Mercure galant, août 1688 [tome 11].
Mercure galant, août 1688 [tome 11]. §
[Sonnet] §
Il faut l’avoüer, Madame, nous sommes heureux de vivre dans un Climat temperé, & sous le regne d’un Roy qui nous feroit de beaux jours, si la Saison nous en refusoit. Un Canton de Champagne en eut de méchans au commencement de cet Esté ; il fut ruiné par la gresle. Sa Majesté n’eut pas plûtost esté avertie de cette perte, qu’Elle songea à la reparer par une somme considerable qu’Elle envoya aussi tost à Mr de Miromenil, Intendant de la Province, pour estre distribuée à ceux qui avoient le plus souffert. C’est ainsi que ce Monarque fait non seulement de beaux jours, mais mesme une heureuse année à un Peuple qui s’estoit vû en danger d’en passer une méchante. Voicy un Portrait de ce grand Prince dans un Sonnet de Mr l’Abbé le Houx.
Estre sage en tout temps, rendre à tous la justice,Etendre ses bontez jusqu’à ses Ennemis,Faire par ses vertus la candeur de ses Lys,Avoir plus de panchant au pardon qu’au supplice.***Entrer au champ de Mars le premier dans la lice,Remplir le monde entier de ses faits inoüis,Acquerir à son Dieu de nouveaux cœurs soumis,C’est là le vray secret d’avoir le Ciel propice.***Alexandre, Cesar, Scipion l’Affricain,Sont autant de grands noms qui n’ont rien que de vain,Ils ont couvert de sang presque toute la terre.***Mais l’Auguste Loüis par ses rares exploits,N’eut jamais de pareil dans la Paix, dans la Guerre,Et se verra toûjours le modelle des Rois.
Il seroit bien mal-aisé de dire plus en moins de paroles. Cependant, quoy que ce Sonnet dise beaucoup, il est impossible que Mr l’Abbé le Houx ait dépeint en quatorze Vers toutes les vertus d’un Prince, dont il n’y a point d’Historien qui puisse se vanter d’écrire la Vie, sans oublier un nombre infiny d’actions, qui se perdent dans la foule de ce qu’il fait tous les jours de grand, & qui serviroient à faire briller l’Histoire de beaucoup de Souverains, dont ils feroient les plus éclatans endroits.
[Ouvrage lû à l’Academie Françoise le jour de la Reception de M. de la Chapelle] §
Aussi peut-on dire que tous les François touchez pour luy du plus tendre amour, font les mesmes vœux, que Mr Boyer a faits dans les Vers qui furent leus à l’Academie Françoise, le jour que Mr de la Chapelle y fut receu. Je vous les envoye, estant fort persuadé qu’ils vous paroistront tres-dignes de leur Auteur, & des applaudissemens que leur donna une nombreuse Assemblée.
PRIERE POUR LE ROY.
Seigneur, par tes bontez, au Roy tout est soumis,Et ses Maux, & ses Ennemis.Mais quoy qu’il soit par tout suivy de la Victoire,Assez souvent les perils d’un grand Roy,Assez souvent ses maux qui nous combloient d’effroy,Ont éprouvé sa force en faveur de sa gloire.C’estoit pour tes regards un spectacle charmant,Grand Dieu, de voir Loüis souffrir si constamment,De le voir quand chacun soupiroit de tristesse,De sa vertu se faire un ferme appuy,Et sans faire paroistre ou desordre, ou foiblesse,Garder toujours auprés de luyLa vigilance & la sagesse ;Mais c’est de quoy cent fois tous les cœurs ont tremblé ;Par les soins de l’Estat il peut estre accablé :Si la douleur se joint à ce fardeau si rude,A tout ce que demande un devoir rigoureux,Et cette noble inquietudeDe rendre ses Peuples heureux.De son activité nul mal ne le dispense,Fidelle à son devoir, fidelle à sa puissance,LOUIS n’imite point ces foibles Souverains,Qui n’ont d’autre grandeur que le pouvoir suprême,Il regne par luy seul, il est grand par luy-mesme,Et tout le poids du Sceptre est porté par ses mains.Lors que tu luy fais part de ta grandeur immense,Veux-tu qu’il soit sujet à la commune loy ?Nul ne peut avoir avec toyUne parfaite ressemblance.Nul ne peut s’affranchir de la necessitéD’aller au terme où chacun se doit rendre,LOUIS est né mortel, son sort est limité ;Mais avec tant de majestéA des siecles entiers ne sçauroit-il s’étendre ?Et ce parfait Heros n’a-t-il pas meritéQue sur luy tu daignes répandreUn rayon d’immortalité ?Voy les miracles de sa Vie,Vois à ses pieds l’Orgueil, la Fureur & l’Envie,Ces Monstres accablez de honte & de douleur,Voy cent Peuples divers unis contre la France,Ou confondus par sa clemence,Ou surmontez par sa valeur.Voy LOUIS, quelque ardeur qu’il sente pour la gloire,Malgré l’orgueil qu’inspire la victoire,Toujours sage Monarque, & modeste Vainqueur.Que l’Univers le demande pour Maistre,Sans s’ébloüir de sa grandeur,Tu le verras, grand Dieu, toujours te reconnoistrePour la source de son bonheur,Et quoy qu’il tienne tout de ta seule faveur,Il te croit moins devoir que de l’avoir fait naistreRoy de ses passions & Maistre de son cœur.Vainqueur des passions & Maistre de luy-mesme,Sans orgueil, sans foiblesse il regne noblement,Il se fait aimer tendrement,Il se fait craindre autant qu’on l’aime ;Il charme en mesme temps, & fait trembler sa Cour.Un attrait invincible,Une grandeur terrible.Le font dans tous les cœurs triompher chaque jour.Il a sceu joindre pour sa gloireLa Paix avec la Victoire,La Terreur avec l’Amour.Mais c’est trop peu, Seigneur : sans employer ta foudre,Voy de sa pieté l’effort victorieux,Elle vient de reduire en poudreMille Titans audacieux.L’Erreur nous infectoit par ses noirs artifices :Sous LOUIS mesme culte avec mesmes Autels,Et tu reçois par tout des honneurs immortelsDu plus parfait des Sacrifices.Ainsi tu vois, Seigneur, qu’il n’est rien sous les CieuxQui soit si grand, si précieux,Si digne de tes soins qu’une teste si chere.Regle sur ses vertus le nombre de ses ans ;Qu’il soit heureux autant qu’il nous est necessaire,Et ne releve plus ny du sort, ny du temps.
