1689

Mercure galant, avril 1689 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1689 [tome 4].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, avril 1689 [tome 4]. §

Ode §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 7-13.

 

Je me tairay aujourd’huy, Madame, sur les grandes choses qui rendent la Vie du Roy toute merveilleuse, & Mademoiselle de Razilly parlera au lieu de moy. L’Ode qu’elle a faite pour cet Auguste Monarque, qui protege d’une maniere si noble & si genereuse un Roy opprimé par la perfidie de ses Sujets, est d’autant plus digne d’estre donnée au Public, qu’elle fait connoistre que les personnes de vostre Sexe n’ont pas moins de zele que d’esprit, quand il s’agit de loüer un Prince qui s’attire de plus en plus l’admiration de toute la terre. Je vous ay déja envoyé plusieurs Ouvrages de sa façon, & la satisfaction que vous m’en avez marquée m’engage à vous faire part de celuy-cy.

ODE.

Aprés avoir vaincu les Princes & les Rois
 En plus de mille endroits,
Triomphé des Etats, soûmis les Republiques,
 Planté les Fleurs-de-Lys
 Sur cent murs démolis,
Et reduit aux abois l’orgueil des Heretiques.
***
L’Invincible LOUIS dans le sein de la Paix
 Charmoit tous ses Sujets,
Les Sciences, les Arts florissoient dans le calme,
 Et sous un tel Heros
 On goûtoit en repos
La douceur de l’Olive à l’ombre de la Palme.
***
 Lors qu’on vit tout d’un coup le Monstre de l’Erreur
  Armer son Défenseur,
Paroistre sur les flots entouré de Rebelles
  Sans respect & sans foy,
  Pour opprimer un Roy
Qu’ont trahy lâchement ses Peuples infidelles.
***
Neptune en son couroux commençoit sous les eaux
 D’abismer ses Vaisseaux,
Quand Bellonne luy dit ; tout beau, qu’allez-vous faire ?
  Le Ciel veut que LOUIS
  Par des faits inoüis,
Rétablisse ce Prince, & vange sa colere.
***
 Une Reyne en ses bras fuyant l’oppression
  D’un nouveau Pharaon,
Expose son Enfant en passant la Tamise
  Dans le mesme peril,
  Qu’autrefois sur le Nil
Dans un Berceau flotant eut le petit Moyse.
***
 C’est ainsi que LOUIS devint le Protecteur,
  Et l’Auguste Tuteur
De l’Illustre heritier d’une triple Couronne.
  Le Ciel dont le secours
  Luy confia ses jours,
Payra de ses Lauriers tous les soins qu’il luy donne.
***
 Il destine à ce bras toujours victorieux
 Des succés glorieux.
C’est par luy qu’il pretend punir un parricide,
  Et rétablir la Foy,
  Sous le Sceptre d’un Roy
Que l’on a veu brisé par un Peuple homicide.
***
Grand Dieu, qui par vos soins remplissez tout le cours
 De ses bien-heureux jours,
Qui voulez qu’en la Paix ainsi que dans la Guerre,
 Ce Prince sans pareil
 Comme un second Soleil
Soit l’Astre dominant qui regne sur la terre.
***
 Faites que son Dauphin qui déja sur ses pas
  Marche dans les Combats,
Arreste ses regards, sans ciller la paupiere,
  En genereux Aiglon
  Sur le divin rayon
Qui sort de la grandeur de son Auguste Pere,

Eloge en mots d’une syllabe, au Roy §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 13-22.

 

Comme tous ceux qui ont du talent pour les Vers ou pour la Prose, s’empressent avec une égale ardeur à donner au Roy les loüanges qu’il merite, on le fait aussi de toutes manieres, & aprés l’exemple qu’on a donné dans ma Lettre du mois de Fevrier, d’un Discours qui est composé entierement de Monosillabes, vous ne devez pas estre surprise qu’on ait employé ce genre d’écrire dans une matiere si relevée. Mr Hongnant est celuy qui s’en est servy pour faire l’Eloge de Sa Majesté. On a trouvé cet Eloge fort ingenieux, & je suis persuadé que vous le lirez avec plaisir.

ELOGE
En mots d’une syllabe,
AU ROY.

Grand Roy, tout est grand dans toy, le cœur, l’air, le port, le bras. La Paix & Mars sont dans tes mains, & n’y sont plus quand il te plaist. Tout est plein de ton Nom ; tu fais ce que tu veux, & tu veux tout ce qui est droit & saint. Ton joug est tres-doux ; nul ne te sert qu’il n’ait le prix qui luy est dû. Tu sçais & fais le fin des Arts ; ton œil & tes soins vont fort loin ; sous toy le pur sang de tes Lys a ne sort plus du corps sur le pré pour un point fort vain ; on ne boit pas la mort b dans un jus trop froid ou trop chaud ; & la Foy n’a que du bon grain c dans son champ. Ce que tu fais n’est pas moins grand que toy. Tu joins les bords du Rhin sans pont ; les bords du Mein & de la Lys teints du sang de ceux qui sont en tout moins que toy, sont à ce jour pleins de tes gens de cœur, & ceux à qui le poids de ton bras d a fait un grand tort, sont dans la peur pour leurs Forts que ta main a pris il y a prés de dix ans. En vain ceux dont le Turc est las e font-ils un grand feu vers le Rhin, un seul de nous sous ton œil plein du feu de Mars vaut cent Turcs. Si tu es grand dans ce qui sert à tes vœux, tu ne l’es pas moins dans un mal f qui ne t’a pas fait des loix. Ah ! dans ce temps tout fut pour toy dans le deüil ; mais ton cœur plus que l’art & le temps mit fin à ce mal qui fut le mal de tous par la part que l’on y prit. Que de vœux ! que de feux ! que de ris ! que de jeux ne vit-on point ? Et l’on n’en fit pas trop. Je ne dis pas que des Rois qui sont loin de nous, g nous ont fait voir par des dons que leurs gens t’ont fait de leur part, & de droit, en quel haut rang tu es dans leur cœur & dans leur Cour. En ce temps là le sort d’un h Chef d’un grand Corps, mais trop vain, fut le sort d’un Ver. Quels fers i ne romps-tu pas ? Je vois la Mer & ceux qui y font des vols l pour qui tu mets leurs murs en feu, sous tes Loix. Ton Fils m en qui tu te vois peint, va sur tes pas où ton cœur s’est fait voir. A sa voix les Forts sont pris tout d’un coup, & les Tours sont à bas. En moins d’un mois n un grand & gras Champ de Mars se rend à luy ; qui ne le sçait ? N’a-t-il pas eu tous les cœurs de ses gens à soy ? Par sa main il rend doux les coups de Mars ; à ce prix-là ils sont prests de voir la mort sans peur ; mais ces hauts faits sont moins grands que ce que tu as fait pour un Roy, o à qui des cœurs bas sans Loy & sans Foy font un grand tort. Tu luy tens les bras ; son Fils & le sein à qui il doit ses jours sont sous tes soins, tu romps le cours de leurs vrais maux par tant & tant de dons que tu leur fais tous les jours ; ils ont chez toy leur Cour, leur train, & tout ce qui est du à leur rang. Ce Roy qui t’est si cher p part pour voir si les cœurs des Lords ne sont plus si durs, & par tes soins il pleut de l’or sur cent mats qui vont au gré des vents. Six-vingt Chefs que Mars voit de bon œil, & deux grands Corps de gens à qui le fer & le feu ne font point de peur, sont pour luy prés de Brest. Fais luy voir, Grand Roy, ce qui fait ses vœux. Tu le peux toy seul ; fais ce grand coup, & n’en fais plus ; car je n’ay plus de mots si courts, & ils font tort à ton grand nom. Je me tais.

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[Discours prononcé à l’Academie Françoise par M. Charpentier] §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 22-67.

 

C’est avec beaucoup de justice qu’on vous a tant vanté le Discours que prononça Mr Charpentier, Doyen de l’Academie Françoise, le jour que Mr de Callieres, & Mr l’Abbé Renaudot, y furent receus ; mais quoy qu’on vous en ait pû dire d’avantageux, il est difficile qu’on vous ait marqué toutes les beautez qu’on y admira. Ainsi, Madame, preparez-vous à trouver en le lisant beaucoup plus encore que ce que les loüanges qu’on luy a données vous en font attendre. Je vous en aurois fait part dés le mois passé, si l’empressement qu’on a eu par tout d’en demander des copies, ne m’avoit fait croire qu’on vous en avoit envoyé quelqu’une. Aprés que les deux nouveaux Academiciens que je viens de vous nommer, eurent fait leurs remerciemens à l’Illustre Compagnie qui leur donnoit place dans son Corps, Mr Charpentier leur répondit en ces termes.

Messieurs,

Si vostre réputation estoit moins établie, les deux excellens Discours que vous venez de prononcer, feroient assez connoistre, ce que l’on doit penser de vous, & justifieroient pleinement le choix de l’Academie ; mais la grande opinion que toute la France a conceuë de vostre merite avoit déja prévenu nos vœux, & la voix publique vous avoit nommez depuis long-temps aux places dont aujourd’huy vous prenez possession. Ce grand concours de personnes distinguées accouruës pour vous oüir ; ce silence qui n’a esté interrompu que par des exclamations ; cette joye universelle répanduë sur tous ceux qui forment cette Compagnie, vous en sont un témoignage indubitable. C’est par vos celebres écrits que vous vous estes attiré un semblable succés. Vous, a Monsieur, par cet excellent Panegyque vous avez consacré aux vertus heroïques du grand Roy qui nous assemble dans ce Palais, & qui nous y maintient à l’abry de sa Protection toute-puissante. Vous avez donné un second au Panegyrique de Pline, qui n’en avoit point eu encore, soit pour l’étenduë, soit pour la splendeur du discours ; & l’on peut dire de vostre Heros & de vous, ce qu’on a dit autrefois d’Alexandre & du portrait qu’en avoit fait Appelle, que l’Alexandre de Philippe estoit invincible, & que l’Alexandre d’Appelle estoit inimitable. C’est cette Piece d’Eloquence si universellement estimée, qui vous a acquis les premiers vœux de l’Academie, & qui vous a fait, s’il faut ainsi dire, recevoir Academicien par acclamation. Vous pouvez vous en souvenir, Messieurs, vous qui estiez presens à la lecture qui s’en fit icy. Il y avoit alors une place vacante dans la Compagnie. Charmez de la noblesse de la matiere, de la varieté des pensées, de la richesse des expressions, quelques-uns dirent qu’il ne falloit plus s’embarasser du choix d’un Academicien, & que l’Auteur d’un si bel Ouvrage vous l’ayant adressé, vous ne pouviez vous dispenser de le recevoir parmy vous pour l’en remercier : & je suis persuadé, Monsieur, que cela auroit esté fait alors, si l’engagement qui avoit esté déja pris pour celuy qui remplit si dignement cette place, & si la recommandation d’un Prince qui a fait paroistre en cette occasion tant d’amitié, & tant d’estime pour l’Academie, eussent pû permettre de s’abandonner à ce premier mouvement. Voila, Monsieur, de quelle maniere vous devenez Academicien. Ce sont ces sortes d’élections où n’ont point de part, ny les sollicitations ouvertes, ny les cabales secretes, où celuy qui donne son suffrage est moins porté par son inclination, qu’emporté par la dignité du sujet, & où celuy qui obtient ce qu’il desire s’en doit la meilleure partie.

