les avertir de se trouver à l'Hostel de Ville le lendemain à sept heures du matin, avec Mr le Procureur du Roy, le Greffier, & le Receveur de la Ville. Ainsi le Bureau estant assemblé le Lundy, on y résolut que pour donner à manger au Roy on prendroit ses mesmes Officiers, & qu'en s'y abandonnant entièrement on leur laisseroit le soin de tout ce qui concernait la Table de Sa Majesté.

Que la Table du Roy seroit dressée dans la grande salle.

Qu'on s'informeroit autant qu'on pourroit du nombre des Seigneurs, & autres personnes de la Cour qui vienneroient à l'Hostel de Ville.

Qu'on feroit préparer trois Tables de vingt à vingt-cinq Couverts chacune, l'une dans le Bureau, & les deux autres dans la Salle des Capitaines. Qu'on prendroit un ou plusieurs Traiteurs pour servir ces trois Tables.

Qu'à chacune de ces trois Tables il y auroit deux Maistres d'Hostel, & un Controleur.

On résolut aussi plusieurs choses concernant ces Tables, afin que tout s'y passa avec ordre & que quelque grand que fust le nombre des personnes qui pourroient survenir, la confusion n'empeschast pas l'abondance de toutes choses.

On arresta en même temps que la grande Salle seroit tapissée, excepté auix endroits où sont les Tableaux de Mrs les Prevosts des Marchands et des Echevins.

Qu'on tendroit un magnifique Dais à l'endroit où le Roy mangeroit.

Qu'on dresseroit dans un des bouts proche la porte un Amphitheatre, pour placer les vingt-quatre Violons et les Hautbois du Roy, qui joüerent pendant tout le dîné.

Que la Salle des Conseillers de Ville, dite de la Reyne, seroit ornée de riches Tapisseries, de tres-beaux Meubles, & de Tapis de pied comme un lieu où le Roy se retireroit en sortant de Table.

Que les deux Chambres du Greffier, à costé de la grande Salle, seroient parées de même pour Madame la Dauphine & les Dames de la suite.

Que tous les lieux de l'Hostel de Ville seroient vûs & visitez par le Maistre des Oeuvres, & par le Charpentier de la Ville, & qu'ils seroient étayez aux endroits où seroit le Roy, en presence d'un ou deux de Messieurs. Ce n'esoit pas qu'il y eust aucune endroit qui en eust besoin ; mais cette précausion est toûjours bonne partout où va le Roy, à cause de la foule qui l'accompagne, et qui est encore augmentée par l'empressement qu'on a de le voir.

On arresta de plus, qu'on feroit bien nettoyez la Place de Greve, & qu'on feroit enlever tout le bois qu'on avoit esté obligé d'y mettre, à cause du désordre qiue la gelée venoit de causer sur la Riviere. On résolut aussi qu'on sableroit le devant de l'Hostel de Ville. Le reste de la journée se passa à donner les ordres pour l'execution de toutes ces choses.

Mr le Marquis de Livry se trouva sur les quatre heures à l'Hostel de Ville, ainsi qu'il l'avoit promis le jour précédent à Mr le Prevost des Marchands. Mrs Viesse & Pouget s'y trouverent aussi avec plusieurs Officiers de la Bouche & du Gobelet. Mr de Livry dit à Mr le Prevost des Marchands, que le Roy avoit demandé qu'on augmentast sa Table de dix Couverts, ce qui obligea de changer les mesures qu'on avoit prises, & d'ordonner une Table de trente-cinq Couverts, qui auroit à peu prés la figure d'un fer à cheval.

On pria Mr de Livry suivant ce qui avait esté resolu de donner les ordres necessaires à tous les Officiers de la Bouche & du Gobelet du Roy, ce qu'il fit sur le champ, la plupart estant presens. Il leur ordonna aussi de faire enlever à Paris, & de mesme à plusieurs lieuës aux environs tout ce qu'ils trouveroient de plus delicat, de plus exquis & de plus rare, & dépescha un homme à Roüen pour avoir des Veaux de riviere. Il satisfit par là aux prieres de Mrs de Ville qui auroient souhaité que la terre eust produit quelque chose de nouveau, s'il eust esté possible, & de plus exquis que tout ce qu'elle a jamais porté, afin de montrer en n'épargnant rien pour l'avoir, que leur plus grande joye auroit esté, de se pouvoir distinguer dans la reception qu'ils avoient à faire à Sa Majesté.

On resolut en mesme temps que la Table seroit servie par le dedans, & qu'il y auroit trois Services.

Que le service se feroit sur trois files, à la teste desquelles macheroient trois Huissiers avec leurs Robes de Livrée.

Que les plats seroient portez par les Archers de Ville precedez de leur Colonel.

Que le Maistre d'Hostel de la Ville auroit l'honneur de poser les plats devant le Roy suivant l'intention de Sa Majesté, que Mrs Viesse & Pouget Controleurs de la Maison du Roy, les poseroient sur les deux costez, & qu'afin que la chose pust estre executée sans confusion, la Table seroit dressée dés le lendemain, & que tous ceux qui devoient servir se trouveroient à l'Hostel de Ville le Mardy au soir pour repeter le Service.

Mr le Prevost des Marchands écrivit par un Exprés à Mr de Seignelay, pour sçavoir si le Roy trouveroit bon qu'on fist trois décharges des Boëtes, & du Canon de la Ville ; la première lors que sa Majesté entreroit dans Paris, la seconde lors qu'Elle seroit arrivée à l'Hostel de Ville, & la troisiéme lors qu'Elle en partiroit ; si l'on ne feroit pas faire de feux le soir, & si l'on n'en feroit pas faire un d'Artifice devant l'Hostel de Ville ; les Boutiques ne seroient pas fermées ce jour là, & si Mrs les Prevosts des Marchands & des Echevins ne seroient pas revestus de leurs robes de velours ; qui sont elles des plus grandes Ceremonies.

On se rassembla le Mardy matin, & l'on resolut qu'on auroit deux endroits ou Bureaux, l'un dans l'Hostel de Ville, & l'autre dehors, qui seroient remplis de Bouteilles de meilleur vin, de pains de pâtez de toutes façons, de jambons, de viandes froides de toutes sortes & de langues de boeuf,& qu'il y auroit dans chaque endroit trois personnes qui distribueroient depuis le matin jusque au soir, à tous ceux qui en demanderoient, l'un du pain l'autre du vin, &le troisiéme de la viande, & que l'on mettroit en plusieurs endroits de l'Hostel de Ville des pla?ards qui défineroient les lieux où se feroit cette distribution : qu'il y auroit des lustres dans toutes les Salles et dans toutes les Chambres de l'Hostel de Ville ; que l'on feroit incessamment du feu par tout afin d'échauffer les lieux, & qu'on mettroit des braziers dans la grande Salle, qui seroient ostez si-tost que le Roy arriveroit.

Mr le Prevost dans Marchands receut une réponse à la Lettre dont je vous ay déjà parlé. Ell portoit, que le Roy ne vouloit point qu'on tirast de Canon, mais que Sa Majesté permettoit qu'on fist le soir des feux, qu'il y en eust un d'Artifice devant l'Hostel de Ville & qu'on n'ouvrist point les Boutiques ce jour là. Mr le Prevost dans Marchands reçu aussi une Lettre de cache qui luy estoit adressée ainsi qu'aux Echevins, & par laquelle on leur permetta d'estre ce jour là vestus de leurs Robes de Ceremonies.

On donna aussi-tost tous les ordres necessaires pour tout ce qui regardoit le Fleu d'Artifice, & le Sieur Robert, fameux Traiteur, fut chargé du soin des Tables qui devoient estre servies en mesme temps que celle du Roy. Le Mercredy au matin on marqua quatre endroits dans la Place de Greve pour dresser les Décorations qui devoient servir à autant de Fontaines de vin qui couleroient depuis le matin jusques au soir, & où l'on jetteroit continuellement du pain au Peuple. On resolut aussi de faire quatre ou cinq feux dans la Place pour échaufer les Soldats qu'il y auroit un signal qui avertiroit lors que le Roy seroit arrivé à Nostre-Dame, un autre lors que la Messe seroit à moitié dite, & le troisiéme lors qu'elle seroit finie. Le premier signal estoit que la grosse Cloche de Nostre-Dame sonneroit en faux-bourdon, le second qu'on exposeroit au haut d'une des Tours un Drapeau blanc, & le troisiéme que les deux grosses Cloches sonneroient.

Sur les cinq heures du soir, Mrs de Ville eurent ordre d'augmenter la Table du Roy de vingt couverts. Ils jugerent à propos d'en ajoûter une quatrième à celles qui estoient destinées pour la suite, et prirent de si promptes, & de si justes mesures pour toutes ces choses, que tout fut presque aussi-tost executé qu'ordonné.

Il seroit impossible de faire le détail de tous les preparatifs qui furent faits, des soins qu'on prit, & des précautions qu'on aporta pour empescher le desordre, & rendre cette Feste complette. Ceux qui ordonnoient ainsi que ceux qui travailloient, avoient le coeur plein de joye, & quand on est content, il n'est rien dont on ne vienne aisément à bout.

Outre que le détail où je viens d'entrer vous aprends beaucoup de particularites que je n'aurois pû placer autre-part, il va me donner lieu de vous marquer de suite ce que le Roy a fait à l'Hostel de Ville, sans que j'interrompe ce que j'ay à vous en dire, par plusieurs de ces descriptions, que j'aurois esté obligé de faire.

Vous venez de voir tous les mouvements de la Ville jusqu'au Mercredy au soir. Le lendemain 30. du mois, le Roy, qui dans la plus vive ardeur de son mal, n'avoit laissé passer aucun jour sans tenir Conseil, partit de Versailles pour se rendre à Paris, aprés avoir travaillé pendant la plus grande partie de la matinée. Il trouva sur la route Mr le Prevost de l'Isle avec sa Compagnie, qui luy parut en fort bon ordre. Le chemin estoit aussi bordé plus d'une lieuë au delà des portes par quantité de peuple, qui pressé de l'impatience qu'il avoit de voir son Prince, estoit sorty dés le matin, de sorte que la Campagne ne fut pas moins remplie que la Ville, de cris de Vive le Roy. Sa Majesté, aprés avoir passé la porte de Conference, trouva Mr le Chevalier du Guet à la teste de sa Compagnie, qui estoit en haye. Elle fut regardée de toute la Cour à cause du bon estat où elle est par les soins que ce Chevalier en prend. Le peuple avoit esté au devant du Roy, & qui estoit rentré avec sa Majesté, commençant à se joindre avec ceux qui l'attendoient dans la Ville, fit entendre un redoublement de cris de Vive le Roy, & augmenta tellement la foule qui estoit déja fort grande, qu'à peine le Carosse de Sa Majesté pouvoit avancer, quoy qu'il allast fort lentement. Les Regimens des Gardes Françoises & Suisses devoient former deux hayes dans tous les lieux où Sa Majesté devoit passer, selon ce qui se pratique ordinairement dans une semblable occasion, mais ce Prince n'avoit point voulu qu'il y eust de Soldats, tant afin que ses peuples pussent le voir de plus prés, que pour marquer la confiance qu'il avoit en eux, & qu'il ne vouloit ce jour-là pour Garde que leur Amour.Le Carosse du Roy n'estoit encore qu'au Quay des Thuilleries, lors qu'ayant esté apperceu de dessus les Tours de Nostre-Dame, on sonna la Cloche Emanuel, dont le Roy est le Parrain, & qui ne peut estre sonnée en branle que par trente-quatre hommes. Cependant plus le Carosse du Roy tâchoit d'avancer, & plus les acclamations publiques redoubloient. Autrefois la seule jeunesse, & le menu peuple faisoient entendre ces cris de joye, mais aujourd'huy ce n'est plus de mesme, & sans distinction d'âge & de qualité, ils sont dans la bouche de tous les Sujets de Sa Majesté. J'ay vû plus en cette occasion, & je suis témoin qu'un excés d'allegresse a fait répandre beaucoup de larmes. Le chemin qui conduit à Nostre-Dame se trouva tellement remply, qu'il fut impossible à Mr le Cardinal Ranuzzi, qui vouloit estre à la Messe du Roy, de percer la foule. Ainsi il fut obligé de s'arrester à la Place Dauphine, & de monter à une Chambre jusqu'à ce que le Roy fust passé.L'affluence ne se trouva pas moins grande à Nostre-Dame, le Roy n'ayant point voulu que les portes en fussent gardées. On n'y avoit neanmoins laissé entrer que des personnes qui ne paroissoient pas estre tout à fait du menu peuple. Mr l'Archevesque en Camail & en Rochet, y receut le Roy à la teste du Chapitre ; & presenta la vraye Croix à Sa Majesté. Le Roy la baisa à genoux, & prit de l'Eau benite. Comme il avoit ordonné qu'on ne luy fist point de compliment, Mr l'Archevesque ne luy dit que ces paroles: Sire, Vostre Majesté nous a fermé la bouche pendant qu'Elle l'a ouverte à la joye publique.

Le Roy répondit, je m'en suis apperceu par où j'ay passé, & elle me paroist encore plus grande joy. A quoy Mr l'Archevesque repartit, J'apprehende, Sire, qu'elle nous fasse manquer au respect que nous vous devons. Le Roy & toute la Cour eurent ensuite beaucoup de peine à passer jusqu'à la Chapelle de la Vierge ; cependant Sa Majesté ne voulut point que les Gardes repoussassent le Peuple pour luy faire faire place. Ils demeurerent derriere, & ce Prince entouré d'un nombre incroyable de Sujets pleins de zele, approcha enfin de cette Chapelle. Il y entendit la Messe qui fut celebrée par un de ses Chapelains, & pendant ce temps on chanta un Motet sur la destruction de l'Heresie, que Mr l'Abbé de la Mothe Archidiacre de l'Eglise qui estoit auprés du Prie Dieu du Roy, presenta à Sa Majesté & à Monseigneur le Dauphin.

La Messe finie, la foule redoubla autour du Roy, & l'on peut dire qu'il ne vit qu'un Peuple extraordinairement pressé, & qu'il n'entendit qu'un choeur de Vive le Roy jusques à l'Hostel de Ville. Il y avoit dans la Place deux Compagnies du Regiment des Gardes en haye, à la teste desquelles estoit Mr le Mareschal Duc de la Feüillade, la demy-Pique à la main. Mr le Prevost des Marchands, Mrs Geoffroy, Gayot, Chuppin & Sanguiniere Echevins, Mr Tiron Procureur du Roy, Mr Mitantier Greffier, & Mr Boucot Receveur, tous en Robes rouges de velours, receurent le Roy à la descente de son Carrosse. Mr le Prevost des Marchands luy dit,

SIRE, La plus vive éloquence n'est pas capable de mieux exprimer à Vostre Majesté la joye de tous ses Peuples, que les cris qui nous interrompent. Ce sont, SIRE, les plus sinceres expressions de leurs coeurs remplus de respect, d'amour, & de fidelité pour le Roy, que nous esperons rendre éternels par nos exemples.

