1689

Mercure galant, septembre 1689 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1689 [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1689 [tome 9]. §

L’Ange de la France à l’Ange de la Religion §

Mercure galant, septembre 1689 [tome 9], p. 7-21.

 

Quand la gloire d’un Monarque est parvenuë au plus haut degré d’élevation, on voit sous son Regne ce qui n’a point esté vû pendant que d’autres Souverains peu distinguez ont regné. Tout parle de sa grandeur, & on ne fait point d’action celebre dans la Chaire, dans le Barreau, & dans les Spectacles publics, où l’on n’entende des éloges de ce Prince extraordinaire. Ceux qui les font, ont de tres-grands avantages, non seulement parce que la matiere leur fournit dequoy faire briller leur esprit, mais encore parce qu’ils sont seurs qu’elle plaira à leurs Auditeurs. Cela se rencontra le mois passé au College Mazarin, ou des Quatre Nations ; où Mr Feuardent, Professeur de Rethorique, Auteur de la Tragedie de Jonathas, qui y fut representée avec beaucoup d’applaudissement, fit faire l’ouverture de la Scene, par le Prologue qui suit. La beauté des Vers vous persuadera aisément des acclamations qu’il receut.

L’ANGE
DE LA FRANCE
A L’ANGE
DE LA RELIGION.

Ange Saint, dont la force est par tout reverée,
Vous voyez aujourd’huy l’Europe conjurée
Marcher sous l’Etendart du crime, & de l’Erreur,
Pour apporter icy l’épouvante, & l’horreur.
Nous devons tous deux craindre en ce peril extrême ;
Il y va de la Foy, comme du Diadême ;
Et de quelque couleur qu’on couvre l’attentat,
On en veut aux Autels, aussi-bien qu’à l’Etat.
Protegeons un grand Roy, qui depuis tant d’années
Ne pense qu’à remplir ses grandes destinées ;
Vaincre pour vous, ô Ciel, & ranger sous vos loix
L’Univers étonné du bruit de ses exploits ;
Rétablir les vertus ; exterminer les vices ;
Condamner les excés ; punir les injustices ;
Regner absolument, mais toûjours par raison,
Et gouverner la France, ainsi que sa Maison.
A l’entendre parler, à le regarder faire,
On doute s’il en est ou le Maistre, ou le Pere,
Tant il mesle d’amour à son autorité,
Et regle le pouvoir au gré de la bonté.
Mille Remparts forcez ; mille Places conquises ;
Cent Passages franchis ; cent Provinces soûmises ;
Tant de Princes vaincus, d’Ennemis terrassez ;
Cet amas de Lauriers l’un sur l’autre entassez ;
Ce cours precipité de Victoire en Victoire,
Ne font presque aujourd’huy qu’un point de son Histoire.
Quel éclat l’environne au milieu de la Paix !
C’est là qu’il me paroist plus Heros que jamais.
Je le vois reprimant ces desirs de vangeance,
Que n’inspire que trop une grande puissance,
Et sans rien consulter que son cœur genereux,
Permettre à son Rival des progrés dangereux.
Je le vois foudroyant Alger & ses Corsaires,
Terminer l’Esclavage, & finir les miseres
De cent mille Captifs gemissans dans les fers,
Assurer le Commerce, & nettoyer les Mers.
Je le vois, inspiré d’une haute sagesse,
Prendre un soin paternel de la jeune Noblesse,
Et former en des lieux dignes de sa grandeur,
Un Sexe à la Vaillance, & l’autre à la Pudeur.
Je le vois resolu, sans craindre pour sa teste,
Sans craindre pour l’Etat ny peril, ny tempeste,
Abbatre d’un seul coup, & détruire un party,
Qui fit trembler les Rois, dont ce Prince est sorty.
C’en est fait desormais, & quoy qu’on ose dire,
L’Heresie est éteinte, ou du moins elle expire ;
Non, la France n’a plus le poison dans le sein.
De quelle grandeur d’ame est un si grand dessein ?
Ah ! qui pourroit entrer dans le fond de cette ame,
Que la Charité mesme anime de sa flâme ;
Qu’on y verroit pour Dieu de tendres mouvemens !
Que de respects profonds ! que d’humbles sentimens !

L’ANGE DE LA RELIGION.

C’est icy que LOUIS se montre incomparable,
D’adorer comme il fait, le seul estre adorable ;
D’y mettre son espoir ; d’y chercher son appuy ;
De s’abbaisser enfin, & trembler devant luy.
Oüy, quand vuide du monde, & s’oubliant soy-mesme,
Il reconnoist en Dieu la Majesté suprême ;
Quand il s’aneantit au pied de ses Autels,
Il est, il est alors le plus grand des Mortels.
Mais aussi c’est sur luy que le Ciel se repose
Du soin de soûtenir l’interest de sa cause ;
Il n’arme que son bras contre tant d’Ennemis,
A qui leur passion semble avoir tout permis.
L’un, dans le vain projet d’insulter cette terre,
Se haste d’envahir le Sceptre d’Angleterre ;
En vain la voix du sang tâche de l’arrester,
Il se fait un honneur de ne point l’écouter ;
Et sur le faux soupçon d’une lâche imposture,
Viole indignement les droits de la nature.
L’autre, enflé des succés qu’on vient de luy souffrir,
Ne veut point accorder ce qu’il devroit offrir,
Et se rendant fauteur d’une noire entreprise,
Hazarde tout ensemble & l’Empire, & l’Eglise.
Contre un Roy Catholique, & d’un zele éclatant,
Un Prince Austrichien assiste un Protestant ;
Il luy preste la main pour le chasser du Trône :
Enfin Jerusalem se lie à Babylone.
Dieu, quel aveuglement ! quel malheur en ces jours,
Qui d’ailleurs pour la Foy prenoient un heureux cours !
Tout plioit, tout cedoit, & déja la Hongrie
Du joug des Ottomans se trouvoit affranchie :
Le Moldave, & le Grec n’attendoient qu’une main,
Qui sceust les délivrer d’un pouvoir inhumain :
Et bien-tost des Chrestiens les forces ramassées
Se vangeoient pleinement de leurs pertes passées.
Mais la Foy triomphante, & LOUIS glorieux,
Estoient pour leurs jaloux un objet odieux :
Malgré tant d’interests ils ont repris les armes.
Qu’il va leur en coûter & de sang, & de larmes !
Que de Villes en feu ; de lieux abandonnez ;
De Peuples fugitifs ; de Païs ruinez !
Fut-il jamais parlé d’un semblable ravage ?
Le Ciel dans son couroux n’en fait pas davantage.
Ce sont des maux, helas ! qu’ils pouvoient éviter ;
Aussi sont-ce des maux qu’ils doivent s’imputer.
Pour LOUIS cependant, ainsi que pour la France,
Ange leur Protecteur, soyez en assurance :
Il a seul plus qu’eux tous & de teste, & de cœur ;
Il fut souvent, que di-je ? il est né leur vainqueur.
Quoy que ses Bataillons soient à peine en Campagne,
Ils tiennent en suspens la Flandre, & l’Allemagne ;
Alarment l’Italie ; & jettent dans Madrit
Un trouble accompagné de honte, & de dépit.
Sa puissance sur Mer n’est pas moins redoutée :
Trop heureux les Anglois, s’ils l’eussent évitée ;
Leur Flotte a fuy long-temps, & le fameux Herbert
N’a pû presqu’assez-tost trouver un Port ouvert.
Mais son plus grand secours est le secours celeste ;
Il ne doit avec luy rien craindre de funeste ;
Et de tant de Liguez les efforts inoüis
Ne feront qu’augmenter la gloire de LOUIS.

