1688

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, juillet 1688 [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10]. §

[Discours qui fait voir le merite enfermé dans le titre de Grand] §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 11-13, 18-19

 

Jamais on n'a mieux marqué le merite que renferme ce titre de Grand, que fit Mr Corbet, Bachelier de Sorbonne & Curé d'Erennes, dans une Feste qui fut celebrée le jour de S. Yves, par les soins de Mr de S. Gervais, Procureur du Roy de la Ville de Falaise en Normandie. Il y avoit convié toute la Noblesse, & tout ce qui se trouva de Personnes considerables aux environs. Toute la Justice y assista en robes, au nombre de soixante ou quatre-vingt, tant Officiers qu'Avocats, avec plus de cent Ecclesiastiques. La Ceremonie se fit dans l'Eglise de la Trinité, où l'on entendit une fort bonne Musique. Mr Corbet estant monté en Chaire, prit pour texte ces paroles de la Genese, Faisons l'Homme à nostre image & ressemblance, [...]. [Suit le détail du discours.]

 

Après que cette Ceremonie fut achevée, Mr le Procureur du Roy conduisit tout le Corps de Justice dans un appartement tendu de bleu parsemé de Fleurs de lys, où l'on servit un repas avec autant de magnificence que de propreté. Madame de Saint Gervais sa Femme, regala de son costé toutes les Dames chez elle, & l'on n'entendit de toutes parts que des Violons meslez de cris de Vive le Roy.

[La Gloire & le Génie] §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 19-33

 

Comme chacun travaille diversement à la gloire de ce Prince, aprés vous avoir parlé d’un ouvrage d’Eloquence, je puis vous en faire voir un de Poësie, dont Mr l’Abbé de Maumenet est l’Auteur. La Gloire & le Genie qu’il y fait parler, meritent bien que vous ayez de l’attention pour ce qu’ils disent.

LA GLOIRE
ET
LE GENIE.

Quand LOUIS animé d’une juste vangeance
Au gré de sa valeur étendoit sa puissance,
Et que seul il domptoit tant d’Ennemis divers,
Il se vainquit luy-mesme, & calma l’Univers.
Est-ce ainsi, s’écria la Gloire qui l’anime,
Que ce fameux Heros me cherit & m’estime ?
Compagne si fidelle attachée à ses pas,
Manquay-je de le suivre au milieu des Combats ?
Quand il osa du Rhin tenter l’affreux passage,
Du Chef & des Soldats j’échauffois le courage ;
Quand il osa braver l’orgueil des Elemens,
Je fis tout obeir à ses commandemens.
Le Comtois alarmé vit sous ses coups terribles
Tomber pendant l’hyver ses Rocs inaccessibles.
Belge, Ibere, Germain, Bataves éperdus,
Malgré vostre union vous fustes confondus.
Lors que le front couvert d’une noble poussiere
Je frayois le chemin à son ardeur guerriere,
Où n’ay-je point semé le bruit de sa valeur ?
Du Midy jusqu’à l’Ourse on connoist sa grandeur ;
Genes humiliée, Alger encor fumante
Ont ressenty les coups de sa main foudroyante,
Et loin de consommer ses rapides projets,
Quand il peut tout soumettre, il accorde la Paix.
Cette indigne Rivale à mes yeux preferée,
Me bannit de son cœur où j’estois adorée,
Et LOUIS par mes mains tant de fois couronné
Dédaigne les Lauriers dont je l’avois orné !
C’est ainsi qu’elle parle au celeste Genie,
Dépositaire heureux d’une si belle vie.
A ces mots le Genie attentif, & surpris
Voulut par ce discours rassurer ses esprits.
Connois mieux un Heros que l’Univers admire,
Dit-il, & ne crains rien sous son heureux Empire.
Il sçait l’art d’accorder les armes & les Loix,
Et pour luy la Paix mesme est feconde en exploits.
S’il fit regner le calme au milieu de la guerre,
Au milieu de la Paix il fait trembler la terre.
Cesse-t-il d’étaler sur l’Empire des eaux
Le terrible appareil de ses fameux Vaisseaux ?
N’a-t-il pas en tout temps de nombreuses Armées,
Aux penibles travaux sans cesse accoutumées ?
Bien loin que la molesse entre dans ses plaisirs,
Il n’est pas moins actif en reglant ses desirs.
Sa prudence est la loy que sa valeur écoute,
Et moins il fait de bruit, & plus on le redoute.
Dans ce calme profond l’Univers alarmé,
Craint toujours un Vainqueur qu’il voit toujours armé.
Ses Ecoles de Mars si justement vantées
L’ornement & l’appuy des Provinces domptées,
Ouvrent à la Noblesse au milieu de la Paix
Un champ que luy fermoient tant d’Ennemis défaits.
C’est là que mon Heros sans bruit, sans funerailles,
Cultive la valeur dans l’essay des Batailles,
Et que Mars à l’Olive unissant les Lauriers,
Ceint doublement le front de ces jeunes Guerriers.
Voy les sur des Coursiers partant de la Barriere,
D’un air plein de fierté fournir une carriere,
Les armes à la main s’exercer avec art,
Tracer le juste plan d’un orgueilleux Rampart,
Et malgré la splendeur d’une illustre naissance,
Apprendre à commander par leur obeissance ;
Sans craindre les chaleurs, sans craindre les frimats,
Remplir tous les devoirs du moindre des Soldats.
Voy les pour adoucir un si rude exercice,
Unir l’art de la danse à l’art de la Milice,
Et sous un Prince aimable autant que redouté,
Accorder la douceur avec la majesté.
Eprise injustement de la pompe Romaine,
Tu couronnois jadis cette adresse inhumaine,
Qui vouloit dans le sang de ses Gladiateurs,
Aguerrir la Jeunesse en corrompant les mœurs.
Dans des jeux innocens Louis plus magnifique,
Sçait instruire & sçait plaire en sage politique,
Humanise à son gré le Demon des combats,
Et sçait regler le cœur en exerçant le bras.
Le barbare Duel, l’audacieux Blasphême
Redoutent de ses loix la majesté suprême,
Et des sacrez Autels le culte rétably
Est l’ouvrage étonnant de ce Prince accomply.
C’est peu qu’auprés des murs d’une superbe Ville
L’invalide Soldat trouve un Royal azile ;
LOUIS ne borne pas sa liberalité
A combler de bienfaits ceux qui l’ont merité,
De l’arbitre du Ciel imitant la conduite,
Par ses dons prevenans il forme le merite ;
Tan ; de jeunes Guerriers dans les beaux Arts instruits,
De leurs esprits formez luy devront tous les fruits.
Rien n’échappe à ses soins ; sa vaste prévoyance
Veut encor du beau Sexe assurer l’innocence.
Tantost sa main Royale anime la valeur,
Tantost elle soutient la timide pudeur.
Tu verras élever un pompeux édifice,
Et former pour l’Etat une chaste Milice,
Qui sans sortir du monde en fuira les abus,
Et joindra l’art de plaire aux solides vertus.
Les Graces, de ces lieux hostesses fortunées,
Par la main de LOUIS s’y verront couronnées ;
La Chasteté tranquille y regnera toujours
Sans craindre l’indigence & les folles amours.
Parmy tant de grandeur, tant de magnificence,
Est-il quelque vertu qui n’ait sa récompense.
Quel Demon oseroit y troubler la pudeur,
Quand pour mieux assurer sa paix & son bonheur,
Le plus sage des Rois au beau Sexe destine
Un modelle parfait, une illustre Heroïne,
Qui joint au bel esprit le sublime sçavoir,
Et l’éclat des grandeurs aux regles du devoir ?
A bien former les mœurs de la jeune Noblesse,
Qu’il est beau de la voir signaler sa tendresse,
Et par mille faveurs, mille soins genereux,
Vanger d’un sort ingrat les Peres malheureux !
Que ne luy devront point tant d’illustres Familles,
Que sa bonté soulage en élevant leurs Filles ?
Que ne luy devront pas tant de dignes Sujets,
Sur qui dans l’avenir elle étend ses bienfaits ?
Voy comme à ses costez une Troupe choisie,
Entre dans les sentiers où sa voix la convie,
Tantost en s’exerçant avec dexterité,
Le Canevas en main dompte l’oisiveté ;
Tantost en se meslant avec le Chœur des Anges,
Celebre du Tres-haut les divines loüanges,
Et tantost meditant avec soumission,
Remplit tous les devoirs de la Religion.
Ainsi, Gloire, LOUIS juste dans sa conduite,
Dispense les emplois, couronne le merite,
Se rend de l’Univers & l’amour & l’effroy,
Et se montre un bon Pere aussi-bien qu’un bon Roy.
Est ce assez pour calmer tes soupçons & ta crainte ?
Te reste-t-il encor quelque sujet de plainte,
Et Loüis agissant dans un noble repos,
Sans forcer de ramparts est-il moins un Heros ?
A de nouveaux projets son grand cœur me rappelle,
Adieu, Gloire, il est temps de luy marquer ton zele ;
Fais par tout retentir ses exploits inoüis.
 A ces hautes vertus je reconnois LOUIS.
Dit-elle, allons, allons en tous lieux faire entendre
Ce que la terre admire, & ne sçauroit comprendre.
LOUIS, sans me confondre avec un faux honneur,
Connoist parfaitement ma solide grandeur.
De cent pieges secrets par ses soins delivrée,
Libre je puis voler jusqu’au Ciel Empirée,
Et dans ce beau sejour consacrer les hauts faits
D’un Roy, Grand dans la guerre, & plus Grand dans la paix.

[Description de la Feste de Livry] §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 33-47, 50-57, 61-65

 

Il n'y a point de plaisirs qui conviennent mieux aux Princes, & sur tout lors qu'ils sont jeunes, que le divertissement de la Chasse, parce qu'il est necessaire qu'ils se fassent une habitude des fatigues afin qu'ils puissent suporter plus aisement celles de la guerre. Comme la Chasse en est une Image, il semble qu'ils soient plus naturellement portez à ce plaisir, que ceux qui menent une vie particuliere, & c'est par cette raison que Monseigneur le Dauphin cherche à le prendre dans tous les lieux des environs de Versailles & de Paris, où la Chasse est la plus belle. La Forest de Livry estant des plus propres pour cela, ce Prince y va chasser fort souvent, & il couche mesme quelquefois chez Mr Sanguin, Marquis de Livry, Premier Maistre d'Hostel de Sa Majesté. Vous pouvez croire, Madame, que ce Marquis ressent cet honneur comme il le doit. L'envie d'y répondre d'une autre maniere qu'en donnant à manger à Monseigneur, ce qu'il ne peut faire à cause que la Table de ce Prince le suit par tout, & qu'il ne veut point permettre qu'on fasse de la dépense pour luy dans aucun des lieux qu'il honore de sa presence, le fit travailler secretement à quelques divertissemens pour l'en regaler en le surprenant, mais quelque secret qu'on eust exigé touchant les apprests de cette Feste, il fut impossible de les avancer sans qu'il échapast à quelqu'un de ceux qu'on y employoit. C'est ce qui arrive ordinairement dans toutes les choses qu'on est obligé de confier à un grand nombre de gens. Monseigneur estant allé chasser à Livry, & coucher ensuite chez Mr Sanguin, fut informé de ce qu'on y preparoit. Comme on n'eut plus aucun secret à garder, on travailla librement, & cela donna moyen de rendre la Feste plus magnifique qu'elle n'eust pû estre si on eust toujours esté contraint. Le jour destiné pour la donner, qui fut le trente du dernier mois, Monseigneur arriva à Livry sur la fin de l'aprésdînée, accompagné de Mr le Duc de Vandosme, de Mr le Grand Prieur, de la plus grande partie des Seigneurs qui ont accoustumé de le suivre en qualité de Menins, & de plusieurs autres personnes distinguées. Ce Prince alla d'abord se reposer aux Appartemens, & se mit au jeu peu de temps aprés. Les divertissemens qu'on luy avoit preparez, estant en estat de commencer, il sortit pour les aller prendre, & passa par un lieu delicieux, appellé l'Allée des Chevrefeuils. [...] Au milieu de cette belle allée estoient à droite & à gauche un grand nombre d'Orangers qui en formoient une nouvelle, & faisoient une agreable perspective de Fleurs, jusques au Theatre, qui estoit au bout. Les Caisses de tous ces Orangers estoient peintes en Porcelaines, & representoient les chiffres de Monseigneur, & plusieurs Devises à la gloire de ce Prince. Au devant du Theatre estoit le haut-Dais. Vous sçavez qu'on nomme ainsi la place du Roy, & des Princes du rang de Monseigneur. [Suit une description précise du haut-dais, puis des arcades qui encadrent le théâtre.] L'Orchestre estoit caché d'une hauteur de Gazon figuré en console, sur laquelle estoit un rang de pots de Fleurs qui faisoit face à Monseigneur. [...] Monseigneur s'estant placé dans le milieu du haut-Dais, les plus belles Voix & les meilleurs Danseurs de l'Academie de Musique commencerent le Prologue. Ils representoient les Habitans de Livry. Quelques-uns d'entre-eux avoient des rateaux, & d'autres des ciseaux de Jardinier, & tous ensemble sembloient travailler à l'ornement d'un Jardin. En effet on le voyoit s'embellir à mesure qu'ils donnoient leurs soins pour le parer, s'il m'est permis de parler ainsi. Les uns achevoient d'attacher des festons ; d'autres rangeoient des Orangers, & d'autres se servant de leurs cizeaux pour tondre les palissades, les faisoient mouvoir selon la cadence des Violons. pendant que ceux qui avoient des rateaux emportoient avec ces instrumens, les feüilles que les autres avoient fait tomber. Voicy les Vers qui furent chantez dans ce Prologue.

