Mercure galant, mai 1688 (première partie) [tome 6].
Mercure galant, mai 1688 (première partie) [tome 6]. §
[Récit d'un fait fort singulier, & dont il n'y a point encore eu d'exemple] §
Je ne vous diray rien de particulier du Roy au commencement de cette Lettre, mais ce qu'il a fait depuis un mois pour autoriser une Fondation qui n'auroit pû subsister, s'il ne l'avoit confirmée, vous marquera la bonté de ce Grand Prince, & la consideration qu'il a pour les personnes d'une veritable pieté. L'affaire est fort singuliere, & je suis seur que vous n'avez jamais entendu parler d'aucune chose semblable. Il n'y a pas long temps qu'on a publié une Declaration contre toutes les Fondations de la nature de celle qui fait le sujet de cet Article, comme estant contraires à l'usage du Royaume, quand elles se font sans Lettres patentes. Sa Majesté a fait paroistre en cela une juste fermeté, & telle que la doit avoir un Souverain qui est obligé de maintenir tous les droits de sa Couronne. Elle n'a pas laissé cependant de faire grace à une Famille, mais le cas est si nouveau, qu'on ne doit pas s'étonner qu'un Roy Tres-Chrestien ait bien vouly y avoir égard. Voicy ce que c'est. Messire Loüis de Menou, Seigneur de Boussay, Genilly, & autres lieux, après avoir servy dans les vieux Corps dés sa plus grande jeunesse, & donné des marques de son courage en plusieurs Sieges, se retira du service, & se maria. Il eut sept Enfans, trois garçons, & quatre filles, & estant demeuré veuf, il sentit que Dieu l'appelloit aux Ordres sacrez. Il ne put resister à cette voix. Il se fit Diacre, & outre les sept Enfans qu'il avoit, se voyant l'Aisné de plusieurs Freres & Soeurs au nombre de trente-trois, le zele qui l'animoit luy fit prendre le dessein de fonder un Monastere. Il en parla à Mr de Bouthillier, pour lors Archevesque de Tours, qui luy en donna la permission sous le bon plaisir de Sa Majesté. Aussi-tost il acheta une maison appellée la Bourdilliere, dans la Paroisse de Genilly, & il y mit sept de ses Soeurs, dix de ses Nieces, & ses quatre Filles. Je croy, Madame, qu'il n'y a aucun Convent en France, où l'on trouve un si grand nombre de Religieuses, toutes Parentes si proches, Soeurs, Nieces, & Cousines Germaines. Comme par les Lettres d'établissement M. de Menou s'estoit reservé la nomination de la Prieure, il presenta pour la premiere fois sa Soeur aisnée, qu'il tira du Monastere de la Virginité, où estoit alors Abbesse Madame du Port Royal, Soeur de Mr l'Archevesque de Paris. Cette illustre Abbesse, aprés l'Obedience de Mr de Citeaux donnée en forme, permit que la Religieuse nommée allast commencer l'établissement, que Mr de Menou a fait avec de grands frais, dans le seul dessein, qu'une aussi grande Famille que la sienne, ne degenerast en rien des vertus de ses Ancestres, & que ses Filles, ses Soeurs, & ses Nieces, chantassent toutes ensemble les loüanges de Dieu. Il a d'ailleurs son Fils aisné marié, qui ayant sept Filles, en a déjà mis plusieurs Pensionnaires dans ce mesme Convent, qui est desservy par un des Freres des sept Soeurs Religieuses. Il est Abbé de S. Mahé en Bretagne, & ce qui est remarquable, Mr de Menou a encore deux Freres & un Fils Prestres, de sorte qu'on a vû trois Freres servir à l'Autel à la Profession d'une de leurs Nieces, & un Fils officier pendant le Service chanté par sept Soeurs, quatre Filles, & dix Nieces. Leur Maison est originaire du Perche, & fut transplantée en Touraine il y a prés de quatre siecles, par une alliance prise dans la Maison de Boussay, [...]
[Conferences établies par Mrs les Vicaires Generaux de Soissons, avec un Discours prononcé sur le sujet de ces mesmes Assemblées] §
Messieurs les Grands Vicaires de l'Evesché de Soissons n'oubliant rien pour seconder les pieuses intentions de Sa Majesté, dont le zele est venu à bout de réunir tous ses Sujets dans une mesme Religion, ont ordonné des Assemblées, & étably des Conferences dans tous les Doyennez de ce Diocese, pour remedier aux abus de ceux qui suppriment les Reglemens & les Ordonnances Ecclesiastiques. Ils president eux-mesmes à ces Assemblées, & l'ouverture s'en fit le Jeudy 22. du mois passé, dans l'Eglise Collegiale de Saint Vast de Soissons. On commença par la Messe du Saint Esprit, que M. Perrein chanta solemnellement, en qualité de Grand-Doyen de la Chrestienté. [...]
[Ceremonies faites dans l'Eglise de S. Roch, en execution d'une fondation faite pour le Roy] §
Vous vous souvenez des Prieres & des Festes publiques que l'on fit l'année derniere pour le restablissement de sa santé. Je vous en ay entretenuë fort au long dans une Lettre Extraordinaire. Plusieurs n'en sont pas demeurez à ces Prieres, & il y en a beaucoup qui ont fait des Fondations pour rendre les mesmes graces à Dieu tous les ans. Mr le Curé, & Mrs les Marguilliers de S. Roch sont de ce nombre, & le Samedy, premier jour de ce mois, ils firent chanter un Salut avec une magnificence où rien ne fut oublié. Il y eut une excellente Musique, & on eut le plaisir d'y entendre les plus belles voix de France. L'amour qu'on a pour le Roy y attira une si grande foule de Peuple, que toute l'Eglise se trouva remplie. On pria pour luy avec le zele & la ferveur ordinaire.
[Epistre en Vers à M. le Duc de Montausier] §
Si chacun souhaite à ce grand Monarque une vie pleine des prosperitez dont il est digne, chacun exerce aussi son talent à le loüer, & je suis persuadé qu’on a plus fait d’Ouvrages à sa gloire, qu’on n’en a fait pour tous les Rois ses Predecesseurs. Le desir de luy presenter un Poëme à fait adresser à Mr le Duc de Montausier les Vers que vous allez lire. Ils ont de Mr l’Abbé Maurnenet, Chanoine de Beaune, qui luy estoit inconnu, & qui ne pouvoit faire un choix plus judicieux pour le dessein qu’il avoit, cet Illustre Duc estant toûjours prest à servir les gens de Lettres qui ont du merite.