Le bruit des exclamations du peuple estoit si grand, que Mr le Prevost des Marchands ne put entendre ce que le Roy luy répondit. Sa Majesté ayant aperçû Mr de Fourcy, lui dit en luy montrant Madame la Dauphine, Madame la Prevoste des Marchands, voilà une grande Princesse que je vous amene. On monta ensuite au bruit d'un grand nombre d'Instrumens & le Roy estant entré dans la grande Salle, salua tous ceux qui s'y trouverent, avec cet air engageant qui luy gagne tous les coeurs. Je n'ay rien a adjoûter à ce que je vous ay dit de l'ornement de cette Salle, sinon que le grand BUffet de la Ville qui est Vermeil doré y estoit dressé avec plusieurs autres.

On avoit pris des mesures si justes pour le Service, qu'on qu'on achevoit de couvrir la Table quand le Roy entra. Elle éstoit de cinquante cinq couverts ; je vous en envoiye le Plan. Peut estre, n'est-il pas dans les proportions qu'il doit estre ; mais comme les longueurs & les largeurs y sont marquées, on connoistra aisément la distance qui devoit estre d'un endroit à l'autre. Voicy les noms d'un partie de ceux qui estoient à cette Table. [Liste des noms]

Mr le Prevost des Marchands eut l'honneur de donner la Serviette du Roy, & de le servir. Mr Geoffroy, premier Echevin, servit Monseigneur. Madame la Dauphine fut servie par Me la Présidente de Fourcy. Monsieur fut servy par Mr Gayot, Echevin & Conseiller de Ville, Madame par Mr Chuppin, Echevin; Monsieur le Duc de Chartres par Mr Sanguiniere, Echevin ;[etc.].

Il y eut trois Services.

Le premier estoit de 21. grands potages dans des plats de 9. marcs.

De 22. grandes entrées dans des plates de 12. marcs.

Et de 64. petits potages relevez par autant de hors d'oeuvres.

Au second il y avoit 22. grands plats de Rost.

Vingt deux petits plats de Rost.

Vingt & un grands plats d'entremets.

Trente six salades.

Douze sauces.

Le fruit estoit sur trois lignes. Celle du milieu estoit de 29. grands quarrez de fruit cru, & les deux autres étoient, d'une des 56. plats en Porcelaine de toutes sortes de confitures seches & liquides, ornez de fleurs, & garnis dans les vuides de quantité de compotes, & d'assietes de cornets, & d'autre de 33. Sous-coupes de toutes sortes de liqueurs.

Mrs Viesse, Pouget, Cornillot, & Duplessis, & Mr le Févre, Maistre d'Hostel de la Ville, poserent les plats sur la Table. On en servit en mesme temps quatre autre de vingt-cinq Couverts chacune, pour les Seigneurs & pour la suite de la Cour, la magnificence y parut grande, & chaque table fut servie par deux Maistres d'Hostel, un Controleur, & plusieurs autres Officiers. Les Tableaux qui representoient les anciens Prevosts des Marchands & qui estoient dans la Salle où le Roy mangeoit, donnerent occasion à Sa Majesté de d'en parler à Mr de Fourvy pendant le disné. Elle parla aussi des Officiers dont le Corps de Ville estoit composé, des Archers de Ville, de leur nombre, de leurs Privileges, & des Officiers qui les commandent.

Mr le Prevost des Marchands demanda au Roy la liberté des Prisonniers qui estoient alors dans les Prisons de l’Hostel de Ville, mesme pour dettes, avec la permission de satisfaire à leurs Parties, en cas qu’ils n’en eussent pas le moyen ; ce que Sa Majesté accorda à l’instant. Elle eut mesme la bonté d’ordonner une somme pour cet effet Mr le Prevost des Marchands donna aussi-tost ordre de la part du Roy au Greffier de la Ville, d’aller élargir ces Prisonniers, & de décharger leur Ecrou.

Le Roy receut en sortant de Table la serviette des mains de Mr le Prevost des Marchands. Sa Majesté, & Madame la Dauphine entrerent ensuite chacun dans la chambre qui leur avoit esté préparée. Pendant ce temps le Dessert fut abandonné à tous ceux qui en voulurent prendre. Sa Majesté avoit dit à Mr le Prevost des Marchands un peu avant que de sortir de Table, Voilà un beau Dessert, mais il ne restera pas encore long-temps en mesme état ; à quoy Mr le Prevost des Marchands avoit répondu, il faut bien, Sire, que chacun se sente de la Feste.

Quoy que le Roy eust trouvé la Place si remplie de Peuple lors qu’il arriva à l’Hostel de Ville, qu’il y avoit lieu de croire qu’elle n’en pouvoit contenir davantage, la foule ne laissa pas d’augmenter pendant le disner, de sorte que ce grand Corps se trouvant extrémement resserré, il ne luy resta de libre que la voix, pour faire retentir l’air de cris continuels d’allegresse. Le Roy qui les entendoit eut la bonté de se mettre à la fenestre pour voir ce Peuple si zelé. La presence de Sa Majesté augmenta une joye qui sembloit un peu auparavant ne pouvoir recevoir d’accroissement, & fit redoubler des acclamations qu’on ne croyoit pas qui pussent aller plus loin. Rien ne confirme mieux la grandeur, & la bonté du Roy, & l’amour que ces Peuples ont pour ce Prince, que ces emportemens de joye, & ces cris d’allegresse poussez jusqu’au Ciel. Ces applaudissemens publics & universels, ces loüanges sinceres qui ne sont point embellies par l’art, & que la verité fait sortir de la bouche, & du cœur des Peuples, justifient les loüanges que les François, & la pluspart des Etrangers donnent tous les jours au Roy, & font voir que la flaterie n’y sçauroit avoir de part.

[Comédie donné à l’occasion de la réception du Roi à Paris]*I §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 61-68

Tout Paris estant en joye ce jour là, les Comediens marquerent la leur au Public en donnant la Comedie sans prendre d'argent. L'Assemblée estoit nombreuse. Mr de la Grange dit au Peuple lorsque la Piece fut finie, que n'ayant pû garder le silence pendant toutes les marques d'allegresse que tout Paris faisoit éclater, ils avoient fait ouvrir les portes de leur Hostel pour avoir des témoins de leur zele particulier, & qu'ils avoient voulu profiter d'une occasion si avantageuse pour joindre leurs acclamations aux applaudissemens publics. Il ajoûta que les plus beaux triomphes n'avoient jamais eu rien de si sensible pour ceux qui en avoient obtenu la gloire, que ces cris d'allegresse poussez par une foule empressée, & ces acclamations universelles qui partent du coeur en mesme temps qu'elles sortent de la bouche, & que la plus vive éloquence auroit de la peine à bien dépeindre. Il poursuivit en disant qu'ils devoient sans cesse former voeux pour la conservation & la prospérité du Roy, qui ayant toûjours eu en veuë le bon-heur de ses Peuples, a mis la France en estat de ne rien craindre dehors, & la fait jouir au dedans d'un felicité si parfaite qu'il ne luy reste rien à desirer. Admirons, dit-il, pendant toute nostre vie avec un profond respect ses vertus heroïques, trop heureux de joüir en paix de tous le sbiens qu'elles nous procurent,& marquons notre sincere reconnoissance avant que l'Assemblée se separe par des cris redoublez de VIVE LE ROY. A peine eut-il achevé ces derniers mots, que toute l'Assemblée les repeta plusieurs fois, & qu'il s'en forma comme un Concert qui remplit longtemps toute la Salle. Comme toutes les Boutiques avoient esté fermées ce jour-là, on se réjoüissoit dans tous les quartiers de Paris, & les diverstissemens ausquels chacun estoit occupé, n'estoient que des preludes de ceux qu'on devoit prendtre le soir. Ils commencerent par le Feu d'Artifice qui estoit dressé devant l'Hoestel de Ville. Il estoit extremément bien décoré, & orné de plusieurs Inscriptions, & Devises, qui avoient toutes pour Corps un Navire sous les rayons du Soleil. La premiere marquoit que la presence du Roy faisoit cesser toute la crainte qie le Peuple avoit euë durant sa maladie. La seconde faisant voir que le Roy montroit le droit chemin au Vaisseau qui luy servoit de Corps, faisoit connoistre l'obligation que ceux qui estoient engagez dans l'Heresie ont à ce Prince, de ce qu'il les a ramenez au chemin du salut. La troisième marquoit que la seureté dont joüie la Ville est duë à Sa Majesté, & la quatriéme répresentoit l'estat florissant de la Marine sous le Regne du Roy, qui a porté la renomée de ses grandes actions aux extremitez du monde, & qui a attivé l'Ambassade solemnelle du Roy de Siam. Au dessus de chaque Devise il y avoit un Inscription qui en marquoit le Sujet, & au dessus des Inscriptions, une Figure de Femme qui representoit la Ville de Paris. Ce feu fut precede par les décharges du Canon & des Boëtes, & par un fort grand nombre de tres-belles Fusées volantes. Mademoiselle se trouve à ce Feu & y fut regalée d'une Collation magnifique.Il seroit difficile d'exprimer la joye qui regna à l'Hostel de Ville pendant le reste du soir. Il y eut Bal dans trois Salles en mesme temps. On y receut une fort grande quantité de Masques, & les liqueurs ne leur furent point épargnées. Pendant ce temps toutes les ruës de Paris brilloient par les feux qu'on y avoit allumez, & par les Illuminations dont toutes les fenestres estoient décorées. Ce n'estoient par tout que danses, & par tout on presentoit du vin aux passans. Le Pont Nostre-Dame dont toutes le smaisons avoient esté dés le matin ornées de riches Tapisseries, de Tableaux, de Lustres, & de Miroirs, receut un nouvel éclat par celuy des lumieres, ce qui estoit cause, que dans les autres quartiers de la Ville, on faisoit des parties de diverstissement pour l'aller voir. Cette allegresse publiquue ne regnoit pas seulement au milieu de Paris, elle estoit égale dans les Faux-bourgs, & s'estendoit mesme au de-là, & ce qu'un homme seul fit devant l'Hostel des Gobelins où il demeure, & où sont logez une partie des Illustres qui se distinguent dans les beaux Arts, merite d'estre remarqué. Comme sa joye éclata par une dépense qu'il fit seul, il est juste de le séparer de la foule; c'est Mr Vendermeulen, Peintre ordinaire de l'Histoire du Roy, dont je vous ay déja parlé plusieurs fois, & dont les Ouvrages sont si estimez. Il fit faire un grand feu accompagné de Boëtes, & d'un grand nombre de Fusées volantes de diverses manieres, & distribuer du pain à tous les pauvres qui se presenterent, & de tres-excellents vin à tous ceux qui voulurent boire à la Santé du Roy, dont le nombre fut tres-grand; de sorte qu'à voir cette profusion, on n'auroit jamais cru qu'un Particulier eust fait seul cette dépense. Rien ne pouvoir le faire connoistre que l'activité avec laquelle on le voyoit agir pour exciter à boire, & à se réjoüir, & l'on peut dire que son coeur & son amour pour le Roy paroissoient dans ses yeux, & dans toutes ses actions. Ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'il n'est sujet de Sa Majesté qu'à cause de la beauté de ses Ouvrages qui l'ont fait retenir en France, où il est entretenu par le Roy pour qui seul il travaille. Il est né Flamand, & son inclination l'a tellement rendu François, que Sa Majesté n'a point de Sujet qui soit plus zelé. Il pouvoit s'exempter de cette dépense dans cette dernière occasion ayant contribué à celle de deux Corps dont il a l'avantage d'estre. Le premier est celuy des Illustres de plusieurs Professions, qui logent dans l'Hôtel des Gobelins, & le second celuy de la fameuse, & sçavante Academie de Peinture, & de Sculpture, dont j'ay à vous entretenir; mais rien ne peut arrester l'ardeur d'un vray zele.

[Actions de graces renduës en plusieurs Villes du Royaume pour l'entier retablissement de la Santé du Roy] §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 73-114

 