Deux Jardiniers & une Jardiniere.

 Travaillons, hastons-nous,
 Disposons ces ombrages ;
Nos fleurs y répandront leurs parfums les plus doux,
 Travaillons, hastons-nous.

Deux Jardiniers.

 Les fleurs & les feüillages
  Sont de nos Villages
 Les ornemens les plus beaux,
  Les fleurs & les feuillages
 Sont la pompe de nos hameaux.

[...]

Une Jardiniere.

S'il trouve peu d'attraits dans ce sejour champestre,
Nostre zele du moins attirera ses yeux.

Un Jardinier.

  Il est du sang des Dieux,
Son héroïque ardeur le fait assez connoistre ;
 Mais sa bonté nous montre encore mieux
  Qu'il est du sang des Dieux.

Choeur.

 Il est du sang des Dieux, &c.

Ces Vers qu'on trouva fort agreables, & entierement convenables au sujet, avoient esté mis en Musique par Mr Colasse, l'un des quatre Maistres de Musique de la Chapelle du Roy. Vous devez estre persuadée qu'un homme qui a esté jugé digne d'une telle Charge, ne sçauroit rien faire que de bien. Comme Mr de Livry ne vouloit donner aucun divertissement à Monseigneur qui ne fust nouveau, & qu'il n'avoit pas eu le temps de faire faire une piece de Theatre, il en choisit une qui parut nouvelle à ce Prince, parce qu'il ne l'avoit veuë que dans sa grande jeunesse. Cette piece estoit du fameux Moliere, & n'avoit point esté joüée depuis fort longtemps, qu'elle fut representée dans un Balet de Sa Majesté. On y fit des intermedes nouveaux, qu'on accommoda à la venuë de Monseigneur à Livry. Les Comediens Italiens en firent de si divertissans, qu'on pourroit dire que l'Assemblée en fut fatiguée à force de rire. Mr Pecour parut dans quelques-uns d'une maniere tres-agreable. Toutes les Entrées qu'on dansa dans cette Feste, estoient de sa composition. La pluspart des Acteurs du Prologue, parurent encore à la fin de la Piece. Voicy ce qu'ils chanterent.

I. BERGER.

 Redoublons nos soins empressez,
 Les yeux d'un Prince aimable
 Sur nos jeux se sont abaissez
 Redoublons nos soins empressez.
S'il nous honore encor d'un regard favorable,
 Nous serons bien recompensez,
 Redoublons nos soins empressez.

Une Bergere.

 Que nostre zele se signale,
Qu'il s'efforce à paroistre encor plus éclatant.
  Quelle gloire est égale
  Au prix qui nous attend !

Choeur.

 Que nostre zele se signale, &c.

Une Bergere.

Quittons des chants où regnoit la tendresse.

Un Berger.

Elevons, élevons les tons de nos Hautbois.

Tous deux.

  Et redisons sans cesse,
Quel Hoste glorieux a visité nos bois.

Le Choeur.

 Quittons des chants où regnoit la tendresse,
Elevons, élevons les tons de nos Hautbois,
  Et redisons sans cesse
Quel Hoste glorieux a visité nos bois.

Un Berger.

 Bergers, quelle douceur extrême,
Quand nous nous vanterons de cet honneur suprême
 Aux bergers des Hameaux voisins !
 Bergers, quelle douceur extrême
Quand nous nous vanterons de nos heureux destins !

Le Choeur.

Quittons des chants, &c.

Un Berger.

 Vostre destinée est trop belle,
Lieux rustiques, Jardins par nos soins cultivez,
 Gardez la memoire immortelle
 De l'honneur que vous recevez.

Le Choeur.

Vostre destinée, &c.

Ce divertissement qui parut tres bien imaginé, donna beaucoup de plaisir, & on écouta la Musique avec grande attention, parce que le temps estoit si beau, qu'il sembloit avoir contribué à la Feste. L'Assemblée estoit choisie, & n'estant point trop nombreuse, il n'y eut personne incommodé, quoy qu'on le soit fort souvent dans les divertissemens de cette nature, qui font presque toûjours essuyer plus de fatigue qu'on n'y goûte de plaisir.

Toute la Compagnie s'estant levée, Monseigneur retourna par la mesme allée où estoit le Theatre, & marcha au milieu de ce beau tapis de gazon, dont je vous ay déjà parlé, & qu'on avoit bordé d'Orangers. [Le prince est conduit vers une allée illuminée jusqu'à une table dressée pour le dîner.]

 

Tandis que Monseigneur estoit à table, & que ses yeux estoient occupez par des palissades, & par des morceaux d'architecture formez de lumieres, son odorat par les Fleurs qui remplissoient le lieu où il estoit, son goust par les mets qu'on luy servoit, tous ceux dont l'Orchestre avoit esté remply pendant la Comedie, ayant passé par un chemin plus court que celuy qu'on avoit fait prendre à Monseigneur, pour luy faire voir l'Illumination de l'Allée des Chevrefeüils, se trouverent placez avec tous leurs Instrumens, derriere la Table de ce Prince, lorsqu'il arriva pour souper. Ainsi il y eut pendant ce repas de quoy satisfaire en mesme temps, l'oüye, l'odorat, la veuë & le goust. Mr de Livry avoit donné ordre qu'on servist des tables pour tous ceux qui surviendroient & qui n'estoient pas attendus à cette Feste. On en servit aussi plusieurs pour tous ceux qui avoient esté employez dans le divertissement, & il y en eut qui furent remplies de soixante personnes. Monseigneur alla encore à la Chasse le lendemain aux environs de Livry, & revint disner dans le Chasteau, d'où il partit extrémement satisfait du divertissement que M. le Marquis de Livry luy avoit donné, aprés l'en avoir remercié avec cet air de bonté qui luy est ordinaire. Aussi peut-on dire qu'il ne manquoit rien à cette Feste. Elle estoit galante, magnifique, & bien entenduë. Tout ce qui avoit esté projetté fut exécuté dans le temps, rien ne fit attendre, il n'y eut point de confusion, & il parut que tout répondoit au zele de Mr de Livry, & aux soins de Mr Berrin, Dessinateur ordinaire du Cabinet de Sa Majesté. Comme il a l'esprit fecond, il a beaucoup inventé pour cette Feste, ce qui n'est pas surprenant, puis qu'il nous a souvent fait voir de grandes choses en de pareilles occasions. Quelques jours aprés, la Comedie, le Prologue, & les Intermedes qui avoient esté representez à Livry, servirent de divertissement à Marly, ce qui marque le plaisir qu'il avoit donné la premiere fois, puis qu'il ne fut demandé que sur le bien qu'en avoient dit ceux qui s'estoient trouvez à cette Feste.

[Air nouveau]* §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 81-82.

Vous vous connoissez si bien en Musique, qu'il me seroit inutile de vous vanter l'Air nouveau que je vous envoye noté, & dont voicy les paroles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Tu goustes à plaisir les douceurs, doit regarder la page 82.
Tu goûtes à plaisir les douceurs du Printemps,
Tu m'entretiens toûjours d'une saison si belle,
Et tu ne me dis rien, cruelle,
Qui rende mes desirs contens.
Languiray-je toûjours dans une vaine attente ?
Ne donneras-tu rien à mes soins amoureux ?
N'es-tu si belle & si charmante
Que pour faire des malheureux ?
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[Dialogue du Pinçon & de la Fauvette, sur le retour de la Fauvette du Jardin de l’Hostel de C] §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 82-87

 

Le Printemps dont il est parlé dans cette Chanson, & qui est venu fort tard cette année, m’engage à vous faire part d’un Dialogue dans lequel un Pinçon se plaint de la trop longue absence d’une Fauvette. Ses plaintes sont agreables, & vous avoüerez que M. Bosquillon, dont vous avez déja veu des Ouvrages fort galans a grand sujet de se déclarer Auteur de celuy-cy.

SUR LE RETOUR
DE LA FAUVETTE
Du Jardin de l’Hostel
D. C.

Le Pinçon.

 Depuis le retour du Printemps,
Je n’ay fait que compter les heures, les momens,
 Que soupirer aprés vostre presence.
 Ah, chere Fauvette, l’absence
 Est le plus grand mal des Amans.

La Fauvette.

 Que diriez-vous de l’inconstance ?

Le Pinçon.

 Quoy, vous cesseriez de m’aimer ?

La Fauvette.

Je me plais à vous voir prompt à vous alarmer.
 Ayez toujours mesme ardeur, mesme zele,
Et vous me trouverez toujours tendre & fidelle.
 Je vous ay fait pousser quelques soupirs,
Je l’ay fait à dessein.

Le Pinçon.

Que vous estes cruelle !

La Fauvette.

 L’amour languit quand il est sans desirs ;
Un cœur trop tost content se dérobe à ses chaisnes ;
 On ne gouste bien les plaisirs
 Que quand ils ont couté des peines.

Le Pinçon.

 Que celuy de vous voir m’est doux !
Vous ne fustes jamais plus belle & plus charmante.

La Fauvette.

Vostre flâme est constante,
Je suis satisfaite de vous.

Le Pinçon.

Je trouve en vous tout ce qui peut me plaire.

La Fauvette.

Il n’est rien que je vous préfere.

Le Pinçon.

Vous seule allumez tous mes feux.

La Fauvette.

 L’Oiseau du Maistre du Tonnerre
N’a rien auprés de vous qui pust toucher mes vœux.

Le Pinçon & la Fauvette.

Redisons donc cent fois dans nos chants amoureux,
S’il est quelques Oiseaux plus connus2 sur la terre,
 Il n’en est point de plus heureux.

[La Solitude, Idille] §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 121-131

 

Quelque tranquillité que la Paix établisse dans les Villes, ce n’est point là qu’on la gouste purement. Elle y est toûjours troublée par le bruit & par le monde, & la Solitude qui fait qu’on est tout à soy, peut seule donner ce calme qu’on ne trouve point parmy le tumulte, & l’embarras des affaires. C’est ce qui est décrit agreablement dans l’Idille nouveau que je vous envoye, & où je suis seur que vous trouverez de grandes beautez. Cet Ouvrage merite d’autant plus d’estre conservé, que les premiers Vers font voir qu’il a esté fait par une personne de vostre Sexe.

LA SOLITUDE.