Il en est de mesme de vous, b Monsieur. Toute la France qui vous lit depuis si long-temps, & qui vous lit avec applaudissement, a demandé pour vous ce que l’Academie fait gloire de vous accorder. Je considere ce grand Ouvrage que vous conduisez avec tant de capacité & de prudence, comme le Berceau de la Verité. Vous la recevez au moment de sa naissance, & vous luy donnez des forces pour voler par toute la terre. Vous faites une Image de LOUIS LE GRAND, qui n’est pas moins precieuse que celle des Orateurs & des Poëtes, quoy que vous y employiez moins d’or & de pierreries. Vous l’exposez à nos yeux avec la mesme adresse que ceux qui nous donnent un moyen pour regarder le Soleil sans qu’il nous ébloüisse. Vous jettez les plus solides fondemens de l’Histoire, qui consiste principalement dans la fidelle narration des faits. Tout ce rafinement de Motifs & de Politique dont quelques-uns veulent tirer tant de gloire, ne sont le plus souvent que des matieres de contestations. Les Motifs changent selon les Etats & selon les occasions, & ceux qui ont excité le commencement d’une affaire ne sont pas toujours ceux qui la conduisent à sa fin.

Mon Dieu, le beau siecle que vous avez à peindre ! Les beaux materiaux que vous preparez pour ceux qui travailleront aprés nous aux monumens immortels de la gloire de Louis le Grand ! Combien de fois nous l’avez-vous fait voir à la teste des armées, jettant la terreur dans le cœur de ses Ennemis, mettant leurs armées en fuite, renversant leurs Forteresses, subjuguant leurs Provinces ? Tantost vous l’avez fait paroistre en Legislateur donnant de nouvelles Loix à ses Peuples, reformant les abus, punissant les coupables autorisez, soulageant l’innocence opprimée. Si les Barbares de l’Afrique ont eu recours à sa clemence pour obtenir le pardon de leurs brigandages ; si les Nations les plus reculées de l’Orient sont venuës se prosterner devant luy, étonnées du bruit de sa valeur & de sa magnificence ; de qui avons-nous mieux appris que de vous la verité de ces évenemens singuliers ? Tantost vous nous l’avez dépeint secourant ses Alliez, protegeant l’Empire contre l’invasion des Turcs, & renonçant luy-mesme au progrés assuré de ses victoires, pour rétablir la paix dans l’Europe. Aujourd’huy vous nous racontez avec quelle generosité il tend les bras à un Roy persecuté par des Enfans dénaturez, par par des Sujets infidelles, par des Voisins ingrats. Il y a peu de jours que vous nous l’avez representé faisant partir son Fils à la teste de ses armées pour asseurer le repos de la France contre les secretes ligues de nos Ennemis. Ce grand Roy dont la penetration est admirable en toutes choses, sçavoit bien à qui il commettoit un soin si important. Allez, dit-il, mon Fils, & soyez Vainqueur. Qu’il y a de grandeur dans cette façon de commander ! Que de sublimité dans ce peu de paroles ! Et à qui appartient-il de parler de la sorte qu’à celuy qui peut procurer la victoire en ordonnant de vaincre ? Mais que cet ordre a esté executé fidellement ! Le Dauphin part dans un temps où les pluyes de l’Automne sembloient s’opposer à ses desseins. Il surmonte à l’exemple de son Pere les obstacles des Saisons. Il attaque une Place reputée imprenable, & s’en rend maistre en peu de jours. En ce Siege le Fils de Loüis le Grand fait la fonction de Soldat. Il visite la Tranchée ; il s’expose au feu des Ennemis, & hazarde une vie pour qui nous devons prodiguer la nostre. Trente autres Forteresses luy ouvrent ensuite leurs portes, & le Palatinat entier soumis à ce jeune Vainqueur, ne tient plus à son Prince, que par le regret qui luy reste d’avoir attiré les armes du Roy dans ses Etats, par l’injustice de son procedé. Loüis Dauphin ne pouvoit pas moins faire pour vanger les droits d’une Princesse, de la tres-glorieuse, tres-haute, & tres-illustre Maison de Baviere, avec qui la France a depuis quelques années pris deux alliances qui contribuent si avantageusement à la prosperité de l’Etat.

La premiere nous a donné cette mesme Princesse, par l’heureux mariage de laquelle avec Monsieur, Duc d’Orleans, la Maison Royale se trouve augmentée d’un Prince, dont on ne peut assez loüer la noblesse des inclinations, la vivacité de l’esprit, la diversité des connoissances, & la grandeur du courage qui luy a déja fait regarder avec douleur son âge trop peu avancé pour estre admis aux penibles fonctions de la guerre. C’est du mesme mariage que nous tenons encore une charmante Princesse, en qui toutes les graces sont rassemblées, Beauté, Esprit, Vertu, Amour du Bien, Sentimens dignes de la Couronne. Princesse que toute l’Europe regarde comme l’unique & l’infaillible moyen de rejoindre dans une bonne & sincere concorde la Maison de France avec la Maison d’Austriche d’Allemagne. Ce sont-là les biens que nous a procurez cette premiere alliance.

Que diray-je de la seconde ? Quel Orateur ne seroit ébloüy de l’éclat de sa matiere ? En quels termes peut-on parler d’un mariage, dont l’Epoux est le Fils unique de Loüis le Grand ; Fils tout couvert de gloire, moins par la splendeur de sa Naissance que par la grandeur de ses vertus ; qui par l’attachement aux volontez de son Pere, a fait voir une sagesse dont tous les siecles passez auroient peine à nous fournir un exemple ; Prince doüé de toutes les qualitez necessaires à un grand Roy, Soldat, Capitaine, General, Vaillant, Magnanime, Vigilant, Liberal, plein de tendresse pour les Soldats, sensible à tous leurs besoins. L’Epouse est une Princesse issuë du Sang Royal de France, & du Sang Imperial, en qui la Majesté, la Bonté, la Noblesse d’ame, l’Humeur bien-faisante, se font remarquer éminemment, & de qui l’heureuse Fecondité a donné à la France trois gages assurez de l’éternité de l’Empire François.

Grands & Magnifiques Princes, de qui le nom a fait autrefois tant de bruit dans le monde, & qui sous le titre de Ducs avez possedé une des plus redoutables puissances de l’Europe, Cadets de la Maison de France qui avez si souvent fait trembler vos Aisnez, Vaillans & Intrepides Ducs de Bourgogne, regardez de l’estat de gloire où vous estes, ce tendre rejetton de tant de Rois, ce jeune Duc de Bourgogne, qui réunit à la tige de l’Auguste Maison de France, ce Titre qui en avoit esté détaché, & qui demeuroit ensevely dans vos tombeaux. Réjoüissez-vous de voir encore un Prince de vostre nom, & que vous pouvez regarder comme de vostre Sang, aprés les frequentes alliances de la Maison de France avec les Descendans de vostre Heritiere. N’appercevez-vous point en luy, vous de qui les ames dépoüillées de la matiere penetrent plus aisément que les nostres au travers des ombres de l’avenir ; n’appercevez-vous rien, dis-je, en ce Royal Enfant, qui vous donne lieu de croire qu’il rassemblera quelque jour vostre succession dispersée, & qu’il rejoindra sous une mesme domination vos fameuses dix-sept Provinces, si son Ayeul ou son Pere ne le previennent ?

Et vous, puissans Rois, qui avez tenu le Sceptre de Naples & de Sicile, genereux Princes de la Maison d’Anjou, réjoüissez-vous de revoir en France un Fils de Loüis Dauphin, un nouveau Duc d’Anjou, digne de succeder à vos Couronnes, quand la Providence divine aura marqué le temps au Sang Royal de France de remonter sur vostre Trône.

Enfin, braves & magnanimes Ducs de Berry, dont la bonté a esté si signalée, tournez vos regards sur la France que vous n’avez jamais quittée, & voyez y renaistre un jeune Duc de Berry, qui va faire revivre avec éclat la memoire de vos vertus. Ce sont-là, Messieurs, les precieux fruits de l’Auguste Mariage de Loüis Dauphin, & de la serenissime Princesse Victoire de Baviere ; Nom fortuné, Nom qui porte avec soy l’augure des victoires de son Epoux & de ses Enfans. Vous entrez, Messieurs, dans l’Academie Françoise, lors que tous ces grands sujets s’offrent à vos sçavantes plumes, & cela ne vous fait-il point penser que c’est une autre cause qu’un heureux hazard qui a mis cette Compagnie sous la protection speciale de Loüis le Grand ? Laissez-le moy dire, Messieurs.

Non hæc sine numine Divûm.

Le Ciel ne fait point naistre des Princes extraordinaires, qu’il ne prenne le soin d’en conserver la memoire. Ce sont des Modeles qu’il propose aux Souverains, non pour arriver necessairement au mesme degré de vertu par une imitation parfaite, mais du moins pour empescher qu’ils ne s’en éloignent trop, par une nonchalance trop vicieuse. Il falloit donc que Loüis le Grand eust des témoins tels que vous de ses actions heroïques, pour le mettre en estat de faire du bien dans d’autres siecles que le nostre. C’est dans vos Ouvrages que les Rois viendront étudier son exemple. C’est là que vous representerez ce Regne de Grandeur, de Pieté, de Justice ; ce Regne de Bonheur pour la France ; que dis-je pour la France ? Il faut dire pour toute la Chrestienté, si les saintes & salutaires intentions de ce Monarque incomparable sont suivies, à la confusion de ceux qui par leur ambition déreglée s’efforcent d’y apporter des obstacles.

