1687

Mercure galant, mai 1687 [tome 7].

2017
Source : Mercure galant, mai 1687 [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mai 1687 [tome 7]. §

Avis du Libraire au Lecteur de la Campagne §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. I-IV

AVIS DU LIBRAIRE
AU LECTEUR
de la Campagne.

La longue maladie de celuy qui vendoit le Mercure avant moy, en ayant souvent fait retarder le debit depuis une année, & reculé sur tout les Envois qui se faisoient à la Campagne, j’avertis tous ceux qui souhaiteront l’avoir, que non seulement je tâcheray de restablir les choses par mes soins, en sorte que le Mercure se trouvera imprimé au commencement de chaque mois, mais que je feray mesme autant qu’il se pourra les paquets pour la Campagne avant que l’on commence à debiter le Mercure à Paris. Comme ils seront plusieurs jours en chemin, Paris ne laissera pas d’avoir le Mercure long-temps avant qu’il soit arrivé dans les Villes éloignées, mais aussi les Villes ne les recevront pas si tard qu’elles faisoient auparavant. Ce n’est pas que ceux qui se le feront envoyer par leurs Amis, ne le puissent recevoir toûjours fort tard par deux raisons. L’une est que ces Amis n’ont pas soin de le venir prendre sitost qu’il est imprimé, outre qu’il le sera toûjours quelques jours avant qu’on en fasse le debit ; & l’autre que ne l’envoyant qu’aprés qu’ils l’ont leu, eux & quelques autres à qui ils le prestent, ils rejettent la faute sur le Libraire, en disant que la vente n’en a commencé que fort avant dans le mois. Je feray moy même les paquets, & les feray porter à la Poste & aux Messagers sans aucun interêt. Je feray la même chose generalement de tous les Livres nouveaux qu’on me demandera, soit que je les debite, ou qu’ils appartiennent à d’autres Libraires, sans en prendre pour cela davantage que le prix fixé par les Libraires qui les vendront. Quand il se rencontrera qu’on demandera ces Livres à la fin du mois, on les joindra au Mercure, afin de les envoyer dans le mesme paquet. Tout cela sera executé avec une exactitude dont on aura tout lieu d’estre content. Je prie seulement qu’on ait soin d’affranchir les Lettres de port, & de le faire marquer sur lesdites Lettres.

[Plusieurs Pieces en Vers de Madame des Houlieres, sur des Rimes qui luy ont esté données par Messieurs les Ducs de Vivonne & de Nevers] §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 11-21

L’Illustre Madame Deshoulieres est une de celles qui le parlent le plus purement, le plus souvent, & avec le plus d’approbation. Je vous envoyay le mois passé un de ses plus beaux Ouvrages, dans lequel elle s’est assujettie aux rimes en oüille dans tous les Vers feminins. En voicy d’autres de mesme nature, sur des rimes en ailles, en eilles, & en ille, qui ont esté aussi applaudis que le premier. Son genie est merveilleux en toutes sortes de matieres, mais sur tout lors qu’elle entreprend de loüer le Roy On connoist par là l’ardeur de son zele.

RIMES EN AILLES.

 Toy qui depuis que du Cahos
On tira la Terre & les Flots,
Es Apollon quand tu rimailles,
Es le Soleil quand chaque jour
Dans un long & penible tour
À nous éclairer tu travailles,
Si tu ne viens m’aider, je pers
L’honneur de bien faire des Vers.
***
 Il faut sur des Rimes en ailles,
Rimes qui font paslir d’effroy,
Celebrer Loüis, ce grand Roy
Qui ressemble au Dieu des Batailles,
Qui prend ce qu’il s’est proposé,
Sans que nul ait encore osé
User sur luy de represailles ;
***
 Qui voit naistre de son Dauphin,
Dont la gloire sera sans fin,
Quantité d’Augustes Marmailles ;
 Qui dans ses Gardes ne veut pas
Qu’il soit enrollé de Soldats
Qui ne soient des plus hautes tailles ;
 Qui fait passer des soirs charmans
Dans ses vastes Appartemens,
Parez, non de vieilles claincailles,
De colifichets, de rocailles,
Mais de riches Ameublemens,
Tels que ceux de ces vieux Romans
Qu’aimoit tant à lire Fontrailles ;
 Qui chez le perfide Genois
Brise Temple, Palais, murailles.
 Qui toujours heureux dans ses choix,
En Ministres fit des trouvailles ;
Qui du bruit de ses grands exploits
Remplit celle à qui dans cinq mois
Il faut confier les semailles,
Celle que pare le Printemps
De Fleurs & de vertes brouissailles,
Celle dont foüillent les entrailles
Chercheurs d’or & de Diamans,
Et cette autre sur qui les Vents
Ont cause tant de funerailles,
Et dont les muets habitans
Ont le corps revestu d’écailles ;
 Qui victorieux des erreurs
Fait dans le bercail des Pasteurs,
Rentrer des millions d’Oüailles ;
 Qui seul son Empire conduit,
Qui tient dans un charmant reduit
Nombre d’estrangeres volailles ;
 Qui de son Peuple est si chery,
Qu’aussi-tost qu’on le sçeut guery,
Magistrats, Financiers, Canailles,
Tout fit chanter en divers lieux
Des Te Deum melodieux,
Tout mangea chapons, perdrix, cailles,
Et mit sur le cul ses futailles ;
Veuïllent nous preserver les Cieux
De plus voir de telles gogailles.
 Qui des fils de ses petits fils,
Si nos souhaits sont accomplis.
Verra toutes les épousailles ;
Qui de ses heroïques faits,
Soit dans la guerre ou dans la paix,
À fait fraper force Médailles
Plus belles que les Antiquailles ;
Qui dompte Alger & Tripoli ;
Qui dans l’agreable Marly,
Fait souvent de grosses ripailles,
Et qui fera trembler de peur
Le Roy d’Espagne & l’Empereur,
Dés qu’il sortira de Versailles.

RIMES EN EILLES.

Si ma voix avoit les doux sons
Des Malherbes & des Corneilles,
Loüis seroit toujours l’objet de mes Chansons.
 Quel plus beau sujet pour mes veilles,
 Qu’un grand Roy de qui tous les jours
 Ne sont qu’un tissu de merveilles,
 Et de qui l’air & les discours
Font entrer dans les cœurs un million d’Amours,
 Par les yeux & par les oreilles ?
***
Raison, toy que les Roys consultent rarement,
 Tu sçais que ce Heros charmant
 Ne fait que ce que tu conseilles.
 Nimphe, qui jamais ne sommeilles,
 Tu sçais qu’avecque tes cent voix
Tu n’en a pas assez pour conter les Exploits,
Et le nombre infini de vertus sans pareilles
 Qui le font le plus grand des Roys.
Les champs ont moins d’épics, le ruches moins d’Abeilles,
Qu’il n’a receu du Ciel de charmes seducteurs.
Ah, courons au Parnasse, & des plus belles fleurs
Pour couronner son front remplissons des corbeilles.
***
Puissent aller mes Vers à l’aide de son nom
Des bords où le matin la mere de Memnon
 Peint le Ciel de Couleurs vermeilles,
 Jusques à ces tristes climats
 Où ne peuvent croistre les treilles,
Et dont les Habitans ne laissent pourtant pas
 D’aimer à vuider les bouteilles.

RIMES EN ILLE.

 Femme d’un Dieu qui n’est pas beau,
 Et qui ne va point sans bequille,
 Déesse de qui le berceau
 Fut une superbe coquille,
Ne me refuse pas aujourd’huy ton secours,
Ordonne que des Jeux, des Ris, & des Amours
 La tendre & galante quadrille
Répande ses attraits sur mon foible discours.
***
 Venus, j’en ay besoin ; on veut que je babille
De ce Heros qui seul à tous les agremens
 Des deux plus chers de tes Amans.
 Dans ses yeux certain feu petille
Qui souvent a causé de grands embrasemens.
Tel estoit ton Chasseur dans ces heureux momens
Où couché sur l’Oeillet, la Rose & la Jonquille
Tu daignois l’honorer de tes embrassemens,
 Non moins semblable au Divin Drille
 Qui vient au sortir des combats
 Se delasser entre tes bras.
***
 LOUIS humilia l’orgueil de la Castille
Dampta l’ingrat Batave & vainquit le Germain,
Fit tomber sous l’effort de cent bouches d’airain,
Comme tombe en esté l’épy sous la faucille,
Le parjure Genois & le dur Afriquain ;
***
 Ce n’est pas seulement le tonnerre à la main,
Que ce Monarque est grand, que son courage brille,
Ne l’avons-nous pas veu montrer un front serein
Dans de vives douleurs, dans un peril certain,
Et ne s’en ébranler non plus que la Bastille ?
Quel Sage, quel Heros, fust-il Grec ou Romain,
Peut du pied de LOUIS atteindre à la cheville ?
 Aussi du bout de l’Univers
 Les Peuples que le Soleil grille
Traversent pour le voir le vaste sein des Mers.
***
 Que pour nous rendre heureux il prend de soins divers !
Dans ses vastes Estats chaque Place fourmille
 De cent & cent ieunes Guerriers,
Qu’il y met pour apprendre à cueillir des Lauriers.
Dans un superbe Enclos plus d’une illustre Fille
Trouve dés son enfance un secours seur & doux ;
Dans un âge plus meur on luy donne un Epoux,
Où l’on met sa pudeur à l’abry d’une grille.
Pere de ses Sujets il nourrit, il habille,
Ces malheureux Enfans qui ne sont heritiers
Que des titres fameux que des Siecles entiers
 Ont conservez dans leur Famille.
***
 Fille des flots amers, agreable Venus,
À qui les doux transports ne sont pas inconnus,
Crois-tu que de fil en aiguille,
Quand on voit trop souvent ce Roy charmant à voir,
On ne fasse jamais en dépit du devoir,
 Quelque legere peccadille ?

[Devises] §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 21-23

Je vous envoye deux Devises de M. Magnin, sur l’Heresie abattuë. L’une a pour corps le Soleil qui attire des vapeurs d’un Marais, & ces paroles pour ame, Trahit ut convertat.

 De son aspect suivez le doux empire,
Cet Astre va changer vostre sort aujourd’huy,
Laissez-vous attirer, élevez-vous à luy,
Il vous convertira pourvû qu’il vous attire.
 Quittez de cet impur marais
 L’infection si méprisée,
 Et sur la terre desormais
 Vous retomberez en rosée.

L’autre est une Hydre renversée par terre, & dont toutes les testes sont coupées, avec ces mots, Magni vox sola recîdit.

Tranquille en son Palais, sans guerre, sans épées,
LOUIS parle, à ses pieds le Monstre est abatu.
O France, heureuse France ! à ces testes coupées
Connois de ton Heros la force & la vertu.

[Distique latin]* §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 23-24

Le mot de Magnus donné au Roy dans cette Devise, n’est point assez grand pour le plus grand Prince qui ait Jamais monté sur le Trône. C’est ce qui a donné lieu à ce Distique Latin du Pere Paul de la Mere de Dieu, Religieux Carme Reformé de Rennes, & Docteur en l’un & en l’autre Droit. Comme il ne s’agit que de deux Vers, la grandeur de la matiere les fera souffrir en une Langue, qui est ordinairement bannie de mes Lettres.

Cognomen Magni minus est tibi ; Maximus immò
Maximus Heroum, te, LODOICE, decet.

Au Roy. Sur ce qu’en le peignant on ne sçauroit peindre sa Grandeur §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 24-26

Le Sonnet qui suit consolera vos Amies du besoin qu’elles auront que vous leur donniez l’explication de ces deux Vers. Il est de Mr Robbe, connu par plusieurs Ouvrages qui ont esté favorablement receus du public.