 Charmante & paisible Retraite,
Que de vostre douceur je connois bien le prix,
 Et que je conçois de mépris,
Pour les vains embarras dont je me suis défaite !
Que sous ces Chesnes verts je passe d’heureux jours !
Dans ces lieux écartez que la Nature est belle !
Rien ne la défigure, elle garde toûjours
La mesme autorité, qu’avant qu’on eust contre elle
Imaginé des Loix l’inutile secours.
Icy le Cerf, l’Agneau, le Pan, la Tourterelle,
Pour la possession d’un champ ou d’un verger,
 N’ont point ensemble de querelle,
 Nul bien ne leur est étranger.
Nul n’exerce sur eux son pouvoir tirannique,
Ils ne se doivent point de respect ny de soins,
Ce n’est que par les nœuds de l’amour qu’ils sont joints,
Et d’Ayeux éclatans aucun d’eux ne se pique.
***
 Helas ! pourquoy faut-il qu’à ces sauvages lieux
Soient reservez des biens si doux, si precieux ?
Pourquoy n’y voit-on point d’Avare, de Parjure ?
N’est-ce point qu’entre vous, tranquilles Animaux,
Tous les biens sont communs, tous les rangs sont égaux,
Et que vous ne suivez que la seule nature ?
Elle est sage chez vous, qui n’estes point contraints
 Par une Loy bizarre & dure.
Quelle erreur a pu faire appeller les Humains
Le chef-d’œuvre accomply de ses sçavantes mains ?
 Que pour se détromper de ces fausses chimeres
 Qui nous rendent si fiers, si vains,
On vienne mediter dans ces lieux solitaires.
***
 Avec étonnement je voy
 Que le plus petit des Reptiles
 Cent fois plus habile que moy,
Trouve pour tous ses maux des remedes utiles.
Qui de nous, dans le temps de la prosperité,
 A l’active Fourmy ressemble ?
 A voir sa prévoyance, il semble
Qu’elle ait de l’avenir percé l’obscurité,
Et qu’estant au dessus de la foiblesse humaine,
 Elle ne fasse point de cas,
 De tout-ce qu’étale d’appas,
 La volupté qui nous entraîne.
 Quels Etats sont mieux policez
 Que l’est une ruche d’Abeilles ?
C’est là que les abus ne se sont point glissez,
Et que les volontez en tout temps sont pareilles.
De leur Roy qui les aime elles sont le soutien,
On sent leur aiguillon dés qu’on cherche à luy nuire.
 Pour les chastier il n’a rien,
 Il n’est Roy que pour les conduire,
 Et que pour leur faire du bien.
***
 En vain nostre orgüeil nous engage,
A ravaler l’instinct qui dans chaque saison,
 A la honte de la Raison,
Pour tous les Animaux est un guide si sage.
Ah, n’avons-nous pas deu nous dire mille fois,
En les voyant estre heureux sans richesse,
Habiles sans étude, équitables sans loix,
 Qu’ils possedent seuls la sagesse ?
Il n’en est presque point dont l’homme n’ait receu
Des leçons qui l’ont fait rougir de sa foiblesse,
Et quoy qu’il s’applaudisse, il doit à leur adresse
Plus d’un art, que sans eux il n’auroit jamais sceu.
***
 Innocens Animaux, quelle reconnoissance
 Avons-nous de tant de bien-faits ?
Des presens de la Terre, helas, peu satisfaits,
Nous vous sacrifions à nostre intemperance.
Quelle inhumanité ! quelle lâche fureur !
Il n’est point d’animal dont l’homme n’adoucisse
 La brutale & farouche humeur,
Et de l’homme il n’est point d’animal qui flechisse
 Le cruel & superbe cœur.
***
 De quel droit, de quel front est-ce que l’on compare
Ceux à qui la Nature a fait un cœur barbare
 Aux Ours, aux Sangliers, aux Loups ?
 Ils sont moins barbares que nous.
 Font-ils éprouver leur colere
Que lors que d’un Chasseur avide & temeraire,
 Le fer ennemy les atteint,
Ou que lors que la faim les presse & les contraint
 De chercher à la satisfaire ?
Vaste & sombre Forest, leur sejour ordinaire,
N’est-ce en vous traversant que leur rage qu’on craint ?
Helas ! combien de fois cette nuit infidelle
 Que vous offrez contre l’ardeur,
Dont au milieu du jour le Soleil étincelle,
A-t-elle esté fatale à la jeune pudeur ?
 Helas ! combien de fois complice
 Et de meurtres, & de larcins,
A-t-elle dérobé de Brigans, d’Assassins,
Et d’autres Scelerats aux yeux de la Justice ?
 Combien avez-vous veu de fois
 Le Frere armé contre le Frere,
Faire taire du sang la forte & tendre voix,
 Et dans l’heritage d’un Pere
Par le crime acquerir de legitimes droits ?
***
 Parlez, Forests ; jadis une de vos semblables
Daigna plus d’une fois répondre à des Mortels.
 Quelles fureurs aussi coupables
Pouvons-nous reprocher à vos Hostes cruels ?
Si quelquefois entre eux une rage soudaine
 Les porte à s’arracher le jour,
Ce n’est point l’interest, l’ambition la haine
 Qui les anime, c’est l’amour.
Luy seul leur fait troubler vostre sacré silence ;
 Amoureux, Rivaux, & Jaloux,
Leur cœur ne peut souffrir la moindre préference,
 La mort leur semble un sort plus doux.
D’une si belle excuse au dur siecle où nous sommes
On ne peut déguiser les maux que nous faisons ;
Non, des meurtres sanglans, des noires trahisons
 L’amour ne fournit plus aux hommes
Les violens conseils, ny les tendres raisons.

[Methode complete de l’Art du Blason] §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 131-137

 

Rien ne sçauroit estre plus utile qu’une Methode complete de l’Art du Blason, qui apprenne à expliquer exactement, & en termes propres, les Emaux, les Figures, & les ornemens dont les Armoiries sont composées, & qui fasse connoistre la disposition & les attributs de chacune de ces Figures. Le Pere Menestrier Jesuite, qui est parfaitement instruit de toutes ces choses, en donna une abregée il y a plus de vingt ans. On en a fait quantité d’impressions, & comme on l’a copiée, & contrefaite en differents lieux, les Libraires y ont mis de leur chef des armoiries de quelques Maisons peu connuës & peu illustres. Elle fut imitée en 1671. & porta le titre de Methode Royale, facile & historique du Blason, avec l’origine des Armes des plus Illustres Etats & Familles de l’Europe. On s’y servit des mesmes Figures que ce Pere avoit données dans son Abregé methodique, & l’on y laissa toutes les fautes que les Imprimeurs avoient faites en diverses éditions. L’année suivante il parut une nouvelle Methode que son Autheur nomma Heraldique. Il y employa plus de cent Armoiries sous des noms supposez de Juron, de Gontin, de Melet, de Ralet, de Mintes, de Melin, de Raban, de Joubles, de Jagon, &c. & crut éviter par là les reproches que le Public luy auroit pu faire, s’il s’estoit servy des mesmes exemples qui avoient esté donnez dans la premiere Methode, sans avoir cherché à les déguiser. Il a pris quantité de noms de Terres pour des noms de Maisons, ce qui pouvant confondre la connoissance du Blason, est d’une dangereuse consequence. C’est ce qui a obligé le Pere Menestrier à satisfaire l’impatience qu’avoit le Public d’avoir quelque chose de plus achevé sur cette matiere. Ainsi il a reveu ce qu’il avoit fait, & vient de nous le donner dans un autre ordre, & d’une maniere bien plus ample, sous le titre d’Abregé Methodique des principes Heraldiques, ou du veritable Art du Blason. Il s’attache uniquement dans ce Livre à l’Art de blasonner toutes sortes d’Armoiries, & donne des exemples & des Figures pour parvenir à la connoissance entiere du Blason & de la science Heraldique. Comme il ne suffit pas de sçavoir expliquer en termes propres toutes sortes d’Armoiries, & qu’on doit s’accoûtumer à connoistre les Familles par leurs Armoiries, & les Armoiries par les Familles, il donne plusieurs manieres de fixer l’imagination sur cela, & finit par des Dialogues sur l’Art du Blason, qui instruisent beaucoup & facilement. Il y a dans ce Volume cinq cens Armoiries gravées avec prés de deux cens Figures qui entrent dans les Armoiries, de sorte qu’estant extremement augmenté, & n’ayant presque rien de vieux que son titre, il peut passer pour nouveau, & tenir lieu de tous ceux qui ont jamais esté faits sur le Blason. Ce Livre qui a esté imprimé à Lyon par le Sr Amaurry, se vend à Paris chez le Sr Guerout, Court Dauphine.

[Nouveau Reglement utile à ceux qui font profession de Lettres, & qui les aiment] §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 137-146

 

Cet Article me donne sujet de vous parler d’un Reglement qui vient d’estre fait, & dont ceux qui font des Livres, aussi-bien que ceux qui font la dépense de les imprimer, doivent tirer de grands avantages, si toutes les Communautez de Libraires imitent ceux de Bordeaux. Il n’est pas fort étonnant que les Auteurs perdent leur peine, & les Libraires leurs frais, quand ils donnent au Public de méchans Livres, mais il est fâcheux que la mesme chose arrive pour de bons Ouvrages, & cependant il n’y a rien de plus ordinaire. Un Libraire est presque assuré de perdre toûjours, de quelque nature que soient les Livres qu’on luy donne à imprimer. Les méchans demeurent dans sa Boutique, & les bons luy sont volez, puis qu’on les imprime incontinent, non seulement dans les Pays Etrangers, mais mesme en plusieurs Villes de France. A l’égard des Etrangers, il est impossible d’y apporter du remede, & jusqu’icy il a esté extrémement difficile d’en trouver pour ce qui regarde la France. Les Libraires de Province n’ont guere fait imprimer de Livres des Libraires de Paris, qu’ils n’ayent impunément joüy de leur vol. Leurs Confreres se sont contentez de les blâmer, & auroient cru faire une mal-honnesteté s’ils les avoient accusez. Ainsi il falloit envoyer de Paris des Officiers de Justice pour surprendre les coupables, & ceux du Pays, loin de vouloir servir de témoins contre eux, cherchoient à les garantir des peines qui sont portées par les Privileges. C’estoit par là que l’impunité regnoit sur cette espece de crime, & si ce desordre ne continuë point, on en sera redevable à la Communauté des Libraires de Bordeaux, qui s’est resoluë à donner l’exemple là-dessus. Il y avoit long-temps qu’elle souhaitoit le retranchement de cet abus, & qu’elle voyoit avec déplaisir les Libraires ses voisins, & quelques-uns de ses Confreres de la mesme Ville, profiter du bien d’autruy sans aucun scrupule, & s’enrichir par un vol dont tout le Corps estoit accusé. Enfin aprés des deliberations de plusieurs années, deux Sindics intelligens, & aussi actifs que bien intentionnez estant aujourd’huy à la teste de cette Communauté, on a de nouveau agité l’affaire, & le sieur de la Cour, l’un des deux Sindics, a esté envoyé pour proposer à Mr le Chancelier les moyens d’arrester le cours des Livres qui passent dans le Royaume, dont les uns sont pernicieux, & les autres contrefaits sans égard aux privileges, & pour demander quelques Reglemens touchant leur Communauté. Cet illustre Magistrat toujours prest à écouter ce qui regarde le bien de la France, a témoigné de la joye de voir que des Libraires qu’on pouvoit tous accuser de debiter en secret des Livres contrefaits ou défendus, demandoient eux-mesmes qu’on remediast à ces desordres, & il leur a accordé toutes les expeditions necessaires, que le Parlement de Guyenne doit confirmer. Comme il faudra qu’ils visitent tous les Livres, leurs Confreres qui seront trouvez en faute, n’auront à se plaindre que de la mauvaise foy qui les aura engagez à continuer l’usage des contrefaçons. Par là il ne se glissera plus que tres-difficilement des Livres contre la Religion, contre l’Etat, & contre les bonnes mœurs ; & les Communautez de Libraires des autres Provinces ne pouvant se dispenser de suivre le mesme Reglement, qu’il est à croire qu’on leur fera observer de gré ou de force, chacun tirera, du moins en France, du profit de son travail, & de la dépense que l’on aura faite pour le mettre au jour, ce qui fera entreprendre plus d’Ouvrages, & sera cause que les Libraires n’épargneront rien pour faire de belles impressions, au lieu que les Livres contrefaits sont la pluspart sur de tres-vilain papier, & remplis de fautes. C’est une obligation qu’aura le Public aux Libraires de Bordeaux. Quand je vous parle de ceux qui contrefont les Livres de leurs Confreres, je n’y comprens point les Libraires de Paris. Tout lé monde sçait qu’ils ne sont point de ce nombre. On contrefait leurs Impressions, & on les envoye dans les Pays Etrangers, & dans toutes les Provinces de France, mais ces Provinces n’impriment rien qu’ils voulussent contrefaire.

[Histoire] §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 154-183

 

