1687

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4]. §

Avis §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. I-II

AVIS.

On n’a pû se dispenser de joindre une seconde Partie ce Volume. Le zele des Peuples de France estoit connu par les nouvelles publiques ; mais elles n’ont entré dans aucun détail à cause de son étenduë. Cependant c’est ce détail qui en fait voir la grandeur, & qui instruira la Posterité de quantité de choses curieuses, & inoüyes. On verra dans cette seconde Partie divers spectacles qui apprendront la maniere de faire de grandes Festes, & ceux qui s’attachent à rechercher toutes les actions de la vie du Roy, l’y trouveront en Tableaux, en Devises, & dans les Eloges de ce Prince prononcez dans les Chaires, & dans les Academies des Lettres. Le Public sera aussi averty que ce n’est plus le mesme Libraire qui vend le Mercure mais qu’il se debite toûjours dans la Court-neuve du Palais au Dauphin, où ceux qui auront quelque chose à envoyer pourront écrire à Mr Guerout, qui est entré dans tous les droits de Mr Blageart Ainsi les Libraires, & les Particuliers de la Campagne à qui ledit Sr Blageart en envoyoit tous le mois, doivent s’adresser audit Sr Guerout, qui assure qu’il fera diligence, & que le Mercure se débitera à l’avenir dés le commencement de chaque mois.

[Ode] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 1-7

Je vous avouë, Madame, que je n’ay jamais esté si satisfait, qu’en apprenant que la Relation du Voyage du Roy à Paris, qui est dans ma Lettre de Février, non seulement a tiré des larmes en beaucoup d’endroits, mais que des cœurs philosophes, s’il m’est permis de parler ainsi, en ont esté touchez, c’est à dire, des cœurs difficiles à émouvoir, & qui faisant consister le bonheur de la vie dans une tranquille indifference, semblent incapables de rien sentir vivement, & d’estre jamais penetrez ny de chagrin ni de joye. Y a-t-il aucune chose qui marque mieux un plaisir parfait, que ces tendres mouvemens qui remplissant tout le cœur, y causent d’agreables émotions, qui rendent les yeux humides, & qui en font seulement couler quelques larmes, l’abondance en estant réservée pour la douleur. C’est là ce qu’on appelle des larmes de joye. Celles qu’on vit couler à Paris, quand le Roy y vint rendre graces à Dieu de entier rétablissement de sa santé, estoient de cette nature. Ce Prince ne se contenta pas de se montrer à ses Peuples, qui n’auroient osé souhaiter rien davantage. Il voulut par une faveur toute singuliere aller jusque dans l’Hostel de Ville, témoigner à leurs Chefs combien il estoit content du zele des Parisiens, & ce fut pour répondre à cet excés de bonté, que les larmes qu’un excés de joye leur fit répandre, furent meslées aux cris d’allegresse. Si le seul récit de ce qu’ils ont fait en cette occasion, en a pû tirer de ceux qui n’ont pas esté témoins de leurs transports, on peut dire que jamais Sujets n’ont donné pour aucun Souverain des marques d’un si ardent & si tendre amour. Voicy des Vers qui ne peuvent estre mieux placez qu’en cet endroit, puis que c’est la joye qui les a fait naistre.

ODE

SUR LA SANTE' DU ROY,

& sur l'honneur qu'il a fait à la Ville de Paris, de venir dîner à son Hostel le Jeudy 30. Janvier 1687.

Merveille des Citez, Paris, superbe Ville,
Couronne ton front de Lauriers;
Je voy venir ton Roy dans cet aimable azile,
Aprés mille travaux guerriers.
De malignes humeurs un importun nuage
T'alloit ravir ce beau Soleil ;
Mais pour l'heureux LOUIS leur fatal assemblage
N'est qu'un fantosme de sommeil.

 

A son prix, à tes voeux également sensible,
Le Ciel fait luire sa bonté
Dissipe tes frayeurs, Paris, tout est paisible,
Puisque ton Prince est en santé.

 

Charmé des beaux transports du zele veritable,
Qui te consume nuit & jour,
Il vient rire en ton sein, & manger à ta Table,
Sans autres Gardes que l'Amour.

 

A quel plus grand honneur peux-tu jamais pretendre,
Et quel sort fut jamais plus doux ?
Du jour qu'en ta Maison LOUIS daigna descendre,
De ce jour il est ton Epoux.

 

O jour vraiment illustre, & source de ta gloire !
Fourcy, vigilant Magistrat,
Ce jour doit à jamais consacrer la memoire
De ton bienheureux Consulat.

[Sonnet] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 7-9

Le Sonnet qui suit est de Mr le Clerc, de l’Academie Françoise. C’est la Ville de Paris qui parle au Roy.

Que ton éloignement fit souffrir mon amour,
Lors que tu t’exposois à la fureur des armes ;
Et quand l’heureux destin d’un aimable sejour,
De ton auguste Front me déroba les charmes !
***
Que ta Santé si chere aux Peuples, à la Cour,
M’a de nouveau causé de mortelles alarmes,
Et pour en obtenir le précieux retour,
Que j’ay formé de vœux, que j’ay versé de larmes !
***
Aujourd’huy que je puis joüir de tes regards,
Que je trouve en toy seul tout l’éclat des Cesars,
Ta presence, Grand Roy, fait ma plus belle Feste.
***
Du plaisir d’estre aimé sens toutes les douceurs ;
S’il est beau d’ajoûter conqueste sur conqueste,
Il est plus grand encor de triompher des Cœurs.

[Madrigal] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 9-11

Le jour que le Roy honora Paris de sa presence, le Pont Nostre-Dame, par lequel passa Sa Majesté, se trouva orné de Lustres & de Miroirs. Ce fut là-dessus que Mr Vignier fit ce Madrigal.

AU ROY.

Grand Roy, qui peut assez admirer ta clemence ?
Sçachant ce qu’à Paris coûtoit ta longue absence,
Et par combien de vœux il avoit souhaité
 L’heureux retour de ta Santé,
 Tu voulus sans tant de mystere
  Le visiter en Pere,
 Et que l’honneur qu’il auroit de te voir,
 Surpassast mesme son espoir.
Pour le faire joüir de ta douce presence,
Tu ne parus armé que de ta confiance ;
Et comme tu devois ne luy donner qu’un jour,
Pour une invention digne de son Amour,
Il fit de ses MIROIRS un nombreux étalage,
 Pour multiplier TON IMAGE.

[Devises, Médaillons, & Médaille, sur divers sujets qui regardent le Roy] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 11-25

Je vous envoye diverses Devises, que vous serez bien-aise de voir. La premiere a esté faite, quand le Roy se portant mieux a commencé à quitter le lit. C’est un Soleil levant, avec ces paroles Latines, Gallos excitat ortu.

Quand cet Astre paroist sur son Char élevé,
 L’on entend ses Gardes fidelles
Joindre leurs cris de joye à leurs batemens d’aisles,
Et dire dans leur chant aussi juste que gay,
Mortels, ne craignez plus, le Soleil est levé.

Comme le mesme terme signifie un François & un Coq, on fait allusion à la joye de l’un quand le Soleil se leve, par la consolation que l’autre à euë quand il a veu son Monarque relevé de maladie ; & cette allusion paroist d’autant plus judicieuse, que les Coqs sont appellez par les Poëtes les Gardes du Soleil, & que les Troupes qui gardent le Roy, forment des aisles quand elles sont en bataille.

Aprés que le Soleil est levé, il trouve quelquefois des nuages en son chemin qui ne servent qu’à montrer sa force, c’est précisément le destin du Roy. Sa convalescence a esté un peu traversée, & tous les periodes en sont assez bien marquez par cette autre Devise. Elle represente un Soleil qui perce des nuages, avec ces paroles Italiennes, Non Ingombrato da’ nubi.

 C’est sa vertu, c’est sa vigueur
Qui l’ont fait triompher des plus épais nuages,
Et son changement de couleur
N’a paru que sur nos visages.

Les Astrologues donnent au Soleil les douze Signes du Zodiaque pour Maisons, & lors qu’il est au Signe de la Vierge, il forme des jours qui sont des plus chauds & des plus longs de l’année. A ce sujet on a fait une troisiéme Devise sur le Voyage du Roy à Nostre-Dame de Paris, où Sa Majesté vint le 30. de Janvier rendre graces à Dieu de sa guerison. Là-dessus on propose le Soleil au Signe de la Vierge, avec ces mots, Lucet & ardet.

 Ses lumieres & son ardeur
 Inspirent aux siens la ferveur ;
 Il les anime, il les éclaire,
 Il fait, il les regarde faire ;
 Et ses exemples & ses yeux
 Servent à son Peuple fidelle,
 Et de motif, & de modelle,
Pour adorer le Roy de la Terre & des Cieux.

Au sortir de Nostre Dame le Roy entra dans l’Hostel de Ville, où Sa Majesté fut receuë par Mr le President de Fourcy, avec toute la magnificence dont je vous ay entretenuë. C’est le sujet d’une quatriéme Devise, qui peint le Soleil dans son Midy, parce que vers cette heure-là le Roy parut dans l’Hostel de Ville. Ces paroles sont l’ame de ce Corps brillant, Beat omnia vultu.

 Quand on a sa douce presence,
 Tout est plein de réjoüissance :
Certain je ne sçay quoy, dont on est tout surpris,
En échauffant les cœurs réveille les esprits.
 Quel bonheur de voir sans obstacle,
 Et d’admirer le Grand LOVIS,
Qui daigne estre aujourd’huy de son vaste Paris,
 Le Spectateur & le Spectacle !

Voicy une autre Devise qui a esté faite sur ce que le Parlement s’estant assemblé au Palais le 6. du mois passé, y fit rendre des actions de graces pour la guerison du Roy, qui est la Loy vivante de toute l’Europe. Le Palais qui est le centre des Loix, estoit autrefois le lieu que nos Monarques habitoient, & ils y rendoient la justice eux-mesmes. Cette Devise a pour corps le Soleil dans le Signe de la Balance, avec ce demy Vers d’Ovide, Regia Solis erat.

C’est icy le Palais du Soleil de Justice,
Et le Parlement veut que tout y retentisse
 De cris de joye & de Concerts,
 Pour benir le Ciel favorable,
De ce qu’il vient de rendre un Maistre à l’Univers,
 A la France un Pere adorable,
 A l’Eglise un Fils secourable,
 Au Parlement plein d’équité
Un Amy plein d’honneur & de felicité.

Je puis ajoûter icy un Médaillon & une Médaille. Le Medaillon est sur la guerison du Roy. C’est la teste de Sa Majesté avec cette Inscription, Ludovicus Magnus, Regno & orbi servatus. La Devise du revers est un Soleil sortant d’un grand nuage, & ces mots pour ame. Nec deficit orbi nec sibi. Dans l’Exerque, æquâ constantiâ, eâdem & vigilantiâ, tam malâ quam bonâ valetudine.

 Peuples, quand cet épais nuage
 A vos yeux cachoit mon visage,
J’estois toûjours le mesme, & par mes soins divers
Je ne veillois pas moins aux soins de l’Univers.

La Médaille est sur l’honneur que Paris a receu par la presence de Sa Majesté, lors qu’Elle disna à l’Hostel de Ville, & se fit voir à tout son Peuple aprés le recouvrement de sa Santé. C’est encore la teste du Roy, & autour, Ludovicus Magnus, Pater Patriæ. Le Revers a pour Devise le Soleil dans le Zodiaque à costé du Signe du Belier, mais plus bas, pour marquer qu’il s’en rapproche afin de ramener le Printemps, avec ces mots autour de cet Astre, Quanta propioris gratia vultus ! Dans l’Exerque, Regi optimo, ab Ædilib. Lutet. excipi dignato.

Plus cet Astre en est prés
Plus il nous paroist admirable,
Et plus son régard favorable
 A de puissans attraits.

Comme le jour que le Roy vint à Paris, le Soleil qui avoit paru le matin avant l’arrivée de Sa Majesté, demeura caché le reste du jour sous d’épais nuages, on a pris de la occasion de faire ce Madrigal.

 D’où vient, Soleil, qu’aprés que ce matin
 Tu t’es fait voir éclatant & serein
Vers le milieu du jour ta clarté s’est ternie ?
 Peuples, vos yeux sont ébloüis,
 Et ma lumiere est obscurcie,
Dans Paris aujourd’huy brille le grand LOVIS.

On a fait deux autres Médailles, l’une sur la Fondation de la Maison de S. Cir, & l’autre sur la destruction de l’Heresie. La teste du Roy fait le costé droit de l’une & de l’autre avec cette Inscription dans la premiere. Ludovicus XIV. Rex pius & magnificus. Au revers est le Soleil qui envoye ses rayons sur un parterre remply de fleurs nouvellement écloses avec ces mots, Ne pereant ; & dans l’Exerque, Regio nobilium, sed pauperum puellarum hospitio. Cette Inscription est dans la seconde, Ludovicus Magnus vindex fidei. Le Soleil levant & une nuit obscure qui fuit à l’Occident, sont dans le revers avec ces mots autour de cet Astre. Veto pulsis errare tenebris ; & dans l’Exerque, Deletâ Calvinianâ hæresi. m. dc. lxxxvi.

Voicy une seconde Devise sur l’Heresie abatuë. La baguete de Moyse frapant le Rocher en fait le Corps, & elle a pour ame, A Domino factum est istud.

Cette Conversion étonne, elle surprend.
 Jamais on n’en vit de pareille.
Le Seigneur fait cette merveille.
Ah, qu’elle est rare ! ah qu’il est grand !

Mr Gauthier qui a voulu exprimer par une Devise les soins que le Roy a pris de l’Estat pendant tout le cours de sa maladie, a fait peindre un Soleil éclipsé avec ces mots, Parte sui meliore viget.