[Concert] §

Mercure galant, septembre 1689 [tome 9], p. 21-28.

 

Vous venez d'entendre loüer le Roy dans un Spectacle serieux, & dans un lieu où la jeunesse apprenant à vivre, apprendra en mesme temps à l'admirer & à faire son éloge. Il faut presentement vous faire connoistre de quelle maniere on a parlé de ce Prince dans une Feste galante qui regarde des Bergers. C'est dans un Concert qui s'est fait une fois chaque semaine presque pendant tout l'Esté chez Mr de Mallebranche, Conseiller au Parlement de Paris. La Musique est la composition de Mr Martin, & l'on peut juger par les frequentes repetitions de ce Concert, dont plusieurs personnes de la premiere qualité ont demandé la continuation lors qu'on estoit sur le point de les cesser, combien on en a receu de plaisir. Cette petite Pastorale qui a pour titre, Les Bergers heureux, est de Mr de Tonti, Gentilhomme Italien, dont je vous ay quelquefois envoyé des Vers que vous avez trouvez fort galans. Il y en a prés de cinq cens dans cet Ouvrage, où l'Amour, la Jalousie, l'Indifference, l'Innocence, & l'Insensibilité, sont dépeintes avec des traits naturels, de sorte que le coeur, les oreilles & l'esprit, se trouvent agreablement occupez, tant que ce divertissement dure. Themis, la Gloire, & la Renommée en font le Prologue par les Vers qui suivent.

LA RENOMMEE

 Toute l'Europe est en alarme
 De la puissance de LOUIS,
 Et nous voyons qu'elle arme,
Pour arrester le cours de ses faits inouïs.

LA GLOIRE.

L'Europe a beau s'armer, aussi-tost qu'il commande,
 Tout est à ses ordres soumis,
 Et plus il aura d'Ennemis,
 Et plus sa gloire sera grande.

THEMIS.

 Le Roy, le Protecteur des Rois,
Que l'on a vû voler de victoire en victoire,
Va pour le comble de sa gloire
Forcer tout l'Univers à recevoir ses loix.

LA RENOMMEE.

 Soit dans la Paix, soit dans la Guerre,
On le voit au milieu de sa superbe Cour,
 Toujours plus craint que le Tonnerre
 Toujours plus aimé que l'Amour.

LA GLOIRE.

  Le Ciel, qui pour luy s'interesse,
  Seconde ses justes projets,
  Et l'on voit qu'il répand sans cesse
  Des biens sur ses heureux Sujets.

THEMIS.

Il rend des Potentas les efforts inutiles,
 Et nous voyons sous ce Heros
Les Bergers de ces lieux dans un profond repos,
Vivre toujours contens, vivre toujours tranquilles.
  Rien n'interrompt le cours
  De leurs tendres amours.

CHOEUR.

  Rien n'interrompt le cours
  De leurs tendres amours.

THEMIS, LA GLOIRE, & LA RENOMMEE ensemble.

 J'entens le son de leurs Musettes,
Allons pour écouter leurs tendres chansonnettes.

CHOEUR.

 J'entens le son de leurs Musettes,
Allons pour écouter leurs tendres chansonnettes.

La Chanson qui commence par, Non, je ne verray plus Silvie, & que je vous envoyay dernierement notée, est du mesme Mr Tonti, qui a fait aussi depuis peu les Vers que vous allez lire, sur une belle Personne qui se baigne.

 Venus qu'on vit sortir si charmante de l'onde,
  Eut besoin de l'Amour,
 Pour troubler tous les cœurs du monde :
 Mais dans cet aimable sejour,
  Quand vous quittez la rive
 De nos claires & pures eaux,
 Par des charmes toujours nouveaux
On vous y voit briller d'une beauté plus vive ;
  Et le seul éclat de vos yeux
Trouble aisément les cœurs des hommes & des Dieux.
  Tout ce qui m'embarasse
  Est de sçavoir par quel destin,
  Quand nous sortons tous deux du Bain,
  Vostre cœur est remply de glace
Et que le mien pour vous brule de mille feux.
  Cette injustice m'épouvante,
  Que je sois toujours amoureux,
  Et vous toujours indifferente.

L’Alliance des Chiens avec les Loups. Fable §

Mercure galant, septembre 1689 [tome 9], p. 42-50.

 

Je vous envoye la traduction d’une Fable du Pere Comire Jesuite. Vous sçavez qu’il n’en fait point qui n’ayent un tour tres-ingenieux. Celle-cy n’est pas nouvelle, mais elle sera toûjours du temps, lors qu’en la lisant on voudra faire reflexion aux affaires d’aujourd’huy. Elle a esté mise en nostre Langue par Mr Saurin.

L’ALLIANCE
DES CHIENS
AVEC LES LOUPS.
FABLE.

