1688

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15]. §

[Mort de Madame la présidente de Mesme]* §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 17-18

 

Madame la Presidente de Mesmes. Elle estoit Fille de Messire Macé Bertrand, Seigneur de la Baziniere, Prevost des Ordres du Roy, & Tresorier de l’Epargne. Feu Messire Jean-Jacques de Mesmes son Mary, Prevost des Ordres de Sa Majesté, President au Mortier du Parlement de Paris, qui estoit de l’Academie Françoise, estant mort au commencement de cette année, on a parlé alors de sa Famille & de son merite particulier.

Le Milan, le Moineau et l’Hirondelle. Fable §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 25-30

 

Il est dangereux en toutes choses d’avoir un Concurrent trop puissant. Ce que la Fable qui suit nous dit de l’amour, se peut appliquer à l’ambition. Dans les grands desseins, celuy qui a le plus de credit fait succomber toûjours le plus foible.

LE MILAN, LE MOINEAU
ET L’HIRONDELLE.
FABLE.

 Moment fatal, malheureux jour,
 Où l’homme s’aveuglant luy-mesme
  Se fit un bien suprême
  Des tourmens de l’Amour ?
 Ah pourquoy faut-il que l’on aime ?
Pourquoy le Ciel veut-il que chacun ait son tour ?
Un Moineau, dit la Fable, aimoit une Hirondelle
D’un feu d’autant plus fort qu’il estoit tout nouveau.
Le tendre Moineau n’aimoit qu’elle,
Et l’Hirondelle aussi n’aimoit que le Moineau
Helas ! qui n’eust pas cru qu’une flame si belle
Devoit aux inconstans faire un jour la leçon ?
Mais en vain cherchons-nous, en vain cherchera-t-on,
Pour trouver sur la terre une chaisne eternelle.
***
  Un Milan malheureusement
 Vit l’Hirondelle, & se fit son Amant.
Maistresse d’un Milan ! ô Dieux, quelle fortune !
 Et qui n’en seroit pas tenté ?
Le Moineau si chery fut bien-test maltraitté,
 Sa flame devint importune ;
 Car quand on a de la beauté,
Et qu’on voit à ses pieds ce que chacun revere,
 On ne se fait pas une affaire
 De deux grains d’infidelité.
***
Le malheureux se plaint, l’Hirondelle s’offense
 D’entendre condamner ses feux ;
Quoy que sans marchander on fasse une inconstance,
 Un reproche est toujours facheux.
 Aussi-tost la Belle en colere
Va trouver le Milan, qui pour la satisfaire,
 En se vengeant de cet Oiseau,
 Devora le pauvre Moineau.
 Ce que l’amour a d’agreable,
 Ses plaisirs, ses fausses douceurs,
Nos Amans le goûtoient, ils y noyoient leurs cœurs,
 Leur bonheur sembloit veritable ;
Mais a-t-on jamais veu quelque bonheur parfait ?
Dans l’empire d’amour, tout est changeant, tout passe,
Tel brûloit le matin qui le soir est de glace,
 Ou brûle pour un autre objet.
 Ce que l’Hirondelle infidelle
Avoit fait à l’égard de son premier Amant,
C’est ce que le dernier, par un prompt changement,
 Fit à l’égard de l’Hirondelle.
Il cesse de l’aimer, & sa brûlante ardeur
 Dégenere en indifference,
Contre un coup si mortel la Belle sans défense
 N’en put soûtenir la douleur.
***
 Soyons, soyons constans quand l’amour nous engage,
 On ne gagne rien à changer ;
Ou si nous nous sentons un cœur leger, volage,
 Ne nous laissons point engager.
La haine, le dépit, la rage, l’injustice,
 Le desespoir & le trépas,
 Tout suit un amoureux caprice,
Et l’Amour est toûjours, ou coupable, ou complice,
 De tous les crimes d’icy bas.

[Fondation du College Mazarini] §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 30-107

 

Enfin le College Mazarin, ou des Quatre Nations dont on parle depuis vingt-sept ans, vient d’estre ouvert. Comme on y enseigne, gratis, & qu’il est avantageusement placé, toutes les Classes y sont remplies d’un nombre presque incroyable d’Ecoliers, parce que beaucoup ont moins de chemin à faire que s’ils alloient à l’Université. Il s’est trouvé un fort grand concours de personnes distinguées aux Discours qui se sont faits à l’ouverture de ce College. Le Principal, le Regent de Philosophie, & celuy de Rethorique ont parlé, & tous leurs Discours ont esté tres-bien receus du Public. Celuy qu’a fait Mr l’Abbé de Fourcy qui enseigne la Rethorique, luy a attiré beaucoup de loüanges. L’Université en Corps a pris solemnellement possession du College, & on ne doit point douter que les suites n’en soient heureuses, puisque Mrs de Sorbonne en ont la direction. Cet illustre Corps est si remply de Doctrine & de probité, qu’on ne luy a jamais disputé ces grands avantages ; aussi ne luy a-t-on veu jamais rien faire qui n’y soit conforme. Je croy que vous ne serez pas fachée d’apprendre tout ce qui s’est passé touchant la Fondation de ce College, & les changemens qu’on a jugé à propos d’y faire, sans lesquels l’Université n’auroit pû l’admettre dans son Corps. Chacun en parle, & peu de gens sçavent à fond comment & pourquoy il a esté étably. On en sera pleinement instruit en lisant les Pieces qui suivent.

FONDATION
DU COLLEGE
MAZARINI.

Pardevant Nicolas le Vasseur, & François le Foüin, Notaires Gardenotes du Roy nostre Sire au Chastelet de Paris, soussignez : Fut present tres-Illustre & Eminentissime Monseigneur Jules Cardinal Mazarini, Duc de Nivernois & d’Onzois, Pair de France, estant de present en son appartement au Chasteau de Vincennes, lequel a declaré que depuis longtemps il avoit fait dessein d’employer en des œuvres de pieté & de charité une somme considerable des grands biens qu’il a receus de la divine bonté, & de la magnificence du Roy, depuis qu’il a l’honneur d’estre employé aux plus importantes affaires de Sa Majesté. Qu’afin de parvenir à l’execution de ce dessein par une fondation qui pust estre à la gloire de Dieu, & à l’avantage de l’Etat, il avoit fait de temps en temps un amas de deniers comptans par des économies & des épargnes des Effets à luy appartenans ; mais qu’ayant connu par experience qu’il estoit absolument necessaire d’avoir un fond assuré de reserve pour subvenir aux incertitudes des évenemens & aux occasions pressantes & inopinées, principalement durant une guerre tres-facheuse, & contre de puissans Ennemis, & son Eminence sçachant que les Finances du Roy n’estoient point en estat de donner un si prompt secours, a conservé ses épargnes pour en secourir le Roy, s’il en estoit besoin, & pour soutenir & défendre la grandeur du Royaume en cas de necessité. Les succés n’estant pas toujours avantageux, la guerre que Sa Majesté avoit trouvée ouverte lors de son avenement à la Couronne, ayant esté terminée par une Paix glorieuse, qui est entierement deuë à la Bonté divine, aux Victoires des armes du Roy, à la pieté de Sa Majesté, & à la tendresse qu’Elle a pour ses Peuples ; ayant plu à Sa Majesté de donner part de ce grand ouvrage à son Eminence, qui y a employé tout ce qui estoit en son pouvoir, mondit Seigneur ne croyant plus que Sa Majesté puisse estre pressée d’aucuns mauvais accidens, & pouvant mesme soulager notablement ses Peuples, à quoy Elle a déja travaillé par des retranchemens de dépense de son Etat, au moyen de cette Paix generale qui produit un calme si heureux à toute la Chrestienté, estime qu’il peut faire maintenant l’employ de ses deniers suivant ses premiers desseins de pieté & de charité. Comme il a toujours ses pensées attachées aux reconnoissances qu’il doit au Roy, & à ce qui peut produire un plus grand bien & un plus grand honneur au Royaume, il a proposé à Sa Majesté le dessein qu’il avoit d’établir de ses effets un College & une Academie pour l’instruction des Enfans qui auroient pris naissance à Pignerolles, son territoire, & aux vallées y jointes, aux Provinces d’Alsace & aux Pays d’Allemagne contigus ; en Flandre, en Artois, en Hainaut, & en Luxembourg : en Roussillon, en Conflans, & en Sardaigne, en ce qui est reduit sous l’obeissance du Roy, par le Traité fait à Munster le 24. Octobre 1648. & par celuy de la Paix generale fait en l’Isle appellée des Faisans, le 7. Novembre 1659. Que comme toutes ces Provinces sont nouvellement venuës ou retournées sous la puissance du Roy, il estoit à propos de les y conserver par les moyens les plus convenables. Qu’on pouvoit les affermir, & les lier au service de Sa Majesté en établissant dans la Ville de Paris, qui est la Capitale du Royaume, & le sejour ordinaire des Rois Tres-Chrestiens, un College & une Academie, pour y nourrir, élever & instruire gratuitement des Gentilshommes & des Enfans des principaux Bourgeois des Villes des Nations cy-dessus. Qu’on pouvoit aussi leur apprendre les veritables sentimens du Christianisme, la pureté de la Religion, la conduite des mœurs, & les regles de la discipline, n’y ayant point de lieu où toutes ces choses soient avec tant d’avantage que dans ce Royaume. Que pendant ces instructions, ceux des Nations cy-dessus connoistront ce qui est necessaire à leur salut, aux sciences & à la police, & combien il est avantageux d’estre soumis à un si grand Roy. Que ceux qui auroient ainsi pris leur éducation en France, porteroient ce qu’ils y auroient appris au Pays de leur naissance quand ils y retourneroient, & que par leurs exemples ils y en pourroient attirer d’autres pour venir recevoir successivement les mesmes instructions & les pareils sentimens. Qu’enfin toutes ces Provinces de viendroient Françoises par leur propre inclination aussi-bien qu’elles le sont maintenant par la domination de Sa Majesté. A quoy mondit Seigneur le Cardinal Duc, par l’affection qu’il a euë au lieu de sa naissance, vouloit joindre les Italiens de l’Estat Ecclesiastique, pour les obliger de plus en plus à continuer leur zele au service de la France.

Le Roy ayant fait paroistre qu’il agréoit fort ce dessein, & que les deniers des Epargnes de son Eminence y fussent plûtost employez que non pas à toutes autres choses ; ayant aussi Sa Majesté approuvé la resolution qu’a prise son Eminence, de joindre audit College la Bibliotheque des Livres dont il a fait l’amas depuis plusieurs années, de tout ce qui a esté trouvé de plus rare & de plus curieux, tant en France qu’en tous les Pays étrangers, où il a souvent envoyé des personnes tres-capables pour en faire la recherche, afin d’en faire une Bibliotheque publique pour la commodité & pour la satisfaction des Gens de Lettres, son Eminence ayant mesme pris le dessein d’élire sa sepulture au College des Nations cy-dessus ; mondit Seigneur Cardinal Duc a fondé, & fonde par ces presentes, sous le bon plaisir de Sa Majesté, un College & une Academie sous le nom & titre de Mazarini ; c’est à sçavoir, le College de soixante Ecoliers, qui seront des Enfans des Gentilshommes ou des principaux Bourgeois de Pignerolles, son territoire, & les vallées y jointes. & de l’Etat Ecclesiastique en Italie, des Provinces d’Alsace, & autres Pays d’Allemagne contigus ; de Flandre, d’Artois, de Hainaut & de Luxembourg ; de Roussillon, de Conflans & de Sardaigne, en ce qui est reduit sous l’obeissance du Roy, par les Traitez faits à Munster, & en l’Isle appellée des Faisans, les 24. Octobre 1648. & 7. Novembre 1659. & l’Academie de quinze personnes, qui seront tirées dudit College des quatre Nations cy-dessus.