Mais, Messieurs, quand vous aurez parlé de Loüis le Triomphateur, le Vainqueur perpetuel, le Destructeur des Puissances injustes, ne le suivrez-vous point sous des idées plus tranquilles & plus convenables à vos exercices ? Ne le representerez vous point aussi sous l’Image de l’Apollon du Parnasse François, & tel qu’il paroist à vos yeux dans cet auguste Tableau dont il a voulu honorer l’Academie ? Il n’est point revestu de ses armes terribles dont l’aspect fait tomber ses ennemis à ses pieds. Il n’a point son foudre à la main prest à lancer, il tient son Sceptre qui est une marque pacifique de sa Dignité ; il tient la main de justice, & selon les Poëtes anciens, Astrée, ou la Justice est la Sœur des Muses. De quelque costé que vous le consideriez, vous le trouverez toujours Grand, toujours Magnifique, toujours cause de quelque bien qu’on n’auroit osé esperer.

Quel changement dans le Royaume depuis que les favorables influences de ce grand Astre se sont répanduës sur les beaux Arts ! La Peinture, la Sculpture, l’Architecture tant civile que militaire, l’art du Jardinage, la Culture des plantes, la Conduite des eaux, les Manufactures des étoffes precieuses, la belle Entente des Habits & des Meubles ; tout s’est perfectionné. On a vû la France prendre une face nouvelle. Paris est devenu le centre de la Politesse & de l’Elegance. C’est d’icy que toutes les Cours étrangeres tirent ce qu’elles veulent avoir de plus exquis, soit pour des Festes galantes, soit pour les plus importantes Ceremonies. Les Arts plus spirituels, l’Eloquence, la Poësie, la Musique ont receu encore une augmentation presque incroyable. On parle mieux que jamais, soit au Barreau, soit dans la Chaire. On a banni du Barreau ces Eruditions superfluës, ces Citations inutiles, qui faisoient perdre tant de temps aux Juges, & qui contribuoient si peu à l’éclaircissement de la Cause. On a banny de la Chaire les Amplifications importunes, cette vaine ostentation d’une lecture mal digerée des Auteurs profanes, & le plus souvent indignes d’estre alleguez dans un discours Evangelique. Les Orateurs de l’un & de l’autre Tribunal ont esté plus fidelles à leur sujet, & s’y sont attachez de meilleure foy. La Poësie a esté plus austere, plus pure, plus chastiée. Elle n’a pas renoncé seulement au libertinage des mœurs, mais mesme au libertinage des expressions. Toutes ces hardiesses outrées, à qui l’on donnoit faussement le nom d’Enthousiasme, ont esté releguées dans le pays du Cacozele, & l’on a reconnu que la Poësie pour estre le langage des Dieux, n’en devoit pas estre moins raisonnable. La Musique s’est encore distinguée infiniment ; au lieu de ces Concerts languissans, qui endormoient nos Peres par l’uniformité de leurs Simphonies, & par la froideur de leurs mouvemens, elle est devenuë vive & animée, elle est entrée dans le caractere de toutes les passions, elle les a toutes imitées, elle a causé de l’émotion & du trouble dans l’esprit des Auditeurs, & les fameux Spectacles dont elle est le principal ornement, ont montré qu’elle estoit capable de produire encore de nos jours ces miracles de l’Harmonie que l’Antiquité nous a tant vantez. Que diray-je, Messieurs, de ce qui nous regarde de plus prés, de ces Compagnies de gens de Lettres, qui à l’imitation de la vostre ont pris le nom d’Academie, & se sont attachées à cultiver les Lettres Françoises ? Les Villes d’Arles, de Soissons, de Nismes, d’Angers, de Ville-Franche, de Grenoble, se souviendront éternellement des avantages que ces loüables Institutions leur apporteront. Paris en a déja recueilly le fruit. Et de quelle utilité pensez-vous que sont encore ces Prix d’Eloquence & de Poësie que vous distribuez de temps en temps ? Car il n’y a rien qui échauffe, qui anime, qui pique davantage l’esprit que l’émulation. C’est donc à la veritable affection que Loüis le Grand a conceuë pour les beaux Arts ; c’est à sa liberalité, ou pour mieux dire, à son discernement & à son bon goust qu’ils sont redevables de leur perfection & de leur éclat. C’est à sa glorieuse Protection que nous devons attribuer aussi l’heureuse destinée de l’Academie, qui sans son secours ne seroit peut-estre plus rien, ou seroit indubitablement beaucoup moins florissante. Ce n’est pas que le grand Cardinal de Richelieu n’eust cherché tous les moyens d’en asseurer la durée ; mais il est mort trop tost aprés en avoir jetté les fondemens, & les dernieres années de sa vie n’ont pas esté assez paisibles pour pouvoir donner à ce nouvel Edifice son entier accomplissement. C’est un Pere qui a laissé son Enfant en bas âge, & qui ne luy a laissé que des biens douteux. Veritablement le grand Chancelier Seguier luy a servi de Tuteur dans sa minorité ; mais enfin nul ne peut dire ce que l’Academie seroit devenuë aprés cette seconde perte. C’est vous seul, ô grand Roy, qui avez donné un établissement seur & inébranlable à cette Compagnie, & qui l’attachant à vostre sacrée Majesté par une espece d’adoption, avez fait qu’il n’y a plus de personnes de si grand merite ou dignité qu’elles puissent estre, qui ne se doivent faire un honneur de s’y joindre.

Mais, Messieurs, je ne m’apperçois pas que j’irrite l’Envie en parlant du bonheur de l’Academie comme je fais. Il me semble que j’entens déja dire que c’est trop faire de cas des Minuties Grammaticales qui composent le premier fond de ce Dictionnaire qu’on regarde comme vostre principal Ouvrage. Je veux bien, Messieurs, qu’on le dise ; je ne m’en étonneray point ; il n’y a rien de si beau dans le monde qui ne puisse estre l’objet d’un mépris injuste. Mais que l’Envie ou l’Ignorance en fremissent ; je ne craindray point d’avancer que ce que ces gens-là appellent Minuties de Grammaire, est à le bien prendre la partie de la Litterature la plus necessaire & la plus excellente. C’est ce qui nous fait entrer dans la connoissance des plus secrets ressorts de la Raison, qui a tant de rapport à la Parole, que dans la Langue la plus sçavante de l’Univers, la Parole & la Raison n’ont qu’un mesme nom. Les plus stupides d’entre les hommes sçavent bien qu’ils marchent, qu’ils voyent, qu’ils entendent ; mais il n’y a que les grands Genies qui veulent connoistre la structure & l’entrelassement admirable des os, des nerfs & des muscles, par qui se font tant de mouvemens & de sensations differentes. Ainsi l’homme le plus grossier sçait bien qu’il parle, & qu’il se fait entendre aux autres ; mais il n’y a que les Esprits du premier ordre, qui veulent connoistre les differentes idées sur lesquelles nos paroles se forment, ce qui en fait la justesse ou l’irregularité, la beauté ou l’imperfection, la certitude ou le doute. Il n’est pas donné à tout le monde de demesler les mouvemens presque infinis de cette Faculté toute divine qui agit en nous, qui nous fait faire tant de reflexions, & qui se manifeste en tant de manieres. Cependant c’est ce que font ceux qui s’appliquent à ces pretendues Minuties. Leur occupation n’est qu’une attention continuelle sur les premiers & les plus intimes organes de la Raison, & tandis que le vulgaire s’imagine qu’ils perdent leur temps à des speculations frivoles & inutiles, les sages admirent ces profondes meditations qui les font penetrer dans l’artifice du plus merveilleux Ouvrage de la Divinité.

Ainsi nous voyons les plus grands personnages, s’estre tres-serieusement attachez à l’étude des mots. Le Fondateur de l’Empire Romain Jule Cesar, au milieu de ses plus importantes affaires, fit deux Livres de remarques sur la Langue Latine qu’il adressa à Ciceron, & dont il paroist encore quelques fragmens. Charlemagne, ce fameux Roy de France, de qui la grandeur s’est incorporée avec le nom propre, travailla pareillement à l’embellissement de sa Langue, qu’il reduisit sous de certaines regles, & dont il composa luy-mesme une Grammaire. Aprés cela faut-il s’étonner si vostre travail trouve de l’appuy & de l’agrément sous un Roy du Sang de Charlemagne, & qui se montrant si digne heritier de ce grand Empereur par sa valeur & par l’étenduë de sa domination, n’est pas moins son successeur dans cet amour de sa Langue naturelle.

C’est sous les auspices de ce Pere de la Patrie que l’Academie acheve ce fameux Dictionnaire, dont on ne peut assez loüer la beauté & l’utilité. Athenes ny Rome ne nous ont rien laissé de si parfait en ce genre ; car les Dictionnaires de leurs Langues que nous avons aujourd’huy, n’ont point esté composez par les Anciens, dans les bons siecles, dans les siecles à faire autorité, mais par des Modernes, ou bien par des Auteurs qui ont veritablement vescu en des temps où l’on parloit encore Latin & Grec ; mais c’estoit en des temps où l’on avoit déja perdu le bel usage de ces Langues. L’Academie au contraire nous donne une image de la Langue Françoise, en son estat de perfection ; non point comme elle estoit autrefois ; c’est pourquoy elle rejette les mots qui sont entierement hors d’usage, ny comme elle est dans la bouche des Artisans, ou de ceux qui enseignent les Sciences ; c’est pourquoy elle rejette les mots d’Arts & de Sciences, la pluspart desquels mesme ne sont pas François, mais Grecs ou Arabes. Elle s’est retranchée à la Langue commune telle qu’elle est dans le commerce ordinaire des honnestes gens, & telle que les Orateurs & les Poëtes l’employent. Par ce moyen elle embrasse tout ce qui peut servir à la noblesse & à l’élegance du Discours. Elle definit les mots les plus communs, dont les idées sont fort simples, ce qui est infiniment plus malaisé que de definir les mots des Arts & des Sciences dont les idées sont fort composées. Ainsi il est bien plus aisé de definir le mot de Telescope, qui est une Lunette à voir de loin, que de definir le mot de Voir. Chacun en peut faire l’experience. Cela laisse à juger quelle prodigieuse entreprise a esté celle de l’Academie, quand elle s’est chargée de definir tous les mots communs de la Langue Françoise ; & quand elle n’auroit pas reussi en tous, ne luy est-ce pas une grande gloire que d’avoir reussi en plusieurs ? Le Dictionnaire de l’Academie n’est pas seulement estimable par les Definitions de tous les mots, mais par la quantité des belles façons de parler, où chaque mot est employé, & par l’explication des divers sens qu’il peut recevoir ; de sorte qu’il n’y a point de François qui ne soie étonné & ravy de trouver tant de richesses dans sa Langue. Il y a mesme un agrément infiny répandu par tout. Quand on cherche un mot dans les autres Dictionnaires, on ferme le livre dés qu’on s’en est éclaircy. Il n’en est pas de mesme du Dictionnaire de l’Academie. On n’entame guere un mot, tel puisse estre, qu’on ne soit tenté de le lire tout entier, parce qu’on voit l’histoire du mot, s’il faut ainsi dire, & qu’on en remarque la naissance & le progrés Mais, Messieurs, qu’ay-je affaire de vous entretenir plus long-temps d’un travail dont vous allez estre témoins ? Il ne me reste qu’à vous exhorter de répondre à l’attente de l’Academie, qui vous ayant donné tous ses suffrages, ne peut pas dissimuler qu’elle s’est promis un grand secours de vostre assiduité & de vos lumieres.