[Dialogue d’un Catholique & d’un Protestant touchant le Livre de M. de Meaux, intitulé Histoire des Variations] §
Le livre de Mr l’Evêque de Meaux intitulé, Histoire des Variations, ayant fait beaucoup de bruit, & la reputation de cet Ouvrage s’estant répanduë aussi loin que celle de cet Illustre Prélat, on en a tiré dequoy attaquer les Protestans avec beaucoup d’avantage. C’est ce qui a donné lieu au Dialogue que vous allez lire.
DIALOGUE
D’un Catholique & d’un
Protestant.le Catholique.
Je ne doute point, Monsieur, que la curiosité qui vous est naturelle, ne vous ait fait lire ce que Mr l’Evesque de Meaux a écrit depuis peu de temps sur les Variations. Ce Livre a receu de grands éloges des Personnes les plus distinguées, soit en France, soit en Angleterre.
le Protestant.
Les loüanges & les applaudissemens qu’on luy a donnez de tous costez, ne m’ont pas empesché de le lire ; mais je vous avoüe que je ne l’ay leu qu’avec chagrin. L’Auteur y fait voir par tout qu’il est nostre Ennemy capital.
le Catholique.
Cependant si vous voulez bien estre sincere, vous demeurerez d’accord qu’il n’avance rien de luy-mesme, & qu’il ne vous bat que par vos propres armes, & par vos actes publics.
le Protestant.
Appellez-vous nous battre avec nos armes, que de nous faire dire ce qu’il luy plaist, & d’habiller nos Auteurs à sa mode ?
le Catholique.
Je vois bien que vous n’avez pas leu le Livre des Variations avec toute l’attention qu’il merite ; si cela estoit, vous rendriez assurément plus de justice à la sincerité de son Auteur. Il est vray qu’il vous pousse vigoureusement, & qu’il vous force jusque dans vos retranchemens. C’est ce qui me fait esperer que vous entrerez dans une capitulation raisonnable, & que vous rendrez bien-tost la Place.
le Protestant.
Bon, vous n’y estes pas encore. Attaquer nostre Religion par les changemens qu’on luy impute, c’est justement vouloir prendre un Chasteau par les giroüettes.
le Catholique.
Vous pensez plaisamment, mais vous ne pensez pas juste, car à parler sans raillerie, n’appellez-vous pas s’attacher au corps de la Place, & sapper les fondemens d’une Religion, que de l’attaquer par les changemens qu’elle a soufferts dans l’essentiel & dans les symboles de sa Foy ? Tant de Variations differentes nous la font voir comme un fameux theatre d’inconstance & d’erreur. C’est aussi cette instabilité perpetuelle de vostre pretenduë Religion, qui obligea il y a déja plusieurs années une Personne d’un rare merite & l’une profonde érudition, d’abiurer l’heresie de Calvin, & de faire connoistre au Roy que Sa Majesté n’estoit pas obligée de tenir sa parole Royale à ses Sujets Protestans, parce qu’ils avoient changé plusieurs fois de Confession de foy, & qu’ils n’estoient plus dans la mesme Religion où Elle avoit promis de les laisser en paix. Que dites-vous à cela ?
le Protestant.
Je répons que tout cela me paroistroit fort suspect, si je ne connoissois vostre probité ; mais tout ce que vous dites contre nous, nous le pouvons dire contre vous-mesmes.
le Catholique.
Point du tout, on le peut dire, mais on ne le sçauroit jamais prouver. Nous n’avons garde de changer, nous nous trouvons trop bien des Veritez que nous professons. La Religion Chrestienne est simple & précise en ses dogmes, comme parle Ammian Marcellin. Le seul Symbole de Nicée a toûjours servy dans l’Orient & dans l’Occident, de témoignage autentique contre tous les Ariens. La regle de la Religion, dit Tertullien, est immuable, & ne se reforme point. L’Eglise Catholique qui fait profession de ne dire & de n’enseigner que ce qu’elle a receu, ne varie jamais ; & au contraire, l’Heresie qui a commencé par innover, change toûjours.
le Protestant.
Mr Jurieu vous fera voir le contraire ; il donnera le change à Mr de Meaux, & il ne demeurera pas sur la replique ; car de bonne foy, s’il ne répondoit pas solidement & fortement, nous serions de grands fous de tenir encore ferme pour un party qui comme le Cameleon, & le Prothée de la Fable prend toutes sortes de couleurs & de figures differentes.
le Catholique.
Je ne doute pas que vostre infatigable Mr Jurieu ne réponde, mais je doute qu’il le fasse aussi solidement que vous le promettez ; car quoy qu’il ait beaucoup de feu, de doctrine, & d’éloquence, le caractere veritable de son esprit est d’estre injurieux, satyrique, outrant souvent les matieres, & pour le bien definir en peu de mots, il pique plus qu’il ne persuade, & ébloüit au lieu d’éclairer. Ce n’est pas assez de parler beaucoup, un grand verbiage n’est propre que pour imposer aux foibles & tromper les ignorans. In multiloquio non deerit mendacium, dit le Sage, mais il est necessaire de bien parler, & de dire toûjours la verité.
le Protestant.
Nous pretendons que Mr Jurieu dit la verité, & qu’il frape toujours le but ; mais je voy bien que vous voulez faire tomber insensiblement nostre conversation sur la Controverse.
le Catholique.
Pardonnez-moy, ce n’est pas là mon dessein, quoy que selon le sentiment de Saint Augustin, quand la verité Catholique est attaquée & combattuë à force ouverte, chacun doit prendre les armes, les plus foibles aussi-bien que les plus forts, afin qu’estant tous unis ensemble, l’erreur soit universellement confonduë.
le Protestant.
Que produira toute cette guerre, & qui mettra fin à tous nos combats ?
le Catholique.
C’est où je veux venir. Il y a déja longtemps qu’on s’échauffe & qu’on dispute de part & d’autre ; l’un dit pour, & l’autre contre, mais qui a raison, & qui nous mettra jamais d’accord ?
le Protestant.
Ce sera l’Ecriture.
le Catholique.
Nous pretendons qu’elle nous est favorable, mais qui nous en découvrira le vray sens ?
le Protestant.
Le Saint Esprit.
le Catholique.