Que des soixante Ecoliers dudit College, il y en aura quinze de Pignerolles, territoire & Vallées y jointes, & de l’Etat Ecclesiastique en Italie, préferant ceux de Pignerolles, territoire & vallées y jointes, à tous les autres ; les Romains ensuite, & en defaut d’eux, ceux des autres Provinces de l’Etat Ecclesiastique en Italie. Quinze du Pays d’Alsace, & autres pays d’Allemagne contigus. Vingt du pays de Flandre, Artois, Hainaut & Luxembourg ; & dix du pays de Roussillon, Conflans & Sardaigne.

Les quinze personnes pour l’Academie seront tirées du College, sans aucune distinction desdites Nations ; & si le College n’en peut fournir un si grand nombre, le surplus jusques audit nombre de quinze sera pris de personnes d’icelles Nations, encore qu’elles n’ayent point étudié audit College.

Les soixante Ecoliers du College, & les quinze personnes de l’Academie seront logez, nourris & instruits gratuitement, au moyen de la presente fondation.

Les Gentilshommes seront toujours preferez aux Bourgeois, tant pour le College que pour l’Academie, & ceux qui auront le plus longtemps étudié au College, preferez à ceux qui y auront moins étudié, pour estre admis en l’Academie, pourveu que ceux qui auront le plus étudié soient également propres pour l’Academie.

Son Eminence se reserve le nom & le titre de Fondateur dudit College & de l’Academie, & à son defaut l’aisné de ceux qui porteront son nom & ses Armes, aura les mesmes droits, avec toutes les prérogatives des Fondateurs.

Son Eminence, ou à son defaut l’aisné de ceux qui porteront son nom & ses Armes, aura la nomination des soixante Ecoliers du College, & des quinze de l’Academie, sans neanmoins qu’il puisse estre nommé aucune autre personne que des Nations & qualitez cy-dessus, & aux conditions cy-devant énoncées. Il aura pareillement la nomination de l’Ecuyer de l’Academie.

Mondit Seigneur le Cardinal Duc supplie tres-humblement Sa Majesté que la presente fondation soit en sa protection perpetuelle, & des Rois ses Successeurs.

Son Eminence prie aussi Messieurs les Gens du Roy du Parlement, de veiller à la conservation de la presente Fondation, tant pour le College & pour la Bibliotheque, que pour l’Academie, de les visiter quand il leur plaira, & de s’en faire representer les Reglemens, ce qu’ils pourront faire à toujours, conjointement ou separément.

Son Eminence prie encore Messieurs de la Maison & Societé de Sorbonne, que les douze plus anciens Docteurs de ladite Maison & Societé qui y seront actuellement demeurans, & non d’autres, ayent la direction generale dudit College, & de la Bibliotheque, & que ces douze nomment incontinent aprés que l’établissement en sera fait, quatre Docteurs tels qu’il leur plaira de ladite Maison & Societé de Sorbonne, pour estre les Inspecteurs dudit College, & de la Bibliotheque, desquels quatre Inspecteurs il y en aura deux qui n’en feront la fonction que pendant deux années aprés l’établissement ; & que de deux ans en deux ans il y en aura deux nommez au lieu des deux qui en devront sortir, en sorte que desdits quatre Inspecteurs il y en ait toujours deux anciens & deux nouveaux.

Si aucuns des Inspecteurs décedoient durant le temps de leurs fonctions, les Nominateurs en pourront nommer d’autres pour achever le temps de la fonction du decedé, & sont priez de ce faire incessamment, afin que les places soient toujours remplies.

Mondit Seigneur le Cardinal Duc prie que ledit College soit du Corps de l’Université, pour en faire un membre, & joüir des mesmes privileges & avantages en commun, outre ceux qu’il plaira à Sa Majesté de luy attribuer en particulier, & que l’Academie ait les mesmes droits que les autres Academies.

L’établissement dudit College, auquel la Bibliotheque est jointe, & de l’Academie, sera fait sous le bon plaisir du Roy, en la Ville, Cité, ou Université, ou aux Fauxbourgs de Paris, en mesme ou divers lieux, le tout selon que les Executeurs de la presente fondation cy-aprés nommez, le trouveront plus à propos.

Le College sera composé d’un Grand-Maistre, qui sera Docteur de la Maison & Societé de Sorbonne, & qui aura la superiorité, intendance & direction sur tous les autres Officiers du College & de la Bibliotheque, & sur tous les Ecoliers ; d’un Procureur commun, qui sera Docteur ou Bachelier de ladite Maison & Societé de Sorbonne, selon qu’il plaira aux Nominateurs, de quatre Principaux, & de quatre Sous-Principaux.

Le Grand-Maistre, en cas d’absence, maladie, ou legitime empeschement, pourra commettre telle personne que bon luy semblera, pour avoir en son lieu pareille superiorité, intendance, & direction.

Le Procureur commun fera les receptes & dépenses dudit College, sans toutefois qu’il puisse faire aucune dépense extraordinaire, que de l’ordre par écrit du Grand-Maistre, dont l’ordre suffira jusques à la somme de cent livres ; & en cas de plus grande dépense extraordinaire, sera pris l’ordre par écrit, tant du Grand-Maistre, que des quatre Inspecteurs de la Maison de Sorbonne.

Le Principal & le Sous-Principal de Pignerolles, terroir & vallées y jointes, & des Italiens de l’Etat Ecclesiastique, seront de l’Ordre des Religieux Theatins, & choisis par les Vocaux de la Maison de Sainte Anne la Royale de la fondation de son Eminence, & en cas qu’ils soient refusans de nommer, ou qu’il n’y ait pas nombre suffisant de Religieux dudit Ordre, soit de ladite Maison ou d’autres, les Nominateurs de la Societé & Maison de Sorbonne pourront aussi nommer le Principal, & le sous-Principal, ou l’un d’eux pour ladite Nation, ainsi que des autres.

Les Principaux des autres Nations seront Bacheliers de la Maison de Sorbonne, & les Sous-Principaux tels qu’il plaira aux Nominateurs, pourvû qu’ils soient du nombre des Supposts de l’Université de Paris ; les uns & les autres nommez par les douze anciens de la Maison & Societé de Sorbonne, comme il est dit cy-dessus.

Plus il y aura audit College huit Classes & autant de Regens, sçavoir, six d’Humanitez, & deux de Philosophie, tous lesquels Regens seront Bacheliers en Theologie, & nommez par le Grand-Maistre.

Il y aura un Chapelain aussi nommé par le Grand-Maistre, de telle qualité qu’il luy plaira.

Les Serviteurs communs dudit College seront aussi nommez par le Grand-Maistre, & le Principal de chaque Nation nommera les Serviteurs particuliers pour le service de la Nation.

Ne sera fait aucune distinction des Nations pour tous les Officiers cy-dessus, tant communs que particuliers.

Les Nominateurs de la Maison & Societé de Sorbonne, les Grands-Maistres & les Principaux sont priez de n’avoir aucunes considerations que de nommer les plus capables, eu égard à la fonction à laquelle ceux qui seront nommez, devront estre employez, & de prendre garde que les purs sentimens de la Religion, & la probité des mœurs soient joints à la suffisance.

Les Ecoliers de chaque Nation seront regis & gouvernez par les Principaux & sous-Principaux établis pour leurs Nations ; chacun sous-Principal soumis à son Principal, & les Principaux mesme des Religieux de l’Ordre des Theatins soumis au Grand-Maistre.

Les Officiers d’une Nation seront indépendans des autres, & tous soumis à la superiorité, intendance & direction du Grand-Maistre, comme dit est.

Le Grand-Maistre sera soumis aux quatre Inspecteurs, & ceux-cy aux douze plus anciens Docteurs de la Maison & Societé de Sorbonne, y demeurans.

Les comptes du College seront rendus par le Procureur commun d’iceluy en la presence du Grand-Maistre, & des quatre Principaux pardevant les quatre Inspecteurs, qui pourront visiter le College & la Bibliotheque quand bon leur semblera.

A l’égard de la Bibliotheque, il y aura un Bibliothecaire qui sera aussi nommé par les douze anciens Docteurs de la Maison & Societé de Sorbonne, y demeurans, un sous-Bibliothecaire. & deux serviteurs de la Bibliotheque, lesquels sous-Bibliothecaire & serviteurs seront choisis par le Bibliothecaire, qui en demeurera responsable.

Le Bibliothecaire sera tenu se charger des Livres de la Bibliotheque, dont il fera Inventaire ou recollement de celuy qui en aura esté fait, dequoy il donnera trois Copies signées de luy, l’une entre les mains de Messieurs les Gens du Roy du Parlement, une autre qui sera mise en la Bibliotheque de la Maison & Societé de Sorbonne, & une autre entre les mains du Grand Maistre du College.

Sera pareillement fait un Inventaire ou Memoire des Manuscrits Grecs & Latins que mondit Seigneur le Cardinal Duc donne audit College, avec sa Bibliotheque des Livres imprimez.

Sera aussi fait un Memoire des tablettes, tables, armoires, bancs & sieges servant à ladite Bibliotheque, que Son Eminence donne encore par ces presentes.

Veut Son Eminence que ladite Bibliotheque soit ouverte à tous les Gens de Lettres deux fois par chacune semaine, à tel jour qu’il sera avisé par les quatre Inspecteurs, & par le Grand Maistre dudit College.

Il y aura à l’Academie un Ecuyer, un Creat, un Maistre à danser, un Maistre tant à faire des Armes qu’à voltiger, un Maistre de Mathematique, & les Serviteurs necessaires.

L’Ecuyer sera nommé par Son Eminence, ou par l’aisné de ceux qui porteront son nom & ses Armes, & les autres Officiers nommez par l’Ecuyer.

Les quatre Inspecteurs & le Grand Maistre pourront faire les Reglemens pour la Police particuliere du College & de la Bibliotheque, & l’Ecuyer ceux de la Police particuliere de l’Academie.

Quant aux Reglemens generaux, ils seront faits par Son Eminence, ou par l’aisné de ceux qui porteront son nom & ses Armes, à la charge d’estre veus, sçavoir pour le College & la Bibliotheque, par les douze anciens Docteurs de la Maison & Societé de Sorbonne, y demeurans, & ceux de l’Academie par deux Ecuyers des Academies du Roy.

Les Reglemens, tant generaux que particuliers, pourront estre changez suivant les occurrences par les personnes & selon les formes cy-dessus, mais à la charge qu’il ne sera apporté aucun changement au dessein principal de la presente Fondation, ny aux intentions de mondit Seigneur Cardinal Duc.

Mondit Seigneur supplie tres-humblement Sa Majesté d’agréer & autoriser la presente Fondation avec toutes ses circonstances & dépendances, & d’en accorder toutes Lettres necessaires, avec les droits, exemptions, & privileges qu’il luy plaira, & que les Lettres en soient verifiées & registrées au Parlement de Paris, aux autres Compagnies Souveraines, & par tout ailleurs où besoin sera.

Pour faire l’achapt des places necessaires à l’établissement dudit College, de la Bibliotheque & de l’Academie, payement des droits d’amortissement & indemnité ; bastimens, emmeublemens, ornemens, linge d’Eglise, chevaux pour l’Academie, ustenciles, & toutes autres dépenses, & pour les subsistances dudit College & de l’Academie ; mesme pour l’achapt de quelques livres pendant l’année, afin d’estre ajoûtez à la Bibliotheque, mondit Seigneur le Cardinal Duc veut que sur les plus clairs de ses deniers comptans de ses œconomies & épargnes dont il est cy-devant fait mention & de ses autres effets, il soit pris deux millions de livres, & icelle somme mise entre les mains des Sieurs Executeurs de la presente Fondation, par les ordres desquels seront faits les achats, bastimens & autres dépenses, selon qu’ils jugeront le tout plus à propos, & conformément aux intentions que Son Eminence leur a declarées.

