1689

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8].

2017
Source : Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8]. §

Plainte de la Religion aux Princes Catholiques §

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8], p. 7-25.

 

Il ne s’est rien fait depuis long-temps qui marque mieux la pieté & la grandeur d’ame qu’on admire dans le Roy, qu’une Plainte que la Religion adresse aux Princes Catholiques. En leur reprochant qu’ils l’abandonnent lors qu’ils souffrent les attentats d’un Usurpateur, contre un Prince qui ne se voit hors du Trône que pour ses seuls interests, elle fait connoistre combien il est glorieux à Sa Majesté d’estre toujours ferme à la soutenir, & à se distinguer entre tous les Souverains par un zele qui a produit le plus beau de ses triomphes. Cet Ouvrage est de Mr l’Abbé du Jarry, dont la réputation vous est connuë par plusieurs autres qui luy ont acquis beaucoup d’estime, & je croy ne pouvoir mieux commencer ma Lettre qu’en vous faisant part de ce que son zele pour nostre Auguste Monarque, luy a fait dire à sa gloire.

PLAINTE
DE LA RELIGION
aux Princes Catholiques.

Du suprême pouvoir sacrez dépositaires,
Sur qui Dieu fait briller ses plus vifs caracteres,
Et que le Ciel engage à défendre mes Loix
Par les augustes noms de Chrestiens, & de Rois ;
Princes, mes chers Enfans, ouvrez vos cœurs aux plaintes
Qui vont de ma douleur vous marquer les atteintes.
J’esperois sur vos fronts du crime reverez
Trouver pour mes saints droits des asyles sacrez,
Et que de vostre rang ma gloire inseparable,
Aux prophanes Humains me rendroit venerable :
Mais que vois-je aujourd’huy ? vous trompez mon espoir,
Vous souffrez des enfers l’attentat le plus noir,
Du fier Usurpateur l’affreuse tyrannie,
Le crime couronné par l’audace impunie
L’Oint du Seigneur errant sur de fraisles vaisseaux,
En proye à la fureur des mutins & des eaux ;
a Le lieu saint prophané, le signe de la beste,
Et le bandeau Royal sur une mesme teste.
Princes, vous le voyez, de ce commun affront
La tache est imprimée à vostre auguste front,
Du Diadême en vous la gloire interessée,
Du Titre le plus saint la majesté blessée,
Tous les Trônes du monde en un seul ébranlez,
Tous vos droits, tous les miens en un jour violez,
Et parmy tant de Rois, je ne voy qu’un Monarque,
Qui de mon défenseur porte l’illustre marque.
O vous, sur qui le Ciel versa ses riches dons,
Pour sauver de l’oubly la gloire des grands Noms :
Dont les heureux écrits vantez dans tous les âges,
Doivent du marbre usé voir tomber les ouvrages,
Par des traits immortels, à la Posterité
Consacrez de LOUIS la generosité.
Qu’on porte au Ciel l’éclat de ses autres Trophées,
La discorde & l’erreur par son bras étouffées,
L’orgüeil de ses Rivaux par ses Armes dompté,
Ce degré de puissance à son comble monté ;
Ce qui doit le couvrir d’une gloire immortelle,
Est d’estre le soûtien d’un Trône qui chancelle.
Luy seul, de mes Autels l’inébranlable appuy,
Fait honte à tous ces Rois conjurez contre luy.
b Seigneur, livre à son bras ses ennemis en proye ;
Frappe-les des terreurs que ta colere envoye ;
Que le Tiran confus perisse embarassé
c Dans le piege fatal que luy-mesme a dressé :
Laisse tomber les fleaux marquez dans tes Oracles
d Sur les prophanateurs de tes saints Tabernacles :
Que l’impie aveuglé d’un bonheur criminel
Ne dise plus ; Où donc est le Dieu d’Israël ?
Et que les Nations sçachent que tu proteges
Le Monarque ennemy des Trônes sacrileges.
Toy, qui viens de donner l’exemple glorieux
D’un Sceptre abandonné pour l’interest des Cieux,
Heros, ne rougis point de ta disgrace illustre ;
Dans les bras de LOUIS tu prens un nouveau lustre,
En essuyant les pleurs d’un Monarque Chrestien,
Il te couvre d’éclat quand il te rend le tien.
Je voy briller sur toy sa gloire répanduë,
De vos augustes fronts la splendeur confonduë,
Par un nouveau spectacle instruisant les Mortels,
Vous montrez jusqu’où va le zele des Autels,
Quand pour les proteger, l’ardeur qui vous anime
En fait l’un le Vangeur, & l’autre la Victime.
Mais que dis-je ? d’orgüeil le Tiran enyvré
Aux traits du Ciel vangeur luy-mesme s’est livré,
Il voit de ses desseins prosperer l’insolence,
e Il semble mesurer les monts dans la balance,
Maistre de l’Ocean, commander à ses flots ;
Mais quand l’homme est puny, le Ciel brise ses fleaux.
Combien d’Usurpateurs redoutez sur la terre
Qu’épargnerent un temps les coups de son tonnerre,
f Au soufle du Seigneur du Trône renversez,
g Comme la poudre en l’air ont esté dispersez ?
Il n’a qu’à laisser choir cette grandeur fragile,
Elle se brisera comme un vase d’argile :
Il frappe le haut cedre avec l’humble roseau,
Et du suprême rang precipite au tombeau.
Princes, quelle fureur vous fait mettre un obstacle
Au Ciel, qui par LOUIS prepare ce miracle ?
Complices d’un Tiran, que ne partagez-vous
La gloire du Heros dont vous estes jaloux ?
Défendez comme luy mes droits avec les vostres,
Aux interests du Ciel immolant tous les autres.
Il eut jadis horreur de voir ses étendarts
A l’envy du Sultan menacer vos ramparts,
Quand du bronze embrazé fumoient les murs de Vienne,
Son cœur fut penetré d’une douleur Chrestienne,
Sa vertu fit tomber les Armes de ses mains,
Il fit taire en son cœur tous sentimens humains,
Et l’Empire panchant aux bords du précipice,
Doit son salut peut-estre à ce grand sacrifice.
h Que l’Aigle par l’effort d’un Roy religieux,
Prenne sur le Croissant un vol victorieux,
LOUIS voit sans allarme accroistre sa Puissance,
Il triomphe avec moy, de l’effroy de Bisance,
Il ne veut plus cüeillir de Lauriers que les miens,
Il laisse le champ libre aux Conquerans Chrestiens,
Ses Escadrons du Rhin desertent les rivages,
Il respecte une main qui vange mes outrages ;
Maistre de son couroux il le sçait étouffer,
Il aime un ennemy qui me fait triompher,
Et met également au dessus de l’envie,
La grandeur de son ame, & l’éclat de sa vie.
 O vous qui l’offensez, Vainqueurs des Othomans,
De leur sang infidelle encore tout fumans,
Ne souillez pas vos mains à qui je dois des Temples.
Suivez de ce Heros les genereux exemples,
Il respectoit en vous les Vangeurs de la Croix ;
N’attaquez pas en luy le Défenseur des Rois.
Que vostre ardeur pour moy soit égale à la sienne,
Il aima vostre gloire attachée à la mienne,
Pour estre comme luy mes veritables Fils,
Aimez ses interests avec les miens unis :
i Contre le Monstre affreux qui vomit les blasphêmes,
Tournez le fer vangeur armé contre vous-mesmes.
Craignez que les horreurs d’un criminel combat,
De vos Lauriers sacrez ne ternissent l’éclat.
Bisance vous ouvroit ses superbes murailles ;
Ses Peuples en fureur déchiroient leurs entrailles ;
Son Empire ébranlé, ses Sultans égorgez,
Sembloient marquer le jour de mes Autels vangez,
Et la Croix sans effort sur ses murs arborée,
Vous presentoit de loin la Palme preparée.
C’est-là que s’il se peut, par des faits inoüis
Vous devez balancer les Exploits de LOUIS.
Quand l’Europe à ses pieds voit tomber l’Heresie,
Purgez d’un culte affreux l’Empire de l’Asie,
Il va vaincre pour moy sur les rives du Rhin,
Plantez mes étendarts sur les bords du Jourdain,
Et d’une égale ardeur armez pour ma querelle,
Ne vous montrez Rivaux qu’en disputant de zele.
 Mais quoy ? vous estes sourds à ma plaintive voix,
Vos Guerriers font gemir la Terre sous leur poids,
l Et l’affreux appareil d’une Ligue barbare
Contre l’Oint du Seigneur par l’enfer se prepare !
Grand Dieu, l’impie espere au nombre de ses chars,
m Il parle avec orgüeil couvert de cent remparts ;
Mais LOUIS appuyé du fer & de la lance,
Dans ton bras tout-puissant a mis son esperance.
n Arme donc ses Gueriers de ton glaive vainqueur,
Fais prosperer en tout ses vœux selon son cœur,
Reçoy du haut du Ciel avec un œil propice,
De ses peuples unis le cœur en sacrifice.
Que pour un Roy si cher, si grand, & si pieux,
o Les holocaustes saints plaisent devant tes yeux.
Entens sur tout la voix des Epouses sacrées,
Au pied de son Palais des pompes separées,
Et les premiers soupirs de ces cœurs innocens,
Qui de leurs vœux pour luy t’offrent le pur encens :
Commande aux Escadrons de tes Anges fidelles
p De défendre son Trône à l’ombre de tes ailes ;
Veille sur le berceau de ce Royal Enfant,
Que tu mets en depost chez ce Roy triomphant.
Instruits ses foibles mains à terrasser l’audace
Du superbe ennemy dont l’orgueil le menace,
Renverse les projets de la rebelion,
q Fais tomber à ses pieds le superbe Lion,
Ouvre devant ses pas tes sentiers salutaires,
Et le porte en tes mains au Trône de ses Peres.
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Palinodie §