La joye que l'entiere guérison du Roy a causée par tout, a paru trop grande, pour ne pas continuer à vous parler des Actions de graces qui en ont esté renduës à Dieu. Entre ce qui s'est fait de plus singulier & de plus magnifique sur ce sujet, on peut dire qu'on s'est particulierement distingué au Havre. Le zele que Mr le Duc de Saint Aignan, Gouverneur de cette Place, avoit fait paroistre le 8. de Décembre, par un Te Deum, & par une procession generale dans la Ville, à laquelle il assista accompagné de plus de vingt-cinq mille personnes, y a servy d'un si bon exemple, que Mr de Montmor, Intendant General de la Marine de la Province de Normandie, a voulu le suivre. Il choisit le Jeudy 30. du mois passé, pour faire chanter une Messe avec beaucoup de solemnité dans la Chapelle de l'Arsenal, qui estoit extrêmement parée & tres-bien illuminée. Le Portrait du Roy élevé sur des Trophées, estoit au dessus de la porte de l'Arsenal, & aux costez on voyoit ceux de Monseigneur le Dauphin & de Madame la Pauphine, avec ces mots, la gloire triomphante, & éternelle Postérité de LOUIS LE GRAND. Toute cette porte, & les courts de l'Arsenal, estoient tenduës de Pavois, & ornées de Chifres du Roy & de Devises, sur les principales Victoires, & sur les plus grands Actions de Sa Majesté. Au dessus du Portrait de ce Monarque brilloit un Soleil sortent d'une nuë obscure avec ces mots, Amplius virescit. Tout le Corps de la Marine assista à cette Ceremonie, avec Mr le Lieutenant de Roy & Madame sa Femme, qui estoient accompagnez de tous les Officiers de la Citadelle & de la Ville, & d'un grand nombre de Dames. La Messe commença sur les onze heures par un Veni Creator en Musique, & fut suivie d'un Exaudiat, aprés lequel on n'entendit que cris de Vive le Roy, meslez d'une salve de Boëtes, & de Mousqueterie, qui se fit au son des Trompettes, des Tambours, & des Timbales, & d'un tres-grand nombre de Violons & de Hautbois. Il n'y avoit rien de plus surprenant que de voir l'extraordinaire foule de peuple, qui s'estoit assemblé autour de cette Chapelle pour s'unir aux Prieres qu'on y faisoit. Tout l'Arsenal & les ruës estoient remplies d'hommes & de femmes, & même de quantité de nouveaux Convertis, dont le zele qui paroissoit en eux pour le Roy, ne touchoit pas moins le coeur que la devotion qu'ils faisoient paroistre. Au sortir de cette Ceremonie, on alla disner chez Mr le Lieutenant de Roy, qui donna un magnifique Repas, où la joye & l'abondance regnerent également. On n'en sortit que sur les quatre heures du soir, pour se rendre à l'Arsenal, où Mr de Montmor fit chanter un Te Deum en Musique sur le Vaisseau qui sert d'Amiral dans ce Port. Mr l'Abbé de Clieu, Curé du Havre, y officia avec son Clergé, & non seulement tous les Corps y assisterent avec un tres-grand concours de peuple, mais les Capucins & les Penitens y vinrent aussi en Procession. Il y avoit un Autel à jour, superbement élevé sur la Dunette de ce Vaisseau, au haut duquel estoit posé un grand Crucifix qui sortoit d'un coeur enflâmé, avec cette inscription, Letatur & offertur. Aux costez estoient deux Cassoletes qui jettoient des parfums, & l'on voyoit quantité d'Argenteries, & plusieurs piramides de Cierges qui faisoient une tres-belle Illumination. Tous les Vaisseaux estoient pavoisez avec leur Flâmes & leurs Pavillons. Lors que le Te Deum fut finy, on tira le Canon, & alors le bruit des Trompettes, des Tambours, des Hautbois & des Violons se joignit aux cris de Vive le Roy, que poussoit le peuple répandu en foule sur les Vaisseaux & autour des Quais du Bassin. Les portes, les grilles, & les façades estoient aussi remplies de Devises & d'Emblêmes à la loüange du Roy, avec des Trophées, dont les ornemens estoient pleins de Feux d'artifice, ausquels un Amour tenant plusieurs Couleuvres enflâmées, avec ces mots, Prudentiâ & ardore excitat omnes mit le feu sur les six heures du soir. Les Armes de Sa Majesté estoient au milieu de cette grande façade, toutes brillantes & environnées d'une tres-belle Illumination. Il y avoit deux Devises aux costez. L'une estoit une Perle qui sortoit d'une coquille, que les rayons du Soleil faisoient ouvrir avec ces mots, Exit pulchrior. L'autre representoit un Phoenix qui estoit au haut d'un bucher, & qui se piquoit le coeur avec ce mot, Renovabitur. Les Armes de Mr le Marquis de Seignelay estoient aux costez avec des Trophées de Marine. Il y avoit sur le Canal vis à vis la porte de Mr de Montmor, un Feu d'Artifice, d'un invention toute nouvelle. On voyoit un Trône élevé sur le Mont de la Gloire, que les Vertus & les Graces soûtenoient. Un Buste doré du Roy estoit sur ce Trône, avec la Fidelité au bas. Elle venoit offrir à cet Auguste Monarque tous les coeurs de ses Sujets, qui estoient tenus par les Amours. Quatre Figures representant les quatres parties du Monde, estoient prosternées devant le Roy, ne luy rendoient leurs hommages, ainsi que le Dieu Neptune. Le Buste estoit couronné par la Victoire habillée en Ange, qui estoit en ??ir, soûtenant au dessus de sa teste une Couronne fermée, fort brillante avec ces mots, Vive à jamais cet invincible Heros. Une sentinelle & quatre Suisses de l'Arsenal firent garde autour du Trône pendant tout le temps où la Figure parut. Toute la décoration de ce feu estoit semée de coeurs enflamez & de lambeaux d'amour disposez en sautoir, & tres-richement peints. Le Feu fut allumé sur les huit heures du soir, vis à vis la porte de Mr de Montmor, par un Amour qui estoit aussi en l'air & qui tenoient dans sa main un coeur enflâmé/ Ce fut cet Amour qui embrasa tous les coeurs qui estoient autour du Trône avec ces mots, Zelo & arbore excitat omues. Si-tost que l'on eut tiré ce Feu, on vit allumer plusieurs Girandoles de Cristal soûtenues par des Amours, qui éclairerent pendant toute la nuit le Buste du Roy, dont la Couronne fut pareillement illuminée, ce qui faisoit le plus bel effet du monde, & retint le peuple, qui ne cessa point jusques au jour de donner des marques de joye. Sur les neuf heures toute la Compagnie se rendit chez Mr l'Intendant, qui avoit fait préparer un tres-superbe Repas, & d'une grande delicatesse. Il s'y trouva plus de cent Personnes, Dames, Officiers & autres Gens distinguez. La Maison estoit fort parée & rien n'avoit esté oublié pour y faire voir une Illumination des plus agréables. Au-dessus de la porte estoit un Dais, & sous ce Dais on voyoit un grand Portrait du Toy à cheval, orné de Trophées & de plusieurs Devises avec ces Inscriptions, A la gloire immortelle de LOUIS LE GRAND, le Heros du Heros, Roy tres-Chrestien, toujours Auguste, toûjours Victorieux, toûjours Triomphant, le Pere des Peuples, l'admiration des Nations, & les délices de toute la Terre. Il y avoit une renommée au dessus avec une Trompette, & ces mots, Terrae, marisque Dominatori. Les Portraits de Mr le Duc de S. Aignan & de Mr le Marquis de Seignela y étoient au dessous, environnez de Soleils. Des Dauphins formoient deux Fontaines de vin, qui coulerent tout le tour. On distribua au Peuple, et à tous les Pauvres quantité de pain & de viande.Tout le monde y vint boire, jusques aux gens les plus considerables de la Ville, afin de crier Vive le Roy. On eut soin de leur faire trouver des fruits & des viandes sur des tables vis à vis la porte de Mr l'Intendant, où cette Feste fut celebrée en beuvant la Santé du Roy, & de toute la Maison Royale. La façade de la Maison de cet Intendant, chez lequel il y eut Bal aprés le soupé, estoit tenduë de tres-belles Tapisseries & de riches Tapis, avec une Illumination qui dura jusques au jour, accompagnée d'un grand bruit de Timbales, de Tambours & de Trompetes, qui estoient au bas du Trône de Sa Majesté, autour duquel le peuple dansa toute la nuit. Tous les Vaisseaux Marchands & Etrangers qui estoient dans le Port, estoient tous parez avec de grandes Illuminations. Les Muses du Havre n'ont pas esté muettes dans une si belle occasion de parler. Elles ont rendu compte de toute cette Feste à Mr le Duc de Saint Aignan par des Stances irregulieres, que Mr du Mesnil, Capitaine Quarrenier, qui en est l'Autheur, a renduës publiques. Le tour des Vers donne beaucoup d'agrément à cette description, & on peut dire qu'ils sont dignes du sujet.

Cette éclatante Solemnité a tellement excité le zele des Habitans de ce Pays-là, & elle a eu tant de force, particulierement sur les nouveaux Convertis, qu'ils ont fait chanter une grand'Messe & un Te Deum, dans l'Eglise de Nostre-Dame du Havre, pour rendre graces à Dieu de la parfaite Santé du Roy. Plusieurs d'entre-eux y communierent ; Ils avoient fait parer leur Eglise, & mis quantité de Cierges avec un Portrait du Roy, & ceux de Mr le Duc de S. Aignan, & de Mr de Seignelay. Ils n'oublierent pas de mettre aussi celuy de Mr le Coadjuteur de Roüen afin de marquer la reconnoissance qu'ils ont des soins que cet infatigable Prelat a pris & prend encore pour eux.

Le Mercredy 5. de ce mois, on chanta un second Te Deum tres-solemnellement dans la Chapelle de la Citadelle du Havre par les ordres de Mr le Duc de S. Aignan, & par les soins de Mr de Vivier, Lieutenant du Roy, qui traita ensuite Mr l'Intendant, & tous les Officiers de la Garnison & de la Marine avec beaucoup de magnificence. Je ne vous feray point la description de cette nouvelle Feste. Il vous sera aisé de juger qu'elle fut faite avec tous les témoignages de joye que l'on peut donner dans une semblable occasion, aprés que vous aurez leu ce que les Echevins du Havre en ont écrit à Mr le Duc de S. Aignan. Ils marquerent d'abord que suivant les ordres qu'ils avoient terminé les Réjoüissances publiques pour le précieux rétablissement de la santé du Roy, par une Feste à laquelle il sembloit que rien n'eust manqué que sa presence, & qu'ils tâcheraient de luy en faire la description s'ils n'estoient persuadez que de plus sçavantes plumes que les leurs se chargeroient de ce soin.

Quelle grande matiere pour l'étenduë de leur beau genie, disent-ils ensuite, que de voir un nombre presque infiny de veritables Sujets de Sa Majesté, s'annoncer à eux-mesmes cette superbe Feste, s'y preparer avec des marques d'une allegresse incroyable, & comme inspirez pour leur Auguste Prince du zele de Vostre Grandeur, ne trouver rien d'impossible chacun dans son estat pour se signaler & pour se distinguer d'une façon merveilleuse ! Point de Maisons, Monseigneur, sans estre décorées de Tapisseries, d'illuminations, & de feux ; point de Tables sans estre garnies de viandes ; point de Buffets sans flacons, sans bouteilles & sans vin ; point de particuliers sans Couronnes ; point de Chansons que pour le Roy ; point d'applaudissemens que pour le Roy ; point de Festins, de Dances, de Jeux que pour le Roy ; la Santé du Roy par tout, & par tout Vive le Roy. Ce n'est là, MONSEIGNEUR, qu'une foible peinture que nous ne pouvons nous empescher de faire à Vostre Grandeur, de témoignages Publics que tous les Sujets de Sa Majesté soûmis à la prudence de vostre Gouvernement, ont tâché de faire paroistre en cette fameuse journée. Les Trompettes, les Tambours, les Hautbois, les Violons, la Simphonie & la Musique nous accompagnerent par tout, & jamais les soins de Mr le Lieutenant de Roy ne réüssirent avec plus d'éclat & plus de pompe. Mr l'Intendant accompagné de Mrs les Officiers de la Marine, honora par tout cette illustre Feste de sa presence, & ne voulut faire, pour ainsi dire, qu'un Corps avec tous les autres Corps, afin que cette agreable & surprenante confusion produisit le plus bel effet & la plus belle chose du monde. Enfin, MONSEIGNEUR, le bon exemple de M. notre Pasteur qui a encore chanté aujourd'huy une Messe solemnelle où tous les Corps se sont trouvez, en action de graces de la Santé de Sa Majesté pour plusieurs nouveaux Convertis, le coeur genereux de M. le Lieutenant de Roy, la profusion de son magnifique Repas, & si nous ozons le dire, MONSEIGNEUR, notre ardeur & notre attachement inviolable pour tout ce qui regarde notre bon Maistre & notre grand Roy ; tout fut animé des sentimens de Vostre Grandeur, que nous ne cessasmes jamais d'avoir devant les yeux, estant avec tout le respect & toute la soûmission possible, &c.

La Compagnie des Maistre Chirurgiens Jurez de Paris ayant esté la premiere à marquer son zele pour le Roy par des Prieres solemnelles qu'elle fit faire aussi-tost que l'Operation eut été faite à son mal, pour en obtenir un heureux succés, s'est cruë obligée de rendre graces à Dieu de sa guérison. C'est ce qu'elle fit le Vendredy 24. du mois passé par un Salut solemnel & un Te Deum qu'elle fit chanter dans l'Eglise de S. Cosme. La Musique estoit de la composition de Mr Moreau. Il y eut un excellent Motet, dont vous ne serez pas fâchée de voir les paroles, puisqu'elles sont particulieres pour ce grand Monarque.

Vox populi audita est ex alto. Regi salus reddita Gallicum orbem Iaetificat. Luget haeresis moerore confecta. Plaudunt veri cultus vindices gloriosi. Serva, Domine, in longum tempus Regem nostrum. Pro te regnat, per te regnet in aeternum.

Ces paroles sont expliquées par ces Vers.

PRIERE POUR LE ROY

La voix du Peuple est du Ciel entenduë,
Nos soupirs & nos voeux sont enfin exaucez,
La Santé de LOUIS à nos pleurs est renduë ;
Mais, Seigneur, ce n'est pas assez.
II faut de ce grand Roy prolonger les années,
Changer en sa faveur l'ordre des destinées,
Retrancher de nos jours pour augmenter les siens,
Et la France à jamais sera pleine de biens.
De vostre sacré Nom il soutient la défense,
Sous de si justes Loix Calvin est sans puissance ;
Que nos désirs, Seigneur, soient encore écoutez.
Conservez ce Heros, vostre plus vive Image,
Et nous laissez long-temps un gage
Qui nous répond luy seul de toutes vos bontez.

La mesme Compagnie des Chirurgiens veulent faire passer à la postérité le zele soûmis & respectueux qu'elle a pour le Roy, a fait fraper un Jetton d'argent, sur lequel elle s'est appliquée à représenter ingenieusement quelque chose qui ait rapport à la Santé de ce Prince, qui luy est infiniment chere, & à la conservation de laquelle elle peut dire qu'elle contribuë en quelque sorte par les soins & par l'application de Mr Felix, premier Chirurgien de Sa Majesté, qu'elle regarde comme son Supérieur & son Chef. Je vous envoye ce Jetton gravé. Dans la face droite est un Soleil qui sort d'un nuage avec plus d'éclat qu'on ne luy en a encore vû, ce qui fait entendre que le Roy heureusement guéry de sa maladie, joüira à l'avenir d'une meilleure santé, & qui sera plus durable. Le Soleil répand ses rayons sur un Parterre semé de routes sortes de fleurs, pour faire allusion aux bontez que Sa Majesté verse sans cesse sur tous les Sujets, sans distinction d'estat ny de condition, & plus particulierement sur la Compagnie des Maistres Chhirurgiens de Paris, qu'Elle honore de sa protection Royale, comme ont fait ses Augsutes Prédecesseurs, depuis S. Loüis qui en a esté le Fondateur. Le tour du cercle est bordé de cette legende, LUDOVICUS MAGNUS SANITAS ORBIS, ce qui fait connoistre que lors que le Roy est dans ue santé parfaite, non seulement la France, mais aussi la plus grande partie de l'Univers joüit d'un bonheur parfait.

Au revers de ce Jetton on voit apollon en relief. Ce Dieu, qui est l'Inventeur de la Medecine & de la Chirurgie, tient d'une main sa Lyre, Instrument qui marque la Paix, & de l'autre un baston noüeux entortillé d'un Serpent, pour faire connoistre que si ceux qui exercent ces Arts, veulent arriver au but qu'ils se proposent, ils ont également besoin de l'experience qui ne s'acquiert que par de forts longs travaux, & d'une prudence consommée. On lit autour ces deux mots, Salus publica. Ils sont placez en ce lieu à l'imitation des Anciens, & font entendre que ce Corps n'est pas moins penetré d'estime pour nostre Auguste Monarque, que dévoüé au service de tous ses Peuples, pour leur donner lieu de benir long-temps un si beau Regne.