Que tout ce qui restera de ladite somme de deux millions de livres aprés le payement des places, bastimens & autres choses necessaires pour l’entier établissement, sera mis en fonds d’heritages ou rentes par les mains desdits Sieurs Executeurs, pour subvenir à la subsistance, reparations, & entretenement dudit College, de la Bibliotheque, & de l’Academie.

Plus mondit Seigneur le Cardinal Duc donne audit College, Bibliotheque & Academie, quarante-cinq mille livres de rente à luy apartenant sur l’Hôtel de Ville de Paris, de la nature qu’elles sont, dont il ne se paye à present que quinze mille livres effectives par chacun an, sans autres garanties desdites rentes, sinon qu’elles luy appartiennent.

Et d’autant que ce que dessus ne pourra satisfaire à l’entier établissement & à la subsistance de la presente Fondation, mondit Seigneur le Cardinal Duc supplie tres-humblement Sa Majesté que le revenu temporel de l’Abbaye de Saint Michel en l’Herm, dont son Eminence est presentement titulaire, en quoy que ledit revenu puisse consister, soit uny audit College, Bibliotheque & Academie, & que mesme le titre de ladite Abbaye, soit supprimé, y ayant assez de considerations particulieres pour ladite union & suppression, en reservant une somme telle qu’il sera ordonné par Sa Majesté pour l’entretenement des bastimens, & pour le nombre des Prestres seculiers que Sa Majesté jugera necessaires pour y faire le service divin, & subvenir aux frais dudit service, suppliant tres-humblement Sa Majesté que les Prestres seculiers y soient commis par les quatre Inspecteurs dudit College, & que lesdits Prestres soient revocables à volonté.

Et si tout ce que dessus n’estoit point encore trouvé suffisant par les sieurs Executeurs de ladite Fondation, mondit Seigneur le Cardinal Duc supplie encore tres-humblement Sa Majesté d’y joindre & unir quelque autre Benefice, avec pareille suppression de titre, ou autres conditions, afin que ladite Fondation que son Eminence a estimée utile & avantageuse à la Religion & au Royaume, puisse subsister à jamais.

Sa Majesté est aussi tres-humblement suppliée de faire expedier les Brevets, Lettres, & autres Actes necessaires pour l’execution de tout ce que dessus, d’en faire faire les instances à Rome par ses Ambassadeurs, & que le tout soit fait, homologué, confirmé, verifié & registre par tout où besoin sera, afin que la presente Fondation, & l’execution d’icelle puisse estre faite, entretenuë, & executée à jamais.

Et pour Executeurs de ladite Fondation jusques à l’actuel établissement du College, de la Bibliotheque & de l’Academie, mondit Seigneur le Cardinal Duc nomme Messire Guillaume de Lamoignon, Chevalier, Conseiller du Roy en ses Conseils, premier President au Parlement ; Messire Nicolas Fouquet, aussi Conseiller du Roy en tous ses Conseils, Procureur general de Sa Majesté, & Surintendant des Finances de France ; Messire Michel le Tellier, Conseiller du Roy en ses Conseils, Secretaire d’Etat & des Commandemens de Sa Majesté, Messire Zongo Ondedei, Evesque de Frejus, & Messire Jean-Baptiste Colbert, Conseiller du Roy en ses Conseils, Intendant des maisons & affaires de son Eminence.

Ausquels sieurs Executeurs, & à chacun d’eux les uns en l’absence des autres, mondit Seigneur le Cardinal Duc donne pouvoir de faire & agir tout ce qui sera necessaire pour l’entiere execution de la presente Fondation, tant pour l’achapt des places que pour les bastimens communs & particuliers, Eglise, & toutes les choses en dépendantes en la forme & maniere & en tel lieu que lesdits Sieurs Executeurs aviseront, & pour les nourritures, retributions, apointemens, gages, salaires des Officiers du College, de la Bibliotheque & de l’Academie, & d’en faire le partage entre lesdits Officiers, ainsi que lesdits Sieurs Executeurs verront bon estre.

En cas de deceds d’aucuns desdits Sieurs Executeurs, les survivans en nommeront d’autres en la place des decedez, en telle sorte que le nombre soit toûjours complet, jusques à ce que la presente Fondation soit actuellement & entierement executée.

Ce qui a esté ainsi dicté & nommé par mondit Seigneur le Cardinal Duc ausdits Notaires sous-signez & par l’un d’eux, l’autre present, releu à Son Eminence, qui a déclaré que telle est sa volonté pour valoir par forme de disposition testamentaire à cause de mort ou autrement, en la meilleure forme que faire se peut, & que s’il manque quelque chose pour l’execution, & interpretation de sa volonté, il s’en remet entierement aux ordres qui seront donnez par lesdits Sieurs Executeurs de la presente Fondation, lesquels il veut estre suivis entierement & en toutes choses sans aucune reserve, tout ainsi que si Son Eminence l’avoit Elle-mesme ordonné. Ce fut fait, dicté, nommé & releu, comme dessus audit Château de Vincennes, en l’Appartement de Son Eminence l’an 1661. le 6. jour de Mars avant midy, & a signé,

LE VASSEUR, & LE FOUIN.

En consequence de cette Fondation faite l’an 1661. le Roy donna des Lettres patentes au mois de Juin de l’année 1665. Elles commençoient par un Eloge du Cardinal Mazarin, ensuite de quoy il y en avoit un autre de la Fondation qu’il venoit de faire, sur quoy aprés avoir fait un détail de la mesme Fondation, le Roy en ordonnoit l’enregistrement au Parlement, à la Chambre des Comptes, & à la Cour des Aydes, comme d’une Fondation censée, & reputée Royale, ce qui fut executé.

En l’année 1674. le 22. Octobre, les Executeurs du Testament du Cardinal Mazarin presenterent requeste à Messieurs de l’Université, par laquelle aprés avoir exposé la Fondation, & fait un éloge de l’Université, ils la requeroient d’incorporer le College dans son Corps en la maniere accoutumée, & de le mettre sous sa direction & discipline, pour le faire joüir des mesmes privileges, droits & avantages dont joüissent les autres Colleges.

Toutes les Facultez & les Nations qui composent l’Université donnerent leurs avis sur cette requeste, & ne consentirent à ce qu’on exigeoit d’eux que sous certaines conditions. Je ne vous les marque point, parce que vous les connoistrez aisément en examinant la Fondation avec les Lettres patentes que vous allez lire.

LETTRES PATENTES
du mois de Mars 1688.
Portant Reglement pour le
College Mazarin.

LOUIS par la grace de Dieu Roy de France & de Navarre, A tous presens & à venir, Salut. Les importans services que nous a rendus, & à nostre Etat, nostre Cousin le Cardinal Mazarin, nous ayant engagez d’accorder nostre protection au College qu’il a fondé dans nostre bonne Ville de Paris, nous avons cru n’en pouvoir donner des marques plus certaines qu’en faisant nous-mesmes les Reglemens necessaires pour rendre cet établissement parfait. A CES CAUSES, & aprés nous estre fait representer le Testament de nostredit Cousin, l’Acte de fondation, ensemble nos Lettres patentes du mois de Juin 1665. de nostre certaine science, pleine puissance & autorité Royale, Voulons & ordonnons ce qui ensuit, c’est à sçavoir, que.

I.

Le College sera composé de soixante Ecoliers, Gentilshommes ou Enfans des principaux Habitans, vivant noblement dans les lieux cy-aprés nommez, sans que sous quelque pretexte que ce soit on puisse tenir d’autres Pensionnaires dans ledit College.

II.

La nomination des Ecoliers appartiendra à l’aisné mâle de la Maison de Mazarini, en qualité de Fondateur, & au defaut de mâle, ou s’il ne remplit point les places de personnes capables, quatre mois aprés qu’il sera averty de la vacance par le Grand-Maistre, ladite nomination & entiere provision nous sera dévoluë de plein droit.

III.

Les Nobles seront preferez pour la nomination à ceux qui ne le seront pas, quoy qu’il n’y ait entre eux aucune distinction dans le College, quand ils y auront esté receus.

IV.

Les preuves de l’âge, du lieu de la naissance, de la noblesse, & des autres qualitez necessaires, seront examinées par quatre Docteurs de la Maison & Societé de Sorbonne, & par le Grand-Maistre du College.

V.

Nul ne sera pourveu desdites places, s’il n’est au moins âgé de dix ans accomplis, & nul n’y sera receu aprés avoir atteint l’âge de quinze.

VI.

Les soixante Ecoliers seront choisis, sçavoir vingt de nos Provinces d’Artois, Cambray, Flandre, Hainaut & Luxembourg ; quinze d’Alsace, Strasbourg, & Pays d’Allemagne, & Franche-Comté ; quinze de Pignerolles & Vallées qui y sont jointes, Cazal, & de l’Etat Ecclesiastique, en telle sorte que ceux de Pignerolles & de Cazal soient préferez aux autres, & à leur defaut les Romains préferez à ceux de l’Etat Ecclesiastique ; dix de Roussillon, Conflans & Sardaigne.

VII.

S’il ne s’en trouve pas le nombre suffisant desdites Provinces, en ce cas nous pourrons en choisir d’autres lieux de nostre Royaume, aprés que pendant quatre mois les places auront vaqué, & que l’aisné de la Maison de Mazarini aura eu le temps d’en nommer des lieux désignez dans la Fondation.

VIII.

Tous lesdits Ecoliers seront instruits, logez, nourris & meublez gratuitement tant en santé qu’en maladie pendant le cours ordinaire des Classes, & leur sera donné à chacun la somme de cent livres tous les ans pour les habits & linges de leurs personnes.

IX.

Il y aura pour le Gouvernement du College un grand Maistre qui sera aussi Principal, Docteur de la Maison & Societé de Sorbonne, un Procureur, Docteur ou Bachelier de ladite Maison, un sous-Principal, quatre sous-Maistres & un Chapelain.

X.

Le Grand-Maistre nommera le sous-Principal, les sous-Maistres, le Chapelain, & tous les Regens, & pourra les destituer quand il le jugera à propos.

XI.

Le sous-Principal sera au moins Bachelier de la Maison de Sorbonne ; mais à l’égard des sous-Maistres & des Regens, il suffit qu’ils soient du Corps de l’Université.

XII.

Dérogeant à cet égard à l’article de la Fondation, par lequel il estoit dit que le Principal & les sous-Principaux de la Nation Italienne seroient Theatins.

XIII.

Le College ne sera point distingué par Nations, & il n’y aura d’autre difference entre les Ecoliers que l’âge & les Classes.

XIV.

Les Ecoliers pourront estre renvoyez du College pour leurs mauvaises mœurs par le Grand-Maistre, de l’avis des quatre Inspecteurs aprés avoir averty les parens, & le Nominateur de les retirer.

XV.

Il y aura neuf Classes dans le College, six d’Humanitez, deux de Philosophie, & une de Mathematique ; mais il y aura deux Regens de Rethorique, dont l’un enseignera le matin, & l’autre l’apresdinée, ainsi qu’il sera reglé par le Grand-Maistre.

XVI.

La nomination de tous les Serviteurs appartiendra au Grand-Maistre seul ; mais ceux qui auront soin de l’œconomie de la Maison seront nommez de concert par le Grand Maistre & le Procureur.

XVII.

Le Procureur fera les receptes & dépenses ordinaires.

XVIII.

Il ne pourra faire les extraordinaires que par l’ordre par écrit du Grand-Maistre & des quatre Inspecteurs, pourra neantmoins sur le simple ordre par écrit du Grand-Maistre, employer jusques à la somme de cent livres.

XIX.

Le Procureur rendra ses comptes tous les ans pardevant les Inspecteurs en presence du Grand Maistre.

XX.

Il aura sous luy un homme pour solliciter les affaires & agir sous ses ordres, dont le choix & la destitution luy appartiendra.

XXI.

Le Bibliothecaire sera nommé par la Maison & Societé de Sorbonne, & choisi autant qu’il se pourra du nombre des Docteurs de la Maison.

XXII.