A M. LE DUC
DE MONTAUSIER.Ornement des beaux Arts, & de toute la France,Qui pris soin de former les mœurs de son Dauphin ;Fameux esprit dont l’éloquenceS’ouvre dans tous les cœurs un glorieux chemin.Montausier, c’est à toy que ma Muse s’adresse,Sûre que tu cheris les Filles du Permesse,Elle ose se promettre un favorable accés ;Daigne jetter les yeux sur ce petit ouvrage,S’il pouvoit meriter l’honneur de ton suffrage,Il auroit assez de succés,***Je ne viens pas piqué d’un interest sordideConsacrer à LOUIS & mes soins, & mes Vers ;Epris d’une gloire solideJe viens luy rendre hommage avec tout l’Univers.Cependant à l’aspect d’une Muse empressée,Des adroits Courtisans la Troupe interesséeN’ose au pieds de son Trône accompagner nos pas.Où chercher un Patron dans le siecle où nous sommes ?Il est de grands esprits, il est de sçavans hommes,Mais il n’est plus de Mécenas.***Cent Versificateurs pleins d’une folle audaceEtourdissent la Cour de leurs fades Chansons,Et ces avortons du ParnasseOnt fermé le passage aux dignes Nourrissons.Le bel art de rimer si noble, & si sublimeN’est plus au rang des Arts qu’on vante, & qu’on estime,Un Auteur paroist-il, on cherche à l’éviter.Toy qui connois le prix d’un si divin langage,Rare & fameux Genie, ouvre-moy ce passage,Que sans toy je n’ose tenter.***Ma Muse sur tes pas fidellement guidée,De l’Auguste LOUIS voulant faire un tableau,Prendra sur son front une idéeQui passe ce que l’Art eut jamais de plus beau.Aprés cette faveur, paisible & satisfaiteElle ira méditer au fond de sa retraite,Et moissonner des fleurs dans le sacré Vallon ;LOUIS occupera tous les soins de sa veine,Et pour mieux celebrer ce Heros de la Seine,Tu seras son seul Apollon.
[Le trop curieux Mary, Histoire] §
On a quelquefois des tentations de curiosité qu’il est dangereux de satisfaire ; l’Historiette en Vers que je vous envoye en est une preuve. Elle est de Mr Nadal de Poitiers, Auteur des deux Fables que vous avez leuës avec plaisir dans mes autres Lettres ; l’une du Rossignol & de la Linote, & l’autre de l’Asne, & de l’Avare.
LE TROP CURIEUX MARY.
D’une Femme jeune & jolieL’Epoux avoit cette folieD’avoir le cœur delicat & jaloux,Chose propre à gaster les plaisirs les plus doux.Il voulut penetrer ce qu’elle avoit dans l’ame,Si par hazard elle seroit bien femme,Comme souvent elle en juroit,A rebuter des soins qu’un Amant luy rendroit.Certain Voisin de bonne minePrenoit plaisir à la voir quelquefois.Comme il avoit l’humeur enjoüée & badineIl craignoit qu’elle n’eust sur luy fixé son choixPour quelque amour à la sourdine.C’estoit pendant le CarnavalLa jeune Epouse aimoit le BalLe Mary crut, dans la delicatesseQue sur la moindre chose il se faisoit sans cesse,Que ces endroits ne luy plaisoientQue parce qu’ils autorisoientL’enjoûment & le badinage ;Et pensa que pour démeslerLe panchant d’un cœur jeune & peut-estre volage,Au bal luy-mesme il feroit bien d’aller.De sa Moitié qu’on pria d’une Feste,Sous l’équipage & l’habit d’un BergerIl resolut de tenter la conqueste,Heureux si ses douceurs ne pouvoient l’engager,A consentir aux fins de sa requeste.Il part, suit de son cœur le conseil imprudentEt fait toucher chez l’Intendant.Estant descendu de Carrosse,Il trouve une Assemblée aussi belle que grosse.C’est-là qu’en regardant mille jeunes BlondinsQui font valoir leurs air badins,Et dont à s’occuper les mains toûjours trop prestesAlloient aux petites conquestes,Des Maris si sujets aux accidens facheuxIl craint le sort malencontreux.Dans les transports de son ame jalousePour s’éclaircir de son destin,Tremblant il va se mettre auprés de son Epouse,Et luy dit qu’il est le Voisin ;Il en avoit la taille & pouvoit le paroistre.La Belle qui l’avoit averty de ce BalSousrit en le voyant, & croit le reconnoistre,Un tel début pour le Mary va mal,Son rôle à joüer l’embarasse.Du Voisin par elle attenduIl prend mal à propos la place,Elle sousrit, tout est perdu.L’esprit trop occupé d’une pareille attenteEt de son cœur blessé suivant la seule pente,Sans mieux examiner s’il ne la trompe pas,D’un air doux, carressant & tendre,Elle reçoit mon homme, & puis luy dit tout bas,Vous vous estes bien fait attendre.Que vous menagez mal ces doux momens, helas !Quelques charmans objets qui s’offrent à ma veuë,A peine encor du Bal je me suis apperceuë.Sans vous.… Un aimable embarasL’empesche de poursuivre, elle se taist, soupire,Et par un soupir si charmant,Ne disant rien, elle croit direTout ce qui peut satisfaire un Amant.Quel coup & quel sujet de ragePour le pauvre Mary si vivement blessé !D’une voix composée & d’un souris forcéIl soutenoit fort mal ce fatal personnage,Quand sur le point d’en sçavoir davantageSa main fit je ne sçay commentAux yeux de sa Moitié briller un Diamant,Des feux qu’elle trahit le miserable gage.C’est assez pour la détromper,Ce Bijou reconnu venant à la fraperElle se doute du mistere.Dans cette extremité comment sortir d’affaire ?Tous deux embarrassez, confus,S’expliquoient seulement par un sombre silence,Lors que l’Epoux fut pris à danser ; un refusAuroit blessé la bien-seance.Vous pouvez vous imaginerQu’il ne dansa pas en cadence,Chose dans son desordre aisée à pardonner.Pendant ce temps l’Epouse à fuir est prompte,Elle quitte le Bal & va cacher sa honte,Il ne fut pas long-temps sans l’aller retrouver ;Jugez ce qui dut arriver.***Vous, que peut embarquer en pareil stratagêmeUne délicatesse extrême,Maris, voilà pour vous un avis important.D’une jeune Moitié si le cœur inconstantVous donne de l’inquietude,Il vaut mieux demeurer dans quelque incertitudeQue de vous éclaircir, puis qu’il en couste tant.Et puis, contre ses feux c’est en vain qu’on se ligue,Elle sçaura toujours ménager une intrigue ;Vos soins ne serviront que pour vous mieux tromper.C’est par un tendre amour, c’est par sa complaisanceQu’on peut arrester l’inconstanceD’un jeune cœur qui cherche à s’échaper.Voilà le vray remede, & je n’en sçais point d’autrePour fixer sa legereté.Souvent leur infidelitéVient d’avoir éprouvé la vostre.