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8], p. 54-75.

 

L’ouvrage que vous allez lire est la traduction d’un Poëme Latin composé par un Jesuite, ensuite d’un discours fort éloquent, qu’il avoit prononcé en faveur de la langue Latine contre la Françoise. Cela fait voir que quand on a de l’esprit, on peut soûtenir également le pour & le contre.

PALINODIE.

 Raisonnemens trompeurs, Eloquence funeste,
Vains discours, que je vous deteste !
J’ay voulu lâchement trahir vostre party,
 France, mon aimable Patrie :
J’ay voulu signaler mon aveugle furie,
 Et moy seul je me suis trahy.
Ah, Mere des beaux Arts, pardonne à l’insolence
 D’un Orateur trop vehement.
Viens, langue des Latins, rens à celle de France
L’honneur que tu luy dois si legitimement.
***
 D’où vient que malgré ta vieillesse
 Tu veux te piquer de beauté ?
Sçais-tu que ton éclat qui surprend la jeunesse
 N’a rien qui ne soit emprunté ?
 C’est vainement que l’on s’enteste
Des foibles ornemens que ton adresse apreste,
Tous ces airs concertez, cette fausse candeur,
 Ce fard qu’on voit sur ton visage,
Ces termes affectez qui forment ton langage,
Te font Sibille en âge aussi-bien qu’en laideur.
***
 Voilà ce qui te fit si long-temps Souveraine
Des Romains prévenus en faveur de tes loix ;
 Mais aujourd’huy tu tiens à peine
Un petit coin de terre où tu maintiens tes droits.
Rarement on t’entend dans la bouche des Rois,
Le beau monde te fuit ; tes plus beaux privileges,
 Sont renfermez dans les Colleges.
***
Déterrons des Latins les plus vieux monumens,
 Foüillons dans leurs sombres Archives.
En verrons-nous un seul exempt des invectives,
 Et des censures des Sçavans ?
Ciceron, le premier en butte à la Critique,
Laisse un peu trop voir d’art, dit-on, quand il s’explique,
  Il est diffus en trop d’endroits.
Live qu’on met au rang des Auteurs les plus rares,
Garde de son pays certains termes barbares
 Dont on le raille quelquefois.
 Plaute, cet illustre Comique,
 A-t-il aujourd’huy rien qui pique ?
 Voit-on un Peuple assez badaut
 A qui plust sa bouffonnerie,
 Et sa fade plaisanterie
Ne seroit-elle pas siflée à Guenegaut ?
***
 Terence a tout pillé Ménandre :
Seneque est empoullé ; pour ne le pas entendre
L’Auditeur effrayé se retire à l’écart.
Enfin la Scene antique est sans regle & sans art.
***
 Laissons le Cothurne tragique,
Pour parler du Poëme Epique :
 Virgile a-t-il rien de si beau ?
En parlant de ses Dieux, des Troyens, de son Pere,
 Que ses vers ont-ils de nouveau
Qu’un ennuyeux tissu des dépoüilles d’Homere !
***
 Est-ce d’Ovide l’Amoureux
 Dont on voudra vanter la plume ?
 Que n’a-t-il esté plus soigneux
De remettre ses vers mal polis sur l’enclume ?
Scaliger nous apprend qu’ils en vaudroient bien mieux.
Quand au dessus du vent je vois voler Horace,
Il tombe, dit un autre, & sa chute me glace.
Lucain est trop guindé ; Juvenal est trop dur ;
Evitant d’estre long, Perse devient obscur.
 Le badinage de Tibulle
Ne me charme pas plus que celuy de Catulle,
Dont le vers sautillant, siflant, & mal-formé,
Ressemble à son Moineau dans la cage enfermé.
***
Mais, France, Pepiniere agreable & feconde
 Des plus fameux auteurs du monde,
Nous voyons aujourd’huy que tes heureux Destins
Te mettent au dessus des Grecs & des Latins.
Aristote est vaincu, son traducteur Cassandre
Est plus poly, plus doux, & se fait mieux entendre.
Philipe qui craignit Demostene, & sa voix,
Trembleroit aux Sermons du tonnant Bourdaloüe ;
 Et quand le Divin Flechier loüe,
 C’est bien mieux que Pline autrefois.
***
Jamais Rome au Barreau vit-elle une éloquence
Egale au grand Patru plaidant pour l’innocence,
Et du vainqueur d’Asie en lisant les combats,
N’estime t-on pas moins Curse que Vaugelas ?
Malgré les vers pompeux que Lucain nous étale,
Cesar eust de Brebeuf adoré la Pharsale ;
Tout sçavant qu’il estoit il auroit fait sa Cour,
Pour avoir un cahier chez l’illustre Ablancour.
 Mais Rome enfin se glorifie
D’avoir eu dans son sein la docte Sulpicie :
Elle se vante encor d’avoir donné le jour
 A la sçavante Cornelie :
 Nostre France bien plus polie,
A de charmans objets à vanter à son tour.
 Elle n’a pas pour une Muse ;
 Bregy, Des-Houlieres, la Suze,
Et mille autres Saphos que je ne nomme pas,
Font de nostre Parnasse un lieu rempli d’appas.
***
Qu’on ne nous vante plus le theatre d’Athene,
Dont les Acteurs cruels ensanglantoient la Scene ;
Si dans Sophocle, Ajax meurt de sa propre main,
Et si dans Euripide une mere cruelle
Plonge à ses deux enfans un poignard dans le sein,
Avoüons que chez-nous la methode est plus belle.
Le Cid, Pompée, Horace en seront les témoins ;
 C’est là que le divin Corneille
 Touchant le cœur, charme l’oreille.
Dans Cinna que croiroit-on moins
Qu’un ingrat accablé par les faveurs d’Auguste,
Conspirant contre luy par un retour injuste ?
Il eust fallu dans Rome un spectacle sanglant
Pour punir cette audace extrême
 Mais le pardon tient lieu de sang,
  Auguste oublie, Emilie aime,
  Cinna devient reconnoissant,
Et les vers du Poëte ont un tour se puissant,
 Qu’on croit entendre Auguste méme.
***
Represente-t-on Phedre & toutes ses fureurs ?
 On y plaint le chaste Hyppolite.
Si la veuve d’Hector pleure, Dieux qu’elle excite
De tendres sentimens dans le fond de nos cœurs !
 Racine, ce charmant Genie,
 Tire des soûpirs & des pleurs
Des Peuples attendris au recit des malheurs,
 D’une mourante Iphigenie.