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Sur la Campagne de Monseigneur le Dauphin §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 68-69.

 

Aprés vous avoir fait part d’un si grand nombre d’ouvrages sur les Conquestes de Monseigneur le Dauphin, je ne puis m’empescher d’y ajoûter un Madrigal qui a esté estimé de tout le monde. Il dit beaucoup en fort peu de Vers, & il seroit mal aisé de faire un plus bel éloge de ce Prince.

SUR LA CAMPAGNE
de Monseigneur le Dauphin.

 Prince, que vos desseins sont beaux !
Le Monarque puissant qui fait trembler la terre,
 Remet en vos mains son tonnerre.
Vous punissez ses injustes Rivaux.
Vous marchez sur ses pas, vous volez à la gloire,
Vous faites les doux soins de l’aimable VICTOIRE,
Vous sçavez foudroyer le rempart le plus fort ;
Vous bravez les Saisons vous affrontez la mort ;
Sur les cœurs des Soldats vous avez tout empire,
Rien ne peut resister à vos genereux coups ;
La France vous benit, l’Univers vous admire,
 Et Loüis est content de vous

Le Lion qui vange son Pere §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 69-76.

 

Quoy que vous ayez déja vû une traduction de la Fable Latine que le Pere Commire, Jesuite, fit dans le temps que Monseigneur alla mettre le Siege devant Philisbourg, celle que le Pere Prost, aussi Jesuite, a faite de la mesme Fable, a esté si approuvée, qu’elle merite de trouver icy sa place. Si la matiere n’est pas nouvelle pour vous, vous y trouverez au moins des beautez nouvelles par la diversité des expressions. Le Pere Prost n’est pas seulement un excellent Poëte François, Latin & Grec, mais il est encore un grand Orateur. Il a donné d’éclatantes preuves de son éloquence en plusieurs occasions dans le College de la Ville d’Arles, où il a professé la Rhetorique avec beaucoup de succés.

LE LION
Qui vange son Pere.

Un Lion, la terreur des Climats Afriquains,
 Aussi juste que debonnaire,
Crut enfin qu’à ses grands & glorieux desseins
 Le sang n’estoit plus necessaire,
Et que de ses Rivaux exauçant les souhaits,
Il pouvoit leur donner ou la Tréve, ou la paix.
 Dans les Plaines, dans les Boccages,
A l’abry de sa foy paissoient tous les Troupeaux,
 Et les Monstres les plus sauvages
 Vivoient en un profond repos.
 Heureux, s’ils avoient sceu connoistre
 Un sort si tranquille & si doux,
 Et si l’orgueil n’eust fait renaistre
Dans ces cœurs peu soumis d’autres transports jaloux.
***
 Celuy dont cependant l’œillade foudroyante
Pouvoit soumettre encor le Nomade à ses Loix,
 Sous une douceur si constante
Leur sembla n’estre plus ce qu’il fut autrefois.
 Ils crurent que la complaisance
 N’estoit en luy que lâcheté,
 Et qu’enfin la seule impuissance
Luy pouvoit inspirer tant de tranquillité.
De là naissent par tout de secrettes intrigues,
 On ne songe qu’à se vanger,
 Et tous cherchent à s’engager
 Dans les cabales & les ligues.
A ces bruits impreveus le Lion dédaigneux,
Tu le sçauras, dit-il, Troupe lâche & vulgaire,
 S’il est encore dangereux
En troublant mon repos d’irriter ma colere.
Il aiguisoit déja, penetré de dépit,
 Griffes & dents pour la vangeance,
Lors qu’un jeune Lion, de son sang l’esperance,
 Calme sa fureur & luy dit.
C’est à moy seul, Seigneur, qu’appartient cette gloire,
 Déja fameux par cent combats,
 N’est-il pas temps que sur vos pas
Vous me voyiez enfin courir à la Victoire ?
  Il suffira de ma valeur
  Pour punir ces lâches coupables,
 Vos coups leur enfleroient le cœur,
 Et leur seroient trop honorables.
***
 Le Heros des Forests charmé de ces transports,
Et joyeux de renaistre en cette ame guerriere,
 N’ose resister aux efforts
 D’une ardeur si noble & si fiere.
Ils se separent donc, & plein d’un beau couroux
Le Lionceau bien-tost fait voir quel est son Pere.
 Tel qu’autrefois aprés les Loups
Il avoit exercé sa naissante colere,
 Tel il fait ployer sous ses coups
L’Ours & le Leopard, le Tygre & la Panthere.
 Tous sont effrayez de ses cris,
Il terrasse les uns, les autres il déchire ;
Et l’on n’en voit aucun qui confus & surpris
 Ne l’apprehende & ne l’admire.
 En vain dans le creux des rochers,
 Ou dans les plus affreuses Isles,
Ils esperent trouver des retraites tranquilles,
 Au milieu de tant de dangers,
 La peur, le desespoir, la honte
Leur font en vain pour fuir precipiter leurs pas,
Par tout le Conquerant les brave & les surmonte,
 Il porte par tout le trépas.
 La Corneille à ce grand spectacle,
 Prononça, dit-on, cet oracle.
N’estoit-ce point assez, Monstres trop malheureux,
 D’avoir un Lion à combattre ?
 Pour vous confondre & vous abattre,
 Falloit-il en irriter deux ?
***
 Qui peut de cette Fable ignorer le mistere,
N’a qu’à jetter les yeux sur les rives du Rhin,
Où d’un autre Loüis le glorieux destin
Fait revoir tous les jours le destin de son Pere.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 76-78.

Je vous envoye un Air nouveau de Mr Martin, Auteur des Airs à deux & à trois parties, que debite le Sr Guerout. Celuy qui en a fait les paroles, fait parler l'Amour dans les trois couplets que vous allez lire.

GAVOTTE.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Sans fleches, sans carquois, doit regarder la page 77.
Sans fléches, sans carquois
Je viens chasser dans ces bois,
Avec des Armes moins terribles,
Qui ne sont pas moins invincibles,
Pour ranger sous mes loix
Les jeunes Nymphes insensibles ;
Sans fléches, sans carquois
Je viens chasser dans ces bois.
***
Non, non, ne craignez pas
De vous prendre à mes appas,
La liberté n'est point charmante,
Est-il un cœur qui s'en contente ?
Venez, suivez mes pas,
Dans ces beaux lieux où tout enchante,
Non, non, ne craignez pas
De vous prendre à mes appas.
***
Avec d'aimables nœuds
Je prens les cœurs amoureux ;
Le moins cruel, le plus sauvage,
Le plus constant, le plus volage,
Heureux ou malheureux,
Il n'en est point que je n'engage.
Avec d'aimables nœuds
Je prens les cœurs amoureux.
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[Réjoüissances faites à Rome] §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 157-159.

 

Le Jeudy 17. du dernier mois, Mr Dalibert, un des premiers Officiers de la Reine de Suede, fit une grande Feste à Rome dans l'Eglise de la Maison Professe des Peres Jesuites dediée au Nom de JESUS, au sujet de la convalescence de cette Princesse. L'Eglise qui est une des plus belles de la Ville, estoit tenduë des plus riches Tapisseries de la Reine, avec des Vases d'argent remplis de bouquets & de fleurs sur les corniches & sur les piedestaux. Il y eut une excellente Musique & une Simphonie des plus belles. L'Evesque de Verceil celebra la Messe, & douze Cardinaux y assisterent, avec une affluence de monde incroyable. Le soir le Palais de la Reine fut illuminé, & toutes les ruës des environs, de mesme que toutes celles qui conduisent de ce Palais à l'Eglise de JESUS. Le Dimanche suivant, tous les Marchands Ouvriers & Artisans qui travaillent pour cette Princesse, firent aussi une superbe Feste dans l'Eglise de S. Salvator in Lauro, où il y eut encore une fort belle Musique. Ils avoient fait orner la façade de l'Eglise de toiles peintes, avec quantités de figures, de Médaillons, & de Devises, & des Festons de fleurs sous les voûtes & sous les arcades.

[Explication de l’Emblême Enigmatique de la Theriaque] §

Mercure Galant, avril [tome 4],1689, p. 159-177.

 

Je vous parlay il y a deux mois de l’Emblême Enigmatique mise au haut de la These de Mr de Roviere, Apoticaire ordinaire des Camps & Armées du Roy, pour la distribution & confection de la Theriaque. L’explication qui en a esté faite ayant extremement plû, j’ay cru devoir vous en faire part. Cette Estampe represente Esculape Enfant, qu’une des Heures, par l’ordre d’Apollon, presente au Centaure Chiron, pour l’élever. On y voit un Temple d’Esculape dans une Isle, & au dessus est dépeinte la Constellation du Serpentaire, que les Grecs nomment Ophiuchus. Au deça du Temple est un Champ remply d’arbrisseaux odoriferans & de plantes aromatiques, parmy lesquelles on voit quelques Viperes ; & de l’autre costé est un Desert plein de sables, où il y a aussi des Viperes. Le devant de la Planche est orné de plusieurs sortes de plantes Medicinales. Au haut paroist la Devise du Roy. Ce dessein est tiré de l’Histoire & de la Mythologie. Apollodore dit qu’Ischys, Roy d’Arcadie, Fils d’Elatus, épousa Coronis, Fille de Phlegyas, Roy des Orchomeniens, qui estoient des Peuples du Peloponnese en Grece. Cette Princesse avoit esté aimée d’Apollon, & mesme estoit enceinte, avant ce mariage avec Ischys. Apollon ne put vaincre son déplaisir ; & transporté de fureur, il resolut d’oster la vie à celle qui l’avoit abandonné. Il luy perça le sein de plusieurs fléches : mais il se laissa toucher par les plaintes de cette Princesse mourante, qui le pria de conserver son enfant. Aussitost qu’elle eut jetté le dernier soupir, il le tira de son ventre ; & l’ayant nommé Esculape, il le donna à une des Heures qui le porta à Chiron, le plus sage des Centaures, pour avoir soin de son éducation : puis il fit allumer le bucher pour bruler le corps de sa Mere, suivant la ceremonie des Anciens. Ce que dit Ovide que ce fut Apollon qui le porta, se doit entendre, qu’il en donna l’ordre, & c’est une expression figurée. Les Poëtes font les Heures filles de Jupiter & de Themis, & Officieres du Soleil, dont elles accompagnent le Char. C’est pour cela qu’on les voit dans cette Estampe aux deux costez du Char d’Apollon.