AU ROY.

Sur ce qu’en le peignant on ne sçauroit peindre sa Grandeur.

Grand Roy, depuis qu’aux yeux de l’Europe étonnée,
Tu fis de ta valeur triompher ta bonté ;
Que de tes grands Exploits l’Ibere épouvanté,
Vit soudain, par Toy seul, ta Victoire bornée.
***
La Frontiere en repos ne voit plus, chaque année,
De ton front glorieux l’auguste majesté ;
Elle paye, à son gré, trop cher sa liberté,
Et voudroit déja voir la Treve terminée.
***
Tous les efforts de l’Art n’ont pû dans tes Portraits,
Exprimer ta Grandeur par de fidelles traits,
Pour adoucir l’ennuy qu’on y souffre à t’attendre.
***
Appelle seul… mais non ; saisi d’un juste effroy,
Il auroit laissé choir son pinceau devant toy,
Luy dont la main trembloit en peignant Alexandre.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 42-43.

Je vous envoye un Printemps que vous chanterez avec plaisir. Les Vers ont esté notez par un des plus Sçavans hommes que nous ayons en Musique.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Taisez-vous, Rossignols, vostre chant m'importunne, doit regarder la page 43.
Taisez-vous, Rossignols, vostre chant m'importune,
L'absence de Philis me cause une infortune
Qui me rend ennemy de tout ce que je voy.
Que me sert qu'en ces lieux le Printemps vous rappelle ?
Ne sçavez-vous pas que sans elle
Il n'est point de Printemps pour moy ?
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[Madrigal] §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 43-45

Vous vous souvenez sans doute d’avoir veu dans l’une de mes dernieres Lettres, un Madrigal qui défend d’aimer a quarante ans. Vous avez veu aussi la spirituelle réponse que M. le Duc de Saint Aignan a faite à ce Madrigal. En voicy une autre de M. de Monchamps, Avocat au Grand Conseil, qui merite bien que je vous en fasse part.

 On peut aimer toute la vie.
L’Amour est, belle Iris, de toutes les Saisons.
Aimer à quarante ans n’est pas une folie,
Qui le croit, doit aller aux Petites-maisons.
 L’esprit, la beauté, le merite
 Ont des charmes trop éclatans,
Pour n’échauffer nos cœurs que dans nostre printemps.
À les aimer toûjours la raison nous invite,
 Ils doivent toucher en tout temps.
 C’est l’effet d’un pouvoir suprême
Malgré l’hyver de l’âge, & ses fâcheux glaçons,
Que de forcer un cœur à dire qu’il nous aime.
 Les jeunes gens ne sont que des Oisons,
 Ils n’entendent rien au mystere ;
S’ils sont heureux, ils ne sçauroient le taire ;
 Ils sont indiscrets, inconstans,
Il faut de la prudence à conduire une affaire,
Peut-on l’avoir acquise à l’âge de vingt ans ?

[La Suson de M. de Vin] §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 46-50

On a beau faire, on cede toûjours à son panchant, & ceux qui se trouvent obligez de le forcer, ne réüssissent jamais dans ce qui luy est contraire. La Suzon de Mr de Vin en est une preuve. Vous sçavez, Madame, qu’il traite agreablement les matieres qu’il choisit, & que son nom est un seur garand de la beauté de tous ses ouvrages.

SUSON.

Dans tout ce que tu fais consulte la Nature,
 Tel du doigt, au lieu de pinceau,
Sur quelque endroit poudreux ébauche une Figure,
Et par des traits hardis montre dés le berceau
 Un esprit propre à la Peinture.
 Tel inspiré par Apollon
Ne demande du pain qu’en Vers, ou qu’en Musique,
Et de son jeune bras se fait un Violon.
 Tel, encore Enfant, ne s’explique
 Qu’en termes graves & pompeux,
 Et mêlant en ses petits jeux
 Sa begayante Rethorique,
Ne veut des Compagnons que pour plaider contre eux.
 Tel estoit né pour la Sculpture,
 Tel enfin pour l’Architecture,
 Qui forcé par les dures loix
D’un Pere imperieux, ignorant, & peu sage,
 Réussit mal dans les Emplois,
Où, malgré ce panchant, on le jette, on l’engage.
***
 Suzon rioit à tout moment.
Ce qui frapoit ses yeux, ce qu’elle entendoit dire,
La moindre chose, un mot, un rien la faisoit rire ;
 Et tel estoit son enjoüement,
 Que le chagrin le plus rebelle
 Ne pouvoit tenir auprés d’elle.
Aussi, comme chacun recherche le plaisir,
 On luy donnoit tout son loisir ;
On la couroit autant qu’une Piece nouvelle
 Du Terence de nostre temps,
 Et Moliere en ses jeux plaisans
 Divertissoit moins que la Belle.
L’infortuné chez elle oublioit son malheur,
Le plus froid, le plus sombre, & le plus Heraclite
 Y devenoit un Democrite ;
 Tout cedoit à sa gaye humeur,
 Et Caton, qui de sa tristesse
Avoit l’art de se faire un titre de sagesse,
Caton mesme, Caton, bientost déconcerté,
Eust perdu chez Suzon toute sa gravité.
 Enfin toûjours divertissante
En se réjoüissant elle réjoüissoit ;
Sa joye inépuisable & toûjours agissante
Presque dans un instant d’elle aux autres passoit,
Et malgré soy prés d’elle on rioit jusqu’aux larmes.
 Suzon ne plaisoit que par là,
En son enjoüement seul consistoient tous ses charmes.
Sa Mere gâta tout, elle s’imagina
 Qu’une Fille toûjours rieuse
Se faisoit des Amans sans trouver un Epoux,
Et d’une ardeur folastre apprehendans les coups,
 Voulut qu’elle fust serieuse.
 Suzon la crut, Suzon fit mal,
Soûmise par respect à cet ordre fatal,
Elle perdit bientost ce qu’elle avoit d’aimable,
 Son rire estoit original,
 Son serieux fut pitoyable.

[Lettre écrite par M. le Duc de S. Aignan, sur le mot de Vieillarde,nouvellement mis en usage] §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 106-112

Je vay bien vous réjoüir, Madame, en vous apprenant que le mot de Vieillarde qui vous a tant plû dans l’un des Dialogues Satyriques & Moraux qu’on a imprimez à Paris depuis deux mois, a donné lieu à de fort agreables Lettres, dont je vous envoye une Copie. La liberté avec laquelle l’Autheur de ces Dialogues se déclare contre ce qui merite d’estre condamné, a fait aimer cet Ouvrage, qui d’ailleurs est un portrait assez naturel de beaucoup de choses qui se passent dans le monde. M. le Duc de S. Aignan, dont l’esprit & le bon goust vous sont connus & qui n’est pas moins distingué par la que par son rang, & par sa naissance, en a écrit en ces termes à l’Autheur.

Ce 10. Mars 1687.

Vous vous étonnerez peut-estre, mon tres-cher Frere en Apollon, de voir la datte de cette Lettre, puisque vostre soin obligeant à me faire part de vos sçavans Dialogues, meritoit cent remercimens dés le lendemain ; mais, Monsieur, je ne receus qu’hyer ce Livre charmant dont vous m’aviez écrit, & je n’ay pas voulu vous en parler que je n’eusse devoré d’abord tout ce qu’il contient, pour le relire ensuite cent autres fois. Je viens aussi d’abord à vostre XIII. Dialogue. Faites taire la Flatterie quoy qu’elle parle si galamment, & n’écoutez que la Verité, qui vous asseure que tout vostre Satyrique, & vôtre Moral sont incomparables, & ne se peuvent imiter, si vous n’en faites encore d’autres, à quoy je vous convie de tout mon cœur. Ah ! mon cher Frere, que de charmes j’ay trouvez dans cet Ouvrage, & que ce seroit une grande perte pour tous ceux qui ont l’esprit raisonnable, s’il demeuroit vostre enfant unique ! Je suis pour le Mot de Vieillarde employé dans vostre XII. Dialogue, où je veux oster la Bombarde de tous nos Vaisseaux ; la Gaillarde, de toutes nos Dances, la Mignarde de toutes nos Assemblées ; &, si je m’y mets, je feray accompagner cette bonne Dame de l’Egrillarde dont feu Moliere nous a parlé. Enfin le mot de Camarde ne me semble pas plus privilegié que celuy de Vieillarde ; & n’en déplaise au preux Florisel de Niquée, je trouve qu’il a esté un peu viste. Peut-estre que la Vieillarde avoit de l’argent caché, qu’il auroit pû donner ensuite à une jeune, s’il n’avoit pas esté si cruel. Je viens au mot de Raffinage couché dans vostre XV. Dialogue. Lors que la Servante au gosier d’airain le prononça si haut & si distinctement, si j’avois esté du nombre des Sçavans assemblez chez la Vieille de Gournay, j’aurois crié plus haut que cette Servante.

Je luy donne ma voix, faites cesser la vostre.

Je n’approuve pas moins le mot de Moult, à qui nous avons fait grand tort jusques icy, & pour une preuve que je m’en sers de bon cœur ; assurement je suis, Moult vostre tres-humble Frere, & tres-obligé Serviteur,

Le Duc de S. Aignan.

[Réponse à cette Lettre] §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 112-122

M. Petit, Autheur des Dialogues Moraux, a fait cette réponse à M. le Duc de S. Aignan.

A Roüen ce 21. Mars 1687.

L’approbation, Monseigneur, dont vous honorez mes Dialogues, leur en vaut mille, elle seule, & me vange hautement du mal qu’en ont dit quelques Critiques. Je les accuserois volontiers de méchant goust, puis que le leur ne se rencontre pas avec le vôtre, ny avec celuy de Mr le Duc de Montausier, qui m’a fait l’honneur de m’assurer qu’il estoit content de ce petit Ouvrage, m’exhortant comme vous faites, Monseigneur, à en donner une seconde partie au public. Vous sçavez que sa sincerité n’eut jamais rien de suspect.

Mais, Duc, quel mal ces Dialogues
 Auront-ils pû faire à ces Dogues
 Contre eux deschainez en tous lieux ?
Cela me fascheroit, me mettroit en colere
Si ce n’estoit que l’ouvrage sçait plaire
 A des gens qui valent mieux qu’eux.

Pour preuve dequoy, l’on m’assure que Mr Miton, de qui je n’ay point l’avantage d’estre connu, en a dit beaucoup de bien. Les Ouvrages qu’il approuve peuvent paroistre au jour en toute assurance, car personne n’ignore de quel poids est son jugement, combien sa Critique est sage, & quelle est la délicatesse de son esprit.

Aprés cela, Seigneur, dois je craindre les dents
 De ces trop scrupuleux Pedans ?
 Non, je méprise leur cohorte.
 Rats d’Hélicon, rongeurs d’écrits,
 Esprits, de chicane pestris,
 Et digne du dernier mépris,
 Que l’Esprit malin vous emporte !

Ce seroit leur faire trop d’honneur que d’en parler d’avantage. J’aime mieux, Monseigneur, en répondant à vôtre Lettre aussi pleine d’esprit que d’honnesteté, vous dire, que Raffinage, Vieillard, & Moult se trouvent tout glorieux de ce que vous voulez bien prendre leur party. Ils me chargent de vous en marquer leur reconnoissance, de vous en faire leurs tres-humbles remercimens, & de vous assurer qu’ils se trouvent infiniment plus forts de vôtre protection, que de tout ce que j’ay pu dire en leur faveur dans mes Dialogues.