La Compagnie des Apotiquaires des Maisons Royales s'acquitta du mesme devoir le 12. du dernier mois, dans l'Eglise Collegiale de S. Thomas du Louvre, où le Doyen de ce Chapitre officia avec toute la devotion qui luy est ordinaire. Le Corps de la Musique de Saint Germain l'Auxerrois se surpassa dans tout ce qui fut chanté ; mais il n'y a pas lieu d'en estre surpris, puis que Mr Fossié en estoit le Maistre. Son merite est fort connu. Il a esté un des premiers Disciples de Mr l'Abbé Robert, dont il a concouru à estre le Successeur. Tout cela se fit par les soins de Mrs de Rouviere & Habert, Syndics. Je vous ay déja parlé du premier au sujet de la Theriaque.

Le jour des Rois des Peres Capucins de la ruë Saint Honoré, aussi zelez pour le Roy, qu'ardens pour ce qui regarde le salut des Armes, rendirent à Dieu les mesmes actions de graces dans leur Eglise. Voicy le Discours qui fut prononcé par le Pere André Seraphin de Paris, au sujet du Te Deum que l'on y chanta.

Mais dans ce jour si remply de joye & d'allegresse, peut-on finir l'Eloge des Rois sans parler du plus grand Roy de la Terre? Peut-on avoir senty les peines de sa maladie jusqu'à verser des larmes, & ne pas chercher dans le recit de ses loüanges à se soumager de son affliction? Un Ancien regardoit les malheurs de la Republique comme ses propres disgraces. Toute la France a considéré le danger, où s'est trouvé ce Monarque incomparable, comme son propre peril, & on l'a veuë désolée & tremblante, pendant que tout estoit à craindre pour la vie de Sa Majesté. Mais puis qu'une parfaite guerison a dissipé nostre crainte, nostre joye ne doit pas moins éclater que nostre douleur. Qui ne jugera que la maladie du Roy est un nouveau sujet de victoire, qui persuade qu'il est & serat toûjours invincible? Je regarde sa nouvelle santé comme un nouveau regne qui nous promet des merveilles encore plus grandes que celles dont l'Univers à esté surpris. Le Soleil paroist plus éclatant aprés une éclipse ; les grandes actions que Sa Majesté va faire surpasseront celles qui nous ont le plus charmez. Tous les momens de sa vie ont esté consacrez à la gloire & aux triomphes ; la devotion, la sainteté acheveront de la couronner. Quelle joye pour l'Eglise de voir le premier Prince du monde se soumettre à Dieu par sa Religion, aprés avoir soumis tous ses Ennemis par sa valeur; triompher de foy mesme par sa moderation, aprés avoir triomphé de l'Europe par la force de ses armes. En gagnant des Batailles il a vaincu des Rois ; en se surmontant il a vaincu le Vainqueur de l'Univers. Il ne restoit plus à ce grand Monarque aprés tant d'actions immortelles, que d'estre aussi grand par sa pieté qu'il l'estoit par sa Couronne, & c'est ce qu'on est obligé d'avoüer. Mille rares qualitez qui brillent en son Auguste Personne le rendent l'admiration de toute la terre ; de plus rares vertus nous montrent qu'il en est l'édification & l'exemple. Il n'est plus de Lauriers icy-bas qui doivent tenter son coeur, le Ciel seul peut suffire à une ame aussi grande que la sienne. Par tout son zele paroist, par tout sa Religion éclate. Il a donné par un seul trait de plume le coup mortel à l'Heresie que la perte de quatre Batailles rangées n'avoit pû exterminer, & il prepare l'Eglise Catholique plusieurs autres triomphes. Déja les lumieres de l'Evangile sont portées par ses ordres jusqu'aux extremitez du monde, & on connoist le noms de LOUIS LE GRAND où le nom des Cesars n'a point esté connu. Une infinité d'autres belles actions voudroient trouver place dans cet éloge, mais je croy qu'en presence des saints Austels je dois plûtost loüer la pieté que la valeur, les vertus cgretiennes que les militaires, ce qui fait les Saints que ce qui fait les Heros. Que peut-on dire encore de ce Prince qui n'ait esté dit mille fois? Si par sa bonté il a captivé tous les coeurs, il a par ses Victoires épuisé toutes les loüanges. Prions Dieu de nous le conserver, & qu'il soit toûjours comme il est à present les delices de ses Peuples, l'arbitre de l'Europe, la crainte & l'admiration de toutes les autres Nations.

[Autres actions de graces] §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 133-139

Comme la derniere action d'eclat que le Pere Brachet a faite avant la maladie dont il est mort, c'est d'avoir ordonné des Prieres pour l'heureux succés de l'Operation du Roy, le Pere Dom Claude Boistard qui gouverne à present la Congregation en qualité de Vicaire General, jusqu'a ce que le Chapitre, qui se doit tenir aprés Pasques, ait donné un Successeur au Défunt, a commencé l'exercice de sa Charge par un ordre qu'il a envoyé dans tous les Monasteres de sa Congregation, pour faire des Prieres en Actions de graces de l'heureuse guérison de Sa Majesté. Celles qui avoient esté faites à S. Germain des Prez, & qu'on n'avoit point interrompuës depuis le commencement de l'Operation, y furent terminées le 15. de Janvier par un Te Deum, que l'on y chanta. On fit une aumône generale à la porte de l'Abbaye ; on assista quantité de pauvres honteux, & on delivra ce qu'il y avoit de Prisonniers pour dettes dans les Prisons du Fauxbourg ; & afin que les autres miserables qui gemissent dans ce lieu pour leurs fautes, pussent prendre part à la joye commune, on les tira des cachots pour les amener dans la Chapelle de la Prison, où on leur fit aussi chanter le Te Deum, aprés quoy on leur envoya de l'Abbaye, un souper que l'on peut appeler regale pour des gens chargez de chaînes. Tout cela se fit par les soins du Pere Dom Claude Bretagne, Prieur de Saint Germain, qui a aussi temoigné son zele dans cette occasion, par plusieurs prieres extrordinaires, & d'autres bonnes oeuvres qu'il a fait pratiquer à ses Religieux.

Les Benedictins du Monastere des Blanc-manteaux ont suivy l'exemple de ceux de l'Abbaye. Ils avoient fait une Neuvaine, & exposé le Saint Sacrement, avec un Salut solemnel pendant neuf jours, sans qu'ils eussent discontinué les Prieres & autres actions de pieté qu'ils avoient commencées dés les premiers jours de l'Operation. Ils chanterent un Te Deum solemnel le dimanche 19. du mesme mois. Dom Pierre Coquebert, Prieur de la Maison, officia ce jour là, ce qu'il fit encore les autres jours, où plusieurs Compagnies celebres firent faire des Prieres pour le Roy aux Blanc-manteaux. On les acheva le Mardy 28. L'Eglise estoit tenduë de riches Tapisseries, & ornée magnifiquement par les soins de Mrs les Secretaires du Roy, Audienciers & Controlleurs en la Chancellerie de Paris. Plusieurs personnes demandent pourquoy les Peres Benedictins de ce Monastere sont appellez Blanc-manteaux, étant du mesme Ordre & de la mesme Congregation que ceux de l'Abbaye de S Germain. Ils ont succedé dans cette Maison aux Servites ou Serviteurs de la Vierge, instituez à Marseille l'an 1257. & comme ils estoient vêtus de blanc, non seulement le nom de Blanc-Manteaux à esté donné à la ruë qu'on nommoit auparavant de la vieille Parcheminerie ; mais il est toûjours demeuré aux Religieux quit ont occupé le Monastere. Saint Loüis y avoit étably les Servites, & le feu Roy y a mis les Peres Benedictins.

[Services faits en diverses Villes du Royaume pour le repos de l'ame de feu Monsieur le Prince] §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 139-144

 

La Province du Bugey n'eut pas plûtost appris la mort de Monsieur le Prince, qu'elle songea aux moyens d'honorer la memoire d'un Gouverneur qu'elle avoit toûjours regardé comme son illustre Protecteur. Dans ce dessein le Clergé, les Syndics de la Noblesse, & de la Province se rendirent le 7. du dernier mois à Bellay, qui en est la Capitale, pour assister aux quatre Services solemnels que chaque Corps devoit faire faire. Le premier fut celuy du Clergé ; le second, de la Noblesse ; le troisieme, du Tiers-Estat, & le quatriéme, celuy de la Ville. Mr l'Eveque y officia pontificalement. La Musique de la Sainte Chapelle de Chambery, avec celle de la Cathedrale, se surpassa dans cette lugubre Ceremonie. Mr le Theologal de Bellay, & d'autres celebres Prédicateurs, prononcerent avec beaucoup d'éloquence l'Eloge de ce grand Prince, & chaque Corps se distingua par divers ornemens funebres. Le Dais estoit d'un velours noir, garni d'une frange d'argent. Une couronne de Prince couverte d'un Crespe, paroissoit sur le Poële qui estoit aussi d'un velours noir, croisé d'Hermine. L'Eglise estoit tenduë de noir, aux Armes de S.A.S avec des Inscriptions, & bordée de grands Cierges de cire blanche. Je ne parleray point des autres Prieres que Mr l'Evesque de Bellay a ordonnées dans son Diocese. Il suffit de dire que ce Prelat a tant honoré Monsieur le Prince pendant sa vie, qu'il n'a rien oublié aprés sa mort, pour luy donner des marques de son souvenir & de son zele.

Ce mesme Prelat ayant appris que la Santé du Roy estoit parfaitement rétablie, fit chanter le Dimanche suivant par la mesme Musique de Chambery, jointe à celle de Bellay, une grand'Messe dans la Cathedrale, & le Te Deum ensuite, auquel assisterent les mesmes Corps, outre les Prieres publiques qu'il avoit ordonnées dans son Diocese pour obtenir du Ciel la guérison de Sa Majesté.

On a fait aussi un Service solemnel pour le repos de l'Ame de Monsieur le Prince, dans la Ville de Senlis, à laquelle le voisinage de Chantilly, qui n'en est qu'à une lieuë, a fait souvent ressentir les effets de sa bonté & de sa protection. Mr le Marquis de Saint Simon, qui en est le Gouverneur, ayant envoyé ses ordres aux Echevins, ce Service fut fait dans la Cathedrale le Lundy 30. de Décembre. Elle estoit toute tenduë de noir, avec les Armes de ce Prince, & l'on n'oublia rien de ce qui pouvoit donner de l'éclat à cette pieuse & triste Ceremonie. Les Echevins se firent conduire en deüil à l'Eglise par les principaux de la Ville, & les Officiers du Présidial, & des autres Corps s'y rendirent. Mr Sanguin, Evesque de Senlis, celebra la Messe, qui fut chantée en Musique. La pluspart des Officiers de ce Prince qui estoient demeurez à Chantilly, ne manquerent pas de s'y trouver. Vous sçavez, Madame, que Mr le Marquis de S. Simon est Frere de Mr le Duc de S. Simon, Gouverneur de Blaye.

[Autres actions de graces renduës en plusieurs Eglises de Paris, & en plusieurs Ville de France] §

Mercure Galant, févier 1687, p. 155-179

L'ordre de faire rendre les mesmes actions de graces ayant esté donné à Compiegne par Mr le Maréchal de Humieres, qui en est Gouverneur, il fut annoncé le 30. du dernier mois sur les huit heures du soir, par le son des Cloches de toute la Ville, & par la décharge du Canon. Le lendemain ce Maréchal, accompagné des Corps de Justice & de la Ville, se rendit de son Chasteau de Monchy où il estoit, à l'Abbaye Royale de S. Corneille, où il fut receu par le Prieur qui aprés luy avoir fait un discours aussi pieux qu'éloquent, entonna le Te Deum. Il fut chanté aux fanfares des Trompetes, & au bruit du Canon, & de toute la Mousqueterie des Habitans qui s'estoient mis sous les armes. Leur joye parut extraordinaire, & fut digne d'une Ville qui porte pour sa Devise, Dei, Regi, & Regno fidelissima. Il y avoit un Feu d'artifice dans la Place de l'Hostel de Ville. Mr le Gouverneur l'alluma avec un flambeau que luy presenta le premier Echevin. Alors les cris de joye & les acclamations du peuple se firent entendre. On fit le soir des feux dans toutes les ruës, & ce ne furent qu'Illuminations dans chaque Quartier.

Mrs de Dijon n'ont pas oublié de marquer leur zele dans la mesme occasion. Le Parlement choisit le 30. du mois passé, pour faire chanter le Te Deum dans la Sainte Chapelle, qui est le lieu destiné à ces sortes de Ceremonies. La Compagnie s'y rendit au nombre de six Presidens au Mortier, & de plus de soixante Conseillers, précedez de leurs Huissiers, & suivis des Officiers du Baillage, de ceux de la Ville, des Avocats, & de tous les Procureurs. Jamais l'Assemblée n'avoit esté si nombreuse. On voyoit la joye si universellement répanduë sur leurs visages, qu'il sembloit qu'ils devoient marquer toute celle de la Province. L'Eglise estoit tenduë des plus riches Tapisseries de la Ville, avec la plus grande Illumination qu'on eust encore vûë. Il y eut une Simphonie admirable, & le Te Deum fut chanté par les plus belles voix de la Ville, pendant que le Canon se faisoit entendre de toutes parts. Cette action finit à six heures, & en mesme temps on fit ceder l'obscurité de la nuit au grand nombre de lumieres dont tous les Quartiers furent éclairez. Mr le President Boyer, dont le merite est si reconnu & si singulier, fit garnir toute la façade & toutes les fenestres de la maison de tant d'illuminations, qu'elle parut d'abord toute en feu. Il en fit allumer un fort grand devant sa porte, & son exemple fut suivy de tous ceux dont ce Parlement est composé. Il y avoit plus de cent lumieres sur le grand Balcon qui regne dans la larrgeur de la maison de Mr Bouchu, Conseiller, qui fit aussi allumer un grand feu devant sa porte.