 Ce grand Astre qui nous éclaire,
 Quelquefois au plus haut des Cieux
Peut perdre à nostre égard son éclat ordinaire,
Mais quoy qu’un triste aspect le dérobe à nos yeux,
D’un pas toûjours égal il fournit sa carriere,
Et n’a pas moins en soy d’ardeur ny de lumiere.
***
Tel LOVIS, le plus Grand des Heros & des Rois,
Plus grand par ses Vertus que par tous ses Exploits,
Veille sans nul relâche au bonheur de la France
 Avec la mesme égalité,
Avec les mesmes soins, la mesme liberté,
Lors qu’un mal passager nous ravit sa presence.

[Feste donnée à Marseille par Mr. Begon, Intendant des Galeres] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 25-32

 

Tandis que les uns ont fait connoistre par des Ouvrages d'esprit, la joye qu'ils ont de la parfaite guerison du Roy, les autres l'ont fait éclater par de grandes Festes. Il s'en fit une des plus magnifiques à Marseille le 5. de Février, par les ordres de Mr Begon, Intendant des Galeres. Mr Simon, Directeur general des Vivres, qui fut chargé de les faire executer, fit faire à la pointe du jour une décharge de plusieurs Boëtes, & la Diane fut batuë sur toutes les Galeres, par tous les Tambours des Compagnies qui y sont entretenuës, aprés laquelle tous les Fifres, Trompetes, Violons, Hautbois, & autres Instrumens de Musique des Galeres, firent retentir leur joye. Les Baraques furent fermées, & les Ouvriers de l'Arcenal congediez, l'ordre ayant esté donné de celebrer cette journée comme la plus solemnelle de toutes les Festes. Toutes les Galeres estoient ornées de leurs Etendards, Pavillons, Banieres ; Flames, Pavesades, les Poupes découvertes, & superbement parées. On chanta une grand'Messe sur la Reale, & en mesme temps on en celebra une basse sur chacune des autres Galeres. Dix huit Forçats, ausquels le Roy avoit accordé la liberté, y communierent, & à la fin de la Messe Mr l'Intendant leur mit leur Congé entre les mains pour se retirer chez eux, ce qui fut suivy d'une infinité de cris de Vive le Roy. Cette Ceremonie estant achevée, Mr le Commandeur de la Bretesche, qui commande les Galeres en l'absence de Mr le Duc de Mortemar, & de Mr le Chevalier de Noailles, se rendit dans l'Eglise Cathedrale avec Mr l'Intendant, & tous les Officiers des Galeres, qui furent suivis de toutes les Personnes de qualité de la Ville. On se plaça d'abord dans la Nef, où Mr Muret, Aumônier de Galere, prononça le Panegyrique du Roy avec un applaudissement general. C'est un homme d'un fort grand merite, & qui presche actuellement le Caresme dans la Cathedrale de Marseille. Il a remply le premier Employ dans l'Ambassade d'Espagne sous Mr l'Archevesque d'Ambrun Evesque de Mets, & il s'est fait long-temps connoistre à Paris par ses Predications, & par les divers Livres qu'il a donnez au Public, sçavoir, L'Explication morale sur les Epistres de S. Paul, les Ceremonies Funebres de toutes les Nations, & le Traité des Festins. Lors qu'il eut finy, on entra dans le Choeur, où il y eut une grand'Messe chantée en Musique avec le Te Deum à la fin, & l'Exaudiat, & à la sortie de l'Eglise, il se fit une décharge d'un tres-grand nombre de Boëtes. Dans le mesme temps Madame l'Intendante fit chanter un autre Te Deum aux Carmes, en presence de tous les Pauvres de la Ville, au nombre de plus de 1600. à qui elle avoit fait distribuer une aumône extraordinaire de pain, de vin, & d'argent, outre ce que sa charité luy fait donner tous les jours pour leur nourriture. Sur les cinq heures du soir, Mr l'Intendant se rendit à la Réale, où Mr le Commandeur de la Bretesche fit chanter le Te Deum en Musique. On en chanta un dans le mesme temps sur chaque Galere, & il fut suivy par trois décharges de toute l'Artillerie. Deux heures aprés on fit à l'Arcenal un Feu d'artifice, qui dura demy-heure. Il y eut des fusées de toutes sortes, & en fort grand nombre. A neuf heures toutes les personnes de qualité de l'un & de l'autre Sexe, tant de Marseille, que d'Aix, de Toulon & des autres Villes de la Province, se rendirent chez Mr l'Intendant, & trouverent les Apartemens de sa maison illuminez, & partagez de maniere, qu'il n'y en avoit aucun qui ne fust disposé pour servir à la Feste qu'il avoit fait préparer.Voir l'article suivant qui relate la suite de la fête.

[Vers d'un petit Opera intitulé, Jugement du Soleil] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 33-46 Voir l'article précédent qui relate le début de la fête.

 

Comme il n'y avoit point de Salle assez grande pour recevoir tous les Conviez, on avoit dressé un Theatre sur la Terrasse qui regne le long de l'Apartement de Madame l'Intendante, afin d'y representer un Opera fait exprés, qui avoit pour titre, Le Jugement du Soleil. Les Vers estoient de Mr de Bonnecorse, & la Musique de Mr Gautier, Chef de l'Academie Royale de Musique de Marseille. Pour se parer du vent, qui estoit tres-grand, on avoit eu soin de couvrir toute la Terrasse & le Theatre, tant de voiles que d'étofes, en sorte qu'on n'en receut aucune incommodité. Il s'y trouva plus de mille personnes distinguées. Le Theatre representoit un Paysage, où l'on voyoit des Mers, des Fleuves, des Montagnes, des Forests, & des Villes, avec le Soleil sur l'horison. Il fut ouvert par les quatre Parties du Monde, suivies de toutes les Nations. Voicy les Vers qui furent chantez.

L'EUROPE.

Notre nom est connu dans ce vaste Univers,
I'ay l'Europe en partage, & vous avez l'Afrique,
Vous l'Asie, & vous l'Amerique,
Nous tenons sous nos loix & la Terre & les Mers,
Mais chacune en Heros n'est pas toûjours feconde,
Et vous croyez à tort qu'en vos puissans Etats
La pluspart de vos Potentats
Soient les plus grands Princes du Monde.

L'ASIE.

Ah ! j'ose toûjours soûtenir
Que l'Asie a des Rois aussi grands qu'invincibles.

L'AFRIQUE.

Et l'Afrique a fait voir par des marques sensibles
Que ses Heros charmeront l'avenir.

L'AMERIQUE.

En vain vous estes prévenuës
Qu'on ne voit rien de grand sous mes divers climats,
Si j'ay des Terres inconnuës,
Mes Heros ne s'y cachent pas.

L'EUROPE.

Et dans la Paix & dans la Guerre
J'ay des Heros qui sont à redouter ;
Sur tous les Princes de la Terre
Leur valeur doit l'emporter.

L'ASIE, L'AFRIQUE, L'AMERIQUE.

J'en ay d'une gloire immortelle.

L'EUROPE.

Pour ne plus disputer,
Que le Soleil décide, il faut le consulter,
Il sçait nostre illustre querelle.

L'ASIE, L'AFRIQUE, L'AMERIQUE.

Il faut le consulter,
Il sçait nostre illustre querelle.

L'EUROPE au Soleil.

Brillant pere du jour,
Qui répans en tous lieux ta feconde lumiere,
Qui vois tout, qui sçais tout, à qui tout fait la Cour,
Soleil, arreste-toy dans ta vaste carriere,
Et pour nostre repos,
Dy-nous sous quel climat est le plus grand Heros.

LE SOLEIL s'ouvrant, & paroissant dans son Char.

L'Europe seule a droit de publier la gloire
De ses vaillans Heros si fameux dans l'Histoire,
Mais nul n'est comparable au Monarque des Lis,
En tous lieux sa gloire est semée,
Et par tout la Renommée
Ne parle que de LOUIS.
***
Malgré ses Ennemis, & leur jalouse envie,
Le Ciel a conservé ce Roy victorieux,
Et ses Sujets ne font des voeux
Que pour une si belle vie ;
C'est elle qui les rend heureux.
***
Si son courage est grand, sa sagesse est profonde,
On l'estime, on le craint sur la Terre & sur l'Onde,
C'est le parfait Heros qu'on admire aujourd'huy ;
Et si le Monde entier vouloit choisir pour Maistre
Le plus digne de l'estre,
Il ne pourroit choisir que luy.
***
Adieu, Nymphes, je parts. Que chacune s'empresse
De chanter en tous lieux ce fameux Conquerant.

L'EUROPE, L'ASIE, L'AFRIQUE & L'AMERIQUE ensemble.

Chantons, chantons sans cesse
Que de tous les Heros LOUIS est le plus grand.

Une Troupe d'Européens vinrent témoigner ensuite par des danses la joye qu'ils ressentoient.

DEUX EUROPEENS.

Celebrons la gloire
De plus grand des Rois,
Par tout la Victoire
Reconnoist ses Loix ;
A peine on peut croire
Ses fameux Exploits.

Une Troupe d'Asiatiques ayant dansé aprés eux, l'Europe & l'Asie chanterent ensemble ces quatre Vers qui furent repetez par les Choeurs.

On ne voit rien d'égal dans le Siecle où nous sommes.
Ah, que l'on est heureux de vivre sous ses Loix !
C'est le plus grand de tous les Rois
Et le mieux fait de tous les hommes.

Ces deux Entrées furent suivies de deux autres. Une Troupe d'Afriquains, & une autre d'Ameriquains firent connoistre leur joye par diverses danses, aprés quoy l'Afrique & l'Amerique chanterent ensemble.

Jamais Roy n'a conceu de plus nobles projets ;
Tout ce qu'il execute, & tout ce qu'il desire
Fait le bonheur de ses Sujets,
Et la grandeur de son Empire.

Les Choeurs ayant repeté ces quatre Vers,

Du plus grand des Rois
Celebrons la gloire ;
A peine on peut croire
Ses fameux Exploits.

Les Ris & les Jeux parurent, & se joignant aux quatre Nymphes, chanterent les Vers qui suivent.

Plus de chagrin, plus de querelle,
Goûtez les douceurs de la Paix,
Ne respirez plus que pour elle,
LOUIS va la rendre eternelle.
Vivez contens, & desormais
Plus de chagrin, plus de querelle.

LES CHOEURS.

Par des Concerts, par des Jeux éclatans.
Faisons voir que la Paix rend les Peuples contens.

Aprés une Chaconne que toutes les Nations danserent ensemble,

LES RIS ET LES JEUX.

Plus de chagrin, plus de querelle,
Goûtez les douceurs de la Paix.

LES CHOEURS.

Ne respirons plus que pour elle,
Vivons contens, & desormais
Plus de chagrin, plus de querelle

LES QUATRE NYMPHES.

Ciel, conservez LOUIS, exaucez nos souhaits.

Aprés l'Opera, les Violons furent partagez, & l'on commença le Bal en trois endroits differens. Les Hommes & les Femmes avoient le plaisir de passer de l'un à l'autre, & sans sortir de la Maison, trouvoient de tres-belles Assemblées. Il vint au commencement un Masque déguisé en Courrier, qui rendit aux plus considerables de l'Assemblée plusieurs paquets, où l'on trouva des Vers fort agréables. A minuit on servit une grande Collation de Fruits & de Confitures, & pendant toute la Feste il y eut des rafraichissemens de toutes sortes de liqueurs pour tous ceux qui en voulurent. Les Apartemens estoient éclairez d'une infinité de lumieres, aussi bien que l'Escalier. On avoit encore préparé des Illuminations par dehors aux logemens de l'Arcenal, & aux Galeres, mais le grand vent en empescha le succés. Mr du Pile, qui fournit tous les vivres de la Marine, fit voir la part qu'il prenoit aux réjoüissances publiques par une liberalité qu'il fit faire à tous les Forçats des Galeres, & à ceux de l'Hospital, qui sont au nombre de huit mille. Outre leur Ration ordinaire, il fit distribuer à chacun une livre de mouton, quatre onces de lard, quatre onces de ris, & une pinte de vin. Il fit encore servir quatre Tables de seize couverts chacune, pour les Officiers des Galeres qu'il avoit fait convier.

[Prieres & Réjoüissances faites à Marseille par les Comites des Galeres] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 46-49

 

Le 16. du mesme mois, les Comites des Galeres firent leur Ceremonie particuliere dans l'Eglise des Minimes, avec toute la pompe qu'on pouvoit attendre du zele d'un si grand Corps. Ils s'assemblerent dans la Réale, d'où ils partirent ayant chacun un flambeau à la main, pour se rendre à cette Eglise, qui estoit parée en dehors & en dedans de Damas rouge semé de Fleurs de Lis, & extrémement illuminée. Celuy qui portoit l'Etendard Royal estoit richement vestu, & monté à l'avantage. Les Tambours le précedoient avec deux cens Provillers des Galeres, chacun portant son Guidon. Devant luy marchoient douze Cavaliers avec leurs Trompetes, & ensuite venoient les deux grandes Bandes de Violons, & les Comites deux à deux, selon le rang des Galeres. Lors qu'on apperceut l'Etendard Royal, on fit une décharge de plus de deux cens Boëtes à la porte de l'Eglise. A l'entrée on entonna le Te Deum en Musique ; aprés quoy Mr le Prieur Toscan, Neveu du Comite Réal celebra la Messe. Ce qu'il y eut de particulier, c'est que tous les Comites & Sous Comites des Galeres y communierent de sa main au nombre de soixante & quinze, ce que n'avoit encore fait ancun autre Corps. Le Pere de Colonia, Minime, prononça l'Eloge de Sa Majesté. Son sujet fut, que c'est Dieu qui donne la santé aux Rois, & que c'est au Peuple à demander qu'il la leur conserve. De cette obligation generale il passa à l'obligation particuliere que tous les François avoient de demander à Dieu la conservation d'un aussi grand Roy que celuy sous l'heureux Regne de qui nous vivons. La Ceremonie finit par l'Exaudiat, chanté en Musique au bruit d'une décharge de plus de trois cens Boëtes & on s'en retourna dans le mesme ordre à la Réale.