[Sur l’auteur d’une lettre touchant les conversions]* §
Je ne vous dis rien de ce discours. Il est difficile qu’on ne s’en laisse persuader, puis que ce n’est point l’Auteur qui parle & qu’il n’est remply que de citations, & de citations incontestables. Ainsi l’on ne peut avoir aucun doute de la verité des choses qu’il veut prouver. Cette matiere me fait souvenir d’une Lettre dont la copie m’est tombée entre les mains. Elle est d’un fort habile-homme qui écrivant il y a quelque-temps à un de ses Amis, sur ce que cet Amy ne pouvoit ajoûter foy à l’Auteur des Nouvelles de la republique des Lettres, lors qu’il rapportoit que le nombre des Temples des Pretendus Reformez en France, montoit il y a six ans à 844. celuy des Ministres actuellement en Charge à 1209. outre 164. qui n’avoient plus d’employ, & celuy des personnes à 564240.
[Galanterie] §
Un Cavalier, aussi spirituel que galant, ayant envie de connoistre une belle Dame, dont le merite faisoit bruit dans une Ville où il arrivoit, découvrit qu’elle estoit aimée d’un Officier que son employ retenoit dans son Regiment. Il feignit d’en estre Amy, & d’avoir esté chargé de luy dire bien des choses de sa part. Il la vit sur ce pretexte, & en fut receu agreablement. La loüange ne déplaist jamais aux Belles. Il en donna beaucoup à la Dame, & ayant remarqué qu’il ne luy avoit pas dépleu, en disant qu’il avoit pris une commission dangereuse, puis qu’elle avoit des yeux tout propres à diviser les meilleurs Amis, il luy envoya le lendemain les Vers que vous allez lire.
A MADAME …
De vostre Amant absent vous peignant les ennuis,Sçavez-vous, belle Iris, que pour mon cœur je tremble,Qu’au sien bien-tost il ne ressemble ?Fidelle à l’amitié je fais ce que je puis,Pour ne trahir en rien celle qui nous assemble,Mais je sens trop, helas ! en l’estat où je suis,Que vous nous broüillerez ensemble.***Je me suis acquitté de ce que j’ay promis ;Vous parlant de ses maux, que pouvois-je plus faire ?Quand je cherche à remplir ce tendre ministere,Faut-il que vos beaux yeux à qui tout est soûmis,Pour sçavoir trop bien l’art de plaire,Nous fasse l’un l’autre ennemis ?***Pour juger de son feu j’en regarday les charmes,J’estois chargé de cet employ,Mais aussi-tost que je vous voy,Pour mon repos quelles alarmes !Vos yeux d’assez méchante foyM’ont fait d’abord rendre les armes.***Epargnez mon cœur en ce jour,Où si l’amitié fait naufrage,Pour m’indemniser du naufrage,Souffrez qu’en vous faisant ma cour,Je retrouve un autre avantageDans les biens que promet l’amour.
[Mort de Jean-Baptiste Amelot]* §
Messire Jean-Baptiste Amelot, Seigneur de Bisseüil, Maistre des Requestes, mort le Jeudy-Saint dernier 15. Avril en sa belle Maison de la Vieille ruë du Temple, qu’il avoit fait bâtir, & qui est fort estimée pour la delicatesse de l’Architecture qu’il y a fait observer. Il faisoit beaucoup de charitez, & estimoit fort les gens de Lettres. Il est mort âgé de soixante & seize ans. Je vous entretins de sa Famille dans ma Lettre de Janvier dernier, quand je vous appris la mort de Dame Charlotte Brulart sa Femme, qui mourut subitement le jour des Rois.
Reproches à une jeune Mariée §
Vous me paroissez trop satisfaite de l'Epithalame que je vous envoyay la derniere fois, pour ne me pas obliger à vous faire part de ces autres Vers du mesme Auteur, c'est à dire, de Mr Diereville, dont je n'avois pas alors appris le nom. Ils ont esté faits pour la mesme personne, & sont comme une suite de l'Epithalame.
REPROCHES A UNE
jeune Mariée.Aimable Iris, quels changemens,On trouve dans ces lieux après vostre Hymenée !On n'entend plus ces InstrumensQui vous faisoient passer sans ennuy la journée,Dont les tons variez & toûjours ravissans,Autrefois enlevoient nos sens.Vostre voix ne fait plus l'agreable mélangeQui rendoit ces concerts si doux.Ah, qu'un tel silence est étrange !On ne vous connoist plus chez vous.On voit que vostre heureux EpouxOccupe vostre esprit sans cesse,Vous ne songez qu'à sa tendresse.Et vous n'avez plus rien pour nous.***Rien n'est durable dans la vie,Ces chants harmonieux qui bornoient vos desirs,Cessent de faire vos plaisirsDepuis qu'à d'autres jeux vostre amour vous convie.Ainsi les Rossignols sous des feüillages verdsFont retentir dans un boccageLe bruit de leurs charmans concertsAvant que l'Hymen les engage ;Mais dés qu'ils en portent les fers,Ils ne font plus entendre leur ramage.Comme nous ces petits OiseauxVeulent multiplier leur estre ;Et lors qu'en leurs Petits l'amour les fait renaistre,Ils prennent tout le jour pour eux des soins nouveaux,Et tous ces soins ne vont qu'à les repaistre.Ces petits Chantres de nos bois,Qui tenoient à leurs chants nostre oreille appliquée,Occupent à chercher & porter la bequéeLes momens qu'ils mettoient à chanter autrefois.***Vous n’avez pas encor de pareils soins à prendre,A quoy passez-vous vostre temps ?Il fuit toujours ; tâchez de rendreDe vos bontez pour nous nos desirs plus contens.N’aviez-vous des talens que pour l’heureux Silvandre ?Vous pouvez avec luy contenter vostre amour,Passer dans ce plaisir les nuits toutes entieres ;Mais accordez à nos prieresDu moins quelques momens du jour.Est-il un plus juste partage ?Pourquoy nous priver d’un tel bien ?Si vous reglez ainsi vostre temps & le sien,N’aura t-il pas sur nous toujours trop d’avantage ?***Du temps passé le flateur souvenirNous fait plaindre nostre disgrace ;Nous regretons celuy qui passe.Et nous craignons encor plus l'avenir.Pour dissiper ces cruelles alarmes ?Reprenez tous vos Instrumens ;Et ces petits delassemensVous feront retrouver en amour plus de charmes.Il y va de vostre interest,C'est pour vostre plaisir autant que pour le nostre ;Enfin ce plaisir ne nous plaistQu'autant qu'il peut faire le vostre.Touchez donc vostre Clavessin,Et faites-nous encor admirer une mainQui fit, en se donnant, tout le bonheur d'un autre.