Mr le President de Migieu qui a l'ame grande & genereuse, & dont l'attachement pour la personne du Roy n'a rien qui l'égale que sons extrême fidelité, invita les plus belles Dames, & les personnes les plus distinguées de la Ville, à venir chez luy entendre un concert de voix & d'Instrumens, qui fut terminé par une collation, où l'abondance & la delicatesse marquerent assez les manieres magnifiques de ce President. Il y eut deux grands feux allumez devant la maison de Mr le President de Barbisey, & toutes les fenestres furent garnies de flambeaux de poing, & de quantité de lanternes faites exprés, qui rendoient une clarté admirable. Mais ces premieres marques de joye ne suffirent pas à son zele. Comme les bontez que le Roy luy a toûjours fait paroistre, luy donnent pour ce grand Prince un amour aussi tendre que fidelle, & qu'il venoit encore d'en recevoir de nouvelles marques par la dispense d'âge & d'incompatibilité que Sa Majesté luy avoit accordée pour Mr son Fils, dans un Parlement où ses Ayeux ont paru avec tant de capacité & d'honneurs, sans nulle interruption depuis qu'il est étably, il voulut faire connoistre par des réjoüissances particulieres la part qu'il prenoit à l'heureuse convalescence du plus grand, du plus sage, & du meilleur Prince de la Terre. Ainsi quelques jours aprés il fit une Feste dans son Château de Vanson à deux lieuës de la Ville, avec toute la magnificence imaginable. Sa Chapelle estoit parée de riches Tapisseries, avec de grandes Illuminations, qui furent accompagnées de tout ce que sa pieté & son zele pour le Roy luy purent inspirer. Il y avoit deux Portraits de Sa Majesté, au bas desquels on lisoit des Vers qui invitoient à se réjoüir du récouvrement de sa Santé. On dit quantité de Messes basses dans cette Chapelle, & ensuite on en celebra une grande en Musique, aprés laquelle le Te Deum fut chanté par les meilleurs Musiciens de Dijon. Ils chanterent aussi plusieurs beaux Motets, pendant qu'une décharge de Mousqueterie & de Fauconneaux publioit dans le Voisinage ce qui se faisoit dans le Château. Ce bruit y attira un fort grand nombre de gens, qui eurent la satisfaction de se rafraischir auprés des Fontaines de vin qui coulerent fort long-temps. Plusieurs Presidens & Conseillers du Parlement de Dijon, assisterent à cette Ceremonie, qui fut suivie d'un magnifique Repas. On y but à la Santé du Roy au bruit des Fauconneaux & de quelques Boëtes qui recommencerent la nuit, avec quantité de lanternes & de fusées volantes, dont le spectacle termina la Feste.

Le mesme jour 30. la Chambre des Comptes de Dijon qui ne s’estoit jamais separée de Mrs du Parlement dans ces sortes de Ceremonies, fit celebrer en particulier une Messe en Musique dans l’Eglise des Cordeliers qui estoit tenduë magnifiquement, & illuminée de mesme. Tout le Corps y assista en habits de Ceremonie, & une affluence extraordinaire de Peuple qui s’y trouva sembloit ne pouvoir assez applaudir à l’honneur qu’avoit cette Compagnie de faire l’ouverture d’une si juste réjoüissance. Aprés la Messe on chanta solemnellement le Te Deum, & quelques Motets. Tout parut seconder ce pieux dessein. La matinée fut si belle, que les Dames qui se rendirent en grand nombre à cette Feste, eurent lieu de croire que l’Hyver s’estoit adoucy en leur faveur. Mr de Marsol de Montmoyen, second President, qui depuis prés de trois ans fait la fonction de premier President en cette Chambre, voyant que tout contribuoit à remplir les vœux de l’Assemblée, invita Mr de la Monnoye Correcteur des Comptes en la mesme Chambre, à exprimer dans un Sonnet la joye de la Compagnie pour la parfaite guerison du Roy. Le merite de Mr de la Monnoye vous est connu par les beaux Ouvrages qu’il a donnez au Public, & par les trois prix de Poësie qu’il a remportez au jugement de l’Academie Françoise. Voicy ce qu’il fit sur ce sujet.

POUR LA CHAMBRE des Comptes de Dijon sur le rétablissement de la Santé du Roy.

Quel miracle, grand Roy, quelle heureuse avanture
A redoubler nos chants émeut nostre raison !
L’on diroit qu’avec nous tout veut dans la Nature
Celebrer le bonheur de vostre guerison.
***
 Il semble que l’Hyver dépoüillant sa froidure
Emprunte les attraits de la verte Saison,
Et que l’Astre du jour d’une clarté plus pure
Soit venu ce matin embellir l’horizon.
***
 Charmez de la santé que le Ciel vous renvoye,
Nous en poussons icy les premiers cris de joye,
Nul exemple en ces lieux n’a son nous prévenir.
***
 Agréez ce transport d’une Troupe fidelle ;
Dijon qui voit pour vous commences nostre zele
Iamais pour vous, grand Roy, ne le verra finir.

Mr Moreau, Avocat General en la mesme Chambre, voulut aussi exprimer les sentimens de cette Compagnie pour nostre Auguste Monarque, & il le fit par la Priere suivante.

Ciel, de nostre Monarque augmente les beaux jours,
Que de ce grand Soleil rien n’arreste le cours,
Qu’il remporte toûjours victoire sur victoire,
Qu’il impose ses Loix à cent Peuples divers,
Qu’il vive enfin, o Ciel ; il y va de ta gloire,
 Et du repos de l’Univers.

Mrs les Tresoriers de France de la mesme Ville, firent chanter aussi un Te Deum dans l’Eglise de Nostre-Dame, où la Musique & les illuminations ne manquerent pas. Toutes les Paroisses, tous les Religieux & Religieuses, les differens Corps de Marchands & la pluspart de ceux de Métier ; enfin chacun a voulu rendre des actions de graces en general & en particulier, tant les Bourguignons ont de zele pour le Roy. Parmy les Religieuses, les Dames Bernardines se sont distinguées. Au devant de la porte de leur Eglise, on lisoit des Vers qui marquoient leur reconnoissance pour Sa Majesté, qui par son équité ordinaire leur a conservé le droit d'élire une Abbesse, & la joye qu'elles ressentent pour le rétablissement de la santé de ce grand Monarque.

La Cour des Monnoyes s'est acquittée de son devoir, par un Te Deum chanté à Paris en sa Chapelle de son appartement au Palais. Elle estoit en habits de ceremonie. Les Presidens avoient leurs Robes de velours noir, les Conseillers & gens du Roy en avoient de Satin noir. Mr de Lomenie de Brienne Evesque de Coutance officia ; la Musique estoit de Mr Lorenzani.

Mr l'Archevesque d'Arles qui n'a jamais laissé échaper aucune occasion de signaler son zele pour les interests de S.M. ayant eu l'honneur d'estre le premier Prelat de sa nomination, & le plus ancien Commandeur de ses Ordres, s'est rendu si recommandable par son extrême application, à faire faire des Prieres pour la santé de Prince dans toute l'étenduë de son Diocese, qu'il les fit commencer par une Ordonnance la plus touchante & la plus précise que l'on puisse faire, depuis le 4. Decembre jusqu'à la veille de Noël qui en fut la closture ; aprés laquelle ce mesme Prelat renouvellant sa ferveur sur les nouvelles de la guerison du Roy, a esté des premiers à faire chanter le Te Deum dans sa Cathedrale, où Mr son Coadjuteur officia avec toute la solemnité possible, en presence de Mrs les Consuls, de toute la Noblesse qui s'y rendit en foule, & d'un nombre infiny de peuple, ce qui a esté depuis solemnellement executé par une seconde Ordonnance de ce Prelat dans tout le reste de son Diocese. Les Confreres Penitens Bleus de la mesme Ville d'Arles, qui ont une Chapelle particuliere desservie par les Jacobins, satisfirent à cette Ordonnance le 2. de ce mois avec un zele extraordinaire. Cette Chapelle estoit fort illuminée. On l'avoit ornée superbement, & le maistre Autel qui est parfaitement beau, brilloit d'un fort grand éclat, tant par la quantité de l'argenterie que par celle des lumieres. La Procession fut tres-nombreuse, & aprés les Vespres qui furent chantées par les Penitens, on commença le Te Deum en musique. C'estoit celle de la Cathedrale, & Mr Aubert Maître de Chapelle s'y fit admirer. La ceremonie se termina par la décharge d'un tres-grand nombre de boëtes.

Le Dimanche 2. de ce mois, jour de la Purification de la Vierge, Madame l'Abbesse de Nostre-Dame du Tresor, Ordre de Cisteaux Diocese de Roüen, fit rendre les mesmes actions de graces dans son Eglise, où la Messe, Vespres, le Salut, & le Te Deum furent chantez en musique, de la composition du sieur Laurent du Chesne, sçavant Organiste & Musicien. Il y eut Sermon par le Pere Bruno Penitent, qui fit admirer son eloquence dans l'éloge de Sa Majesté. Le court estoit parée de Tapisseries avec le Tableau du Roy, qui fut salüé de plusieurs décharges de Mousqueterie. Tout cela fut accompagné de Hautbois, de Trompettes, de feux de joye & de liberalitez de Vin. Il y eut aussi de grandes aumônes que fit faire Madame l'Abbesse. Je croy, Madame, que vous n'ignorez pas qu'elle est soeur de Madame de Croissy.

Au Roy sur sa Maladie §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 183-185

Entre quantité d’Ouvrages qui ont esté faits sur la maladie de Sa Majesté, je ne vous envoyeray aujourd’huy que deux Sonnets, dont le premier est de Mr Boyer de l’Academie Françoise, & l’autre de Mr Mallement de Méssange. Ils sont des premiers qui ayent esté faits.

AU ROY
SUR SA MALADIE.

Quel miracle, grand Roy, quel ascendant heureux
Vous sauve du peril, dont l’horreur nous accable !
Nostre zele alarmé d’un mal si dangereux
Nous en faisoit sans cesse une image effroyable.
***
 Vous-mesme, en cet estat penible & douloureux,
Ayant pour vos Sujets un soin infatigable,
Vous augmentiez leur crainte en vous faisant pour eux
Victime d’un devoir toûjours inexorable.
***
 Vostre constance en vain tâche à nous consoler,
Et sous un front tranquille a beau dissimuler
Le mal qui menaçoit une si belle vie.
***
 Nous avons plus tremblé pour la France & pour Vous,
Que si cent Rois unis, pleins de rage & d’envie,
Avec tout l’Vnivers venoient fondre sur nous.

Sur la Fermeté du Roy dans sa Maladie §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 186-187

SUR LA FERMETÉ DU ROY
dans sa Maladie.

L’Invincible LOUIS au milieu des frimats,
Fait ceder les Hyvers à son ardeur guerriere,
Et bravant les chaleurs, fait trembler des Climats,
Où le Ciel verse plus de feu, que de lumiere.
***
 Neptune assujety ne luy resiste pas.
Sa valeur à ses Loix soûmet la Terre entiere,
L’Enfer a succombé sous l’effort de son bras ;
Le monde à ses Exploits n’offre plus de matiere.
***
 Il s’est vaincu luy mesme, & reglant ses desirs,
Pour la Gloire cent fois a dompté les plaisirs :
Le fort n’avoit encor pour luy rien de contraire.
***
 Il ne luy manquoit plus qu’à vaincre la douleur ;
Il vient de triompher de toute sa rigueur.
Pour un parfait Heros, que reste-t-il à faire ?

[Sonnet de M. de la Porte]* §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 187-189

Je finis par un Sonnet de Mr de la Porte, qui a esté presenté au Roy, & qui a receu beaucoup d’applaudissemens. Il contient les principales actions de ce Monarque.

Foudroyer la Hollande, humilier l’Espagne,
A la Franche-Comté joindre les Païs-Bas,
A la teste des siens s’exposer aux Combats,
Le front ceint de Lauriers finir chaque Campagne.
***
 Imprimer la terreur à toute l’Allemagne,
Mettre à couvert son Sceptre, agrandir ses Etats,
Tenir teste tout seul à tant de Potentats,
C’est passer de bien loin Clovis & Charlemagne.
***
 La Superbe abbatuë étonner l’Univers,
Porter le nom de GRAND chez cent Peuples divers,
Pour abismer l’Erreur, rompre tous les obstacles.
***
 L’Europe doit trembler à ces faits inoüis,
Et tous les autres Roys, admirer ces miracles.
C’est ce qu’ils n’ont point fait ; & ce qu’a fait LOVIS.