Il aura la nomination d’un sous-Bibliothecaire, & de deux serviteurs, qui n’auront d’autre soin que celuy de la Bibliotheque, lesquels il pourra destituer lors qu’il le jugera à propos.

XXIII.

Le Bibliothecaire se chargera par inventaire des Livres de la Bibliotheque, des Manuscrits & des meubles qui y doivent estre destinez.

XXIV.

La Bibliotheque sera ouverte au Public deux jours la semaine, le Lundy & le Jeudy, depuis huit heures du matin jusques à dix heures & demie ; & depuis deux heures aprés midy jusques à quatre en hiver, & jusques à cinq en Esté.

XXV.

Le Bibliothecaire, le sous-Bibliothecaire, & les deux serviteurs seront tenus de se trouver dans la Bibliotheque aux jours & heures cy-dessus marquez, pour donner les Livres qui seront demandez, & pour veiller qu’ils ne soient gâtez ou emportez.

XXVI.

Il sera fait aux frais du College quatre Exemplaires du Catalogue de la Bibliotheque, dont un demeurera dans la Bibliotheque ; le second sera donné à nos Avocats & Procureur General du Parlement ; le troisiéme sera mis dans la Bibliotheque de Sorbonne, & le quatriéme demeurera entre les mains du Grand Maistre du College.

XXVII.

Le Procureur du College donnera tous les ans mille livres au Bibliothecaire pour augmenter la Bibliotheque, à la charge de rendre compte de l’employ pardevant le Grand Maistre & les quatre Inspecteurs du College, qui pourront, quand ils le jugeront à propos, visiter la Bibliotheque.

XXVIII.

Le Grand-Maistre & le Procureur, & le Bibliothecaire seront perpetuels, & leur nomination appartiendra à la Maison & Societé de Sorbonne.

XXIX.

La Maison & Societé de Sorbonne aura la direction generale de tout le College, à l’effet dequoy elle nommera quatre Docteurs qui auront la qualité d’Inspecteurs du College, & en feront pendant quatre ans seulement les fonctions, s’il n’est jugé à propos de les continuer.

XXX.

Le Grand-Maistre aura la superiorité & la préseance sur tous les Officiers du College. & aprés luy le Procureur, si ce n’est que le Bibliothecaire estant Docteur, soit plus ancien que le Procureur, auquel cas le Bibliothecaire aura seulement la préseance.

XXXI.

Les Inspecteurs visiteront le plus souvent qu’ils pourront le College, y décideront avec le Grand-Maistre toutes les affaires qui regarderont la discipline, recevront les plaintes, entendront les comptes du Procureur, & tiendront la main à l’execution de la Fondation.

XXXII.

Les quatre Inspecteurs ne sortiront point ensemble de charge ; mais il en demeurera toujours deux anciens avec les deux qui seront nouvellement élus.

XXXIII.

Les Reglemens qui seront jugez necessaires dans la suite des temps, seront faits par l’aisné de la Maison de Mazarini, avec l’avis de la Maison de Sorbonne ; mais ils ne pourront estre executez qu’ils ne soient confirmez par nos Lettres patentes.

XXXIV.

Enjoignons à nos Avocats & Procureur general, de visiter le plus souvent qu’ils pourront le College, soit separément ou conjointement, & de tenir la main à l’execution de la Fondation, à l’effet dequoy ils feront representer les Registres & comptes du Procureur, sans qu’ils puissent neanmoins commettre par ladite visite personne en leur place.

XXXV.

On pourra recevoir dans les Classes du College d’autres Ecoliers que les Pensionnaires, sans qu’ils soient tenus de donner aucun salaire aux Maistres qui les enseigneront.

XXXVI.

Et pour engager davantage ceux qui auront soin du College, & qui y enseigneront, Nous voulons qu’il soit donné sur les revenus dudit College tous les ans au Grand Maistre quinze cens livres, au sous-Principal six cens livres, aux quatre sous-Maistres chacun quatre cens livres ; aux deux Regens de Philosophie, & aux deux de Rhetorique chacun mille livres ; aux Regens de Seconde & de Troisiéme chacun huit cens livres ; aux trois autres Regens chacun six cens livres ; au Regent de Mathematique six cens livres ; au Bibliothecaire onze cens livres ; au sous-Bibliothecaire cinq cens livres ; aux deux Garçons servant la Bibliotheque chacun cent cinquante livres ; au Chapelain trois cens livres ; au Procureur onze cens livres ; à un Agent sous luy trois cens livres ; le tout outre le logement dans le College qui leur sera marqué, & la nourriture qui leur sera fournie convenablement en commun.

XXXVII.

Sera aussi donné au Sieur de la Poterie, qui a eu le soin des Livres jusques à present, la somme de huit cens livres par chacun an pendant sa vie, en consideration des services qu’il a rendus au College.

XXXVIII.

Voulons que le College porte le nom de Mazarini, & qu’il joüisse de tous les droits qui appartiennent aux Maisons de Fondation Royale, & en consequence l’avons déchargé de tous les droits qui nous auroient pu appartenir, ou à nos Fermiers, pour l’acquisition des places sur lesquelles il est basty, soit à titre de quint, & de lots & vente, d’amortissement ou d’indemnité.

XXXIX.

Dérogeons à tout ce qui pourroit estre contraire au present Reglement dans la Fondation, & nommément à l’établissement d’une Academie, pour apprendre l’exercice Militaire, nonobstant ce qui est porté par nos Lettres patentes du mois de Juin 1665.

XL.

Et pour les choses qui ne sont contenuës dans nos Lettres, ordonnons que ledit College sera gouverné par les Statuts de l’Université de Paris, dont il fait partie, & que tous les Officiers dudit College joüissent des droits & privileges qui appartiennent aux Principaux & Regens de l’Université de Paris. Si donnons en mandement a nos amez & feaux les Gens tenant nostre Cour de Parlement, Chambre des Comptes, & Cour des Aydes à Paris, que ces presentes ils ayent à registrer & faire executer selon leur forme & teneur, cessant & faisant cesser tous troubles & empeschemens qui pourroient estre mis ou donnez au contraire : Car tel est nostre plaisir. Et afin que ce soit chose ferme & stable à toujours, nous avons fait mettre nostre Scel à cesdites Presentes. Donné à Versailles au mois de Mars l’an de grace mil six cens quatre vingt-huit, & de nostre regne le quarante cinquiéme. Signé, LOUIS, & plus bas, par le Roy, Phelippeaux. Es à costé. Visa, Boucherat : & au dessous, Pour Lettres patentes portant reglement pour le College Mazarin, & scellées en lacs de soye du grand Sceau de cire verte.

Ces nouvelles Lettres ont esté enregistrées au Parlement, à la Chambre des Comptes, & à la Cour des Aydes. Le Roy s’est donné la peine de faire luy-mesme ces Reglemens, aprés avoir examiné les articles de la Fondation qui ne pouvoient subsister, en incorporant le College dans le Corps de l’Université.

Le Papillon et l’Abeille §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 124-136

 

La Fable qui suit vous fera connoistre le defaut de bien des gens, qu’une vaine curiosité engage à parcourir tous les Livres, & qui ne faisant que les effleurer, perdent bien du temps, & ont toûjours l’esprit vuide. Elle est du Pere Comire, Jesuite, qui l’a adressée en Vers Latins à Mr l’Abbé Huet, nommé à l’Evesché de Soissons, & comme il réüssit admirablement dans les Ouvrages de cette nature, elle a trouvé aussi-tost un Traducteur.

LE PAPILLON
ET L’ABEILLE.

Le Papillon flatté du brillant de ses aisles,
Et l’Abeille occupée aux travaux de son miel,
Voloient au point du jour sur les fleurs les plus belles
Que produit le secours de la Terre & du Ciel.
Le premier admirant la pompeuse abondance,
 Autant que l’éclat de ces fleurs
 Que l’Aurore par complaisance
Daigne tous les matins embellir de ses pleurs,
 Tint à l’Abeille ce langage.
 Flattons-nous, mon aimable Sœur,
 De profiter de l’avantage
Que nous promet du jour l’agreable douceur.
Aussi-tost il se porte où son plaisir l’attire,
Il vole impunément sans choix & sans dessein
 Sur tant de beautez qu’il admire,
Et qu’un vaste Parterre enferme dans son sein.
Luy mesme on le prendroit pour une fleur volante,
 Tant ses aisles ont de rapport
 A la diversité flotante
Des fleurs qu’un doux zephire agite sans effort.
 Quelquefois d’une Violette
Il respire en passant le parfum precieux,
 Tantost l’accueil delicieux
D’une Rose entre-ouverte, à contre-temps l’arreste ;
Puis d’un vol carressant il paye ses faveurs ;
Tantost d’un beau Soucy dont la fraischeur le flatte
Il suce avidement la feüille délicate.
 Eblouy de tant de couleurs,
Du bel or d’un Narcisse il va chercher la coupe,
 Retiré qu’il est dans son fond
Il s’enyvre en cachette au milieu de la Troupe.
 Aussi-tost d’un sommeil profond
Sur la fraische Anemone au repos il se donne.
Son vol est pour ces fleurs, tantost prompt, tantost lent,
Carressant, importun, inquiet, insolent,
 Il les cherche, il les abandonne,
 Et toûjours ses derniers desirs
Luy font perdre le goust de ses premiers plaisirs.
 L’Abeille cependant dans un travail semblable
 S’occupe d’un soin plus loüable,
 Peu satisfaite des odeurs
Ou d’un fard qui se borne à la superficie,
 Elle assiege toutes ces fleurs
Comme si leurs beautez la mettoient en furie.
 Dans l’ardeur de son mouvement
 Elle murmure incessamment,
 Et joignant le doux à l’utile
 Elle travaille obstinément
Au nectar precieux qu’un air pur & tranquille
Dans le fond de ces fleurs transpire obligeamment ;
Par tout où du matin l’innocente rosée
 Humecte le jaune Saffran,
Ou du sombre Hiacinte, ou du Lis transparent
 La feüille paroist arrosée,
Elle y court, elle y vole avec empressement,
 Et grosse du suc qu’elle en tire
Elle vient le placer dans son Appartement
Pour en faire à loisir & son miel & sa cire ;
Sans passer par mépris le rampans Serpolet,
 Ou la champestre Sarriete,
Sans negliger du Thim l’innocente fleurette,
Elle en vole pur tout la substance & le lait.
Precieuse ou commune, éclatante ou petite,
Il n’est plante ny fleur dont son soin ne profite.
Déja l’Astre fâcheux qui ramene la nuit
Deffendoit aux mortels le travail & le bruit,
 Quand le Papillon hors d’haleine
Fatigué de ses jeux & de ses vains détours,
 Trouva l’Abeille dans la Pleine,
Ou pour se retirer elle avoit pris son cours.
Aussi tost il luy tint ce langage en colere.
Esprit d’attachement & de grossiereté,
Ton travail inutile & ta stupidité
T’ont fait perdre aujourd’huy d’une indigne maniere
 Les plaisirs d’un jour enchanté.
Non non, luy répondit l’Abeille avec fierté,
Mes travaux ne sont pas frustrez de recompense,
 J’ay plus gagné que tu ne penses,
Je sçais mieux menager les momens que tu pers.
Je travaille à ma cire au lever de l’Aurore
Pour offrir des flambeaux aux grands Dieux que j’adore,
Je prepare du miel au Maistre que je sers,
Sans m’oublier moy-mesme & mon propre avantage,
Je trouve heureusement dans la douceur du jour,
 Tout ce qui peut estre d’usage
Pour prevenir du froid l’incommode retour.
Mais pour toy, Papillon paresseux & volage,
Tu ne t’es attiré par ta legereté
 Que le pitoyable dommage
 D’une penible oisiveté.
***
 Par là chacun de nous comprend la difference
De l’esprit curieux & de l’esprit sçavant ;
 L’un se nourrit de la substance,
 Et l’autre ne prend que du vent.
Ce desordre est commun autant que déplorable,
Mille esprits curieux entestez sans raison
 D’une folle demangeaison
D’effleurer les Auteurs en deviennent la Fable.
 On peut sans y mettre du sien,
Appeller ces esprits Papillons de Parnasse,
Esprits à qui tout plaist & que rien n’embarrasse,
Mais qui passant sur tout n’entrent jamais en rien ;
Sans ordre & sans dessein ils parcourent les Livres,
Par leur impatience ils en perdent le cours,
Etrangers en tous lieux, ignorans pour toûjours
 Et moins remplis qu’ils ne sont yvres,
 Ingenieux à tout gaster,
Ils recherchent l’odeur & laissent la substance,
Ils payent à grands frais une illustre ignorance,
Et voltigeant par tout sans jamais s’arrester,
A peine à chaque Auteur semblent-ils se prester ;
Mais le Sage imitant le travail, la prudence,
 Et la soigneuse prévoyance
Par où l’ardente Abeille insulte l’avenir,
Contente son esprit & meuble sa memoire
D’un solide sçavoir qui releve sa gloire,
 Et dont il a sceu se munir.
Soit au plus doux Printemps de sa belle jeunesse,
Soit au plus fort Esté de ses boüillans desirs,
Soit qu’un âge plus meur arreste ses plaisirs
Il profite sans fin, & se remplit sans cesse.
***
 C’est toy, que ces emplois occupent dignement,
Sage & sçavant Huet, c’est pour toy que * l’Hymmette
Sur son double sommet produit l’herbe molette,
Et le parfum du Thim, son plus bel ornement ;
 Rome sur ses saintes Collines
Prepare à ta moisson les plantes les plus fines ;
 Pour toy l’immortelle Sion,
Et le sacré Liban exercent leurs largesses,
Et font couler leur miel avec profusion,
C’est toy qu’avec plaisir ils comblent de richesses.
***
 Poursuis dans tes emplois si doux, si glorieux,
Acheve de charmer les hommes & les Dieux,
Ecris jusqu’à la fin d’une si belle vie.
 L’Hyver des ans n’est point pour toy,
Ton esprit ne peut estre esclave sous sa loy,
La Mithre ne fera qu’en augmenter l’envie.
 Jeune aux approches de la mort,
 Et triomphant des destinées,
Quand un Siecle complet achevera ton sort,
Tes écrits sçauront bien dementir tes années.
1