Un Berger nourrissoit grassement des Mâtins,
Pour garder son Troupeau, pour veiller à sa porte :
 Les animaux de cette sorte
 Sont d’ordinaire fort mutins,
 Et dangereux même à leur Maistre.
 Ceux-cy le firent bien connoistre,
Car quoy qu’il esperast par ses bons traitemens
D’adoucir la fierté de ces bestes cruelles,
Il estoit étourdy d’importuns aboimens.
 Au lieu de les rendre fidelles,
Plus il les caressoit, & plus ces insolens,
 Sans respect luy montroient les dens.
 Ses Amis souvent l’avertirent
 De ne plus tant les ménager ;
 Et prompts à le servir, luy dirent,
Prevenez, il est temps, prevenez le danger,
Qui menace vos jours & vostre Bergerie ;
Et la force à la main reprimez leur furie.
 Mais sa naturelle douceur
Negligea d’écouter ce conseil salutaire ;
 Et le Berger crut assez faire,
De menacer les Chiens, sans user de rigueur.
Bien loin que sa clemence arreste leur malice,
 On la soupçonne d’artifice :
On croit que dans son cœur il cache un fier couroux,
Prest à lancer sur eux d’inévitables coups.
 Donc pour prevenir leur ruine,
On murmure en secret, on cabale, on machine
La perte du Berger & celle du Troupeau ;
 Et la fureur qui les anime,
 Leur inspire un crime nouveau,
Pour les mettre à couvert des peines de leur crime.
Ils forment une ligue avec des Loups cruels,
 Qui par des Sermens solemnels
S’engagent hautement à prendre leur défense.
 Quelle monstrueuse alliance !
Les Loups & les Mâtins s’entredonnent leur foy :
D’estre unis desormais il se font une loy.
 Avides de sang, de carnage,
 Ils soupirent aprés le temps,
 Qu’ils pourront assouvir leur rage,
 Et dans leur attentat ils demeurent constans.
Du vigilant Pasteur l’ordinaire prudence
En de fertiles lieux conduisoit les Troupeaux :
 Ils y paissoient en assurance,
Et s’égayoient au son de ses doux chalumeaux.
Cependant pour cacher leur noire perfidie,
Les fiers Dogues sembloient dormir dans les valons,
Nonchalamment couchez sur la verte prairie,
 Lors que soudain les Loups felons,
 Paroissant au prochain rivage,
 Menacent d’un triste ravage,
Et donnent l’épouvante aux timides Moutons.
 Alors les traistres qui sommeillent,
 Au bruit de leurs clameurs s’éveillent ;
Et comme s’ils estoient à leur Maistre soûmis,
Courent en aboyant contre les Ennemis.
Le Berger prend son dard, les suit & les excite,
Des mains & de la voix au combat les invite.
 Mais quel fut son étonnement,
Quand il vit des Mâtins la Troupe scelerate
 Carresser les Loups de la pate,
 Et les Loups reciproquement
 Leur faire un accueil favorable :
Enfin Loup au Mâtin, Mâtin au Loup traitable,
 Oubliant tout ressentiment,
Sous un mesme étendard faire éclater leur joye,
Et bien-tost du Troupeau se promettre la proye !
Contre tant d’assassins que peut un seul Berger,
 Abandonné dans le danger ?
A leur fureur barbare il dérobe sa vie,
Pour n’estre point, helas, d’un destin rigoureux,
 Et de leur brutale furie
 Un exemple trop malheureux.
Privé de son Pasteur le Troupeau déplorable
  Est cruellement déchiré
Par le fier ravisseur de son sang alteré,
Et des Loups furieux la dent impitoyable
Va chercher les Agneaux fugitifs dans les bois.
Alors une Brebis dans l’avenir sçavante,
 Et reduite aux derniers abois,
 Prononça d’une voix mourante.
 Une lâche Societé,
Que le crime entretient, que l’audace a formée,
 N’a jamais de stabilité,
Et se dissipe ainsi qu’une vaine fumée.
 Les Chiens perfides & les Loups
 En peu de temps reprendront tous
 Leur inimitié naturelle :
 Les cruels se déchireront,
 Eux-mesmes se devoreront,
Signalant à l’envy leur haine mutuelle.
Calmez vostre douleur, ó Berger outragé,
Vous aurez le plaisir d’estre bientost vangé.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1689 [tome 9], p. 51-52.

Si vous avez esté contente des deux Chansons que vous avez trouvées dans ma Lettre du mois passé, vous ne devez pas l'estre moins de celle-cy, puis qu'elle est d'un excellent Maistre, & que les paroles sont de Mr de F[r]ontiniere. Il a un talent si particulier pour les bien tourner, qu'il seroit fort difficile d'y mieux réussir.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Trouver sur l'herbette, doit regarder la page 51.
Trouver sur l'herbette
Une Bergere seulette,
C'est un grand bien, c'est un grand mal.
C'est un grand bien quand elle est tendre & belle,
Mais si par un destin fatal,
Elle est cruelle,
C'est un grand mal.
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Suite des Propheties, Devinations, Vaticinations, Predictions, & Pronostications §

Mercure galant, septembre 1689 [tome 9], p. 53-126 [extraits p. 110-112, 115-116, 122-125]

[...] Du temps de la primitive Eglise, Dieu accorda mesme aux Filles le don de Prophetie, puis que S. Luc a nous assure que S. Paul estoit logé à Cezarée chez Philippe l’Evangeliste, l’un des sept Diacres, qui avoit quatre Filles Vierges qui prophetisoient ; & ce don de Prophetie a duré & durera jusques à la fin des Siecles, puis que les Apostres ayant receu le S. Esprit, S. Pierre commença sa premiere Predication par ces termes b Considerez ce qui a esté dit par le Prophete Joël dans les derniers temps, dit le Seigneur. Je répandray mon esprit sur toute chair. Vos Fils & vos Filles prophetiseront ; vos jeunes gens auront des visions, & vos vieillards auront des songes, & il ajoûte, En ces jours là je répandray mon Esprit sur mes Serviteurs & sur mes Servantes, & ils prophetiseront. Mais sans faire le Prophete, le Visionnaire ou le Songeur, pourroit-on pas dire qu’en expliquant en 1665. [...]

a Actes ch. 21.

b Actes ch. 2. v. 16.

 

Qui pourroit penetrer dans le cœur de ce perfide & dénaturé Gendre & Neveu, on l’entendroit chanter & parler en ces termes ;

Sous le zele trompeur de rétablir la Foy
Je cache le projet d’une grandeur future.
 Honneur, Religion, Nature,
Tout cede dans mon cœur au desir d’estre Roy.
 J’immoleray mille Victimes
 A l’ardent desir de regner,
Et pour y parvenir, s’il ne faut que des crimes,
Je suis d’un caractere à ne rien épargner.