Vous avez raison, mais où se trouve le S. Esprit, sinon dans l’Eglise Catholique, qu’il a promis d’assister jusqu’à la fin des siecles ? En effet, y a-t-il une Religion plus solide que celle qui est bâtie sur la pierre vive, sur la foy de S. Pierre qui ne manquera jamais, qui confesse un seul Dieu en trois Personnes, & qui met toute son esperance en J. C. seul qu’elle regarde comme son unique Mediateur & son seul Sauveur ? Voilà la Foy orthodoxe, la Foy des Apostres, la Foy de nos Peres, la Foy des Conciles, & particulierement celle du Concile de Trente, que vous ne pouvez souffrir.
le Protestant.
Ouy, mais que dites-vous du culte superstitieux que vous rendez aux Saints, de la Confession auriculaire, & de la Realité ?
le Catholique.
Je sçavois bien que vous en viendriez là, mais je vous declare que nous n’adorons point les Saints, & que si nous les honorons d’un culte Religieux, il ne fait non plus de tort à celuy que nous devons à Dieu seul, que l’amitié que nous avons pour nos amis, & que l’honneur & le respect que nous rendons à nos parens. Pour la Confession, bien loin quelle me paroisse une gesne de conscience comme vous dites, j’y trouve au contraire une paix interieure & un repos inexplicable. Qu’on en pense ce que l’on voudra, je parle sincerement. A l’égard de la Realité, je m’en tiens à la seule parole du Sauveur du monde sans vouloir trop rafiner & sans écouter là dessus l’explication des hommes. Je soumets ma raison à la foy, j’adore ce que je ne puis comprendre, & il me souvient toûjours des paroles de l’Ange Gabriel, non est impossibile apud Deum omne verbum. Mais ce qui me tient le plus au cœur, c’est de voir que sur le fait de la Realité vous vous accommodez plutost avec un Lutherien qui vous est étranger, qu’avec moy qui suis vostre Amy usque ad aras.
le Protestant.
Je vous reconnois volontiers pour mon Amy, mais nos Freres ne laissent pas de gemir en France, & il me semble qu’on devroit avoir égard à la fermeté qu’ils font paroistre.
le Catholique.
Fausse fermeté que celle-là. Ne vous y trompez pas, les Infidelles ne souffrent-ils pas tous les jours des tourmens inoüis pour leur fausse Religion ? & qui ne sçait que les Donatistes du temps de S. Augustin, forcerent la clemence de l’Empereur Theodose de donner contre eux des Arrests de mort, tant ils estoient remuans, opiniatres & rebelles à ses ordres, & tant ils avoient envie de mourir pour avoir la gloire qu’on dist d’eux qu’ils avoient l’Eglise Catholique de leur costé ! Ne sçavez-vous pas avec S. Cyprien, que ce n’est pas la peine, mais la bonne cause qui fait le veritable martyre ? Je plains effectivement vos pauvres Freres abusez qui sont la duppe de vos Ministres fugitifs qui crient sans cesse, mais de bien loin, Assemblez-vous, & souffrez ; semblables aux Pharisiens, ils imposent aux autres un joug cruel, & ils ne veulent pas y toucher du bout du doigt. Il y a plus d’onze cens ans qu’un Concile d’Agde nous a declaré qu’il n’y avoit point d’Assemblée plus legitime que celle qui se doit faire dans les Paroisses. C’est là où les Chrestiens doivent s’assembler, & non pas dans les campagnes, comme des troupeaux de bestes sauvages. Ce sont ces Assemblées illegitimes, sources de rebellion & semences de revoltes, qu’il faut fuir, parce qu’elles sont défenduës par les loix des Princes à qui nous sommes obligez d’obeir, comme dit S. Paul, & non pas à des hommes particuliers que l’interest ou la passion dominent, & qui n’ont aucune autorité legitime. Coyez-moy, n’abusez pas de la longue patience & de la douceur incomparable de nostre Roy Tres-Chrestien, qui vous traite plutost en Pere charitable & bien-faisant, qu’en Juge severe & rigoureux. Ne prêtez pas l’oreille à ces esprits mauvais, à ces discours flateurs, à ces Lettres Pastorales, qui ne tendent qu’à vous corrompre le cœur, & à surprendre vostre esprit. Ecoutez plutost l’avis important du grand Apostre dont vous reverez les Ecrits, lors qu’il dit en parlant aux Thessaloniciens, Rogamus autem vos, Fratres, per adventum Domini, & nostræ Congregationis in ipsum, ut non cito moveamini à vestro sensu, neque terreamini, neque per spiritum, neque per sermonem, neque per epistolam,
le Protestant.
Voila ce qui s’appelle prescher. Tout cela me paroist fort, & je m’en sens vivement touché ; je vous proteste que je m’en vais penser serieusement à tout ce que vous m’avez dit.
le Catholique.
Et moy je m’en vais prier Dieu qu’il vous fasse connoistre la verité ; cependant croyez-moy, lisez encore une fois le beau Livre des Variations. J’espere que par cette seconde lecture vous direz, puis que ma Religion est si incertaine & si variable, je la quitte pour m’attacher à la Verité solide. C’est ce que je vous souhaite de tout mon cœur.
La blessure imaginaire §
Il y a des gens sur qui l’imagination est puissante, & l’histoire que Mr De Vin a mise en Vers en est une preuve. Les noms en sont faux, mais la chose est veritable ; vous la trouverez agreablement contée, & vous n’aurez pas de peine à y reconnoistre ce tour aisé qui vous a tant plu dans tous les autres Ouvrages de ce mesme Auteur.