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 136-138.

Je vous envoye un Air nouveau de la composition de Mr Martin, qui a donné depuis peu au Public des Airs serieux & Bachiques à deux & à trois parties, meslez de Simphonies en Trio pour les violons & pour les flutes que debite le sieur Guerout. Les Vers ne sçauroient manquer de vous plaire, puis qu'ils sont d'une personne de vostre sexe dont vous avez admiré plusieurs Ouvrages. C'est Mademoiselle des Houlieres qui les a faits. La beauté de son genie est trop connuë pour vous en rien dire davantage.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Dans ces lieux rêvons à loisir, doit regarder la page 137.
Dans ces lieux révons à loisir,
Rien n'y peut troubler le plaisir
De penser au Berger que j'aime.
Helas ! que ce Berger charmant
Ne pense t-il à moy de mesme !
Qu'il y penseroit tendrement !
images/1688-11a_136.JPG

[Histoire] §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 138-180

 

Il n’y a rien qui éclaire tant l’esprit que l’amour, & pour peu qu’un Amant soit secondé dans les entreprises qu’il fait pour obtenir ce qu’il aime, il est malaisé qu’il ne reussisse. Un Cavalier, amoureux depuis long-temps d’une Fille fort bien-faite, & dont les manieres & le tour d’esprit avoient pour luy ce charme engageant qui fait les étroites liaisons, estoit venu à bout de luy plaire. Outre qu’il avoit du bien & de la naissance, elle luy voyoit tout ce qu’on peut souhaiter dans un honneste homme, & les sentimens qu’il avoit pour elle le rendant digne de ceux qu’elle avoit pour luy, si elle eust esté en pouvoir de disposer d’elle mesme, son consentement pour l’épouser eust suivy de prés le don de son cœur. Le Cavalier avoit gagné l’esprit de la Mere, & comme elle estoit dans ses interests, elle avoit mis en usage toutes sortes de moyens pour obliger son Mary à le choisir pour son Gendre, mais tous ses efforts n’avoient rien produit. C’estoit un Negociant estimé fort riche, & qui ne faisoit que prescher misere. L’avarice le possedant jusques à l’excés, il cachoit avec grand soin les bonnes affaires où il avoit part, & lors qu’il faisoit la moindre perte, c’estoient des plaintes qu’il portoit par tout, mais il avoit beau dire qu’il estoit ruiné, on le connoissoit, & ce qu’il disoit de son malheur ne luy ostoit rien de son credit. L’épargne avec laquelle il vivoit luy attiroit à toute heure des reproches de femme. Elle estoit portée à la dépense, & c’estoit pour elle un grand sujet de chagrin de ne pouvoir luy faire entendre raison sur l’aveuglement qu’il y avoit à vouloir toûjours amasser du bien pour n’en point joüir. Lors que sa Fille eut douze ans, quoy qu’elle fust sa seule heritiere, il la mit dans un Convent, & n’oublia rien de ce qu’il crut pouvoir l’engager à estre Religieuse. Il ne la voyoit jamais qu’il ne luy fist quelque sermon sur les vanitez du monde. La Belle avoit de l’esprit, & sa Mere qui la vouloit avoir auprés d’elle, luy donnant d’autres leçons, elle l’écouta trois ou quatre ans, comme estant fort disposée à profiter des avis qu’il luy donnoit. Le temps s’avançant toûjours, il la pressa enfin de se declarer, sur ce qu’elle étoit en âge de prendre l’habit, & alors avec un air fort modeste, elle répondit à ce Pere avare qu’elle estoit fort persuadée que le monde n’avoit rien que de méprisable, & que tout ce qu’on y pouvoit trouver de plus attirant n’estoit que sotise & que bagatelle, mais qu’afin d’en estre mieux convaincuë, il luy estoit important de s’en détromper par elle mesme, & de bien connoistre ce qu’elle avoit dessein de quitter. Ce raisonnement qu’il n’attendoit pas luy fit dire qu’elle devoit prendre garde que l’envie de voir le monde pour le quitter sans regret estoit une tentation des plus dangereuses, mais ce fut en vain qu’il la combatit. La Belle demeura ferme dans sa resolution, & quoy qu’il pust faire pour la retenir dans le Convent, il fut obligé de la reprendre. Elle ne fut pas long-temps avec sa mere sans donner des marques de l’éloignement qu’elle avoit pour la retraite. Ses airs, ses manieres, & la joye que luy donnoient toutes les parties de plaisir dont on la mettoit, estoient d’une Fille qui n’avoit aucun dessein de s’enfermer dans un Cloistre, il le vit avec douleur, & pour la punir de ne s’estre pas voulu faire une vocation de complaisance, & pour satisfaire en même temps à son avarice, il resolut de ne la point marier. Ainsi tous les partis qui se presenterent furent rejettez. Il pretextoit son refus du mauvais estat de ses affaires, qui ne luy permettoient pas de faire la moindre avance, & il ajoûtoit que sa Fille estant encore fort jeune, rien ne le pressoit de s’en défaire. Ce fut dans ce temps que le Cavalier dont j’ay commencé à vous parler, prit de l’amour pour elle ; il tâcha de l’en convaincre par mille soins obligeans, & le temps n’ayant servy qu’à s’accroistre par l’entiere connoissance qu’il eut de tout ce qu’elle valoit, il luy demanda la permission de se declarer. Elle luy fut accordée de concert avec la mere, quoy qu’avec peu d’esperance qu’il fust mieux receu que ceux qui avoient fait avant luy une pareille démarche. Comme il avoit plus d’amour que tous les autres, & un amour ou l’interest n’avoit point de part, il se tint fort seur de reussir en se montrant prest de l’épouser sans aucune dot, mais la generosité luy fut inutile. Le Pere ne s’en laissa point toucher. Sa Fille estoit toujours coupable pour luy, & il ne pouvoit luy pardonner sa sortie hors du Convent. Cette resistance à ses volontez luy avoit fait prendre de l’aversion pour elle. Il agit sur ce principe, & s’abandonnant à ses sentimens bizarres, il dit que c’estoit perdre une Fille que de la marier à dix-sept ans, parce qu’elle n’estoit pas encore capable de se connoistre, & que quand la sienne en auroit vingt-cinq, il songeroit à luy trouver un party. Sa femme s’emporta avec chaleur contre un caprice si peu soustenable, & les veritez qu’elle luy dit sur les raisons cachées de cet injuste refus, ne servirent qu’à augmenter sa méchante humeur. Il ne voulut plus souffrir l’assiduité du Cavalier, & toute la grace qu’elle obtint pour luy, ce fut qu’il pourroit encore de temps en temps les venir voir comme amy. Cette contrainte n’eut pas l’effet qu’il s’estoit promis. Les deux Amans s’enflamerent davantage, & comme la Mere les favorisoit, ils se jurerent qu’ils ne cesseroient jamais de s’aimer. Heureusement le Pere avoit une étroite liaison d’interest avec un autre Negociant de la Ville, dont la Femme étoit extrémement amie de la sienne. Elles se voyoient souvent, & ce fut chez cette Amie que le Cavalier continua de voir sa Maistresse. Le Pere qui se donnoit tout entier à son commerce, n’examinoit point ce qui se passoit, & sans s’embarasser des sentimens de sa Fille, il luy suffisoit de ne rien voir qui pust luy blesser les yeux, & d’avoir si bien écarté tous ses Amans que personne ne luy parloit plus de la marier. Elle recevoit toujours mille soins du Cavalier, accompagnez des plus tendres asseurances qu’il pust luy donner de sa passion, & s’il n’osoit la voir chez son Pere plus souvent que tous les mois, ce qu’il faisoit regulierement pour conserver avec luy quelque habitude qui pust luy servir dans le besoin, il avoit d’assez frequents rendez vous chez la personne qu’ils avoient mise dans leur confidence. C’estoit elle qui faisoit toutes les parties de promenade & de divertissement. Le Cavalier ne manquoit jamais à s’y trouver, & c’estoient toujours des festes galantes dont il prenoit soin en Amant passionné. Cependant on n’oublioit rien pour gagner l’esprit du Pere, mais il avoit une obstination invincible, & sa Fille, faute de vouloir se faire Religieuse, ne se pouvoit racommoder avec luy. On parloit toujours des moyens de le reduire, chacun en proposoit tour à tour, & enfin une partie faite par hazard en fit imaginer un qu’on resolut de mettre en pratique. La Ville où il demeuroit étoit une Ville Maritime, & la pesche des Thons qu’on faisoit alors à deux lieuës de là, le long de la coste, attiroit beaucoup de monde. Le Negociant de ses Amis estant allé luy rendre visite avec sa Femme, le discours tomba sur cette pesche, & le temps estant fort beau, on proposa pour le lendemain d’aller prendre ce plaisir. On vouloit qu’il fust de la partie, & sa Fille qui tâchoit toûjours de l’adoucir, fit ce qu’elle put pour l’y engager ; mais comme il falloit faire la dépense d’un Bateau, & se charger de quelques provisions pour le disner, parce qu’on devoit partir dés le matin, il fut bien-aise que le tout tombast sur son Amy, à qui il laissa la conduite des trois Femmes. Le Cavalier ayant esté averty de cette partie, dont on n’osa le mettre, de peur qu’il ne fust trop remarqué, pria le Conducteur de la Troupe de l’obliger à descendre à une Maison qu’il avoit vers ce lieu-là, aprés qu’ils auroient joüy de la pesche. La chose se fit comme il l’avoit souhaité. Il estoit encore bonne heure, lors qu’on eut vû prendre quantité de Thons, & quoy que l’on se fust préparé à un regale d’Amant, parce qu’on ne doutoit pas qu’on ne le trouvast en ce lieu là, on fut surpris de la maniere galante dont il receut sa Maistresse. Rien ne coute quand on aime fortement. Concerts, Voix, Musique, tout fut employé ; & aprés qu’on eut passé quelque temps à voir sa maison, qui estoit fort belle, & meublée tres-proprement, il fit servir un Ambigu des mieux ordonnez. On se donna à la joye, & il en fit tant paroistre, que chacun la partagea. On souhaitoit qu’une si agreable journée ne finist point, lors que tout d’un coup on entendit les vents qui soufloient, & la Mer qui mugissoit. Ce mauvais temps chagrina les Dames. Elles craignirent que l’orage ne leur fist courir quelque risque à leur retour, & elles le craignirent encore plus lors qu’on eut fait venir les trois Matelots qui avoient la conduite du Bateau. Il leur parut qu’on avoit trop bien executé les ordres que le Cavalier avoit donnez de les faire boire, & ils eurent beau les assurer qu’en tenant toujours la coste ils vaincroient les vagues, elles ne voulurent point s’en rapporter à cette assurance; & dirent qu’il falloit chercher quelque voiture pour s’en retourner par terre. L’Amy qui les avoit amenées, tomba d’accord que ce seroit le plus seur, & il ajoûta qu’en prenant la Mer, il estoit à craindre que la tempeste ne les poussast assez loin, pour tomber entre les mains des Corsaires qui faisoient souvent des courses le long de la coste. Sa Femme qui avoit l’esprit fort vif, se mit à rire aussi-tost, & dit que