Chacun d’Agamemnon abhorre le dessein,
Voyant le couteau prest d’égorger la victime ;
 Chacun soupire de ce crime,
Et croit sentir le coup qui luy perce le sein.
***
 Las de pleurer si l’on veut rire
 Et dans le même instant s’instruire,
Qu’on aille de Moliere écouter les leçons.
En voyant le Tartuffe & son masque hypocrite,
 On apprendra comme on évite
De tant de faux Devots les trompeurs hameçons.
 Les Marquis, les Facheux, l’Avare,
 Et le Misantrope bizarre,
Les mauvais Medecins, les Femmes, les Maris,
Y verront de leurs mœurs la critique subtile,
 Comme ont fait la Cour & Paris.
Heureux, qui joint ainsi le plaisant à l’utile !
***
 Le piquant Despreaux dans ses excellens Vers
Découvre des humains tous les défauts divers.
L’avarice sordide & la fausse Noblesse.
  Y sont peintes avec adresse.
Là, l’heureux Partisan, l’habile Financier,
Nous montrent que le Chiffre est le plus seur mestier.
Là, qui veut au Sermon estre assis à son aise,
A l’Avé trouve une fort bonne chaise,
Dans les lieux où Cotin par ses tons gracieux
Fait descendre du Ciel des pavots sur les yeux.
Là, d’un mauvais Rimeur la trop fluide verve,
Veut prodiguer ses Vers en dépit de Minerve,
Et pour peu que soy-mesme on se connoisse bien,
Lisant le nom d’un autre on peut lire le sien.
Heureux enfin, heureux, qui pour devenir sage,
En voyant ces Portraits peut y voir son image !
***
 Mais si le Lecteur aime mieux
Un Ouvrage qui soit comique & serieux ;
Voiture est inventeur de ce genre d’écrire,
Qu’on ne peut imiter & que chacun admire
 La Langue Françoise a tenté
 Tout ce qu’a fait l’Antiquité ;
Le Bossu Phrygien d’une facile veine,
 A fait parler les Animaux,
 Ses discours fabuleux sont beaux ;
Mais on donne la Palme à ceux de la Fontaine.
***
  Quoy que je lise tous les jours
Les entretiens & d’Ariste & d’Eugene,
Je voy je ne sçay quoy dans leurs charmans discours
 Dont le tour m’enchante toûjours ;
Les Graces s’unissant aux Filles d’Hypocrene,
  Y font l’éloge de Bouhours
***
En cela nostre Langue étale son empire.
Par longue periphrase un Latin sçait écrire ;
L’Espagnol trop enflé, l’Italien trop doux
Sans le secours de l’Art ne pourront jamais dire
Ce que le naturel exprimera chez nous.
***
 Nous sçavons bien que le langage
 Dont nous nous servons aujourd’huy
Fut pendant certains temps un marbre mal poly,
 Et brut, on ne peut davantage.
 Nostre France eut besoin alors
De ces Hommes fameux & de tous leurs efforts,
 Pour polir un si grand Ouvrage.
  Malherbe d’abord l’ébaucha,
  L’inutile il en retrancha :
Balzac la lime en main vint & se fit connoistre,
  Il radoucit, il retoucha,
  Ses coups furent des coups de Maistre,
  De ces deux Ouvriers charmans
Nostre Langue receut ses premiers ornemens.
***
 La politesse alors par la Pourpre affermie
 Du grand Armand suivit les loix.
 Ce fut luy qui fit le beau choix
 Dont il forma l’Academie.
 Cette Academie au Berceau,
 Semblable au valeureux Alcide,
Etouffoit tous les jours quelque Monstre nouveau
  Dont l’ignorance estoit le guide.
  Arbitre déja des écrits,
  Les sentimens des beaux Esprits
  Estoient soûmis à sa puissance.
  Sa force accruë avec le temps
Sans peine produisit dans son adolescence
  Un nombre infiny de Sçavans.
Nous la voyons enfin au comble de son âge,
 Et dans ce comble fortuné
Qu’adora sous Platon l’Univers étonné,
Dans ces fameux Jardins & dans l’Areopage.
L’Eloquence, les Vers, les Langues, les beaux Arts,
Les travaux de Minerve & les exploits de Mars,
Sont les heureux emplois que les Muses luy donnent :
LOUIS son Apollon, l’illumine toûjours,
Son auguste presence anime ses discours,
Son exemple l’instruit, ses bien-faits la couronnent.
***
 Animez vos cœurs & vos voix,
Vous, Homeres nouveaux, & vous Curses sublimes :
Employez l’Eloquence, & les plus douces rimes,
 Pour parler du plus grand des Rois.
 Annoncez par tout ses Victoires,
Eternisez son nom dans vos doctes memoires.
Là, plus que sur l’airain dureront ses exploits.
 Ouy, grand Roy, ces sçavans Oracles
Aux siecles à venir apprendront tes miracles.
Ils te peindront tonnant sur le Rhin, sur l’Issel ;
Vainqueur sur l’Escaut, sur la Meuse ;
Et triomphant tout seul d’une ligue fameuse
Qui t’acquit à jamais un honneur immortel.
On verra par ton bras les places foudroyées,
Faire voler bien loin les Aigles effrayées :
 On verra les Lions soûmis
Implorer à tes pieds ton auguste clemence ;
Enfin l’on te verra dans le cœur de la France,
Renverser par ta foy de plus fiers Ennemis.
L’Indien étonné du bruit de ces merveilles,
 En croit à peine ses oreilles :
 Il part en superbe appareil,
Quitte ses Dieux brillans, le Soleil, & l’Aurore ;
 Il vient, il te voit, il t’adore,
 Surpris en toy de voir encore
Un éclat plus brillant que celuy du Soleil.
***
 Mais, GRAND ROY, ma Muse s’égare,
 Et pensant au destin d’Icare,
Son aisle foible encor pour traverser les Mers,
Vele à fleur d’eau, tremblante, & refuse des vers.
Tant d’exploits à chanter sont de douces amorces ;
Mais c’est une entreprise au dessus de ses forces ;
Et quoy qu’elle ait long-temps suivi tes étendards,
Ses chants les plus hardis sont peu dignes de Mars.
Retirée, à l’écart, au coin d’une Province,
Elle adore en secret les vertus de son Prince,
Fait mille vœux pour luy, veut chanter ses vertus
Prend la Plume, la quitte, & ne peut rien de plus.

Les Soupirs d’Olimpe mourante §

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8], p. 107-115.