 

[...] Je suis encore plus surpris du procedé de la Princesse d’Orange contre le Roy son Pere, & contre le Prince de Galles son Frere. Elle a monté sur le Trône d’Angleterre par un parricide & par un Fratricide volontaire, ayant imité l’execrable Reyne Atalia, & l’abominable Romaine Tullia, Femme de Tarquin, & Fille du Roy Servius Tullius. Celle-là, en Samarie se voyant sans Enfans, voulut faire perir tous ceux de la lignée Royale, & il n’y eut que le Prince Joas qu’on déroba à sa fureur, pour monter sur le Trône, ainsi qu’il est écrit au 4. Livre des Rois, d & celle-cy dans Rome fit passer son Char sur le corps de son Pere. Neantmoins comme je sçay que cette Princesse a la veuë fort tendre, je ne puis me persuader, qu’elle ait eu le cœur assez dur pour ne pas trembler en montant sur le Trône du vivant de son Pere, & du vivant du Prince de Galles son Frere, quelque exhortation que l’esprit de l’ambition du Prince d’Orange luy ait faite pour la porter à faire une démarche si dénaturée,

Puis que c’est pour regner, prens le plus court chemin.
 Ne crains point de passer sur le corps de mon Pere,
 Ce n’est pas une affaire,
Disoit à son Cocher la Femme de Tarquin.
Fais-toy voir en nos jours une Fille plus dure,
Pousse sans nul égard ton orgüeil plus avant,
Et foulant à tes pieds le sang & la nature,
Passe, afin de regner, sur ton Pere vivant.

[Livre nouveau]* §

Mercure galant, septembre 1689 [tome 9], p. 126-127.

 

Neanmoins pour vous satisfaire pleinement là-dessus, je vous envoye mon Livre de la Nature & presages des Comettes, imprimé à Lyon en 1665. Vous trouverez dans la page 474. une Prophetie tres-ancienne, & aussi-belle que celle de l’Allemand Drabisius. L’évenement de quantité de choses qui y sont prédites, fait attendre un heureux succés de toutes les autres.

 Quot premissa futuris
Dant exempla fidem ?

La Coquette incurable §

Mercure galant, septembre 1689 [tome 9], p. 127-129.

 

Voyez, Madame, si vous ferez difficulté de souscrire au Jugement d’Esculape ; les Vers que vous allez lire vous en instruiront.

LA COQUETTE
INCURABLE.

Esculape l’autre jour
Dit qu’il vouloit entreprendre
Tous les Malades d’amour.
Venus leur dit de se rendre
Incessamment à sa Cour,
Et le curieux Mercure
Pour voir cette belle cure,
Y vint de mesme à son tour.
N’attendez pas que je die
Ce qu’à chaque maladie
Ce grand Docteur ordonna,
Tant & plus il raisonna,
La matiere est infinie.
Aux uns il dit de changer
D’air, d’aliment, de regime :
Aux autres de se purger
De quelque humeur cacochime ;
A quelques-uns, seulement
Il dit d’attendre que l’âge
Changeast leur temperament,
Mais à tous également
Il leur conseilla l’usage
Du souffrir patiemment,
Mauvais & frequent breuvage.
Il croyoit avoir tout fait,
Quand il vit entrer Lisette.
Quel mal à cette Brunette,
Dit Esculape ? il parait
Qu’elle est fort saine & fort nette.
Cela paroist en effet,
Mais, dit-on, elle est coquette.
Coquette, dit-il ! helas !
Elle est belle, elle est aimable,
Mais son mal est incurable,
Je ne l’entreprendray pas.

[Histoire] §

Mercure galant, septembre 1689 [tome 9], p. 129-180.

 