Chiron est representé selon la fiction des Poëtes. La verité est que les Centaures furent des peuples de la Thessalie, qui inventerent l’art de dompter & de monter les chevaux, & qui parurent d’abord comme des Monstres moitié hommes & moitié chevaux, à ceux qui les virent de loin. Chiron se rendit illustre parmy ces Peuples, non seulement par sa prudence & par sa justice, mais aussi par sa science & par les belles connoissances qu’il eut dans la Medecine, la Chirurgie, & l’Astrologie : ce qui le fit choisir pour estre Precepteur d’Achille, de Jason, & particulierement d’Esculape. Il ne faut donc pas croire qu’il eut une caverne pour retraite, comme Ovide le dit ; ce n’est qu’une expression conforme à la fiction Poëtique. Le Temple est placé dans une petite Isse, parce que les Romains en bastirent un à l’honneur d’Esculape dans l’Isle du Tibre à Rome. Cette Isle, qui estoit nommée Insula Tiberina, est appellée aujourd’huy l’Isle de S. Barthelemy sous le Mont Aventin ou de Sainte Sabine. On y joignoit à la Statuë d’Esculape la figure d’un Serpent, parce que les Romains crurent qu’il avoit pris cette figure, lors qu’on l’apporta d’Epidaure. Valere Maxime, & Aurelius Victor rapportent que la Ville de Rome estant affligée de peste, l’an 461. de la fondation de cette Ville, les Prestres des faux Dieux consulterent les Livres des Sibylles, & y trouverent que l’unique moyen d’arrester cette desolation, estoit d’apporter à Rome la Statuë d’Esculape que l’on adoroit à Epidaure. (Ovide dit que l’on alla consulter l’Oracle d’Apollon à Delphes, qui répondit la même chose.) Aussi-tost on députa Q. Ogulnius avec neuf autres Citoyens Romains pour aller à Epidaure, Ville du Peloponnese, appellée aujourd’huy Pigiada ou Esculapio, dans la Morée, vers le golphe d’Engia. Les Epidauriens conduisirent les Ambassadeurs dans le Temple d’Esculape, où pendant que les Principaux de la Ville contestoient sur la maniere de contenter les Romains, un gros Serpent sortit de la place où estoit la Statuë d’or de ce Dieu representé comme un homme ; & passant par le milieu de la Ville, alla se placer sur la poupe du Vaisseau des Ambassadeurs. Ceux cy leverent l’anchre, & firent voile à Rome, où ce Serpent se retira dans l’Isle du Tibre, & y reprit une forme humaine. La peste, ajoûtent ces Historiens, ayant cessé en mesme temps, on y bâtit un Temple à Esculape. Ceux qui ont fait reflexion sur ce changement d’Esculape, disent qu’il se transforma en Serpent, pour marquer la prudence qui est necessaire à un Medecin (car le Serpent en est le symbole) ou parce que l’on compose les remedes les plus salutaires avec la chair des Viperes, comme rapporte Pline l’Historien. L’homme qui paroist sur une nuë, tenant un Serpent, represente la Constellation d’Ophiuchus ou du Serpentaire, en laquelle Esculape fut changé, selon les Poëtes. Cette Constellation se leve avec le Scorpion & le Sagittaire ; & se couche au lever des Gemeaux, du Cancer, & du Lion. L’Homme a dix-sept Estoiles, & le Serpent qu’il tient, en a vingt-trois.

Les Mythologistes disent qu’Esculape voulant guerir Glaucus, Fils de Minos Roy de l’Isle de Crete (maintenant Candie) un Serpent s’approcha tenant une herbe, & la mit sur la teste d’Esculape, qui se servit de cette herbe & en guerit Glaucus ; ce qui donna lieu aux Medecins d’employer dans les remedes les Serpens & les Viperes : & ce Serpent, dit Hygin, fut placé dans la Constellation d’Ophiuchus. On voit déja que tout cecy a un merveilleux rapport à la Vipere, & à la Theriaque. Esculape marque la Vipere. Il est vray que les Historiens Romains rapportent en general qu’il parut sous la figure d’un Serpent ; mais il y a lieu de croire que c’estoit une Vipere, puis que la Vipere a des proprietez qui la rendent plus propre que les autres Serpens, à estre le symbole d’une Divinité, & principalement d’une Divinité que l’on faisoit présider à la Medecine. On remarque aussi que quelques Peuples adoroient la Vipere, & n’adoroient pas les Serpens communs ; entre autres les Lithuaniens, au rapport de Cromere. Vipera Lithuanorum olim Numen. Les Lithuaniens, peuples de Pologne, receurent la Foy en 1386. mais auparavant ils adoroient la Vipere comme une Divinité. Tout le monde sçait qu’Apollon est le Dieu de la Medecine & de la Pharmacie, dont la Theriaque, composée de la Vipere, est le plus excellent Remede. C’est en effet le Soleil qui donne la force aux Plantes Medicinales, & les bonnes qualitez aux Viperes. Chiron represente le Medecin & l’Apothicaire ; car il estoit l’un & l’autre ; & c’est luy qui a donné son nom à la grande & à la petite Centaurée. Une des Heures presente Esculape, parce qu’il y a des temps & des heures à observer pour le choix des Viperes. La pluspart croyent qu’il faut choisir le Printemps, & quelques-uns sont d’avis que l’Automne est aussi un temps favorable. Ce n’est pas assez d’avoir égard à la Saison, il faut encore distinguer les divers temps de cette Saison ; comme le mois d’Avril au Printemps, & la vendange en Automne. Il est mesme necessaire d’observer l’heure : les Viperes que l’on prend aprés le Soleil levé, ont de meilleures qualitez que celles que l’on prendroit dans les autres heures du jour. On a representé des Viperes dans un champ remply de plantes aromatiques, & d’autres dans une terre sablonneuse & sterile, pour marquer les deux differences de Viperes, dont parle Alexandre ab Alexandro, lors qu’il dit que dans l’Arabie les Viperes n’ont point de venin mortel, parce qu’elles se nourrissent d’herbes odoriferantes : & que dans l’Afrique, leur haleine seule est un poison. Au devant de la Figure, le Peintre a ingenieusement representé la pluspart des plantes dont la Theriaque est composée, & que l’on joint à la chair des Viperes.

A l’égard de la Devise du Roy, puis que selon la pensée du P. Bouhours, la Devise est une Metaphore peinte qui represente un objet par un autre avec lequel il a de la ressemblance, on a eu sujet de peindre icy le Soleil, dont on sçait que le mot est, Nec pluribus impar, afin de marquer que le Roy est un Soleil qui a assez de lumiere pour éclairer non seulement plusieurs Parties du monde, mais aussi toutes les Sciences & tous les Arts. Si Apollon, selon les Poëtes, est le Dieu de la Medecine & de la Pharmacie, LOUIS LE GRAND est veritablement le Protecteur & le Restaurateur de ces Sciences, par le soin qu’il veut bien prendre de faire distribuer à ses Sujets & aux Etrangers les plus excellens & les plus rares Remedes, & sur tout la Theriaque, dont la dispensation & la composition se font en presence des Magistrats à qui le Roy a donné l’autorité de regler ce qui regarde la seureté & l’avantage du Public, & sous les auspices de Mr Daquin, premier Medecin de Sa Majesté.

[Harangue faite au Roy d'Angleterre] §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 177-182.

 

En vous parlant il y a un mois de la reception qui avoit esté faite au Roy d’Angleterre, dans tous les lieux où passa ce Prince pour se rendre à Brest, je vous envoyay la pluspart des complimens qui luy avoient esté faits par les divers Corps qui eurent l’honneur de le saluër. Vous m’avez marqué en avoir receu beaucoup de plaisir, & comme celuy du Pere Delpeuch, Prestre de l’Oratoire, & Recteur de l’Université d’Angers, m’est tombé depuis entre les mains, je ne veux pas vous priver de la satisfaction que vous aurez à le lire. Sa Majesté Britannique en fut tres-contente, & sur l’approbation generale qu’il receut, l’Université assemblée en Corps, à la teste duquel il fut prononcé, ordonna qu’il seroit mis dans ses Registres. En voicy les termes.

SIRE.

Si dans le renversement étrange des Loix humaines & divines qui se fait aujourd’huy, il nous estoit permis de concevoir quelque joye, l’unique que nous pourrions ressentir dans l’excés de nos déplaisirs, seroit d’avoir l’honneur de salüer Vostre Majesté, & de voir dans la Personne d’un si grand Prince l’intrepide Défenseur de nos Autels & le Heros de la Religion. Jamais rien n’a paru de si grand que ce que vous avez fait dans l’une & dans l’autre fortune, toujours égal, toujours ferme, toujours bienfaisant, prest à abandonner le Trône plutost que d’abandonner vostre Religion, & prest à remonter sur le Trône pour la défense de la mesme Religion. Nous n’avons presque point esté surpris de voir Vostre Majesté attaquée par de perfides Ennemis. C’est la fatalité, Sire, des Princes incomparables & des Souverains jaloux de la gloire des Autels, d’avoir à combattre & à vaincre des Tyrans. Les Constantins ont eu des Maxences, les Theodoses ont eu des Maximes & des Eugenes, qui eurent l’insolence de monter jusque sur le Trône ; mais leur cheute suivit de prés leur élevation, & dans leur juste infortune il ne leur resta que la triste consolation d’avoir osé combattre contre les Heros. Telle sera, Sire, la fortune de cet injuste Usurpateur, de ce Roy de Theatre qui viole témerairement les droits les plus sacrez, & l’Université d’Angers qui prend la liberté de vous offrir ses tres-humbles respects, & qui a cent fois consacré sa voix à vos loüanges, se prépare à celebrer l’heureux rétablissement de Vostre Majesté, qui est l’unique objet de ses vœux.

[Histoire] §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 182-226.

