[Envoi de l'ambassadeur de l'Empereur à Constatinople]* §

La Victoire que les François remporterent fut cause que le Grand Visir proposa la Paix. Elle ne se fit point, mais on signa le 21. Octobre 1664. une Treve de vingt ans, & c'est celle que les Turcs rompirent en 1683. par le Siege de Vienne.

Lorsqu'elle eut esté concluë, il fut arresté que l'Empereur envoyeroit un Ambassadeur à Constantinople, pour ratifier le Traité, & que le Grand Seigneur en envoyeroit un à Vienne pour le mesme sujet. L'Empereur chargea le sien de presens pour le Sultan, non seulement parce que c'est l'usage, & qu'un Ambassadeur ne seroit pas receu à la Porte, si l'on apprenoit qu'il vinst les mains vuides, mais encore parce que Sa Majesté Imperiale souhaitoit passionnément d'entretenir une bonne correspondance avec les Turcs, & vouloit les engager par toutes sortes de moyens à ne point rompre la Tréve. Ainsi ce Prince se fit un plaisir de faire voir à Vienne de quelle maniere son Ambassadeur feroit son Entrée à Constantinople, & les presens qu'il y envoyoit. Voicy la description de cette Ceremonie.

Les quatre Courriers de Sa Majesté Imperiale qu'on a coutume d'envoyer en Turquie, marchoient à la teste de tout, & estoient suivis de l'Ecuyer de l'Ambassadeur, qui precedoit huit chevaux de main avec de magnifiques harnois. Douze Pages à cheval venoient ensuite, vestus d'écarlate avec des Juste-au-corps en broderie d'or, puis un Maistre d'Hostel, & le Secretaire de l'Ambassadeur, ainsi que plusieurs Cavaliers & Gentilshommes qui devoient l'accompagner. Cette troupe avoit un Etendard rouge, & estoit suivie de douze Officiers qui précedoient huit Trompettes & un Timballier, tous aussi vestus d'écarlate. [...]

[Report de la fin de l’histoire concernant la déposition de Mahomet IV] §

On sceut aussi que le Grand Seigneur devoit partir d’Andrinople sur la fin du mesme mois de Mars pour se rendre à Belgrade au commencement de May, & que le Comte Caprara estoit toûjours fort soigneusement gardé ; qu’il avoit demandé avec beaucoup d’instance la permission d’envoyer des Courtiers à Sa Majesté Imperiale, pour l’informer de l’estat de ses Negociations, mais qu’elle luy avoit toujours esté refusée. Comme il avoit trop de Domestiques, il pria qui on luy permist d’en renvoyer quelques-uns avec un Fils du Comte Nadasti qui l’avoit accompagné dans son voyage, mais on ne luy voulut rien accorder là-dessus, quelques raisons qu’il alleguast pour faire voir que cela ne reculeroit ny n’avanceroit les affaires. Cependant la declaration de la Guerre contre la Hongrie fut confirmée à Vienne, & l’on y apprit que l’ordre avoit esté donné aux Troupes de s’assembler autour de Belgrade le 23, Avril. & que l’appareil estoit extraordinairement grand ; mais quoy que cet armement eust donné beaucoup d’alarmes, on n’en prit pas neanmoins autant que l’on auroit fait, si l’on n’avoit pas esté persuadé qu’il n’y a point de Nation qui exagere plus que les Turcs.

J’avois crû en commençant cette Histoire, en renfermer toute la matiere dans cette Lettre, mais elle m’a insensiblement mené si loin que je me trouve obligé d’en faire une seconde. On peut juger par l’endroit où je m’arreste qu’il me reste des choses bien curieuses à dire. Aussi vous puis-je assurer que quoy qu’il se soit répandu un nombre infiny de Relations touchant ce qui s’est passé de particulier lors que l’on a déposé Mahomet IV. je ne laisseray pas de vous aprendre quantité de circonstances de ce grand Evenement qui n’ont point encore esté publiées. Je poursuivray l’Histoire de cet Empereur & de l’élevation de Soliman III. depuis l’endroit où je la laisse aujourd’huy jusques au premier de Juin, que j’en donneray une seconde Partie qui accompagnera ma Lettre ordinaire.