Il est dangereux de blesser l’Amour quand il se pique de delicatesse. Il se révolte à la moindre injure, & s’il ne meurt pas entierement du coup qu’il reçoit, il en demeure si fort affoibli, qu’il ne recouvre jamais sa premiere force. Une jolie Dame demeurée Veuve à vingt ans, en a fait l’épreuve depuis peu aux dépens de son repos. Elle estoit belle, & toute pleine de cet agrément qui frapant d’abord les yeux, saisit aussitost le cœur avec une violence qu’il est mal aisé de repousser. Beaucoup de partis se presenterent, & l’on peut dire que le merite de sa personne contribua plus à luy attirer des Adorateurs, que les avantages qu’on pouvoit attendre en l’épousant du costé de la fortune. Ce n’est pas qu’elle n’eust assez de bien, mais trois Enfans que luy avoit laissez son Mary, estoient une dette contractée qui en devoit emporter une fort grande partie, & si elle joüissoit d’un gros revenu, elle ne pouvoit disposer du fond. Comme elle joignoit beaucoup de raison à une grande sagesse, elle resolut, pour ne leur pas nuire, de ne point penser à un second mariage, & pour se mettre à couvert de toute surprise, quoy qu’elle ne fust pas d’un âge à s’accommoder de la solitude, elle trouva moyen d’écarter tous ceux en qui elle remarquoit de l’empressement qui pouvoit avoir des suites. Tout ce qui avoit quelque apparence d’amour luy faisoit prendre de scrupuleuses reserves, & si elle souffroit des douceurs quand elles partoient d’une simple honnesteté, c’estoit assez pour estre banni que de luy en dire d’un air serieux qui fist connoistre qu’on sentoit ce qu’on disoit. Cette conduite mit son cœur en seureté, & il seroit toujours demeuré tranquille si elle eust eu la mesme précaution contre un jeune Cavalier, dont une de ses Amies luy donna la connoissance. Il estoit bien fait, avoit de l’esprit, & ses manieres estoient toutes propres à le faire recevoir agreablement par tout. L’éloignement que bien des raisons luy faisoient avoir pour le mariage, fut cause qu’il vit cette aimable Veuve assez in differemment. Il avoit pour elle tous les sentimens de complaisance qu’on doit à une jolie personne qui a du merite, mais il ne faisoit aucune démarche qui fist paroistre qu’il en eust le cœur touché. Il ne cherchoit point de temps favorable pour l’entretenir en particulier, & les soins qu’il luy rendoit luy devenoient d’autant moins suspects, que n’estant point assidus, ils ne marquoient rien qui fust dangereux pour elle. D’ailleurs elle sçavoit que le Cavalier dépendoit d’un Pere d’une humeur facheuse, & qui, quoy que riche, estoit si avare, qu’il le mettoit hors d’estat de faire des dépenses superfluës. Ainsi à moins d’un party tres-avantageux, on estoit persuadé qu’il n’eust pas souffert que son Fils luy eust choisi une Belle-Fille, & la connoissance que l’on avoit de son caractere, estant pour la jeune Veuve une nouvelle raison de ne craindre rien, elle n’entra dans aucune défiance de l’engagement où elle pouvoit tomber. Un an se passa de cette sorte, & ce temps ayant servi à les convaincre l’un l’autre d’un veritable merite, la belle Veuve ne put refuser son estime au Cavalier, & le Cavalier se fit une gloire d’estre des Amis de la belle Veuve. Comme ils vivoient sans inquietude, ils n’approfondirent rien par delà ces sentimens. Chacun d’eux les prit pour ce qu’ils vouloient qu’ils fussent, & ils seroient demeurez encore long temps dans l’erreur qui leur faisoit croire que ce n’estoit que de l’amitié & de de l’estime, si le Cavalier n’eust pas esté obligé de faire un voyage de deux mois. L’absence leva le voile qui leur cachoit ce qu’ils s’estoient déguisé. Huit jours s’estoient à peine écoulez, qu’ils reconnurent tous deux qu’il leur manquoit quelque chose pour estre contens. La Dame fut effrayée de ce qu’elle découvrit en s’examinant, & ce qui fit son plus grand chagrin, c’est qu’elle craignit d’avoir fait un pas que le Cavalier n’eust point fait de son costé. Il luy écrivit trois ou quatre fois, & il luy parut si reservé dans ses Lettres, qu’elle fut persuadée qu’il estoit tranquille, tandis qu’elle souffroit de ne le plus voir. Elle en jugea fort injustement ; il souffroit encore plus qu’elle, & n’avoit que trop connu qu’il l’aimoit d’amour, mais le respect l’empeschoit d’expliquer ses sentimens, & il luy sembloit que le papier feroit mal connoître ce qu’il falloit que ses actions marquassent quand l’occasion s’en trouveroit favorable. Cependant la Dame estoit dans des agitations continuelles. Elle se reprochoit tous les jours comme une foiblesse inexcusable de se surprendre dans des sentimens qu’elle n’avoit pû causer, & quoy que dans la resolution qu’elle avoit prise de demeurer Veuve, elle ne dust souhaiter rien tant que de n’estre point aimée, elle estoit au desespoir de ne l’estre pas. Etrange bizarrerie de l’amour ! Elle convenoit avec elle-mesme que le Cavalier l’aimant, elle auroit peine à se garantir de vouloir changer d’estat, & ce peril ne l’étonnoit pas assez pour l’emporter sur la honte qu’elle se faisoit de trouver son cœur sensible sans qu’elle eust touché le sien. Enfin le temps de leur separation finit. Le Cavalier estant de retour, son premier soin fut d’aller chez elle, & l’embarras où il se trouva par ses nouveaux sentimens, meslant à sa joye un trouble secret qui l’empeschoit de paroistre dans tout son excés, la Dame crut que cette joye estoit mediocre, & soit pour luy rendre indifference pour indifference, soit que la crainte de rien laisser échaper qui fust contraire à sa gloire, l’obligeast de s’observer, elle le receut avec assez de froideur. Le Cavalier surpris de ce froid accueil, ne put s’empescher de dire qu’aprés ce que le chagrin de ne la point voir luy avoit coûté, il ne croyoit pas s’estre rendu digne du changement qu’il trouvoit en elle. La Dame, toute reservée qu’elle tâchoit d’estre, ne put tenir contre ce reproche. Elle répondit qu’elle jugeoit d’elle comme elle devoit, & que ne se connoissant aucun merite qui engageast à la regreter quand on ne la voyoit pas, elle estoit persuadée que l’éloignement n’avoit pas beaucoup troublé son repos. Cela fut dit d’un air vif qui l’invitoit à une réponse vive, & il la fit dans les termes les plus tendres & les plus passionnez, La belle Veuve qui prenoit plaisir à l’écouter, ne s’apperceut qu’un peu tard qu’elle luy souffroit des expressions qui ne convenoient qu’à un Amant. Elle voulut y remedier, en luy disant qu’il ne songeoit pas qu’il luy parloit une Langue qui ne devoit point luy estre permise. Ces mots qu’elle prononça un peu en desordre, produisirent un effet qui dévelopa pour l’un & pour l’autre leurs plus secrets sentimens. Elle rougit, il s’embarrassa, & ils demeurerent tous deux interdits d’une certaine maniere qui leur fit connoistre qu’ils estoient touchez de la mesme passion. La Dame fut quelques jours sans en demeurer d’accord, & se trouvant enfin obligée d’en convenir, elle resolut de faire agir sa raison pour empescher que l’amour n’en fust le maistre. Le peril qu’elle couroit ne se pouvoit éviter que par la fuite ; mais le remede estoit violent, & si elle vint à bout de se faire assez d’effort pour prier le Cavalier de ne la plus voir que rarement, ce fut un ordre donné sans aucune envie qu’on l’executast. Le Cavalier ne le vit que trop. Aussi continua-t-il ses soins avec tout l’empressement que donne le fort amour. Les plaintes qu’elle faisoit de sa resistance à ses volontez, n’empeschoient point qu’il ne fust toûjours receu d’une maniere agreable, & ses visites, quelques longues qu’elles fussent, ne la pouvoient jamais ennuyer. Il ne fut plus question de luy oposer l’interest de ses Enfans qui ne souffroit point qu’elle se remariast. Elle passa par dessus, & s’arresta au seul obstacle du Pere du Cavalier qui luy sembloit invincible. Comme l’amour se flate toûjours, il promit de le forcer, pourveu qu’elle luy permist de l’entreprendre. En effet, il fit agir des personnes d’une telle autorité, que tout autre qu’un bizarre se seroit rendu à leurs prieres ; mais rien ne put l’ébranler. Il traita de ridicule la proposition qui luy fut faite, & prétendit que ce seroit vouloir ruiner son Fils, que de souffrir qu’il épousast une Femme qui estoit chargée de trois enfans. Ce refus que la Dame avoit préveu, luy