[Nouvelle Methode pour apprendre la Langue Italienne] §
On trouve de jour en jour des manieres plus faciles pour enseigner en fort peu de temps, tout ce qui regarde les Arts, & les Lettres. Il semble que l’esprit de l’homme augmente toûjours, puis qu’on vient à bout presentement de faire comprendre en peu de mois, ce qui demandoit autrefois des années entieres. On va encore plus loin. On fait qu’un homme se rend habile de soy-mesme, & sans le secours d’un Maistre, dans ce qu’il veut sçavoir, soit pour les Langues, soit pour les Sciences. Il vient de paroistre une nouvelle Methode pour apprendre la Langue Italienne de cette maniere. Elle est de Mr Veneroni, Interprete du Roy en cette Langue ; il a déja fait une Grammaire, & un Dictionnaire qu’on estime fort.
Air nouveau §
Je vous envoye un Air nouveau de la composition de Mademoiselle Vailly, qui l'a apprise d'un des plus habiles Maistres d'Italie. Les paroles sont de feu Mr Gueret, Avocat au Parlement. Il est mort depuis un mois. C'estoit un des plus beaux esprits de ce siecle. Le Journal des Audiences, le Parnasse Reformé, & plusieurs autres Ouvrages qu'il a donnez au Public, parlent assez à sa gloire.
images/1688-05a_203.JPGAIR NOUVEAU.
Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Le Printemps ramene en ces lieux, doit regarder la page 204.Le Printemps ramene en ces lieuxLes Amours, les Ris, & les Yeux,Et redonne à nos champs une beauté nouvelle :Mais pour joüir de ces appas,Et gouster les plaisirs d'une saison si belle,Il faudroit estre heureux, & je ne le suis pas.
[Nomination de M. Matho en tant que maître de chant de la Dauphine]* §
Rien n'est si à la mode que la Musique, & c'est aujourd'huy la passion de la pluspart des honnestes gens, & des personnes de qualité ; mais peu y réussissent comme Madame la Dauphine. Cette Princesse apprend à chanter depuis cinq ou six mois, avec un succés surprenant. Elle a la voix d'une grande douceur, tres-legere, fort étenduë, & le gozier du monde le plus flexible. Elle sçait parfaitement ce qu'elle chante, & c'est toûjours avec le mesme esprit & la mesme grace qui accompagnent tout ce qu'elle fait. Voilà ce qui manque à la pluspart de ceux qui se mêlent de chanter, il faut de l'ame, & une expression juste ; c'est ce qui ne s'acquiert point, & que la naissance donne. Madame la Dauphine à l'oreille admirable, & naturellement sure, en sorte qu'elle chante parfaitement en partie, à deux, à trois, & avec l'accompagnement ; tout luy est égal, Airs & Scenes d'Opera, Airs de Lambert, du Camus, du vieux Boisset & autres avec les doubles. Elle a choisi Mr Matho qui est de la Musique du Roy, pour avoir l'honneur de luy montrer. Il avoit déjà une grande reputation pour sa voix, pour sa maniere de chanter, & pour la science dans la Musique ; & ce que je viens de vous apprendre, acheve de persuader de son merite. Il donna l'année derniere un divertissement en Pastorale, qui fut chanté à Marly devant le Roy, & à Versailles dans les Appartemens, avec un applaudissement general. C'est ce qui a fait souhaiter de l'entendre encore cette année. Il a réussi de mesme. Sa Musique est extremement gracieuse, & de bon goust ; tout en est fort travaillé & bien suivy ; son chant touche, sa simphonie est bien entenduë, & ses Choeurs sont agreables & bien remplis. Mr Morel qui est de la Musique du Roy, & Valet de Chambre de Madame la Dauphine, avoit fait les paroles, qui ont beaucoup plu par le naturel avec lequel il travaille.
[Mort de Mr l’Abbé de Furetiere, avec une Lettre de Mr l’Abbé Tallemand l’ainé, contenant un ample & curieux détail de tous les démèlez qu'il a eus avec Messieurs de l'Academie Françoise] §
J’ay à vous apprendre la mort de Mr l’Abbé de Furetiere, arrivée le 14. de ce mois. Comme il avoit de grands differens avec Mrs de l’Academie Françoise, il donna un Blanc signé à Mr le Curé de Saint Eustache, lors qu’il s’acquitta il y a fort peu de temps, du devoir de Chrestien dans la quinzaine de Pasques. On a lieu de présumer d’un homme qui estoit mourant, que ce Blanc signé donnoit pouvoir à Mr de St Eustache, de l’engager à telles reparations qu’il auroit jugé à propos de luy faire faire pour marquer le repentir qu’il avoit des outrages où il s’estoit emporté dans ses Factums contre tout le Corps de l’Academie en general, & contre beaucoup de Particuliers. L’affaire qui a donné lieu à l’exclusion dont il s’est plaint, a fait tant de bruit, que vous serez bien-aise d’en sçavoir les circonstances. Je ne sçaurois vous en mieux instruire, qu’en vous faisant part d’une Lettre qu’un de mes Amis, revenu de Province depuis un mois, m’a remise entre les mains. Elle luy fut écrite il y a un an ou environ, c’est à dire, dans le temps qu’on declara les Factums de Mr l’Abbé de Furetiere, Libelles diffamatoires. Elle est de Mr l’Abbé Tallemand l’Aisné, premier Aumônier de Madame. C’est un des plus anciens de l’Academie ; & comme il a toûjours esté juste & sage, quoy qu’il ait eu part aux invectives de Mr de Furetiere, il vous sera aisé de connoistre qu’il a dit les choses sans passion, & c’est ce qui vous en fera voir la verité.
A MONSIEUR D. N.