C’est une terrible affaire que l’entestement. On en prend sur bien des choses, mais il n’y en eut jamais de plus dangereux que celuy des Vers. Quantité de gens se meslent d’en faire qui en font tres-mal, & de toutes les especes de cerveaux gâtez, il n’y en a point de plus difficiles à raccommoder. N’ayant point d’oreille pour distinguer la bonne ou la mauvaise cadence, ils sont incapables de s’appercevoir en quoy ceux qui ont un veritable genie l’emportent sur eux & persuadez qu’il n’y a qu’à mettre douze sillabes ensemble, ils continuent toûjours à mal faire, & accusent d’ignorance ou d’injustice, les Lecteurs ou Auditeurs trop sinceres, ou peu complaisans qui les veulent détromper. Une sincerité de cette nature a fait trembler deux Amans qui s’aimoient fort tendrement, & a pensé leur couter tout le repos de leur vie. Ils estoient assez le fait l’un de l’autre. Tous deux avoient de l’esprit, tous deux des manieres engageantes, & si la fortune eust mis autant de rapport entre eux du costé du bien, que la nature paroissoit en avoir mis pour les belles qualitez, rien n’eust pu mettre de l’incertitude dans leur bonheur, mais le Cavalier dépendoit d’un Pere, qui estant fort riche, cherchoit un party proportionné, & les avantages de la Demoiselle n’estoient pas considerables, à moins qu’on ne fist parler un Oncle dont elle heritoit, & qui ne menaçoit pas de mourir si-tost. Il avoit esté dix ou douze ans Mary tres-marry, & ce qu’il avoit souffert d’une Femme fort bizarre, qui estoit morte sans luy procréer lignée, luy avoit esté le goust d’en avoir. Il s’en tenoit au veuvage, & cet estat le rendoit heureux depuis si long-temps, qu’on estoit persuadé qu’il ne le changeroit pas ; mais ce n’estoit pas assez que des esperances pour le Pere de l’Amant, il vouloit quelque chose de solide ; & pour donner lieu au Mariage, il falloit que l’Oncle fist quelque avance à sa Niepce. Il avoit beaucoup d’argent comptant, & il auroit pû luy donner vingt mille écus sans estre reduit à aucun emprunt. Ainsi la Demoiselle employa tout ce qu’elle avoit d’Amis pour tâcher de le gagner. On luy remontra que comme elle estoit son heritiere, il ne devoit rien souhaiter plus fortement que de joüir du plaisir de la voir dans un établissement considerable, mais tout ce qu’on put luy dire ne l’obligea point à ouvrir sa bourse. Il répondit qu’il falloit le laisser vivre, & que sa Niepce ne manqueroit point d’Amans qui voudroient bien attendre sa succession avec patience, sans demander qu’il se dépoüillast. L’obstination qu’il eut à ne rien donner, fut d’autant plus sensible à l’Amant, que son Pere qui estoit imperieux, vouloit absolument qu’il se mariast, & le pressoit de choisit entre deux ou trois personnes qu’il luy proposoit. Comme le Cavalier estoit fort insinuant, cela luy fit prendre le dessein de faire sa cour à l’Oncle de sa Maistresse, pour voir si à force d’estre complaisant il ne pourroit pas s’en faire aimer. On fait faire aux gens tout ce que l’on veut quand on les prend par leur foible. La Belle à qui il parla de son entreprise, luy dit que s’il vouloit qu’elle réussist, il falloit qu’il le flatast sur une chose où son peu de complaisance qu’elle commençoit à se reprocher, luy pouvoit bien avoir attiré la dureté qu’il marquoit pour elle ; qu’il avoit pour son malheur la demangeaison de faire des vers ; qu’il l’en avoit cent fois étourdie, mais qu’elle les avoit toûjours trouvez si differens de ceux des jolies chansons qu’on luy apprenoit, qu’elle n’avoit pû se resoudre à les loüer, ce qui l’avoit obligé plus d’une fois à luy dire rudement qu’elle n’aimoit pas les belles choses. Le Cavalier fut fort content de l’avis. Il se resolut d’en profiter, & sçachant combien les Vers sont chers ordinairement à celuy qui les enfante, il se rendit assidu auprés de l’Oncle, & ne douta point qu’en se contraignant à luy applaudir sur sa folie, il ne se mist assez bien dans son esprit, pour obtenir de luy ce qu’on souhaitoit. Il luy en coûtoit du temps, & beaucoup d’ennuy, parce que l’Oncle estoit un fort grand parleur, & qu’ayant une memoire confuse de tout ce qu’il avoit leu, il se plaisoit à faire parade de plusieurs choses qu’il croyoit sçavoir, mais il s’apperceut bien-tost que les loüanges dont il luy estoit prodigue, commençoient à faire effet. Il admiroit toutes les sottises qui luy échapoient, & ne cessoit de luy dire qu’il avoit peine à comprendre comment à son âge on pouvoit avoir un si grand feu. L’Oncle l’embrassoit, & pour se faire loüer encore davantage, il disoit au Cavalier qu’il voyoit bien qu’il avoit le goust tout autre que la pluspart des jeunes gens qui ne s’attachoient qu’à la bagatelle, & qu’il vouloit luy montrer des Vers qui luy feroient voir s’il estoit encore inspiré des Muses. Le Cavalier qui l’attendoit là, ne laissa pas échaper une occasion si favorable. Il s’écria mille fois, repeta des Vers qu’il nommoit incomparables, & dit qu’on n’en pouvoit faire de si beaux sans enthousiasme. L’Oncle estoit dans une joye qu’on ne sçauroit exprimer. Il prevenoit l’applaudissement en le preparant à écouter quelque chose qui luy paroistroit d’une beauté singuliere, & voulant que la Poësie l’emportast sur les plus sublimes Connoissances, il ajoûtoit que sans vanité il avoit là-dessus des avantages qui n’estoient pas communs à beaucoup de gens. Le Cavalier, malgré tout ce qu’il souffroit d’estre reduit à loüer de méchantes choses, fut fort ravy de voir ses affaires prendre un si bon train. Il ne se contenta pas d’agir par luy-mesme, il crut qu’un peu de secours ne luy nuiroit pas, & pratiqua quelques-uns de ses Amis qu’il mena chez l’Oncle, & qui estant bien instruits de ce qu’ils avoient à faire lors qu’il leur liroit ses Vers, ne manquerent pas de l’accabler d’applaudissemens. Ce fut assez pour luy renverser l’esprit. Il devint plus fou qu’il n’avoit encore esté, & ne passoit plus de jour sans s’appliquer à quelque nouvel Ouvrage. Les fausses rimes ne l’arrestant pas, il faisoit souvent jusqu’à deux cens Vers en un seul matin, & cette fecondité portoit ses interessez Admirateurs à de plus grandes exclamations. Le Cavalier qui disoit toûjours que la Poësie avoit quelque chose de divin, acheva de le gagner en le priant de l’initier dans ses misteres, & de luy apprendre comment il falloit faire un Sonnet ou un Madrigal. Il triompha de se voir choisi pour Maistre, & commença à luy donner des leçons sur le nombre des sillabes & sur la cesure. Le Cavalier en mettoit exprés une de moins en beaucoup de Vers, & tâchoit d’en faire de plus méchants que les siens, ce qui luy estoit fort mal-aisé, quoy qu’il ne fust pas né Poëte. C’estoit un Charme pour le galant homme que de luy montrer en quoy il manquoit, & lors qu’il l’eut veu profiter des regles qu’il luy donnoit avec de grands termes affectez, il dit par un emportement de joye dont il ne put se rendre le maistre, qu’il meritoit d’être son Neveu, & que s’il vouloit luy promettre de faire des Vers toute sa vie, il donneroit à sa Niece les vingt mille écus qu’on luy avoit demandez. Vous pouvez juger si le Cavalier y consentit. On en porta parole à son Pere, sans luy découvrir d’où venoit ce changement, & à la faveur des Muses & d’Apollon tout fut conclu de parole, & le jour pris pour dresser le Contrat de mariage. Jamais Amans ne furent plus satisfaits ; mais quoy qu’il n’y eust aucune apparence que leur bonheur deust estre troublé, il fut traversé par un incident qu’on n’attendoit pas. L’Amant fut obligé de faire un Voyage de deux jours, & pendant ce temps, l’Oncle qui ne cessoit point de faire des Vers, & qui en estoit infatué, s’avisa d’en faire sur une chose dont tout le monde parloit dans la Ville, & les faisant copier, il les envoya sans nom dans un paquet cacheté au Pere du Cavalier. Il vouloit sçavoir ce qu’il en diroit sans en connoistre l’Auteur, ne doutant point qu’il n’en fust charmé, & qu’il n’eust pour un si heureux talent la mesme admiration que son Fils luy avoit fait tant de fois paroitre. Le hazard voulut qu’étant allé ce jour là dans une maison où il y avoit bonne Compagnie, le Pere du Cavalier y arriva, & le discours estant tombé sur les Vers, il dit qu’il ne sçavoit pas si on avoit pretendu se moquer de luy ; mais qu’on luy en avoit envoyé d’aussi detestables qu’on en pouvoit faire sans luy en avoir marqué l’Auteur. En mesme temps il les tira de sa poche, & lors qu’il en eut leu dix ou douze, il demanda dans quelle Fontaine empestée le malheureux poëte qui les avoit faits, pouvoit avoir beu. L’Auteur fort surpris de voir ses Vers traitez si cruellement, voulut sçavoir en quoy il les trouvoit detestables, & celuy qui les attaquoit ayant répondu qu’ils ne valoient pas qu’on perdist du temps à les examiner, parce qu’il n’y avoit ny tour, ny élevation, ny bon sens, l’Auteur soûtint qu’ils estoient tres-bons, & pria tous ceux qui se trouverent presens de vouloir dire ce qu’ils en pensoient. Comme il en parloit avec chaleur, & que la pluspart sçavoient qu’il se mesloit de Poësie, on connut bien qu’il y prenoit interest. Ainsi il les pressa inutilement de s’expliquer. Les uns se teurent, les autres dirent qu’ils ne s’y connoissoient pas, & chacun se divertit de cette querelle. L’Attaquant ne voulut point se dédire. Il continua de blâmer les Vers comme estant méchans en tout, & l’Auteur qui les pretendit toûjours admirables, se prevalant de l’honnesteté que les témoins de leur differend avoient euë pour luy, en refusant d’en estre les Juges, s’adressa à un Cavalier qu’il vit entrer afin qu’il prononçast sur ses Vers. C’estoit un des Amis de l’Amant, qui sçachant combien il luy étoit important qu’il en dist du bien, ne manqua pas d’y trouver mille beautez. Le Pere indigné de sa basse complaisance, commençoit à s’échauffer, & il auroit fait une cruelle Satyre sur les méchans Poëtes, s’il n’eust esté averty par quelques coups d’œil du Cavalier, & interrompu en mesme temps par l’Auteur des Vers que les loüanges qu’il venoit de recevoir, avoient fort encouragé, & qui dit d’un ton fort fier qu’il falloit estre ignorant de la derniere ignorance pour ne les pas admirer ; qu’il vouloit bien qu’on sceust que c’estoit luy qui les avoit faits, & que bien loin de vouloir faire aucune avance à sa Niece, il déclaroit que s’il falloit son consentement pour la marier, jamais il ne souffriroit qu’elle épousast le Fils d’un homme qui sçavoit si peu ce que c’estoit que de faire de bons Vers. Là-dessus il sortit tout en colere, sans que personne le pust retenir. Son extravagance fut un grand sujet de rire pour tous ceux qui l’avoient veuë, & on admira la rage qu’avoient de certaines gens de vouloir se faire Poëtes en dépit des Muses. Cependant comme il paroissoit piqué au jeu, on crut à propos de travailler à raccommoder l’affaire. Le Pere estant riche n’en estoit embarrassé que pour son Fils dont il connoissoit l’amour. Il avoit pour luy beaucoup de tendresse, & il luy fachoit qu’une folie de cette nature rompist une affaire qu’il tenoit certaine. L’Amy fut prié d’aller trouver l’Oncle, & de luy representer qu’il ne devoit pas prendre garde à ce qu’avoit dit un homme, qui n’ayant jamais eu assez de genie pour faire des Vers, ne pouvoit pas s’y connoistre. Il alla chez luy, & le tourna de toutes manieres, mais il n’en eut point d’autre réponse, sinon qu’il falloit que son Ennemy eust l’esprit méchant, & qu’un homme qui par malice blâmoit de bons Vers, estoit capable de causer de grands desordres dans une Famille. Le Fils revint, & apprit avec douleur le renversement de ses affaires. Il alla chez l’Oncle, & aprés luy avoir fait de longues prieres sans rien obtenir, il luy demanda s’il vouloit l’abandonner, luy qui ayant bien voulu luy servir de Maistre, luy avoit déja donné de si utiles leçons. Cette raison l’ébranla, & son Amy qui avoit tâché de luy rendre office avant son retour, le voyant prest de se rendre, acheva de l’adoucir, en luy promettant pour cet Amant desolé qu’il feroit un Poëme à sa loüange. L’Oncle confirma la parole qu’il avoit donnée pour le mariage, pourveu qu’on luy fist une satisfaction proportionnée à l’injure. Elle ne fut pas aisée à regler. Le Pere donnoit la carte blanche, & cet accommodement estant une seconde folie de l’Auteur des Vers, il ne refusoit aucune condition, mais l’Offensé trouva de grandes difficultez dans cette affaire. Il voulut qu’on en dressast un écrit pour estre signé de douze témoins, devant qui la reparation se feroit. Il demandoit d’abord que le Pere reconnust qu’il avoit blasmé ses Vers, faute de sçavoir comment il en falloit faire, & cela ne luy paroissant point assez fort pour le genre de l’offense, il fut enfin arresté aprés plusieurs allées & venuës, qu’il declareroit en presence de douze des meilleurs Poëtes qu’on pourroit trouver, que témerairement & malicieusement il avoit dit que les Vers de l’Oncle estoient méchans, encore qu’il eust toutes les lumieres necessaires pour s’y bien connoistre ; de quoy il se repentoit, luy en demandant pardon, & promettant d’approuver toute sa vie les Vers qu’il voudroit bien luy montrer. Le jour fut choisi pour cet accord qu’il eut grand soin de faire signer ; aprés quoy il regala magnifiquement les douze Poëtes qu’il avoit pris pour témoins. Il se plaça au bout de la table, & pour marquer la victoire qu’il venoit de remporter, il mit une couronne de Laurier sur sa teste. Le Pere & l’Amant furent du repas. On y but à la santé d’Apollon & de chacune des Muses, & l’on debita grand nombre de Vers. Jugez si on manqua à les approuver. Le Contrat de mariage fut signé le lendemain, & l’on en fit la ceremonie peu de jours aprés. L’Amant fort content de posseder ce qu’il aime, a la fatigue d’écouter souvent de mauvais Ouvrages qu’il est contraint de loüer, à cause de la succession qu’il attend, & que l’Oncle pourroit luy oster s’il n’avoit pas cette complaisance ; mais il ne sçauroit avoir celle de perdre du temps à faire des Vers, & il se défend des reproches qu’on luy fait de ne tenir pas ce qu’il a promis, sur les embarras de son employ, qui étant considerable, ne luy laisse pas d’heures inutiles.

[Ce qui s'est passé en Angleterre à la Naissance du Prince de Galles, & les réjoüissances faites à Paris, & en plusieurs Villes de France, sur ce sujet] §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 183-184, 190-201

 

Comme la nouvelle de la naissance du Prince de Galles ne fut sceuë icy le mois dernier que lors qu'il fallut achever ma Lettre, je n'eus le temps que de vous l'apprendre, & je n'entray dans aucun détail de ce qui se passa à l'occasion de cette naissance. [...]