Quand chacun d’eux s’expliquoit,
Vieillarde se requinquoit,
Et le pauvre Raffinage,
La gayeté sur le visage
Sautoit comme un Pantalon
Saûte au son du Violon,
Moult en joyeux équipage
Bondissoit comme un Ballon ;
Mais criant tous, Faites, faites
Nos Complimens à ce Duc,
Digne qu’en Marbre, qu’en stuc
Par les mains les plus parfaites
Ses remembrances soient faites ;
À ce brave Duc, & Pair,
Amy de Dame Bellone,
Preux sans reproche, & sans Pair,
Et qui s’y prend du bel air
Quand son bras estramaçonne ;
À ce Duc que l’Hélicon
Honore fort, & revere,
Et que la Muse Clion
Voudroit avoir pour son Frere ;
À ce Duc à l’esprit fin,
À ce Duc plein d’accortise,
Qu’en belle Ruelle on prise
Bien plus qu’un jeune blondin ;
À ce digne Duc enfin
Que le plus grand Roy du monde
Nous fait voir dans un destin
En qui tout bonheur abonde.

Je vous assure, Monseigneur, que Vieillarde ne put moderer sa joye de retrouver son Vieillard. Elle alla l’accoster avec empressement, & sa tendresse se réveilla si bien que la journée ne se passa point qu’ils n’eussent renouvellé leur mariage.

Mais le Vieillard
Dont le cœur ard
Pour sa Vieillarde,
Prit un long dard,
Prit un poignard,
Et de plus une hallebarde,
Et s’arma comme un Jaquemar.

Je ne pus m’empescher de rire de le voir ainsi sous les armes ; & je luy dis. Vieux, Patron, pourquoy vous armez vous de la sorte ?

Pour percer, me dit-il, par le ventre tout droit,
 Le Grammairien qui voudroit
 Encore un coup m’oster ma Femme.
 Mortbleu, qu’il ne s’y frotte pas,
 À moins qu’il veüille que son ame
Descende promptement aux manoirs les plus bas.

Soûtenu que je suis de Monseigneur vôtre frére en Apollon, â jouta-t’il, qu’ay-je à craindre ? Moult de son costé ne fait pas moins le résolu, & depuis que vous l’avez vangé de la maniere que Voiture vangea car, que quelques impertinens vouloient proscrire, il est fier en Ostrogot, & vous ne sçauriez croire à quel point il fait l’Olibrius.

 Il n’est plus vieux, il n’est plus triste,
Et je le voy tout prest à sauter au colet,
 Et du Critique, & du Puriste.
 Armé qu’il est d’un Pistolet,
 Mesme dans sa rage secrete,
 En poche il a la bayonnette,
Dont il pretend leur couper le sifflet.

Ainsi beaucoup qui l’a supplanté n’a qu’à se bien tenir, il se flatte de le supplanter à son tour, & de rentrer dans ses droits. Enfin,

Sa main croiroit faire un beau coup
S’il pouvoit occire beaucoup.

Pour moy, Monseigneur, je voudrois qu’il s’en fust défait ; car Moult est infiniment plus joly, & sort de la bouche bien plus agréablement. Que je sçay bon gré à cét Adverbe de faire voir qu’il a du cœur ! En verité, il m’anime par son exemple, & je suis d’avis de dire hardiment à mes Critiques, que l’Auteur des Dialogues Satyriques & Moraux s’épouvante peu de leur censure, puis qu’un Seigneur de vôtre importance veut bien luy faire l’honneur de le proteger, & de luy accorder toûjours la qualité de son cher Frere en Apollon. C’est, Monseigneur, Vostre tres-humble, tres-obeïssant, & tres-obligé serviteur.

[Histoire] §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 122-132

Il n’y a point d’amitié qui soit à l’épreuve de l’interest. Deux Cavaliers qui avoient toujours esté élevez ensemble, aprés avoir fait leurs exercices, commencerent à prendre l’air du beau monde, & à chercher d’agreables habitudes. L’un d’eux fut touché des charmes d’une Demoiselle qui avoit beaucoup d’esprit, & qui n’ayant ny pere ny mere, vivoit avec une Tante dont elle estoit unique heritiere. Le party estoit considerable, & comme une jolie personne qui ne manque pas de bien, à nombre d’Adorateurs, elle se voyoit souvent une grosse Cour. Le Cavalier parla d’elle à son Amy, & luy fit naistre l’envie de la voir. Ils estoient tous deux bien faits, & la jeune Demoiselle receut l’un & l’autre assez favorablement. Le commerce leur plaisant, ils convinrent que pour ne se pas nuire dans les visites qu’on leur voudroit bien permettre, ils ne les feroient jamais ensemble, & que chacun avanceroit ses affaires selon que le panchant de la Belle luy en pourroit fournir les moyens. Ainsi ayant leurs jours reglez pour la voir, ce fut à qui feroit mieux réüssir ses soins. Ils luy proposoient tout ce qui pouvoit la divertir, & ils le faisoient de si bonne grace, que la chose avoit un double merite. Les agreables parties, les promenades, la Comedie, l’Opera, la Belle n’avoit qu’à marquer ce qui estoit le plus de son goust, & dans le mesme moment on s’attachoit à la satisfaire. Leurs empressemens estant égaux, elle en fut touchée également, & quelques efforts qu’ils fissent pour l’obliger à se declarer, son cœur se trouva si bien partagé, que quand elle croyoit pouvoir choisir l’un, elle voyoit aussi-tost tout le merite de l’autre. Comme ils estoient tous deux bien traitez, son irresolution qu’ils avoient à vaincre, leur paroissoit un triomphe digne de leur passion, & chacun croyant qu’il ne falloit qu’un moment pour faire pancher la balance de son costé, ils n’oublioient rien de ce qui pouvoit leur asseurer une si noble conqueste. Pendant ce temps, la Tante qui ne cherchoit que les avantages de sa Niece, luy proposa un homme de Robe extremement riche qui la vouloit épouser ; & jugeant bien, sur le refus qu’elle en fit, que l’un des deux Cavaliers luy touchoit le cœur, elle luy fit voir qu’il estoit fort dangereux de s’attacher à des gens d’épée, dont la pluspart se ruinent par des dépenses qu’ils ne sçauroient éviter, & qui aprés avoir mangé le bien de leurs Femmes, les laissent dans des embarras continuels. Ces remontrances ne firent aucun effet. La Belle luy avoüa que les gens de Robe luy estoient insupportables, mais en demeurant d’accord qu’elle estimoit les deux Cavaliers, elle ne put sçavoir elle-mesme pour lequel des deux son cœur panchoit davantage. Le chagrin qu’elle leur causa par l’incertitude de son choix, fut cause que s’entretenant un jour des dépenses qu’ils avoient faites, & qu’ils faisoient encore tous les jours pour elle, ils trouverent qu’il seroit injuste que le malheureux n’en fust pas indemnisé. Ainsi il fut resolu entre eux, que celuy que la Belle épouseroit, payeroit à l’autre quatre cens Loüis, & ils en signerent un Billet double, que chacun garda. Ce qu’il y eut de plus plaisant, c’est que l’interest commença à les consoler du mauvais succés qu’ils avoient apprehendé. Ils n’eurent plus la mesme chaleur à rendre des soins, & la Belle que ce relaschement étonna, craignant de les perdre l’un & l’autre, si elle ne se hastoit de s’expliquer, fit enfin tomber son choix sur le premier qui la pressa de le faire. On conclut le mariage sans que l’autre en murmurast. S’il perdoit une Maistresse, les quatre cens Loüis qu’il gagnoit, luy faisoient voir sans envie le bonheur de son Rival. Le temps avoit usé son amour, & les charmes de l’argent estoient plus réels pour luy que ceux de la Belle. Cependant il demanda inutilement à estre payé. Son Amy soutint que ces sortes de Billets n’avoient point de lieu, & que s’il avoit donné des festes à une aimable personne, il avoit eu part au plaisir. Là-dessus grande broüillerie entre eux. Je sçay qu’il y a eu assignation devant le Juge pour faire reconnoistre le Billet ; mais il n’est encore intervenu aucun Jugement. Si j’en apprens quelque chose, je vous le feray sçavoir. Les Mariez vivent dans une grande union, quoy qu’il soit tres-vray que le refroidissement a déterminé la Belle, & qu’elle auroit encore long-temps suspendu son choix, si elle eust toujours connu la mesme ardeur dans ses deux Amans.

[Tout ce qui s'est passé dans la Conference tenuë à Ceret entre les Commissaires de France & d'Espagne] §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 132-176

 

Je dois, Madame, à vostre curiosité une relation fidelle de ce qui s'est passé dans la Conference des Commissaires de France & d'Espagne, tenuë depuis peu pour regler le differend survenu entre les deux Couronnes au sujet des arrerages des Contributions de la derniere guerre. Sa Majesté Catholique l'ayant declarée à la France au mois de Janvier 1684. les Gouverneurs de nos Places frontieres mirent d'abord à contribution tous les Villages d'Espagne situez sur les limites de leurs Gouvernemens, avec ordre aux Habitans du Village le plus proche, d'en avertir les plus éloignez, dont ils seroient responsables. Aprés la Campagne, & la Tréve qu'il plût à Sa Majesté d'accorder à ses Ennemis par une moderation digne de sa grandeur. Messire Raimond de Trobat, President au Conseil Royal du Roussillon, Intendant de Justice, Police, Finances & Fortifications du Pays, fit connoistre au Marquis de Leganez, Viceroy de Catalogne, que l'intention du Roy estoit qu'on luy fist raïson sur les arrerages qui lui estoient deus pour ces contributions. Là-dessus le Marquis de Leganez ordonna aux Villages de fournir les arrerages qu'on leur demandoit ; & comme ils negligerent de le faire, M. de Trobat, par les ordres de Sa Majesté, fit saisir les Terres des Sujets d'Espagne situées dans le Roussillon. Le Roy Catholique ayant regardé cette saisie comme portant un grand préjudice à ses Sujets, en fit faire des plaintes par son Ambassadeur à la Cour de France, & pour terminer ce differend avec plus de succés, il demanda au Roy une Conference dans Ceret. C'est une petite Ville dans le Roussillon, assise entre la Montagne, qu'on appelle vulgairement, Lou Creu de Garse, & la riviere du Tec, qui baigne ses bords du costé du Septentrion. Sa Majesté accorda la conference en laquelle elle nomma Mr le President de Trobat pour son Commissaire, ce qui fait voir combien Elle est satisfaite de ses services, & persuadée en mesme temps de son habileté & de sa fidelité. Dom Felix de Marimont, Conseiller d'Epée au Conseil supreme d'Aragon, fut le Comissaire que le Roy d'Espagne choisit pour terminer cette affaire. C'est un homme sorty d'une des plus considerables Maisons de Catalogne, & dont les ancêtres ont rendu de grands services. On l'a voulu souvent attirer à Madrid pour le mettre du Conseil, mais la Province de Catalogne l'a toûjours retenu, ce qui est une glorieuse preuve de son merite. Le jour de l'Assemblée à Ceret ayant esté marquée au 20 de Février, Mr de Trobat partit ce mesme jour de Perpignan à onze heures du matin. [...] Mr de Trobat, accompagné de Colonels, Gentilshommes, Officiers des Troupes, & de grand nombre de gens, se rendit à la Paroisse, où il fut reçeu à la porte au bruit des Hautbois & des Trompetes, par les Consuls ayant leurs livrées. Il se plaça à un Prié-Dieu qu'on luy avoit préparé à la gauche prés du grand Autel, & il entendit la grand'Messe, qui fut celebrée avec beaucoup de solemnité, par M. Bousquet, Curé du lieu. [...] Trois choeurs de Musique, & un concert de Flustes douces se firent entendre pendant la Messe. À l'élevation il y eut une décharge de Boëtes autour de l'Eglise, & à la fin on chanta l'Exaudiat, qui fut suivy d'une seconde décharge de Boëte. Cela estant fait, M. de Trobat donna un magnifique Repas à tous ceux qui l'avoient accompagné. [...] Sur les quatre heures, M. de Trobat se rendit encore à la Paroisse, accompagné des mesmes personnes. Il ne fut pas plutost apperceu que les Trompetes & les Hautbois donnerent avis de son arrivée. Il s'arresta à la porte de l'Eglise pour attendre Dom Felix qu'il avoit fait inviter, & lors qu'il parut, les Trompetes luy firent la mesme reception. Mr de Trobat s'estant avancé vers luy, luy donna la droite, & ils se rendirent ainsi dans le Choeur, où l'on avoit tapissé leurs places. Les Choeurs de Musique du Païs chanterent le Te Deum, & une quatriéme décharge de Boëtes termina la Feste, après laquelle les deux Commissaires se retirerent chacun chez soy, & Dom Juan de Marimont fut entraisné par ses Amis chez M. de Trobat pour y souper ainsi que quatre Gentilshommes Espagnols que la curiosité avoit attirez. [Le souper est suivi d'une grande illumination de toute la ville] Ce qu'il y eut de surprenant, ce fut de voir le sommet des Pyrenées, qui sont ordinairement chargées de neges, changer leur figure en de grands feux qu'on éleva sur la nege, & qui firent connoistre aux plaines de deçà & de de delà le Royaume, qu'il falloit un motif puissant pour une Feste de cette nature. Pendant que ce spectacle attiroit les regards de tout le monde, les Trompetes & les Hautbois postez aux fenestres qui donnoient sur la Place dont je viens de vous parler, apprirent par leurs fanfares qu'on y préparoit quelque chose de nouveau. M. de Trobat, dont la piété n'avoit pas esté épuisée par les Prieres qu'il avoit fait faire pour le Roy, fit dresser un moment après au milieu de ce quarré, une grande Table de vingt-cinq couverts, où l'on fit asseoir autant de Pauvres du Lieu, ausquels on donna un fort grand repas. M. de Trobat, & M. l'Abbé son Frere, y furent toûjours presens, afin de les faire servir par leurs Officiers & Domestiques. Tous les Pauvres burent à la santé de Sa Majesté, & cependant les Trompetes donnerent le signal aux Feux d'artifice qu'on fit joüer du haut des ramparts de la Ville. [...] Après le Soupé des Pauvres, on servit chez M. de Trobat, où le Regale fut tres-magnifique, les Violons & les Flustes douces firent des concerts qui réjoüirent toute l'Assemblée. Ce repas finy, on descendit sur la Place pour voir les Danses publiques, ou Bailles largues, comme on les appelle en ce Pays-là. Le Peuple au son des Hautbois, y donna des marques de joye extraordinaires, après quoy on prit le divertissement du Bal, ce qui couronna la beauté de cette Feste. [...]