le peril dont il venoit de parler luy avoit fait naistre une pensée qui pourroit produire quelque chose d’avantageux pour les deux Amans. C’estoit de demeurer tous cachez fort à leur aise deux ou trois jours chez le Cavalier, aprés quoy son Mary retourneroit seul dans le Bateau, & supposeroit une rencontre de Turcs qui se seroient saisis des trois Femmes, & qui l’auroient renvoyé pour apporter leur rançon qu’on feroit monter à une somme considerable ; que le Pere de la Belle n’osant abandonner sa Femme & sa Fille, se resoudroit à donner une partie de la somme, & que le Cavalier luy allant offrir sa bourse pour fournir le reste, pourroit l’engager à consentir à son mariage. L’expedient réjoüit la Compagnie. Le Cavalier qui en fut charmé, pria la Mere de ne s’y pas opposer. On examina ce dessein à fond, & aprés qu’on eut long-temps raisonné sur la maniere de le faire réussir, il fut arresté que le Cavalier retourneroit à la Ville, afin d’empescher que son absence ne fist soupçonner qu’on eust concerté cette avanture. Il prit tous les soins requis pour faire que rien ne manquast aux Dames dont il s’éloigna avec beaucoup de chagrin, & on s’assura des trois Matelots, qu’il fut aisé de gagner. Ils dépendoient de celuy qui devoit mener l’intrigue, & ils allerent cacher le Bateau à un lieu qu’ils connoissoient fort enfoncé dans la coste. Le Cavalier rentra le soir-mesme dans la Ville, & se montra en differens lieux, mais ce ne fut que le lendemain qu’il oüit parler de la petite Troupe qui n’estoit point revenuë. Le Negociant paroissant fort alarme, alla s’en informer à tous ceux qu’il sceut qui avoient esté prendre le jour précedent le divertissement de la mesme Pesche. Chacun luy dit qu’on y avoit veu son Amy avec les trois Dames, & que puis qu’ils n’estoient point revenus avant le gros temps, il y avoit bien à craindre que leur Batteau n’eust pery. On le crut d’autant plus facilement, qu’on eut nouvelles certaines dans le mesme temps qu’il s’en estoit perdu plusieurs de Pescheurs par la violence de la tempeste. Le bruit du malheur qu’on pretendoit luy estre arrivé, s’estant répandu presque aussi-tost par toute la Ville, on alla chez luy de toutes parts luy faire les complimens de condoleance, qui sont ordinaires dans ces sortes d’occasions. Le Cavalier y alla comme les autres, & eut le plaisir de recevoir pour réponse, qu’il avoit sujet de prendre part à sa perte, puis que sa perseverance l’avoit fait resoudre à consentir à son mariage dans fort peu de temps. Quoy qu’il affectast de témoigner beaucoup de douleur, on ne laissoit pas de démêler qu’il se consoloit de n’avoir plus ny Femme ny Fille, parce que cet accident, qu’il disoit chrestiennement qu’il falloit souffrir de la main de Dieu, luy épargnoit beaucoup de dépense qu’elles l’obligeoient de faire. La Mer s’estant montrée assez calme aprés trois jours de tempeste, l’Amy du Negociant revint seul dans son Batteau, comme on l’avoit projetté. On ne l’avoit pas plûtost veu paroistre, que tout le monde s’assembla autour de luy pour sçavoir son avanture. Il s’acquitta admirablement bien du conte qu’il avoit étudié. Il dit que le vent s’estant élevé tout d’un coup le jour de la Pesche, ses Matelots avoient esté emportez malgré eux en pleine Mer ; que lors qu’ils voyoient à tous momens les flots ouverts pour les engloutir, une Tartane s’estoit avancée vers eux ; que soixante & cinq Corsaires Turcs, ou Algeriens, y avoient paru le sabre à la main, & les avoient faits esclaves ; qu’ils avoient d’abord tourmenté leurs Matelots pour sçavoir qui ils estoient, & qu’ayant appris par eux qu’ils se mêloient du negoce, ils avoient fixé leur rançon à cent mille francs ; que si-tost que l’orage avoit cessé, ils l’avoient renvoyé dans le Bateau afin qu’il pust leur apporter cette somme ; que pour luy il aimoit mieux qu’il luy en coutast cinquante mille francs, que de laisser ce qu’il avoit de plus cher dans l’esclavage, & qu’il venoit demander à son Amy les autres cinquante mille francs pour luy ramener sa Femme & sa Fille. Cette nouvelle qu’on fit courir aussitost de bouche en bouche luy avoit esté portée avant qu’il allast chez luy. Il le trouva dans un desespoir inconcevable, & ses lamentations firent connoistre qu’une Rançon à payer estoit pour luy un malheur plus grand que la veritable mort de sa femme & de sa fille ; il sembloit même que ce luy estoit quelque sorte de chagrin d’apprendre que l’une & l’autre estoit encore vivante. Il dit d’abord avec une espece de fureur, que puis qu’on sçavoit le lieu où l’on trouveroit ces miserables Corsaires, il les falloit aller attaquer, & qu’il ne seroit pas difficile de se rendre Maistre d’une Tartane. On luy répondit que c’estoit un seur moyen pour envoyer les trois femmes en Barbarie, puis qu’ils ne manqueroient pas de prendre la fuite dés qu’ils pourroient découvrir qu’on viendroit à eux avec des forces qu’ils auroient à craindre. Cette raison le fit acquiescer, mais elle ne le put convaincre de la necessité qu’il y avoit de donner les cinquante mille francs qu’on luy demandoit. Il dit que de quelque façon que ce fust, il ne pouvoit éviter d’avoir le chagrin de laisser sa Femme & sa Fille esclaves, puisque les pertes qu’il avoit faites depuis cinq ou six années ne luy permettoient pas de les racheter au prix où leur Rançon avoit esté mise. Son amy qui témoignoit une extréme impatience d’aller porter sa part aux Corsaires qui ne vouloient pas attendre long-temps, offrit de luy avancer ce qui devoit luy revenir d’une affaire qu’ils avoient faite ensemble depuis peu de temps, & deux Marchands qui se trouverent chez luy, & qui luy devoient payer dans six mois de certaines sommes, voulurent bien les donner sur l’heure pour le tirer de l’embarras où il se trouvoit. Le tout montoit environ à dix mille écus, qu’il estoit au desespoir qu’on luy fist avoir comptant ; il fut contraint d’abandonner cette somme, quoy qu’avec de longs gemissemens, & il protestoit qu’il luy estoit impossible de fournir le reste quand le Cavalier entra. Il luy expliqua douloureusement les angoisses qu’il souffroit, & le Cavalier l’ayant consolé le plus humainement qu’il luy fut possible, le pria de trouver bon qu’il luy apportast ce qui manquoit au payement qu’il falloit faire, & qu’il regardast sa Fille comme estant déja sa femme, puis qu’il luy avoit declaré le jour precedent le dessein où il estoit de la luy faire épouser. Cette offre luy fut le sujet d’une extrême joye au milieu de son chagrin. Il l’embrassa plusieurs fois, & aprés l’avoir loué d’une generosité si peu attenduë, il dit pour la reconnoistre que sa Fille qui le ruinoit par la detestable demangeaison qu’elle avoit euë de voir une pesche, ne meritoit pas qu’on la tirast des mains des Corsaires. Il vouloit leur aller porter l’argent luy-mesme, croyant, quelque Barbares qu’ils fussent, que l’affliction où ils le verroient les obligeroit de se contenter de la moitié de la somme. Son Amy feignit d’y consentir, mais sans répondre qu’ils ne l’enlevassent pas pour tirer de luy une seconde Rançon, parce qu’il n’y avoit point de plus grand malheur que d’avoir affaire à des Infidelles. La frayeur le prit, & il jugea à propos d’abandonner tout à la conduire de son Amy, qui s’en retourna le soir dans son Bateau, & alla trouver les Dames. Ses Matelots avoient tenu le mesme langage, & se plaignoient du rigoureux traitement que leur avoient fait les Corsaires pour les forcer de parler Ainsi il n’y avoit aucun lieu de douter de l’avanture. Le lendemain toute la Troupe revint, & les Femmes joüerent parfaitement bien leur personnage. Toutes leurs Amies les allerent embrasser au Port. C’étoit entre elles à qui peindroit mieux l’extréme frayeur que plus de soixante vilains Turcs leur avoient causée. Il sembloit qu’elles fussent encore dans leurs mains, tant elles montroient une imagination vivement frapée de ce qu’un voyage en Barbarie leur avoit fait craindre. Vous pouvez aisément vous figurer de quelle maniere l’avare Negociant receut sa Femme & sa Fille. Il s’emporta jusques à l’excés, & ce fut sur tout contre la derniere qu’il fit éclater son ressentiment. C’estoit particulierement pour la divertir qu’on avoit songé à faire la partie de pesche qu’il payoit si cherement, & la regardant comme la cause de tous ses malheurs par le refus obstiné qu’elle avoit fait de passer sa vie dans un Convent, aprés luy avoir défendu pendant plusieurs jours de se montrer devant luy, il dit brutalement à sa Femme, qu’il l’avoit promise au Cavalier, & qu’il pouvoit s’en charger quand il voudroit, sans qu’on luy demandast autre chose que son consentement pour le mariage, parce qu’il n’avoit pas mesme un habit à luy donner. Le Cavalier qui l’auroit prise pour rien, & à qui le faux conte des Corsaires faisoit toucher les dix mille écus qu’on luy avoit arrachez, profita de son dépit, & fit avec grande joye toute la dépense de la Noce. Le Pere pour qui la veuë de sa Fille estoit un supplice, ne voulut pas s’y trouver, & tomba dans un chagrin dont tout ce qu’on put luy dire ne fut point capable de le faire revenir. Il parloit sans cesse de l’argent qu’on luy avoit fait donner, & ce qui augmenta son desespoir, la tentation que les Femmes eurent de parler fut cause qu’il leur échapa quelques paroles, qui firent dire que l’avanture des Turcs pouvoit bien n’estre pas vraye. Le bruit en vint jusqu’à luy, & on luy en fit quelque raillerie. Les plus fortes assurances que son Amy luy put donner du contraire, n’eurent point assez de force pour luy oster de l’esprit qu’il avoit esté dupé ; & enfin soit qu’on l’eust trompé, ou non, n’ayant besoin ny de Femme ny de Fille, il les devoit laisser enlever aux Turcs, s’il estoit vray qu’ils les eussent euës en leur pouvoir, & pretendoit avoir fait une fort grande sottise de donner dix mille écus. Le repentir qu’il en eut ne luy laissa plus goûter de repos, & enfin à force de se chagriner il fut saisi d’une fiévre violente qui luy fit tourner l’esprit. Il ne resista que fort peu de jours, & s’avisa de mourir, quoy qu’il eust pu encore s’en passer pendant un assez grand nombre d’années, puis qu’il laissa pour plus de cent mille écus d’effets, & que c’estoit dequoy vivre. Sa succession accommoda la Mere & la Fille, qui se voyant delivrées d’un homme qui les contraignoit en toutes choses, ne donnerent à sa mort que des larmes de bien-seance. Elles n’eurent pas besoin de beaucoup de temps pour les essuyer, & la vie tranquille qu’elles commencerent à mener ensemble, les eut bien-tost consolées de cette perte.