 

Rien ne doit surprendre de ce qui est causé par l’amour. Il agit differemment selon que les cœurs sont disposez, & il y a souvent de l’étoile dans les liaisons qu’il forme. Un Cavalier tout plein de merite, & dont la naissance estoit soustenuë par un bien considerable, estant allé voir un jour une Dame de ses Amies, trouva chez elle une fort jolie Personne dont il fut touché. Ce n’estoit pas une beauté reguliere, mais il y avoit un tel agrément, & sur son visage, & dans ses manieres, qu’elle en effaçoit de plus belles qu’elle. Il s’attacha à l’entretenir, & son esprit qui luy parut doux & insinuant, fut un nouveau charme qui entraîna sa raison Elle estoit avec sa Mere dont la sagesse & l’honnesteté servoient d’asseurance au Cavalier des soins qu’elle avoit donnez à l’éducation de sa Fille. Quand elles furent parties, le Cavalier qui demeura seul avec la Dame luy fit force questions sur tout ce qu’elle sçavoit de cette aimable Personne, & il les fit d’un air empressé qui luy fit connoistre, que la curiosité qu’il luy marquoit estoit un commencement d’amour. Elle luy dit en riant qu’elle voyoit bien qu’il la trouvoit à son gré, & il ne luy cacha pas que si elle avoit effectivement autant d’estimables qualitez que cette premiere veuë luy en avoit fait paroistre, il feroit tout son bonheur de s’engager avec elle. La Dame voyant qu’il luy parloit serieusement, luy répondit de la mesme sorte, & aprés luy avoir parlé de la Demoiselle comme de la personne la plus accomplie, & la plus capable de rendre un mary heureux, elle ajousta que s’il regardoit ses avantages du costé de la fortune, elle craignoit qu’il ne fist un mauvais choix ; que la Belle dépendoit d’un Pere avare, qui quoy que tres-riche, ne luy feroit pas une grande avance, & que lors qu’il seroit mort, deux Fils qu’il avoit partageroient sa succession, sans qu’elle y eust presque aucune part, toutes ses Terres estant situées dans des Provinces où la Coutume estoit fort contraire aux Filles. L’avis ne pût rien sur l’esprit du Cavalier. Il pria la Dame de luy procurer souvent la veuë de la Belle, afin que la connoissant parfaitement il pust juger s’ils estoient nez l’un pour l’autre. La Dame eut avec plaisir la complaisance qu’il luy demandoit. Elle servoit une Amie qui meritoit bien qu’on l’obligeast, & aprés l’avis donné sur l’avarice du Pere, elle n’avoit rien à se reprocher. Les entreveuës se firent d’abord sans marquer aucun dessein. On s’abandonna à d’agreables conversations, & le Cavalier fut payé des soins qu’il prenoit de chercher à plaire, par tout ce que la bien-seance souffroit qu’on luy montrast de reconnoissance. Il demeura bientost convaincu de tout le merite qu’il avoit cru dans la Belle, & s’appliquant à étudier ses plus secrets sentimens, il n’eut pas de peine à découvrir qu’ils luy estoient favorables. La Mere qui avoit vû naistre cette passion avec plaisir, entra avec une joye extrême dans les mesures qui estoient à prendre pour engager son Mary à l’approuver. Il fut resolu qu’on luy feroit un secret de ce qui s’étoit passé chez la Dame, & qu’un des Amis du Cavalier iroit le trouver pour luy demander sa Fille, sans faire connoistre que les choses fussent déja aussi avancées qu’elles l’estoient du costé du cœur. C’estoit un homme bizarre, & s’il eust appris que dans une affaire de cette importance on eust osé prendre quelque engagement sans luy, il auroit cru son autorité blessée, & il n’en eust pas fallu davantage pour luy faire refuser son consentement. Tout se passa comme on l’avoit arresté, & le Pere trouvant le party d’autant plus avantageux qu’on luy témoigna qu’il seroit maistre de tout, ne balança point à donner parole. Il receut ensuite le Cavalier de la maniere la plus civile & la plus satisfaisante, & le presenta à sa Femme & à sa Fille, comme une personne qui ne leur estoit connuë que de nom. Il leur marqua le dessein où il estoit d’en faire son Gendre, & leur demanda pour luy des honnestetez où elles estoient toutes disposées. La Belle autorisée par là dans sa passion, s’y abandonna sans plus garder de reserve sur ses sentimens. Le procedé genereux du Cavalier, qui pour s’attacher à elle n’avoit aucun égard à ses interests, meritoit bien qu’elle luy donnast son cœur tout entier. Ils se firent les plus fortes protestations d’une tendresse eternelle, & la Mere qui estoit charmée de leur union, ne contribua pas peu à la confirmer. Il n’estoit plus question que de signer les articles. On le devoit faire au premier jour, lors qu’un facheux Incident en fit differer la ceremonie. Pere eut avis que son Fils aisné, qui estoit Volontaire dans les Troupes, avoit esté tué en quelque rencontre, & son Cadet tomba presque en même temps dangereusement malade. Il n’y avoit aucune apparence de parler de noces dans un temps où l’on pleuroit l’un, & où tout estoit à craindre pour l’autre. On n’oublia rien pour le sauver, & le Cavalier qui prévoyoit son malheur s’il arrivoit qu’il mourust, faisoit sans cesse des vœux pour le succés des remedes, mais ils furent inutiles. Sa fiévre qui n’estoit d’abord que double tierce, se changea en continuë, & aprés avoir resisté un mois entier, il laissa sa Sœur unique heritiere. Il n’auroit pas esté surprenant que l’on eust remis le mariage aprés un temps suffisant pour se consoler de la double perte qu’on venoit de faire ; mais le Cavalier que l’on avoit d’abord regardé comme un party fort considerable, cessoit de l’estre pour une fille qui devoit avoir vingt-cinq mille livres de rente, & son Pere qui commença à prendre des veuës proportionnées à ce grand bien, trouva à propos de le prier de se retirer. Sa Femme tâcha de faire valoir la generosité qu’il avoit euë de sacrifier au plaisir d’entrer dans son alliance tous les avantages qu’il eust pû trouver ailleurs, lors qu’il s’estoit contenté de ce qu’on vouloit donner à sa Fille, & pretendit qu’on le devoit reconnoistre par des sentimens qui répondissent aux siens, mais tout ce qu’elle put dire ne fit qu’aigrir son Mary, & malgré ses remontrances, le Cavalier fut congedié. Ce ne fut pas sans qu’il eust la joye de recevoir de la bouche mesme de sa Maistresse toutes les assurances qui pouvoient servir à adoucir son malheur. La Mere qui en fut témoin luy permit d’attendre d’elle tout le secours qu’il en pouvoit souhaiter ; & comme on avoit fait à toutes les deux d’expresses défenses de le plus voir, la crainte d’accroistre la mauvaise humeur du Pere, si par son éloignement il ne le guerissoit pas de tous les soupçons qu’il pouvoit avoir, le fit resoudre à se retirer dans une Terre qu’il avoit à trente lieuës de Paris. Les adieux furent fort tendres. Il dit à la Belle qu’il ne valoit pas qu’elle renonçast pour luy à une grande fortune, & plus il fut genereux, plus il la trouva constante dans les sentimens qui luy estoient dûs. Ils convinrent du consentement de la Mere qu’ils s’écriroient fort souvent par le moyen de la Dame, leur commune Amie, & rien n’estant ny plus engageant ny plus flateur que les Lettres, l’absence ne fit qu’augmenter leur passion. Il se passa une année entiere, pendant laquelle le Cavalier fit secretement deux ou trois voyages à Paris. Il y voyoit sa Maistresse un jour chez cette commune Amie, & s’en retournoit le lendemain. Plusieurs personnes d’un rang distingué la recherchoient ; mais heureusement pour elle, son Pere se trouvoit toujours embarassé sur le choix, & le plaisir de demeurer maistre de son bien, l’empeschoit de se hâter de la marier. Sa Femme y contribuoit en se rendant difficile pour la conserver au Cavalier, sans pourtant qu’elle pust voir par où elle pourroit faire réussir ses esperances. Tandis qu’il vivoit ainsi retiré, il vit arriver chez luy un de ses Amis intimes qu’il n’avoit point vû depuis quatre ans. C’estoit un homme d’une Maison fort considerable, & qui prenoit le nom de Marquis à juste titre. Il avoit passé tout ce temps à Rome, & ayant appris que le Cavalier estoit à sa Terre, il venoit luy faire part de tout ce qui luy estoit arrivé dans son voyage. Sa veuë luy causa beaucoup de joye, & il l’arresta chez luy le plus long temps qu’il luy fut possible, sans luy découvrir ce qui l’avoit obligé à quitter Paris. Malgré toute l’amitié qui les unissoit, il crut devoir ce secret à sa Maistresse. Il ne sçavoit pas comment tourneroient les choses, & le meilleur estoit de se taire. Il vivoit dans cette Terre avec une Sœur qui estoit Veuve, & le repos attaché à la retraite étoit le pretexte dont il se servoit pour y demeurer. Le Marquis partit, & il y avoit déja deux mois qu’il l’avoit quitté, lors qu’il revint le trouver un soir pendant que la nuit estoit fort obscure. Le Cavalier crut qu’il venoit encore passer huit ou dix jours avec luy, & il s’en faisoit un fort grand plaisir ; mais le Marquis ayant demandé à luy parler en particulier, luy dit qu’il l’avoit choisi comme l’homme du monde en qui il se confioit le plus pour laisser entre ses mains un depost considerable, & qui luy estoit de la derniere importance. Il s’agissoit d’une Demoiselle qu’il avoit enlevée depuis trois jours. Il avoit marché toujours de nuit, afin qu’on ne pust sçavoir quelle route il avoit prise, & il l’amenoit chez luy, où elle devoit demeurer cachée auprés de sa Sœur, tandis qu’il employeroit ses Amis pour obliger ses Parens de consentir à son mariage. Le Cavalier ayant sceu qu’il l’avoit laissée dans un Carrosse avec seure garde à deux cens pas de chez luy, pria sa Sœur d’aller luy offrir tout ce qui pouvoit dépendre d’elle, & de la conduire dans l’appartement qu’il alloit luy faire preparer, & où l’on convint qu’on ne laisseroit entrer que des Domestiques de confiance, sans pourtant leur dire ce qui obligeoit à ne la pas laisser voir. La Dame fit ce que souhaitoit son Frere, & le Marquis la mena où le Carrosse estoit arresté. La Demoiselle enlevée ne répondit autre chose au compliment de la Dame qui l’assura de ses soins dans tout ce qui pourroit la satisfaire, sinon qu’elle la prioit de la secourir contre la violence qui luy estoit faite. Elle descendit en mesme temps, & la suivit sans rien dire davantage. Le Marquis fit aussitost partir le Carrosse, & se faisant attendre par deux ou trois de ses gens aussi bien montez que luy, il vint retrouver le Cavalier, pour luy dire adieu, estant resolu de marcher tout le reste de la nuit, afin de pouvoir paroistre le lendemain dans quelque lieu assez éloigné, pour empescher qu’on ne soupçonnast que ce fust chez son Amy qu’il eust mis la Belle. Le Cavalier ayant demandé si elle avoit consenty à l’enlevement, il luy répondit que quand il avoit tâché de s’en faite aimer, elle luy avoit marqué qu’un premier engagement ne permettoit pas qu’elle l’écoutast ; qu’il s’estoit