La nouvelle de la naissance de ce Prince fut à peine arrivée en France, que Mr Skelton, Envoyé Extraordinaire d’Angleterre, en fit part au Roy, & à toute la Maison Royale. Il avoit envoyé demander audience le jour precedent par son Secretaire, & il fut conduit dans toutes les formes par M. de Bonneüil, Introducteur des Ambassadeurs. Il estoit accompagné de plusieurs Milords Anglois, & entre autres des Ducs de Norfolc & de S. Albans. Sa Majesté luy dit que sa joye estoit si grande qu’elle ne le cedoit qu’à celle du Roy son Frere. Cet Envoyé fut splendidement regalé par l’ordre du Roy avec toute sa suite aprés l’audience. Madame la Dauphine qui ne s’estoit point levée, parce qu’elle avoit resolu de ne voir personne ce jour-là, dit qu’encore qu’elle n’eust pas accoûtumé de permettre qu’on entrast dans sa Chambre pendant qu’elle estoit au lit, cette nouvelle luy estoit si agreable qu’elle ne pouvoit s’empescher de l’apprendre de la bouche mesme de l’Envoyé, & de luy en témoigner sa joye. Monseigneur le Duc de Bourgogne dit de luy-mesme, que pour faire voir la sienne il feroit faire dés le soir mesme un grand feu dans la court du Chasteau de Versailles. Mr l’Abbé le Houx dont les Vers Latins sont si estimez, a fait ce Distique sur cette naissance.

Fortunata novo Regina puerpera partu !
Divinæ enixa es Relligionis opus.

En voicy un autre de ce mesme Abbé.

Nosce triumphantem partu nunc, Anglia, Matrem.
Hæc Christo & Regi pariundo restituitrem.

Le 5. de ce mois, les Religieuses Angloises du Fauxbourg Saint Antoine rendirent graces à Dieu de ce qu’il avoit accordé un Prince aux souhaits de l’Angleterre. Jamais leur Eglise n’avoit esté ny si bien ornée ny si éclairée qu’elle le fut ce jour-là. Il y eut le matin une Messe solemnelle, & l’apresdinée un Te Deum, & un Salut en Musique. Elle estoit de la composition de Mr Oudot, Maître de la Musique des Peres Jesuites de la Maison de Saint Loüis. Mr l’Evesque de Senez y officia en habits Pontificaux, & cette ceremonie se fit en presence de M. le prince de Richemont. Mr Skelton, Envoyé Extraordinaire d’Angleterre en cette Cour, s’y trouva avec Milord Hoord, Frere de Mr le Duc de Noceforc, Envoyé Extraordinaire à Rome, Milord Staffort, & un tres-grand nombre de personnes de qualité, François & Anglois. Sur les dix heures du soir, il y eut un Feu d’artifice dans la Court au dehors de leur Convent, & elles firent des liberalitez à ceux du peuple de leur voisinage, qui se presenterent pour les recevoir. Le zele de ces Religieuses est à estimer, puis que depuis vingt ans qu’elles se sont établies icy, elles ont eu un Salut tous les Vendredis dans leur Eglise avec Exposition, pour demander à Dieu la Conversion des Heretiques, ce qu’elles continueront jusqu’à ce qu’il luy ait plu de les exaucer.

Les Religieuses Augustines Angloises établies dans le Fauxbourg Saint Victor, ont fait de semblables prieres pour la naissance du Prince, & elles les ont continuées trois jours, pendant lesquels elles ont marqué leur joye par des Feux. Elles les finirent par le Te Deum.

Le 8 il y eut des prieres en action de graces pour le mesme sujet dans la Chapelle du College des Ecossois, par les soins du Principal, & elles furent suivies le soir de réjoüissances publiques. Un tres-grand nombre de lampes éclairoit la façade du College, & dans la Place voisine qui estoit aussi toute éclairée, on avoit dressé une grande Piramide qui fut fort illuminée. Elle estoit ornée d'Emblêmes & de Devises à l'honneur de sa Majesté Britanique, & du jeune Prince de Galles. M. l'Envoyé d'Angleterre s'y trouva avec Mr le Duc de Norfolc, & quantité de personnes distinguées. On fit joüer un Feu d'artifice, & ce divertissement fut accompagné d'une magnifique Collaboration. Les Irlandois des Colleges des Lombards & de Montaigu ont rendu les mesmes actions de graces dans leur Chapelle.

Le jour précedent, Mr Gorman, Superieur du Seminaire de Sainte Anne la Royale des Irlandois de la Ville de Bordeaux, avoit fait une grande Feste, pour rendre graces à Dieu de cette mesme naissance. Mr d'Allaire, Grand-Vicaire de la Cathedrale, celebra la grand'Messe, & le Te Deum fut chanté ensuite par une tres-bonne Musique, au bruit de plusieurs salves de Canon. Les Superieurs de chaque Ordre Ecclesiastique y assisterent avec quantité de personnes considerables. Le soir, les Marchands Anglois & Hibernois, entre lesquels estoient Mrs Henry, la Vic, Poucere, Dekaler & Koane, donnerent un grand Festin, & il fut suivy de plusieurs Feux d'artifice sur les bords de la Riviere & sur la Riviere mesme, accompagnez de décharges de Canon, qui durerent une grande partie de la nuit.

Ce mesme jour, Mrs Patrice Lambert, & Patrice Deans, Irlandois, marquerent leur joye par une grande Messe qu'ils firent chanter à Saint Malo dans l'Eglise de S. Servan, aprés quoy ils donnerent un grand regale à bord de la Fregate nommée, le Marchand. [...]

[Ce qui s’est passé à l’AcadEmie Françoise, le jour de la reception de M. de la Chapelle, avec le Discours qu’il a prononcé] §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 201-226

 

Vous avez sceu que Mr de la Chapelle, Secretaire des Commandemens de Son Altesse Serenissime Monsieur le Prince de Conty, avoit esté nommé pour remplir la place qui vaquoit à l’Academie, par la mort de Mr l’Abbé de Furetiere. Il y fut receu le Lundy 12. de ce mois, & le discours qu’il y prononça receut beaucoup d’applaudissemens. Je ne vous en diray pas davantage, puis que je vous l’envoye entier. Vous y trouverez en original les beaux endroits dont je vous entretiendrois, si je ne vous en envoyois pas une copie.

MESSIEURS,

Si les mouvemens du cœur pouvoient suppléer aux lumieres de l’esprit, l’honneur que vous me faites aujourd’huy ne jetteroit pas dans mes pensées le desordre & la confusion dont je ne puis les developer. Je sçay que cet honneur est d’un prix infiny, & s’il suffisoit de le connoistre pour le meriter, je ne rougirois pas à la veuë de ceux à qui j’en suis redevable, honteux de ne pouvoir donner des expressions à ma reconnoissance.

Eh ! comment en pourrois-je trouver ? A peine initié dans les misteres du Parnasse (s’il m’est permis de me servir de ces termes) par quelques Ouvrages que je n’ose pas mesme avoüer, tant ils me paroissent peu dignes du rang que je viens occuper, & connu seulement par les bontez d’un grand Prince que je n’ay pas meritées, je me trouve élevé au plus haut degré d’honneur, où la Vertu sincere, l’Erudition profonde, l’Eloquence parfaite puissent élever ceux que l’étude des belles Lettres distingue du reste des hommes ; je m’y regarde exposé aux yeux de toute la France, comme sur un Theatre magnifique, où tout ce qui frape mes yeux, étonne mon esprit, & glace ma voix.

Ce silence profond que gardent autour de moy tant d’Hommes illustres, accoutumez à se faire admirer lors qu’ils parlent, ce concours extraordinaire de toutes sortes de personnes, à qui vous ouvrez aujourd’huy les portes de cet auguste Tribunal des Muses, tous ces regards attachez & confondus sur moy, qui presentent aux miens autant de Juges que j’ay d’Auditeurs, Juges inflexibles, & prests sur ce qu’ils vont entendre à approuver ou à condamner vostre choix ; enfin, la dignité de ces lieux, & plus encore la majesté de celuy, qui, quoy qu’absent, les remplit toujours, dont l’Image sacrée préside à toutes vos Assemblées, les échauffe, les anime de cet esprit de grandeur, & de droiture qui éclate dans toutes ses actions.

Quel spectacle pour un homme qui connoist sa foiblesse, & à qui vostre gloire est encore plus chere que la sienne ! J’ose le dire, Messieurs, il estoit de vostre interest que sur le pretexte specieux des occupations que me donne, sur tout en ce temps-cy, mon attachement assidu auprés d’un Prince que j’ay l’honneur de servir, je fusse dispensé de la loy commune qui m’oblige aujourd’huy à vous parler en public ; mais puis qu’il ne m’est pas permis de violer un usage observé depuis si longtemps avec tant d’éclat, puisse le Genie de ce fameux Cardinal à qui cet auguste Corps doit sa naissance, m’inspirer ce qu’il faut que je dise, de mesme que longtemps aprés sa mort il a encore conduit les affaires de cet Empire florissant, & donné le mouvement à celles de toute l’Europe, tant les mesures qu’il avoit prises estoient longues & justes, & les fondemens qu’il avoit jettez estoient solides & assurez. Son nom au dessus de tous les éloges, imprime à ce qu’il a fait un caractere de gloire, qui par ce seul titre attire avec justice à cette illustre Compagnie la veneration de tous les esprits ; mais vous n’estes point de ces Enfans oisifs, qui fiers de la dignité de leur naissance, & ensevelis dans un honteux loisir, pensent succeder à la reputation de leurs Peres, comme à un heritage, sans imiter leurs vertus.

Vous avez encore plus acquis qu’on ne vous a laissé ; vous avez mesme augmenté la gloire de vostre Fondateur, en meritant que l’invincible Monarque qui regne aujourd’huy ne dedaignast pas d’estre vostre Protecteur, ny de remplir une place que deux de ses Sujets ont occupée avant luy, comme si ce grand Prince, aprés avoir porté la France à un degré de puissance, auquel le Cardinal de Richelieu luy-mesme, tout vaste & tout élevé qu’il estoit dans ses projets, n’a jamais porté ses esperances ny ses veuës, comme si, dis-je, il s’estoit fait un plaisir de donner la perfection à tout ce que ce celebre Ministre n’avoit fait que souhaiter pour couronner en mesme temps la vertu d’un grand homme, & faire connoistre la superiorité du genie des Rois sur celuy de leurs Sujets,

Aprés tout, quelque éclatant que soit l’estat où se voit aujourd’huy l’Academie, souffrez que je vous rappelle avec quelque plaisir celuy où elle estoit en naissant ; souffrez que je vous fasse souvenir de ces premiers temps dont vostre histoire a fait une si agreable peinture, temps heureux où l’estime reciproque, l’amitié desinteressée, l’étroite union des cœurs faisoient le principal ornement de l’Academie.

Alors nulle infidelité n’avoit encore obligé l’Academie à retrancher aucun de ses Membres, & nul autre avant moy, en prenant sa place parmy vous, n’avoit esté reduit à deplorer les égaremens de son Predecesseur, au lieu de donner des loüanges à son merite, & des pleurs à sa memoire.

Alors un mesme esprit animoit tous les Membres de ce grand Corps ; un mesme cœur les faisoit mouvoir ; nulle intrigue secrette, nulle crainte, nulle défiance, nulle jalousie ne les divisoit ; chacun regardoit les interests des autres comme les siens propres, & les affaires de chaque Particulier devenoient celles de tout le Corps.

Je ne sçay si mes expressions répondent à mon idée ; mais j’avoüe qu’il se forme dans mon esprit une image si parfaite & si gracieuse de ces premiers temps, que j’ay peine à l’en détacher.

Cependant qu’on ne croye pas fque je ne vous la presente icy, cette heureuse image, que comme une de ces admirables Antiques dont le goust a pery avec ceux qui les ont faites, & dont ceux qui ont travaillé d’aprés n’ont donné que des copies, plus propres à faire admirer les anciens Ouvriers, qu’à nous consoler de leur perte.

Non, Messieurs, cette simplicité noble de nos Peres, cet esprit d’union & de concorde n’est point éteint parmy vous ; il est environné de mille autres qualitez plus brillantes, qui en quelque maniere le derobent aux yeux, mais il n’en est pas moins réel ny moins effectif, & vous conservez encore au Louvre la mesme pureté que vous aviez dans le Temple de Themis.

C’est ainsi que j’appelle la Maison qui vous servit de retraite après la mort du Cardinal de Richelieu ; le Palais d’un des plus illustres Chefs que la Justice ait jamais eus en France, n’est pas indigne d’un titre si auguste.

Combien estoit-il au dessus des autres hommes, cet homme merveilleux, que la multitude des affaires dans la distribution de la Justice commune ne lassa ny ne dégoûta point, que le poids des grandes choses dans le Conseil de nos Rois n’accabla ny ne déconcerta jamais, également sublime, également admiré dans les plus grands & dans les moindres emplois ! Jugez de ce que fut Mr Seguier par ce qui a suivy sa mort, & reparé sa perte. Loüis, l’Invincible Loüis a bien voulu estre son Successeur.

Qu’il me soit permis icy, Messieurs, quoy que je connoisse non peu de forces pour une si haute entreprise, qu’il me soit permis de rendre à cet Auguste Protecteur le juste tribut d’admiration & de loüanges que luy rendent ses Ennemis mesmes, si toutefois il est encore des hommes sur la terre à qui on puisse donner ce nom, assez aveugles & témeraires pour ne pas respecter sa puissance formidable, assez pervers & barbares pour ne pas adorer ses vertus.