 

Les morts causées par des maladies facheuses ne surprennent point ; comme on en connoist la cause, elles passent pour le tribut ordinaire que l’on rend à la nature, mais on ne croit point qu’on puisse mourir d’amour, & toutes les Peintures d’Amans prests à expirer, sont regardées comme des exagerations qui n’ont lieu que chez les Poëtes. Cependant on asseure que depuis fort peu de temps une jeune Demoiselle d’Aix en Provence n’a pû resister à la perte d’un Amant, pour qui elle avoit conçeu la plus forte passion. Le Pere du Cavalier qui ne trouvoit pas que la Demoiselle eust assez de bien, ne voulut point entendre parler du mariage. Cet obstacle qu’il fut impossible de surmonter, ne toucha pas moins l’Amant que l’Amante. Il fut surpris d’une dangereuse maladie, & lors qu’il eut recouvré assez de forces pour supporter la fatigue d’un voyage, on l’obligea de partir sans voir sa Maistresse. Il vint à Paris, & la Demoiselle qui s’en vit abandonnée, ressentit si vivement ce cruel oubly, qu’elle tomba dans une langueur, dont elle est morte quelques mois aprés. C’est sur cette mort que Mr Calvy, Avocat au Parlement de Provence, Auteur du Comte du faux Noble, & d’autres Ouvrages que je vous ay envoyez, a fait les Vers que vous allez lire.

LES SOUPIRS
d’Olimpe mourante.

  Voicy ma fatale journée,
 Cruel Daphnis, Daphnis, écoute-moy ;
D’un amour trop constant victime infortunée,
  Je meurs en soupirant pour toy ;
Mais je ne pretens pas qu’un éternel silence
Cache ton injustice, & mes justes regrets ;
Je veux te découvrir tous les maux que m’a faits
  Ta criminelle indifference.
***
 Oublions ce malheureux temps
Où sans cesse exposée à tes soupirs ardens,
Je te livrois un cœur trop facile à se rendre.
 Tu me jurois des feux constans,
Et tu me les jurois d’un air touchant & tendre,
 Ce cœur pouvoit-il s’en défendre ?
Mais si ta passion devoit s’éteindre un jour,
Pourquoy me forçois-tu de prendre tant d’amour ?
***
Ah ! quand tu me jurois une flâme éternelle,
Je croyois tes sermens, & tu n’y pensois pas ;
 Car enfin quelle loy cruelle,
T’oblige en me quittant à causer mon trépas ?
 C’est toy qui m’arraches la vie,
Avide faim de l’or, detestable manie,
 Ebloüy de tes faux appas
 C’est à toy qu’il me sacrifie.
***
Mais que dis-je, Daphnis ? Non, je connois ta foy.
Excuse les fureurs d’une Amante éperduë.
 J’ay vû ton ame combatuë
Balancer plus d’un an entre ton Pere & moy.
  Rebelle aux loix de la Nature,
Tu ne reconnoissois que celles de l’Amour.
Quels assauts ton esprit soutenoit chaque jour !
Rien ne pouvoit détruire une flâme si pure.
***
Aprés tant de combats, accablé de langueur,
Tu fus presque expirant. Helas ! quelle douleur !
 Quel desespoir pour une ame amoureuse !
La mort dans cet instant me paroissoit affreuse,
Et quand je meurs pour toy, je la vois sans frayeur.
***
Tu revins à la vie, & tu m’aimois encore.
 Tu m’aimois ? Ah ! qu’on aime peu
Quand on a le pouvoir de fuir qui nous adore !
  Tu fuis pour éteindre ton feu ;
  Et moy, trop malheureuse Amante,
Je sens, plus tu me fuis, que mon amour s’augmente.
***
Tout aigrit les tourmens que tu me fais souffrir,
Et toy, peut-estre atteint d’une flâme nouvelle,
 Tu ris de ma douleur mortelle.
Paris te voit content lors qu’Aix me voit mourir.
***
 Daphnis, pourrois-je bien le croire ?
 Voudrois-tu combler mes malheurs ?
 Non, non, ma déplorable histoire
 Te fera répandre des pleurs.
***
 Ah ! diras-tu, tant de constance
 Meritoit un sort plus heureux.
L’Hymen à tant d’amour devoit joindre ses nœuds,
C’est toy qui m’as perdu, paternelle puissance.
Par un ordre fatal ta barbare rigueur,
M’ostant ce que j’aimois me déchire le cœur.
***
Cet espoir est pour moy le seul bien qui me reste ;
 Si tu pleures mon triste sort,
 Je mourray contente, & la mort
 N’aura pour moy rien de funeste.
***
 Déja des nuages épais
Troublent mes sens, & l’air que je respire.
 Adieu, Daphnis, adieu ; j’expire
 Plus amoureuse que jamais.
***
 Ainsi mourut cette Fille adorable,
Dans ce siecle pervers exemple memorable.
Daphnis sceut la toucher ; depuis ce triste jour,
 Malgré sa lâche perfidie,
 Elle l’aima plus que sa vie,
Et son dernier soupir fut un soupir d’amour.

L’Ombre d’Olimpe §

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8], p. 116-120.

 

Le chagrin où la Demoiselle estoit tombée par la perfidie de son Amant, l’ayant portée à ne plus songer qu’à Dieu, le mesme Auteur a voulu luy rendre justice sur ce sentiment par ces autres Vers.

L’OMBRE D’OLIMPE.

 Quel Fantôme odieux vient me faire la guerre,
Et troubler mon repos dans le sein de la Terre ?
A peine ay-je perdu la lumiere du jour
Qu’on arme contre moy les fureurs de l’Amour.
On dit qu’en ce tombeau luy seul m’a fait descendre,
Par là de vains Rimeurs deshonorent ma cendre,
Des foiblesses d’amour Partisans criminels,
Ils me font expirer aux pieds de ses Autels.
Mais je ne les crains point ; malgré leur injustice,
J’ay vaincu ses appas, je vaincray sa malice.
La simple verité sortant de mon tombeau
Va faire de ma vie un fidelle tableau.
 Oüy, j’écoûtay Daphnis, j’approuvay sa tendresse,
Esclave de l’Amour j’eus la mesme foiblesse :
Mais éprise bien-tost d’une celeste ardeur,
On me vit expier les soûpirs de mon cœur.
Je vis partir Daphnis ; son heureuse inconstance
Ramena ma raison & mon indifference.
Heureux le jour, Daphnis, où tu quitas ce lieu :
La perte d’un Amant me fit trouver mon Dieu.
Sous ce Maistre Divin maistresse de moy-mesme,
Je vis couler mes jours dans un bonheur suprême.
Ah ! que j’eus de regret à ce temps malheureux,
Où l’amour d’un Mortel fut maistre de mes vœux !
Pour effacer les traits de mon ardeur premiere,
A ma nouvelle ardeur je me livrois entiere,
Je méprisois le monde, & fuyois ses faux biens.
C’est vous que je cherchois, delices des Chrestiens,
Eternelle beauté que j’ay tant desirée,
Par vous de sa prison mon ame délivrée,
N’admirant dans le Ciel que vostre éclat divin,
Va joüir d’un bonheur qui n’aura point de fin.
 Voilà de mon trépas la cause glorieuse.
Respectez mon tombeau, vous, dont l’ame envieuse
M’impute des transports inconnus à mon cœur,
Et répand sur mes os sa maligne fureur.
Mais que dis-je ? vos Vers ne blessent point ma gloire,
Contre eux mes derniers jours assurent ma memoire,
Et de peur que ce bruit n’impose à l’Univers,
Qu’on entende par tout retentir ces deux vers.
Tous les feux de l’amour me paroissoient un crime :
Je meurs son ennemie, & non pas sa victime.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8], p. 120-122.

Les saisons passent, mais le temps des belles choses ne passe point, & l'Air que je vous envoye, quoy que fait sur le Printemps, ne peut manquer de vous plaire, puis qu'il est de la composition du fameux Mr Lambert. Ce nom vous dit tout. Les paroles sont du temps, & plus d'une personne a sujet de les chanter.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Tout brillant des beautez de Flore, doit regarder la page 121.
Tout brillant des beautez de Flore,
Printemps, vous n'avez point d'appas,
Vous pressez le départ du Heros que j'adore,
Vous estes la saison des plus affreux Combats ;
Mais si vous me livrez à des peines mortelles
Durant le cours de ses travaux guerriers,
L'Hyver me le rendra plus couvert de Lauriers,
Que vous n'avez de fleurs nouvelles.
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[Prix remporté au Jeux Floraux de Thoulouse] §

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8], p. 172-182.