Histoire §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 189-225

Rien ne doit surprendre, puis qu’il arrive tous les jours des choses extraordinaires, & bien souvent par des causes qu’on auroit peine à s’imaginer. Ce qui s’est passé depuis quelque temps entre deux Freres, est une preuve de ce que je dis. L’un avoit trente ans, & l’autre vingt-huit lors que leur Pere mourut ; & comme ils avoient toûjours vescu avec beaucoup d’union pendant qu’il estoit au monde, ils continuerent aprés sa mort de vivre l’un avec l’autre dans la mesme intelligence. Il leur laissa quelque bien, & ils en joüirent la premiere année selon que chacun en avoit besoin, & sans s’en rendre aucun compte. Il s’agissoit cependant de le partager. C’estoit ce que leurs Amis leur conseilloient, mais lors qu’ils en parloient quelquefois ensemble, ils convenoient que le partage seroit incommode, & que le tout n’avoit rien de trop pour mettre l’un d’eux un peu à son aise. Ils estoient tous deux assez Philosophes, tous deux assez détachez des plaisirs du monde, & la probité qu’ils faisoient paroistre dans toutes leurs actions, estoit soûtenuë d’une pieté qui est fort rare dans de jeune gens. Un jour qu’ils estoient encore tombez sur le partage, le Cadet dit à l’Aisné, qu’afin de s’exempter de le faire, il avoit envie de se mettre dans un Cloistre, où il estoit asseuré qu’il n’auroit aucune peine à passer ses jours tranquillement. L’Aisné luy répondit en riant, que s’il falloit qu’il n’y en eust qu’un des deux qui demeurast dans le monde, il avoit toûjours assez aimé la retraite pour prendre aisément party, & que comme aisné il prétendoit avoir droit de choisir la solitude. Cette contestation fut souvent renouvellée, & pendant deux ou trois mois ils se dirent là dessus mille choses agreables, qui sembloient fort éloignées du serieux qu’auroit demandé une résolution de cette nature. Enfin l’Aisné s’avisa de dire à son Cadet, que tant de disputes estoient inutiles, & que puis qu’ils avoient tous deux plus de panchant à quitter le monde qu’à y demeurer, il falloit qu’une partie de Piquet en décidast, & que s’il vouloit y consentir, celuy qui la gagneroit, auroit tout le Bien que leur Pere avoit laissé. Ils prirent des Cartes, & la fortune se montra d’abord si favorable à l’Aisné, que pour gagner il luy manquoit seulement deux points. Déja le Cadet qui n’en avoit que dix-huit, se préparoit à porter le Froc, & disoit fort plaisamment, qu’il croyoit qu’au moins on luy voudroit bien accorder un mois pour en choisir la couleur, quand par un bonheur qu’il n’osoit attendre, une quinte & un quatorze le firent victorieux. Il se mit à rire, & s’estima fort heureux de ce qu’on n’auroit plus droit de le presser de faire partage, puis que tout le Bien estoit à luy. L’Aisné encherit sur la plaisanterie du Cadet, & dit que dans l’obligation où il estoit de se revestir d’un froc, le noir, le blanc & le gris le touchant également, il avoit besoin de plus d’un mois pour déterminer laquelle de ces couleurs il préfereroit aux autres. Il fit paroistre depuis ce temps-là une gayeté extraordinaire, & quand son Cadet railloit quelquefois sur ce qu’il marquoit n’avoir point haste de se faire Moine, il répondoit d’un air enjoüé qu’il avoit peine à résoudre s’il choisiroit le noir ou le gris. Voilà l’estat où étoient les choses lors qu’un Fermier qui leur devoit une somme fort considerable manquant tout à coup, ils se virent obligez de faire des procedures. L’Aisné se chargea du soin d’aller sur les lieux donner ordre à cette affaire. Il en vint à bout en fort peu de temps, & informa son Cadet de toutes les choses qu’il avoit faites pour leurs communs interests. Cette Terre estoit à trente lieuës de Paris dans le voisinage d’une Ville, où il luy manda qu’il estoit bien aise de faire quelque séjour. Il y passa environ deux mois, & écrivit ensuite à son Frere, que s’il vouloit l’obliger, il viendroit estre témoin de l’heureuse vie qu’il menoit en ce lieu-là. Ce Frere partit à l’heure mesme, & comme il aimoit son Aisné fort tendrement, il se fit un veritable plaisir de l’aller trouver. Sitost qu’il fut arrivé, il se rendit à une Maison qu’on luy avoit donnée pour adresse. A peine eut-on sceu qui il estoit, que sans luy rien découvrir on le conduisit où il devoit voir son Frere. Jugez de la surprise qu’il eut lors qu’on le fit arrester à la porte d’un Convent. Son esprit fut tout à coup dans un desordre incroyable, & sans rien dire à son Conducteur, il s’abandonna à une profonde resverie, qui l’occupoit encore tout entier, lors qu’il apperceut un Religieux qui venoit à luy d’un air content, & qui l’embrassa avec beaucoup de tendresse. Ce fut pour luy un si grand étonnement de reconnoistre son Frere, qu’il eut de la peine à en revenir. Il luy demanda ce qui l’avoit obligé à cette metamorphose, & la réponse du Religieux fut qu’il y avoit déja plus d’un an que sa résolution estoit prise ; que lors qu’il avoit fait la plaisanterie de luy proposer de voir par le sort des Cartes qui des deux auroit l’entiere succession de leur Pere, il avoit déja renoncé au monde, que rien n’approchoit du repos d’esprit que l’heureuse vie qu’il menoit dans le Convent luy faisoit goûter, & qu’il avoit voulu executer son dessein sans l’en avertir, afin de ne pas avoir à se deffendre des efforts qu’il auroit faits pour l’en détourner. Tout ce qu’il dit fit si bien connoistre que la Grace avoir agy, que son Cadet le felicita sur son bonheur puisque sa vocation estoit sincere, & qu’il marquoit tant de joye d’estre revestu de l’habit qu’il luy voyoit. On croit ce Cadet touché de l’exemple, & comme il vit dans une plus grande retraite qu’il n’a encore fait, il y en a qui se persuadent qu’il songe aussi à se mettre dans un Cloistre. Cela feroit grand plaisir à quelques Parens Collateraux, dont le bien qu’il quitteroit rétabliroit les affaires.

[Nouvelles de Venise] §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 237-239

 

Les affaires vont toûjours tres-bien à Venise, & les preparatifs que l'on y a fait pour la Guerre, n'ont point empesché les plaisirs du Carnaval. Mr l'Electeur de Baviere, Mr le Duc de Mantouë, & plusieurs autres Princes ont esté y prendre part aux Divertissemens de cette Saison. Ils ont veu tous les Opera qui s'y sont representez, & le Bacha de Napoli de Romanie & son Frere qui sont toûjours à Venise, les ont aussi vûs avec beaucoup de plaisir. Ce n'a pas esté sans faire une reflexion qui les a touchez. Ils ont dit qu'ils reconnoissoient bien que le grand Dieu estoit en colere contre les Otomans, puis qu'estant continuellement en prieres & dans l'exercice de la Penitence, ils voyoient de jour en jour leurs affaires dans un plus méchant état, & que les Chrestiens au contraire, quoy qu'ils ne songeassent qu'à se divertir, gagnoient incessamment des Victoires.

[Livre nouveau touchant le bon usage du Thé, du Café, & du Chocolat] §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 239-240

Comme je prens grand interest à vostre santé, je vous envoye un Livre dont je vous prie de faire une tres exacte étude. Il est de Mr de Blegny, & a pour titre, Le bon usage du Thé, du Café, & du Chocolat, pour la préservation, & pour la guérison des Maladies. Je sçay que le Thé & le Café sont des breuvages qui vous sont fort ordinaires ; mais je ne sçay si vous sçavez assez-bien tout ce qu’il faut faire pour les preparer. C’est ce que vous apprendrez par la lecture de ce Livre, avec la nature, les proprietez & le bon usage de l’un & de l’autre, ainsi que du Chocolat. Aprés cela vous en pourrez prendre en seureté. Si vous voulez enseigner ce Livre à vos Amies, il se vend à Paris chez le Sr Michalet, & à Lyon chez le Sr Thomas Amaulry. Quoy qu’on y trouve beaucoup de Figures dont l’explication est donnée dans la quatriéme Partie de cet Ouvrage, le prix n’en est que de trente sols.

[Article tiré de la République des Lettres] §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 240-246

Je suis bien aise que vous trouviez que je ne vous ay point trop vanté les nouvelles Lettres du Chevalier d’Her… Vous me dites que ce qui vous en plaist, c’est que les galanteries en sont fines, & qu’on n’y rencontre point ce faux plaisant dont on a peine à se garantir quand on se hazarde à badiner. Je croy vous faire un fort grand plaisir en vous répondant que vous êtes tombée dans le sentiment d’un trés-habile-homme, dont les Ouvrages sont generalement estimez, & qui juge parfaitement bien des choses. C’est l’Autheur de la Republique des Lettres, qui dans ses nouvelles du mois de Decembre dernier, aprés avoir dit que la premiere Partie des Lettres de Mr le Chevalier d’Her… vient d’estre imprimée à Amsterdam, poursuit en ces termes. Il y a trois ans que ces Lettres ont esté imprimées à Paris. Elles sont d’un stile agreable, vif, naturel, & qui sent plus l’homme du monde, qu’on Sectateur scrupuleux des remarques sur la Langue Françoise. On y trouve cent jolis traits, & un feu d’imagination qui a bien des agrémens, & qui pour l’ordinaire ne donne pas dans la fausse plaisanterie. La Lettre 46. contient une description fort vray-semblable de deux Factions qui partageoient tout le beau Monde d’une Ville, sous la presidence de deux Dames dont l’une avoit fait des plaisanteries sur un habit que l’autre avoit inventé. La Lettre 12. a quelque chose de divertissant sur la Philosophie de Mr Descartes, que l’on tasche de rendre odieuse au beau Sexe à cause qu’elle soûtient que les couleurs ne sont pas dans les objets, d’où l’on infere la destruction de la beauté, & l’aneantissement total des lys & des roses qui font la gloire des Femmes. Ce tour n’est pas mal imaginé pour les irriter contre cette Philosophie. C’est s’y prendre finement, mais on y peut apporter un bon remede. Les Cartesiens ne nient pas l’apparence des couleurs ; ainsi les Dames n’y perdent rien, car si elles ont de la beauté dans le Systeme des autres Philosophies, elles paroissent en avoir dans celle de Mr Descartes. Or c’est le principal & le tout en ces choses-là que de paroistre, & sans doute celles qui l’ont s’en contentent, & ne souhaitent que la continuation. La Preface nous asseure que ces Lettres ont esté écrites, & que les Sujets en sont tres-réels. Quelques-uns feront difficulté de le croire à l’égard de la Lettre 36. car elle roule sur un employ qu’on donne tres-rarement à un Cavalier. C’est de chercher dans les Registres de la Paroisse l’âge d’une Fille. Il y a une autre chose bien rare dans la mesme Lettre. La personne à qui on l’écrit n’avoit que vingt ans, & elle se croyoit âgée de vingt-deux. L’Autheur plaisante sur sa commission d’une maniere tout à fait solide. On pourroit faire quantité de reflexions sur la Lettre qu’il écrit à une jeune Demoiselle qui estoit sur le point de se faire Catholique, & d’épouser un Marquis ; quelqu’un la déja remarqué. Il y a grande apparence que dans le mesme Journal, nous verrons au premier jour un Article aussi avantageux, tant sur la seconde Partie de ces Lettres, que sur les Dialogues Satyriques & Moraux, qui sont extrémement estimez de tous ceux qui les ont lûs.

[Détail de tout ce qui s’est passé à l’Académie Françoise, le jour qu’elle a fait rendre les actions de graces pour le retour de la Santé du Roy] §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 246-288

Je passe à ce que je vous ay promis de vous apprendre touchant Mrs de l’Academie Françoise. Le zele qu’ils ont pour tout ce qui regarde leur auguste Protecteur, leur ayant fait prendre un interest tout particulier au récouvrement de sa santé, ils en firent rendre graces à Dieu le Lundy 27. du dernier mois dans la Chapelle du Louvre. Elle estoit magnifiquement parée, & rien n’y manquoit de ce qui pouvoit donner de l’éclat à cette Feste. Mr l’Abbé de la Vau, l’un des Academiciens, celebra la Messe, à laquelle ils assisterent on fort grand nombre. Le Te Deum y fut chanté en Musique. Elle estoit de la composition de Mr Oudot, & receut de grands applaudissemens. Ils n’avoient differé ces marques de leur zele & de leur respect pour Sa Majesté, qu’afin de donner le temps de faire un discours sur la guerison de ce Monarque à celuy de leur Corps qu’ils avoient choisi pour parler au nom de tous. La seance qu’ils ont accoûtumé de tenir tous les Lundis pour le travail du Dictionnaire, fut publique ce jour-là. Elle fut ouverte par Mr Boyer, qui est presentement Directeur de la Compagnie. Il dit d’une maniere modeste, mais qui soûtenoit la dignité de ce Corps, Que l’entier rétablissement de la santé du Roy estoit une Feste publique, & que comme il n’y avoit jamais eu de guerison si ardemment souhaitée, & demandée au Ciel avec tant de ferveur, nulle aussi n’avoit mais esté obtenuë avec tant de joye & solemnisée avec tant de magnificence ; que tous les Corps de l’Estat s’estant signalez en cette occasion, l’Academie Françoise que tant de raisons interessoient dans une santé aussi précieuse que celle de son auguste Protecteur, devoit faire particulierement éclater son zele, & qu’il sembloit mesme que dans ces Cantiques de loüanges & d’actions de graces que la commune allegresse faisoit retentir dans toutes les parties du Royaume, la voix de ceux qui composent cette Compagnie se devoit distinguer des autres, & se faire entendre sur un ton plus éclatant. Il ajoûta que la place où il estoit, l’émulation qui se trouvoit entre tous ceux de ce Corps, du richesse de la matiere, la solemnité de la Feste, la beauté de l’Assemblée, servoient puissamment à l’inspirer, & luy donnoient une envie de parler qu’il avoit de la peine à retenir. Mais, Messieurs, poursuivit il, n’apprehendez rien, je ne me rendray point à une tentation si dangereuse. Pour répondre à vôtre attente, l’Academie a sceu choisir un Orateur éprouvé & toûjours applaudy ; & vous allez avoir dans Mr l’Abbé Tallemant, un digne Interprete de nos sentimens & de nostre joye.

Il s’éleva un applaudissement extraordinaire qui rendit justice à la modestie de Mr Boyer, & qui fit connoistre avec quel plaisir on se préparoit à écouter Mr l’Abbé Tallemant le jeune. Comme tous les Discours publics qu’on a entendus de luy ont esté tres-bien receus, plusieurs personnes se sont attachées à retenir celuy-cy, & on m’en a donné des morceaux entiers, dont je vay vous faire part. Il dit d’abord en parlant au nom de toute l’Academie, Que dans ce jour où toute la France s’abandonnoit à la joye, & où l’on n’entendoit par tout que des Cantiques d’actions de graces pour l’entiere guérison du plus grand Monarque qui fut jamais, aprés avoir à leur tour remercié la divine Bonté de ce bien inestimable que Dieu avoit bien voulu accorder à leurs souhaits, il leur restoit encore de témoigner leur allegresse par des chants de victoire qui leur devoient estre particuliers ; que c’estoit à eux à déposer entre les mains de la Renommée les tendres alarmes de tout un Peuple tremblant au pied des Autels, pendant le cruel mal dont une si belle vie estoit attaquée, & les justes transports de joye où ce mesme Peuple se livroit tout entier, par le retour de cette Santé si necessaire & si desirée. Il peignit ensuite d’une maniere fort delicate les mortelles craintes qu’un mal sensible, mais peu dangereux, avoit causées à tous les François. Il dit qu’encore que l’Operation eust esté heureuse, & qu’elle ne fist prévoir aucune fâcheuse suite, tous les Sujets de Sa Majesté avoient gemy dans les Temples, avoient fait profusion de dons, avoient prié, avoient invoqué les saintes Puissances, pour détourner de dessus eux une disgrace qu’ils n’avoient pas mesme trop sujet d’apprehender, & que la guérison d’un Roy si chery leur avoit ensuite causé des transports de joye dont il n’y avoit jamais eu d’exemples, tant il est vray, continua-t-il, que le violent amour s’alarme de peu de chose, tombe aisément dans l’apprehension qu’on ne luy enleve ce qui luy est le plus précieux, & se réjoüit aussi avec excés & avec emportement quand on luy conserve ou qu’on luy rend ce que sa delicate inquietude luy representoit déja comme perdu. Vous allez vous signaler, Messieurs, ajoûta-t-il, suivant les rares talens de vos puissans genies ; moy, selon ma coûtume, peut-estre un peu trop témeraire, mais excusable au moins par mon obéissance & par mon zele, j’entre le premier dans la carriere que vous m’avez marquée ; encouragé par l’honneur de vostre choix, animé par vostre presence dans ces lieux, où vostre éloquence à si souvent triomphé, il me semble que l’esprit universel de cette Compagnie me va inspirer tout ce que je dois dire, & m’empeschera de m’égarer dans un si vaste & si noble Sujet.