[Histoire] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 49-56

Je ne puis quitter Marseille, sans vous parler d’une chose qui a fort surpris toute la Ville, & qui est arrivée depuis quelques mois. Mademoiselle Berardy, mariée depuis dix-sept ans à Mr Carfueil, homme fort connu & fort estimé dans le Commerce, & d’une tres-honneste Famille, vivoit avec luy dans cette tendre union qui fait le bonheur du Mariage. Elle l’avoit épousé fort jeune, & elle n’estoit encore que dans sa trentiéme année, lors qu’elle fut attaquée d’un mal dont les Medecins ne connurent point la cause. Ils la traiterent d’abord comme d’une Hydropisie naissante, & voyant grossir son ventre, ils crurent que l’Hydropisie estoit formée. Ils luy firent appliquer les remedes les plus violens, qui furent continuez pendant plusieurs mois. Elle fut saignée souvent, & abondamment au bras & au pied. On luy fit boire à longs traits des Eaux minerales du Val, qui est un Village à cinq ou six lieuës de Toulon. Toutes sortes de purgations réïterées furent mises en usage, & mesme toutes les poudres de la Chymie qu’on croyoit specifiques contre les maux de Mere, & dont elle usa depuis le troisiéme mois de sa maladie. Comme elle empiroit toûjours, il falut venir à d’autres remedes. On luy donna de l’acier en potion, & dans un Opiat où il en entroit quatre onces, & aprés qu’elle en avoit pris les Pillules, on luy ordonnoit des promenades violentes pour en provoquer l’operation. Les Medecins la croyoient si bien hydropique, qu’ils se servirent encore de tout ce que la Medecine a d’antidotes pour l’en guerir. Plus ils voyoient le mal s’augmenter, plus ils la purgerent. On luy appliqua sur le ventre des emplastres attractifs, des Ventouses, de la Parietaire toute boüillante avec des briques, & des linges assez chauds pour la brûler plûtost que de dissoudre l’Hydropisie. Enfin le 24. de Novembre dernier, son Mary sortit sur les neuf heures du matin avec le Medecin, qui la laissa dans ses incommoditez ordinaires. Il ne rentra chez luy qu’à Midy, & il la trouva dans des douleurs si terribles, qu’il ne douta presque point qu’elle n’en mourust. Il s’approcha d’elle pour la consoler, & fut agréablement surpris un moment aprés, lors que les cris d’un Enfant dont elle accoucha sans aucun secours, annoncerent en mesme temps la grossesse de la Mere, & la méprise des Medecins. Elle n’avoit jamais eu d’Enfans, & aprés dix-sept années de sterilité, il n’y avoit pas lieu de s’imaginer qu’elle fust grosse ; outre que dans tout le temps que dura le mal qui fit employer de si violens remedes, elle ne sentit aucun mouvement qui la fist appercevoir qu’elle alloit devenir Mere. Cette nouvelle s’estant répanduë, chacun accourut en foule pour en feliciter le Mary. Pour sur croist de joye, c’estoit un Garçon, qui prend un grand soin de vivre. La Mere qui ne fut dans les douleurs du travail qu’environ une heure, joüit d’une parfaite santé depuis ses couches, & cela fait croire qu’à l’avenir elle pourra estre guerie d’une seconde Hydropisie de cette nature, sans avoir besoin des Medecins.

[Actions de graces renduës, & réjoüissances faites par les Officiers du Siege de Senechal d'Arles] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 56-66

 

Je viens aux actions de graces renduës par les Officiers du Siege de Senéchal d'Arles. Vous sçavez, Madame, que n'y ayant point de Presidiaux en Provence, les Senéchaussées y en tiennent lieu. Le jour qu'ils avoient choisi pour cette Ceremonie estant arrivé, on vit dés le matin toute la façade du Palais, la Bassecourt, & la Chapelle parée de riches Tapisseries. Un grand Tableau du Roy formoit sur la principale entrée un magnifique ornement. Au dessous on avoit mis cette Inscription, Antiquis omnibus unum objice. M l'Abbé de Boche, Sacristain de la Cathedrale, autant distingué par son érudition & par sa pieté, que par sa naissance & par la dignité qu'il possede dans cette Eglise, celebra la Messe, à laquelle Mr le Marquis de Boche son Frere, grand Senéchal d'Arles, assista avec tous les Officiers du Siege. Pendant la Messe on chanta plusieurs Motets, composez exprés sur la gloire & sur la Santé du Roy ; & à l'élevation quantité de Boëtes furent tirées dans la Place voisine. La Messe fut suivie du Te Deum, que Mr l'Abbé de Boche entonna, qui fut chanté par les mesmes Musiciens. [...]

Sur les quatre heures, tous les Officiers de ce Siege entrerent dans la Chapelle qui fut illuminée comme le matin, & lors que chacun eut pris sa place, Mr de Peyron, Procureur du Roy, prononça un discours sur l'importance de la vie & de la santé de Sa Majesté, & donna à toute l'Assemblée de grandes marques de son eloquence & de son zele. Ce discours fut suivy d'un Motet à la gloire du Roy & de l'Exaudit chanté en Musique. La nuit arrivée, Mrs du Siege ayant Mr le Senéchal à leur teste, descendirent pour aller allumer le feu. Ils marcherent au bruit des Tambours & des Trompetes jusqu'à la porte du Palais où ils s'arresterent, & alors les Musiciens qui s'estoient placez sur des degrez qui y sont bastis, firent succeder à ce grand bruit une plus douce harmonie. Une infinité de Flambeaux allumez de toutes parts rendoient cette nuit fort éclatante, & on ne s'attendoit plus qu'au grand feu, lors qu'il parut tout d'un coup une illumination nouvelle en forme de Theatre, qui regnoit dans tout le fond de la Place sur la mesme ligne à quatre toises de hauteur. Ces lumieres faisoient briller un nombre presque infiny d'Ecussons aux Armes de France, & leur centre se trouvoit juste à l'endroit où l'on devoit allumer le feu. Mrs du Siege precedez des Tambours, des Trompetes & de leurs Huissiers, s'avancerent un à un à travers la foule qui occupoit cette Place, & aprés avoir fait trois tours dans le mesme ordre autour du Peristyle qui enfermoit le Bucher, ils prirent chacun un flambeau qu'on leur presenta, & mirent le feu aux traisnées. Le Bucher s'enflama en mesme temps, & divers feux qui serpentoient avec fracas, aprés s'estre détachez du couronnement, meslerent leur bruit à celuy des Boëtes, pendant qu'une infinité de fusées qui s'élançoient de la Couronne, s'éleverent au milieu des airs pour retomber en étoiles.

[Feste de l'Academie de la mesme Ville] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 66-76

 

Vous jugez bien, Madame, que dans une occasion où tous les Corps ont fait des Festes publiques, l'Academie Royale d'Arles, toûjours attentive & appliquée depuis son établissement à ce qui regarde la gloire du Roy, n'a pas manqué de faire éclater sa joye pour la guerison de ce grand Monarque. Ceux qui la composent s'estant assemblez extraordinairement chez Mr le Marquis de Robias, Secretaire perpetuel de la Compagnie, on fit differentes propositions pour rendre la solemnité que l'on avoit resolu de faire, la plus éclatante qu'il seroit possible. On convint qu'elle se feroit le 8. de Fevrier dans la Chapelle des Penitens gris, qui est l'endroit que ces Messieurs ont toûjours choisi pour leurs Assemblées publiques, comme le plus convenable & le plus avantageux, par sa naturelle disposition, & par la magnificence de ses ornemens. Mais quoy que ce lieu parust si favorable au dessein qu'ils avoient pris, tant par sa vaste étenduë, que par la richesse de ses peintures & de ses dorures qui l'embellissent depuis le haut de la voûte jusques au bas, Mrs de l'Academie prirent encore un soin particulier de l'orner magnifiquement, & prierent Mr Giffon, l'un de leurs Confreres, de se charger de cette conduite, & de travailler aussi à la composition quelques paroles en forme de Cantique à la gloire de Sa Majesté, & au sujet de cette Feste, pour les faire mettre en Musique par le Sr Aubert, Maistre de Chapelle de la Cathedrale d'Arles, l'un des plus celebres Compositeurs, & du meilleur goût qu'il y ait en France. [...] Il seroit difficile de representer quel fut le concours de toutes les personnes de qualité, des Sçavans de tous les Ordres & de tous les Curieux de la Ville. Mr le Coadjuteur d'Arles que l'Academie avoit invité à cette Feste par une députation particuliere, y vint en Camail & Rochet, accompagné de tout le Corps de son Chapitre. Mrs les Consuls, dont le premier est un des plus dignes membres de l'Academie Royale, s'y rendirent aussi, avec une si grande affluence de Noblesse, qu'il fut impossible d'empescher que la pluspart des Gentilshommes les plus qualifiez ne demeurassent sans sieges, quelque soins qu'on eust pris d'en reserver. Toutes les Dames du plus haut rang s'y montrerent avec leurs plus riches parures. Si tost que chacun se fut posté selon que la necessité le permit, & que le silence eut succedé au tumulte, on commença par une Symphonie dont les coeurs furent tellement touchez, que tous ceux qui composoient cette celebre Compagnie, se sentirent excitez à pousser mille cris d'allegresse. Ce Prélude fut suivy du Motet ou Cantique dont je viens de vous parler. Les paroles de Mr Giffon qui portoient en elles mesmes une vive expression de leur sujet, avoient esté assorties par le Sr Aubert de toutes les beautez de la Musique, & du mélange de la Symphonie. A ces plaisirs succeda celuy que fit goûter le sçavant Discours que prononça Mr l'Abbé de Verdier, Directeur de l'Academie. Il representa avec autant de force que d'éloquence les obligations que tous les Peuples avoient de rendre graces à Dieu, & de s'applaudir de la parfaite guerison de Sa Majesté ; & fondant les motifs de nostre gratitude & de nôtre joye sur l'idée des vertus de ce Monarque, il en fit un Panegyrique digne de la délicatesse de son esprit, & de la force de son érudition. Aprés ce Discours qui luy attira l'admiration de tout le monde, on chanta le Te Deum, & le tout fut terminé par la Benediction que Mr le Coadjuteur donna à cette celebre Compagnie.

[Autres faites à Angers] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 76-80

 

L'Université d'Angers s'étant assemblée le 21. Janvier dans l'Eglise des Cordeliers sur la proposition qui en avoit esté faite par Mr Voisin, Doyen de la Faculté des Droits, elle y fit chanter solemnellement la Messe, & le Te Deum en Musique. Mr Babin, Chancelier de l'Université, officia. Il y eut un tres-beau Concert d'Instrumens, & un grand concours de Peuple, outre tous les Ecoliers qui y assisterent.

Les Prestres de l'Oratoire qui sont de ce Corps celebre, se distinguerent le 31. par un Discours Latin que le Pere Delpeuch, Professeur de Rhetorique, prononça dans leur Eglise à la loüange du Roy. Le Portrait de Sa Majesté avoit esté mis au costé droit de la Chaire, sous un Dais magnifique de drap d'or, enrichy de quantité de pierreries. Tous les Corps de la Ville y assisterent, & ce Discours receut de grands applaudissemens. A peine fut-il finy, qu'on entendit un grand bruit de petits Canons & de Boëtes que ces Peres firent tirer. On alluma un grand Feu dans leur court, & le lendemain on chanta la Messe & le Te Deum avec beaucoup de solemnité, ce qui fut suivy d'une grande distribution d'aumônes. [...]

Le 6. de Fevrier, le Presidial en Robes rouges se rendit dans la Salle du Palais où se trouverent tous les autres Officiers & Ministres de Justice. Un Prestre, Conseiller Honoraire du Presidial, assisté de deux autres Prestres de la mesme Compagnie, celebra la Messe à leur Autel ordinaire. Le Te Deum fut chanté ensuite par une excellente Musique, meslée d'un concert d'Instrumens, aprés quoy toute l'Artillerie de la Ville se fit entendre.

[Autres faites à Montpellier] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 81-83

 

Les Trompetes, Hautbois & Violons s'estant fait entendre dés le point du jour le 9. du mesme mois, dans le Palais du Presidial de Montpellier, les Officiers de ce Siege s'assemblerent sur les huit heures chez Mr le Lieutenant General. Le Corps des Avocats & celuy des Procureurs avoient receu ordre de s'y trouver, & en estant sortis deux à deux précedez par les Officiers & Archers des Maréchaussées de la Province & du Diocese, & par les Huissiers de la Cour Presidiale, ils se rendirent à la Chapelle de leur Palais. La Messe y fut celebrée par Mr le Vicaire General, assisté de douze Prestres de l'Eglise Cathedrale de Saint Pierre, & ensuite on chanta le Te Deum. La Musique & les concerts des Violons, des Hautbois & des Trompetes, charmerent tous ceux qui furent de cette Feste. Une Fontaine de vin coula tout le jour dans le Palais, & les Magistrats firent faire une distribution de pain & d'argent à tous les Pauvres.