 

Je vous parlay il y a deux ans de Mr de Cironis de Beaufort, qui, quoy que fort jeune, avoit remporté le premier Prix dans l’Academie des Jeux Floraux de Toulouse. Je vous en ay marqué l’Institution dans quelques-unes de mes Lettres, & vous ay entretenuë de tout ce qui la regarde. Il a remporté cette année le Prix de la Violette qui est le second. On peut dire qu’il a un genie extraordinaire & qu’il est rare qu’une personne si peu avancée en âge possede si parfaitement les belles Lettres. Vous vous souvenez sans doute que je vous appris en 1687. qu’il est petit-fils du celebre Mr de Cironis, President au Mortier du Parlement de Toulouse. Comme il y a toûjours un Sonnet à faire pour l’essay, voicy celuy qu’il fit sur ce Vers.

Les Méchans apprendront à vous estre fidelles.

AU ROY.

Grand Monarque, vostre ame en vertus si feconde
Vient d’immortaliser la splendeur de vos Lys,
De vos pieux desseins la sagesse profonde
Rend nostre joye entiere, & nos vœux accomplis.
***
 On vous aime, on vous craint sur la Terre & sur l’Onde,
Par tout fume l’encens des Autels rétablis,
Et de tant de vertus, les delices du Monde,
Nos Marbres sont ornez & nos Vers embellis.
***
 Si Liege a bien osé rompre l’intelligence
De ses Etats unis avec ceux de la France,
Sans respecter les Loix qu’impose un grand Vainqueur ;
***
 Vous sçaurez châtier ses Habitans rebelles ;
Par l’exemple fameux de leur propre malheur,
Les Méchans apprendront à vous estre fidelles.

Le Chant Royal qui luy a fait meriter le prix de la Violette, estoit celuy que vous allez lire.

HESIONE,
CHANT ROYAL.

Entre tous les HEROS, dont le ferme courage
Rend leur nom memorable à la posterité,
L’Illustre Fils d’Alcmene a sur eux l’avantage
D’avoir le premier rang dans l’immortalité.
Busiris, Gerion, le Monstre d’Erimanthe,
Un Lion furieux, une Hidre renaissante,
Accablez sous le poids de sa mâle vigueur,
Sont d’illustres témoins de sa haute valeur.
De tant de beaux exploits, dont le seul nombre étonne,
Je chante seulement dans ma noble chaleur,
Le Heros qui s’oppose aux malheurs d’Hesione.
***
 Ilion alloit estre un triste Marécage,
Neptune ravageoit cette illustre Cité,
Et les Troyens estoient un vivant témoignage
De ce que peut un Dieu justement irrité.
Contre Laomedon sa colere constante
Luy faisoit exercer tous les maux qu’elle invente,
Il remplit la Troade, & de sang & d’horreur ;
On voit de toutes parts tomber sous sa rigueur,
Des Morts & des Mourans que la Parque moissonne ;
Heureux, s’ils avoient eu dans ce pressant malheur
Le Heros qui s’oppose aux malheurs d’Hesione.
***
 De tant d’Infortunez le funeste carnage
N’avoit pas assouvy toute sa cruauté ;
Ce n’estoit pas assez pour appaiser sa rage,
Un Monstre formidable est contre eux suscité.
Ses griffes, & les dens de sa gueule écumante
Leur font encor sentir sa faim trop violente,
De sa ferocité l’insatiable ardeur
Séme de toutes parts la mort, ou la terreur ;
Ce Monstre redouté ne respecte personne,
Le Ciel se reservoit pour punir sa fureur
Le Heros qui s’oppose aux malheurs d’Hesione.
***
 Pour se mettre à l’abry d’un si funeste orage
Que feront les Troyens ! l’Oracle consulté,
Leur apprend qu’Hesione exposée au rivage,
Seule peut adoucir cette Divinité ;
Qu’un Monstre dans l’excés de sa rage sanglante
S’appreste à devorer cette Fille innocente.
Les Troyens, à ces mots, voyant avec douleur
Qu’il leur faut immoler, ou sa vie ou la leur,
Sont forcez d’accomplir ce que l’Oracle ordonne ;
Mais on voit aussi-tost combattre en leur faveur
Le Heros qui s’oppose aux malheurs d’Hesione.
***
 C’est trop peu qu’aux hazards où la terre l’engage
Alcide ait signalé son intrepidité ;
L’Onde encor à son tour avec elle partage
La gloire d’exercer sa generosité.
C’estoit pour ce Heros la Victoire importante,
Qui devoit couronner sa valeur triomphante ;
Aprés ce grand Exploit, cet illustre vainqueur,
Redonne un nouveau lustre à sa haute splendeur.
Du bruit de ses hauts faits tout l’Univers resonne,
Ilion reconnoist pour son Liberateur
Le Heros qui s’oppose aux malheurs d’Hesione.

Allegorie §

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8], p. 181-182.

 

ALLEGORIE.

LOUIS est des vertus une source abondante,
Son extrême bonté, son humeur bien-faisante,
D’un Prince fugitif le font le Protecteur.
Sur l’Anglois revolté signalant son grand cœur,
Il va rendre à leur Roy le Sceptre & la Couronne.
Nous pouvons appliquer à sa sainte ferveur
Le Heros qui s’oppose aux malheurs d’Hesione.

Dialogue Allegorique de Jupiter & de Mercure sur les Affaires du Temps §

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8], p. 182-202.

 

Les matieres du temps sont si amples & si belles, qu’elles donnent à chacun de quoy s’exercer selon son genie. Mr de la Tronche de Roüen, Auteur du Dialogue qui suit, les a traitées d’une maniere qui vous plaira d’autant plus que l’Allegorie qu’il y fait regner, nous represente fort ingenieusement les Ligues qui se sont formées contre le Roy depuis quelque temps, & qui ont produit la Guerre que nous voyons allumée dans toute l’Europe.

DIALOGUE
ALLEGORIQUE
De Jupiter & de Mercure
sur les Affaires du Temps.

Il y a quelque temps que Jupiter a ne pouvant plus retenir la jalousie que luy cause le grand éclat du Soleil, b appella Mercure, c & luy commanda d’aller dans toutes les Cours des Planetes, pour leur remontrer qu’ils n’avoient pas moins d’interest que luy, d’empescher que ce bel Astre n’effaçast par son brillant la clarté dont elles estoient environnées. Mets en usage toute ton éloquence, luy dit-il, pour les obliger d’entrer contre luy dans une Ligue offensive & défensive ; mais afin qu’elles puissent toutes ensemble mieux reussir dans ce que je t’ordonne de leur proposer, souviens-toy qu’il faut tenir la negociation secrete, & agir auprés de chacune avec beaucoup de prudence. Va d’abord trouver Saturne. d Comme il est le plus élevé en dignité, il aura plus de pouvoir qu’aucun autre pour les faire entrer de concert dans une Affaire si delicate. Tu iras ensuite parler à e Venus. Ses charmes pourront aisément attirer Mars f dans nostre party, & quand tu te seras asseuré de l’un & de l’autre, tu passeras au Ciel de la Lune, g pour l’obliger par son opposition de causer au Soleil quelque grande Eclipse, qui luy fasse perdre l’estime que toute la terre a pour luy, au préjudice des autres Planetes, ce qu’elles ne peuvent souffrir sans se rendre indignes de leur sublime grandeur. La commission dont vous m’honorez m’est fort glorieuse, répondit Mercure avec un air de Planete subalterne, mais s’il m’estoit permis de parler sans perdre le respect que je vous dois, je vous dirois que vous pourriez vous tromper dans vos mesures ; car comment pretendez-vous que j’aille dans toute l’étenduë des Cieux faire gendarmer toutes les Planetes contre le Soleil sans qu’il en ait connoissance, luy qui est si clair-voyant qu’il n’y a rien qui échape à ses rayons, jusqu’à penetrer le plus profond des Abysmes ? J’apprehende mesme qu’à l’heure qu’il est, il ne nous découvre ensemble, & qu’il ne devine le secret que vous voulez bien me confier, & j’ay d’autant plus sujet de le craindre, que je ne suis pas trop bien avec luy. Vous le sçavez, & vous n’ignorez pas qu’ayant besoin d’un Arbitre, nous avons luy & moy nommé Saturne, que j’aurois pû exempter de cette peine en accordant au Soleil ce qu’il me demandoit avec justice ; mais si je ne l’ay pas fait, ce n’a esté que pour mieux entrer dans vos interests. Presentement selon le train que doivent prendre les choses, je croy que Saturne aura de la peine à se declarer pour vous, parce qu’estant établi par le souverain Destin pour Moderateur de toutes les contestations & de tous les démeslez qui peuvent s’émouvoir parmy les Planetes, soit pour l’honneur de la preséance, ou pour quelque interest particulier, il ne doit point en qualité de Mediateur proteger les uns plûtost que les autres, s’il veut couper pied à de cruelles Guerres, dont le Ciel & la Terre ressentiroient de terribles secousses, qui peut-estre obligeroient le Destin d’en rendre Saturne responsable.