La lecture que je fis il y a deux ou trois jours de quelques Chapitres de la Republique des Lettres, touchant l’affaire de l’Abbé de Furetiere contre Messieurs de l’Academie Françoise, me fit remarquer qu’elle n’est pas bien connuë. Elle fait beaucoup de bruit, mais l’on en parle d’une maniere si bizarre, que je vois bien qu’il n’y a que ceux qui y sont interessez qui en sçachent quelque chose de certain. C’est ce qui m’engage à vous en faire un ample détail, m’imaginant bien que dans un lieu aussi éloigné que la Province où vous estes, vous n’en pouvez avoir rien appris que confusément.
J’entray dans cette Illustre Compagnie le.… & je puis vous assurer qu’il ne s’y est rien fait de considerable que je ne l’aye assez exactement observé. L’Academie se tenoit alors à l’Hostel Seguier, & l’on s’assembloit dans la Chambre de Mr de Prieusac, ancien Conseiller d’Etat. D’abord ce n’estoit que le Lundy de chaque semaine, mais en ce temps-là on prit le Mercredy & le Samedy. Les choses s’y passoient avec assez peu d’application. On y arrivoit à l’heure que l’on vouloit, & l’on en sortoit de mesme. M. de Mezeray s’estoit emparé du Dictionnaire, qui avoit esté abandonné depuis la mort de Mr de Vaugelas, personne ne s’estant voulu charger d’en faire le Canevas, c’est à dire, d’en apporter les mots faits, pour les corriger ensuite, soit qu’on cherchast à s’en épargner la peine, soit qu’on attendist que l’on en fust prié dans les formes. Mr Chapelain entre autres, estoit tres-capable de cet employ, mais il avoit sa Pucelle en teste, & n’eust pas voulu s’embarasser de la composition du Dictionnaire aussi facilement que le fit Mr de Mezeray, qui ne plaignit point sa peine, & qui ne desesperoit pas d’en tirer un jour quelque utilité. Il me souvient que l’on refaisoit alors la lettre C, & je puis dire que cette lettre fut beaucoup mieux faite que celles qui estoient restées dans les Ecrits de Mr de Vaugelas, ce qui se peut voir par la comparaison des unes & des autres. Il se trouva quelqu’un qui fournit beaucoup de phrases qui augmenterent & embellirent le Dictionnaire, de sorte qu’on peut dire qu’il est changé en mieux depuis ce temps-là. On revit ensuite l’A, & le B. Ces lettres seroient en meilleur estat qu’elles ne sont, si Mr de Mezeray eust esté d’une humeur un peu plus accommodante, & ne se fust point entesté du Canevas qu’il nous presentoit. Ceux qui l’ont connu, & qui sçavent combien il avoit d’obstination à soûtenir ce qu’il avoit avancé, & sur tout, quand il s’agissoit des façons de parler dont il s’estoit servy dans son Histoire, tomberont d’accord qu’il estoit bien mal-aisé que nostre Dictionnaire qui se trouvoit entre ses mains, ne s’en ressentist un peu. On avoit beau alleguer de bonnes raisons, il les tournoit en raillerie, & si toutes les voix estoient contre luy, il trouvoit le moyen de les éluder, en n’écrivant en qualité de Secretaire, que ce qu’il luy sembloit à propos. On a travaillé encore entierement sous sa main jusqu’à ce qu’on ait esté transporté au Louvre, & que prévoyant la longueur du Dictionnaire, on a étably jusqu’à trois Bureaux, qui enfin ont esté reduits à deux. J’avoüeray icy que depuis que Mr Colbert a fait donner des Jettons, on a esté un peu plus exact à venir à l’heure, qu’on n’estoit, mais il est pourtant vray que ce sont les mesmes personnes qui composoient les Bureaux d’auparavant, qui composent ceux d’aujourd’huy, & sans doute nous aurions achevé l’S, que, nous revoyons comme le reste des lettres qui sont déja faites, si nous n’avions esté interrompus par les affaires que nous a suscitées l’Abbé de Furetiere, qui depuis qu’il est entré dans la Compagnie, a toûjours eu de mauvaises intentions pour elle.
Il y a plus de vingt ans qu’il s’avisa de vouloir estre Academicien, & comme il avoit quelques Amis, & qu’il ne rencontra guere de Competiteurs, il fut receu à l’Academie. Sa malignité ne nous estoit pas connuë. On croyoit qu’elle ne s’étendoit que sur les Procureurs & autres gens de chicane, contre qui il avoit fait des Satyres. Il est vray qu’il avoit imprimé son Roman Bourgeois, que peu de personnes ont eu la patience de lire, & dont on n’auroit jamais parlé sans sa Lettre dédicatoire au Boureau. Un esprit si mal tourné auroit dû nous faire peur, si on y avoit fait les reflexions qu’on y devoit faire ; mais au lieu d’en juger comme il falloit, on interpreta tout favorablement, & l’on crut que c’estoit un avantage d’avoir un homme si singulier, qui sçavoit mille particularitez, sinon du beau monde, au moins de la Bourgeoisie ; mesme son Epistre au Bourreau fut regardée comme une genereuse censure de la pluspart des Epistres dedicatoires.
Il a vescu parmy ses Confreres assez honnestement, du moins en apparence, durant dix ou douze années. Il a lû quelquefois des Vers à la reception des nouveaux Academiciens. C’estoit ordinairement quelques Fables & quelques Apologues, qui recevoient assez d’applaudissement. Il ne loüoit jamais les autres ; mais aussi ne paroissoit-il pas trop entesté de ses Ouvrages. On dit qu’il a fait quelques Paraphrases sur les Paraboles du Nouveau testament. Je n’en diray rien, parce que je ne les ay pas lûës. Ses manieres n’estoient ny douces ny arrogantes, & comme il avoit la veuë assez mauvaise, cela estoit cause qu’il paroissoit moins civil, & salüoit moins ceux qu’il rencontroit. Cela faisoit aussi que quand il tenoit le Cahier, il l’approchoit si prés de sa bouche qu’on ne le pouvoit entendre, ce qui obligeoit la Compagnie à le faire recommencer. Il s’en mettoit en colere, & quelquefois en une si méchante humeur, qu’il jettoit tout là, & écrivoit souvent le contraire de ce qu’on luy avoit dit.