[Réjoüissances faites à Aix par Me la Presidente de Boyer-Bandol] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 83-90

 

Parmy les Réjoüissances qui ont esté faites à Aix en Provence, Madame de Boyer Bandol s'est distinguée par la Feste particuliere qu'elle fit le mois passé. [...] Le feu de joye estoit élevé vis à vis de la maison de Madame de Bandol, & à chaque extremité estoient des Drapeaux, où brilloient les mêmes Armes. Vous pouvez juger quel concours de peuple attira ce grand Spectacle. Lors que tout fut disposé, Madame de Bandol & plusieurs autres Dames, tenant chacune un flambeau de cire blanche, mirent le feu au Bucher aux cris de Vive le Roy, & au bruit d'une grande quantité de Boëtes, aprés quoy il y eut une décharge de mousqueterie qui dura autant que le Feu, pendant que les Hautbois, les Tambours & les Trompetes marquoient combien tous les coeurs estoient penetrez de joye. Un grand Repas suivy d'un tres-beau Concert fut la fin de cette Feste.

Madame la Presidente de Bandol ne se contenta pas de ce qu'elle avoit fait dans la Ville d'Aix. Elle fit chanter un Te Deum dans son Château de Bandol, situé au bord de la mer, & il fut accompagné de feux de joye, & d'une distribution à tous les Pauvres, dont elle avoit fait habiller une partie. Tous les Gentilshommes qui en ont pû faire autant dans les Provinces, l'ont fait avec de grandes marques de zele : & je vous apprens par ce peu de mots plus de vingt mille Festes qui ont esté faites à la Campagne.

[Discours prononcé par M. Godeau au College des Grassins sur la parfaite guerison du Roy] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 96-107

Le Mercredy 12. de ce mois, Mr Godeau prononça au College des Grassins, où il enseigne la Rhetorique depuis sept ans, un fort beau Discours Latin sur la parfaite guérison du Roy. L’Assemblée fut aussi illustre que nombreuse ; & par les Extraits de plusieurs de ses Ouvrages que je vous envoye, vous concevrez aisément quelle fut la beauté de celuy-cy. La premiere Partie fit voir la constance & la fermeté du Roy, qui avoit montré plus de moderation dans les plus grandes douleurs, que les autres n’ont accoûtumé d’en avoir dans les plaisirs. Il dit, Que cette grandeur de courage avoit toûjours esté le caractere de LOVIS LE GRAND, & l’ame de toutes ses actions ; que c’estoit elle qui l’avoit mis au dessus de tous les Rois & de tous les Sages, mais que comme elle ne s’estoit exercée que dans la prosperité, & pour reprimer les mouvemens des passions ausquelles la consideration d’une gloire extraordinaire peut donner naissance, c’estoit veritablement dans sa maladie qu’elle avoit paru avec éclat & dans toute son étenduë. Nous ne connoissions pas encore parfaitement, ajoûta-t-il, la solidité des vertus du Roy au milieu de tant d’heureux succés de ses armes. Il falloit un caractere du Dieu des affligez pour nous faire entierement juger de ses qualitez heroïques. C’est cette constance qui luy a fait regarder d’un œil asseuré & d’un visage tranquille, toutes les suites que pouvoit avoir un mal également dangereux & obstiné. C’est elle qui nous a persuadé, que les vertus surprenantes de ce grand Monarque luy doivent donner la qualité du plus sage & du plus Chrestien de tous les hommes, comme le bonheur qui a toûjours accompagné ses entreprises guerrieres, la fait l’Arbitre de toute l’Europe, & le plus grand Roy qui soit sur la Terre. Mr Godeau examinant ensuite en détail la nature du mal qu’a souffert Sa Majesté, fit connoistre que toute sa rigueur n’avoit pas esté capable d’arrester le cours de ses occupations royales, ny de suspendre les effets de cette admirable activité qui le fait travailler sans cesse à procurer le bien de la Religion & de la Republique Chrestienne ; que l’on n’avoit remarqué aucun changement dans sa conduite, si ce n’est qu’il avoit fait de nouveaux efforts pour l’affermissement de nostre bonheur, & que cette constance heroique renfermoit en soy toute sa veritable grandeur, puis que c’estoit d’elle qu’il avoit emprunté, pour ainsi dire, la force, sans laquelle toutes les vertus dont il a eu besoin pour se soûtenir dans son mal, n’auroient jamais éclaté d’une aussi excellente maniere qu’elles ont fait.

La seconde Partie de son Discours fit voir la bonté singuliere de Dieu, qui ne pouvoit rien faire de plus utile & de plus avantageux pour nous, que de rétablir dans une santé parfaite celuy qui a étably si parfaitement les colomnes de cette Monarchie, & de nous avoir rendu ce que nous ne voudrions pas perdre pour un monde entier. Aprés avoir exposé combien avoit esté generale la tristesse de tous les Ordres du Royaume à la nouvelle de la maladie du Roy, & combien la joye avoit esté universelle aprés l’asseurance de sa guerison, il soûtint que cet excés de douleur & de joye, estoit une marque infaillible que tous les François regardoient la grace que Dieu venoit de leur faire comme la plus grande qu’ils en pussent recevoir. Il dit que ce bienfait avoit ramassé tout ce qu’on pouvoit comprendre de plus estimable, puis qu’il nous mettoit de nouveau en possession des biens infinis que le Ciel a répandus sur nous par la sagesse & par la valeur du Roy, & nous remplissoit d’une esperance agreable, d’en recevoir encore dans la suite de plus precieux & de plus grands ; que Dieu n’avoit conservé le Roy dans son âge florissant, qu’afin d’executer par son bras des choses extraordinaires. J’atteste dit-il en s’adressant à ce Prince, j’atteste l’Ange terrible qui vous a conduit à tant de Conquestes, qui vous a fait le Protecteur de vos Alliez, qui vous a rendu redoutable à vos Ennemis, venerable à vos Sujets, aimable à tout le monde, qu’il ne veut pas borner icy vos glorieuses actions. Nous esperons voir bien-tost le jour auquel vous rendrez à la Religion Catholique dans tout le reste du monde ce que vous luy avez rendu dans vos Estats, c’est à dire ce divin éclat qu’elle avoit receu de Clovis, de Charlemagne, & de S. Loüis. Elle attend par tout l’effet de vostre pouvoir ; elle respire déja par toute la Terre un air plus doux dans la confiance qu’elle a en vostre courage & en vostre zele. Il ajoûta que sans aller chercher dans l’avenir, nous avions dans le passé d’assez grands sujets de reconnoistre que nous avons esté favorisez particulierement du Ciel, & que nous luy sommes infiniment redevables de nous avoir conservé l’auguste LOVIS ; que quand mesme nous ne pourrions nous flater dans la suite d’aucun bon succez, quand les faveurs du Ciel seroient épuisées pour nous, quand nos esperances ne pourroient aller plus loin, nous devions croire que Dieu avoit fait assez pour nos avantages ; en un mot que sans s’arrester à examiner quel devoit estre le Roy à l’avenir, c’estoit assez pour nous convaincre de la grandeur du bien-fait de sa guerison, que de faire reflexion sur ce qu’il avoit esté. Il fit icy une peinture tres-vive de la vie du Roy, aprés laquelle il excita tous les Peuples sur lesquels avoient esté répandus les fruits de ses grands exploits, à une singuliere reconnoissance envers Dieu, qui en nous conservant le Destructeur de l’Heresie, le Liberateur des Chrestiens opprimez, le Protecteur des beaux Arts, le Pere du Peuple nous combloit tout à la fois des plus rares faveurs où nous pussions aspirer. Il finit par une courte priere à Dieu pour la conservation perpetuelle du Roy. Elle estoit composée d’expressions tendres & affectives que l’Ecriture Sainte luy avoit fournies.

Madrigal §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 107-108

Vous en trouverez une tres-ardente, quoy qu’en peu de mots, dans ce Madrigal de Mr Doujat, Doyen de l’Academie Françoise.

 Arrestons desormais nos larmes,
 Elles ne sont plus de saison,
Le Ciel donne à LOVIS l’entiere guerison
 Du mal qui causoit nos alarmes.
 Grand Dieu, nostre eternel appuy,
Qu’au delà de Nestor ce grand Monarque vive !
 Que ce bien par toy nous arrive,
 Le reste nous viendra par luy.

Ode §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 108-117

Voicy l’Ode de Mr le Clerc de la mesme Academie qui luy attira un applaudissement general de la nombreuse Assemblée qui l’entendit lire le jour que cette illustre Compagnie fit une Feste publique pour le rétablissement de la Santé de Sa Majesté. Elle merite d’autant plus d’estre estimée qu’on n’y voit rien de contraint, quoy que les rimes en soient redoublées dans chaque Strophe, en sorte qu’il y en a cinq masculines & trois feminines dans chacune.

ODE

De quel bruit si charmant, de quels divins Concerts
 Entens-je retentir les airs ?
Pour porter jusqu’à nous ces merveilleux mélanges
 De voix & d’Instrumens divers,
 Les Cieux ne sont-ils point ouverts ?
 Ne sont-ce pas les Chœurs des Anges,
 Qui viennent chanter les loüanges
De l’Estre Souverain qui forma l’Univers ?
***
 Aux pieds de nos Autels que d’hommes prosternez !
 Que de Temples illuminez !
Qu’un doux parsum remplit l’air que l’on y respire !
 Les esprits naguere étonnez
 Sont à la joye abandonnez ;
 Ce n’est que d’aise qu’on soûpire,
 Et les Sujets de cet Empire,
N’ont jamais veu couler de jours plus fortunez.
***
 Qui peut de tant de joye ignorer la raison ?
 Quand fut-elle plus de saison ?
Qui ne sçait que LOVIS le plus grand des Monarques,
 Seul Heros sans comparaison,
 Triomphe de la trahison
 Dont l’osoient menacer les Parques,
 Et n’a jamais eu plus de marques
De la faveur des Cieux que dans sa guerison ?
***
 Pour en rendre l’hommage à l’Autheur de son sort
 Chacun fait un dernier effort,
Chaque jour est pour nous une nouvelle Feste.
 Du Nocher, voisin de la mort,
 Tel est le ravissant transport
 Quand sa Navire toute preste
 A succomber à la tempeste,
Sent renaistre le calme, & va surgir au Port.
***
 Influence maligne, helas ! qu’attendois tu
 Du mal dont il fut combattu ?
Qu’a-t-il servy qu’à faire admirer son courage ?
 Vit-on son visage abatu ?
 L’éclat dont il est revestu
 Souffre-t-il le moindre dommage ?
 Sparte, Athenes, Rome, Cartage,
Quel Heros parmy vous fit voir tans de vertu ?
***
 Dans les plus grands perils où son cœur l’ait jetté,
 On vit son intrepidité,
Tout l’Univers connoist la force de ses armes.
 Sa valeur ayant tout dompté,
 Il s’est luy-mesme surmonté,
 Avare de sang & de larmes ;
 La Paix a calmé nos alarmes
Et l’Europe la doit à sa seule bonté
***
 Le bruit tumultueux qui suit les grands exploits
 N’a jamais fait taire nos Loix,
Nous avons veu par tout éclater sa Justice.
 Par luy l’Heresie aux abois
 N’a maintenant force ny voix.
 Ennemy déclaré du vice,
 Il fait son plus doux exercice,
Du culte qu’on doit rendre au seul Maistre des Rois.
***
 Parmy tant de vertus & de dons precieux,
 Qu’en naissant il receut des Cieux.
Rien n’avoit jusqu’alors exercé sa constance.
 Le bonheur qui suit en tous lieux
 Ce Monarque victorieux
 Montra tant de perseverance,
 Que nul revers, nulle souffrance
N’avoient osé troubler des jours si glorieux.
***
Grand Dieu, qui vois des cœurs le plus petit recoin,
 Dans ses maux quel Mortel si loin
Porta sa patience, & parut si tranquille ?
 Sans cesse avec le mesme soin
 Il prévenoit nostre besoin,
 Ne trouvoit rien de difficile,
 Et toûjours d’un accez facile,
De sa douleur muette il fut le seul témoin.
***
Ainsi quand des broüillards le lugubre concours,
 De l’Astre qui fait les beaux jours
Couvre les clairs rayons d’une épaisseur obscure,
  Sa vertu subsiste toûjours ;
  De son ordinaire secours
  Il favorise la Nature,
  Et sa lumiere vive & pure
N’est jamais alterée, & va le mesme cours.
***
Que sa santé promet de gloire à ses Estats !
 Qu’un jour par l’effort de son bras
Il va mettre à ses pieds de testes couronnées !
 Que je voy de Ramparts à bas,
 Que de Sieges que de Combats,
 Et que de Palmes moissonnées !
 Non, pour remplir ses destinées
Un demy Siecle encor ne luy suffira pas.
***
Superbes Ennemis, qui d’un frivole espoir
 Osiez encor vous decevoir,
Qui ne pouvez souffrir une si belle vie,
  Accoûtumez-vous à le voir
 Plus grand qu’on ne peut concevoir,
 Et sçachez que malgré l’envie,
 La Terre doit estre asservie
Par crainte ou par amour à son juste pouvoir.
***
Vous, sur qui chaque jour il répand ses bien-faits,
 Vous qu’il reçoit dans son Palais,
Illustres Orateurs, delicieux Orphées,
 De ses Vertus, de ses hauts faits
 Achevez les hardis Portraits,
 Et que d’un beau zele échauffées
 Vos mains luy dressent des Trophées
Que la rigueur des ans ne détruise jamais.

Sur le retablissement de la Santé du Roy §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 117-128

Je ne sçaurois mieux finir ce grand Article, que par des Vers libres de Mr de Fontenelle. Les Ouvrages qu’il a donnez au Public sont si estimez, que son nom vous doit répondre des beautez de celuy-cy. Il faut pourtant vous dire que toute la gloire ne luy en est pas deuë, puis que c’est une Traduction d’une Ode Latine du Pere Comire Jesuite, dont tout le monde connoist le rare talent. Ainsi les pensées ne sont point de luy, & il n’a fait en la traduisant, que leur donner un tour agreable en nostre Langue.