[Fête donnée à Toulouse par M. Rabaudy]* §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 181-187

 

La Relation de ce qui s'est passé à Ceret, m'ayant obligé à vous parler encore d'Actions de graces rendües pour la guerison du Roy, je ne puis me dispenser d'ajoûter icy quelques autres articles de mesme nature. Aprés vous avoir parlé de ce qu'ont fait la Ville & le Parlement de Toulouse, il seroit injuste de ne vous rien dire des marques de zele qu'a données en cette occasion M. Rabaudy, Viguier, & premier Juge de cette Capitale du Languedoc. Il ordonna une Feste particuliere dans le quartier de la Daurade où la Viguerie est située, & pour la commencer par une action agreable à Dieu, il paya les dettes de deux Prisonniers arrêtez dans ses prisons, & les mit en liberté. Le jour destiné pour cette ceremonie, il alla dans la Chapelle de son siege, precedé de sa main forte composée de 50 hommes avec leurs Casaques Fleur de lisées. Ses Officiers & Curiaux le suivoient ayant leurs chaperons d'hermines, & tous les Consuls des Villages de sa Viguerie, au nombre de 150 en robe & en chaperon. Il les avoit mandez pour rendre la feste plus solemnelle, & afin qu'à son exemple ils ordonnassent des Prieres publiques dans tous les lieux de leur Juridiction. La Salle estoit ornée d'un grand nombre de Tableaux, qui representoient les actions Heroïques de Louis le Grand. [...] Deux Amphitheatres avoient esté élevez au bas de la Salle, & l'on y plaça deux Choeurs de Musique & de Symphonie. M. l'Abbé de Comynihan, grand Archidiacre, celebra la Messe, M. l'Archevesque n'ayant pû le faire à cause de ses indispositions. Elle fut suivie du Te Deum chanté en Musique, de la composition du Sieur Aphrodise, excellent Musicien. Pendant ce temps les décharges de Mousquet & de Coulevrine ne manquerent pas à se faire entendre. [...]

[Procession à Pauliac]* §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 188

Le 20. du mois passé, il y eut à Pauliac une Procession des plus solemnelles. Pauliac est une grande Paroisse du Diocese de S. Flour, située au pied du Cantal, dont les Habitans ont toûjours eu l'avantage de se distinguer dans les occasions d'éclat. [...] La Procession commença par une troupe de petites Filles suivie d'une autre de petits Garçons, aprés lesquels marchoit le Clergé, & ensuite les Consuls de la Paroisse, & un tres-grand nombre d'Etrangers que la nouveauté de cette Feste avoit attirez, & qui faisoient plus de huit mille personnes. Tout cela estoit précedé de la Milice qui marchoit sous l'Etendard de la Paroisse, avec quantité de Tambours, de Hautbois & de Musettes. On alla en cet ordre vers le Puy de Mercou qui est fort élevé au milieu de la Paroisse & à un grand quart de lieuë de l'Eglise. M. Delpeur, premier Consul, avoit fait dresser un Feu d'artifice sur le haut de cette Montagne. La Soldateresque se rangea en cercle tout autour. Le Clergé se retira au pied de la Croix, & chanta le Te Deum pendant que ce Feu brûloit. La Milice fit plusieurs décharges, & le Peuple faisoit retentir tous les valons d'alentour des cris de Vive le Roy. On descendit du Puy de Mercou dans le mesme ordre, mais par un autre chemin. La Milice se remit en haye prés de l'Eglise, & le Clergé passa au milieu, pour aller prendre le Saint Sacrement, qu'on exposa quelque temps dans un Reposoir que l'on avoit fait exprés en un lieu élevé, pour le montrer au Peuple, dont la quatriéme partie n'eust pû entrer dans l'Eglise. Pendant qu'on s'arresta à ce Reposoir, les Prestres & les Instrumens chanterent alternativement les Versets de l'Exaudiat, & d'autres Prieres ; & la Milice fit une décharge generale lors qu'on donna la benediction au Peuple. La Ceremonie estant achevée, le premier Consul regala toute la Milice. Au commencement de la nuit, M. le Curé fit allumer trois Fanaux au haut du Clocher, & le carillon des Cloches, qui depuis huit jours s'estoit fait entendre soir & matin, n'eut pas plûtost donné le signal, qu'on vit de grands feux de joye dans tous les Villages, où chaque particulier tâchoit de se signaler. [...]

[Craponne]* §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 196

Craponne est une des principales Villes du Pays de Vellay, Province de Languedoc, limitrophe d'Auvergne, de la Justice & dépendance de M. de Polignac. Le Te Deum & l'Exaudiat furent chantez avec melodie le 20. d'Avril dans l'Eglise Paroissiale, & aprés une salve de Mousqueterie, les Soldats prirent leur marche vers la grande Place où le feu avoit esté préparé. On voyoit Calvin au milieu de l'Echafaut, dont le tour estoit remply de feux d'artifice, avec quantité de Devises & d'Emblêmes. Les Compagnies avec les Tambours, Hautbois & Fifres, sortirent en fort bon ordre par la porte de Sainte Reyne, sur laquelle estoient les armes du Roy sur un riche tapis de point de Venise rehaussé d'or. [...]

[Alixan]* §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 198

Le Dimanche 6. d'Avril le Bourg d'Alixan, situé dans le Duché de Valentinois, donna les mesmes marques de joye. On se rendit processionnellement de l'Eglise de ce Bourg dans celle de Saint Martin de Coussaud, qui en est l'ancienne Paroisse. Elle est sur une colline fort élevée, & cultivée de tous les costez, au milieu d'une des plus belles plaines du Dauphiné. On y chanta le Te Deum en Musique, & le soir on alluma un nombre infiny de Lanternes de papier, [...].

[Fête donnée à Arles par M. le marquis de Boche]* §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 203

M. le Marquis de Boche, l'un des grands Senéchaux de Provence, assez connu par les divers Emplois qu'il a eus, soit dans la Gendarmerie, dont il a esté Major de Brigade, soit à la teste d'un Regiment de Cavalerie, ayant assisté à la Feste que fit le Corps de son Siege d'Arles, en réjoüissances du parfait rétablissement de la santé du Roy, en fit une autre le mesme jour en son particulier, qui merite bien que je vous en parle. Il pria une partie de la Noblesse la plus qualifiée d'Arles à souper chez luy, & l'on trouva toute sa maison illuminée depuis la premiere court jusqu'à l'apartement destiné pour y recevoir la Compagnie. Le Portrait du Roy estoit sous un Dais dans un Salon où il donna ce Repas, & tout autour brilloient quantité de Lustres & de Girandoles. Avant qu'on se mist à table, une Fontaine d'eau de fleur d'Orange servit à faire laver les mains aux Conviez, & dans le mesme temps le bruit des Tambours, des Hautbois & des Trompetes se fit entendre, & ne fut interrompu que par de tres-bons Violons & un concert de Musique. [...] Mr le Marquis de Boche pria la Compagnie de vouloir bien aller par toute la Ville, avec les Violons, les Trompetes, les Hautbois & les Tambours, qui se relevoient tour à tour pour donner la serenade aux Dames d'Arles. On commença par Madame la Marquise de Castillon, l'une des plus aimables Dames de France, née à Paris, & nourrie à la Cour, & l'on finit par Madame la Marquise d'Estoublon, qui est en brun ce que Madame de Castillon est en blond. Là commença le Bal par M. le Marquis de Boche, & cette Marquise, & il dura jusqu'au jour. [...]

[Saint-Julien]* §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 208

L'amour ardent & respectueux qu'on a pour le Roy, fait continuer les actions de graces qu'on rend par tout pour sa guerison. Le Laboureur cherche à l'emporter sur le Bourgeois, & le Jeudy 8. de ce mois, il y eut une grande Feste dans le Bourg de S. Julien, Parroisse de Mr de Blainville, en l'absence duquel Mr de Farcy l'aisné, Trésorier de France en la Generalité d'Alençon, fit tous les devoirs d'un zelé Sujet. Tous les Habitans receurent ses ordres pour se mettre sous les armes, & ceux des Parroisses voisines s'estant joints à eux, formerent une milice nombreuse. Il assembla plusieurs Ecclesiastiques qui chanterent un Te Deum solemnel, & mit en suite le feu à un grand Bucher. Les flames qui se perdoient dans les airs firent pousser mille cris de Vive le Roy, & ils redoublerent lors qu'il obligea toute cette Soldatesque de boire à la santé de ce grand Monarque.