Cela est vray, dit Jupiter, mais sçais-tu bien, puis qu’il faut enfin te découvrir tout mon cœur, que lors qu’on est aussi tourmenté de jalousie que je le suis, la raison n’est pas ce que l’on écoute. ? Je ne te le cache point. J’aimerois mieux essuyer tous les malheurs de la Guerre, que d’entendre plus long-temps la Renommée, qui semble n’avoir point assez de bouches pour publier le merite du Soleil. A quelque prix que ce soit, j’en veux affoiblir l’éclat. J’en viendray à bout par le secours des Planetes. Elles prendront toutes mon party lors qu’elles verront Saturne dans mes interests. Je n’oublie rien pour l’y attirer. C’est pour cela que j’ay dans sa Cour deux Etoiles h à mes gages. Ces deux Etoiles peuvent tout sur son esprit, & luy feront prendre en ma faveur tous les sentimens qu’elles voudront. J’ay à te dire de plus que l’Etoile i du Nord s’est entierement dévoüée à moy, avec quantité d’autres Etoiles k qui grossiront mon party pour faire toutes ensembles une notable diversion, par tout où elle pourra m’estre avantageuse. Ainsi prepare toy à partir ; je vais donner ordre à tes Lettres de creance.

Ne faites rien, s’il vous plaist, repartit Mercure, que vous n’ayez bien examiné la situation où sont presentement les autres Planetes. Il n’y a pas d’apparence que la Lune veüille se broüiller tout de nouveau avec le Soleil. Elle sçait trop ce qu’il luy en a coûté pour avoir pris avec vous la querelle de Venus. Si la passion qui vous aveugle ne vous permet pas de vous en ressouvenir, vostre Aigle qui a perdu plusieurs plumes d’un costé vous en pourra rafraichir la memoire. C’est pourquoy j’ay beaucoup de peine à croire que la Lune pour contenter vostre jalousie, donne sottement teste baissée dans l’entreprise que vous voulez faire. Elle craindra de recevoir avec vous pour une seconde fois le déplaisir de se voir forcée à faire une paix honteuse. Quoy qu’elle fasse par son opposition pour obscurcir la lumiere du Soleil, elle ne le peut faire tout au plus que pour deux ou trois heures, au lieu que ce bel Astre peut l’éclipser pendant toutes les nuits de son regne, en attirant quantité de vapeurs & d’exhalaisons qui cacheroient entierement sa lumiere aussi-bien que celle des Etoiles dont vous esperez l’appuy, & qui ne sont peut-estre pas à se repentir de s’estre engagées à seconder vos projets, dont elles n’esperent pas une bonne issuë. Pour ce qui est de Venus, il me semble que vous ne devez pas faire un grand fond sur elle ; car tenant de la Mer qui est le lieu de son origine, elle est fort sujette au changement. Ainsi vous ne devez pas vous y fier. Toute Femme qui se soustrait de l’autorité de son Epoux & qui ne luy est pas fidelle, peut manquer de foy à d’autres. Elle est comme ces Coquettes qui ne se donnent que pour un temps, selon que la passion ou l’interest les y porte. C’est ce qu’elle a bien fait voir en admettant Mars dans son sein, afin de s’en servir contre les attaques de ceux qu’elle a trompez ; mais elle commence à s’en lasser. On le voit par sa conduite, puis qu’apprehendant qu’il ne prist chez elle un pouvoir de Maistre, elle a si bien fait par ses persuasions, qu’il est allé dans une autre l Plage, dont elle luy a fait croire que la Conqueste luy seroit facile, non pas tant par son courage que par les ruses & les trahisons qu’elle luy a inspirées. Quand vous aurez pesé toutes ces raisons, vous trouverez peut-estre à propos de ne pas aller si viste, & laisserez en paix le Soleil qui n’a pas voulu vous troubler quand vous estiez en guerre contre une Comette m Cornuë, afin de faire voir à Saturne ainsi qu’aux autres Planetes, qu’il sçait donner des bornes à son courage quand la justice le demande ; car sans cela vous eussiez esté encore une fois contraint d’abandonner honteusement le plus beau lieu de vostre n Domaine. Faites-y reflexion. S’il n’eust pas esté assez genereux pour vous épargner en ce temps-là, c’estoit fait de vous & de toutes vos Etoiles, & peut-estre aussi de moy. Comme nous avons payé cette moderation d’ingratitude, il y a sujet de craindre que tost ou tard nous n’en soyons justement punis. Tais-toy, interrompit Jupiter d’un ton altier. Tes raisonnemens ne sont tirez que d’une politique craintive, & de si lâches précautions ne sçauroient abbattre un cœur aussi intrepide que le mien. L’entreprise est resoluë, & je veux estre obey. Vous le serez, repartit Mercure. Puis que vous me l’ordonnez d’autorité absoluë, je vous feray voir que ce n’est point une politique craintive qui m’a obligé de parler comme j’ay fait ; mais plûtost une politique prudente, dont on ne peut s’écarter sans risquer tout. Je connois bien ce que je hazarde, & que j’ay tout lieu de craindre, qu’en me rencontrant dans le cours de vos intrigues, le Soleil ne me brusle les aisles que j’ay à la teste & aux pieds, & peut-estre mesme qu’il ne me consume tout à fait, quoy que cela ne soit pas dans les Propheties de certains Mortels qui pretendent penetrer dans l’avenir, & qui veulent faire croire aux autres ce que vous ne sçavez pas vous-mesme, tout éclairé que vous estes. Si je ne me trompe, continua-t-il, il me semble que je voy déja de loin une Etoile o errante qui sort du Soleil, & dont la clarté extraordinaire, en se ressentant du lieu de sa naissance, ne me fait rien augurer de bon. Au contraire elle me fait craindre que vostre mine ne soit éventée par la penetration des rayons de vostre Ennemy. La rapidité avec laquelle cette Etoile s’avance vers la Voye Lactée p est d’un fort mauvais presage, & j’ay d’autant plus d’inquietude que je croy voir aussi plusieurs Tourbillons q impetueux qui la precedent, pour exciter quelque orage dans l’endroit où va cette Etoile, qui toute errante qu’elle est, se sçaura bien fixer malgré vous & malgré moy en tel lieu qu’elle voudra.