SUR LE RETABLISSEMENT
de la Santé du Roy.

La crainte & les soucis loin de nous se retirent.
Que de nostre bonheur nos Ennemis soûpirent,
France, porte à leurs yeux avec plus de fierté
Les Lis & les Lauriers dont tu te ceins la teste,
Tu vois de ton Heros les jours en seureté ;
Triomphe, ta plus belle & plus noble conqueste
 Ne l’a jamais plus merité.
***
 Qu’il souffrit de vives atteintes
 Lors que d’officieuses mains
Luy prestoient à regret des secours inhumains !
Il tenoit ses douleurs captives & contraintes,
  Il leur refusoit fierement
D’un soupir ou d’un cry le vain soulagement ;
 On n’a connu ses maux que par nos plaintes.
***
 L’Art qui par d’utiles rigueurs
 Répare & soutient la Nature,
 Ne luy faisoit point de blesseure
Qui ne se fist sentir jusqu’au fond de nos cœurs.
 Que les menaces passageres
Qui parurent alors du celeste couroux
Attirerent de vœux empressez & sinceres !
En offrir pour LOVIS, c’est en offrir pour nous.
***
Telle est à nos regards l’horreur qui se presente,
 Telle est la subite épouvante
Qui saisit l’Univers surpris, inquieté,
 Quand le Soleil dans sa course éclatante
Perd, ou semble du moins perdre cette clarté,
 Par qui la Nature est vivante,
 Et qui seule en fait la beauté.
***
Si prodiguant sa vie on en sauvoit une autre,
 Nous n’aurions pas craint pour la vostre,
Grand Roy, nous estions prests de renoncer au jour ;
Mais Dieu vous rend à nous, content de reconnoistre
 Que par l’excés de nostre amour
 Nous sommes dignes d’un tel Maistre.
***
 Que nos cœurs sont reconnoissans !
Quelle vive allegresse en tous lieux se déploye !
 De là partent tous ces encens
Que d’icy vers le Ciel un Peuple heureux envoye,
Et ces Concerts sacrez tous les jours renaissans,
 Et ces larmes, de nostre joye
 Témoins encore plus puissans.
***
Que LOVIS vive, il n’est aucune grace
Dont nous devions importuner les Cieux.
 Quand le plus grand des Heros de sa race,
Charles3 abandonnant le sejour glorieux,
Où prés du Trosne Saint il occupe une place,
 Reviendroit regner en ces lieux ;
Quand recommençant mesme une course nouvelle,
Il soumettroit aux Francs pour la seconde fois
Et le Lombard perfide, & le Saxon rebelle ;
Qu’il apprendroit aux Huns à vivre sous ses loix,
Ebranleroit l’Empire ennemy de la Croix
Qu’au milieu de l’Espagne avoit fondé le More,
 Ah ! nous regreterions encore
 Et LOVIS, & ses grands Exploits.
***
Quel autre sur le Rhin se frayant un passage
Eust fait fendre cette Onde aux pieds de ses chevaux,
Et par ce grand peril eust sur l’autre rivage
Cherché d’autres perils, & de plus grands travaux ?
On voit avec terreur la Flandre belliqueuse
Baissant sous nostre joug une teste orgueilleuse,
 Qui n’a plié que sous mille hauts faits,
Et la Bourgogne aux Lys autrefois arrachée,
 A ces mesmes Lys attachée
Par un Bras qui répond qu’elle l’est à jamais.
***
Ces superbes rochers d’où Luxembourg tranquille
Bravoit des Assiegeans la valeur inutile,
 De nos efforts se sont-ils garantis ?
Des desseins que jamais on n’auroit pressentis,
Ont fait naistre en un jour deux conquestes nouvelles,
Sous qui le Po, le Rhin, jusqu’au sein de Thetis,
 Tremblans, & desormais fidelles
 Roulent leurs flots assujettis.
***
Sur les sables brûlans de l’Afrique alarmée,
Des Brigans redoutez par des crimes heureux,
De nos foudres encor respirent la fumée,
Ils fremissent encor des ravages affreux,
Qui restent dans leurs Murs de la pluye enflâmée
Qu’un ordre de LOVIS fit descendre sur eux.
L’infame soif de l’or qu’ils ne peuvent éteindre,
Desormais cependant respecte nos Vaisseaux ;
De leurs avides mains l’ardeur sçait se contraindre,
Nos tresors à leurs yeux sont portez sur les Eaux ;
On n’a plus sur la Mer que la Mer seule à craindre.
***
Mais de tous ces Exploits & l’éclat & le fruit,
Et tout ce que LOVIS a fait par son tonnerre,
Cede à l’Ouvrage saint que la Paix a produit ;
Cette Hydre qui sortant de l’éternelle nuit,
Declaroit au Ciel mesme une éternelle guerre,
Tombe sous le Heros dont le bras la poursuit,
 Et ses cent testes sont par terre.
***
Elles sembloient pourtant devoir se relever,
Dans peu leurs siflemens pouvoient se faire entendre,
La nouvelle fureur qu’elles alloient reprendre,
 Plus que jamais eut osé nous braver.
Mais libre du peril que craignoit vostre Empire,
Vous vivez, grand Monarque, & sans que vostre bras,
S’attache contre l’Hydre à de nouveaux combats,
 Elle vous voit, & pour jamais expire.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 155.

Une Fille de qualité, belle, jeune, & toute aimable, ayant paru avec grand éclat dans une Assemblée qui se fit un des derniers jours du Carnaval, a donné lieu à ces Vers, qui ont esté mis en Air par un tres-habile Maistre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par L'Hyver flêtrit toutes choses, doit regarder la page 155.
L'Hyver flêtrit toutes choses
Quand il fait voir ses glaçons ;
Mais il vous laisse des roses,
Iris, toûjours bien écloses,
Vous charmez en mille façons,
Beauté de toutes les Saisons.
images/1687-03a_155a copyOf_155.JPG

[Prise de Possession de l'Abbaye de Vernon par Me de Berthemet] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 155-169

 

Je vous appris dans ma Lettre du mois d'Aoust la nomination de Madame de Berthemet, à l'Abbaye de Vernon, Ordre de S. Augustin, vacante par la mort de Madame Testu, Soeur de Mr l'Abbé Testu, de l'Academie Françoise, mais je ne vous parlay point alors du merite & de la Famille de cette nouvelle Abbesse, m'estant reservé vous en instruire lors qu'elle prendroit possession. [...]

Le soir, les Pensionnaires se chargerent d'exprimer les sentimens de la Maison par des Vers, que trois d'entre elles reciterent à la loüange de cette nouvelle Abbesse. Je vous les envoye, ne doutant pas que vous ne les approuviez, puis qu'il vous sera aisé de connoistre qu'ils partent de source.

POUR MADAME
DE BERTHEMET

Abbesse de Vernon, le jour
de la prise de Possession.

Voicy de tous nos jours le jour le plus heureux,
Vous venez par vostre presence
Contenter nostre impatience,
Et nous voyons icy l'objet de tous nos voeux.
***
Du bruit de vostre nom l'ame toute charmée,
Nous voulions voir enfin tout ce que tant de fois,
La bouche de la Renommée
Nous avoit dit de vous avec toutes ses Voix.
***
Que ne peut-on vous dire à quel point on s'empresse,
De vous rendre de petits soins !
Que vos yeux ne sont-ils témoins
De tout ce que nos coeurs ont pour vous de tendresse !
Vous verriez qu'il n'en ont pas moins
Qu'ils ont de joye & d'allegresse.
***
Peut-on vous voir & ne pas vous aimer ?
Dans vos yeux qui du coeur sont le miroir fidelle,
Une douceur aimable & naturelle
N'a-t-elle pas de quoy charmer ?
***
Ne sçait-on pas qu'elles sont les lumieres
D'un Esprit qui n'ignore rien,
Qui sçait parler & raisonner si bien
Sur tout sorte de matieres ?
***
Mais quand on oze vous loüer,
On voit un front modeste & sage,
Qui semble nous desavoüer,
Et nous deffend d'en dire davantage.
***
Cependant devant vous on ne peut s'empescher
De loüer pour le moins une foible partie
De cette illustre modestie,
Qui ne peut jamais se cacher.
***
C'est cette humilité profonde
Qui malgré tout l'espoir d'une haute faveur
Ferme vos yeux & vostre coeur
A toutes les grandeurs du monde.
***
Qu'un si puissant exemple a de quoy nous toucher !
Qu'en reglant sur vos pas nos voeux & nos pensées,
Il nous est aisé de marcher
Sur les routes du ciel que vous avez tracées !

Ces Vers estant recitez, deux fort belles Voix, dont une ne fait pas un des petits ornemens de cette Maison, ayant esté une des meilleures Ecolieres du fameux Mr Lambert, chanterent ces autres Vers, mis en Musique par un tres-bon Maistre.

I. DESSUS.

Venez, venez, par vos soins genereux,

Ensemble.

Venez, venez combler nos voeux.

I. Dessus

Vous nous étalez mille charmes.

II. Dessus

Vous faites cesser nos allarmes.

Ensemble.

Ces lieux tristes & desolez
A la joye, au Plaisir par vous sont rappellez.

I. Dessus

A votre aspéct tout le Ciel se colore.

II. Dessus

Jamais en plus riche appareil
On ne vit la charmante Aurore
Annoncer aux Mortels le retour du Soleil.

II. Dessus

Venez, venez, par vos soins genereux,

Ensemble.

Venez, venez combler nos voeux.

[Ceremonie faite aux Augustins de Thoulouse] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 169-173

 

Il y a deux ou trois mois qu'on fit une Octave tres-celebre dans l'Eglise du grand Convent des Augustins de Toulouse, pour l'élevation du Corps de sainte Julie Martyre. Ce Corps a esté transporté de Rome avec le Vase de son sang par le Pere du Jonca, cy-devant Assistant de France du mesme Ordre. [...]

Pendant l'Octave que les Augustins de Toulouse ont faite, le Corps de la Sainte fut exposé dans une tres-belle caisse sur un Autel richement paré, & chaque jour une Communauté de Religieux s'y rendit processionnellement pour y officier & celebrer la grand'Messe. Mrs du Chapitre de l'Eglise Abbatiale de Saint Saturnin firent la mesme chose le dernier jour, & ne se contentant de montrer leur pieté par une Messe solemnelle que la Musique chanta, ils revinrent le soir donner la Benediction, avant laquelle il y eut, ainsi que les autres soirs, un Motet d'une excellente Musique. Ils se trouverent ensuite à la Procession, qui se fit par les Cloistres avec le Corps Saint, qu'on portoit à la Chapelle des Dames du Tiers Ordre de Saint Augustin, où il doit reposer. Le Panegyrique de la Sainte fut prononcé chaque jour par un du Corps qui avoit fait l'Office, & pendant toute l'Octave le concours du peuple fut extraordinaire.

[Placet au Roy] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 176-182

Je vous ay parlé plusieurs fois de Mr Roubin, Academicien d’Arles. Ce fut luy que la Ville de ce nom députa il y a quelques années pour venir presenter au Roy un Tableau de l’Obelisque qui avoit esté trouvé sous quelques ruines, & qu’elle avoit fait élever & restaurer, & ensuite consacré à ce Monarque, aprés y avoir fait placer un Soleil sur la pointe, & fait faire un piedestal remply d’Inscriptions à la gloire de Sa Majesté. Le même Mr Roubin s’étant trouvé possesseur d’une Isle qui appartient au Roy, & se voyant attaque par ceux que l’on a commis pour la recherche des biens de cette nature, a fait le Placet qui suit à l’occasion de cette recherche. Il faut vous dire pour l’intelligence de ce Placet que le Roy luy fit l’honneur de l’anoblir pendant le temps de sa Députation pour les affaires & pour l’Obelisque de la Ville d’Arles.

AU ROY.

Favorable autrefois aux Chansons de ma Muse,
Grand Roy, tu daignas l’écouter,
Et ce doux souvenir dont mon ame est confuse,
 L’enhardit encore à chanter.
***
Tu sçais que par mes soins, & mes ardentes veilles
 Cet Obelisque si vanté,
De ton Regne fameux consacra les merveilles,
 A toute la Posterité.
***
Qu’ayant gravé ton Nom au Temple de Memoire,
 Tu tiras le mien de l’oubly,
En versant dans mon sein un rayon de ta gloire,
 Dont tout mon sang fut annobly.
***
Mais tu me fis grand tort m’accordant cette grace,
 Je n’en suis que plus malheureux,
Car estre Gentilhomme & porter la Besace,
 Il n’est rien de si douloureux.
***
Ce vain titre d’honneur que j’eus tort de poursuivre,
 Ne garanti pas de la faim ;
Je sçay qu’aprés la mort la gloire nous fait vivre,
 Mais en ce monde il faut du pain.
***
 Je n’ay qu’un seul Domaine au rivage du Rhosne
 Qui m’en donne pour subsister.
Je serois miserable, & reduit à l’aumosne
 Si l’on venoit à me l’oster.
***
J’ay donc tout mon secours en ta bonté suprême,
 Et si l’on nous met en Procés
Pourveu que ton grand cœur le décide luy-mesme,
 Je n’en craindray point le succés.
***
 Qu’est-ce en effet pour toy, grand Monarque des Gaules,
 Qu’un tas de sable & de gravier ?
Que faire de mon Isle ? Il n’y croist que des Saules,
 Et tu n’aimes que le Laurier ?
***
Egalement puissant dans la Paix, dans la Guerre,
 Comblé de gloire & de bonheur,
Maistre d’un grand Estat, quelques Arpens de Terre
 Te rendroient-ils plus grand Seigneur ?
***
Laisse m’en donc joüir, la faveur n’est pas grande ;
Ne me refuse pas ce bien,
C’est tout ce qu’aujourd’huy mon Placet te demande,
 Grand Roy, ne me demande rien.