LA BLESSURE
IMAGINAIRE.Une troupe de francs Bourgeois,Gens de commerce & de pratique,Dans une Place ancienne & publique,Attendant le Souper s’assembloit autrefois.Là, selon la foible rubrique,L’un daubant sur le Magistrat,Se plaignoit de ses injustices,Et parloit hautement de l’abus des Epices.Là, l’autre reformant l’Etat,Aux jeunes Tonsurez ôtoit les Benefices.Les donnoit aux Sçavans aux Vieillards, aux Devots,Regloit les Droits du Roy, abaissoit les Imposts,Et critiquoit le Ministere.Là, chacun d’une mine fiereBattoit l’Ennemy sans danger,Assiegeoit une Place, en conduisoit l’attaque,Et, sans avoir jamais veu ny Camp, ny Barraque,Sur la Bréche alloit se loger.Enfin la Troupe pacifiqueS’échauffant dans sa politique,Un Soldat en passant donna, mais par hazard,Un coup de coude au sieur Ascard,Qui seul ou loin de cette place,Jamais n’eust sans doute eu l’audaceDe payer, comme il fit, ce coup d’un grand souflet.Sa compagnie officieuseApplaudit aux efforts de sa main vigoureuse,Et contre un homme seul hardie & courageuse,Luy dit qu’il avoit fort bien fait.Le Soldat qui trop foible en vain s’en scandalise,Et qui ne peut pour cette foisSe vanger de tant de Bourgeois,Leur veut au moins causer quelque surprise ;Il prend son Mousquet, tire en l’air,Et fuit viste comme un éclair.Jamais une jeune BergereQui l’œil sur son Berger, l’oreille à sa chanson,Reçoit sur la verte feugereD’un Air tendre & nouveau la premiere leçon ;Jamais, dis-je, Bergere eut-elle du TonnerreTant de peur qu’eut Ascard de ce coup de Mousquet ?Sa frayeur fut telle en effet,Que s’en croyant atteint, il tremble, il tombe à terre,Crie à l’aide, au secours, demande un Confesseur,Et le front degouttant d’une froide sueur,Se fait d’un Chirurgien porter dans la Boutique.Ce Docteur de Saint Cosme estoit un harangueur,Qui joyeux de cette pratique,Luy dit, Soyez, Monsieur, le bien venu, courage,On vous traitera bien ceans,Et pour les coups de feu j’ay de fort bons Onguens.En verité c’est grand dommage.Quel coquin de Soldat ! quel maraut ! quel brutal !Il est vray que ces gens n’aiment que le carnage,Mais enfin voyons vostre mal ;Garçons, mon Bistoury, mon Bandage, ma Scie,Des Ciseaux, & de la charpie ;Coupons, scions, tranchons ; ça, quel endroit, Monsieur,A besoin de nostre service ?A ces mots massacrans Ascar plein de frayeur,Du bout du doigt montra sa cuisse.Le Chirurgien la dépoüilla,Et luy dit en riant, que me donnez-vous-là ?Jamais gigot plus gras, jamais cuisse plus saine.Voyez l’autre, dit le piteux,Car sans doute à l’une des deuxJe suis blessé. Dieu ! quelle peineVous me faites ! Ouf, ouf ! haye ! plus bellement !La cuisse gauche visitéeNe se trouva pas plus blesséeQue la droite, pas seulementContusion, égratigneure.Morbleu, quel ignorant, s’écrie alors Ascard,Prens tes lunettes, vieux penard,Je n’en sçais pas l’endroit, mais je gage, & je jureQue j’ay sur moy quelque blessure,Car enfin de douleur la teste en feu me fend,Je me sens bien, & plus ce mal qui me devoreEst secret & caché, plus il faut qu’il soit grand,Voy, regarde, examine encore.Ah, j’ay le doigt dessus, répond le ChirurgienEn luy touchant le front, mais ce ne sera rien,Deux ou trois prises d’EleboreVous feront, Monsieur, tres-grand bien,Vostre mal est imaginaire.Quoy donc, me serois-je trompé,Repliqua le Visionnaire !Il me semble pourtant que le coup m’a frapé,Et que je ne m’abuse guere.Enfin, sur son certificatSe tâtant, & voyant son corps en bon état,Voüais, ah, parbleu, dit-il, la plaisante avanture !Je me croyois blessé, j’en aurois fait gageure ;Mais comment se peut-il que je ne le sois point ?Il faut donc qui ce soit Maupoint.C’estoit un de la compagnie,Car quand le coup tira je le vis prés de moy ;Qu’on le visite, je vous prie.Quoy, tu ris ? maugrébleu de toy,Meurs, puis que tu le veux, je suis bien fou, ma foy,De m’embarasser de ta vie.
Air nouveau §
Je vous envoye un Air de M. de Montailly. Je croy que vous n'en serez pas moins contente que des paroles.
images/1688-08_120.JPGAIR NOUVEAU.
Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, J'aime une charmante Bergere, doit regarder la page 120.J'aime une charmante BergereDont l'air est assez tendre & doux,Mais ce qui me desespere,Mon Rival est son Epoux.Mon embarras n'est pas de me faire aimer d'elleSon panchant en secret seconde assez mes vœux,Mais ce qui nous retient tous deux,C'est qu'il faut pour m'aimer qu'elle soit infidelle.
[Relation universelle de l’Afrique Ancienne & Moderne] §
Comme vous avez quantité de Curieux dans vostre Province, vous les pouvez avertir qu’on vient d’imprimer un Livre, qui apprend tout ce que l’on peut sçavoir de la plus grande presqu’Isle de l’Univers, & de ce vaste Pays des Blancs, & des Noirs, qu’on dit avoir esté le fameux partage de Chan, Fils de Noé. M. de la Croix qui en est l’Autheur, l’a divisé en quatre gros Volumes in douze, & intitulé, Relation universelle de l’Afrique Ancienne & Moderne. Comme pour bien juger des parties, il faut connoistre le rapport qu’elles ont avec leur tout, aprés un discours preliminaire sur les Principes de la Sphere il donne une idée generale de l’Europe, de l’Asie, de l’Amerique, & des Terres Polaires, afin qu’on en puisse mieux distinguer l’Afrique. Pour cela il a fait graver le Sisteme du monde suivant l’opinion la plus receuë, un Globe terrestre, une Sphere, un Planisphere & une Boussole, où il a marqué les noms des Vents qui sont en usage sur l’Ocean & sur la Mediterranée, ce qui est d’une grande utilité pour la Cosmographie, & pour les Livres de cette nature. Il entre ensuite dans la Relation universelle de l’Afrique, tant ancienne, que moderne, selon les Autheurs qui en ont le mieux écrit, & il y ajoûte ce qu’il a pû reconnoistre de veritable & d’important dans quelques nouvelles Relations qui luy ont esté communiquées. Le premier Volume de ce grand Ouvrage contient la description du Pays des Blancs, c’est à dire de l’Egipte, de la Barbarie, du Biledulgerid ou Numidie, & du Zahara ou Desert. Le second traite du Pays des Noirs, qui comprend la Nubie, la Nigritie, la Guinée, &c. On apprend dans le troisiéme ce que c’est que la haute & la basse