Je ne sçay ce que tu vois, dit Jupiter, mais je sçay bien ce que je vois quand je te regarde. Je vois un Visionnaire que la peur remplit de faux objets. Il faut en effet qu’elle te préoccupe terriblement pour te reduire aux alarmes, à l’aspect d’un petit Meteore qui n’est qu’une vapeur enflâmée, & qui ne laisse pas neanmoins de te tenir lieu d’une Etoile errante. Petit Meteore tant qu’il vous plaira, répartit Mercure, nous en verrons les effets. Ils pourront causer de grands desordres dent vous serez cause encore plus que moy, puis que vous m’aurez forcé de vous obeïr. Donnez ordre à tout, je n’ay plus rien à vous dire.

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[Ce qui s'est passé à Saint Victor lors que la Reyne d'Angleterre a esté en cette Abbaye] §

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8], p. 202-204, 211-213.

 

La Reine d'Angleterre qui ne fait aucun voyage à Paris que par des motifs de pieté, s'y rendit le 29. du mois passé, pour assister au Salut dans le Monastere des Dames Chanoinesses regulieres Angloises, qui s'y faisoit pour la conclusion des Prieres de quarante heures, que ces Dames avoient faites, pour demander à Dieu la conservation de la personne sacrée du Roy, & de leurs Majestez Britanniques, & pour l'heureux succés de leurs armes. Cette Princesse qui sçavoit que Loüis VII. avoit eu autrefois la generosité de donner un asile en France à Saint Thomas, Archevesque de Cantorbery, Chancelier & Primat d'Angleterre, lors qu'il se refugia en ce Royaume, ayant appris que ce saint Prelat, pendant le sejour qu'il y avoit fait, avoit choisi sa demeure parmy les Chanoines reguliers de l'Abbaye de Saint Victor, & que dans une Chapelle dédiée à son honneur on conservoit le Cilice dont il estoit revestu lors qu'il fut assassiné, eut la devotion d'y venir faire sa priere. Sa Majesté fut receuë à la porte de l'Eglise par le Chapitre des Chanoines reguliers de cette Abbaye, ayant à leur teste Mr de Bourges qui en est Prieur. [...]

 

La Reine ayant remercié ce Prieur avec son honnesté ordinaire, fut conduite au bruit des cloches & au son de l'orgue à un Prie-Dieu qui luy avoit esté preparé au milieu du Chœur, tendu ainsi que la Nef de riches Tapisseries. Sa Majesté, aprés avoir fait sa Priere pendant le Te Deum que les Chanoines chanterent, vit le Cilice de Saint Thomas de Cantorbery, & plusieurs autres Reliques ; aprés quoy elle passa dans la Chapelle dédiée à ce Saint & en celle de la Vierge. De là elle fut conduite dans la fameuse Bibliotheque de cette Abbaye, si celebre par le nombre & par l'antiquité de ses Manuscrits ; puis elle passa par les Jardins sur une terrasse, où sous une arcade fort richement tapissée, on luy servit une collation tres-propre. [...]

A la Reine d’Angleterre §

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8], p. 222-227.

 

Voicy des Vers de Mr Diereville sur l’honneur que receurent Mrs de S. Victor, par la Visite de la Reine d’Angleterre. Vous les devez regarder selon la situation où se trouvoient les affaires lors que l’Auteur les a faits. Comme elles peuvent changer d’un moment à l’autre, vous ne luy devez rien imputer si dans le temps que vous les lirez il s’y trouve quelque chose qui ne soit pas juste.

A LA REINE
d’Angleterre.

Lors que vous visitez cette illustre Maison,
 Qui porte le glorieux nom
Du Saint qui renversa de son pied les Idoles,
 Que ne voyez-vous dans nos cœurs
Les doux ravissemens qu’y causent tels honneurs !
Pour les bien exprimer il n’est point de paroles.
 Aux pieds de ces sacrez Autels,
 Où la Pieté vous amene,
 Ne nous croyez pas, grande Reine,
Moins sensibles pour vous à vos destins cruels.
Ce sont les sentimens qu’un grand merite inspire.
Sur ces rares vertus que dans vous on admire,
Avec tant de douceur & tant de majesté,
Par un charme puissant l’esprit est arresté.
 Ce Peuple qui vous environne,
 Est pourtant moins attiré dans ce lieu,
Par le desir de voir vostre auguste Personne,
 Que pour y demander à Dieu
 Qu’il vous rende cette Couronne
Que ravit à son Oncle un indigne Neveu.
 Sous cette precieuse pierre,
 Où sacrifioit saint Thomas,
Qui, comme vous, contraint de quitter l’Angleterre,
Vint chercher un azile en ces heureux Climats,
 Il me semble entendre son Ombre,
 Comme dans un Monument sombre,
Prier le Dieu vivant d’exaucer tous nos vœux.
 Ses décrets sont impenetrables,
Quand il tarde long-temps à punir les coupables,
C’est pour leur preparer des tourmens plus affreux.
 Du fier Tiran qui vous opprime,
 Tel sera le funeste sort ;
Il tombera du Trône où l’a placé le crime
 Lors qu’il s’y croira le plus fort.
 De ses pareils c’est la chute ordinaire ;
Sur ce Trône le Ciel luy permet de monter,
 Pour faire voir ce temeraire
 De plus haut se precipiter.
 Vous le verrez, grande Princesse,
 Ne cessez point de l’esperer ;
 Quand LOUIS pour vous s’interesse
 Vous pouvez vous en asseurer.
 Pour mettre le comble à sa gloire,
Le Ciel luy reservoit cette grande Victoire.
 C’est le Constantin de nos jours,
 Dont il se sert pour sa vangeance ;
Il ne peut d’un Tiran souffrir la violence,
Et de ses attentats il va rompre le cours.
 Ce grand deffenseur de l’Eglise,
 Fameux par tant d’exploits divers,
 Pour une si belle entreprise
 De ses Vaisseaux couvre les Mers ;
 Nous le verrons sur la Tamise
Seconder vostre Epoux & mettre dans les fers
 L’Ennemy qui vous tirannise.
 Que le Dieu qui soûtient son bras,
 Anime toûjours son courage,
Et qu’il puisse bien-tost couronner son ouvrage,
 En vous rendant vos trois Etats.

[Tragedie representée au College de Louis le Grand avec le Balet du Secret] §

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8], p. 227-237.

 