[Histoire] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 185-211

L’Amour n’est pas toûjours une passion à craindre. Quoy qu’on refuse de la satisfaire, elle ne laisse pas quelquefois de produire des effets avantageux, & l’avanture que vous allez lire dans une nouvelle Lettre de Mr Vignier, dont je vous envoye une copie, vous fera connoistre que les personnes vraiment genereuses ne se démentent jamais.

A MADAME
DE THYBERGEAU.

Je me trouverois bien embarassé, Madame, si depuis le temps que je n’ay eu l’honneur de vous écrire, je n’avois que de simples complimens à vous faire ; mais par bonheur un de mes plus intimes Amis m’a tiré de cette peine, par la confidence tres-sincere qu’il m’a faite d’une avanture qui luy est arrivée, & dont il n’a vû la fin que depuis quinze jours. I’espere qu’elle vous donnera du plaisir, puis que dans le temps où nous sommes il se rencontre assez rarement des Heros & des Heroïnes qui fournissent des exemples de vertu & de generosité comme ont fait ceux dont je me vois obligé par quelques considerations particulieres, de cacher les noms sous ceux de Theodat, & de Matilde. Vous sçaurez donc, Madame, qu’il y a deux ans que Theodat revenant d’un lieu de pieté, où il va regulierement, rencontra deux Dames fort bien faites & fort proprement vétuës qui sortoient de sa chambre, où elles l’avoient attendu, pour luy demander quelque secours dans une occasion fort pressante. Il les pria d’y rentrer, & celle qui paroissoit la plus âgée, quoy qu’elles fussent toutes deux fort jeunes, ayant pris la parole, luy dit d’une maniere qui ne pouvoit estre plus touchante, qu’elles estoient Etrangeres & d’une qualité distinguée dans leur Pays ; qu’elles l’avoient quitté avec tout leur bien pour des raisons qui faisoient leur unique consolation dans l’état pitoyable où elles se trouvoient presentement avec toute leur Famille. Elle ajoûta qu’elles estoient sœurs, & qu’elles vivoient avec leur mere qui les avoit amenées en France. Il ne se voit guere de taille plus noble & plus fine que celle de cette Dame. Elle a l’air modeste, le teint admirable, tous les traits du visage les plus reguliers du monde, les dents belles, les cheveux d’un blond cendré & d’une longueur extraordinaire. Sur tout elle a un agrément singulier dans le son de la voix. Ie vous laisse à penser, Madame, si la charité de Theodat eut sujet d’être émeuë. Ie ne puis vous dire ce qu’il leur donna ; je sçay seulement qu’elles en furent contentes. Il ne les vit que deux fois pendant un an tout entier depuis cette premiere visite ; & à la troisième, qui fut celle où il eut le temps de les entretenir, il trouva tant de charmes dans Matilde, quoy que pâle & languissante, qu’il en fut surpris. Il avoit fait un voyage de quatre mois à la Campagne, & dans le mesme temps elle fut sur le point d’en faire un plus long en l’autre monde. Il la pria de luy dire sa demeure, & elle s’en excusa sur la misere où il remarqueroit que sa mauvaise fortune l’avoit reduite ; mais quand il l’eut assurée que c’estoit pour la faire cesser autant qu’il seroit en son pouvoir, & qu’il ne luy faisoit cette demande que par des principes que sa vertu ne condamneroit jamais, elle ne se fit pas prier davantage, & deux jours aprés il alla chez elle. Il la trouva qui se divertissoit avec une petite fille de trois ans, belle comme un Ange, & qui dans tout ce qu’elle disoit faisoit paroistre un esprit bien au dessus de son âge. Sa mere & sa sœur estoient auprés d’elle. Elles firent connoistre à Theodat par beaucoup d’honnestetez que les personnes de qualité se font toûjours remarquer dans quelque état qu’elles se trouvent ; & il s’apperceut sans peine au peu de meubles qu’il vit, que ses charitez ne pouvoient estre mieux employées. Ainsi, Madame, je vous diray une fois pour toutes qu’il a fait sur cela des choses qui passent l’imagination, & sans que le faste y ait eu la moindre part. Il remarqua mesme toûjours tant de retenuë, & tant de sagesse dans la conduite de cette illustre infortunée, qu’encore qu’il sceût qu’elle aimoit les Vers, il n’osa luy en faire voir qu’il avoit composez pour elle. Comme on vint un jour à parler de ceux qu’on avoit faits pour le Roy, elle luy dit qu’elle ne pouvoit croire qu’une Muse aussi belle que la sienne fust demeurée muette dans une si belle occasion, & il luy répondit sur le champ.

Je voudrois que ma Muse eust autant de vigueur,
 Que mon cœur à de zele
 Pour chanter la gloire immortelle
 D’un si fameux Vainqueur,
Mais je voudrois aussi que la Fortune
 Lasse de vous estre importune,
 Reprist son air riant & doux ;
 Et pour reparer son injure
Voulust estre d’accord avec que la Nature
 Qui fut si prodigue pour vous.

Cet impromptu ne disoit pas qu’il aimoit, mais il luy donnoit lieu de le soupçonner. Ce fut un prelude de ce qu’il avoit envie de luy dire, car il ne pouvoit plus vivre sans luy découvrir ce qu’il sentoit. Il crut que l’occasion luy estoit favorable, un autre jour qu’il la trouva seule ; mais il fut fort étonné lors qu’il s’apperceut que le nom d’amour la faisoit rougir. Quand elle fut un peu revenuë du trouble que sa declaration luy avoit causé, elle s’excusa comme ayant eu tort de s’être exposée à la recevoir, en luy cachant qu’elle estoit mariée. Elle ajoûta que la petite fille qu’il voyoit, estoit un fruit de son mariage, & luy dit ensuite des choses si Chrestiennes & si fortes que Theodat en fut penetré. Il luy demanda pardon, & la conjura de luy accorder au moins une amitié de sœur, afin qu’en cette qualité il eust l’avantage de luy confier les mouvemens les plus secrets de son cœur. Cette demande estoit trop honneste & trop juste pour estre refusée. Il continua ses visites, & une apresdînée qu’il ne rencontra que la sœur & l’aimable petite fille, qui luy donnoit un extrême plaisir à l’entendre raisonner & chanter des airs de l’Opera, il vit entrer dans la chambre un jeune Gentilhomme bien fait accompagné d’un de ses amis. La petite fille courut aussi-tost pour luy faire des caresses, mais il les receut avec une si grande dureté, que Theodat eut de la peine à s’empescher de luy dire qu’il estoit bien cruel. Ce fut encore pis quand la mere arriva, & qu’aprés avoir fait des civilitez à la Compagnie, elle s’assit auprés du Cavalier qui n’avoit pas seulement osté son chapeau quand il l’avoit veuë entrer. Le silence dura quelque temps, mais enfin le mary de Matilde, car c’étoit luy-mesme, le rompit, & la regardant d’un œil de travers luy dit quelque chose en sa langue qu’elle ne put souffrir sans faire paroistre par le son de sa voix plus élevé qu’à l’ordinaire, qu’elle n’en estoit pas contente. Alors Theodat crut qu’il estoit de la prudence & de son devoir de se retirer, de peur de luy attirer quelque chose de fâcheux. En la quittant il jetta les yeux sur elle, & il comprit par l’abbatement de son visage, le chagrin où elle estoit, de ce que son mary s’estoit d’abord fait connoistre par son foible. Il n’estoit arrivé que le jour d’auparavant ; & un Officier du Regiment où il estoit Lieutenant, l’ayant rencontré l’avoit arresté pour quelque affaire. Il fut rappellé à sa Garnison, mais Theodat n’en joüit pas plus tranquillement du plaisir de voir Matilde. Une Voisine devint jalouse du bien qu’elle crut qu’il luy faisoit, & s’imagina que si elle pouvoit luy mettre la jalousie dans la teste, elle profiteroit de leur rupture. Elle ne trouva point de moyen plus propre à faire réüssir son dessein qu’en luy donnant de l’ombrage d’un Cousin de son mary, qui à cause de la proximité & de son merite particulier, estoit le bien venu chez Matilde. Elle alla donc trouver Theodat, & luy dit qu’elle se croiroit coupable si elle ne tâchoit par toute sorte de moyens de luy dessiller les yeux, en luy faisant voir qu’il estoit la dupe de deux personnes qui se divertissoient à ses dépens. Elle accompagna l’intention qu’elle témoignoit avoir de le servir de tant de sermens pour autoriser ce qu’elle disoit tenir du Cousin mesme, qu’un homme moins credule que Theodat y auroit ajoûté foy. Mais

Il ne fut point surpris qu’une si belle vie
 Fust sujette à l’envie.

Il connoissoit à fond la vertu de Matilde ; & le remerciment qu’il fit à cette Donneuse d’avis luy fit bien juger qu’elle n’avoit fait aucune impression dans son esprit. Ce mauvais succés ne fut point capable de la rebuter. Elle eut recours à une autre ruse, & connoissant qu’il n’estoit pris que par les yeux, elle se persuada qu’il oublieroit aisément celle qui l’avoit charmé, quand il auroit vû une Dame qui passoit pour une merveille. Elle fit en sorte qu’elle se trouva dans un lieu où elle sçavoit que Theodat alloit quelquefois, & où il se rencontra fortuitement ce jour-là. Cette Dame qui avoit de l’éclat & de la vivacité d’esprit, ayant à ménager l’interest de son Amie & le sien propre, n’oublia rien de tout ce qu’elle crut capable de l’engager ; mais toutes ses avances furent inutiles. Les Vers qu’elle fit sçachant qu’il estoit Amy des Muses, ne purent l’engager à y répondre, non plus qu’à la Lettre qu’elle luy écrivit. Comme cette Lettre estoit d’un tour fort galant & spirituel, il ne pût s’empescher de la montrer à Matilde. Elle n’en fut point alarmée, & elle apprit avec une tranquillité & une indifference incroyable ses Amours pretenduës avec le Cousin de son Mary. Vous croirez peut-estre qu’elle ne put souffrir depuis ce temps-là que celle qui avoit fait tous ses efforts pour luy nuire, vinst encore chez elle. Bien loin de cela elle pria Theodat de faire le bien pour le mal, & de luy rendre service. De son costé elle en usa avec la mesme franchise qu’elle avoit accoûtumé de faire, & prit plaisir à luy rendre tous les jours de bons offices, disant à ceux qui s’en étonnoient, qu’elle seroit indigne du secours des Ames genereuses, si Dieu ne luy avoit fait la grace de l’estre assez elle-mesme, pour n’avoir point de peine à pardonner à ses Ennemis, & à les aimer. Un procedé si doux & si honneste, força enfin cette fausse Amie à laisser en repos ces deux personnes extraordinaires, mais elles n’y demeurerent pas fort long temps. Un orage bien plus violent mit tout d’un coup la constance de Matilde à une plus rude épreuve. Elle apprit la mort de son Mary, qu’une Fiévre continuë avoit emporté en peu de jours. On ne vit point en elle ces emportemens & ces pleurs excessifs, dont une feinte douleur n’emprunte que trop souvent le trompeux secours. La sienne ne pouvoit estre plus veritable, & tous les actes de pieté & de résignation à la volonté de Dieu qu’elle fit alors, furent accompagnez de tant de marques de la force de son Ame, qu’on ne pouvoit assez l’admirer. Theodat ne l’abandonna guere dans un temps où son assistance luy estoit si necessaire, & où elle avoit un extrême besoin de consolation. Il n’y a point de maniere qu’il ne recherchast pour luy en donner, & comme il s’apperceut qu’un secret chagrin la consumoit de jour en jour, il fit ce qu’il put pour en découvrir la cause ; & enfin n’en pouvant venir à bout, il ne balança plus à luy faire une proposition, qui vray-semblablement devoit arrester le cours de ses déplaisirs. Il s’offrit de l’épouser, & de la faire son heritiere universelle, en cas qu’il mourust sans laisser d’Enfans. Cette generosité la toucha si fortement qu’elle tomba à ses pieds, & fut quelque temps sans retrouver l’usage de la parole. Quand elle fut revenuë à elle-mesme, elle l’asseura que dans toutes ses disgraces elle n’avoit point receu de coup si sensible, que celuy qu’il venoit de luy donner, parce que ne pouvant accepter l’honneur qu’il vouloit luy faire, elle apprehendoit que son refus ne le chagrinast. J’espere pourtant, continua-t-elle, que vous me le pardonnerez, & puis qu’il faut vous ouvrir mon cœur, la mort de mon Mary n’a fait que me rendre à celuy à qui je me suis consacrée il y a long-temps : & je me persuade que vous aurez moins de jalousie pour l’Epoux divin que j’ay choisi, que vous n’en auriez pour des creatures. Ne croyez pas, s’il vous plaist, que la profonde tristesse où vous m’avez vûë plongée, ait d’autre cause que l’embarras où je suis de ne pouvoir executer mon dessein tant que je seray dans le monde, & de voir en mesme temps que tous les moyens d’en sortir me sont ôtez. Quoy que Theodat ne s’attendist pas à cette réponse, il ne perdit pas l’esperance de la faire changer de sentimens. Il luy representa tout ce que son esprit & la raison luy purent fournir pour la convaincre qu’elle ne seroit pas moins toute à Dieu, quand elle seroit à luy ; mais quelque avantage qu’elle pust trouver dans ce Party, elle ne put approuver ce partage de son cœur. Enfin comme si l’un & l’autre se fussent piquez de combattre de generosité, Theodat se rendit à la voix de celuy qui avoit appellé Matilde, & il luy jura qu’il ne tiendroit pas à luy qu’elle ne fust satisfaite ; qu’elle n’avoit qu’à choisir tel Convent qu’il luy plairoit, & qu’il estoit prest de payer sa dot. Je ne puis, Madame, vous exprimer l’effet que ce consentement fit en un instant & dans son cœur & sur son visage. Theodat qui la vit toute éclatante de joye, tant elle estoit transportée de joye, n’attendit pas sa réponse, & il sceut le lendemain qu’elle avoit écrit à une Abbesse qui l’aimoit beaucoup, pour sçavoir si elle vouloit bien la recevoir chez elle, & à quelles conditions. Cette Abbaye n’estant éloignée de Paris que de deux petites journées, la réponse arriva bien-tost avec tout ce qu’elle avoit eu envie de sçavoir. L’argent de la Dot fut compté à celuy qui fait les affaires de la Dame en cette Ville. Une Parente de l’Abbesse a voulu avoir l’aimable petite Fille dont je vous ay parlé, pour prendre soin de son éducation ; & nostre Heroïne Chrestienne, aprés les adieux dont il n’est pas besoin de vous rien dire, alla se renfermer pour le reste de sa vie dans une petite Cellule. Je croy, Madame, que j’auray bien-tost à vous en mander autant du genereux Theodat, car je sçay qu’il fait souvent des retraites dans un lieu où la Grace a retenu quantité de personnes qui n’avoient pas tant de disposition qu’il en a pour y demeurer. Je suis avec beaucoup de respect vostre, &c.