Il arriva enfin au grand malheur du Dictionnaire, que Mr de Mezeray se trouva mal satisfait de ses Confreres, sur ce qu’ils luy firent plusieurs fois de suite effacer toutes les Phrases qu’il avoit apportées, & que l’on ne trouvoit point non seulement du bel usage, mais mesme de l’usage aprouve parmi le Peuple. Il estoit pourtant persuadé qu’il les avoit consacrées en les mettant dans son Histoire. M. de Furetiere se plaignoit ainsi que luy de ce qu’on n’y vouloit pas faire entrer plusieurs mots des Arts, qui en auroient fait, à ce qu’il disoit, toute la beauté & toute la richesse. Ces deux hommes ne cessoient de se plaindre. L’un faisoit voir un Cahier où l’on avoit effacé toutes les façons de parler, qu’il avoit recueillies chez tous ses Comperes, & dans tous les Quartiers de la Ville, sans même oublier celuy des Halles ; & l’autre, de ce qu’on avoit rejetté les plus curieux Termes de la Chicane, de la Greve, du Port au Foin, & de la Place Maubert. Leur mécontentement les allia étroitement, & ils conjurerent ensemble contre le Dictionnaire de l’Academie.
Mr de Mezeray dans le dépit qu’il avoit de voir tant de belles manieres de parler perduës, pour lesquelles il avoit tant sué, & si inutilement, a souvent menacé qu’il feroit un Dictionnaire cent fois plus beau, & qui ne seroit composé que des choses que nous n’avions pas voulu recevoir ; & M. de Furetiere en protestant contre l’ignorance des Academiciens, a dit hautement, qu’il en feroit voir un cent fois plus utile, & qui contiendroit les Termes les plus curieux de tous les Arts. Ces discours ont esté regardez comme des menaces en l’air, & comme des plaintes frivoles de personnes trop amoureuses de leurs propres sentimens.
Mr de Mezeray estant mort, on jugea à propos d’envoyer quelqu’un des Academiciens en sa Maison, pour voir si dans ses Papiers on n’en trouveroit point qui regardassent nostre Travail. M. l’Abbé de la Chambre & M. l’Abbé de Furetiere s’offrirent d’y aller, & s’y estant transportez, ils nous rapporterent qu’ils n’y avoient point trouvé la Lettre P. dont nous estions en peine, & que nous croyions avoir esté confonduë avec une infinité d’autres Papiers, qui traînoient dans les Chambres du Défunt, Mr de Furetiere qui avoit son interest caché, profita de l’occasion sans que Mr l’Abbé de la Chambre s’en apperceust, & s’empara de toutes les feüilles que Mr de Mezeray, comme Secretaire de l’Academie, avoit soin de retirer de chez le Sieur Petit Libraire, à mesure qu’on les imprimoit. Si-tost qu’il s’en fut saisi, il conceut le vaste dessein de son Dictionnaire universel ; sur tout après qu’il eut acheté des heritiers du Sieur de Margane un Dictionnaire des Arts, que cet Avocat avoit composé, & sur lequel il avoit travaillé plus de quarante ans Avec ce Dictionnaire, & ce qui estoit imprimé de celuy de l’Academie qui alloit jusques à l’M., & les Manuscrits qu’il a trouvez chez Mr de Mezeray touchant les autres Lettres, Mr de Furetiere crut estre en pouvoir de faire un Dictionnaire universel, lequel fourniroit tous les mots communs de la Langue, par le moyen de celuy de l’Academie, qui estoit entre ses mains, & ceux des Arts par le moyen du Dictionnaire du Sieur Margane qu’il venoit d’acheter à juste prix. Par là il pretendoit faire cinq grands Volumes, dont il tireroit de grosses sommes, ce qui luy serviroit à payer ses Creanciers les plus pressez, & à subsister honorablement, & luy feroit acquerir une grande reputation.
Pour parvenir à ses fins, il avoit besoin d’un Privilege. Il s’adressa à Monsieur le Chancelier le Tellier, qui le renvoya à Mr Charpentier, un des Examinateurs de Livres que l’on imprime, & auquel ce Chancelier avoit dit qu’il renvoyeroit tous les Dictionnaires à examiner, de peur que cela ne fist tort à celuy de l’Academie, laquelle fort long-temps auparavant avoit obtenu un Privilege, portant qu’aucun Dictionnaire purement François ne pourroit estre imprimé que vingt ans aprés que le sien auroit esté achevé & cela pour beaucoup de raisons, & entre autres pour mettre en repos l’esprit du Sieur Petit son Libraire, qui faisoit beaucoup de frais pour l’impression de cet Ouvrage. M. de Furetiere demanda à M. Charpentier un Certificat pour son Dictionnaire des Arts, & comme il ne luy montra qu’un certain nombre de Cahiers, où il n’expliquoit aucun des mots ordinaires, M. Charpentier luy donna une attestation, par laquelle il approuvoit son Dictionnaire, dont le Titre ne regardoit d’abord que les Arts, & auquel M. de Furetiere insera ensuite une ligne qui ajouste, Les mots communs de la Langue. Ce Privilege ne fut pas si-tost obtenu que le Sieur Petit Libraire de l’Academie l’ayant appris, nous vint avertir que M. de Furetiere faisoit imprimer un Dictionnaire François, contre le Privilege exclusif de l’Academie. M. Charpentier expliqua à la Compagnie la maniere dont il avoit esté surpris. On se plaignit à M. de Furetiere, & cependant les Officiers qui estoient M. Racine Directeur, & M. Boyer Chancelier, laisserent passer tout le temps de leur Magistrature sans y donner d’autre ordre que d’exhorter M. de Furetiere, de renoncer au dessein qu’il avoit formé de faire un Dictionnaire, où apparemment il feroit entrer beaucoup de choses qui seroient tirées du nostre. C’estoit ainsi que l’usage & la prudence demandoient qu’on en usast. On tâcha d’abord à gagner les gens par des remontrances, & si la justice & leur obstination les ont fait ensuite pousser davantage, ce n’est qu’aprés avoir empployé les voyes de douceur. Enfin l’affaire alla si loin que M. de Louvois en ayant esté instruit, en parla chez luy à ceux qui composent l’Academie des Medailles, dont sont M. l’Abbé Tallemant le jeune, M. Charpentier, M. Quinaut, & depuis quelque temps Mrs Racine & des Preaux avec quelques autres qui ne sont pas de l’Academie Françoise. Quelques jours aprés, M. l’Abbé Tallemant le jeune ayant raporté le discours de M. de Louvois a quelquesuns de la Compagnie avant que tout le monde fust venu, on le pria d’en parler en pleine Assemblée, puis que les Officiers gardoient le silence M. de Furetiere s’y trouva, & ce fut en sa presence que M. l’Abbé Tallemant le jeune dit ce qu’il avoit appris, à quoy M. de Furetiere répondit entre ses dents sans vouloir s’expliquer entierement. La rencontre des Festes de Noël, me donna lieu de luy dire qu’apparemment il ne laisseroit pas passer de si bons jours, sans nous restituer ce qu’il avoit pris de nostre Dictionnaire. Mr de Benserade luy dit quelque chose d’approchant. Mr Boyer, M. le Clerc, M. de la Fontaine en firent à peu prés de même. M. Charpentier, M. Quinaut, M. d’Aucourt, M. Perraut, M. de Lavau, M. Renier, & M. Doujat, luy remontrerent le tort qu’il avoit. Il les écouta sans leur témoigner aucun chagrin de leurs remontrances, mais il semble qu’il les ait distinguez de tous les autres, puis qu’il les à particulierement attaquez dans ses Factums.