Comme les Jesuites se distinguent dans tout ce qu'ils font, il y a toujours plaisir à entendre parler de ce qui les regarde, & je ne doute point que vous n'en trouviez à apprendre le sujet du Balet, qui a servi d'entre-Actes à la Tragedie qu'on a representée cette année dans leur College de Loüis le Grand. Le soin qu'ils se donnent tous les ans pour ce divertissement, ne sçauroit qu'estre utile au Public, puis qu'il sert à former la Jeunesse pour la Chaire, & pour le Barreau, & à luy faire prendre des manieres aisées, sans lesquelles rien n'est fait de bonne grace. La Tragedie qu'ils ont fait representer par leurs Ecoliers le 17. de ce mois, estoit intitulée Polimestor, & comme on en faisoit rouler le nœud sur un secret qui empêchoit ce Roy de distinguer son Fils d'avec son Ennemy, le Balet qui servoit d'entre-Actes à cette Piece, avoit esté fait sur le secret. Il ne faut pas s'étonner si ce choix parut heureux & judicieux. Quand des Sujets qui doivent estre unis ensemble ont tant de rapport, le divertissement ne sçauroit manquer de plaire. Je ne vous parleray point de la Tragedie, & vous diray seulement que le Balet estoit divisé en quatre parties. Dabord la Nuit accompagnée des Ombres donnoit la naissance à Sigalion, Dieu du Silence, qui represente le secret, & il estoit mis entre les mains des Sybilles, pour estre nourri par des Fées, avec ordre de ne le faire voir à personne. Des Curieux, des Chymistes soufleurs & des Sorciers venoient les uns après les autres pour tâcher de luy parler ; mais les premiers n'obtenoient que des feüilles que leur jettoient les Sybilles, & dans lesquelles ils cherchoient inutilement ce qu'ils avoient envie de sçavoir. Les seconds vouloient corrompre ses Gardes en leur promettant de l'or, & ne remportoient que de la fumée, & les derniers qui croyoient le découvrir en employant leurs Ceremonies Magiques, estoient effrayez par des Lutins qui les obligeoient à prendre la fuite. Ensuite la Renommée ennemie du Secret, venoit declarer la guerre à Sigalion au son des Tambours & des Trompettes ; & aussi-tost on voyoit paroistre les Ecrivains, Gazetiers, & Colporteurs, qui s'enroloient sous ses étendards. Bacchus qui hait mortellement le Secret, amenoit une bande d'Ivrognes pour combatre Sigalion. Les Enfans, à qui l'indiscretion est naturelle, se mettoient de la partie, & Momus & les Foux qui vouloient aussi en estre, paroissoient accompagnez d'une recruë de Bohemiens, qui se vantoient de venir à bout de penetrer les avantures les plus secretes. Sigalion se voyant ainsi attaqué de toutes parts, se prepara à la défense, aprés avoir assemblé son Conseil, composé d'Areopagites & de Pythagoriciens. En même temps les plus grands Capitaines vinrent luy jurer fidelité, & le firent reverer à leurs Soldats sous la figure du Minautore, ancien symbole du Secret parmy les Romains. On donna le soin de l'Hospital de l'Armée aux Empiriques feudataires du Secret, qui vinrent luy offrir leur service, & qui en firent l'experience en faisant marcher droit des Estropiez. Les Vieillards Confidens du Secret, s'estant aussi presentez pour défendre Sigalion, on les destina à garder le bagage, & les Plaideurs & les Orateurs qui amenerent des Troupes de Mensonges, furent mis au Corps de reserve pour le besoin. Alors Sigalion se vangea differemment de ses Ennemis. Il fit déchirer Penthée par les Bacchantes pour avoir voulu découvrir les secrets misteres de Bacchus. Tantale fut plongé dans un étang par les Furies pour punition d'avoir revelé les secrets des Dieux. Mercure changea le Berger Battus en statuë de pierre en presence de quelques Bergers, afin de les instruire par ce châtiment à estre plus reservez à garder le secret, & la Boete de Pandore ayant esté ouverte, on en vit sortir le Demon de la guerre, la Discorde, la Furie, & le Desespoir. Vous pouvez juger par tout ce que je vous dis de la beauté des Entrées. Il s'en fit une generale dans laquelle Sigalion parut sur un Trône au milieu de ses Officiers. Tous ses Ennemis chargez de chaînes relevoient l'éclat de son triomphe. Ce Balet, dont l'ouverture se fit par les plus illustres Nations de l'Univers, qui établissant leur politique sur le secret, se preparerent à rendre hommage à Sigalion, ne pouvoit manquer de plaire en toutes ses parties, puis que le sujet en estoit agreable & attachant, & que Mr Colasse, l'un des Maistres de Musique de la Chapelle du Roy, en avoit fait tous les Airs. C'est luy qui depuis la mort de Mr de Lully a fait la Musique des Opera avec le succés dont je vous ay déjà parlé. Les Entrées estoient de Mr Pecour, qui depuis deux ou trois ans travaille aux Entrées de l'Opera, & qui fit le Balet de Chantilly, lors que Monseigneur le Dauphin y fut regalé avec la magnificence digne du Prince qui le reçût. On ne peut dancer de meilleure grace que firent à ce Balet du Secret le fils de Mr le Duc de Villeroy, & celuy de Mr de Saint Vallier. Les grands applaudissemens qu'on leur donna en furent des marques.

[Dernier Ouvrage de M. Richelet] §

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8], p. 238-239.

 

Vous avez attendu bien tard à me demander ce que c’est qu’un Livre intitulé, Les plus belles Lettres des meilleurs Auteurs François. Cet Ouvrage est de Mr Richelet, Auteur du Dictionnaire qui porte son nom, & son titre vous apprend en quoy il consiste. Les Lettres dont il nous a donné un recueil, sont tirées de vingt-huit Auteurs differens qui ont tous de la reputation, & comme il a choisi les meilleures, il ne se peut que son Livre n’ait de fort grandes beautez. On y voit quelques Portraits de ceux dont il nous donne les Lettres, & outre le plaisir qu’on a de lire ce qu’il y a de plus excellent & de plus vif dans ce genre, les Notes qu’on y trouve sur chacune, sont d’une fort grande instruction, ayant esté faites moins pour le langage, qu’afin de faire connoistre mille choses, qui sont ignorées de beaucoup de gens. Ce sont proprement des Clefs qui ouvrent les misteres de ces Lettres. Si cet essay plaist, son dessein est de poursuivre.

[Personnes nommées pour gouverner, instruire & servir Monseigneur le Duc de Bourgogne] §

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8], p. 241-245.

 

Mr l’Abbé de Fenelon, Docteur en Theologie de la Faculté de Paris, a esté choisy pour Precepteur de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Il est Fils de feu Mr le Marquis de Fenelon, & Neveu de feu Mr de la Motte de Fenelon, Lieutenant de Roy de la Marche, si fameux par sa valeur, par sa veritable devotion, & par une probité que la medisance mesme a toujours esté obligée de respecter. L’ancienneté de sa Noblesse, & les grandes alliances de sa Maison sont assez connuës. Le sejour qu’il a fait dans le Seminaire de Saint Sulpice, est une preuve de sa pieté. Il presche avec cette éloquence qui a donné tant de reputation à S. Jean Chrisostome dans l’Eglise Grecque, & il a fait plusieurs Missions avec succés pour la conversion des Heretiques, dont un grand nombre s’est rendu à ses raisons, & s’est confirmé dans la Foy, encore plus persuadé par son exemple. Nous avons quelques Ouvrages de luy, qu’on voit bien qui sont de main de Maistre. Il possede parfaitement les Belles Lettres, & sçait tres-bien les Langues sçavantes. Mr l’Abbé de Fenelon est aussi Neveu de Mr l’Evesque de Sarlat, Prelat d’une grande reputation pour sa pieté & pour sa doctrine. Il a l’esprit doux, quoy que tres-vif, & son humilité & sa modestie font assez connoistre la solidité de sa devotion. Ses talens sont admirables pour ramener les ames à Dieu, & les Malades qu’il veut bien assister, éprouvent par la maniere dont il les conduit, des effets sensibles de la Grace. Le choix que le Roy a fait de luy pour le mettre auprés de Monseigneur le Duc de Bourgogne, prouve bien le soin que ce grand Monarque prend de son Royaume, & l’amour qu’il a pour la Religion, puis qu’il est fort assuré qu’un semblable Precepteur n’inspirera à ce jeune Prince que des sentimens de grandeur, de pieté & de sainteté.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8], p. 310-311.

Le second Air nouveau que j'ajoûte icy, est encore de l'illustre Mr Lambert.

Que j'ay peine à quitter cet aimable Bocage !Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Que j'ay peine à quiter cet aimable Bocage, doit regarder la page 311.
Un jour, un seul moment en augmente l'ombrage ;
Mais je crains d'y revoir un Berger trop charmant.
Fuyons sans tarder davantage.
Peut-estre qu'un naissant amour
Me fait aimer ce beau séjour,
Plûtost que le naissant feüillage.
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[Annonce du prochain volume des Affaires du temps]* §

Mercure galant, août 1689 (première partie) [tome 8], p. 419-420.

 

On a donné la neuviéme Partie des Affaires du Temps le 15. de ce mois, & on débite la dixiéme Partie avec le Mercure d’Aoust.