N’attendez-pas que je vous entretienne de ses conquestes, ny de ses autres actions encore plus éclatantes que ses Victoires. N’attendez-pas que rassemblant tous les traits de sa gloire en un seul Tableau, je vous represente les bornes de son Estat poussées au delà des Pretentions de ses Ayeux ; les Peuples nouveaux acquis à son Empire ; les Etats les plus éloignez humiliez & tremblans ; les voisins étonnez & soumis ; la terreur de son nom portée aux deux bouts du Monde ; les Pays inconnus à l’Europe avant luy, pleins du bruit de ses exploits & de l’admiration de sa grandeur, la paix, l’abondance & la tranquillité affermies dans son Royaume, tandis que les horreurs de la guerre menacent ou desolent les autres Empires ; le Commerce rendu libre à ses Sujets dans toutes les parties de l’Univers ; la Justice & les Loix rétablies ; la Religion protegée ; l’Heresie détruite.

Sans entreprendre de parcourir toute cette suite de merveilles, je tâcheray seulement de vous faire remarquer en luy un caractere de perfection qui m’a toûjours frapé, & qui me semble élever sa gloire infiniment au dessus de tout ce qui a fait le comble de celle des autres. En effet, d’autres ont esté Conquerans avant luy, mais ils ont borné leurs veuës & leurs projets à gagner des Batailles, & à prendre des Villes, LOUIS va plus loin.

Considerez encore aujourd’huy, plusieurs siecles aprés la mort de ces fameux Vainqueurs, les Pays où ils se sont signalez. Ce ne sont que ruines affreuses, que restes épouvantables de carnage & d’incendie, que deserts d’autant plus horribles, qu’ils ont esté autrefois habitez, & qu’on n’y trouve plus que quelques miserables refugiez sous de tristes mazures où ils gemissent, & n’entendent prononcer qu’en fremissant le nom de ces Conquerans, qui ne sont loüez & admirez que dans les lieux où ils n’ont jamais esté ; & regardez les Pays que Louis a conquis, Villes florissantes, Bastimens superbes qui les embellissent, Fortifications magnifiques qui les ornent & qui les défendent, Peuples heureux & enrichis qui benissent à toute heure le moment où ils ont esté soûmis à sa domination.

On diroit qu’il a voulu faire pour chaque Place ajoûtée à son Empire, ce dont un des premiers Maistres du monde faisoit sa principale gloire pour Rome seule qu’il se vantoit d’avoir trouvée de brique, & d’avoir renduë de marbre.

La mesme singularité glorieuse se trouve dans tout le reste de ses actions. S’il détruit par la juste rigueur de ses Loix la fureur des Duels jusques alors impunie en France, il en imprime en mesme temps l’horreur dans tous les cœurs par l’ardeur de luy plaire, que ses bontez inspirent à ses Sujets, & il attache la honte à ce qui faisoit autrefois la gloire des plus braves.

Si ses Vaisseaux vont sous un autre Ciel porter la gloire de son nom, il entreprend aussi tost d’y faire connoistre & adorer celuy du vray Dieu.

Enfin, s’il détruit entierement une Heresie également fatale à l’Etat & pernicieuse à la Religion, également forte par le nombre de ses Sectateurs, & par la subtilité de ses faux principes, il déracine des semences d’erreurs presque imperceptibles, qui cachées aujourd’huy sous des apparences specieuses, deviendroient un jour de veritables Heresies, si sa sagesse n’étouffoit ces Monstres en naissant ; tant il est vray que le Ciel luy a donné d’agir, d’ordonner, de voir au delà des lumieres des autres hommes.

Je m’imagine, Messieurs, qu’en ce moment où l’idée de la grandeur de ce Roy, toûjours victorieux, honorant cette Compagnie de sa protection, se presente toute entiere à vos esprits, vous me croyez plus accablé de vostre gloire, & plus penetré que jamais du peu de raison que j’avois d’aspirer à l’honneur que vous m’avez fait.

C’est au contraire en ce moment que je deviens plus hardy, & que je trouve qu’il m’est permis de vous dire que j’ay merité la place que vous m’avez accordée. Je me souviens que le Prince à qui je dois vos bontez, a l’honneur d’appartenir à LOUIS LE GRAND, & de là me vient cette espece de presomption qui sied bien quelquefois, & au vray merite, & à la vraye vertu. Ouy, Messieurs, quand je songe à celuy qui me donne à vous, je suis digne de vous. Au lieu des talens que vous cherchez, & que vous ne trouvez point en moy, je vous apporte l’amitié de ce grand Prince, dont il m’a ordonné de vous assurer, amitié precieuse, qui faisoit autrefois la joye & les delices du fameux Heros son Oncle, dont la France pleure encore la perte, & dont tous les siecles publieront la gloire sans la pouvoir jamais égaler.

Il estoit, vous le sçavez, un des plus chers obiets de l’estime & des tendres affections de cet Oncle si admirable, & qu’il souffre que je le dise, cette estime ny cette affection n’estoient point aveugles, il a paru digne en effet des soins & de l’attachement du grand Prince de Condé. Quand j’oserois entreprendre de vous faire son éloge, & de m’abandonner aux mouvemens de mon cœur, aprés la défense qu’il m’en a faite, je ne sçay si je pourrois rien ajoûter à ce que je viens de vous dire, ny de plus glorieux pour luy, ny de plus universellement avoüé de tout le monde.

Mais il ne m’a permis, Messieurs, de vous parler de luy que pour vous faire des remercimens, & vous assurer qu’il veut bien prendre part à l’obligation que je vous ay, dont je ne perdray jamais le souvenir, & dont la reconnoissance sera aussi longue que ma vie.

[Le Genie, Ouvrage de M. Perrault] §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 227-244

 

Vous sçavez que l’Academie change tous les trois mois de Directeur, & que c’est le sort qui en décide. Mr Charpentier pour qui il s’estoit déclaré, estoit alors à la teste de cette celebre Compagnie ; ainsi ce fut luy qui répondit à M. de la Chapelle. Il y a longtemps que les excellens Ouvrages qu’il a donnez au Public, vous ont fait connoistre son merite. Aprés qu’il eut cessé de parler, on eut le plaisir d’entendre une Epistre en Vers de M. Perrault, qu’il adresse à Mr de Fontenelle. Elle fut lûë par Mr l’Abbé de la Vau, & receut un applaudissement general, Le mesme Mr de la Vau lût ensuite une Priere pour le Roy, aussi en Vers, de Mr Boyer, & la seance finit par la lecture que fit Mr le Clerc d’une Paraphrase de l’Exaudiat. Ils receurent l’un & l’autre les loüanges qu’ils meritoient. Voicy l’Ouvrage de Mr Perrault.

LE GENIE ;
EPISTRE
A MONSIEUR
DE FONTENELLE.

Comme on voit des Beautez sans grace & sans appas,
Qui surprennent les yeux, mais qui ne touchent pas,
Où brille vainement sur un jeune visage
De la rose & du lys le pompeux assemblage,
Où sous un front serein de beaux yeux se font voir
Comme des Rois captifs, sans force & sans pouvoir :
Tels on voit des Esprits au dessus du vulgaire,
Qui parmi cent talens n’ont point celuy de plaire.
En vain, cher Fontenelle, ils sçavent prudemment
Emploier dans leurs vers jusqu’au moindre ornement,
Prodiguer les grands mots, les figures sublimes,
Et porter à l’excés la richesse des rimes ;
On bâille, on s’assoupit, & tout cet appareil
Aprés un long ennuy cause enfin le sommeil.
 Il faut qu’une chaleur dans l’ame répanduë,
Pour agir au dehors, l’esleve & la remuë,
Luy fournisse un discours qui dans chaque Auditeur
Ou de force ou de gré trouve un approbateur,
Qui saisisse l’esprit, le convainque & le pique,
Qui deride le front du plus sombre Critique,
Et qui par la beauté de ses expressions
Allume dans le cœur toutes les passions.
 C’est ce feu qu’autrefois, d’une audace nouvelle,
Promethée enleva de la voûte éternelle,
Et que le Ciel répand, sans jamais s’épuiser,
Dans l’ame des Mortels qu’il veut favoriser.
L’homme, sans ce beau feu qui l’éclaire & l’épure,
N’est que l’ombre de l’homme & sa vaine figure,
Il demeure insensible à mille doux appas
Que d’un œil languissant il voit & ne voit pas.
Des plus tendres accords les sçavantes merveilles
Frapent sans le charmer ses stupides oreilles,
Et les plus beaux objets qui passent par ses sens,
N’ont tous, pour sa raison, que des traits impuissans ;
Il luy manque ce feu, cette divine flame,
L’esprit de son esprit, & l’ame de son ame.
 Que celuy qui possede un don si precieux,
D’un encens eternel en rende grace aux Cieux ;
Eclairé par luy-mesme & sans étude habile,
Il trouve à tous les Arts une route facile ;
Le sçavoir le previent, & semble luy venir
Bien moins de son travail que de son souvenir.
Sans peine il se fait jour dans cette nuit obscure
Où se cache à nos yeux la secrette Nature,
Il voit tous les ressorts qui meuvent l’Univers ;
Et si le sort l’engage au doux mestier des vers,
Par luy mille beautez à toute heure sont veuës,
Que les autres Mortels n’ont jamais apperçeuës ;
Quelque part qu’au matin il découvre des fleurs,
Il voit la jeune Aurore y répandre des pleurs ;
S’il jette ses regards sur les plaines humides,
Il y voit se joüer les vertes Nereides,
Et son oreille entend tous les differens tons
Que poussent dans les airs les Conques des Tritons.
S’il promene ses pas dans une forest sombre,
Il y voit des Silvains & des Nymphes sans nombre,
Qui toutes l’arc en main, le carquois sur le dos,
De leurs cors enroüez reveillent les échos,
Et chassant à grand bruit vont terminer leur course
Au bord des claires eaux d’une bruiante source.
Tantost il les verra sans arc & sans carquois
Danser durant la nuit au silence des bois,
Et sous les pas nombreux de leur danse legere
Faire à peine plier la mousse & la fougere,
Pendant qu’aux mesmes lieux le reste des Humains
Ne voit que des chevreuils, des biches & des daims.
C’est dans ce feu sacré que germe l’Eloquence,
Qu’elle y forge ses traits, sa noble vehemence,
Qu’elle y rend ses discours si brillans & si clairs ;
C’est ce feu qui formoit la foudre & les éclairs
Dont le fils de 3Xantippe & le grand Demosthenes
Effrayoient à leur gré tout le peuple d’Athenes.
C’est cette même ardeur qui donne aux autres Arts
Ce qui merite en eux d’attirer nos regards,
Qui feconde, produit par ses vertus secrettes
Les Peintres, les Sculpteurs, les Chantres, les Poëtes,
Tous ces hommes enfin en qui l’on voit regner
Un merveilleux sçavoir qu’on ne peut enseigner,
Une sainte fureur, une sage manie,
Et tous les autres dons qui forment le Genie.
Au dessus des beautez, au dessus des appas
Dont on voit se parer la Nature icy-bas.
Sont dans un grand Palais soigneusement gardées
De l’immuable Beau les brillantes idées ;
Modelles eternels des travaux plus qu’humains
Qu’enfantent les esprits ou que forment les mains.
Ceux qu’anime & conduit cette flame divine
Qui du flambeau des Cieux tire son origine,
Seuls y trouvent accés, & par d’heureux efforts
Y viennent enlever mille riches trésors.
Les celebres Mirons, les illustres Apelles
Y prirent â l’envy mille graces nouvelles,
Ces charmantes Venus, ces Jupiters tonnans
Où l’on vit éclater tant de traits étonnans,
Que la Nature mesme en ses plus beaux Ouvrages
Ne peut nous en donner que de foibles images.
Ce fut là qu’autrefois sans l’usage des yeux,
Du Siege d’Ilion le Chantre glorieux
Découurit de son Art les plus sacrez mysteres.
Et prit de ses Heros les divins caracteres
Ce fut là qu’il forma la vaillance d’Hector,
Le courage d’Ajax, le bon sens de Nestor,
Du fier Agamemnon la conduite severe,
Et du fils de Thetis l’implacable colere ;
Ulisse y fut conceu toujours sage & prudent,
Thersite toûjours lâche & toujours impudent.
Dans ce mesme sejour tout brillant de lumieres,
Où l’on voit des objets les images premieres,
Il sceut trouver encor tant de varietez,
Tant de faits merveilleux sagement inventez,
Que malgré de son temps l’ignorance profonde,
De son temps trop voisin de l’enfance du monde,
Malgré de tous ses Dieux les discours indecens,
Ses redites sans fin, ses contes languissans
Dont l’harmonieux son ne flatte que l’oreille,
Et qu’il laisse échapper quand sa Muse sommeille,
En tous lieux on l’adore, en tous lieux ses écrits
D’un charme inévitable enchantent les esprits.
C’est là que s’élevoit le Heros de ta race,
Corneille, dont tu suis la glorieuse trace.
C’est là qu’en cent façons sous des fantômes vains
S’apparoissoit à luy la Vertu des Romains,
Qu’habile il en tira ces vivantes images
Qui donnent tant de pompe à ses divins ouvrages,
Et qu’il releve encor par l’éclat de ses vers,
Delices de la France & de tout l’Univers.
En vain quelques Auteurs dont la Muse sterile
N’eût jamais rien chanté sans Homere & Virgile,
Pretendent qu’en nos jours on se doit contenter
De voir les Anciens & de les imiter,
Qu’en leurs doctes travaux sont toutes les Idées
Que nous donne le Ciel pour estre regardées,
Et que c’est un orgueil aux plus ingenieux,
De porter autre part leur esprit & leurs yeux.
Combien sans le secours de ces rares modelles
En voit-on s’élever par des routes nouvelles ?
Combien de traits charmans semez dans tes écrits,
Ne doivent qu’à toy seul & leur estre & leur prix ?
N’a-t’ on pas vû des Morts aux rives infernales
Briller de cent beautez toutes originales,
Et plaire aux plus chagrins sans redire en françois
Ce qu’un aimable Grec leur fit dire autrefois ?
De l’Eglogue, en tes vers, éclate le merite,
Sans qu’il en couste rien au fameux Theocrite
Qui jamais ne fit plaindre un amoureux destin,
D’un ton si delicat, si galant & si fin.
Pour toy, n’en doutons pas, trop heureux Fontenelle,
Des nobles fictions la source est éternelle ;
Pour toy, pour tes égaux, d’un immuable cours
Elle coule sans cesse & coulera toujours.