La Direction de M. Racine estant finie, M. le Premier President fut Directeur. M. de Furetiere crût par là avoir trouvé une grande protection, se fondant sur l’amitié de M. de Gone, qui demeure chez M. le Premier President. En effet ils engagerent cet Illustre Magistrat malgré ses grandes occupations, à venir à l’Academie, à laquelle il proposa que pourvû qu’on suspendist la plainte qu’on avoit dessein de faire à M. le Chancelier de la surprise du Sceau, il acommoderoit toutes choses. On y consentit. On nomma quatre personnes du Corps qui se rendirent à son Hôtel, & M. le Premier President estant demeuré convaincu que l’Abbé de Furetiere avoit tort, dit ; Que jusque-là il l’avoit connu pour homme de mauvais goût, mais qu’il commençoit à le connoistre pour homme de mauvaise foy. M. de Furetiere ne voulut point executer ce qu’avoit prononcé M. le Premier President, qui estoit de nous rendre ce qu’il nous avoit pris, & de s’en tenir au Dictionnaire des Arts. Il voulut soutenir son Privilege, il nous fit plusieurs chicanes, mais enfin son Privilege fut revoqué par feu M. le Chancelier le Tellier.
Dans ce temps-là, on employa toutes sortes de moyens pour le faire revenir à soy, & pour l’obliger de renoncer aux pretentions qu’il avoit toûjours de faire imprimer son Dictionnaire. Plusieurs personnes de l’Academie luy parlerent, & Mrs Racine & des Preaux ses meilleurs amis, se servirent du pouvoir qu’ils croyoient avoir sur son esprit, mais ils n’en purent obtenir aucune chose, & comme on vit qu’au lieu de changer de procedé il avoit écrit une Lettre au Roy à la teste de ses Essais, où il y a beaucoup de choses pleines de mépris pour la Compagnie, & de peu de respect pour son Auguste Protecteur, dont il se dit, Le tres-affectionné serviteur, & le signe ainsi, on jugea à propos de s’assembler & de voir s’il estoit destituable, le tout estant soumis à la volonté de Sa Majesté, La Compagnie s’estant trouvée assemblée au nombre de vingt selon les Statuts, on fit un Scrutin, & il se trouva dans la Boëte où l’on met les boules pour le Scrutin, dix-neuf boules noires, & une seule blanche. Ensuite ceux qui estoient en charge en ce temps-là porterent leurs memoires au Roy touchant les raisons de la destitution de l’Abbé de Furetiere. On vouloit d’abord ajoûter à ces Memoires plusieurs choses touchant sa conduite, mais la Compagnie trouva ce détail indigne d’elle, & se contenta de faire dire à sa Majesté, qu’outre les raisons particulieres qu’on avoit de se plaindre de Mr de Furetiere, on pouvoit encore asseurer que ce n’estoit pas un homme dans l’ordre. Sur quoy Sa Majesté répondit avec cette presence d’esprit qui l’accompagne toûjours, que nous ne devions pas l’avoir receu, s’il estoit tel que nous le disions, à quoy Mr Roze qui estoit present, replique avec beaucoup de respect, que nous ne le connoissions point alors, comme nous l’avons connu depuis. On dit que le Roy parlant de cette affaire à un Academicien qui est de la Cour, cet Academicien répondit à SA MAJESTÉ qu’il ne croyoit pas que la destitution de l’Abbé de Furetiere fût bien faite, parce qu’il auroit fallu avertir les Academiciens par des Billets, ce qu’il ne sçavoit pas qu’on eust fait. Apparemment il n’avoit pas receu son Billet d’avertissement, comme tous les autres chez qui on l’avoit porté. Ce discours, quoy que fait sans aucun mauvais dessein, ne laissa pas de produire un mauvais éffet, & suspendit ce que nous demandions à sa Majesté c’est à dire, la permission de remplir la place que nous venions de juger vacante. Cependant Mr de Furetiere fit courir un Libelle injurieux contre les treize qui luy avoient fait des remontrances à l’Academie. Ce Libelle fut donné d’abord en Manuscrit. Mr des Preaux nous le communiqua à tous, & l’on ne croyoit pas que son Auteur s’oubliast jamais assez pour le faire imprimer. On le fit voir à la Cour, & l’on dit mesme que l’on en leut quelque chose au Roy. Cela donna de la curiosité aux Courtisans, de la vanité à Mr de Furetiere, & de la satisfaction à ceux qui feignant de le blâmer, le faisoient valoir sous mains & s’interessoient à ses loüanges.
Depuis ce temps-là, Mr de Furetiere a donné des Essais, pour faire voir ce que doit estre un jour son Dictionnaire, & l’on peut dire que dans ces Essais il n’y a presque rien de raisonnable, que ce qu’il a tiré du Dictionnaire de l’Academie. Cependant cela luy fait honneur dans le monde, parce qu’on ne voit pas les endroits, où il a pris ce qu’il a de meilleur, & il est d’assez méchante foy, pour dire un jour, s’il est encore vivant quand nous ferons paroistre nostre Dictionnaire, que c’est de luy que nous avons pris tout ce que nous avons de bon.
Je ne finirois jamais si je voulois refuter toutes les calomnies qu’il profere contre l’Academie, & sur tout contre les treize qui la composent ordinairement. Elles sont si exagerées qu’elles se détruisent d’elles-mesmes. A l’egard du general il n’auroit rien à dire, si on luy ostoit les reproches de la longueur de son Travail, à quoy Mr l’Abbé Renier a répondu amplement dans les écrits qu’il a presentez à Mr le Chancelier, & sans les Jettons qu’il fronde sans cesse & dont il estoit aussi curieux qu’aucun de ses Confreres, puis qu’il venoit toûjours une heure avant les autres, si ce n’est qu’il se veuille excuser en disant, qu’il ne venoit à l’Academie de si bonne heure que pour transcrire le Dictionnaire dont il n’avoit point encore les feüilles, & qui ne sont en sa possession que depuis la mort de Mr de Mezeray, comme je l’ay déja dit.