causa de grands chagrins, mais ils furent adoucis par le desespoir qu’elle vit dans son Amant. Elle tâcha de le consoler, & eut tout lieu d’estre satisfaire des tendres protestations qu’il luy fit de l’aimer jusqu’au tombeau, & d’attendre à l’épouser aprés la mort de son Pere s’il ne pouvoit flechir sa mauvaise humeur. Elle répondit qu’elle ne prenoit aucune parole de luy, parce que l’amour qu’il luy marquoit estoit une passion trop violente pour n’avoir pas tout à craindre du temps, & que d’ailleurs il sembloit que le Veuvage estoit un estat qu’elle devoit préferer à la douceur d’un engagement où elle trouvoit de si grands obstacles. Cependant l’affaire ayant fait grand bruit elle crut pour l’interest de sa gloire, ne devoir plus voit le Cavalier que chez leur Amie commune, qui avoit contribué à leur liaison. Il est vray qu’elle y venoit si souvent que cette reserve n’eut rien de facheux pour luy. Il luy apprit que son Pere, pour faire cesser son attachement, avoit dessein de le marier à une riche Bourgeoise, & qu’il l’en faisoit presser par tous ses Amis. La Dame qui ne vouloit point nuire à sa fortune, luy conseilla de luy obeïr, l’asseurant que l’amitié qui avoit commencé à les unir, n’en seroit pas moins sincere, & qu’elle le verroit avec joye dans un établissement considerable, tandis qu’il la laisseroit en liberté de se donner toute entiere à ses Enfans. Un procedé si honneste redoubla l’amour du Cavalier. Il rompit toutes les mesures que prenoit son Pere, & aima mieux renoncer à une avance tres-avantageuse qu’il luy promettoit, que de manquer à la belle Veuve. L’obstination que ce Pere eut à ne luy donner que fort peu de chose pour sa dépense ordinaire, ne luy causa aucun embarras. La Dame empeschoit qu’il ne souffrist de son avarice, & luy prestoit de l’argent pour luy faire faire une agreable figure. Comme il avoit du merite, & que l’on sçavoit qu’il auroit un jour beaucoup de bien, les plus aimables personnes de la Province n’eussent pas esté fachées de l’attirer, & une entre autres luy marqua des sentimens si favorables en plusieurs occasions, qu’on le fit appercevoir qu’il ne luy déplaisoit pas. Elle avoit dequoy toucher un cœur qui n’auroit pas esté prévenu, mais celuy du Cavalier estoit trop remply pour recevoir des impressions nouvelles, & s’il répondit civilement aux honnestetez qu’elle avoit pour luy, ce fut sans luy témoigner plus que de l’estime. Il perdit son Pere en ce temps-là, & ce qui peut estre l’affligea plus que sa perte, la Dame fut obligée d’aller à Paris en diligence solliciter un Procés, où il s’agissoit pour ses Enfans de la plus grande partie de leur bien. Il luy proposa de l’épouser avant son depart, mais elle crut qu’un mariage si precipité dans un temps de deüil feroit trop parler le monde, & le délay qu’elle demanda mit le Cavalier dans un déplaisir inconcevable. Les affaires qu’il avoit de son costé ne luy permettant pas de l’accompagner, il la pria mille fois de ne le pas oublier dans un lieu où il prevoyoit que son merite luy attireroit d’illustres hommages. Elle l’asseura qu’il luy faisoit tort de luy demander de la constance, puis qu’un cœur comme le sien estoit incapable de changer de sentimens. Ils s’écrivirent souvent, & elle auroit pû remplir ses Lettres des conquêtes qu’elle dédaigna pour luy, si elle eust pû se faire une gloire de ces sortes de triomphes ; mais elle ne vouloit devoir sa tendresse qu’à son seul panchant, & elle eust esté fachée qu’aucun motif de reconnoissance l’eust porté à soûtenir une passion qu’il luy avoit tant de fois juré ne devoir finir qu’avec sa vie. Cependant elle rejetta divers partis fort considerables, qui l’emportoient sur le Cavalier. Il est vray que loin d’oster l’esperance à un Marquis, que ses manieres toutes agreables & un air noble qui soutenoit sa beauté luy donnerent pour Amant, elle sembla voir avec plaisir qu’il s’attachast à luy plaire. Les complaisances honnestes qu’elle avoit pour luy, luy donnoient sujet de croire qu’elle agreoit son amour, & il en estoit d’autant plus persuadé, qu’aucun de ceux qui avoient voulu luy rendre des soins, n’avoit esté traité de la mesme sorte. Ce qui l’obligeoit à cette distinction, estoit le grand credit du Marquis qui sollicitoit pour elle, & qui pouvoit tout sur la pluspart de ses Juges. Ainsi elle avoit grand interest à le ménager, & comme elle avoit beaucoup d’esprit, quand il luy parloit de mariage, elle sçavoit si bien se tirer d’affaires, que sans se trop engager, elle luy laissoit entrevoir que le consentement qu’il luy demandoit dépendoit du gain de son Procés. Jugez avec quelle ardeur il mettoit tout en usage, pour luy procurer le succés qu’elle attendoit. Les asseurances sinceres qu’elle avoit données au Cavalier, devoient si bien luy répondre de la bonté de son cœur, qu’elle negligea de l’avertir de cette conqueste, comme elle avoit negligé de l’informer de toutes les autres. Il en eut pourtant avis, & ce fut pour luy un coup terrible. Il seroit party sur l’heure pour se tirer du trouble d’esprit où il estoit, s’il n’eust esté retenu par des affaires qui ne luy pouvoient permettre de s’éloigner. Le silence de la Dame sur une affaire qui sembloit estre d’éclat, estoit un outrage qu’il ressentoit vivement, & neanmoins il n’osoit s’en plaindre, de peur de blesser sa delicatesse. Elle vouloit qu’on l’aimast avec estime, & il ne pouvoit la soupçonner d’une lâcheté, sans témoigner qu’il l’estimoit peu. Dans cet embarras, il s’avisa d’un expedient qu’il crut infaillible, pour luy donner lieu de s’expliquer sur la jalousie qui le tourmentoit. Il voyoit de temps en temps la jolie personne qui avoit dessein de s’en faire aimer. Il commença à la voir souvent, & ne douta point que cette assiduité, dont apparemment la Dame seroit informée par leur Amie, ne la portast à luy faire des reproches. Alors il estoit en droit de luy parler du Marquis sans qu’elle s’en pust fâcher, & cela devoit produire l’éclaircissement qu’il souhaitoit. Son raisonnement ne se trouva juste qu’en une partie. Le bruit que firent les nouveaux soins qu’il rendit, alarma l’Amie commune. Elle condamna le Cavalier, & luy dit qu’ayant servi à favoriser sa passion, elle ne pouvoit se dispenser d’écrire à la Dame l’infidelité qu’il luy faisoit. Il répondit qu’il ne manqueroit jamais à ce qu’il devoit à cette aimable personne, & que si elle trouvoit à redire à des devoirs passagers qu’il rendoit en son absence, il y avoit des moyens fort seurs pour la satisfaire. L’Amie écrivit, & la Dame qui jugeoit des autres comme elle vouloit que l’on jugeast d’elle, luy marqua par sa réponse qu’elle croiroit faire tort au Cavalier de le soupçonner d’aimer personne à son préjudice, & qu’il y auroit de la cruauté à luy envier quelques momens de plaisir pendant qu’il estoit éloigné d’elle. Le Cavalier vit cette réponse qui luy fut montrée, afin que l’honnesteté qu’avoit la Dame, luy fist une espece d’obligation de rompre l’assiduité qu’il avoit pour sa Rivale. Elle produisit un effet contraire dont il ne fit rien paroistre. Il s’imagina que la Dame ne se reposoit ainsi sur sa bonne foy, que dans le dessein de le porter à l’autoriser par son exemple à devenir infidelle. Dans cette pensée il chargea un de ses Amis intimes que quelques affaires faisoient aller à Paris, d’observer la Dame, & d’avoir des Espions chez le Marquis, afin de sçavoir ce qu’on y disoit. Il n’apprit rien d’agreable. Le Marquis estoit tres-assidu auprés de la Dame, & personne ne doutoit chez luy que le mariage ne se dust faire dans fort peu de temps. Le Cavalier perdit patience à ces nouvelles. Il voulut estre éclaircy à quelque prix que ce fust, & pour en venir à bout, il luy envoya une Lettre de change de tout l’argent qu’elle luy avoit prêté pendant que son Pere estoit vivant, & luy manda qu’il souhaitoit qu’elle fust heureuse avec le Marquis ; qu’il alloit tâcher de l’estre en épousant une Personne du cœur de laquelle il estoit seur, & qu’il luy rendroit ses Lettres à elle-mesme si-tost qu’elle seroit de retour, afin qu’elle ne crust pas qu’il en voulust faire aucun usage qui luy donnast du chagrin. Il ne douta point que si la Dame estoit innocente, cet emportement qu’elle devoit prendre pour une marque d’amour, ne l’obligeast à s’opposer