Ethiopie, & le quatriéme fait connoistre les principales Isles qui sont situées aux environs de l’Afrique. On trouve dans ce mesme volume un grand détail de l’Isle de Malthe, & l’on y voit l’institution des Chevaliers de Saint Jean de Hierusalem, par Frere Gerard de Martegues, leur premier Grand Maistre, & leur progrés jusqu’au grand Maistre Caraffa qui gouverne aujourd’huy cet Ordre illustre. On y parle aussi de Madagascar, de l’étenduë de ses Provinces, & des Dians ou Grands qui regnent maintenant en Souverains dans cette Isle, & qui pretendent estre descendus des Arabes. Les Agens de la Compagnie Françoise des Indes Orientales n’y ayant pas eu beaucoup de succés, l’Auteur en découvre la raison, & propose en mesme temps les moyens de s’y rétablir plus heureusement. Ce qui vous plaira sur toutes choses, c’est que l’on y voit un abregé historique de ce que le Roy a fait de memorable dans les Royaumes de Fez & de Maroc, dans les Republiques de Salé, d’Alger, de Funis, de Tripoli, de Barca, dans l’Isle & au Port de Chio, aux environs des Dardanelles, devant Genes, & sur toute la Mediterranée à l’occasion des Corsaires de Barbarie & des Ennemis de l’Etat, avec des Reflexions & des Remarques tres-considerables sur Madagascar & sur Alger. Il est certain qu’on n’a point encore veu de Relation de l’Afrique si étenduë, si exacte, & si bien circonstanciée que celle-cy. La Chronologie y est observée aussi-bien que l’ordre Geographique & Hydrographique. On y voit la décadence des Empires ; les revolutions des principaux Etats ; la succession & le changement des plus illustres Familles ; la politique & l’interest des Souverains ; les ceremonies nuptiales & funebres de chaque Nation ; les Mœurs, Loix, Coûtumes, Gouvernemens, Religions, Richesses, Langues Commerce, Habits, Revenus, Nourriture de divers Peuples ; la description du Terroir, des Montagnes des Forests, des Caps, des Costes, des Mers, des Lacs, Etangs & Marais, des Rivieres, des Fontaines, des Animaux, des Plantes, des Mineraux & Metaux ; des Carrieres, des Salines ; des Pierres precieuses, & de quantité d’autres choses remarquables. Ainsi l’on peut dire qu’il y a dans cet Ouvrage de quoy satisfaire toutes sortes de personnes, particulierement les Princes, les Politiques, les Philosophes, les Medecins, les Missionnaires, les Negocians, les Interessez de la Compagnie des Indes, & ceux qui veulent voyager par mer & par terre. L’autheur declare qu’il s’est servy principalement des Voyageurs François, Portugais, Hollandois & Flamans, & que Daper luy a fourny quantité de choses. Il a pris ce qu’il a trouvé de considerable & de conforme à la verité dans tout ce qu’ils ont écrit, & en a formé un Livre, qui bien que different de tous ses Originaux par l’ordre, la methode & le tour qu’il y a donné, ne laisse pas de contenir ce que les autres ont de bon & de solide ; il a mesme éclaircy des choses qui avoient paru jusqu’à present douteuses & chimeriques, & a fait connoistre qu’elles estoient veritables. Ce Livre est enrichy de plusieurs Figures en Taille douce, de Cartes de Geographie fort regulieres & armoriées suivant les Etats qu’elles representent, & de quantité de tables generales & particulieres de chaque Region. Le stile en est clair & propre au sujet, tout y est écrit succinctement & de la maniere qu’on prononce en faveur des Provinciaux & des Etrangers, & comme la lecture de ce grand Ouvrage doit estre d’une grande utilité, pour en faire tirer plus facilement tous les avantages qu’on s’en peut promettre, on a pris soin de le distinguer par Livres, Chapitres, Sections & Articles, avec le Numero à la marge, & les matieres contenuës en chaque page, afin de servir de memoire locale à ceux qui ne retiennent pas aisément ce qu’ils ont l’eu. Il a esté imprimé à Lyon, aux frais du Sr Amaurry Libraire, & il se vend à Paris chez le Sr Guerout, Courtneuve du Palais, au Dauphin.
Histoire §
Quelques douceurs que l’on trouve dans l’amour, elles commencent à n’estre plus si sensibles dés qu’il les faut acheter aux dépens de l’interest. Cela se voit tous les jours, & c’est ce que vous allez encore mieux connoistre par l’avanture qui suit.
Une jeune Demoiselle, ayant de l’esprit, & cherchant à voir toutes les personnes qui en avoient, se laissa gagner aux protestations d’un Cavalier for bien fait, dont les manieres engageantes & honnestes eurent pour elle un charme admirable. Il parloit bien, il écrivoit juste, & faisoit des Vers badins mieux qu’homme du monde. Il avoit d’ailleurs assez de bien pour pouvoir pretendre que sa recherche ne déplairoit pas. Il s’engagea sur cette esperance, & s’apperceut en fort peu de temps que la Belle n’estoit pas fâchée qu’il s’engageast ; mais ce n’estoit pas assez qu’elle luy fust favorable ; elle dépendoit d’un Pere, qui n’ayant qu’elle d’Enfans, s’estoit mis en teste de la marier à sa fantaisie. Il estoit veuf, assez avancé en âge, & avoit vingt mille écus en argent comptant qu’il luy destinoit en attendant sa succession. Cette avance estoit connuë, & accommodoit le Cavalier. Comme il y avoit grande égalité entre les parties du costé du bien & de la naissance, & que ses soins estoient receus assez agreablement pour luy donner lieu de se tenir seur du cœur de la Belle, il crut que pour estre heureux, il ne luy restoit qu’à faire parler au Pere. Il employa un de ses Amis, & par la réponse qu’on luy fit, il eut le déplaisir de connoistre qu’il s’estoit flaté. Le Pere le remercia par cet Amy de l’honneur qu’il vouloit faire à sa Fille, & le pria de n’y point penser, parce qu’il avoit un autre dessein. Il la fit venir en mesme temps, & aprés une longue remontrance sur ce que les gens qui faisoient profession de bel esprit demeuroient toûjours dans un mesme estat, & ne songeoient point à leur fortune, il luy défendit de revoir le Cavalier. Elle voulut prendre le party de son Amant, mais plus elle fit connoistre qu’il avoit touché son cœur, plus il reitera ses défenses, avec menaces de luy ôter toute sa tendresse si elle osoit luy desobeir. Il estoit imperieux, & il y auroit eu du peril pour elle à s’opposer à ses volontez. Ainsi elle