[Service fait à Troyes pour M. le Mareschal Duc de Vivonne] §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 180-182

 

Le Maire & les Eschevins de la Ville de Troye, Capitale de Champagne, ont donné des marques du zele qu’ils ont toujours eu pour Mr le Maréchal Duc de Vivonne, qui étoit leur Gouverneur, en faisant faire ses obseques avec beaucoup de magnificence. On les commença le 3. de ce mois par le son des Cloches de toutes les Eglises, & ce son continua jusqu’au lendemain midy. La Ceremonie se fit dans la Cathedrale. Elle estoit toute tenduë de drap noir depuis le haut jusqu’en bas, dans la Nef & dans le Chœur, avec une bande de velours noir au milieu, & un tres-grand nombre d’Ecussons aux armes du Défunt. Il y avoit une Chapelle ardente, éclairée d’une infinité de Cierges blancs sur des Chandeliers d’argent. Mr le Doyen celebra la Messe, qui fut chantée par une excellente Musique. M. l’Evesque de Troye y assista, avec le Maire & les Eschevins, qui se rendirent à l’Eglise, precedez de huit Compagnies, & la Bourgeoisie sous les Armes, avec leurs quatre Sergens & Huissiers de Ville, revestus de deüil. Ils estoient suivis du Corps & des Officiers de quartier. Ceux du Presidial, de la Prevosté, de l’Election, & du Grenier à Sel y assisterent aussi.

[Bénéfices donnés à l’Abbé de Genest]* §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 183-184

 

A M. l’Abbé de Genest, l’Abbaye de Saint Vailemer, Ordre de Saint Augustin, Diocese de Boulogne. Son esprit a paru par ses Ouvrages. Il a remporté le prix de l’éloquence à l’Academie Françoise, & a fait une tres-belle Epistre en Vers à M. de la Bastide, pour l’exhorter à prendre le party de revenir à la vraye Eglise. On le trouva si instruit dans l’Histoire & dans la Geographie, qu’on le mit auprés de Madame la Duchesse, & depuis le mariage de cette Princesse il a esté mis auprés de Mademoiselle de Blois, où il reussit avec beaucoup d’avantage.

[Bénéfices donnés à l’Abbé de Bussy-Rabutin]* §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 185

 

A M. l’Abbé de Bussi Rabutin, le Prieuré de Nostre-Dame de Lespan, Diocese d’Auxerre. Il est Fils de Mr de Bussi Rabutin, de l’Academie Françoise, qui a esté Mestre de Camp de la Cavalerie, & dont les Ouvrages font l’éloge.

Caprice §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 187-194

 

Les Vers que vous allez lire sont fort estimez. Il ne faut pas s’étonner s’ils plaisent, puis qu’ils sont de Mademoiselle des Houlieres.

CAPRICE.

 Quels sont encor les maux que le Ciel me prepare ?
 D’où vient que je verse des pleurs ?
 D’un Destin cruel & bizarre
Je n’ay déja que trop éprouvé les rigueurs.
Que je te crains, Amour ! tu me parois terrible.
Tourne sur d’autres cœurs tes invincibles traits ;
 A mes malheurs rens-toy sensible,
Et de mon foible cœur ne trouble point la paix.
***
 A ton orgueil l’Univers doit suffire,
Tu soumets à ton gré les hommes & les Dieux ;
 Un cœur de plus sous ton Empire
 Te rendra-t-il plus glorieux ?
***
 Affranchis-moy de cette Loy commune,
  Et laisse à l’aveugle Fortune
  Le soin de me persecuter.
Mais, Dieu cruel, voudrois-tu me surprendre ?
Quels transports inconnus me viennent agiter ?
Le trouble dans mon cœur commence à se répandre,
Ma raison, sur l’amour travaille à l’emporter ;
  Tu ne sçaurois pour me défendre
  Et pour m’empescher de me rendre,
  Te faire assez-tost écouter.
***
  Sans cesse une idée agreable
 Vient dans mon ame attaquer ton pouvoir,
Oronte me paroist tous les jours plus aimable,
Et je ne puis sans peine estre un jour sans le voir.
 Qu’Oronte, helas, est redoutable !
***
  Raison, combats plus vivement,
 Tu ne peus succomber sans honte,
Redouble mes frayeurs par un engagement
  Où tout est du party d’Oronte.
***
  Ainsi s’entretenoit un jour
 L’aimable Iris au bord d’une Fontaine.
Ses charmes, ses malheurs ont redoublé la haine
  Que j’avois déja pour l’Amour.

RÉPONSE
Sur les mesmes Rimes.

Pourquoy vous figurer que le Ciel vous prepare
  Des maux qui meritent vos pleurs ?
  D’un destin cruel & Bizare
 Aprés avoir éprouvé les rigueurs,
Pourquoy craindre l’Amour ? qu’a-t-il de si terrible ?
  Cessez d’apprehender ses traits,
 Il sçaura vous rendre sensible,
 Et laisser vostre cœur en paix.
***
  Iris, cela vous doit suffire,
En vain l’Amour soûmet les hommes & les Dieux ;
 Si vostre cœur manquoit à son empire,
  Il en seroit moins glorieux.
***
  Rendez-vous à la Loy commune ;
  Moins aveugle que la Fortune,
L’Amour ne cherche point à vous persecuter,
A ses charmes puissans, ah, laissez-vous surprendre.
Mais quels nouveaux transports viennent vous agiter ?
 Ce qu’en vous l’Amour sçait répandre
 Sur la raison va l’emporter.
 Vous ne pouvez plus vous défendre ;
 Du moins avant que de vous rendre,
 Daignez un moment m’écouter
***
Banissez par pitié cette idée agreable
 Qui vient détruire mon espoir.
Qu’Oronte me déplaist lors qu’il vous semble aimable.
Que je serois heureux de ne jamais le voir !
 Qu’Oronte est pour moy redoutable !
 Que son bonheur me touche vivement !
 J’en meurs de depit & de bonté.
 Ah, quel fatal engagement,
 Si vostre cœur est pour Oronte !
***
 Ainsi se plaignoit l’autre jour,
 Tircis au bord d’une Fontaine,
Où pour Oronte il montroit moins de haine,
Que pour Iris il ne montroit d’Amour.

[Réjoüissances faites en plusieurs Villes de France pour la prise de Philisbourg] §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 194-211

 

Je ne vous parleray point des réjoüissances qui ont esté faites à Paris pour la Prise de Philisbourg, parce qu'elles seront comprises dans la Lettre particuliere qui contiendra toute la Campagne de Monseigneur, mais Chartres ayant esté des premieres à suivre l'exemple de cette grande Ville, il est juste de la distinguer dans cette Lettre. Le 11. de ce mois, jour de la Saint Martin, les Habitans s'estant rendus en armes sur les deux heures aprés midy dans la Place de l'Hostel de Ville, & dans les ruës voisines, sous le commandement de Mr de Magny, Major de la Ville, furent divisez en trois Corps distinguez par des Drapeaux que les principales Communautez avoient fait faire exprés, & par les anciens Drapeaux de la Ville qui sont portez en de pareilles occasions. Cette Milice, au nombre de quinze cens hommes, s'avança jusqu'au devant de la principale porte de l'Eglise Cathedrale de Nostre Dame, où elle fut rangée en bataille, & preceda le Corps de Ville, qui estoit conduit par Mr Nicole, premier President, Lieutenant General, & Maire perpetuel de la Ville, & qui entra dans l'Eglise, où s'estoient rendus les Corps du Presidial, de l'Election, & des Juges Consuls. Le Te Deum fut chanté en mesme temps par une excellente Musique, meslée de voix & d'instrumens, avec un motet composé sur ce sujet. Toutes les salves & descharges de Mousqueterie qui se firent pendant ce temps, rendirent la ceremonie tres-auguste. Quand elle fut achevée, le Corps de Ville s'en retourna à l'Hostel de Ville, devant lequel on alluma un grand feu, & à l'instant on ouvrit quatre fontaines de vin, qui coulerent jusqu'à la nuit, au commencement de laquelle il y eut des feux de joye dans toutes les ruës, & un nombre infini d'illuminations aux fenestres. Cette premiere rejoüissance fut terminée par un feu d'artifice, que les Maire & Echevins firent joüer dans la place publique, & par un Ballet que les principales Dames danserent dans la grande Salle de l'Hostel de Ville. Le Dimanche suivant les Artisans se mirent encore sous les armes, & le Corps des Marchands aprés avoir fait allumer un grand feu de joye, en fit joüer un d'artifice. Cela fut accompagné de tout ce qui peut marquer une entiere rejoüissance.

Le 17. du mesme mois, les Marchands, Juge & Consuls de la mesme Ville, firent une feste particuliere pour laquelle Mr Camaille, Juge en exercice, donna tous les ordres que l'on pouvoit souhaiter. Il disposa la marche des six Corps selon leurs rangs ; ceux qui prirent les armes suivirent leurs Capitaines, Enseignes & Sergens, qui les disposerent en haye dedans & dehors la grande Cour de l'Hostel ordinaire des Marchands, au son des Tambours & des Hautbois de la Ville. Dans la reveuë qui s'en fit les trois premiers Corps furent à la teste, les trois autres à la queüe, chacun sous ses Enseignes, & dans le milieu estoit le Corps Consulaire, qui faisoit un nombre considerable d'anciens Juges & de Consuls, tous vestus de noir fort proprement. Sur les deux heures aprés midy, les Marchands armez s'étendirent à dix pas de la porte de leur Hostel, pour preceder le Corps Consulaire, qui suivit Mr Camiaille [sic] Juge & ses Conseillers. On alla au Palais Episcopal, où trois Salves de Mousqueterie furent tirées dans la grande Cour, & ensuite on se rendit en l'Eglise des Cordeliers, où les Religieux entonnerent le Te Deum, qui fut suivi de l'Exaudiat. Cela estant fait, on prit le chemin de la grande Place des Halles, où le feu de joye estoit dressé. Il avoit vingt pieds d'élevation, & la Figure d'une Tourelle quartée. Il fut allumé au bruit des tambours, des Hautbois & de diverses descharges qui furent faites par la milice Marchande. M Camiaille Juge, avec tous ceux qui l'accompagnoient, s'estant acquité de cette ceremonie, fut reconduit dans le mesme ordre à l'Hostel ordinaire des Marchands. La court qui estoit ornée des armes du Roy & de son Altesse Royale, comme Duc de Chartres, parut le soit fort illuminée. Il y eut un grand regale donné, & une fontaine de vin coula par deux canaux differens. Sur les sept heures la mesme milice Marchande, qui conduisit son Chef aux flambeaux retourna dans la grande Place des Halles, dans le milieu de laquelle on avoit dressé une maniere de Forteresse de forme triangulaire, surmontée d'un Soleil. Trois rouës qui sortoient des trois angles, avec toute cette machine remplie de feux d'artifice, de petards, & de quantité de longues fusées, firent un effet fort divertissant.

