1689

Mercure galant, novembre 1689 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1689 [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1689 [tome 11]. §

De la Ligue des Puissances de l'Europe contre Louis le Grand §

Mercure galant, novembre 1689 [tome 11], p. 7-11.

 

Quoy que les Ennemis se puissent vanter d’avoir pris Mayence & Bonn, ces deux Places n’estant ny Places fortes, ny de celles que le Roy veüille garder, on trouvera en examinant ce qui s’est passé depuis l’ouverture de cette guerre, que Philisbourg, Place dont tout le monde connoist l’importance, demeure à Sa Majesté, & que les Imperiaux sont fort affoiblis, toute leur Infanterie ayant esté tuée ou ruinée, outre plusieurs milliers de Prisonniers que nous avons faits sur eux, & la Ville de Tréves, Capitale d’un Electorat, qu’ils n’ont point encore reprise. Ainsi l’on peut dire que Mr de Hauteville d’Auvergne a parlé juste lors qu’il a fait le Sonnet qui suit, dans le temps qu’un si grand nombre de Souverains & de Princes liguez contre nous, ont commencé à unir leurs forces.

SUR LA LIGUE
Des Puissances de l’Europe
CONTRE
LOUIS LE GRAND.

Avoir contre LOUIS ce grand Corps Germanique,
Austrichiens, Saxons, Brandebourgs, Bavarois,
Palatins, Lunebourgs, Lantgraves, Liegeois,
La Ville Imperiale avec l’Anseatique.
***
Le Prince Suedois, le Tiran Britannique,
Que diray-je encor plus ? Espagnols, Hollandois,
Et Rome, qui l’eust cru ? se joindre à tous ces Rois,
Pour mieux fortifier leur espoir chimerique.
***
Qui ne diroit d’abord, la France va perir.
Contre tant d’Ennemis qui peut la secourir ?
LOUIS à chacun d’eux va ceder la Victoire.
***
Mais tous ces Ennemis ne donnent point d’effroy,
LOUIS défendra seul son Empire & sa gloire,
Tant qu’il protegera la Justice & la Foy.

Questions sur l’Ame avec les Réponses. A Mademoiselle … §

Mercure galant, novembre 1689 [tome 11], p. 24-71.

 

Rien n’est au dessus de celles de vostre Sexe sur quelque matiere qu’il y ait à prononcer, & vous en allez estre convaincuë par les Réponses que je vous envoye à des Questions sur l’Ame. Ces Questions ont esté faites à une jeune Personne dont la naissance est considerable, & qui demeure dans une Province fort reculée. Elle n’est redevable de ce qu’elle sçait qu’à l’élevation d’esprit que Dieu luy a donnée, & à la lecture de quelques livres François qu’elle a trouvez dans la maison de son Pere. Elle a esté engagée dés sa naissance dans les erreurs de Calvin, & ce n’a esté que depuis ces derniers temps qu’elle les a reconnuës. Elle en est parfaitement sortie, & l’on assure qu’il n’y a point de plus veritable Catholique dans le Royaume. Sa pieté est égale à ses lumieres, & sa modestie ne leur cede point. Ainsi, quoy que je vous cache son nom, elle souffrira peut-estre impatiemment que je vous apprenne qu’elle est de Vitré en Bretagne.

QUESTIONS
SUR L’AME
AVEC
LES RÉPONSES.
A MADEMOISELLE

I. QUESTION.

Je vous prie, Mademoiselle, de vouloir bien me dire ce que vous pensez de l’Ame raisonnable. Je suis comme persuadé, contre le sentiment commun, qu’il y en a de plusieurs especes ; les unes superieures, les autres inferieures, & que cela paroist dans les pensées & dans les inclinations differentes des hommes. Peut-on croire, par exemple, en lisant les Ouvrages de Mr Pascal, que l’ame de ce grand homme fust de mesme espece que celle d’un stupide Païsan ? On dit ordinairement que le temperament du corps & la diverse disposition de ses organes, font toute la difference des operations de l’Ame. J’ay peine à le croire.

RÉPONSE.