Cette Epistre vous fait voir que Ms Perrault persiste à soûtenir que les Modernes qui ont du Genie, peuvent faire quelque chose de tres-bon sans imiter servilement les Anciens. Il fait imprimer un Ouvrage en Prose intitulé, Paralelle [sic] des Anciens & des Modernes en ce qui regarde les Arts & les Sciences. Comme il traite cette matiere à fond, vous aurez le plaisir de voir l’injustice des preventions où sont quantité de gens à l’égard des uns & des autres.

Je ne puis finir cet Article d’Academie sans vous apprendre que Mr Guyonnet de Vertron, Academicien d’Arles, a esté receu dans celle des Ricourati de Padouë, à la place de feu Mr le Duc de S. Aignan.

[Tout ce qui s'est passé au Mariage de Monsieur le Prince de Conty] §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 247-248, 252, 254, 258-283

 

Le Roy ayant arresté le Mariage de son Altesse Serenissime Monsieur le Prince de Conty, avec Mademoiselle de Bourbon, & que la ceremonie des Fiançailles se feroit le 28. du mois passé, ce Prince & cette Princesse se rendirent ce jour là à quatre heures aprés midy dans l'Appartement de Madame la Dauphine. [...]

 

Le lendemain toute la Maison Royale, & toute la Cour magnifiquement parée s'étant trouvée à la Messe du Roy, ce mesme Prelat [l'évêque d'Orléans] fit en presence de Sa Majesté la ceremonie des Epousailles. [...]

 

L'apresdinée ce Prince receut ses visites dans l'Appareement [sic] de son Altesse Serenissime Monsieur le Prince, où l'on avoit preparé toutes choses pour le coucher des Epousez. Aprés le Soupé, le Roy descendit dans cet Appartement. [...]

 

Aprés que Madame la Princesse de Conty eut esté mise au lit, le Roy y conduisit Mr le Prince de Conty. Ces nouveaux Mariez receurent encore le lendemain des visites dans le mesme appartement. Le Roy leur fit l'honneur de les aller voir à l'issuë de son disner. Monseigneur le Dauphin étant à Livry ce jour-là, leur rendit visite à Paris. Madame la Dauphine leur fit le mesme honneur à Versailles le jour que le Roy y alla, & ils furent visitez de toute la Maison Royale avant que de venir à Paris, & de tout ce qu'il y avoit de personnes distinguées à la Cour. Ils partirent de Versailles l'aprésdînée du jour suivant, pour se rendre icy à l'Hostel de Conty. Monseigneur avoit resolu de venir voir ce jour-là Monsieur le Prince & Madame la Princesse de Conty, ce qui fut cause qu'on travailla avec toute la diligence possible aux apprests d'une Feste proportionnée à la promptitude avec laquelle il falloit s'y préparer, & qui, quoy que belle, estoit encore au dessous du zele de Monsieur le Prince de Conty, & de ce qu'il auroit fait s'il avoit eu plus de temps. Monseigneur arriva sur les cinq heures du soir, & fut receu à la descente de son Carrosse, par Monsieur le Prince, Monsieur le Duc, & Monsieur le Prince de Conty. Il monta d'abord dans l'appartement haut qui donne sur le Jardin, ce qui le rend fort agreable. Comme le jour estoit encore grand, on ne le voyoit briller que par l'éclat de ses meubles, qui sont fort magnifiques. Il est composé d'un grand Salon, d'une tres-belle antichambre, d'une grande chambre, d'une plus petite pour coucher, & de deux fort beaux Cabinets, le tout formant une tres-belle enfilade, & aboutissant à un grand bassin sur l'eau, qui donne un agrément merveilleux à tout ces appartement. A costé du dernier des deux Cabinets on trouva une Collation composée de tout ce que la saison avoit pu fournir de plus rares fruits, & de toutes sortes d'eaux glacées, & de liqueurs. On passa ensuite dans un grand salon, éclairé par un fort grand nombre de Lustres, de Girandoles, & de flambeaux, où un divertissement en forme d’Opera avoit esté preparé. Ce Salon estoit partagé en deux. Il y en avoit une moitié pour les Spectateurs, & l’autre étoit occupée par le Theatre. Comme le terrein manquoit, Mr Berrin avoit trouvé moyen d’épargner celuy qui auroit esté necessaire pour faire un Orchestre, & avoit fait faire trois Amphitheatres sur le Theatre, un de chaque costé, & un autre dans le fond. Ils estoient dans des manieres de Corridors, avec des appuys en Balustres pardevant, sur lesquels on voyoit de fort beaux Tapis. Toute la Musique estoit dans les Amphitheatres des costez, & la Simphonie dans celuy du fonds, de sorte qu’elle estoit également entenduë de tout le monde. Quand Monseigneur fut placé, on tira des rideaux qui estoient au devant du Theatre au lieu de toile, & l’on fut surpris de voir un nombre infiny de personnes magnifiquement vestuës, representant plusieurs Divinitez qui devoient servir d’Acteurs à une maniere d’Epitalame. Cet ouvrage mis en Musique par Mrs de Lully estoit de la composition de Mr de la Chapelle, Secretaire des Commandemen de Monsieur le Prince de Conty, qui avoit le soin, & la conduite de toute la Feste. Minerve parut d’abord, & chanta ces vers qui servirent de Prologue.

Dieux des Arts, occupez au Temple de Memoire
 A consacrer à l’immortalité,
Le nom d’un Roy dont les faits & la gloire
Paroistront un prodige à la posterité,
Cessons de celebrer ses travaux, ses merveilles,
L’Univers a tremblé, les Peuples sont soumis ;
Le Vainqueur regne en paix, & n’a plus d’Ennemis ;
Ses bontez, ses exploits ont épuisé nos veilles.
 Il nous permet d’interrompre en ce jour,
Les soins que nous prenons pour sa gloire immortelle
Et veut qu’icy l’Hymen, d’accord avec l’Amour,
Chante les doux plaisirs d’une ardeur mutuelle,
Qui joint aux nœuds du sang une chaîne nouvelle.

On vit ensuite paroistre Apollon qui fit cette Scene avec Minerve.

APOLLON.

 Je quitte les Valons sacrez,
  Où je tiens mon Empire,
Et je viens avec vous ordonner & conduire
Tout l’appareil des Jeux qu’icy vous celebrez.

MINERVE.

 Ah, qu’ils auront de charmes & de gloire !
Apollon vient luy-mesme augmenter leurs appas,
  Et les Filles de Memoire
  Accompagnent ses pas.

APOLLON.

 Vous le sçavez, Minerve, & le soin qui me presse,
  Comme moy vous interesse.
 Que ne devons-nous point à ce sang glorieux,
Dont les Heros s’assemblent en ces lieux !

Apollon & Minerve ayant repeté ensemble ces deux derniers Vers, la Suite de l’un & de l’autre fit une entrée de Ballet, aprés quoy Apollon reprit.

 Muses, Dieux, sur qui je preside,
 Je vous laisse en ce beau sejour,
Venez, paroissez tous ; venez, suivez l’Amour,
Tous les lieux sont charmans quand l’Amour sert de guide.

Ce prologue estant finy, l’Amour vint chanter ces Vers, qu’il adressa aux jeux & aux plaisirs qui l’accompagnoient.

 Aimables jeux, suivez mes pas,
 Doux plaisirs, redoublez vos charmes,
  Offrez tous vos appas
A deux cœurs dont l’Hymen a finy les alarmes.
 C’est desormais dans ce séjour
 Que je veux établir ma Cour.
 Preparez de galantes Festes
Pour celebrer l’Hymen de ces heureux Epoux ;
  Dans les lieux où vous estes
  Tous les momens sont doux.

Il y eut icy une Entrée de Balet, & la Nuit estant survenuë, commença par ces Vers tout le divertissement qui suit.

 Qui vient troubler la paix de cet azile ?
  Mortels, finissez ces Concerts ;
  Joüissez du repos tranquille
  Que je donne à tout l’Univers.
  La Nuit se plaist dans le silence,
Elle finit du jour les penibles travaux.
N’opposez à ses loix aucune resistance,
  Couronnez-vous de ses pavots.
Cedez à leur paisible & douce violence,
  Goûtez les charmes du repos.

L’AMOUR.

 Charmante Nuit, secondez mon envie.
Pour plaire à deux Epoux sortis du sang de Mars
 J’ay rassemblé de toutes parts
Tout ce qui peut former la plus douce harmonie,
 Charmante Nuit, secondez mon envie,

LA NUIT.

 Fuyez, fuyez de ce séjour,
Sommeil, portez ailleurs un secours necessaire ;
 Vostre Empire ne dure guere
 Dans les lieux où regne l’Amour.

L’AMOUR.

 Laissons dormir l’inutile Vieillesse,
  Dont la tendresse
 Se perd en vains desirs.
 L’unique soin de la Jeunesse
  Est de veiller sans cesse,
Et de chercher toujours l’amour & les plaisirs.

La Nuit & le Chœur.

Laissons dormir l’inutile Vieillesse.
  Heureux Epoux,
 L’Amour veille avec vous.

L’AMOUR.

Le plus puissant des Dieux a celebré luy-mesme
Cet Hymen plus heureux que celuy de Thetis.
Rien n’en trouble la paix ny la douceur extrême,
Et l’Amour & l’Hymen sont pour jamais unis.

DEUX PLAISIRS.

 Chantons la douce intelligence
 Où ces Dieux vivront desormais.
C’est à vous que l’on doit cette heureuse alliance,
 Tendres Epoux, goûtez-en les attraits.

L’AMOUR.

Pour leur marquer mon zele & ma reconnoissance
 J’invente un Divertissement
Digne, si je le puis, de leur plaire un moment.
 J’ay besoin de vostre assistance,
Et la Nuit est plus propre aux plaisirs de l’Amour
 Que le brillant éclat du jour.

LA NUIT.

Les Graces & l’Hymen icy viennent ensemble.
 Quel bonheur les assemble !

L’AMOUR.

 En faveur des nouveaux Epoux
 J’ordonne aux Graces de le suivre,
  Ah, s’il est doux de vivre,
 Ce ne doit estre qu’avec nous.
Venez, aimable Hymen, que rien ne nous separe,
 Venez prendre part aux plaisirs
 De la Feste que je prepare,
Et n’ayons desormais que les mesmes desirs.

La Nuit & deux Plaisirs.

Regnez, charmant Hymen, couronnez la tendresse
 De tous les cœurs que l’Amour blesse.
 Aimables Dieux, ne vous quittez jamais ;
 Que vostre Empire aura d’attraits !
Regnez, charmant Hymen, couronnez la tendresse
 De tous les cœurs que l’Amour blesse.

L’HYMEN.

  Pour les fidelles Amans
L’Amour n’est point sans alarmes,
  Leurs plaisirs les plus charmans
  Leur coustent toujours des larmes ;
Mais quand l’Hymen unit tous leur momens,
 L’Amour n’a plus que des charmes
  Pour les fidelles Amans.

L’AMOUR & L’HYMEN.

Que nostre intelligence est belle !
 Qu’elle soit eternelle.

L’HYMEN.

 Mais qu’entens-je ? Junon vient dans ce beau séjour.
Que d’éclat ! que de gloire & de magnificence !

JUNON.

 Que j’aime à voir l’intelligence,
 Où l’Hymen est avec l’Amour !
Ces Epoux, dont la chaine aujourd’huy vous rassemble,
  Sont dignes des soins glorieux
  De tous les Immortels ensemble,
 Voyez ce que je fais pour eux.
Je vais rendre eternel vostre innocent commerce,
  Pour asseurer leurs plaisirs,
 Fuyez, chagrins, fuyez, tristes soupirs ;
Dans leur aimable ardeur que rien ne les traverse,
 Et que tout flate leurs desirs.

L’AMOUR.

Junon dans nos Jeux s’interesse,
Qu’ils auront de charmes divers !
 Montrez vostre allegresse,
  Redoublez vos concerts.

Il se fit icy une troisiéme Entrée de Balet.

JUNON.

Sortez du noir séjour, hastez-vous de me plaire,
 Pluton répondez à ma voix.

PLUTON.

 A quoy te suis-je necessaire ?
Commande ; mon Empire est soumis à tes loix.

JUNON.