n’osa plus recevoir aucune visite du Cavalier ; mais comme l’amour s’augmente par la contrainte, elle trouva moyen de le voir chez un Amie, & leurs entreveuës furent si secretes, que le Pere ne put découvrir qu’ils se voyoient. Ils se promirent de s’aimer toûjours, & persuadez qu’avec le temps ils vaincroient l’obstacle qu’ils trouvoient à leur bonheur, ils s’affermirent dans leur passion, tandis qu’ils feignoient d’en estre gueris. La Belle n’eust pas laissé de se croire heureuse, si elle eust pu demeurer en cet estat, mais son Pere ne fut pas content de l’arracher à ce qu’elle aimoit, il voulut luy faire épouser un homme fort haïssable, & qui n’avoit point d’autre merite que d’avoir déja du bien, & d’estre fort propre à en amasser. Il avoit de grands talens pour entrer dans les affaires, & il y estoit déja embarqué d’une maniere qui faisoit juger qu’il iroit loin. La Belle pria son Pere de ne luy point envier le plaisir de rester Fille & la resistance qu’elle apporta à son mariage, ne luy fit que trop connoistre qu’elle aimoit toûjours le Cavalier. Il luy en fit des reproches, & luy dit d’un ton d’aigreur, qu’il sçavoit mieux qu’elle ce qui estoit de ses avantages, & qu’il n’aimoit pas qu’on luy resistast. Si ce contre-temps la faisoit souffrir, elle en trouvoit la peine moins rude par la joye de marquer à son Amant combien son amour estoit sincere. Ces témoignages de fidelité augmentoient sa passion, & toutes les fois qu’il voyoit la Belle, c’estoient de nouvelles assurances de n’aimer la vie que pour le plaisir de luy conserver son cœur. Les choses estoient dans l’estat que je vous marque, lors qu’elle se fit une Amie d’une jeune Provinciale, dont elle avoit entendu vanter le merite. Elle estoit venuë de Normandie poursuivre un procés avec une Tante. & logeoit dans son quartier. Sa beauté qui luy attiroit beaucoup de regards, estoit le moindre de ses avantages. Elle sçavoit peindre, elle chantoit bien, & estoit d’une vivacité d’esprit surprenante. Son honnesteté & sa douceur la faisoient aimer de tous ceux qui la voyoient, & il ne faut pas s’étonner si la Belle pour qui l’esprit avoit tant de charmes, prit pour cette aimable personne tout l’attachement dont on peut estre capable. Elles se voyoient presque tous les jours, & quelquefois même la Belle obtenoit qu’elle en passast plusieurs chez son Pere, tandis que la Tante donnoit tout son temps à son Procureur. Cette amitié étant devenue fort tendre, la belle Provinciale entendit bientost parler de la violence que l’on vouloit faire à son Amie. Aucun malheur ne luy paroissant plus grand que celuy d’estre contrainte d’épouser un homme que l’on n’aime pas, elle luy conseilla d’estre toûjours ferme, & le Pere ayant voulu l’employer pour gagner sa Fille, il n’est rien qu’elle ne fist pour le détourner d’une resolution si contraire à son repos ; mais s’il l’écouta sans se fâcher, il ne luy accorda rien. Outre qu’il pretendoit que sa Fille manquoit de respect pour luy par sa resistance trop opiniastre, il disoit toûjours qu’elle ne refusoit de luy obeïr, que pour se garder à un Amant qu’il ne vouloit pas qu’elle épousast, & cette pensée luy donnoit toûjours de l’emportement contre sa Fille. Son Amie s’efforçoit de l’adoucir, & un jour qu’elle combattoit ses sentimens avec autant d’esprit que d’adresse, il luy demanda si elle voudroit se marier ainsi d’elle-mesme, malgré ceux pour qui elle seroit obligée d’avoir de la déference. Elle répondit agreablement qu’elle estoit fort à couvert d’estre tentée de se révolter de la mesme sorte ; que les Filles de Normandie estant la pluspart sans aucun bien, n’avoient jamais à choisir, & que pour elle, elle venoit achever de se dégoûter du monde, par toutes les peines que causoit à sa Tante la poursuite d’un Procés, pour aller à son retour se mettre dans un Convent. On la railla sur le dessein qu’elle pretendoit avoir de se faire Religieuse, & elle dit d’un air assez serieux, que c’estoit le seul party qu’elle croyoit qu’il y eust pour une Fille, qui ayant de la naissance, n’avoit pas dequoy la soutenir. Tout son enjoüement & toute son éloquence ne purent tirer son Amie d’affaires. Le Pere ne se rendit point à ses raisons, & crut luy donner une grande marque de complaisance, en luy promettant qu’en consideration de l’interest qu’elle témoignoit y prendre, il seroit deux mois sans presser sa Fille, afin qu’elle eust le temps de se preparer à l’obeissance qu’elle luy devoit. La Tante vint à bout de son procés, & l’aimable Provinciale, aprés avoir fait ses derniers efforts pour fléchir le Pere, prit congé de son Amie avec les plus tendres protestations d’une amitié éternelle. Sitost qu’elle fut partie il voulut user d’autorité pour le mariage de sa Fille. Elle eut beau s’y opposer de toute sa force, il convint de tout avec son pretendu Gendre, & luy donna jour pour la signature du Contrat. Sa Fille fort effrayée ne sceut quel remede y apporter. C’estoit un ordre absolu, personne n’avoit assez de pouvoir sur luy pour le faire revoquer, & le seul moyen qu’elle voyoit pour se garantir de la violence, estoit de se retirer dans un Convent. Elle ne balança point à prendre cette resolution. Son Amant l’en applaudit, & son Pere qui ne sceut pendant quelques jours ce qu’elle estoit devenuë, fut si irrité de son procedé, qu’il protesta qu’il l’en puniroit. Il apprit enfin dans quel Convent elle estoit, par une Lettre fort respectueuse qu’elle luy fit rendre, & qui luy marquoit que lors qu’il s’agissoit de sa liberté, & du bonheur de toute sa vie, elle avoit cru que sans manquer à l’obeissance qui luy estoit deuë, elle pouvoit prendre le party qu’elle avoit pris, & que comme elle seroit inexcusable de vouloir se marier malgré luy, il luy paroissoit qu’il ne devoit pas s’attribuer le pouvoir de la marier en dépit d’elle. Ce raisonnement fut poussé auprés de luy par quelques Amis qu’elle employa, & qui tâcherent de le faire demeurer d’accord qu’elle avoit agy en Fille sage, qui ne voulant pas luy desobeir en face, ny faire ce qu’il exigeoit un peu tyranniquement, avoit choisi pour se garantir de sa colere, le lieu qu’il luy auroit