[Divers Ouvrages faits à la gloire de Monsieur le Prince] §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 212-253

 

Je vous ay desja fait part de quelques ouvrages sur la mort de ce Grand Prince. En voicy d’autres qui me sont tombez entre les mains. Vous serez bien aise sur tout de voir avec quelle fermeté il a regardé ce moment terrible qui a toûjours fait fremir les plus grands courages. Le Chrestien & le Heros ont paru en luy dans le mesme temps, & c’est ce que vous allez connoistre dans la traduction que je vous envoye des vers Latins du Pere Jouvency Jesuite.

Quoy qu’aux Siecles futurs de superbes Ouvrages
Des Roys & des Heros presentent les Images,
Et que pour les vanter, le Ciseau, le Burin,
Sçachent faire parler & le Marbre & l’Airain ;
Ces Chef-d’œuvres pourtant, & ce faste inutile,
Souvent contre l’oubly ne sont qu’un foible azile.
 Quelque riche que soit la pompe d’un Tombeau
La vertu seule en fait l’ornement le plus beau.
C’est elle qui partout de la gloire suivie
Mesme aprés nostre mort prolonge nôtre vie,
Et fait, malgré le coup d’un destin ennemy,
Que l’homme ne meurt pas, où ne meurt qu’à demy.
 Aussi prest de quitter la France désolée,
Condé sans desirer un pompeux Mausolée
Pour la seule vertu se sentit de l’ardeur,
Par là de son Tombeau luy-mesme il est l’honneur.
Si celuy de Mauzole, ou du grand Alexandre,
Fut auguste par l’Art, le sien l’est par sa Cendre ;
Puisqu’il a ce Heros, son prix n’est plus borné,
Jamais le monde entier n’en vit de mieux orné.
 De ces biens imposteurs que la terre Idolâtre,
De qui pour peu de jours ce monde est le theatre,
Qui prennent pour nous plaire un masque de beauté,
Ce Prince dés long-temps sçavoit la vanité ;
Mais dans son lit sur tout il crut la mieux connoistre
Voyant tomber leur masque, & leur fard disparoistre,
Et c’est en ces moments que d’un saint zele épris
Pour tout ce qu’on adore il n’eut que du mépris.
 Ce Heros appuyé d’une masle asseurance,
Sent ses forces perir & croistre sa constance.
Ses Conquestes, son Rang, mille Roys ses Ayeux,
Plus illustres par luy qu’il ne l’estoit par eux,
Dans le sang ennemy les guerres étouffées,
La gloire de son nom, tant de pompeux Trophées,
Tous ces biens qui pour l’homme ont un charme secret,
En s’échapant à luy le laissent sans regret.
Il perdroit l’Univers sans perdre le courage,
Renonçant à soy-mesme il quitte davantage ;
 En découvrant le fond de ces fresles honneurs
Qui s’offrent à nos yeux sous des dehors trompeurs,
Qu’on voit souvent perir aussi-tost que paroistre,
Il ne croit point à soy ce qui peut n’y plus estre,
Ce que doit arracher à nostre vanité
D’un moment fugitif le cours precipité,
Ou ravir du destin l’envieuse malice
Qui sur tous les mortels estendant son caprice,
Au milieu du bonheur fait trouver des écueils,
Et change tous les jours les Trônes en Cercueils.
Ainsi fermant ses yeux à la pompe éclatante
De ces biens passagers dont l’amour nous enchante,
Et renonçant à tout, Condé previent le sort,
La vertu fait en luy l’office de la mort.
 En la vie, en l’honneur rien ne pouvant luy plaire
Hors le noble mépris qu’un Chrestien peut en faire,
Vers un bien plus solide il éleve ses vœux,
Et croit qu’ils ramperoient s’ils n’alloient jusqu’aux Cieux.
 Sa foy l’avertissoit qu’un Cœur à Dieu fidelle,
Trouve en cessant de vivre une vie immortelle,
Et par la verité dés long-temps convaincu
Que qui meurt en Chrestien n’a jamais peu vêcu,
Il offroit à la mort une ame détachée
Et sembloit la souffrir moins que l’avoir cherchée.
Je l’apperçois tomber sans marquer de frayeur
Et succomber plûtost à la mort qu’à la peur.
 On l’avoit veu couvert & de sang & de gloire
Affronter le peril pour chercher la victoire,
De tous ses ennemis braver autant l’effort
Que s’il eust esté seul l’arbitre de son sort ;
Mais maintenant encore un courage invincible
L’armant contre l’effroy dans un peril terrible,
À peine diroit-on qui montre un Cœur plus grand
Du Condé de Senef, ou du Condé mourant.
Prest de surgir au Port par un coup de tempeste
Qui grossit, & bien-tost doit crever sur sa teste,
La mort ne peut troubler son tranquille repos,
Il l’attend en Chrestien, & la soufre en Heros.
 Souvent dans les Combats, au milieu des alarmes,
La peine a ses attraits, & la mort a ses charmes,
Les exemples, l’honneur, les Tambours, les Clairons,
Ont pour nous animer de pressans aiguillons.
On entend le Soldat pousser cent cris de joye,
Et lors que le Canon par tout tonne & foudroye
À peine du danger peut-on s’appercevoir,
La poudre & la fumée empeschent de le voir,
Quelque horrible qu’il soit on en perd la memoire,
On pense beaucoup moins au peril qu’à la gloire,
Et l’on voit s’exposer aux plus rudes assauts
Les Heros en Soldats, les Soldats en Heros.
 Mais tel qui sans paslir avoit veu mille épées
Dans des Combats affreux de sang toutes trempées,
Rappellé du danger, à peine est-il chez soy,
Que la mort l’approchant jette en son cœur l’effroy.
Elle n’est point alors sanglante de carnage,
Mais quoy que moins à craindre, on la craint davantage,
Et se venant offrir seule & nuë au Vainqueur,
Elle est bien moins horrible, & luy fait plus d’horreur.
 Nostre illustre Guerrier par tout sans épouvante
La méprise en son lit comme il fit sous sa Tente ;
Elle a beau l’attaquer sans Canons, sans Soldats,
Toute seule qu’elle est, Condé ne la craint pas.
Intrepide chez-luy non moins que quand en guerre
Armé de nos carreaux il fit trembler la terre,
Il expire, il est vray, mais il garde en mourant
Le calme d’un Chrestien, & l’air d’un Conquerant,
Et le voyant braver jusqu’au coup qui le tuë
En triomphant de luy la Mort se croit vaincuë.
 Au bout de sa carriere en peignant à ses yeux
La vanité du monde, & la pompe des Cieux,
Brûlé d’un saint desir d’entrer dans sa patrie
Ce grand Prince accusoit la longueur de sa vie,
Et sçachant qu’à la mort ses fers devoient tomber,
Triomphoit dans l’espoir d’y bientost succomber.
 Deux Princes, chers objets de sa noble tendresse,
Deux Princes de son sang qu’accable la tristesse,
En venant recueillir ses funestes adieux
Luy font bien moins parler leurs bouches que leurs yeux ;
Mais tranquille luy seul quand ils sont en alarmes,
Seul ayant les yeux secs quand les leurs sont en larmes,
Il a beau les entendre & les voir soupirer,
Il consent à mourir, & non pas à pleurer.
En sentant que du corps son ame se dégage,
Leur laissant ses vertus & les pleurs en partage
Il voit tomber le coup qui part pour l’accabler,
Et luy mesme en repos leur deffend de trembler
 Quoy qu’il meure, sa paix ne se peut interrompre.
Que de chaisnes pourtant ce Prince avoit à rompre !
Perir lors que chery du plus grand de nos Roys
Il prisoit ce bonheur plus que tous ses exploits,
Perir quand la fortune épuisant ses caresses
Le combloit à la fois d’honneurs & de richesses ;
Mourir quittant un Fils de gloire revestu,
Et Condé par son sang moins que par sa vertu,
Laisser un petit Fils qui faisoit ses délices,
Ah ! c’est dans un tourment unir trop de supplices
Et de tant de rigueurs sentir le triste poids,
C’est souffrir une mort, & mourir mille fois.
 Au chagrin cependant ce Prince inaccessible,
Accablé de ces maux, y paroit insensible.
Quoy que tant de revers se rassemblent dans un,
Frappé de mille coups, il ne se plaint d’aucun,
Et son cœur sans fremir du malheur qui s’appreste,
Est tel en perdant tout, qu’aprés une Conqueste.
 Ce Heros méprisant & le sort & ses traits
Voit bien qu’à ses Lauriers on mesle du Cyprés,
Et conserve pourtant une paix si profonde,
Que l’on ne sçait s’il quitte, ou Nortlingue, ou le Monde,
Loin de craindre la mort il semble qu’il y court,
Il entre aussi joyeux au Cercueil qu’à Fribourg.
 Prince, le plus fameux qu’ait veu mourir la France,
Condé, cette Héroique, & chrestienne constance
Qui t’a déja porté jusqu’au faiste des Cieux,
Fera bien mieux passer ton nom chez nos Neveux,
Que tout ce que jamais l’on pourroit entreprendre
Pour orner ton Sepulchre, & recueillir ta cendre.
 Il est vray que conduit par ton genereux Fils
L’Art passe en ta faveur les travaux de Memphis.
Toutefois, grand Heros, tu vivras davantage
Par ta propre vertu que par ce riche ouvrage,
Et sans avoir besoin d’un éclat emprunté,
Tu ne devras qu’à toy ton immortalité.
 Mais tandis qu’embouchant sa lugubre trompete
Et vantant le Tombeau que ton Fils te projette
La Renommée apprend ton sort à l’Univers,
Soufre qu’à ton honneur je consacre ces Vers,
Qu’omettant ces hauts faits que respecte l’envie,
Je ne vante à present que ta mort dans ta vie,

Cette Traduction est du Pere Germain, Professeur de Rhetorique à Moulins. Le nom de cette Ville me fait souvenir que j’ay oublié à vous parler d’un Service, que Mrs de l’Eglise Collegiale y ont fait pour le repos de l’Ame de Monsieur le Prince, qui en qualité de Duc de Bourbon, estoit le Collateur des Chanoinies de cette Eglise, à la reserve d’une seule, qui est de la collation de Mr le Prieur de Souvigny. Le Presidial, à la teste duquel estoit Mr l’Intendant, assista à cette Ceremonie, ainsi que le Corps de Ville, & un tres-grand nombre de personnes considerables.

Vous trouverez un Portrait de Monsieur le Prince dans ces autres Vers. Ils sont de Mr Blanchard, Guré de Finey, prés Dijon.