[Lettre de M. de Comiers contenant plusieurs secrets merveilleux §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 227-235

Vous trouverez dans la Lettre qui suit, écrite par le sçavant Mr de Comiers, la suite de ce que je viens de vous promettre de merveilleux & de nouveau.

MONSIEUR,

Voicy dequoy reparer le temps que j’ay laissé passer sans vous apprendre des nouvelles extraordinaires concernant les Arts, & les Sciences. Mr Perrot, Intendant de la Verrerie Royale d’Orleans, m’en fournit la matiere. C’est le mesme dont je vous ay déja parlé lors que les Ambassadeurs de Siam allerent voir ses Ouvrages quand ils passerent par Orleans pour venir à Paris. Comme il est Artiste tres-expere & grand Philosophe, il a si bien étudié tout ce qui regarde la Vitrification, & travaillé avec tant de chaleur & d’attachement sans avoir jamais esté rebuté par la quantité des experiences, non plus que par la diversité des operations, & par la grandeur de la dépense, qu’il a enfin heureusement recouvré le secret perdu depuis plus de trois cens ans de faire le Verre rouge transparent, avec cet avantage que son rouge est beaucoup plus vif que celuy des Anciens. Ce qui vous surprendra, c’est que le Verre qu’il a mis en estat de prendre cette couleur, garde la blancheur & la transparence du plus beau Cristal jusqu’à ce qu’il le mette sur des charbons ardens, & qu’à peine y a-t-il demeuré un moment, que la partie qui a esté sur le feu, prend la couleur du rubis. Cette couleur devient plus enfoncée selon que le Verre reste long-temps sur le feu, & la partie qui n’a point esté sur les charbons, conserve la mesme blancheur, & la mesme transparence qu’elle avoit auparavant. Nous l’avons experimenté dans nostre Assemblée en un Cilindre d’un pied de long, & de quatre lignes de diametre, & afin qu’on ne crust pas qu’il en arrivast autant au verre d’une autre composition, nous avons mis sur les mesmes charbons, & en mesme degré de feu un Cilindre, ou canon de verre commun, mais il en est toûjours sorty avec la mesme blancheur. Ce qu’il y a de plus admirable, c’est que le verre de Mr Perrot devenu rouge, & qui garde cette couleur, estant tiré en filets, & travaillé au feu de lampe, redevient entierement blanc estant refondu dans le Creuset. Voilà dequoy bien exercer les Philosophes, & mesme les Eleves d’Hermés, aussi-bien que lors qu’il s’agit de rendre raison pourquoy la partie du Corail rouge qui trempe dans la Cire blanche fonduë, devient blanche au dehors, & en dedans, quoy que le reste conserve la mesme couleur rouge. Ainsi les differens degrez de feu, qui aprés le Soleil est le premier des Acides, font differens effets, le verre blanc devenant rouge, le Corail rouge devenant blanc, la ceruse devenant minime, & ce minime devenant verre transparent de la couleur de l’or, bien que dans son principe il ne soit que du plomb. Je pourray ailleurs vous dire là-dessus les differens sentimens de nostre Assemblée. En attendant voicy du mesme Mr Perrot une chose plus belle & plus utile, au sentiment mesme de plusieurs personnes de la Cour, qui ont du goust pour les beaux Arts, & à qui il a fait voir son travail. Il coule en moule toute sorte de verre en tables de la grandeur & de l’épaisseur qu’on veut ; il les rend creuses, & y represente des Bustes, Medailles, Histoires, Chifres, Armoiries, Devises, Inscriptions, Epitaphes, & toutes sortes d’Ornemens, & Ouvrages d’Architecture.

Ces Ouvrages ont cet avantage, qu’autant que les Figures en creux y sont profondes, autant elles se jettent en dehors, & paroissent de relief sur les surfaces planes de ces Tables de verre ; & si ces Figures sont peintes par un habile homme, & avec des couleurs vives, ces couleurs estant jointes au relief, les font paroistre naturelles, bien que la surface soit toute plane, ce qui trompe agreablement ceux qui y portent la main. Vous jugez bien que tout ce qui sera representé en creux dans ces Tables de verre, estant enchassé du costé du creux jusqu’à leur surface plane dans le Marbre, la pierre ou le bois ne pourra estre encrousté par la poussiere meslée avec l’humidité, ny remply par cette mesme poussiere, comme les Ouvrages qui sont d’une autre matiere, & il ne sera tout au plus besoin que de passer un linge par dessus, pour oster la poussiere qui les pourroit couvrir sans les toucher, à cause de la surface plane qui les couvre. Ie vous envoyeray par le premier Ordinaire, la maniere de faire vegeter les Métaux en Marbres, qui auront la solidité du Métal. En attendant je suis, &c.

Je puis vous asseurer que cette Lettre ne contient rien que je n’aye vû. J’ay moy-mesme fait rougir du verre blanc, & vû des Cristaux coulez en moule avec des Figures en creux.

[Pieces de Clavessin] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 235-239

 

Voicy un prodige d'une autre nature. Mademoiselle JacquetVoir aussi cet article, cet article et cet article du Mercure de juillet 1677 qui font état des débuts d'Élisabeth Jacquet de la Guerre à la cour., dont je vous ay souvent parlé, & dont je vous entretiendray aujourd'huy sous le nom de Mademoiselle de la Guerre, ayant dés l'âge de cinq ans donné des marques d'une science infuse pour le Clavessin, le Roy l'honora de ses loüanges dés ce temps-là, & luy dit qu'elle devoit cultiver le talent merveilleux que luy avoit donné la Nature. Ces paroles du Roy luy donnerent un si grand desir de se perfectionner, que ses connoissances ayant devancé son âge, on l'a toûjours regardée comme un prodige. Les applaudissemens qu'elle a receus de la Cour, luy ont acquis une réputation qui s'est répanduë jusque dans les Pays étrangers, où son nom est fort connu. Elle n'est pas seulement recommandable par son Jeu & par ses Pieces de Clavessin, mais ce qui est tout à fait extraordinaire pour une personne de son âge, elle a un naturel surprenant pour la composition de la Musique vocale, & le Roy fut tellement satisfait d'une Pastorale qu'elle mit en Musique il y a quelques années, qu'il la voulut voir representer plusieurs fois. Cette mesme Demoiselle, qui n'a encore que vingt ans, vient de donner au Public un Livre de Pieces de Clavessin qu'elle a dedié au Roy. Ce grand Prince l'a receu avec cet air obligeant qui luy est si ordinaire, & luy a marqué qu'il ne doutoit point que cet Ouvrage ne fust parfaitement beau. Ce Livre gravé au burin contient plusieurs suites de differens tons, & plusieurs Preludes, Fantaisies, Toccades, Allemandes, Courantes, Sarabandes, Gigues, Canaries, Menuets, Gavotes, & Chaconnes. La pluspart de ces Pieces sont propres à estre joüées sur un dessus de Violon ou de Viole avec une Basse, & toute la seconde suite est faite à l'imitation du Luth.

[Service fait à Crépy en Valois pour le même Duc] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 262-263

 

La Ville de Crepy en Valois, Province dont MMr le Marquis de Coeuvres, presentement Duc d'Estrées, est Gouverneur, aussi-bien que de celle de l'Isle de France dont le Valois fait partie, a donné des marques sensibles de la douleur que luy a causé la mesme perte. Le Dimanche 9. de ce mois, à midy, toutes les Cloches de la Ville l'annoncerent par un son lugubre. Les Vigiles furent chantées à l'issuë de Vespres dans l'Eglise Collegiale de S. Thomas, & le lendemain on y celebra une grand'Messe, à l'Offertoire de laquelle Mr l'Abbé Giluy, Chanoine de Soissons, & l'un des membres de l'Academie de la même Ville, dont Mr le Cardinal d'Estrées est Protecteur, prononça une Oraison Funebre tres-forte & tres-éloquente.L'Eglise esoit toute tenduë de drap noir, chargé des Armoiries de la Maison d'Estrées, & éclairée d'une infinité de Cierges avec de semblables Ecussons. Sur la Representation élevée de trois degrez sous un Lit de parade fort propre, paré d'Armoiries, & tres-bien illuminé, estoit une Couronne Ducale. Les Echevins estoient en grand deüil. L'Offrande fut portée par trois Procureurs aussi en deüil, & aprés le Service les Officiers du Presidial menerent les Echevins jetter de l'eau-benite sur le Poële. La Maréchaussée, l'Election, & tous les Corps, se trouverent à cette Ceremonie.

[Divertissemens donnez à Mr le Prince de Toscane à Livourne] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 265-267

 

Le 1. Février Mr le Prince de Toscane arriva à Livourne, où il fut receu par le Gouverneur avec toute la Garnison sous les armes. L'aprésdînée il alla se promener sur la Mer. Tous les Bâtimens François qui étoient à la Darse, au Môle, & à la Rade, le salüerent en passant avec toute l'Artillerie, par l'ordre de Mr Cotolendi, Consul de France, ce qui firent aussi tous les Bâtimens des autres Nations à l'exemple des François. Le soir ce Prince vit l'Opera intitulé, Olimpia Vendicata, & le lendemain aprés avoir vû faire l'exercice à la plus grande partie de la Garnison rangée en Bataille, il eut le divertissement d'un autre Opera intitulé Il Rodrigo. Le 3. il visita toutes les nouvelles Fortifications qu'on fait autour de la Ville & à la pointe du Môle, & alla le soir au Palais du Gouverneur, où toutes les Dames estoient assemblées. Il y eut Bal & une magnifique Collation. Il partit le 6. pour aller rejoindre à Pise Mr le Grand Duc son Pere.

[Honneurs funebres rendus par plusieurs Corps de Dijon à la memoire de feu Monsieur le Prince] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 273-277

 

Le 13. Février on chanta à la Sainte Chapelle de Dijon, des Vigiles en Musique pour feu Monsieur le Prince, Gouverneur de Bourgogne. Toutes les Compagnies en Corps s'y trouverent. [...]

Le lendemain on fit les Obseques de ce Prince dans la mesme Eglise, où les Compagnies assisterent en Corps comme le jour precedent avec des Robes de laine, & des crespes sur les Chapeaux en signe de deüil. Mr le Doyen officia, & Mr Maleteste, Chanoine & Trésorier de la mesme Eglise, prononça l'Oraison Funebre. [...]

Le 28. du mesme mois, les Jesuites firent un Service solemnel pour ce mesme Prince. Le Choeur de leur Eglise estoit tendu de drap noir avec cinq lez de velours, & deux dans la Nef. La Representation, élevée de 14. à 15. pieds, estoit terminée par un Lit de velours, garny de crespines & de franges d'argent, dont le ciel estoit chargé de 15 Couronnes, & la couverture traisnante bordée d'hermine, & ornée des Armes du Prince. Il y avoit des Pyramides de lumieres sur la Tribune proche des Orgues. On avoit chargé le grand Autel d'une fort belle argenterie sçavoir d'un Tabernacle, Parement d'Autel, Plaques, Panetieres; le tout d'argent massif tres-bien travaillé. Au dessus de cet Autel estoit un Coeur enflâmé, environné de Chiffres, de Devises, & de Hierogliphes, aussi de lumieres. Le Pere Danbanton Jesuite fit l'Oraison Funebre du Prince avec beaucoup de succès.

[Oraison de Bossuet à la mémoire du Grand Condé]* §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 326-337

[...] L’Offrande finie, le premier Herault d’Armes alla querir Mr l’Evesque de Meaux, qui devoit prononcer l’Oraison Funebre.

Il donna d’abord une grande idée du sujet qu’il avoit à traiter, & dit qu’au moment qu’il ouvroit la bouche, il estoit étonné par la grandeur de sa matiere, & pour ainsi dire, par l’inutilité du Discours qu’il alloit faire, puis qu’il estoit impossible qu’il eust assez d’éloquence pour faire une peinture de feu Monsieur le Prince, telle que chacun se la figuroit ; qu’on ne pouvoit rien apprendre du Prince de Condé, mesme aux Etrangers, qui s’en faisoient des Portraits avantageux aussi-bien que les François, & tâchoient de se le representer avec toute sa gloire, & qu’ainsi il croyoit n’avoir besoin que de peindre naturellement, & sans art, toutes les actions de ce grand Homme. Il parla ensuite du regret que le Roy avoit témoigné de sa mort ; & dit en parlant de la Compagnie qui assistoit à ce Service, que Sa Majesté avoit assemblé tout ce que la France avoit de plus auguste, pour rendre des honneurs funebres à la memoire de ce Prince ; puis il s’attacha à trois choses qui firent comme le partage de son Discours.