Mr l’Abbé Tallemant fit connoistre aprés cela qu’on ne s’estonneroit point de l’extrême affection des Peuples, ny des vœux extraordinaires qu’on leur avoit veu faire pour la conservation de leur Roy, si l’on faisoit réflexion sur tout ce que ce grand Monarque avoit fait pour ses Sujets, & sur les soins assidus qu’il prenoit pour la gloire & pour le bonheur de la Nation. Ce fut avec des traits vifs & pleins d’éloquence qu’il parla des nouveaux biens que la France en a receus, depuis cette heureuse Paix que ce Monarque imposa si glorieusement à ses Ennemis. Il fit voir qu’il estoit bien different de ces Princes, qui croyent pouvoir entreprendre tout ce que leur puissance & leur courage les mettent en estat d’executer, & qui ne sçavent d’autre chemin pour aller à la gloire, que celuy d’envahir des Estats, de subjuguer des Provinces, & d’entasser victoire sur victoire. Nostre Roy, poursuivit-il, toûjours sage & toûjours juste, croit que la veritable gloire consiste à bien conserver son Estat & ses Peuples. La raison luy a fourny assez d’occasions d’exercer sa vertu guerriere, & la Hollande, la Flandre & l’Allemagne, verront long-temps dans leur sein de funestes effets de sa valeur. Où n’auroit-il point porté ses Armes, s’il n’avoit cherché qu’à vaincre & à conquerir ? Content de s’estre rendu redoutable à tout l’Vnivers, d’avoir reduit ses Ennemis à le craindre, il semble qu’il veüille desormais s’appliquer uniquement au bonheur de ses Peuples. Par le soin qu’il prend de rendre la France inaccessible, on voit qu’il a moins combattu pour la gloire que pour l’éternelle seureté de son Royaume. Il n’a fait que des Conquestes necessaires au bien de son Estat, moins pour l’agrandir que pour le mettre à couvert des insultes où il le voyoit exposé. Le Rhin voit ses bords remplis de Forteresses qui sont sorties de terre comme par enchantement. La Meuse, la Moselle, la Sambre, l’Escaut & la Lys coulent aux pieds d’un nombre infiny de Bastions, & au milieu de tous les murmures dont l’envie se sert pour alarmer nostre bonheur. A l’abry de ces ramparts qu’avons-nous desormais à apprehender ? LOVIS veille pour nous, nos biens & nos vies sont dans une parfaite seureté. Le zele toûjours agissant de ce Prince incomparable ne s’est pas borné à asseurer son Royaume au dehors ; il a voulu asseurer sa tranquillité au dedans, & a cru avec raison que pour oster toute semence de division, il falloit y établir une unité de Foy, qui réünist tous les esprits dans un seul culte. La Politique ordinaire se seroit contentée d’affoiblir peu à peu cette nouvelle Secte de Calvin, qui avec le temps auroit eu le sort de toutes les Heresies, & se seroit évanoüie comme tant d’autres Erreurs qui ne se soutenant que par leur nouveauté, tombent enfin d’elles-mesmes & cedent à la Verité, qui est éternelle & immuable. LOVIS LE GRAND avoit long-temps écouté cette politique, privant de ses graces, ceux que l’obstination retenoit, & comblant de bienfaits, ceux qui occupez du soin de leur salut, embrassoient la Foy Catholique ; mais ce n’est pas ainsi qu’il a accoûtumé d’agir & de vaincre. Sa pieté ne se peut accommoder de cette lenteur, & sa genereuse impatience ne peut souffrir qu’il y ait aucun Heretique dans son Royaume. Il parle, & les Temples de l’Erreur tombent en peu de jours. Les Ministres fuyent de tous costez. Les Villes entieres courent au pied de nos Autels, & il se trouve à peine quelques esprits rebelles qu’une fausse réputation de constance retient encore, mais que la patience & la bonté du Roy forceront enfin de se réünir. Tous les évenemens de ce Regne ont de l’air des miracles. Plus de deux millions d’ames renoncent en mesme temps à des opinions dans lesquelles ils ont esté élevez, & embrassent une Religion pour laquelle on a toûjours eu soin de leur inspirer de l’horreur. D’où peuvent venir ces prodiges, si ce n’est de la confiance extrême des Peuples en l’amour de leur Prince pour eux ? Ils ne peuvent s’imaginer qu’il exige d’eux aucune chose qui ne soit pour leur bien & pour leur avantage. Ils ne peuvent croire qu’un Prince si juste, si moderé, si sage, soit dans la voye de l’erreur ; & sur cette pensée ils courent sans balancer où les appelle sa voix, cedant sans peine à tout ce qu’il luy plaist de leur inspirer, & Dieu voit ainsi le Fils aîné de son Eglise triomphant de l’heresie & du mensonge, & la France ne faisant plus qu’un Troupeau, & ne réconnoissant qu’un seul Pasteur.

Il s’adressa ensuite à ceux qui les armes à la main poursuivant l’Ennemy commun de la Chrestienté, & aprés avoir fait voir que tandis qu’un petit nombre de Mécontens Heretiques qu’ils n’avoient pû subjuguer, les avoit presque reduits à la fâcheuse extrémité de voir la Capitale de l’Empire entre les mains des Otomans, le Roy sans effort ramenoit à l’Eglise tous ceux qui s’en estoient separez ; cent mille bras, dit-il, vous aident à éloigner les Turcs de quelques journées, la seule volonté de Louys chasse l’Erreur du Royaume pour jamais. Devions-nous croire, Messieurs ajoûta-t-il, que dans le temps qu’il travailloit si utilement pour les interests de l’Eglise, Dieu se plairoit à luy envoyer diverses attaques de maladies, & à alarmer ainsi ses Sujets, lors qu’ils attendoient de nouvelles benedictions du Ciel pour la récompense d’un si beau zele ? La divine Providence, dont les secrets ne peuvent estre penetrez, se plaist ainsi quelquefois à confondre la prudence humaine qui veut se mesler de donner des regles & des bornes à la volonté d’un Dieu independant, & mesurer sa justice au gré du cours des actions exterieures des hommes. Nostre bonheur croissoit tous les jours. La France plus florissante que jamais, ne voyoit que grandeur & prosperité, & voilà que la main de Dieu semble s’appesantir sur elle. Tantost un mal leger se découvre qui finit & puis recommence. Tantost l’ardente figure vient troubler le plus beau sang du monde. On ne voit rien de dangereux, & cependant l’Europe attentive semble n’avoir d’yeux & d’oreilles que pour le mal de Loüis le Grand. Les François alarmez, tantost presument tout de leur fortune, & de la vigueur du temperament de leur Maistre ; tantost abatus & tremblans ils semblent avoir perdu courage. On craint, on espere, estat plus sensible & plus douloureux ordinairement que si l’on éprouvoit le malheur mesme que l’on apprehende. Mais c’est icy peut-estre la premiere fois que l’incertitude a paru plus douce que le mal. Les uns vouloient que ce fust une maladie tres-legere, les autres la croyoient incurable, effets contraires d’un mesme principe, & où l’inquietude de ceux qui aiment se découvre aisément, cette tendre passion ne s’attachant qu’aux choses extrêmes, & diminuant le mal à celuy qui espere, & l’augmentant considerablement à celuy qui craint. Où estiez-vous reduite, France malheureuse ? Je vous voy déja tremblante & desesperée. Il semble que tout vous abandonne. Est-ce en vain qu’un si grand Roy vous a si bien fortifiée contre toutes les entreprises de vos Ennemis ? Est-ce en vain qu’il vous a mise en estat de ne rien craindre ? Ah, Messieurs, elle sçait assez qu’elle peut se défendre. Elle ne manquera ny de Chefs ny de Troupes ny de moyens ; mais elle sçait encore mieux qu’en un seul homme consiste toute sa force & toute sa fortune. Loüis est parmy nous plus que le Palladium ne fut à Troye. Mais ce n’est pas encore là sa plus grande inquietude ; elle aime son Prince, & la seule pensée de le perdre luy est une peine insupportable. Elle ne peut endurer qu’une vie que ses souhaits rendent éternelle, souffre la moindre attaque. C’est la blesser mortellement, que de luy faire sentir qu’on peut luy enlever ce qu’elle cherit le plus. Je m’arreste peut-estre trop, Messieurs, à vous peindre ces momens de douleur & d’affliction, lors que nous n’avons plus que des sujets de joye, mais il est neantmoins bien doux de se souvenir des dangers que l’on a courus ; & ce n’est pas une des moindres marques de nostre satisfaction, que le plaisir que nous prenons à nous faire confidence de nos alarmes, & à nous redire les peines extrêmes où l’inquietude nous avoit reduits. C’est maintenant que sans trouble & sans agitation il nous est permis de considerer Loüis, plus grand encore au milieu de tous ses maux, qu’à la teste de ses Armées. Là suivy de ses plus braves Sujets, la pluspart instruits & élevez de sa main, il court à la Victoire ; icy il s’exerce seul avec la douleur, & ne voit qu’une suite incertaine qu’il ne peut prévoir. Là, il combattoit avec tous les avantages que sa prudence luy suggeroit par la connoissance qu’il avoit des forces de ses Ennemis ; icy, les Ennemis sont cachez, & sont difficiles à détruire. Là enfin, il se servoit de ses Soldats pour vaincre ; icy, il faut qu’il surmonte le mal par son propre courage, & par sa seule intrepidité. En effet, Messieurs, pendant tout le cours d’un mal si douloureux, a-t-on veu la tranquillité de nostre Heros un seul moment alterée ? Sa tendre bonté a épargné à tout le monde la peine de sçavoir tout ce qu’il alloit souffrir ; il n’a pas osté un seul iour la consolation de le voir. Au milieu des prosperitez dont le Ciel l’a comblé, a-t-il paru qu’il y eust aucune attache ? Quel autre eut jamais plus de sujet de desirer la vie, & quel autre témoigna jamais plus d’indifference pour elle ? Paisible dans les plus sensibles maux, il tient ses Conseils à son ordinaire ; il fait continuer les innocens plaisirs de sa Cour, & attend avec patience du Maistre Eternel de l’Vnivers ce qu’il luy plaira d’ordonner de ses jours. Je m’égare, Messieurs, & je voy icy tant de vertus à loüer, que je ne sçay à laquelle m’attacher ; grandeur d’ame dans le mépris de la vie ; constance dans les douleurs ; tranquillité heroïque dans la longueur du mal ; pieté solide dans la resignation à la volonté de Dieu ; bonté paternelle en ne changeant rien dans l’ordre de ses Conseils de peur d’alarmer ses Peuples. Avoüons, Messieurs, puisque toutes vos craintes sont passées ; avoüons que la gloire de Loüis avoit encore besoin de ce dernier trait pour achever sa Couronne, & que la menace d’une adversité & d’une disgrace luy a servy à developper à l’Univers la plus belle partie de son ame. Nous le connoissons vaillant & intrepide dans les Combats. Nous connoissons sa prudence dans toutes les affaires. Nous l’avons veu juste, bon, liberal, magnifique, & cette derniere épreuve enfin nous donne en luy un Heros parfait. La fortune toûjours favorable luy avoit offert toutes sortes d’occasions de faire connoistre les hautes qualitez qu’il a receus du Ciel, & lors qu’elle a paru l’abandonner, ce n’est peut-estre pas la moindre faveur qu’elle luy ait faite, puis qu’elle luy a fourny par là dequoy se montrer par l’endroit le plus avantageux, en éprouvant sa patience & sa fermeté. Reprenez courage, braves François, heureux Sujets d’un Roy si aimable & si digne de nos vœux ; respirez desormais en liberté. Ce n’est pas sans raison que vous faites éclater vostre joye de tant de manieres, & que vous vous signalez à l’envy pour marquer vostre zele. Qu’avons-nous à faire que des Festes & des Jeux dans les beaux jours dont nous allons joüir ? Je voy vostre impatience, Messieurs, il est temps de me taire, & je ne dois plus differer à ceux qui m’écoutent le plaisir que vous leur preparez L’Eloquence & la Poësie vont s’exercer avec émulation à nous peindre la joye des Peuples en cent manieres differentes, & toutes agreables. Veüille le Ciel nous faire goûter long-temps les douceurs d’un si beau regne, & les continuer long-temps aprés nous. C’est peu des ans de Nestor. Nos vœux peuvent aller jusqu’à la durée des jours de nos premiers Peres, & il n’y a point de miracle que nous ne puissions esperer pour le Prince le plus sage & le plus parfait, qui soit jamais monté sur le Trône des Rois.

Ce Discours qui fut prononcé avec beaucoup de grace & de force, charma toute l’Assemblée, & les interruptions qui s’y firent par les applaudissemens qu’on luy donna, firent connoistre combien chacun en estoit touché. Le reste de la Seance se passa à la lecture de divers Ouvrages faits à la gloire du Roy. Mr l’Abbé Regnier, Secretaire perpetuel de la Compagnie, leut un Poëme qu’il a eu l’honneur de lire à Sa Majesté sur les travaux de la Riviere d’Eure, & sur les Eaux de Versailles. Les beautez qui y sont en tres grand nombre, n’échaperent pas à ses Auditeurs. On eut le plaisir d’entendre un fort agreable Madrigal de Mr Doujat Doyen, sur la guerison du Roy, une Paraphrase de Mr Charpentier sur l’Exaudiat, qui fut extrémement approuvée, & une tres-belle Ode de Mr le Clerc. Mr le Duc de S. Aignan, qui ne voulut pas demeurer muet dans ue si belle occasion de parler, pria Mr l'Abbé de la Vau de lire un petit Ouvrage qu'il avoit fait sur la Santé de nostre Auguste Monarque & qu'il adressoit à Mrs de l'Academie. L'approbation qu'elle receut fut generale, & ayant pour ce Duc l'estime que vous avez, vous ne me pardonnerez pas si j'oubliois à vous l'envoyer. En voicy une Copie.

ODE SUR LA GUERISON DU ROY,

A Messieurs de l'Academie Françoise.