Puis que vous ne vous rendez point aux raisons dont je me suis servie, pour me dispenser de répondre aux questions que vous m’avez faites, je vous diray, Monsieur, à l’égard de celle-cy, que je ne prens point party sur ces differens sentimens, parce que cette matiere est trop élevée pour moy, & que je ne connois pas assez la nature de nostre Ame. Il me semble cependant qu’on ne sçauroit prouver aisément que ce que vous pensez ne soit pas vray, puis qu’il est difficile de sçavoir avec certitude si toutes les Ames raisonnables sont de mesme espece. Dieu a pû les créer de differentes especes, comme il a fait à l’égard des Intelligences celestes, dont l’Eglise croit qu’il y en a de superieures & d’inferieures. Ce que vous alleguez pour prouver que cela est en effet, a quelque apparence, & en est peut-estre un effet, plûtost que de la diversité des temperamens, & de la differente disposition des organes du corps, comme pretendent les partisans de l’opinion contraire ; mais aussi, Monsieur, ceux qui sont de ce dernier sentiment peuvent l’appuyer de quelques raisons qui me paroissent le rendre probable. Ils peuvent dire que l’Ecriture Sainte ne parle en aucun lieu de cette diversité d’especes des Ames raisonnables, & qu’encore qu’elle ne nous dise pas precisément qu’il n’y en ait que d’une sorte, (du moins je ne me souviens pas de l’y avoir veu) elle nous l’insinuë pourtant en nous disant que Dieu a formé d’un seul sang tout le Genre humain, & nous a tous fait descendre d’un seul homme ; car en nous faisant connoistre par là que tous les hommes sont de mesme espece à l’égard d’une des parties qui les composent, elle nous porte à croire qu’il en est de mesme à l’égard de l’autre. On doit pourtant avoüer que si des raisons plus convaincantes prouvent le contraire, il faut s’y rendre. Vous pouvez en avoir que je ne sçay pas, mais je n’en connois aucune, car ce que j’ay dit que Dieu le pouvoit faire, n’en est pas une, puis que Dieu ne fait pas toûjours tout ce qu’il peut faire, & que, de ce qu’une chose peut estre, ce n’est pas une preuve qu’elle soit. Vous me permettrez aussi de vous dire que la raison que vous apportez pour prouver que cela est en effet, n’est pas une preuve bien forte, puis qu’on y répond en disant que l’on peut attribuer la difference des operations des Ames en diverses personnes, à la diverse conformation des organes du corps, & quand vous dites que vous avez peine à le croire, c’est assurément pour me donner sujet de parler, n’estant pas possible que vous ignoriez les raisons par lesquelles on peut soutenir ce sentiment. Il est certain qu’un homme a la mesme Ame en tous les divers âges de sa vie, & que comme cette Ame ne croist point dans son enfance, elle ne diminuë point aussi dans sa vieillesse, puis que si cela estoit, elle seroit composée de parties. Ainsi elle seroit materielle, & non pas immortelle, & pourroit perir par le desassemblage de ses parties ; mais puis que tout le monde demeure d’accord que nostre Ame est spirituelle & immortelle, & que par consequent elle ne perit ny ne diminuë, à quoy attribuera-t-on les differentes operations d’une mesme Ame dans les divers âges d’une mesme personne ? D’où vient que dans le plus bas âge les Enfans ont si peu de connoissance qu’il y a beaucoup de Bestes qui paroissent en avoir davantage, si ce n’est pas un effet de la foiblesse & de l’imperfection des organes de leurs corps, qui est cause que l’Ame ne s’en peut servir pour agir que fort imparfaitement, au lieu que quand les personnes sont arrivées à un âge parfait, dans lequel les organes de leurs corps sont parvenus à l’estat où il faut qu’ils soient pour laisser l’Ame dans la liberté de s’en bien servir, on les voit agir avec tant & de si seures lumieres ? D’où vient aussi que l’on voit de vieilles gens retourner comme en enfance, perdre la raison & la pluspart des connoissances qu’ils avoient dans leur jeunesse, quoy qu’ils soient dans un âge où l’experience les leur devroit avoir beaucoup augmentées, si ce n’est du corps, qui estant tombé en décadence, devient incapable de servir à l’Ame pour agir ? La mesme chose se prouve encore par l’estat des Malades en delire, & des personnes qui ont perdu la raison. D’où leur est venu le changement qu’on remarque en eux ? Il est évident pour les premiers, que le changement arrivé à leur corps, est la seule cause de celuy qui paroist dans leur esprit. On peut parler des seconds de la mesme sorte. On a veu quelques personnes perdre la raison par des maladies, & d’autres par des chagrins & par des peines d’esprit, qui ayant fait impression sur le corps, & changé la disposition ordinaire de ses organes, semblent avoir alteré l’esprit, ce qui pourtant n’estoit pas, comme je croy que tout le monde en demeurera d’accord. On voit par ce que je viens de dire, qu’il a plû à Dieu d’unir si étroitement l’Ame avec le corps, qu’elle ne peut faire aucune action sans son aide tant qu’elle y est renfermée, & qu’elle agit plus ou moins parfaitement, selon que ses organes sont bien ou mal disposez pour la servir dans ses operations. Il me semble que l’on doit conclure de tout cela, que si les differentes dispositions des organes du corps dans les mesmes personnes, sont capables de mettre de si grandes differences dans les operations d’une mesme Ame, leur diverse conformation en diverses personnes, est aussi fort capable de causer la difference qu’on voit entre les operations de leurs Ames, quelque grande qu’elle soit, & pareille à celle que vous avez citée de Mr Pascal & d’un Paysan stupide. Que si on dit qu’il est inutile à ce Paysan & à ses semblables d’avoir autant de lumieres que Mr Pascal, puis qu’elles ne paroissent pas, & qu’ils ne se connoissent pas eux-mesmes estre tels qu’ils sont, n’estant pas d’ailleurs croyable que Dieu, qui est la Sagesse mesme, fasse rien d’inutile, on répondra que Dieu nous a créez pour le bien servir en ce monde, & pour avoir le bonheur de le posseder en l’autre, & non pour philosopher subtilement. C’est pourquoy si les personnes stupides ne sont pas capables de ces dernieres choses, il ne leur est pourtant pas inutile d’avoir autant de lumieres qu’en avoit Mr Pascal, car si elles ne leur servent pas beaucoup en cette vie, elles leur serviront en l’autre, où ils jouiront de Dieu d’autant plus parfaitement, qu’ils seront plus capables de le connoistre. S’il n’a pas permis que la beauté de leur esprit parust en cette vie, c’est que cela ne leur estoit pas necessaire pour faire leur salut, qui est la seule chose absolument necessaire. Ainsi, Monsieur, quoy que je ne me détermine pas sur ces divers sentimens, d’une maniere que je m’attache à l’un pour rejetter l’autre absolument, parce que, comme je l’ay déja dit, il est difficile de sçavoir la verité là-dessus, je ne laisse pas de pancher bien plus du costé de ce dernier, à cause qu’il me paroist plus probable que l’autre.