ensuite declaré avec son Pere, & que sur le refus de l’un & de l’autre, on luy avoit conseillé de l’enlever, parce qu’elle avoit beaucoup de bien ; que quoy qu’elle eust de grands agrémens dans sa personne, il luy avoüoit que les avantages qu’il trouvoit en l’épousant, estoient l’unique motif de la resolution qu’il avoit prise ; qu’il sçavoit bien qu’on l’alloit poursuivre comme auteur du rapt, parce qu’un Laquais qui avoit fuy quand il avoit fait l’enlevement, avoit pu le remarquer, mais qu’il estoit d’une naissance assez distinguée pour croire que les Parens, aprés avoir fait un peu de bruit, seroient ravis d’assoupir l’affaire ; que son alliance leur feroit honneur, & qu’un homme comme luy n’avoit pas à craindre qu’on le refusast quand on connoistroit le peu de succés qu’auroient les poursuites ; que cependant il luy laissoit ménager l’esprit de la Belle, & qu’ayant pour luy autant d’amitié qu’il en avoit, il ne doutoit point qu’il ne vinst à bout de la convaincre que le seul party qu’elle avoit à prendre aprés l’éclat d’un enlevement, estoit d’entendre raison de bonne grace, en declarant quand il en seroit besoin, qu’elle vouloit bien estre sa Femme ; qu’il viendroit sçavoir dans quelques jours l’effet qu’auroient eu ses remonstrances, & luy apprendre ce qu’il auroit fait de son costé, pour mettre l’affaire en termes d’estre accommodée. Le Cavalier l’asseura que ses interests estant les siens, il agiroit comme pour luy-mesme, quoy qu’il fust faché d’avoir à combattre un cœur qui n’estoit pas libre, parce que les premieres impressions s’effaçoient toûjours difficilement. Le Marquis partit sans vouloir revoir la Belle pour ne pas l’aigrir par sa presence. Elle s’estoit emportée toutes les fois qu’il s’estoit montré pendant le voyage, & il se flata qu’il la trouveroit adoucie à son retour. Sitost qu’il eut pris congé de son Amy, le Cavalier alla dans l’appartement où sa Sœur estoit demeurée auprés de la Belle. La fatigue d’un voyage fort precipité & fait de nuit, & l’affliction où elle estoit, l’avoient obligée à se jetter sur un lit où la lumiere ne donnoit que foiblement, & comme il venoit la consoler, à peine eut-il commencé ce qu’il avoit à luy dire, qu’elle poussa un grand cry, & se leva tout d’un coup avec des marques d’une surprise extraordinaire. C’estoit sa Maistresse enlevée par son Amy. Jugez ce que produisit un évenement si peu attendu. Le Cavalier avoit de la peine à croire ses yeux, & la Belle qui se voyoit au pouvoir d’un homme qu’on avoit trompé, & qui en devoit garder du ressentiment, se seroit persuadé que l’enlevement auroit esté fait pour luy, si la conduite pleine de respect qu’il avoit toûjours tenuë, ne l’eust empeschée de luy imputer une violence de cette nature. Tout fut éclaircy, & on ne pouvoit assez admirer ce que le hazard venoit de faire. La Belle reprit un air de gayeté qui fit paroistre le plaisir qu’elle sentoit de se voir en lieu où elle estoit asseurée qu’on la laisseroit maistresse absoluë de ses volontez. Elle demanda d’abord qu’on la remist chez son Pere, mais le Cavalier luy ayant fait voir qu’il ne le pouvoit que de concert avec son Amy, & qu’il falloit prendre pour cela de grandes précautions qui seroient peut-estre utiles au succés de leur amour, elle luy abandonna le soin de sa destinée, & se consola dans son malheur, puis qu’il estoit adoucy par le plaisir de n’avoir à redouter aucune contrainte. Le Frere & la Sœur n’oublierent rien de ce qui pouvoit contribuer à luy donner de la joye. Ils passoient les jours entiers dans sa chambre, ou la menoient à la promenade dans quelque endroit retiré, & comme il est rare de s’ennuyer avec ce qu’on aime, elle trouvoit sa captivité fort agreable. Les sermens de fidelité & de constance furent mille fois reiterez, & par un secret pressentiment, ils ne pouvoient s’empescher de croire qu’ils seroient enfin heureux. Trois semaines s’étant passées de la sorte, le Marquis revint un soir chez le Cavalier, lors que la nuit estoit déja assez avancée. Il voulut encore l’entretenir en particulier, & luy dit aprés l’avoir embrassé, qu’il ne doutoit point que la Demoiselle qu’il avoit laissée chez luy ne luy eust appris qui elle estoit ; que sans luy nommer son Pere, il luy avoit parlé la premiere fois de l’enlevement qu’il avoit fait comme d’une affaire qu’il seroit aisé d’accommoder ; mais que ce Pere, homme incapable d’estre gouverné, estoit si fort aveuglé dans sa fureur, que non seulement il promettoit sa Fille à quiconque pourroit la tirer d’entre ses mains, mais qu’il faisoit contre luy les plus facheuses poursuites ; qu’ainsi n’ayant plus aucune esperance de le fléchir, il ne pouvoit sortir d’embarras qu’en forçant sa Fille à l’épouser ; qu’il la meneroit chez luy où il la feroit reconnoistre pour sa Femme, & qu’aprés le mariage il ne craignoit point qu’on eust assez de credit pour le faire rompre ; qu’il venoit sçavoir ce qu’il avoit fait pour luy, & si ses soins avoient mis la Belle dans des dispositions qui luy fussent favorables. Le Cavalier ne balança point sur la resolution qu’il avoit à prendre. Il luy répondit qu’estant incapable de manquer à l’amitié, il luy laisseroit une entiere liberté de s’assurer du cœur de la Belle, mais qu’il n’avoit pu choisir personne qui fust moins propre que luy, à luy inspirer les sentimens qu’il luy souhaitoit. Là-dessus il luy conta l’engagement qu’ils avoient pris l’un pour l’autre, & aprés luy avoir exageré le desespoir où la rupture de son mariage l’avoit réduit, il ajoûta que s’il pouvoit estre assez heureux pour obliger l’aimable personne qu’il luy avoit mise entre les mains, à se declarer en sa faveur, quoy qu’il en dust ressentir toute la douleur imaginable, il sacrifieroit ses interests à ce qu’il devoit à tous les deux ; mais qu’il le prioit de le dispenser de travailler luy-mesme à sa perte, & de s’attirer le juste mépris de celle qu’il aimoit uniquement, en preferant l’amitié à ce que l’amour exigeoit de luy. Ce discours fut fait d’une maniere si vive, que le Marquis en demeura penetré. Il comprit toute la force de la passion de son Amy, & comme il n’avoit enlevé la Demoiselle que par des veuës d’interest, sans que l’amour y eust grande part, il auroit eu à se reprocher une injustice indigne de l’amitié qu’ils s’estoient jurée, s’il eust voulu luy oster un bien qui devoit faire tout le bonheur de sa vie. D’ailleurs on ne pouvoit adoucir le Pere, dont les procedures l’obligeoient à se tenir toujours en estat de n’estre point arresté. La Fille dont il ne pouvoit esperer de toucher le cœur, n’estoit plus en son pouvoir, & quand il auroit voulu s’en resaisir pour la mettre par la force dans la necessité de l’épouser, il n’y avoit aucune apparence que son Amy qui ne vivoit que pour elle, eust pu consentir à l’exposer à la violence. Ainsi prenant le party d’estre genereux, qui satisfaisoit sa gloire, & le tiroit d’embarras, il ceda toutes ses pretentions à son Amy, & luy dit d’une maniere obligeante, qu’il avoit peine à se repentir d’un enlevement dont il pouvoit tirer de grands avantages, puis que dans la situation où estoient les choses, il n’y avoit qu’à bien ménager l’esprit du Pere pour luy faire prendre une resolution favorable à son amour. En mesme temps, il le pria d’aller preparer la Belle à souffrir sa veuë, afin que l’ayant obligée à luy pardonner il pust examiner avec eux ce qu’il seroit à propos de faire pour asseurer leur bonheur. La Belle ravie de cet heureux changement, receut le Marquis avec autant de joye & d’honnesteté qu’elle luy avoit d’abord marqué d’indignation. Il demeura deux jours dans cette maison, & le resultat du Conseil qu’ils tinrent ensemble, fut que le Cavalier iroit à Paris, & se prevaudroit de la disposition où il trouveroit le Pere. Il se fit mener chez luy par une personne qui pouvoit beaucoup sur son esprit, & tourna son compliment sur ce qu’estant toûjours demeuré le mesme, il ne se pouvoit qu’il n’entrast sensiblement dans le déplaisir que luy causoit le malheur qui luy estoit arrivé. Le Pere s’emporta avec fureur contre le Marquis, protestant qu’il ne seroit jamais satisfait qu’il ne luy eust fait couper la teste. Il ajoûta qu’il reconnoissoit la main de Dieu qui le punissoit de ce qu’il l’avoit trompé sur le mariage de sa Fille, & que s’il pouvoit la retirer des mains du Marquis, il estoit prest à la luy donner, & à reparer par là l’injustice que l’ambition luy avoit fait faire. Le Cavalier voulant profiter de ce mouvement, répliqua qu’il estoit venu le chercher exprés pour luy offrir ses services ; qu’il connoissoit non seulement le Marquis, mais aussi tous ceux en qui il avoit quelque confiance ; qu’il découvriroit le lieu où il avoit mis sa Fille, & qu’ayant toûjours pour elle le mesme respect & la mesme passion, il estoit seur de l’obliger à la rendre, ou de l’enlever du lieu où elle seroit, s’il s’obstinoit à la vouloir retenir. Le Pere le conjura de ne point perdre de temps, & luy donna de si fortes asseurances qu’il n’avoit envie de la retrouver que pour luy en faire un don, qu’il ne put douter qu’il ne luy parlast sincerement. Il partit le lendemain, & ayant rejoint le Marquis à une Terre où il s’estoit retiré, il luy rendit compte de tout ce qu’il avoit fait. Comme le Pere avoit souhaité qu’il luy fist sçavoir l’estat des choses, il luy écrivit d’abord qu’il avoit trouvé le Marquis dans une obstination extraordinaire, & que peut-estre il ne luy seroit pas si aisé qu’il l’avoit cru de découvrir où il avoit mis sa Fille. Il luy manda quelques jours aprés qu’il le voyoit un peu ébranlé, & qu’il sembloit se resoudre à luy ceder ce qu’il connoissoit qu’il ne pouvoit obtenir que par la force, mais qu’il avoit peine à croire qu’on eust un veritable dessein de consentir à un mariage qui avoit esté rompu. Ces Lettres furent suivies d’une negociation particuliere. Un Gentilhomme envoyé par le Marquis vint trouver le Pere, & l’asseura de sa part qu’il estoit prest de luy ramener sa Fille, s’il vouloit bien luy donner parole qu’il la feroit épouser au Cavalier. Il luy déclara en mesme temps qu’il pretendoit la disputer à tout autre, & qu’il trouveroit moyen de soutenir ce qu’il avoit fait. Le Marquis estoit bien moins riche que le Cavalier, & le Pere ne trouva pas qu’il deust balancer, puis qu’on luy laissoit le choix. Il s’acquitoit de ce qu’il devoit à l’un, & se vangeoit en quelque façon de l’autre, puis qu’il faisoit avorter son entreprise. Il donna au Gentilhomme les seuretez qu’il luy demanda. On cessa toutes poursuites, & la Demoiselle fut remenée chez son Pere. Elle obtint de luy qu’il consentiroit à voir le Marquis, & il fut prié du mariage qui se fit enfin avec tout l’éclat que demandoit une si riche Heritiere.