Depuis le jour fameux qu’aux plaines de Rocroy
L’Espagne de sa perte honora mon courage,
Je profitay si bien de ce grand avantage,
Que je semay par tout l’épouvante & l’effroy.
 Dés ce temps heureux pour ma gloire
 Tout parut facile à mon bras,
La Fortune à ma solde engageant la Victoire,
Fit naistre heureusement les Lauriers sous mes pas.
 À ces premiers essais sensible
J’envisageay sans peur les perils, les hazards,
Et l’ardeur d’égaler le premier des Cesars
Me fit croire que rien ne m’estoit impossible.
 Les Chefs les plus déterminez
Furent pour mes desseins des Guerriers fortunez ;
Mon grand cœur répondant à mon vaste genie,
Et la Paix dés ce temps de la France bannie,
 Sembloient m’offrir de toutes parts
Des Ennemis fuyant devant mes Etendards.
Donquerque, Philisbourg, Courtray, cent autres Villes
N’eurent contre mes coups que de foibles ramparts,
Mes Campagnes toûjours en victoires fertiles,
Me firent de mon temps le Heros & le Mars.
De Norlingue & de Lens les fameuses Batailles
Faisant trembler les Dieux du Danube & du Rhin,
Remplirent de l’Escaut le fertile terrein,
De foiblesse, d’effroy, de morts, de funerailles.
Je sceus joindre par tout à ma vivacité
 La force, l’intrepidité.
Ferme dans les Conseils, fier, prompt, inébranlable ;
 Dans les ordres incomparable ;
Actif, present par tout, jamais embarassé,
Je pris mieux mon party qu’aucun homme du monde.
Enfin par mes Exploits le Germain terrassé,
Je fis craindre mon bras sur la terre & sur l’onde.
 Je fus dans le commandement
 Estimé, craint également,
Heureux à prendre l’avantage ;
Sans trouble impetueux, je mis tout en usage
Pour soutenir ma gloire & l’éclat de mon nom.
Dans l’ordre du Combat resolu, peu flexible,
 Me donnant tout à l’action,
À la crainte, au peril toûjours inaccessible,
De nos fiers Ennemis à vaincre preparez
Ma valeur arresta les injustes proüesses ;
 Leurs Postes les plus assurez
 N’eurent pour moy que des foiblesses,
Je tirois du Soldat ce qu’on en peut tirer,
Dans les plus grands perils je sçavois inspirer
 L’intrepidité, la vaillance,
Et toûjours resolu de vaincre ou de mourir,
J’arrachois aux vaincus jusques à l’esperance,
Que contre moy jamais on pust les secourir.
Ma valeur égala la valeur d’Alexandre ;
Si je fus moins heureux que ce fameux Heros,
 En mourut-il plus en repos ?
En eut-il plus de terre & d’éclat pour sa cendre ?

Le Sonnet qui suit est de Mr de Corbet, Gentilhomme qui s’est rendu recommandable par l’honneur qu’il a receu d’estre chargé des ordres du Roy, pour assister aux Synodes des Provinces de Berry & d’Orleannois ; par un tres-grand nombre de Conversions ausquelles il a beaucoup contribué, & par de sçavans écrits contre le Ministre Claude, & d’autres Ministres, qui luy ont attiré l’approbation des plus illustres Prelats du Royaume.

SONNET
À la gloire de Monsieur le Prince, par des Rimes prescrites.

Ce Heros en naissant sceut gagner des Batailles,
Et défaire un grand Chef dans les armes vieilly.
Farnese, Spinola, Beck, Montecucully,
N’ont jamais tant que luy renversé de murailles.
***
Espagne, qui l’as vû jusque dans tes entrailles
Accomplir les projets formez dans Chantilly,
Que de fois ton Estat par ce Prince assailly
De ses plus chers Sujets pleura les funerailles !
***
Mais loin, ces vains honneurs des profanes Guerriers,
Mon Heros en mourant cherche d’autres Lauriers,
Et pour les moissonner comme avoit fait Turenne,
***
Se sentant comme luy par la Grace inondé,
Sur ses sens il la laisse agir en Souveraine,
Et seule triompher du cœur du Grand Condé.

On parle des grands Hommes en toutes sortes de Langues. C’est ce qui a fait faire cette maniere d’Epitaphe en Vers Italiens.

Sotto questo marmo il gran Condé giace,
La dì cuí fama per tutto il mondo erra.
Dopo tanti anni haver menato guerra,
Quel magnanimo Heroë, horamai sta in pace.

Je vous envoye deux Vers Latins sur le mesme sujet, avec la Traduction qui en a esté faite,

Cesar, Alexander, Pelides, fulmina belli,
Condæi cineres socio excepêre sepulchro
Condé fut comparable au plus grand des Cesars,
Il eut le cœur d’Achille & le bras d’Alexandre ;
Son corps dont l’Vnivers doit respecter la cendre,
Est mis dans le tombeau de ces Heros de Mars.

Voicy l’Extrait d’une Lettre de l’Autheur de ces Vers, qu’on peut regarder comme un éloge de Monsieur le Prince. J’ay cru, dit-il, devoir assembler des Heros de divers Siecles, & les plus grands Capitaines de l’Antiquité, comme sont Achille, Alexandre & Cesar, pour exprimer tout le grand merite de feu Monsieur le Prince. Ils ont eu toutes les parties d’un grand Capitaine, mais on peut dire neanmoins que chacun d’eux a eu sa partie dominante. Celle d’Achille estoit la noble ferocité d’un Guerrier. Celle d’Alexandre estoit une valeur impetueuse, une rapidité de conquestes. Il ne se contentoit pas de gagner des Provinces & des Royaumes, il eust voulu qu’il y eust eu plusieurs mondes à conquerir. Celle de Cesar estoit une grande conduite, une habileté dans l’Art militaire. C’est luy qui l’a, pour ainsi dire, reduite en Science, & qui en a donné de grands principes & des regles certaines. Toutes ces parties dominantes dans ces grands Capitaines se trouvent comme rassemblées dans Monsieur le Prince. Il avoit quelque air de ce qui est rapporté d’Achille pour la ferocité de Mars, sans en avoir la cruelle dureté. Il avoit aussi le caractere d’Alexandre ; il estoit d’une valeur étonnante, & que l’on pouvoit nommer ambitieuse. Il eust voulu toûjours combattre ; il quittoit de fort bon cœur Chantilly pour aller au Champ de Bataille, & il n’estoit pas content d’une Campagne, s’il n’avoit fait plusieurs expeditions d’éclat. Enfin, il ressembloit aussi à Cesar dans la capacité & dans la science de la Guerre. Il sçavoit ranger admirablement une Armée en Bataille, & lors qu’il luy a fallu faire des Sieges, il s’y prenoit en maistre. Il ne faut que lire la Relation du Siege de Dunquerque dans les œuvres de Sarrasin pour en demeurer d’accord ; & cependant Monsieur le Prince estoit alors fort jeune. C’est cette conformité avec ces illustres Capitaines qui m’a porté à le leur associer, & j’ay cru que comme il y a des Tombeaux destinez aux Familles illustres, on pouvoit aussi inhumer Monsieur le Prince avec ces trois Heros de la Famille de Mars, & mettre les urnes de leurs cendres dans un mesme sepulchre.

J’ajoûte une Epigramme de M. Lourdet, & trois Sonnets ; le premier de M. Pechantré, Autheur de Geta, qui a paru cet hyver avec un si grand succés ; le second de M. l’Abbé Baraton, & le troisiéme de Mr Amoreux de Digne, Avocat au Parlement d’Aix.

SUR LA MORT
de Monsieur le Prince,

En terminant son sort Condé nous fait connoistre
Qu’aucun ne doit pretendre à l’honneur des Autels.
On ne voit icy-bas que des hommes paroistre.
S’il se pouvoit qu’en terre il fust des immortels,
Condé l’auroit esté, Condé le devoit estre.

I. SONNET.

Restes du grand Condé, cendres de ce Heros,
Digne objet des respects qu’on doit à sa memoire,
Joüissez à jamais d’un tranquille repos
Sous ce Marbre qui fait l’éloge de sa gloire.
***
 On y voit éclater tous ses faits les plus hauts,
Tels qu’un jour nos Neveux auront peine à les croire,
Mais on y voit ce Prince aprés mille travaux
Remporter sur soy-mesme une illustre victoire.
***
 Tant d’Ennemis vaincus, tant de ramparts détruits,
Tant de Chefs, tant de Rois par son exemple instruits,
De sa haute vertu font le portrait fidelle.
***
 Princes, qui pleins d’espoir sur ses traces marchez,
Vous ne sçauriez choisir un plus parfait modelle,
Et vous ferez beaucoup si vous en approchez.

II. SONNET.

L’Invincible Condé n’est plus qu’un peu de cendre,
Tout se termine là, puissance, biens, honneurs ;
Tel est le triste fort des fragiles Grandeurs ;
Rois, Princes, Conquerans, nul ne peut s’en défendre.
***
 Ce Heros en courage égaloit Alexandre,
Sa valeur, son esprit luy gagnoient tous les cœurs,
Il passa de bien loin les plus fameux Vainqueurs,
Et dans tout l’Vnivers son nom s’est fait entendre.
***
 Tant d’illustres travaux, tant de sanglans Combats,
Tant de Peuples vaincus par l’effort de son bras,
À la posterité consacrent sa memoire.
***
 Est-il rien de pareil à ses Faits inoüis ?
Et pouvoit-on jamais porter plus haut la gloire
Du grand Nom des Bourbons, & du Sang de LOUIS.

III. SONNET.

Antiques Monumens, qui des Siecles passez
De tant de noms fameux rappellez la memoire,
Abaîssez vostre orgueil, ces noms sont effacez,
Tout cede à ce Heros dont je trace la gloire.
***
Sa valeur a soumis ceux qu’il a menacez,
On le vit en tout temps Maîstre de la Victoire,
Et sous luy tant de Chefs ont esté terrassez,
Que nos Neveux un jour auront peine à le croire.
***
Il fut des Generaux l’exemple & la terreur,
Le seul desir de vaincre anima son grand cœur,
Il n’est plus, & la mort a fermé sa paupiere.
***
 Mais que dis-je, il joüit d’un plus illustre sort,
S’il vécut glorieux, une plus belle mort.
Pour couronner ses jours a borné sa carriere.

Je finis par des Vers de Mr Moreau, Avocat General de la Chambre des Comptes de Dijon, adressez à Monsieur le Prince d’aujourd’huy.

La mort du grand Condé cause nostre douleur,
Par tout on l’admiroit, par tout on en soupire,
 Qui dit Condé, dit tout ce qu’on peut dire,
De grandeur, de vertu, d’esprit & de valeur ;
 Mais dans ce coup fatal à nos vœux si contraire,
Prince, ce qui nous doit consoler aujourd’huy,
C’est de te voir marcher sur les pas de ton Pere,
 Et trouver en toy ce que l’on perd en luy.

[Réjoüissances faites à Rome par M. le Cardinal d'Estrées pour la Convalescence du Roy] §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 255

 

Tout ce qui est arrivé à M. le Cardinal d'Estrées depuis la fin de Janvier, ne luy ayant donné ny le temps, ny le lieu de signaler sa joye pour la parfaite guerison du Roy, il se determina à le faire aprés l'arrivée de son Courrier qui luy apporta les ordres par lesquels Sa Majesté l'a chargé de l'entiere direction des affaires à la Cour de Rome ; mais les devotions ordinaires de la Semaine-sainte occupant tout ce temps, il remit cette Feste au Dimanche de Quasimodo sixiéme d'Avril. [...] Mr le Cardinal d'Estrées souhaita que pendant qu'on chanteroit le Te Deum à saint-Loüis, on le chantast aussi dans cent Eglises des principales de Rome, sans compter les Nationales. Celle de saint Jean de Latran, qui est la premiere du monde, s'en acquita avec éclat & beaucoup de zele. Ce Cardinal envoya pour cela aux Sacristies de toutes les Eglises, afin que le Te Deum fust precedé d'une Messe haute. Celles qui ont des Musiques reglées, le chanterent en Musique, & les autres avec le plus de solemnité qu'elles purent. Mrs les Cardinaux d'Estrées & Maldachini se rendirent à S. Loüis à dix-sept heures, suivis de tous les Nationaux. Il s'y trouva beaucoup de Noblesse, & un Cortege de plus de trente Prelats, quoy qu'on n'eust pas fait une invitation generale de la Prelature, parce que la solemnité ne regardoit que la Nation. Madame la Duchesse de Modene y assista, & M. Cusani Archevesque de Trebizonde, celebra la Messe en habits Pontificaux, & entonna le Te Deum. L'un & l'autre chantez au bruit des Boëtes, des Trompetes & des Tambours, par deux Choeurs de Musique, composez de plus de soixante voix, & des meilleurs Instrumens de Rome. [...] Mr le Cardinal d'Estrées donna le lendemain un grand Repas à la Vigne Pamphile, à Mr le Cardinal Maldachini, & à tous les Prelats qui s'estoient trouvez à cette Ceremonie. On y but plusieurs fois à la Santé de Sa Majesté. Après ce Repas on passa dans une autre Chambre, où la Compagnie fut regalée d'un Concert de voix & d'Instrumens.