luy-mesme donné pour retraite s’il n’eust pas voulu la garder auprés de luy. Il les écouta tranquillement, & toute la réponse qu’ils en eurent, ce fut qu’il alloit faire un voyage, & qu’à son retour il feroit sçavoir ses intentions à sa Fille. Il fut absent pendant trois semaines, sans qu’elle pust découvrir ny quelles affaires l’avoient obligé de quitter Paris, ny en quel lieu il estoit allé. Aprés ce temps-là on luy vint dire qu’on la demandoit, & lors qu’elle se fut rendue au Parloir, elle fut fort étonnée d’y trouver la jeune Provinciale, qui luy dit d’abord que non seulement son Pere la dispensoit de luy obeir sur le mariage qui luy faisoit tant de peine, mais encore qu’il luy permettoit d’épouser le Cavalier qu’elle aimoit. Une permission si peu attenduë jointe au plaisir de voir son Amie, la mit dans une joye incroyable. L’aimable Provinciale voyant qu’elle s’y laissoit emporter avec excés, luy dit qu’elle craignoit bien de ne la pas voir toûjours si contente ; qu’il estoit vray que c’estoit elle qui avoit reduit son Pere à changer de sentimens, mais qu’elle n’avoit pu se rendre maistresse de son esprit qu’en consentant à estre sa Femme ; qu’il estoit venu la chercher exprés pour luy proposer ce mariage ; que ses Parens l’avoient agréé, & que comme il estoit fort naturel de se tirer d’un estat fâcheux quand on le pouvoit, son peu de fortune ne luy avoit pas permis d’examiner l’inégalité de l’âge ; qu’aprés tout, puis qu’il avoit deu se remarier, il valoit autant qu’elle fust sa Belle-mere, qu’une autre personne qui n’auroit pas eu toute l’amitié & tous les ménagemens qu’elle auroit pour elle. La Belle apprit avec beaucoup de surprise que son Pere s’estoit vangé d’elle par un second mariage, & jugea en mesme temps que les belles qualitez de son Amie avoient contribué à cette vangeance. Cependant comme le mal estoit sans remede, & qu’on l’assuroit qu’il ne seroit plus contraire à sa passion, la joye qu’elle en ressentit l’occupa entierement, & elle ne se remplit que de l’idée de son bonheur, sans songer au préjudice qu’elle recevoit du costé de la fortune. Son Amant ne receut pas cette fâcheuse nouvelle avec autant de tranquillité. Il se servit de la liberté qu’on luy donnoit de la voir, pour luy témoigner le déplaisir qu’il avoit de ce que sa fermeté à résister à son Pere avoit esté cause qu’il se fust remarié, & les assurances qu’il luy avoit tant de fois données d’une éternelle constance, ne purent tenir contre le changement arrivé dans ses affaires. Il sceut que le Pere, avant que d’épouser la Provinciale, luy avoit donné les vingt mille écus qu’il destinoit à sa Fille, & on ne pouvoit luy retrancher cette avance, sans que son amour diminuast. La Belle qui avoit de la fierté, aprés luy avoir marqué qu’elle lisoit dans son cœur, l’abandonna à la bassesse de ses sentimens, & s’épargna les reproches qu’elle eust pu luy faire avec beaucoup de justice. Il ne rompit pas entierement avec elle, mais la froideur de ses soins luy faisoit assez connoistre ce qu’elle en devoit attendre, & cette froideur augmenta beaucoup si tost qu’il fut seur de la grossesse de sa Belle-mere. Ce fut alors qu’elle prit une resolution digne d’elle. Sans plus vouloir revoir son Amant, elle demanda l’habit de Religieuse, & il ne fit aucune démarche pour la détourner de ce dessein. Ce procedé acheva de la détromper du monde. Elle le quitta sans aucun regret, & un an aprés, elle fit profession avec un détachement qui édifia tous ceux qui furent témoins de cette ceremonie. Le Cavalier que l’interest gouvernoit, a pris une Femme qui luy a donné beaucoup de bien, mais qui n’est considerable ny par la beauté, ny par l’esprit, ny par la naissance.
[Discours fait à l'Academie de Villefranche par M. Bernard de Hautmont de Saumur, le jour de sa reception] §
Je vous ay entretenuë plusieurs fois de l’Academie de Villefranche, dont Mr l’Archevesque de Lyon est Protecteur. On y a receu depuis peu de temps un Academicien d’un grand merite. C’est Mr Bernard de Hautmont, de Saumur. Il doit vous estre connu par diverses Pieces qu’il a données au Public, & qui ont receu beaucoup d’approbation, entre autres un Poëme Heroïque à la loüange du Roy, & un Idille à Madame la Dauphine.
[Grande Feste donnée par Milord Stafort pour la mesme naissance] §
Milord Stafford, qui en toutes sortes de rencontres s'est toujours fait un plaisir de faire connoistre l'interest qu'il prend à la gloire & aux avantages de sa Patrie, fit icy le 4. de ce mois une grande Feste pour cette mesme naissance. On tira un fort beau feu d'artifice dans la Place qui est devant la terrasse de son Jardin. [...]
L'Assemblée estoit fort belle, & de personnes choisies. On y vit entr'autres Mr le Prince & Madame la Princesse de Mekelbourg, Madame la Princesse d'Izenghien, Madame la Duchesse de Valentinois, Madame la Maréchale d'Estrées, Mr l'Envoyé d'Angleterre & Madame sa Femme, Mr le Comte de Morstein, plusieurs Milords Anglois, & autres Personnes de la premiere qualité des deux Royaumes. [Suit une promenade dans les appartements, puis une collation, suivie d'un feu d'artifice.]
Il ne se finit qu'à une heure aprés minuit, & depuis huit heures jusqu'à la fin, il y eut un concert de toutes sortes d'Instrumens. Les Timbales, les Hautbois, les Trompettes, & les Violons se firent entendre pendant tout ce temps.
[Vers de Mr Tonti sur la magnifiscence de cette fête]* §
Mr Tonti, Gentilhomme Italien, estant prié par des Dames de faire des Vers sur la magnificence de cette Feste, dont il avoit esté convié, fit ceux-cy en In promptu. On les trouva fort galans, & ils meritent que vous les voyiez.
Vous celebrez, Staffort, par mille & mille feuxLe plaisir qu’on ressent de l’auguste naissanceD’un Prince qui comble nos vœux,Et de qui l’heureux sort flate nostre esperance.L’éclat de tant de feux diversMarque ses grandes avantures,Et leurs bruits differens sont tout autant d’auguresDu bruit dont ses hauts faits rempliront l’Univers.Dans cette Feste incomparableVostre Hostel retentit de concerts les plus doux ;L’ordre, les ornemens, les Medailles la Table ;Tout est digne de luy, tout est digne de vous.