à son changement, & à l’assurer qu’elle n’avoit nul dessein pour le Marquis. Elle receut cette lettre le mesme jour qu’elle gagna son procés. Ainsi l’on peut dire qu’elle eut dans le mesme temps un tres grand chagrin, & une sensible joye. Comme elle estoit hors d’affaires, elle n’avoit plus que les seuls ménagemens d’honnesteté à garder avec le Marquis qui estoit cause de tout le desordre, & elle auroit pû convaincre le Cavalier de l’injustice que luy faisoient ses soupçons, mais il luy parut si peu digne d’elle aprés la conduite qu’il tenoit, qu’elle resolut, non seulement de ne plus songer à luy, mais encore de le priver du plaisir d’apprendre qu’elle sentist aussi vivement qu’elle faisoit l’indignité de son procedé. Ce fut ce qui l’obligea à luy répondre en peu de paroles, mais sans vouloir se justifier sur l’article du Marquis qu’elle prenoit part au choix qu’il faisoit, dont elle estoit tres-contente, & qu’à l’égard de ses Lettres, il en pouvoit faire ce qu’il luy plairoit, parce qu’elle ne luy avoit jamais rien écrit qui la dust mettre on inquietude sur son indiscretion. Cette réponse acheva de luy faire croire qu’il estoit trahy. Ne rien dire du Marquis, c’estoit avoüer qu’elle l’aimoit, & il ne put se persuader que si l’infidelité qu’il luy reprochoit n’eust pas esté veritable, elle eust dédaigné de luy faire voir qu’il l’accusoit avec injustice. Un sentiment de fierté qui se joignit au chagrin de se voir trompé, au moins à ce qu’il croyoit, ne le laissa plus songer qu’au plaisir de ne souffrir pas qu’on dist dans la Ville que la belle Veuve luy eust manqué de parole. Il se fit un point d’honneur de la prévenir, & de montrer en se donnant à une autre, qu’il l’avoit quittée avant qu’elle l’eust quitté. La Demoiselle à qui il rendoit des soins, meritoit assez son attachement. Elle estoit aimable & jeune, & son choix ne pouvant estre blâmé de personne, faisoit connoistre que c’estoit luy qui renonçoit à la Dame. Quelques-uns de ses Amis, ou qui estoient dans la mesme erreur touchant sa pretenduë infidelité, ou à qui ses trois Enfans donnoient du dégoust pour elle, furent d’avis de ce mariage, & le Contract fut signé au dédit de mille pistoles. La joye qu’on en eut dans la Famille de sa nouvelle Maistresse, le fit bien-tost éclater dans toute la Ville. On voulut le conclurre en peu de jours ; mais la passion du Cavalier toûjours violente, quoy que combatuë par le dépit, luy fit demander du temps. Il alla chez son Amie, à qui il parla en homme desesperé, qui ne se pardonnoit point l’engagement où il venoit de se mettre. Elle penetra ses sentimens, & jugeant bien que mille pistoles ne seroient pas un obstacle qui l’empescheroit de rompre, elle manda à la Dame qu’elle n’avoit qu’à luy expliquer ses intentions, & que malgré le Contrat signé, elle estoit seure que le Cavalier feroit sa joye de luy prouver son amour en luy sacrifiant toutes choses. Elle ne receut aucune réponse, & ce silence luy fit croire à elle-mesme que le titre de Marquise avoit ébloüy la belle Veuve, & que ce n’estoit pas sans raison que le Cavalier l’accusoit de perfidie. Cependant les choses alloient tout autrement qu’elle ne pensoit. Elle eut à peine gagné son Procés, qu’estant pressée de nouveau par le Marquis, elle luy dit qu’elle estoit si sensiblement touchée de l’honneur qu’il luy vouloit faire, que si elle pouvoit se resoudre à un second mariage, elle le prefereroit à tout autre, mais qu’aprés avoir examiné ce qu’elle devoit, & à la memoire de son Mary, & à elle-mesme, il luy paroissoit que rien n’estoit plus loüable en une veuve que de ne songer qu’à élever ses Enfans, & qu’elle croyoit qu’il avoit pour elle assez d’estime pour vouloir bien approuver le dessein qu’elle avoit fait de ne point changer d’estat. Le Marquis combatit longtemps cette resolution sans la pouvoir ébranler, & il fut enfin contraint de la laisser retourner dans sa Province. Elle alla d’abord chez son Amie, qui apprenant que le bien de ses Affaires estoit l’unique motif qui luy avoit fait souffrir les soins du Marquis, voulut luy parler du Cavalier, mais la Dame l’arresta, & en luy ouvrant son cœur, elle luy dit que ce n’estoit pas sans de grands efforts qu’elle avoit vaincu sa passion, mais que l’outrage qu’il luy avoit fait par ses injustes soupçons, dans un temps où elle luy sacrifioit avec plaisir une plus grande fortune que celle qu’elle auroit pû attendre de luy l’avoit tellement blessee, qu’il luy estoit impossible de l’oublier ; que par là il l’avoit renduë à elle-mesme, & qu’elle profiteroit de cet avantage pour demeurer toûjours maistresse de sa liberté. Elles estoient sur cette matiere quand le Cavalier vint les interrompre. Il fut fort surpris de voir la Dame dont il n’avoit point appris le retour, & il la trouva si belle que tout son amour se réveilla. Une petite émotion de colere qu’elle laissa voir, rendit ses yeux plus brillans que de coûtume, & il parut un incarnat sur ses jouës dont il fut tout ébloüy. Il se troubla à sa veuë, & sentant la perte qu’il faisoit, il luy demanda en tremblant si elle estoit mariée. Elle répondit froidement que non, & qu’elle se réjoüissoit d’estre arrivée assez tost pour estre à ses Noces. Le Cavalier outré de douleur, luy dit que s’il estoit inconstant il avoit suivy l’exemple qu’elle luy avoit donné, & que son respect ne luy avoit pas permis de s’opposer à ses avantages. Alors elle voulut bien le détromper sur l’affaire du Marquis, & luy fit connoistre que la conduite qu’elle avoit tenuë, malgré les partis qui s’étoient offerts, ne l’avoit pas renduë digne des impressions desavantageuses qu’il en avoit prises. La joye qu’il eut de sortir d’erreur l’obligea de se jetter à ses pieds, mais la belle Veuve n’écouta pas ses remerciemens. Elle luy fit voir une fierté qui le rendit immobile, & luy declara qu’elle ne s’estoit justifiée que pour sa gloire ; que loin d’exiger rien de son repentir, elle verroit avec joye qu’il épousast la belle Personne qu’il luy avoit preferée, & qu’aprés ce qu’il avoit esté capable de faire, elle ne vouloit jamais le revoir. Il fut si saisi de ces paroles qu’il s’évanoüit. La Dame se retira sans en paroistre touchée, & l’abandonna à son Amie, qui sensible aux plaintes qu’elle luy entendit faire aprés qu’il fut revenu à luy, fit ses efforts pour le consoler, en luy promettant de le servir auprés de la Dame. Tout ce qu’elle dit fut inutile. La belle Veuve témoigna estre ravie que cette avanture luy eust fait ouvrir les yeux sur la foiblesse des hommes, & fit serment de n’en écouter jamais aucun. Le Cavalier essaya de la fléchir par toutes fortes de voyes, & n’y pouvant réussir, il monta un jour jusqu’à sa chambre sans avoir trouvé personne qui allast l’en avertir. Elle estoit seule dans son Cabinet, & avoit les yeux attachez sur des papiers. C’estoient ses Lettres qu’elle relisoit. Il les reconnut, & s’imagina que ce moment estoit favorable pour appaiser sa colere. Il luy dit les choses les plus tendres, & toute la réponse qu’il en eut fut qu’elle vouloit bien luy avoüer, qu’ayant eu pour luy une tres forte tendresse, elle n’avoit pu le perdre sans une douleur inconcevable ; qu’elle ne haïssoit encore de luy que son crime, mais que ce crime estoit tel que son repentir n’en obtiendroit jamais le pardon. Il s’évanoüit encore à ses pieds, & cet objet luy tira des larmes. Elle prit soin de le faire revenir, & sur ce qu’il luy reprocha la cruauté qu’elle avoit de le rappeller à la vie que sa haine luy rendroit insupportable, elle consentit enfin à luy pardonner, & à vouloir demeurer de ses Amies, à condition qu’il acheveroit le mariage qu’il avoit signé. Il protesta qu’il n’en feroit rien, mais elle voulut la chose si absolument, & luy en reitera l’ordre tant de fois, & par elle-mesme, & par son Amie, en luy disant qu’il y alloit de sa gloire de ne donner pas sujet de dire qu’elle eust la foiblesse de chercher un vain triomphe, qu’elle l’obligea de se marier. Quoy qu’il ait pour sa Femme toutes les honnestetez imaginables, il ne laisse pas de regreter toujours ce qu’il a perdu. La belle Veuve, qui de son costé a renoncé pour jamais au mariage, voit fort peu de monde, & si l’on s’en doit rapporter aux apparences, on a lieu de croire qu’ils sont à plaindre tous deux.