Il s’étendit sur son courage, & sur tout ce qui l’avoit distingué dans la Guerre.

Il fit voir la grandeur de son genie, & la penetration de son esprit.

Il fit enfin une peinture de sa mort toute chrestienne, qui toucha beaucoup, & tira mesme des larmes.

Dans le point qui regardoit son courage, & ses actions guerrieres, il le fit voir triomphant dans les plaines de Rocroy dans un âge si peu avancé ; que cette Victoire n’avoit point laissé douter qu’il ne devinst un des plus grands Capitaines qui eust jamais esté, quand il auroit joint l’experience à la valeur. Il fit aussi remarquer que cette grande Victoire qui n’avoit esté que son coup d’essay, auroit pû faire la plus belle action de la vie du plus grand Capitaine, & du plus consommé dans le métier de la Guerre. Il poursuivit la peinture de ses grandes actions, & en élevant les Generaux que ce Prince avoit eus à combattre, il le fit paroistre beaucoup au dessus d’eux. Il fit un portrait fort ressemblant à la parfaite intelligence qu’il avoit de la Guerre, & peignit ce Prince prévoyant, toûjours instruit de ce que les Ennemis avoient dessein de faire, connoissant leurs fautes quand ils prenoient de fausses mesures, devinant par ses lumieres ce qu’ils tenoient le plus secret, & faisant dire enfin à un Prisonnier de Guerre, & ce qu’il sçavoit, & ce qu’il ne sçavoit pas. Il dit que malgré tout ce qui auroit pû l’autoriser à parler avantageusement de luy-mesme, sans qu’on eust pû l’accuser de présomption, il avoit toûjours gardé beaucoup de modestie, & marqué dans ses Lettres les belles actions des autres, & ce qu’il leur devoit, sans avoir jamais rien écrit à son avantage. Il ajoûta qu’avec toute cette modestie, il avoit une noble fierté, & digne de son Sang, quand il estoit necessaire. Il en rapporta des exemples, & fit voir de quelle maniere il avoit soûtenu la gloire de la France, mesme dans le temps qu’il estoit hors du Royaume.

Il marqua la grandeur de son genie, & la penetration de son esprit dans toutes les choses qui pouvoient la faire connoistre, & dit, que non seulement il estoit sçavant pour luy-mesme, mais encore pour les autres, puis qu’on ne luy pouvoit rien montrer touchant les Arts & les Sciences, que ceux qui avoient cet honneur, ne sortissent d’auprés de luy avec de nouvelles lumieres, qui leur servoient utilement, ou pour rendre leurs Ouvrages accomplis, ou pour perfectionner ce qui regardoit leur Art.

Quant à la peinture qu’il fit de la mort chrestienne de ce Prince, je ne doute point qu’elle ne vous touche quand Mr de Meaux aura donné cette Oraison funebre au Public. Il fit voir une tranquillité heroïque & chrestienne dans le cœur de ce grand Homme, & qu’il la possedoit luy seul dans le temps qu’il devoit moins la conserver. Il rapporta tout ce qu’il dit du Roy, de respectueux, de tendre & de touchant, & ce qu’il dit d’obligeant pour Monsieur le Duc, à present Monsieur le Prince. Comme on doit croire le témoignage d’un homme mourant, & sur tout d’un grand Prince, je ne puis m’empescher de vous marquer ce que j’en ay retenu. Il fit connoistre qu’il sçavoit à fond les sentimens de ce Fils qu’il aimoit si tendrement, & dit qu’il n’avoit que faire de luy donner d’instructions ; qu’il connoissoit son cœur, & que quoy qu’on luy pust dire pour l’exciter à la gloire, pour le faire souvenir de ne rien faire contre son honneur, & pour l’engager à servir & à aimer toûjours le Roy, il sçavoit qu’il feroit encore plus que tout ce qu’on pouroit exiger de luy sur toutes ces choses. Ainsi Mr de Meaux, au lieu de faire l’éloge de ce Prince, se servit de celuy que feu Monsieur le Prince en avoit fait, & luy dit que malgré tout son grand merite, son Altesse n’auroit point ce jour-là d’autre éloge de luy. Il continua en faisant voir l’humilité de Monsieur le Prince mourant, sa grande résignation à la mort, son entiere soumission aux ordres de Dieu, & le desir qu’il avoit de voir face à face sa divine Majesté.

Voilà tout l’effort que ma memoire a pû faire pour vous entretenir de cette Oraison Funebre. Je ne manqueray pas de vous l’envoyer si tost qu’elle sera imprimée.

Lors que Mr l’Evesque de Meaux fut sorty de Chaire, Mr l’Archevesque se remit à l’Autel pour achever la Messe.[...]

[Suite du Journal de l’Ambassade de Siam en France] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 343-347

Aprés vous avoir envoyé en quatre Lettres differentes, un Journal de l’Ambassade de Siam en France, je croy devoir ajoûter icy pour ne pas laisser cette Ambassade imparfaite, que les Ambassadeurs ont passé le Carnaval à Brest en attendant que tout fust prest pour leur embarquement, & que leurs Balots fussent arrivez. Ils y ont pris tous les divertissemens de la Saison. Ils ont plusieurs fois esté au Bal, & la Table que le Roy leur entretenoit estant grande, magnifique, & propre, les personnes les plus qualifiées de la Ville sont souvent venuës manger avec eux. Ils y ont demeuré 24. jours, & pendant ce temps on a receu l’ordre d’eux. Voicy les mots qu’ils ont donnez.

 Le Port desiré.
Sa Vertu fait nostre merite.
Sa grandeur fait nostre seureté.
Ses Maximes seront nos Regles.
Je feray voir ce que j’ay veu.
Le Vainqueur de la Victoire.
Sen Histoire fera nostre lecture.
A son exemple nous vaincrons.
Son étoile nous guide.
Nos Voisins seront jaloux de nostre gloire.
Nostre exemple leur servira de Loy.
Ses prosperitez feront nos felicitez.
Retour triomphant.
Il Brille de sa lumiere.
Famille unie, Ministres éclairez.
Ses dons sont precieux.
Sa memoire nous sera chere.
Regne glorieux.
La Justice gouverne son foudre.
A son merite les vents obeïront.
La Renommée fidelle.
Le Merite allié à la Vertu.
La bouche ne peut exprimer ce que le cœur sent.
Partagé entre la douleur & la joye.

Vous voyez dans ces mots le mesme esprit qu’ils ont fait paroistre dans les quatre Relations que je vous ay envoyées. Tout ce qu’ils ont connu du Roy pendant qu’ils ont demeuré en France, tout ce qu’ils pensent de Sa Majesté, & l’usage qu’ils veulent faire de ce qu’ils ont veu, est compris dans ces 24. mots donnez. Le jour qu’ils partirent s’estant tournez du costé du lieu où on leur dit que pouvoit estre le Roy, ils joignirent les mains, les éleverent, & firent cinq profondes inclinations, comme pour remercier Sa Majesté de tous les bons traitemens qu’ils avoient reçûs. Ils sortirent ensuite pour s’embarquer, ce qu’ils firent au bruit de trois décharges de toute l’Artillerie de la Ville, & de celle de tous les Vaisseaux, dont le Port de Brest estoit remply. Ainsi l’on peut dire que tout leur a marqué la grandeur de la France jusques au moment qu’ils en ont quitté les Costes. Ils sont partis les larmes aux yeux, & sur tout en embrassant Mr Torf, qui s’est si bien acquité de la Commission que le Roy luy avoit confiée.

[Mort de Mr de Lulli] §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 361-368

 

Le bruit que Mr de Lulli a fait dans le monde, ne vous aura pas laissé ignorer sa mort. Il est né à Florence, & il estoit encore fort jeune lors qu'une personne de qualité l'amena en France. Peu de temps aprés il entra chez Mademoiselle d'Orleans, & ensuite chez le Roy, où sa réputation s'augmenta de jour de jour. Jamais homme n'a porté si haut l'Art de joüer du Violon. Cet Instrument estoit plus agreable entre ses mains qu'aucun autre que l'on puisse s'imaginer. L'usage des Opera n'ayant pas encore esté introduit en France, le Roy faisoit faire tous les ans de fort grands Spectacles qu'on nommoit Balets. Il y avoit un Corps de sujet representé par un grand nombre d'Entrées meslées de recits. Mr de Lulli ne fit d'abord les Airs que d'une Partie ; mais comme il avoit un genie merveilleux, & qu'il donnoit beaucoup d'expression aux choses qu'il faisoit, il composoit les Entrées dont il faisoit les Airs, & enfin il travailla seul aux Balets. Quelques jours avant que d'estre attaqué de la maladie dont il est mort, il dit à une personne digne de foy, qu'il n'avoit jamais appris plus de Musique qu'il en sçavoit à l'âge de 17. ans ; mais qu'il avoit travaillé toute sa vie à se perfectionner, & cherché toûjours à donner aux choses qu'il mettoit en Air des expressions convenables à leur sujet. C'est ce que ne font pas la pluspart des Maistres de Musique. Le bon goût du Roy pour ce bel Art le fit estimer de ce Prince. Mr de Lulli estoit d'ailleurs fort agreable. Il avoit beaucoup d'esprit, & l'on ne peut rien ajoûter à l'agrement avec lequel il racontoit les choses qu'il avoit veuës. Tant d'heureux talens, & l'estime de Sa Majesté luy acquirent celle de toutes les personnes de la premiere qualité qui luy firent l'honneur de le voir familierement. Les Souverains, dont il n'estoit connu que par ses Ouvrages, estoient tellement persuadez de son merite, que plusieurs luy ont fait des Presens considerables, & envoyé leurs Portraits. Une si haute réputation luy fit meriter la Charge de Surintendant de la Musique du Roy. Pendant que le travail des plaisirs de Sa Majesté l'occupoit entierement, M Perrin, Introducteur des Ambassadeurs auprés de feu Monsieur le Duc d'Orleans, ayant cru que les Opera pouvoient estre introduits en France, en demanda le privilege, & l'obtint. Il fit ensuite une societé avec feu Mr de Cambert, Maistre de la Musique de la feuë Reyne Mere, dans laquelle une personne d'une qualité distinguée, & qui avoit fait paroistre sa magnificence dans un spectacle qu'il avoit liberalement donné au Public, & dont il avoit fait luy-mesme les machines, se fit un plaisir d'entrer. Cette nouveauté plut au Public & eut assez de succes ; mais enfin ces Mrs s'estant broüillez, & Mr Perrin croyant avoir juste sujet de se plaindre, transporta son Privilege à Mr de Lulli avec l'agrement du Roy. On voulut l'inquieter ; mais ayant droit de celuy à qui appartenoit veritablement le Privilege, la Justice se déclara de son costé. Aprés cela le Roy luy accorda tout ce qu'il pût soûhaiter, pour rendre l'Opera considerable. Ainsi ceux qui ont cru au préjudice du premier Privilege, le Roy en avoit donné un second qui annulloit ce premier, n'ont pas esté bien instruits. Le Roy garde l'équité en toutes choses, & si Mr de Lulli ne se fust pas accommodé du Privilege avec celuy à qui il avoit esté d'abord donné, il n'en auroit pas obtenu un autre. L'Opera parut entre ses mains avec de nouvelles beautez, & depuis qu'il a commencé a y travailler, il a continué jusques à sa mort. Quelque temps avant qu'il tombast malade, il fit chanter dans l'Eglise des Feüillans un Te Deum pour rendre graces à Dieu du retour de la Santé du Roy. C'est le dernier Ouvrage qu'il ait fait chanter en personne. Ainsi l'on peut dire qu'il a finy en priant pour le Prince à qui il devoit toute sa fortune. Sa mort a esté tout à fait chrestienne, & son esprit a paru jusqu'à son dernier soupir par les choses touchantes qu'il a dites. Il a fait quantité de Legs pieux. Il avoit eu l'honneur d'être receu Secretaire du Roy il y a quelques années. Le Roy a donné la Charge de Surintendant de sa Musique à un de ses Fils, & a permis qu'il disposast de l'Opera. Madame de Lulli en a un tiers, & ses Enfans qui sont au nombre de six, en ont les deux autres tiers. Ces personnes qui avoient soin de tout ce qui le regarde, veulent bien continuer, & l'on jouëra alternativement aprés Pasques Amadis & Persée. On fait esperer qu'au commencement l'Hyver prochain on donnera un Opera nouveau, pour lequel on assure qu'on n'épargnera rien. Ce Public en attend beaucoup, puisque parmy les interessez il y a des personnes d'un tres-bon goût, & qui sont dans une estime generale.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1687 (première partie) [tome 4], p. 373-374.

Il fait si froid que je puis encore vous envoyer un Hyver. Il est de la composition de Mr Ludet. Vous aurez des Printemps le mois prochain.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par L'Hyver a beau glacer, doit regarder la page 373.
L'Hyver a beau glacer par un froid rigoureux
Nos Ruisseaux enchantez, nos aimables Fontaines,
L'adorable Philis dont je porte les chaisnes
Pour braver ses frimats vient d'augmenter mes feux.
Son beau teint plus brillant que n'est celuy de Flore,
Fait naistre sur son sein plus de grace & de Fleurs
Que le plus doux Printemps n'en sçauroit faire éclorre,
Et que l'Hyver n'en peut fletrir par ses rigueurs.
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