Cependant la plus grande injure qu’il dise, c’est que l’on est Jettonnier, ne s’apercevant pas qu’il témoigne par là avoir quelque regret aux Jettons, & qu’il loüe les gens qu’il pense blasmer ; car pour avoir des Jettons il faut travailler, & s’il y a quelque chose de bon dans le travail, il n’appartient qu’à ceux qui ont esté assidus. En effet les autres Academiciens, bien que par leur merite particulier, ils soient tous fort loüables, éstant regardez comme Academiciens, ne le sont pas tant que ceux qui s’appliquent journellement au Travail, & les honneurs qu’il fait aux premiers, sont plûtost des reproches que des loüanges.
Je n’entreray point dans les raisons qui luy ont fait épargner ceux qu’il n’a point nommez dans ses satyres. Je vous diray seulement que Mr de Boucherat, presentement Chancelier, de France, aprés l’avoir voulu inutilement reduire à se contenter au Dictionnaire des termes des Arts, pour lequel on a eu tout de nouveau quelques conferences avec luy chez M, le President de Mesmes, n’en a plus voulu entendre parler, de sorte que Mrs les Magistrats indignez de voir qu’il continuoit à publier ses invectives contre tout le Corps en general, & en particulier contre les treize qu’il avoit déja attaquez, ont donné une Sentence à la requisition de M. le Procureur du Roy, par laquelle ses Factums ont esté declarez libelles diffamatoires, avec défenses de les debiter sous les peines portées par la Sentence, dont on a veu des copies affichées par toute la Ville.
Voilà, Monsieur, ce que je puis vous mander pour vous instruire des choses comme elles se sont passées dans la pure verité. Au reste vous trouverez que ma maniere d’écrire est toute opposée à la sienne. Je n’avance rien qui ne soit veritable & que je ne prouve, au lieu qu’il s’est accoustumé à ne dire aucun mot de verité, ce qui se peut voir par les contradictions qu’on trouve dans ses écrits, & par les faux bruits qu’il fait répandre, comme de dire que Mr le Chancelier à reconnu qu’il avoit raison, mais que pour le bien de la paix, il sortiroit de l’Academie Françoise, à condition qu’on luy donneroit une place dans celle des Sciences, où il auroit mille écus de pension. Ces sortes de bruits, tout faux qu’ils sont, ne laissent pas de trouver des dupes qui les croyent, & il ne luy importe guere qu’on le convainque de faux, pourvû qu’on le laisse vivre, qu’il ne paye point ses dettes, & qu’il médise de tout le genre humain.
Je croy, Madame, que cette Lettre vous satisfera entierement sur la verité du demeslé qui a fait parler de tant de manieres differentes depuis que Mr de Furetiere s’est brouillé avec Mrs de l’Academie Françoise. Il estoit Prestre, & ce caractere devoit l’obliger à prendre une conduite aussi moderée & aussi sage que ceux qui composent cet illustre Corps ont fait. La Satyre rejoüit assez ordinairement, les gens desinteressez, mais comme il est difficile qu’on n’y fasse entrer quelques traits de médisance, parce qu’on cherche bien plus à contenter le goust du Lecteur qu’à l’instruire de la verité de beaucoup de choses, dont bien souvent il n’est pas fort necessaire qu’il soit informé, cela est cause que l’on ne donne pas toûjours à l’Autheur les mesmes loüanges qu’on donne à l’Ouvrage. A l’égard de ce que dit Mr l’Abbé Tallemant l’aisné, que si l’on peut reprocher quelque chose à l’Academie, c’est seulement la lenteur de son travail, les raisons de cette lenteur qu’il est impossible d’éviter, sont expliquées avec tant d’esprit dans l’un des Dialogues de la seconde partie des Dialogues Satyriques & Moraux que le sieur Guerout debite depuis un mois, qu’il n’y a personne qui aprés en avoir fait la lecture ne demeure convaincu qu’un Dictionnaire est un ouvrage qui ne se peut faire sans beaucoup de temps, & que la difficulté en augmente, plus il y a d’habiles gens qui s’en meslent. Je ne suis pas surpris de l’estime que vous me marquez pour cette seconde partie des Dialogues Moraux. J’ay entendu dire à un de nos Illustres qui a le meilleur goust pour les bonnes choses, & le plus de reputation pour les belles Lettres, que celuy qui est entre Pediode & Polymathe, est dans son genre tout ce qu’on peut souhaiter que soit un ouvrage de cette nature. Pediode est un homme qui passe sa vie dans les plaisirs des honnestes gens, & qui pretend contre les maximes d’un Sçavant que toute la science necessaire à l’homme est celle qui se trouve dans le Livre du bon sens, & qui aprend à faire l’accommodement de ses passions & de sa raison, sans outrer les unes, ny avilir l’autre.
[Mort du Pere Mourgues]* §
Le Pere Mourgues, Jesuite, qui est aussi grand Orateur que fameux Poëte & habile Mathematicien, a donné de nouvelles preuves de son éloquence pour la Chaire par ses Predications faites le Caresme dernier, dans la Chapelle Royale des Penitens bleus de la Ville de Toulouse, dans laquelle il avoit fait auparavant avec beaucoup de succés l’Oraison funebre de Monsieur le Prince, qui estoit de cette Confrerie. Elle est des plus illustres du Royaume, & vous n’en douterez pas quand je vous auray appris que le Roy & Monsieur se firent aussi Penitens bleus à leur passage par Toulouse, dans le temps du Mariage de Sa Majesté.
[Sonnet de l’abbé Tessier sur le déplacement du roi à Maintenon]* §
Voicy un Sonnet que le Pere Tessier Jesuite fit il y a quelque temps, sur les travaux que ce Monarque a esté visiter.
AU ROY.
Roy le plus grand des Rois, vostre fameux OuvrageSe doit faire admirer à la Posterité,Et Maintenon prévoit que l’immortalitéFera de son Canal le superbe avantage,***Trente mille Soldats redoublent leur courage,Et suivent les projets de Vostre Majesté.La Nature avec l’art conspire à la beautéD’un Chef d’œuvre où les Dieux semblent luy rendre hommage.***Neptune offre ses Eaux, Minerve ses Soldats ;On abaisse les Monts, ont comble les lieux bas ;Et Mars en cet employ vient seconder Bellone.***Ponts, Ecluses, Bassini, Areades & Canaux,Et vos faits triomphans que la valeur couronne,Surpasse des Cesars la gloire & les travaux.