[Ce qui s'est passé à l'Academie Françoise le jour de la Feste de Saint Loüis] §

Mercure galant, septembre 1689 [tome 9], p. 180-181.

 

le Jeudy 25. du mois passé, jour de la Feste de S. Loüis Roy de France, Mrs de l'Academie Françoise s'assemblerent, selon leur coutume, dans la Chapelle du Louvre, où Mr l'Abbé de Lavau, l'un des quarante Academiciens, celebra la Messe, pendant laquelle un Corps de Musique composé de plusieurs belles Voix & de divers Instrumens, chanta d'excellens motets, de la composition de Mr Oudot. La Messe finie, Mr l'Abbé de Riqueti prononça le Panegyrique du Saint. [...]

[Theses en cahier, de l'Histoire Universelle depuis la Creation du monde jusques à Jesus-Christ, soutenuës à Thoulouse] §

Mercure galant, septembre 1689 [tome 9], p. 237-239.

 

Le 11. d’Aoust, le Fils de Mr de Charron, Tresorier en la Generalité de Toulouse, soutint publiquement dans l’Eglise du College des Jesuites de la mesme Ville, des Theses en cahier de l’Histoire Universelle depuis la creation du monde jusqu’à J. Christ. L’abregé qu’il proposoit estoit conduit par les Rois des quatre premieres Monarchies, & par les Patriarches, Juges, Rois, & Pontifes des Juifs. On fut d’autant plus surpris de la memoire du Soutenant, & de la facilité avec laquelle il s’expliqua sur ces diverses matieres, qu’il n’est qu’en Troisiéme, & n’a pas encore atteint quatorze ans. Le Pere d’Aigrefueille-Filsaine, son Regent, eut beaucoup d’honneur de cet Acte qui dura plus de deux heures. L’Assemblée estoit nombreuse, & composée de Messieurs de la Generalité, de l’Université, du Corps de Ville, & de plusieurs Chanoines des deux Chapitres de S. Estienne & de Saint Sernin. Le Soutenant ajoûta à tout cela l’interpretation Françoise, & Latine de toute l’Eneide de Virgile.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1689 [tome 9], p. 376-377.

Les paroles que vous allez lire ont esté notées par M. du Four, Musicien de Toulouse.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Sans espoir d'estre aimé, doit regarder la page 376.
Sans espoir d'estre aimé je brûle pour Climene,
L'Ingrate n'a pour moy que fierté, que rigueur,
Et malgré ses mépris constant dans mon ardeur
Je ne sçaurois briser ma chaîne.
Non, je ne puis me dégager,
Et quand elle seroit mille fois plus cruelle,
J'aime encor mieux souffrir que de changer
Et mourir malheureux que de vivre infidelle.
images/1689-09_376.JPG

[Affaires d'Allemagne & d'Angletere] §

Mercure galant, septembre 1689 [tome 9], p. 377.

Les Ennemis n'ont fait aucun progrés depuis qu'ils ont pris Mayence. Ils avoient assez souffert pour se reposer, & leur perte a esté si grande que le Party qui a fait chanter le Te Deum, est celuy qui a eu le plus de sujet de verser des larmes. [...]