Le mauvais temps ayant obligé Mr le Cardinal d'Estrées à differer les autres marques de réjoüissances, qui devoient estre accompagnées le mesme jour de celles de tous les Nationaux, suivant l'ordre qu'il avoit donné pour rendre cette solemnité plus universelle, on fut obligé de lever une partie de la façade de l'Eglise de la Trinité du Mont, pour raccommoder les Tableaux que la pluye avoit gâtez, & de remettre la Feste au Dimanche 20. Avril. Son Eminence quitta le deüil ce jour-là, & le fit quitter à toute sa Maison, comme Elle avoit fait le jour qu'on chanta le Te Deum à S. Loüis. La Feste commença par la grande Messe que celebra le General des Minimes François, aprés laquelle le mesme General entonna le Te Deum. Plus de vingt Cardinaux, quantité de Prelats, & presque tout ce qu'il y a de grands Seigneurs & de Dames à Rome, allerent y faire leurs Prieres pendant tout le jour.[...] À vingt-trois heures & demie, M. le Cardinal d'Estrées, aprés avoir fait sa priere à la Trinité du Mont, se rendit à la Place d'Espagne dans un Sallon qu'il avoit fait bastir exprés pour recevoir les Cardinaux. Il les avoit fait seulement avertir de cette réjoüissance, sans les inviter dans les formes, à venir y prendre part. Il y avoit un autre Sallon à la gauche de celuy-cy, pour les Dames, les Prelats, & autres Personnes de qualité. Ces Sallons estoient au milieu de la Place, tapissez au dehors & au dedans de fort belles tapisseries de haute-lisse, & ornez de Lustres & de Plaques d'argent, où l'on attacha des bougies, avec des brasiers d'argent qu'on avoit couverts de fleurs. [Suit une description précise de l'illumination et des décorations construites pour l'occasion.] Les Romains accoûtumez à voir les plus belles choses, ont fort loüé le dessein de l'Architecte. S'il parut tres-agreable pendant le jour, il surprit bien davantage quand tout fut illuminé. On avoit fait mettre aux trois rangs des fenestres du Convent de la Trinité, & des pot à feu au dessus du toit. Toute la Montagne [Pincio] fut aussi illuminée, mais d'une maniere nouvelle & fort extraordinaire. Les arbres qui regnent depuis la Plate-forme de l'Eglise jusqu'au bas de la Montagne, & à l'entrée de la Place d'Espagne, estoient chargez d'une infinité d'Oranges & de Citrons, qu'on y avoit attachez, aprés les avoir vuidez pour les remplir d'huile. La lumiere qui les rendoit transparens, les faisoit paroistre aussi frais & aussi beaux qu'avant qu'on les eust cueillis. Cette Illumination se fit au bruit des Trompetes & des Hautbois. Vis à vis des deux Sallons estoit un grand échafaut, sur lequel on avoit placé les Musiciens & la Simphonie. Le fameux Archange Bolonois [Corelli] en avoit fait la composition, & il avoit assemblé tous les meilleurs Violons de Rome. Deux voix accompagnées de la Simphonie chanterent d'abord des Vers à la loüange du Roy, & on leur presta un fort grand silence. Au signal donné pour allumer les feux d'artifice, on fit une décharge de cent Boëtes. [...]

Le mesme jour, Mr le Cardinal Maldalchini fit des réjoüissances particulieres, & quantité de rafraichissemens furent distribuez par son ordre aux Dames & aux Seigneurs. Tous les Partisans de France marquerent aussi leur joye par de grandes illuminations, & quoy que M. l'Abbé Elpidio Benedetti, Agent des affaires de France, eust fait ce soir là la mesme chose, il voulut signaler encore son zele le lendemain, en se distinguant par un grand Feu d'artifice & par une superbe décoration, qu'il fit faire en sa Maison, située prés l'Eglise de Nostre-Dame de Monserrat. Il eut soin de faire illuminer les Maisons voisines, afin que la Feste eust plus d'éclat. Sur une terrasse qui est au dessous de la sienne, estoit une espece de Theatre, où quantité d'Instrumens & de Hautbois firent entendre une Simphonie tres-agreable. Il y avoit aussi une excellente Musique, composée des plus belles voix de Rome. [...]

[Service solemnel pour Madame Brulart de Sillery] §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 297

 

Je vous ay appris la mort de Dame Marie Eleonore Brulart de Sillery, Abbesse du Monastere Royal de Saint Pierre d'Avenay, & je vous diray presentement que le jour qu'on fit un Service solemnel pour cette Abbesse, l'Oraison Funebre fut prononcée par le Pere Floriot, Docteur en Theologie, Theologal de l'Eglise de S. Quiriace de Provins, Exprovincial, Vicaire, & Commissaire General de la Congregation de la Province de France, de l'Ordre de Saint Dominique. Cette piece d'éloquence receut de si grands applaudissemens, que l'on n'a pu refuser de la donner au Public, afin de satisfaire la curiosité de ceux qui ne l'ont point entenduë. [...] Les actions de graces qui avoient esté commencées de son vivant, pour l'heureux retour de la santé du Roy, ont esté continuées dans cette Maison, où l'on chante tous les jours l'MExaudiat. [...]

[Extrait de l’Oraison Funebre de Monsieur le Prince faite par le Pere Bourdalouë] §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 307-331

 

L’Oraison funebre de feu Monsieur le Prince faite par le P. Bourdalouë n’est point encore imprimée, & c’est un ordre bien difficile à executer que celuy que vous me donnez de vous en entretenir, en attendant qu’elle soit renduë publique. Ce n’est pas sans peine que je me résous à vous satisfaire. Ma memoire chargée de toutes les nouvelles que je me suis engagé de vous mander chaque mois, ne pourra me fournir dequoy remplir l’idée que vous devez avoir d’un Ouvrage qui a fait l’admiration de tous ceux qui en ont pu juger par eux mesmes ; & j’auray de la peine à rappeller ce que i’avois oublié dans la pensée que cette Oraison funebre seroit imprimée autant qu’il falust finir ma Lettre. Soyez donc persuadée que je ne vous en parle que pour contenter vostre impatience, & que tout ce que je vay vous en dire ne scauroit approcher des moindres beautez de cet excellent Panegyrique.

Il dit dans son texte qui étoit tiré du Livre des Rois, qu’il estoit mort, un Grand & tres Grand, & en fit ensuite une tres juste application à la mort de Monsieur le Prince ; puis s’estant expliqué sur ce qu’il ne vouloit point faire d’Eloge, il dit qu’il parleroit seulement des qualitez d’un cœur Chrestien, (& ce cœur estoit celuy de Monsieur le Prince), & que quoy qu’il dûst passer par dessus les choses qui avoient fait briller une si belle vie, il auroit de la peine mesme dans le peu qu’il se proposoit de dire à remplir ce qu’on pouvoit attendre de luy. Que les actions de feu Monsieur le Prince estoient de celles qui sont generalement connuës, & que s’il luy échappoit quelques unes de celles qu’il devoit marquer, il les chercheroit dans les cœurs de ses Auditeurs. Comme le sujet de son discours regardoit le cœur, parce que le cœur de Monsieur le Prince est inhumé dans l’Eglise des Jesuites appellée de S. Louis, il partagea son discours en trois points, qu’il fit voir estre autant de qualitez du cœur de ce grand Prince. Ces trois qualitez estoient celles d’un cœur solide, celles d’un cœur droit, & celles d’un cœur Chrétien.

Il dit que le cœur solide avoit la force de supporter sa gloire, & ne s’en laissoit point éblouir, que le cœur droit gardoit son caractere, mesme pendant les déreglemens ausquels les hommes sont sujets, & que le cœur Chrestien faisoit connoistre ce qu’il est, par sa pieté, & par la mort Chrétienne de celuy qui possedoit veritablement un cœur Chretien. Il ajousta que ces trois points pouvoient avoir du rapport à la Lettre que feu Monsieur le Prince avoit écrite au Roy un peu avant sa mort, où il parloit du commencement, du milieu, & de la fin de sa vie.

Ce grand Orateur fit voir dans le premier point qui regardoit le cœur solide, de quelle maniere Monsieur le Prince avoit, pour ainsi dire, triomphé de sa gloire, en ne se laissant point ébloüir à l’éclat, dont elle offusque ceux mesmes qu’elle éleve, & pour mettre en son jour la solidité du cœur du Prince dont il parloit, il crut qu’il le devoit depeindre entier, mais avant que d’entrer dans cette peinture, il en fit une pour luy servir de prelude, de tous les defauts qui sont meslez aux grandes qualitez des hommes qui brillent le plus dans le monde. Il peignit des Braves sans esprit qui mettent leur ignorance à couvert de leurs Exploits ; des hommes d’esprit qui n’ont point de jugement, & beaucoup d’autres qui paroissent avec éclat dans de grands emplois, & qui hors les choses qui regardent ces emplois ne donnent aucunes marques d’esprit Enfin il parcourut une grande partie de tous les Etats, & de tous les caracteres des hommes, & aprés avoir fait connoistre que les plus parfaits avoient des defauts, il fit voir que feu Monsieur le Prince n’en avoit eu aucun, & dit en faisant son application à ce Prince, qu’on avoit vû un homme parfait, qu’il falloit des Siecles pour en produire un semblable, qu’on en avoit vû un, & qu’on n’en verroit peut-estre plus. Il fit ensuite une peinture de l’état de la France aprés la mort du feu Roy, & peignit les divers mouvemens d’une Regence tumultueuse, & les differens Partis que font former pendant ces temps difficiles, les interests opposez des Princes & des Courtisans. Il passa de là à l’esperance que l’Espagne fondoit sur nos desordres, & fit voir de quelle maniere feu Monsieur le Prince dissipa toutes nos frayeurs en gagnant la bataille de Rocroy, & conduisant nos Armées avec toute la prudence d’un grand Capitaine dans un âge, où il sembloit qu’il luy devoit estre difficile de se conduire luy-mesme. Il fit connoistre par là & par les autres victoires de ce Prince que rien n’estoit plus solide que sa gloire, & qu’il en estoit digne, puisqu’il en avoit toûjours supporté l’éclat avec une égale moderation, qu’il n’en avoit point esté ébloüy, qu’il n’avoit jamais rien écrit à son avantage, mais qu’il avoit toûjours tâché d’élever ceux qui l’avoient accompagné dans le péril, ayant en toute occasion rendu justice au merite, & n’ayant jamais manqué à personne ; de sorte qu’on pouvoit dire de luy, qu’il avoir toûjours esté bon Pere, bon Amy & bon Maistre. Il dit encore pour faire voir la solidité de la gloire de Monsieur le Prince, que bien qu’il n’y eust point d’homme au monde plus capable que luy d’écrire des mémoires de sa vie, qui auroient pû servir à son Histoire il n’avoit jamais voulu y consentir, & qu’il avoit toûjours dit que c’estoit l’Histoire du Roy qu’il falloit écrire. Il prit de là sujet de parler de l’amour que Monsieur le Prince avoit pour Sa Majesté, & de la confiance & de l’estime de ce Grand Monarque qu’il avoit regagnée par ce grand amour. Il fit connoistre en parlant de la solidité de sa gloire, les ordres severes qu’il donnoit pour empescher les impietez des Troupes, & n’oublia pas de dire qu’aprés le gain d’une bataille, il en faisoit toûjours rendre graces à Dieu par toute l’armée, & le remercioit à genoux. Il fit enfin un portrait de tout ce qui pouvoit mettre de la vanité dans le cœur de l’homme le plus moderé, & fit voir qu’en quelque occasion que ce fust, Monsieur le Prince s’estoit toûjours possedé au milieu de sa gloire, & qu’ainsi l’usage qu’il en faisoit le rendoit beaucoup plus grand que la gloire mesme dont il se couvroit continuellement, puisqu’il estoit capable de la supporter.