Scavans & rares Genies,
Que l'Europe estime tant,
Dont les vertus infinies,
Ont un merite éclatant ;
Voyez les fruits d'une Muse
Qui suit un ordre absolu,
Et qui vous dit pour excuse,
C'est vous qui l'avez voulu.
***
La politesse & la grace
Ne suivent point les Guerriers,
Mars, & le Dieu du Parnasse
Ont de differens Lauriers ;
Et quand la main occupée
Pour servir utilement,
A long temps tenu l'Epée,
La Plume agit faiblement.
***
Sans étude & sans métode
Marchant d'un pas inegal,
Au lieu d'entreprendre une Ode,
C'estoit trop du Madrigal.
Arbitres de l'Eloquance,
Mon espoir & mon appuy,
Que toute vostre indulgence
M'est necessaire aujourd'huy !
***
Pour conserver mon estime
Parmy tant de beaux esprits,
Songez à ce qui m'anime,
Et non à ce que j'écris.
Mon humeur est vive & prompte,
J'ay peu d'art & de sçavoir,
Mais je n'ay jamais de honte
Lors que je fais mon devoir.
***
Charmez d'un Auguste Maistre,
En l'estat où je vous voy,
Que vous faites bien paroistre
Combien vous aimez le Roy!
Dans vos yeux où l'on remarque
Ce feu d'esprit tant vanté,
De nostre puissant Monarque
Je reconnois la Santé.
***
Dans un accident terrible
Il ne fus point abatu,
L'atteinte la plus sensible
N'osta rien à la Vertu.
Toûjours gay, toûjours luy-mesme,
Cet Auguste Souverain
Fut dans sa douleur extrême
Ce qu'il fut aux bords du Rhin.
***
Son coeur sans trouble & sans crainte
Suivit ses nobles projets,
Jamais ny soupir ny plainte
N'alarmerent ses Sujets.
Il souffrit tout en silence
Et sa rare fermeté
Joignit mesme à la confiance
La grace & la majesté.
***
Ce Heros que la Victoire
N'a jamais abandonné,
Que la Naissance & la Gloire
Ont doublement couronné
Lors qu'une humeur ennemie
Faisoit son plus grand effort,
Dans une si belle vie,
Ne craignit jamais la mors.
***
Enfin dans ce vaste Empire
Tout s'accorde à nos desirs.
En repos chacun soûpire,
On peut goûter les plaisirs ;
Et quand un Prince aussi rare
Par le Ciel nous est rendu,
Il semble que tout déclare
Combien nous aurions perdu.
***
Ne craignons donc plus l'orage,
Amis, le vent a cessé,
Nous sommes loins du naufrage,
Dont on estoit menacé.
L'Autheur de nos destinées
Touché des voeux qu'on luy rend,
Pour un grand nombre d'années
Nous donne Loüis LE GRAND.

Mr l'Abbé de la Vau leue encore ce Sonnet de ce mesme Duc.

Nostre Grand Roy qui par ses armes
S'est vu toûjours victorieux,
Pas ses bontez & par ses charmes
Enchante le coeur & les yeux.
***
Pour luy nous n'aurons plus d'alarmes,
Ses jours au Ciel sont précieux,
Et sa santé tarit les larmes
Que l'on versoit en tant de lieux.
***
Aprés cette insigne victoire,
Celebrons tous icy la gloire
De ce digne objet de nos Vers,
***
Qui plus justement qu'Alexandre,
Sans la Paix auroit deu pretendant
A l'Empire de l'Univers.

[Tout ce qui s'est passé au Parlement, le jour des actions de graces qui ont esté renduës dans la grande Salle du Palais, pour le retour de la Sante du Roy] §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 293-299

 

Les Peuples n'ont pas esté les seuls qui ayent rendu d'éclatantes actions de graces, pour le retour de la santé du Roy ; tout ce qu'il y a de plus auguste dans le Royaume s'est imposé ce mesme devoir, & le premier Senat du monde, c'est à dire le Parlement de Paris, n'oubliant rien de tout ce qui pouvoit marquer sa joye, à bien secondé l'ardeur que Mr le Premier President a fait voir en cette occasion. La ceremonie se fit le Jeudy 6. de ce mois dans la grande Salle du Palais. Je ne vous diray point la maniere dont cette Salle estoit decorée, imaginez - vous que ce vaste Corps de bâtiment estoit tendu de plusieurs rangs des plus riches Tapisseries, & que quelque spacieux qu'il soit, il estoit tout entouré de lumieres, & de tout ce qui peut former une superbe decoration. Le jour qui avoit esté marqué pour cette céremonie, Mrs du Parlement se rendirent dans la grande Chambre, où ils attendirent Mr le Chancelier, qui estant Chef de toute la Justice, voulut honorer de sa presence une action aussi juste qu'estoit celle de rendre graces à Dieu de nous avoir conservé le Roy. Mrs du Parlement envoyerent leurs deux Doyens recevoir Mr le Chancelier, c'est à dire le Doyen des Conseillers Clercs. Ne soyez point suprpise si je nomme les Laïques les premiers, c'est le rang qu'ils ont au Parlement. Ces deux Doyens sont Mrs Hervé & Fragué. Mr le Chancelier arrive precedé de ses Huissiers à la Chaisne. Il estoit vestu de sa Robe de velours rouge doublée de Satin cramoisy, & accompagné de quatre Conseillers d'Etat, qui sont aussi Conseillers d'honneur du Parlement, & de Mr d'Aligre Conseiller d'Etat. Les quatre anciens Ministres des Requestes y estoient aussi, ainsi que plusieurs Officiers du Conseil & de la Maison de M le Chancelier. Il fit un discours qui marqua à Mrs du Parlement qu'il a, & beaucoup d'estime pour leur Corps, & une consideration particuliere pour leurs Arrests. Il dit que c'estoit chez eux qu'il avoit puisé ses premieres lumieres qui avoient servy à rendre la justice ; aprés quoy il parla de la Justice en general, & de connoistrte qu'il y avoit encore beaucoup d'abus à corriger. Comme s'estoit l'heureux rétablissement du Roy qui les avoit assemblez, il dit aussi quelque chose sur ce sujet, & vous jugez bien que parlant du Roy il en fit l'eloge, puis qu'on ne peut rien dire de ce Prince, mesme sans art & sans preparation, que ce qu'on a rapporte ne puisse étre le sujet d'un Panegyrique. On a [pu] ensuite entendre la Messe dont la Musique estoit de Capron, Maistre de Musique de la Sainte Chapelle. Toute l'Assemblée fut fort satisfaite de ce qu'il fit chanter : il y avoit dans un autre endroit de la Salle un Concert de Hautbois avec de fort belles voix qui répondoient à cette Musique. Mr l'Archeves[que D]uc de Rheims estoit placé ?us un Dais à costé de l'Autel, & donna la benediction à l'Assemblée. Au sor[tir] de là Mr le Chancelier fut ??ité chez Mr le Premier President, avec les principales personnes qui avoient assisté à cette ceremonie. On ?? esté jusqu'a trente lieuës de Paris, chercher des choses qui le rendirent singulier.

[Actions de graces rendües par Mrs de l'Academie de Peinture & de Sculpture pour le mesme sujet] §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 299-303

 

Si plusieurs Corps celebres ont rendu les mesmes actions de graces avant l'Academie Royale de Peinture & de Sculpture, ce n'est pas qu'elle n'ait esté des premieres à donner des ordres pour s'acquiter d'un devoir si juste ; mais la longueur des preparatifs l'obligea de retarder l'effet de son zele jusqu'au Samedy 8. de ce mois. Elle choisit l'Eglise des Peres de l'Oratoire comme un lieu fort propre à estre décoré, & dont ceux qui la desservent ont un attachement tres-particulier pour toute la Maison Royale ; aussi consentirent-ils avec beaucoup de joye à la proposition qu'on leur fit sur ce sujet. Mrs de l'Academie prierent le Pere Soanem, celebre Predicateur, de vouloir bien prescher ce jour là, & Mr Charpentier, qui a apris la Musique à Rome sous le Charissimi, estimé le meilleur Maistre d'Italie, fut employé pour travailler à celle de cette Feste. Quoy que Mrs de l'Academie ayent plusieurs Salles toutes remplies de Tableaux qui sont autant de Chef-d'oeuvres, puisque ce sont ceux des personnes qui ont esté reçuës dans ce sçavant Corps, & qu'ils en eussent pû remplir plusieurs Eglises beaucoup plus grandes que celles des Peres de l'Oratoire ; ils aimerent mieux faire beaucoup de dépense & que toute la décoration de l'Eglise regardast le Roy. On fixa pour cet effet la somme que chacun devoit donner & ceux qui ne sont point dans les Charges, voulurent contribuer autant que les autres. On choisit les plus habiles Peintres de l'Academie pour faire neuf grands Tableaux, & 24. Bas-reliefs qui devoient representer les principales actions de Sa Majesté, & Mr Quinaut voulut bien se charger d'en faire l'explication en Vers François pour estre mise au bas de chaque Tableau, & de chaque Bas-relief. Mr le Brun travailla luy-mesme à un Tableau qu'on a admiré, qui represente l'Eglise victorieuse de l'Heresie, & il contribua beaucoup par les idées qu'il donna, & par les soins qu'il prit de les faire executer, à l'embellissement de cette grande, & ingenieuse Feste. Je n'entreray point dans un plus grand détail, parce qu'on en a déja donné un Livre au Public & qu'on travaille à un second dans lequel seront les Estampes de tous les Tableaux. Cependant je ne sçaurois m'empescher de vou dire, que les éloges que le Pere Soanem [fit] du Roy en divers endroits ?? sa Prédication, receurent de si frequens applaudissements qu'il eut besoin d'une grande presence d'esprit pout ne rien perdre de l'ordre de son Discours dans ces continuelles acclamations qui l'interrompirent. Il parla sur les actions du Roy representées dans chaque Tableau & ces differens éloges firent une diversité de matiere qui luy fournit un ample sujet de faire éclater son éloquence. Mrs de l'Academie l'ont fort prié de permettre qu'on donne au public ce Panegyrique, afin qu'on le puisse répandre avec ce recit de leur Feste, non seulement dans toute la France, mais encore chez les Etrangers. Quoy que ce Pere n'ay jamais voulu qu'on ait imprimé aucun de ses Ouvrages, il ne doit pas apporter d'obstacle à leur dessein, puis que ce seroit priver le Public de ce qui est si glorieux à sa Majesté, & et qui doit en quelque sorte appartenir à ceux qu'il a bien voulu obliger en composant ce Panegyrique.

[Autres actions de grâces] §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 306-310

 

Le 29. et le 30. du mois passé, Mr le President de Mesmes fit chanter le Te Deum dans l'Eglise des Cordeliers & dans celle du Grand Convent des Augustins de Paris en action de graces à Dieu pour le parfait rétablissement de la Santé de Sa Majesté. Il assista avec sa Famille, & fit ensuite un magnifique Festin à tous les Religieux de ces deux Maisons, dont il est le Protecteur, quoy que les Cordeliers soient au nombre de deux cens cinquante, & les Augustins de cent quarante.

Je ne dois pas oublier à vous parler du zele qu'ont fait paroistre les quatorze Peres Affiliez au Grand Convent & College des Jacobins de Paris, ruë Saint Jacques. Leur attachement à la Personne sacrée du Roy est d'autant plus particulier, qu'ils sont dépositaires des Cendres précieuses de Robert de Clermont, cinquiéme Fils de S. Loüis, & des Princes ses Enfans, qui sont enterrez dans leur Eglise, & que vous sçavez estre la tige de la Royale Maison de Bourbon. Ces Peres qui dés le 21. de Novembre avoient commencé chez eux des prieres publiques qu'ils continuerent neuf jours avec Exposition du Saint Sacrement, voyant leurs voeux exaucez par l'entiere guerison de Sa Majesté, en rendirent des actions de graces à Dieu d'une maniere tres-éclatante, le 1. 3. & 4. de Janvier, & les terminerent les jour des Rois par un Te Deum, qui attira une affluence de Peuple incroyable.

Madame Colbert, Abbesse de l'Abbaye Royale de Saint Loüis de Roüen, estant d'une Famille qui s'est toûjours signalée quand elle a trouvé l'occasion de faire connoistre combien elle est dévoüée au Roy, s'est acquittée du mesme devoir, en faisant chanter la Messe & le Te Deum dans son Eglise, par les plus habiles Musiciens de la Ville. Outre quantité d'aumônes qu'elle fit faire pour marquer sa joye, elle secourut beaucoup de pauvres Familles, & délivra plusieurs Prisonniers.

[Actions de grâces à Romans]* §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 310-311.

Les Consuls & les Habitans de Romans ont pareillement fait chanter un Te Deum avec beaucoup de solemnité, par les ordres de Mr le Marquis de Lionne, Maistre la Garderobe leur Gouverneur, & par les soins de Mr l’Abbé de Leisseins. Il y eut ensuite un grand Feu de joye dans la principale Place la Ville, & de grandes Illuminations à toutes les fenestres. Toutes ces marques de l’Allegresse publique font voir combien le Roy est aimé de tous ses Sujets. C’est cet amour tendre & respectueux qui a fait dire à une Dame d’un fort grand merite, & dont l’esprit n’est pas moins solide qu’il est fin & delicat.

Avec fort peu de bien, moins encor de jeunesse,
Avec une Famille aussi pauvre que moy,
Je ne demande à Dieu ny grandeur ny richesse,
Je suis assez contente, il a sauvé le Roy.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 345.

Je vous envoye encore un Air nouveau dont les paroles ont esté faites contre les Avares.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, J'entens murmurer, doit regarder la page 345.
J'Entens murmurer tout le monde,
Et dire qu'il n'est plus d'argent,
Tel affecte d'estre indigent,
Bien qu'en richesses il abonde.
Ah ! que je les tiens malheureux
Tous ces Pleureux
Qui font les gueux,
Et se plaignent le necessaire !
Chers Amis, moquons-nous d'eux,
En beuvant à qui mieux mieux,
Et rions de leur misere.
images/1687-02_345a copyOf_345.JPG

[Divertissement donné à la Cour pour le Carnaval]* §

Mercure galant, février 1687 [tome 3], p. 345-346.

Je ne vous dis rien des divertissemens que la Cour a pris ce Carnaval, quoy qu’ils ayent esté grands, & souvent réïterez. Le Roy a donné de grands repas avec sa magnificence ordinaire. Les grands appartemens de Versailles ont esté ouverts à toute la Cour, & on les a veus plusieurs fois remplis d’un nombre infiny de Masques. Il s’en trouva un vétu en Avocat qui donna au Roy les Vers suivants le dernier jour du Carnaval.

 De tant d’Avocats que nous sommes
Je ne sçaurois plaider qu’avec un bon succés,
Je soûtiens que Louis est le plus grand des hommes,
Et je suis asseuré de gagner mon procés.

Le Roy lut ces Vers & remercia l’Avocat, & quoy qu’il y eust beaucoup d’autres Avocats dans l’Assemblée, il ne s’en trouva aucun qui voulust plaider contre luy, ainsi il se retira, & ne parut plus. On crût que cette galanterie estoit de M. le Duc de S. Aignan, & l’on ne se trompa pas.