[Lettre à M. Menage sur le changement des Monnoyes de Naples] §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 226-227.

 

Vous avez souvent entendu parler du changement des Monnoyes d’argent de Naples. Vous en verrez tout le particulier dans la Lettre que Mr Chassebras de Cramailles qui a esté sur le lieu, en a écrite à Mr Menage, un des plus sçavans Hommes de nostre Siecle. Voicy ce qu’elle contient.

[Prix proposé par l’Academie d’Arles] §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 245-248.

L’Academie Royale d’Arles propose un Prix, qui sera un tres-beau Portrait de Monseigneur le Dauphin, pour celuy qui fera la plus belle Ode Françoise, Sur la satisfaction que le Roy a d’avoir un Fils digne de luy, & sur les premieres Conquestes de ce jeune Heros. Les Vers n’excederont point le nombre de cent. On les fera de telle mesure qu’on voudra, & l’on finira par une courte Priere à Dieu pour Sa Majesté, & pour la Famille Royale. Les Auteurs mettront au lieu de nom une Devise à la gloire de Monseigneur. On les prie d’affranchir leurs Pieces de port, & de les adresser avant le dernier Juin de la presente année 1689. à Mr le Marquis de Robias d’Estoublon, Secretaire perpetuel de l’Academie Royale, en son Hôtel à Arles, lequel fait la dépense de ce Tableau, qui sera accompagné d’une riche bordure. La distribution s’en fera publiquement le jour de Saint Loüis, Feste de LOUIS LE GRAND. Toutes sortes de personnes seront reçuës à pretendre à ce Prix, à la reserve des quarante Academiciens, qui en seront les Juges. On aura soin de faire tenir le Portrait sans aucun port, à celuy qui sera victorieux, en quelque endroit qu’il puisse estre. On s’adressera pour cet effet au mesme Secretaire perpetuel de l’Academie, aprés neanmoins que l’Auteur du Mercure aura fait sçavoir la décision au Public selon les nouvelles d’Arles.

[Mort de la femme de Tallemant]* §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 254-258.

 

Madame Tallemant, Veuve de Mr Tallemant, Maistre des Requestes, morte le 6. de ce mois. Elle estoit Fille de Mr de Montauron, si fameux par ses liberalitez, & par cette grandeur d’ame qui luy fit faire la fortune de plusieurs personnes, & negliger la sienne. Il estoit de l’illustre Maison de Puget de Toulouse, dont il y a presentement un President au Mortier, qui a succedé à un Pere & à un Ayeul revestus de la mesme dignité. La Mere de Madame Tallemant estoit de cette même Maison, Fille de Mr de Puget de Pomeuse, Tresorier de l’Epargne, & Niece de Messire.… Puget, Evesque de Marseille. Cette Maison est originaire de l’ancienne Maison de Puget, de Provence, qui est d’une Noblesse fort distinguée par les Emplois, par les Charges, & par les Exploits militaires. Feu Mr Tallemant son Mary, estoit d’une Famille fort connuë & fort estimée. Il avoit toutes les qualitez d’un bon Juge & d’un parfaitement honneste homme. Il s’est signalé par les Intendances de Languedoc, de Provence & de Guyenne, en des temps difficiles, où il a sceu toujours se conduire d’une maniere si sage, si honneste, & si desinteressée, qu’il y a toujours vescu avec l’agrément de la Cour & l’estime des Peuples. Le Mary & la Femme ayant beaucoup d’esprit, de probité, & de politesse, s’étoient fait tous deux un nom fort considerable, & s’estant acquis quantité d’Amis pendant leur vie, on ne doit pas s’étonner s’ils ont esté generalement regretez. Ils ont laissé deux garçons & deux Filles. L’aisné est Pierre Tallemant, Ecuyer, & le Cadet, Paul Tallemant, Prieur de Sausseuse. Il est de l’Academie Françoise, & les excellens Discours qu’il y a prononcez en plusieurs occasions au nom de ce Corps illustre, ont fait assez voir combien il est digne de la place qu’il y tient. Les Filles sont Louïse Tallemant, Religieuse de la Visitation, & Angelique Tallemant, Veuve de Messire Hubert de Puget, Seigneur de Chasteauneuf de Provence.

[Estampe gravée d’aprés M. Mignard] §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 265-267.

 

Ces jours passez, le Sr Thomassin, Graveur ordinaire du Roy, presenta à Sa Majesté une grande Estampe qu’il a gravée avec beaucoup de delicatesse d’aprés le Tableau de Mr Mignard, où la Famille de Monseigneur le Dauphin est representée. Toute la Cour donna de grands applaudissemens à cette Estampe, ainsi qu’aux Vers Latins de Mr de Santeüil qui sont au bas, & à la belle traduction que Mr Perault, de l’Academie Françoise, en a faite en Vers François. Il en a aussi presenté plusieurs autres à la Maison Royale, toutes dans de magnifiques bordures. Cette entreprise estoit grande à cause du long travail, & difficile pour la ressemblance. Ceux de vos Amis qui recherchent les Ouvrages de cette nature, trouveront l’Estampe dont je vous parle chez celuy qui l’a gravée, ruë des Noyers, au Buste du Roy, & chez le Sr Boudot, Libraire, ruë Saint Jacques, au Soleil d’or.

Je viens aux Benefices dont je vous ay déja dit que Sa Majesté a fait la distribution, Sçavoir ;

[Action publique de M. l’Abbé de Louvois] §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 286-288.

 

Le Jeudy 14. de ce mois, Mr l’Abbé de Louvois, qui avoit déja satisfait publiquement en d’autres occasions à toutes les questions qui peuvent estre faites sur ce qu’il y a de plus difficile dans Virgile & dans Homere, fit une action pareille touchant Theocrite. Il y fit paroistre une force & une presence d’esprit beaucoup au dessus de ses années, & la nombreuse assemblée qui s’y trouva, en sortit tres-satisfaite. Comme c’estoit un exercice de Lettres, il y avoit fait inviter Mrs de l’Academie Françoise, qui ne purent assez admirer la maniere vive & spirituelle dont il se tira de toutes les objections qui luy furent faites. Il est difficile d’aller aussi loin dans un âge si peu avancé. Quelques jours aprés, ce jeune Abbé vint remercier cet illustre Corps dans une de ses Seances, & il le fit d’un air libre & noble qui répondoit dignement à ce qu’il est né.

[Livre nouveau]* §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 314.

 

Si vous avez des Amis embarrassez sur les usures qui peuvent estre permises, car le mot d’usure n’est pas toûjours pris en mauvaise part, je croy que vous leur ferez plaisir de les avertir que le Sr Guerout, Libraire au Palais, débite un Livre, qui les retirera de tous les doutes que le scrupule peut faire former sur cette matiere. Il a pour titre ; Eclaircissement nouveau sur le prest & l’interest ; la lecture n’en peut estre que d’une tres-grande utilité.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 317-320.

J'ajoûte à la Gavotte de Mr Martin que vous avez trouvée au commencement de cette Lettre, une Gigue du mesme Auteur. C'est encore l'Amour que l'on fait parler dans les paroles qui ont esté faites pour en chanter l'air.

GUIGUE.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, De mes filets, doit regarder la page 318.
De mes filets,
De mes lacets,
De mes pieges secrets
Qui sont faits,
Tout exprés,
Dans ces Forests,
On ne peut aisément se défendre.
Sans y songer chacun vient se rendre
Dans mes filets ;
Sans y songer chacun vient se prendre
Dans mes lacets,
Dans mes pieges secrets,
Qui sont faits
Tout exprés
Dans ces Forests.
On ne peut aisément se défendre
De mes lacets, &c.
***
Quels doux momens !
Quels jeux charmans !
Que de contentemens
Ravissans
Aux Amans
Qui sont constans !
Mais il faut estre pris pour les prendre,
Car on les perd a toûjours attendre
Ces doux momens,
Car on les perd sans un amour tendre
Ces jeux charmans ;
Tous ces contentemens,
Ravissans
Aux Amans
Qui sont constans,
Mais il faut estre pris pour les prendre,
Ces jeux charmans ;
Tous ces &c.
images/1689-04a_317.JPG

[Annonce du prochain volume des Affaires du temps]* §

Mercure galant, avril 1689 [tome 4], p. 342.

 

Quoy que je vous aye marqué la derniere fois que vous n’auriez ma sixiéme Lettre sur les Affaires du Temps que le premier de Juillet, je vous l’envoyeray un mois plûtost. Ainsi vous la recevrez le premier de Juin. Je découvre tous les jours des choses si curieuses touchant ce qui a donné le branle au mouvement qui agite aujourd’huy toute l’Europe, que je n’ay pas moins d’impatience de vous les apprendre, que vous m’en témoignez de les sçavoir.