Comme le second point regardoit le milieu de la vie de ce Prince, pendant lequel il sembloit que ce grand Astre eust esté éclipsé, le Pere Bourdalouë fit voir qu’il y avoit des éclipses plus brillantes que la lumiere, & voulant ensuite prouver la droiture d’un cœur, mesme dans les égaremens de la vie, & dans les déreglemens qui nous éloignent de Dieu, il dit qu’aucun de ceux qui avoient parlé de Monsieur le Prince n’avoit osé toucher cét endroit, quoy qu’on ne le pust ignorer, mais qu’il ne lais-Teroit pas d’en dire beaucoup de choses, par ce qu’il estoit seur de donner par là un tres grand éclat à la gloire de ce Prince. Il le peignit dans ses relâchemens pour Dieu & pour le Roy, & fit voir à l’égard des derniers qu’il s’y estoit trouvé forcé, mais que son cœur n’avoit jamais esté égaré pour le Roy ; qu’il s’estoit toujours souvenu de ce qu’il devoit à Sa Majesté ; qu’il l’avoit toujours fait connoistre au Prince son fils dans le temps qu’il estoit hors du Royaume, & qu’il luy avoit toujours recommandé un grand attachement, & un grand amour pour la personne du Roy ; que dans ce temps de son relaschement rien n’estoit égal au chagrin qu’il en souffroit, mais qu’il estoit engagé, & que cependant au milieu de ce relâchement il faisoit tout ce qui pouvoit marquer un bon cœur, & mesme de l’attachement pour le Roy, quoy qu’il en fust éloigné, & qu’il fust dans un Party contraire, puisqu’il avoit plusieurs fois refusé ce qui pouvoit l’en éloigner davantage, n’ayant jamais voulu accepter de souverainetez, quoy qu’on luy en eust souvent offert. Il parla du desinteressement de ce Prince dans la Paix des Pirenées, & fit voir qu’il n’avoit point voulu que ses interests empeschassent qu’on ne la conclust, & qu’en cette occasion l’amitié du Roy estoit tout ce qu’il avoit souhaité Il finit la premiere partie de ce second point en prouvant que rien n’estoit plus glorieux au Roy que le chagrin que feu Monsieur le Prince avoit eu de n’estre pas dans ses bonnes graces, & les remords qui l’avoient continuellement agité. Il fit voir dans la seconde partie de ce point qui regardoit la droiture du cœur de Monsieur le Prince à l’égard de la Religion, que dans son plus grand relâchement il avoit toujours connu Dieu, & qu’il n’avoit jamais eu aucune pensée qui approchast de l’Atheisme, ce qui luy donna lieu de faire une tres-belle peinture des Athées ; il en fit aussi une pour marquer de quelle maniere Monsieur le Prince avoit pris plaisir à s’éclaircir de toutes les choses qui regardoient la Religion, & comme il avoit toujours esté penetré des veritez qu’elle enseigne, & il s’attacha à faire connoistre que la droiture du cœur de ce Prince pour la Religion, estoit une preuve de sa bonté, & une conviction pour les Athées.

Son dernier point regardant la pieté du cœur Chretien, il dit qu’un Heros Chretien n’attendoit pas le moment de sa mort pour se preparer à quitter la vie, & fit une tres belle peinture des detours qu’il faut prendre pour parler de la mort aux personnes qui sont tellement attachées au monde qu’elles ne peuvent sans se faire une extrême violence entendre parler de le quitter, & à qui le mot de Sacrement fait tant de peur. Il parla ensuite de la maniere dont Monsieur le prince s’estoit depuis long-temps preparé à la mort, de sa constance, & de sa fermeté, & fit un éloge de Madame la Duchesse, à present Madame la Princesse, dont l’exemple avoit beaucoup servy à le détacher du monde. Il fit voir comme il s’étoit arraché à luy mesme en s’arrachant à ses Enfans, pour ne penser qu’à la mort, & comme il avoit souhaité de soufrir encore davantage qu’il ne soufroit. Cela fut suivy d’une peinture de sa mort Chretienne, qui marquoit une ame predestinée, & il dit pourtant qu’il n’entreprenoit pas de la faire aprés l’illustre & sçavant Prelat qui l’avoit faite avant luy ; puis il dit par rapport à ses trois points que ce Prince avoit supporté sa gloire dans sa grandeur, conservé sa foy dans ses égaremens, & enseigné au Prince son fils ce qu’il devoit au Roy, & souffert ses douleurs, & l’atteinte de la mort avec toute l’égalité d’un cœur solide, aprés quoy il fit un court éloge de Monsieur le Prince d’aujourd’huy & dit que sa modestie l’empeschoit de le loüer. Ensuite il s’adressa à tous les Peres Jesuites qui estoient alors auprés du cœur de feu Monsieur le Prince. Il leur parla de ce cœur qu’il leur a laissé, & qu’ils ont eu de son vivant, de l’estime que ce Prince avoit pour eux, puis qu’il leur avoit confié l’éducation des Princes ses enfans, de la protection qu’il leur a toujours donnée, & finit en leur disant que tant que leur Corps subsisteroit, ils devoient faire connoistre dans l’un & dans l’autre monde, & les grandes qualitez de cét incomparable Prince, & l’estime, & la bien-veillance dont il les avoit toujours honorez. Voilà, Madame, tout ce que j’ay pû retenir de cette Oraison funebre dont on a parlé avec tant d’éloges. Je puis en avoir transposé quelques endroits en rapportant sur un point ce qui aura esté dit sur l’autre. La memoire se peut aisément embarasser, lors qu’on voudroit ne rien perdre d’un discours qui est également beau dans chaque partie.

[Sur le livre de voyage du chevalier Chardin]* §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 339-342

Vous n’entendez, dites-vous, parler que du voyage de Mr le Chevalier Chardin, imprimé en Angleterre, en Hollande, & en France. Vous m’en demandez la raison, & ce que c’est que cet ouvrage ; il faut vous éclaircir sur ces deux choses, c’est le Journal d’un voyage fait en Perse & aux Indes Orientales par la Mer noire, & par la Colchide. L’Auteur a parcouru toute la Perse, & l’a traversée en long & en large, il a vû les Mers Caspienne, & Oceane d’un bout à l’autre, & ses Frontieres en Armenie, en Iberie, en Medie, & en Arabie, vers le Fleuve Indus. Ainsi l’on voit dans cet Ouvrage quantité de choses curieuses touchant ces Mers, & ces Païs là, qu’on ne trouve point dans les autres voyages de Perse. Ce Livre contient dix-huit Figures en taille douce tres-curieuses, parmy lesquelles il y en a de fort grandes, il a esté imprimé, in folio en Angleterre, parce que l’Autheur qui demeure à Londres, l’y a fait imprimer. Ensuite comme les Hollandois profitent de tous les Ouvrages qui ont quelque reputation, ils l’ont fait imprimer in douze, & la quantité de matiere d’un in folio ne pouvant entrer dans un in douze, à moins que de le faire d’un caractere fort menu, celuy de cet in douze s’est trouvé si petit qu’on ne le peut lire sans peine, de sorte que le Sr Amaury, Libraire à Lyon, voulant satisfaire le Public, a fait deux Volumes in douze de ce qui estoit en un. Son impression qui est sur de tres-beau papier, est belle & correcte, & l’on peut dire qu’elle est la plus complete des trois qui ont esté faites, parce qu’il y a fait ajoûter des remarques presque en chaque page qui épargnent au Lecteur la peine de chercher beaucoup d’endroits.

[Sur le livre des Epistres Morales & Académiques de Sabatier]* §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 342-343

Ces deux Volumes se trouvent à Paris dans la court neuve du Palais au Dauphin, chez le Sieur Gueroult, qui debite aussi un Livre nouveau, intitulé, Epitres Morales & Academiques. Elles sont de Mr Sabatier, de l’Academie Royale d’Arles, sur divers sujets traitez en vers d’une maniere fort agreable. Il y en a 54. & asseurement vous trouverez cet Ouvrage tres-digne de son Autheur, qui s’est acquis beaucoup de réputation en le donnant au Public.

[Sur le livre de voyage au Siam de l’abbé de Choisy]* §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 343-347

On a vû paroistre aussi depuis peu de temps un Journal fort curieux & fort estimé. C’est celuy du Voyage de Siam. Aprés tant de differentes Relations qui en ont esté faites, vous serez sans doute surprise d’entendre encore parler d’un gros Volume in quarto sur cette matiere. Comme le Roy fait tout avec une prudence & une penetration inconcevable, Sa Majesté ayant nommé Mr le Chevalier de Chaumont son Ambassadeur auprés du Roy de Siam, nomma Mr l’Abbé de Choisy pour y demeurer en la mesme qualité, aprés le départ de ce Chevalier, en cas que le Roy de Siam se fist Chretien, ainsi que plusieurs personnes qui l’avoient souvent entretenu se l’estoient persuadé. Mr l’Abbé de Choisy promit en partant à Mr l’Abbé de Dangeau, que depuis le jour de son embarquement à Brest, jusques à celuy de son debarquement dans le mesme Port, il luy écriroit tous les jours une Lettre de ce qui se passeroit pendant son voyage ; qu’il la mettroit à part, & que faute de Courrier, il luy donneroit à son retour toutes ses lettres luy-mesme. Il luy a tenu parole, & il luy fit ce present à son arrivée, en le priant de ne le point donner au public, tant par l’honnesteté qu’il voulut bien avoir pour Mr le Chevalier de Chaumont qui devoit faire imprimer la Relation de son voyage, que parce qu’il ne jugeoit pas à propos de faire voir le jour à des Lettres qu’il avoit écrites d’un stile familier. Ce fut inutilement que ses amis l’en presserent, il y resista toujours, mais enfin l’empressement qu’on a eu de voir ces Lettres les ayant fait passer en diverses mains, il a esté obligé de consentir à cette Impression plustost que de les voir tronquées & mal imprimées. Le nom de M. l’Abbé de Choisy suffit pour vous faire estimer cet ouvrage. Vous y trouverez beaucoup d’agrément d’esprit avec une grande exactitude accompagnée de plusieurs particularitez qui ne sont dans aucune des Relations qui ont paru. J’ajouteray en vous parlant de livres nouveaux, que M. l’Abbé de Fenelon en a fait depuis peu un qui doit estre d’une grande utilité pour ceux qui s’en voudront servir. Il traite à fond de l’éducation des Filles, & le stile en est fort net. L’Auteur s’explique d’une maniere qui ne fait rien voir de difficile dans les choses qu’il propose.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1687 [tome 7], p. 350-351.

Vous avez trouvé un Printemps au commencement de cette Lettre ; voi-cy une autre Chanson du mesme Autheur.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Toutes les fois que je vous voy, doit regarder la page 350.
TOUTES les fois que je vous voy,
Je sens certain je ne sçay quoy
Qui me fait un plaisir extrême.
Mes soins pour vous sont empressez,
Je ne sçay pas ce que vous en pensez.
Pour moy, je crois que je vous aime.
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