Le jour de la Feste de S. Martin le Te Deum fut aussi chanté pour la méme occasion dans l'Eglise Cathedrale de Bourges. Mr l'Intendant de la Province y assista à la teste du Presidial, ainsi que tous les Corps de Justice de la Ville. Ensuite on alluma un grand Feu dans la Place Ducale, & tous les Habitans en signe de réjoüissance en allumerent le soir devant leurs portes avec quantité d'illuminations.

La mesme Ceremonie a esté faite à Retel. Les Echevins Gouverneurs de la Ville s'estant rendus en corps dans l'Eglise principale, assisterent au Te Deum, avec les Officiers du Bailliage & de l'Election aussi en Corps. Ensuite les Echevins allumerent un grand Feu dressé devant l'Hostel commun de la Ville. La Compagnie des Arquebuziers estoit sous les Armes, & fit plusieurs décharges de Mousqueterie, aprés quoy les Echevins donnerent un grand Reale dans l'Hostel de Ville, où la santé du Roy, & celle de Monseigneur furent beuës aux acclamations de toute l'Assemblée.

La Chambre des Comptes de Bretagne établie à Nantes, qui signala son zele avec tant d'éclat, lors que toute la France rendit graces à Dieu du recouvrement de la Santé du Roy, si precieuse à tous ses Sujets, a voulu donner des témoignages particuliers de sa joye pour les conquestes de Monseigneur. Ainsi elle ne s'est pas contentée d'assister au Te Deum qu'on a chanté dans la Cathédrale ; elle se rendit le Lundy 15. de ce mois en habits de ceremonie dans le Palais de la Chambre, d'où elle alla sur les trois heures aprés midy, à l'Eglise des Cordeliers, où le Te Deum & l'Exaudiat furent chantez par une excellente Musique, accompagnée d'une simphonie charmante. On alla de là à l'Hostel de Mr de la Busnelais, premier President de la Chambre, d'où deux fontaines de vin coulerent le reste du jour. Sur les sept heures du soir, toute la Compagnie, avec Mr le Marquis de Molac, Lieutenant general de Bretagne & Gouverneur de Nantes, & plusieurs autres Personnes de qualité de l'un & de l'autre sexe, se rendit dans des Maisons devant la Place la plus proche de cet Hôtel. On y avoit preparé un Feu d'artifice qu'on fit jouër au bruit du Canon, & d'une infinité de cris de Vive le Roy, aprés quoy on retourna dans le mesme Hostel, qu'on trouva illuminé par dedans & par dehors, & où cette illustre Compagnie fut regalée avec beaucoup de magnificence. On fit diverses décharges d'une grosse Artillerie, dans le temps qu'on but la santé du Roy & celle de Monseigneur. On dansa aprés soupé, & chacun sortit entierement satisfait des manieres obligeantes de Mr le premier President. La Chambre des Comptes de Bretagne dont il est le Chef, est une des plus anciennes Compagnies Superieures du Royaume. Elle a été établie par les Ducs Souverains de la Province. C'étoit elle qui composoit leur Conseil, & elle estoit le premier Tribunal du Pays, lors qu'Anne de Bretagne, heritiere du Duché, épousa Charles VIII. & Loüis XII. La Province ayant esté unie à la Couronne par le mariage de cette Princesse, on regla cette Compagnie sur le pied de la Chambre des Comptes de Paris. Elle a toujours conservé depuis ce temps-là un profond respect & une fidelité inviolable pour nos Rois.

Les mesmes actions de graces ont esté rendus en l'Abbaye de Gomer-Fontaine. Madame de Medavi de Grancey qui en est Abbesse, en avoit donné les ordres. Aprés le Te Deum il y eut des Prieres & une Procession pour la santé & prospérité du Roy & de Monseigneur, ce qui fut fait avec beaucoup de devotion & de piété. [...]

[Poëme] §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 212-213

 

Le 17. de ce mois, le Pere Sonning, Jesuite, Regent de la Seconde dans le College de Loüis le Grand, y fit prononcer un Poëme Heroïque de sa composition sur la Prise de cette importante Place. Il fut écouté avec beaucoup de plaisir, & receut d’une assemblée fort nombreuse tous les applaudissemens qu’il pouvoit attendre. Il s’y trouva plusieurs personnes de qualité & d’érudition. La Salle estoit fort illuminée, & l’on y voyoit quantité d’Inscriptions & de Devises à la gloire de Monseigneur le Dauphin.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 213-214.

L'Air dont vous allez lire les paroles ne peut-estre plus nouveau, puis qu'il a esté fait sur le depart de ce Prince pour PhilisbourgI. Il est de Mr Champenois, Maistre de Musique.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par, Allez jeunes Guerriers, allez chercher la gloire, doit regarder la page 213.
Allez, jeunes Guerriers, allez chercher la gloire,
Un nouveau Mars vous mene à la Victoire ;
Il n'est point d'Ennemis
Qui devant luy ne soient soûmis
Tout va trembler, tout va se rendre,
Et c'est assez qu'il soit le Fils
Du Grand LOUIS
Pour oser tout entreprendre.
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[Annonce de la troisème partie des Affaires du temps]* §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 283-284

 

Je vous envoye une Medaille de M. Jurieu, que j’ay fait graver. Vous trouverez un autre Portrait de ce Ministre dans la troisiéme partie des Affaires du Temps, qui m’empesche de vous en rien dire icy. Jamais homme n’a tant écrit de Lettres Pastorales que luy. Il en a accablé les nouveaux Convertis de France ; & pendant qu’il est fort à son aise, & que rien ne luy manque, il leur conseille toujours de s’assembler, & d’exposer leurs vies & leurs biens.

[Annonce de la troisème partie des Affaires du temps.]* §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 295-297

 

Rien n’estant si extraordinaire que l’entreprise du Prince d’Orange, ny plus contre le droit des gens, le desir d’apprendre quelle suite a son dessein, a esté si grand, & l’est encore aujourd’huy, qu’on épuise tous les jours ce qu’on peut sçavoir sur cette matiere, de sorte que les nouvelles d’un jour sont à peine nouvelles le lendemain pour quelques Personnes. Cela est cause que je ne vous apprendray presque rien de nouveau sur ce grand Article, dont le troisiém Volume des Affaires du Temps contient toute l’intrigue. Je ne laisseray pourtant pas de vous dire quelques particularitez qui ont esté omises dans les nouvelles qui ont paru, & d’en reprendre succinctement le détail, afin de les placer dans leur rang.

[Affaires d'Angleterre] §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 297, 300, 311-312

 

La Flote Hollandoise étant sur le point de faire voile en Angleterre, les Etats ordonnerent un jour de jeusne & de prieres, pour le succés de cette entreprise. [...]

 

Le Prince d'Orange qui devoit faire voile le 29. fit son adieu aux Etats. Il leur parla en Souverain de Hollande & en futur Roy d'Angleterre ; [...]

 

Tous les Navires portoient le Pavillon d'Angleterre, entrelassé des Armes du Prince & de la Princesse d'Orange, au haut cette Devise, pro libertate & Religione, & au bas, Je maintiendray, qui est la Devise ordinaire des Princes d'Orange. Si-tost que le Prince fut monté sur son bord, on déploya le Pavillon qui estoit d'une grandeur surprenante. Les Trompettes, les Hautbois, & les autres Instrumens de Guerre, commencerent à se faire entendre, & aussi-tost on mit à la Voile. [...]

[Prix d’Eloquence & de Poësie proposez par l’Académie Françoise pour l’année 1689] §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 329-332

 

L’Academie Françoise a fait publier que le 25. jour d’Aoust de l’année prochaine, elle donnera le prix d’éloquence à celuy qui aura le mieux reussy dans un Discours dont le sujet, conformément à l’intention de feu Mr de Balzac, sera, Du merite & de la Dignité du Martyre. Il faudra que le Discours ne soit que d’une demy-heure de lecture tout au plus, & qu’il finisse par une courte-Priere à J. C. Le mesme jour elle donnera un autre prix pour la Poësie Françoise, dont le sujet, selon l’intention de ceux qui l’ont envoyé, sera ; Les Nations les plus éloignées viennent rendre leurs hommages au Roy. Son zele & ses soins pour la Foy Chrestienne s’étendent jusqu’aux extremitez du monde. Il sera permis d’y joindre tel autre sujet de loüange qu’on voudra sur quelques actions particulieres de Sa Majesté, ou sur toutes ensemble, pourveu qu’on n’excede point cent vers, & on y ajoustera une courte priere à Dieu pour le Roy, separée du Corps de l’Ouvrage, & de telle mesure qu’on voudra. Les Pieces seront sans nom, & seulement avec un Passage de l’Ecriture Sainte pour la Prose, & telle Sentence qu’on voudra pour la Poësie, & on sera oblige de les mettre dans le denier du mois de May prochain, entre les mains de Mr l’Abbé Regnier, Secretaire perpetuel de l’Academie Françoise, à l’Hostel de Crequy sur le Quay Malacquest.

[Mort de Philippe Quinault]* §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 332-334

 

Vendredy dernier 26. de ce mois, cette illustre Compagnie perdit Mr Quinault, l'un des 40. Academiciens qui la composent. Ses Ouvrages font son Eloge, & il n'y a personne qui ne demeure d'acord qu'il estoit tres-digne de la reputation qu'il s'est acquise. Il a laissé plusieurs Pieces de Theatre qui ont paru toutes avec beaucoup de succés, mais il s'estoit particulierement distingué dans les Opera. Son talent y estoit rare, & si quelqu'un est assez heureux pour le pouvoir égaler dans ce genre de Poësie, ce qui paroist mal-aisé, on peut dire que jamais on ne le surpassera. Tous ses Vers sont naturels, propres à chanter, & si bien tournez qu'ils semblent avoir esté faits par les Muses mesmes. Mr Quinault n'estoit pas moins estimable du costé de l'ame que de celuy de l'esprit. Il a beaucoup de probité & de droiture, & on l'a toujours veu honneste, bien-faisant, & d'une Societé aisée & tres-agreable. Ainsi il est également regretté, & à la Chambre des Comptes où il estoit Auditeur, & à l'Academie Françoise.

[Mort de M. Doujat]* §

Mercure galant, novembre 1688 (première partie) [tome 15], p. 334-337

 

Le lendemain 27. de ce mois, cette mesme Compagnie perdit Mr Doujat, son Doyen. Il l’estoit aussi des Professeurs Royaux, & des Docteurs Regents de la Faculté de Droit en l’Université de Paris. Peut-estre l’estoit-il encore des Avocats du Parlement de Toulouse, où il estoit né, en ayant prêté le serment en 1637. & ensuite en celuy de Paris en 1639. Il estoit Historiographe Latin de S. M. & avoit eu l’honneur, il y a vingt ans, de contribuer aux Estudes de Monseigneur le Dauphin, sous Mr le President de Perigny, Premier Precepteur de ce Prince. Aussi avoit-il merité des pensions considerables de la Cour, du Clergé & de Mrs les Chanceliers de France. Je ne vous parle point de sa Famille qui a fourny des hommes qui se sont distinguez depuis long-temps dans l’Eglise & dans la Robe. Mrs Doujat de Paris le reconnoissent pour leur parent. Il est mort âgé de 79. ans, & comme il est temps de finir ma Lettre, je vous renvoye à ce que Mr Pelisson a déja écrit de luy dans son Histoire de l’Academie Françoise, où il a marqué une partie des Ouvrages que Mr Doujat a donnez au Public ; & à ce qu’on ne manquera pas de dire d’un si habile homme, lors qu’on remplira les places qu’il laisse vacantes, entre autres la Chaire de Droit Civil & Canonique, que Mr le Chancelier a voulu qui fust mise à la dispute. Je suis, Madame, vostre, &c.

A Paris ce 30. Novembre 1688.