L’Amour celebre une Feste nouvelle,
Je partage ses soins, j’autorise son zele,
Eloignez de ces lieux ce qui pourroit troubler
Les innocens plaisirs qu’il a sceu rassembler…
Dans l’affreuse épaisseur de vos funestes ombres,
Enchaisnez la Discorde & les Soupçons jaloux.
Allez revoir l’horreur de vos demeures sombres,
 Dieu des Enfers, allez, protegez nous.

PLUTON.

Je t’obeis, je vais dans leurs Antres funebres
Accabler sous les fers ces Monstres odieux ;
  Je vais voiler leurs yeux
  D’éternelles tenebres,
 Et rien ne troublera les jeux
 De la Feste que tu celebres.
 Noirs Ministres de mon couroux,
  Suivez mes pas, préparez-vous,
Venez dans nos prisons les plus impenetrables
  Ensevelir pour jamais
  Les Ennemis detestables
  De l’Amour & de la Paix.

L’AMOUR.

La Discorde, la Jalousie
 Ne suivront jamais vos pas ;
Heureux Epoux, jouissez des appas
 D’une innocente vie.

JUNON.

 Aimable Nuit, tandis qu’en ces momens
Je comble de douceurs cet heureux hymenée,
  Pour accomplir cette journée
  Fais par quelques Songes charmans,
  Predire à ces tendres Amans
  Le bonheur de leur destinée.

LA NUIT.

Doux Enfans du Sommeil, agreables mensonges,
 Par qui les Mortels enchantez,
De leurs biens à venir sçavent les veritez,
Répondez à ma voix, accourez, heureux Songes.
Montrez à ces Epoux de combien de beaux jours,
De combien de bonheur par tout sera suivie
 La plus heureuse & la plus belle vie
Dont la Parque jamais puisse filer le cours.

Premier SONGE heureux.

  Pour vos cœurs enflamez
Ne craignez point les nœuds dont l’Hymen vous enchaîne,
 Ils sont exempts de toutes peines.
Sous ses plus douces loix l’Amour les a formez
  Pour vos cœurs enflamez.

Deuxiéme SONGE heureux.

Princesse, vostre Epoux sera toujours aimable,
Et vous aurez toujours le pouvoir de charmer.
 Est-il un bien plus desirable
Que d’avoir en tout temps de quoy se faire aimer ?

LA NUIT.

 Les Ris, les Plaisirs & les Jeux
 Vous comblent de douceurs extrêmes,
 Vostre destin est plus heureux
Et plus beau que celuy des Dieux mesmes.
 L’Amour sans cesse offre à vos vœux
 Les Ris, les Plaisirs, & les Jeux.

L’AMOUR & L’HYMEN.

Vos vertus ont des Dieux attiré la presence,
  Et merité leur secours.
 Heureux Epoux, que leur puissance
 Veille à jamais sur vos beaux jours.

Une GRACE.

 Princesse aimable, Amour vous favorise,
 Dans vos plaisirs l’Hymen vous autorise,
Cedez à leurs transports, goustez-en les douceurs,
  Vous regnez sur tous les cœurs.
  Fille de la vertu mesme
  Vous marchez sur ses pas,
  Vous auez ses solides appas ;
Que vous rendez heureux le Heros qui vous aime !
Chantons, chantons sa gloire, & son bonheur extrême.

Un PLAISIR & une GRACE.

O Ciel, prens soin de leurs destinées,
 Que pour eux tes faveurs
 Ne soient jamais bornées.
Dans les plaisirs, dans les honneurs
Fais couler toutes leurs années.

L’AMOUR.

Unissons-nous, offrons nos Jeux les plus charmans
 A deux Epoux toujours amans.
  N’oublions rien pour plaire
  Dans ces aimables lieux,
  Rien ne nous est contraire ;
  On y voit briller des yeux
  Plus beaux que la lumiere.
  Dont se parent les Cieux.
  N’oublions rien pour plaire.

Un PLAISIR.

Que l’Amour a d’attraits
Pour un cœur qu’il inspire !
Heureux qui sent ses traits,
Trop heureux qui soupire !
Ne nous lassons jamais
De suivre son empire.

Il y eut encore icy une entrée de Balet.

Une GRACE.

L’Hymen a cent douceurs
Pour un cœur qui l’appelle ;
Il bannit les rigueurs
D’une Beauté cruelle,
Et charme les langueurs
D’un cœur tendre & fidelle.
Cedez à vostre tour,
Beautez à qui tout cede.
Faut-il qu’en ce beau jour
La crainte vous possede ?
Des maux que fait l’Amour
L’Hymen est le remede.

L’HYMEN.

 Vivez, heureux Epoux,
 Dans une paix profonde,
Voyez toujours comblez de nos biens les plus doux,
Vivez, heureux Epoux, pour le bonheur du monde,
Donnez-luy des Heros qui soient dignes de vous.

Le Chœur repeta les deux derniers Vers, comme il en a voit repeté plusieurs autres en divers endroits que j’ay cru inutile de vous marquer.

Ce divertissement estant finy, Monseigneur traversa le mesme Appartement par lequel il avoit déjà passé. [...]

[Autre article touchant les réjoüissances faites à Paris, pour la naissance du Prince de Galles] §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 301-306, 316-319

 

Quoy que vous ayez déjà veu dans cette Lettre un long article touchant la naissance du Prince de Galles, & les réjoüissances qu'elle a fait faire en divers endroits, je dois vous donner icy une continuation de ce mesme article, dont je n'avois pas les particularitez lors que je l'ay commencé. Mr Skelton, au retour des Audiences qu'il eut à Versailles, donna les premieres marques de sa joye, en traitant tous les Anglois de qualité qui estoient à Paris, & resolut de faire un Feu d'artifice afin que le Public y pust prendre part. Comme il sçavoit bien que toutes les Festes considerables qui se font en France estoient de l'invention de Mr Berrin, il le pria d'avoir soin de la Decoration de ce Feu, & ne luy donna que fort peu de temps pour y faire travailler, quoy qu'il souhaitast quelque chose qui répondist à la grandeur de son zele. Le jour qu'il regala le Public de ce spectacle, il le fit annoncer dés six heures du matin, par un grand nombre de Boëtes. Elles recommencerent sur le midy, & le Peuple en fut plus particulierement informé par deux Fontaines de vin qui coulerent ce jour là, & pendant une grande partie de la nuit devant l'Hôtel de Mr l'Envoyé. Un peu avant qu'on tirast le Feu, il fit servir une magnifique Collation aux Ministres des Princes Etrangers, à plusieurs Dames de qualité Angloises & Françoises, & generalement à tous ceux qui avoient esté conviez, dont le nombre montoit à prés de deux cens personnes. Tout estant prest pour tirer le feu, Mr Skelton qui demeure proche de l'Hostel de Conty, sçachant que Madame la Princesse de Conty y estoit avec Madame la Princesse, & Madame la Duchesse, en usa d'une maniere fort honneste & fort galante, Il leur envoya Mr Lochemont, son Ecuyer, pour sçavoir d'elles quand elles vouloient que l'on commençast à allumer. Elles répondirent fort obligemment à cette honnesteté dont elles le remercierent, & dirent que puis qu'il vouloit bien avoir cette déference, elles luy demandoient encore une demy-heure. Pendant ce temps le Peuple qui remplissoit la Place où le Feu estoit dressé, se divertissoit à voir l'Illumination du Logis de M Skelton, ainsi qu'à entendre les Hautbois, les Timbales, & les Trompettes. La demy-heure que les Princesses avoient demandée s'estant écoulée, on alluma, non pas l'Artifice suivant ce qui s'est toujours pratiqué, mais les lumieres dont l'architecture de cet édifice estoit toute profilée, de sorte que longtemps avant que l'Artifice joüast, cet édifice parut tout brillant, & tout couvert d'un nombre infiny de lumieres, sans pourtant qu'aucun membre de l'architecture en fust caché. [...]

 

Je vous envoye une Estampe du Feu, que j'ay fait graver beaucoup plus exacte & mieux travaillée, que celle qui courut parmy le Peuple le jour du Spectacle. Lors qu'il fut finy, Mr Skelton fit continuer l'Illumination & les Fontaines de vin tout le reste de la nuit, & partit de Paris, avec tous ceux qu'il avoit conviez, pour se rendre au Chasteau de Montrouge. On y servi un magnifique Soupé sur quatre tables de quarante couverts chacune. Les plats furent portez par cent Suisses, au son des Violons & des Hautbois, ausquels répondoient les Timbales, & les Trompettes. Il y avoit cent Boëtes dans le Jardin. On en fit plusieurs décharges lors que l'on but la santé des deux Rois, & des Maisons Royales. Toute la court du Chasteau estoit illuminée, & il y avoit au milieu une piramide de lumieres, où estoient representées les Armes d'Angleterre, d'Ecosse, & d'Irlande. On voyoit un Chesne au dessus, en memoire de celuy qui garantit le feu Roy d'Angleterre la poursuite de ses Ennemis. Trois couronnes estoient attachées à ce Chesne, & il y avoit sur le sommet de la piramide un Lion armé, qui tenoit trois épées nuës avec ces mots, Nemo me impune lacessit. Cette grande Feste se termina par un Bal qui dura jusques à cinq heures du matin. Le soir suivant, Mr l'Envoyé regala plusieurs autres personnes qui n'avoient pu avoir place à ce grand repas, ce qui se fit encore avec beaucoup de magnificence, & au bruit des Boëtes & de plusieurs Instrumens. [...]

[Parution de la sixième partie de l’Histoire de Hongrie]* §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 320-321

 

Voicy, Madame, ce que vous me demandez il y a longtemps, je veux dire, la sixiéme Partie de l’Histoire des Troubles de Hongrie. Elle contient tout ce qui s’est passé pendant l’année entiere de 1687. tant du costé des Imperiaux, que de celuy des Othomans, la Bataille que ces Infidelles perdirent auprés de Mohats, les diverses Conquestes de l’Empereur avec la reddition d’Agria ; le Couronnement de l’Archiduc Joseph, aujourd’huy Roy de Hongrie, la Déposition de Mahomet IV. l’élevation de Soliman III. & les malheurs causez à Constantinople par la revolte des Troupes. Cette sixiéme Partie se vend chez les Sieurs de Luines & Guerout, Marchands Libraires à Paris, qui debitent les cinq premieres.

[Livres de Musique de M. Martin] §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 322-323

 

Depuis qu'on imprime la Musique, personne ne s'estoit encore avisé de faire imprimer des Airs serieux & Bachiques à deux ou trois Parties, mêlées de simphonies & d'accompagnemens, de maniere qu'on puisse jouër tout un Livre de suite, sans trouver deux Airs d'une mesme modulation. C'est ce que vient de faire M. Martin, qui a donné au Public un Livre qu'il a composé exprés pour former un petit concert. Chaque récit ou Trio chantant est precedé d'une petite simphonie, comme Ouvertures, Chaconnes, Rondeaux, & autres petites Pieces de caprice, propres pour les Violons & pour les Flûtes avec des accompagnemens dans tous les Recits ; & afin de faciliter le concert, il les a fait imprimer en quatre Parties, & a joint à la Basse continuë tous les Recits chantans en partition, pour plaire aux personnes qui peuvent s'accompagner elles-mesmes du Clavessin, du Theorbe, ou de la Basse de Viole. Ces Livres se debitent chez le Sieur Guerout. Court-neuve du Palais.

[Air nouveau]* §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 330-331.

J'espere que vous me tiendrez compte du second Air nouveau que je vous envoye gravé, & dont voicy les paroles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Amour, que tes, doit regarder la page 330.
Amour, que tes feux sont à craindre !
Un cœur les reçoit aisément,
Mais las ! que ce cœur est à craindre
Lors qu'il voudroit, & ne sçoit pas comment
Les éteindre.

Ces paroles & cet Air sont du fameux M. de Bacilly, qui a fait graver depuis peu ses Airs Spirituels tout autrement qu'ils n'estoient, non seulement pour la graveure, mais pour quantité de changemens & d'augmentations, dont il est parlé dans un discours qui est à la fin du Livre. Entre les Airs nouvellement ajoûtez, il y a un Recitatif à la maniere des Scenes des Opera. Quant aux Airs qui ont paru dans les Editions precedentes, ils sont tellement changez, tant pour les premiers que pour les seconds couplets qu'ils ne sont presque pas reconnoissables. Il n'y a point à douter qu'ils ne soient receus favorablement par tout, & mesme dans les Monasteres de Religieuses, puis que le nom de M. l'Archevesque de Paris à qui ils sont dediez, leur y donnera l'entrée. Ce Livre se vend chez le Sieur Guerout, Cour-neuve du Palais.

images/1688-07_330.JPG

[Errata]* §

Mercure galant, juillet 1688 [tome 10], p. 337-338

 

Comme on n’a jamais assez de soin de bien écrire les noms propres, ou a mis dans le Mercure de Juin, en parlant d’un Sermon prêché le Mardy Saint dans la Cathedrale de Troyes, M. l’Abbé Romond, au lieu de Remond. Il est Chanoine de l’Eglise de S. Urbain.

On a mis aussi sur l’Article d’une traduction de Vers Italiens qu’elle estoit du Fils de M. Moreau, Avocat general de la Chambre des Comptes de Dijon ; elle est de M. son Frere.