[Etablissement d'une nouvelle Ecole de Mathematique] §
On a étably depuis peu de temps une Ecole de Mathematique dans l'Academie de Jully. Cela s'est fait par les soins du Pere Perdrigeon, Superieur. Le Pere Fougeau, qui a esté nommé Professeur de cette Ecole, en fit l'ouverture il y a quelques jours, par un discours prononcé sur ce sujet. L'Academie de Jully est à sept lieuës de Paris auprés de Dammartin, dans une charmante solitude. Elle est ancienne, & remplie d'Enfans de qualité, ausquels on enseigne les Humanitez, les Mathematiques, le Blazon, la Danse, & tout ce qui peut estre capable de les former selon leur naissance.
[Mariage de Mademoiselle de Boucherat] §
Mademoiselle Boucherat, Fille de Mr Boucherat, Conseiller honoraire au Parlement, seul Frere de Mr le Chancelier, a épousé Mr de Lisle Conseiller au Grand Conseil. La ceremonie du Mariage fut faite la nuit du 16. au 17. de ce mois, par Mr le Curé de saint Louis dans la Chapelle de ce digne Chef de la Justice. Comme il est grand en tout ce qu'il fait, il avoit donné un soupé tres-magnifique, aprés lequel il y eut dans sa Galerie une Symphonie fort agréable & les divertissemens que sa sagesse, & sa moderation en toutes choses luy pouvoient permettre. [...]
[Histoire de Normandie] §
Je vous avertis que la premiere partie de l’Histoire Sommaire de Normandie, vient d’estre donnée au public par Mr de Masseville. Il nous fait connoistre quantité de choses qui ont esté omises par l’Auteur de l’Inventaire ou de l’Abregé de la mesme Histoire, & comme Guillaume de Jumieges qui l’a aussi écrite, ne nous a donné qu’une Histoire de trois Siecles, & que celle de Mr de Manneval n’en contient pas quatre, nous luy sommes obligez de ce qu’il a bien voulu prendre soin de nous apprendre ce que les autres nous ont laissé ignorer. Cette premiere partie est divisée en trois livres ; le premier traite de l’ancien estat des Gaules & de leur gouvernement ; de la valeur, du Genie, de la Religion & des guerres des Gaulois, & de l’établissement de la Monarchie Françoise vers l’an 400. jusqu’à l’arrivée du fameux Raoul, Seigneur Danois, qui estant entré en France par l’embouchure de la Seine avec de nombreuses Troupes, fit un traité avec le Roy Charles le Simple, qui luy donna Gille sa Fille en mariage avec les Pays qui sont contenus entre la Mer, & les Rivieres de Bresle, d’Epte, d’Aure, & quelques autres, à condition de tenir cette étenduë de Pays en forme de Duché à foy & hommage de la Couronne de France. Le second livre contient l’état de la Normandie sous la domination de ses Ducs jusques à Guillaume le Conquerant, & le troisiéme, l’Estat de cette mesme Province sous la domination de ses Ducs, Rois d’Angleterre. Cette Histoire est pleine d’un si grand nombre d’évenemens extraordinaires, & d’actions de valeur & de courage, qu’on peut dire que la connoissance n’en est pas moins utile que curieuse. Elle se vend chez le Sr Guerout Libraire, dans la Court-neuve du Palais, qui débite aussi.
[L’Arithmetique raisonnée] §
L’Arithmetique raisonnée. Elle est enrichie de plusieurs Figures, pour en faire mieux comprendre les demonstrations, & resoudre les difficultez qu’on rencontre d’ordinaire dans les Livres de cette nature. Il y a cinq Traitez dans celuy-cy. Le premier contient l’Addition, la Soustraction, la Multiplication & la Division, avec toutes sortes de Reductions de Parties aliquotes, & de Multiplications composées. Le second regarde les Fractions. On trouve dans le troisiéme la Regle de trois ou de proportion simple, directe, inverse, double, & composée, la Regle conjointe, de compagnie, & de discussion de banqueroute, les Regles de fausses suppositions, d’alliage simple & composé, & des progressions Arithmetique & Geometrique. Le quatriéme fait voir l’extraction des racines quarrée & cubique d’une maniere claire & demonstrative ; & le cinquiéme comprend une methode universelle pour toute sorte de Multiplications qui ont des fractions annexées à des entiers, & trois nouvelles methodes pour le Toisé. Il n’en faut pas dire davantage pour faire connoistre l’utilité de ce Livre.
[Secrets concernant la Beauté & la Santé] §
Le mesme Libraire vend un autre Livre qui doit estre recherché de tout le monde, & sur tout des Dames. Vous en conviendrez quand je vous auray appris qu’il a pour titre, Secrets concernant la Beauté & la Santé. Il est de Mr de Blegny, dont tous les Ouvrages ont eu un fort grand succés.
[Vers sur la mort du celebre Arlequin] §
Je vous envoye des Vers qui ont esté faits sur la mort de l’inimitable Arlequin, arrivée ce mois-cy dans sa 48. année. L’heureux talent qu’il avoit de dire les choses d’une maniere agreable, l’a fait regreter de tout le monde.
SUR LA MORT
du celebre Arlequin.Les plaisirs le suivoient sans cesse,Il répandoit par tout la joye & l’allegresse,Les Jeux avec les Ris naissoient dessous ses pas,On ne pouvoit parer les traits de sa Satyre,Loin d’offenser personne elle avoit des appas ;Cependant il est mort, tout le monde en soûpire.Qui l’eust jamais pensé sans se despererQue l’aimable Arlequin qui nous a tant fait rire,D’eust si-tost nous faire pleurer ?
[Feste de Chantilly] §
Je ne vous dis rien de la grande Feste que Monsieur le Prince a donnée à Monseigneur le Dauphin dans sa belle Maison de Chantilly. Elle a duré huit jours, & elle estoit si bien ordonnée qu'on peut dire que l'on voyoit d'heure en heure naistre de nouveaux plaisirs. Il me faut pour en parler beaucoup plus de temps que je n'en ay, puis que cette Feste seule suffit pour remplir un Volume ; ainsi je la remets au mois prochain, afin de n'oublier rien de toutes les galantes circonstances dont elle a esté accompagnée. Je vous diray cependant que l'Opera nouveau qu'on y a representé sous le titre d'Orontée, se vend chez le Sr Coignard, ruë Saint Jacques, à la Bible d'or. Je suis, Madame, Vostre, &c.
A Paris ce 31. Aoust 1688.