II. QUESTION.

Que pensez-vous, Mademoiselle, de ce qu’on tient communement, que l’Ame estant separée du corps, desire naturellement d’y estre réünie ? Pour moy, je conçois l’estat de separation si avantageux à l’Ame, que j’ay peine à croire qu’elle ait un desir naturel de s’y réünir. Ce n’est donc que pour obeïr à l’ordre de Dieu, que les Ames bien-heureuses desirent la resurrection de leurs corps, & je pense que les autres ne la desirent nullement, quoy qu’elles soient fort malheureuses dans l’estat de separation où elles sont.

RÉPONSE.

S’il estoit vray, Monsieur, que Dieu eust creé nos ames pour vivre sans corps, ou qu’il ne les eust envoyées dans les corps que pour les punir, comme j’ay entendu dire que quelques Philosophes l’ont crû, j’estime qu’aprés qu’elles en seroient separées, elles ne desireroient point d’y estre réünies, parce qu’elles regarderoient cette separation comme leur estat naturel, & l’union avec le corps comme une situation incommode & violente, à laquelle Dieu les auroit assujetties en punition de leurs pechez ; mais comme le Christianisme nous apprend que cette opinion est fort éloignée de la verité, & que Dieu a creé les Ames pour vivre avec les corps, il me semble qu’on doit croire qu’en les y unissant, il leur a donné une inclination naturelle pour cet estat, qui fait qu’aprés qu’elles sont separées du corps, elles desirent d’y estre réünies. C’est pourquoy je suis persuadée que les Ames bien-heureuses aiment leurs corps, parce qu’elles les regardent comme estant en quelque façon une partie d’elles-mesmes, à laquelle elles souhaitent d’estre réünies, & que ce seroit pour elles une grande peine d’en estre separées, si la possession de Dieu mesme, qui est leur Souverain Bien, ne les en consoloit ; qu’elles ne les regardent pas comme des prisons dans lesquelles estant de nouveau renfermées elles ayent moins de liberté, & soient moins heureuses qu’elles ne sont, puis qu’elles sçavent que Dieu en changera les qualitez, & qu’aprés la resurrection ce ne seront plus des corps grossiers & pesans, sujets aux foiblesses & aux miseres de leur condition passée, mais qu’ils seront changez, comme dit Saint Paul, qu’ils seront rendus legers, subtils, & comme spirituels ; qu’ils seront glorieux & affranchis pour toûjours des bassesses & des miseres ausquelles ils avoient esté assujettis par le peché, & qu’ainsi ils n’apporteront nul empeschement à leur bonheur. Et en effet, Monsieur, si les Ames bien-heureuses ne desirent pas naturellement la réünion à leurs corps, mais seulement par soûmission à l’ordre de Dieu, elles ne regardent pas cette réunion comme un bien pour elles, & croyent au contraire, qu’elle diminuera leur felicité ; mais seroit-il bien croyable que Dieu qui a tant d’amour pour les Ames bien-heureuses, voulust ressusciter leurs corps & les y réünir, si cela estoit capable de diminuer leur bonheur ? Pour moy, bien loin de le croire, je me persuade que Dieu employera tous les moyens necessaires pour les rendre parfaitement heureuses. Ce qui prouve encore, à mon avis, que c’est un bien pour l’Ame d’estre unie à son corps, c’est que la mort qui l’en separe est une peine du peché, & que bien des gens sont persuadez que Dieu en a voulu exempter quelques-uns de ceux qui ont esté ses plus favoris, comme Enoch & Elie, qu’ils croyent qu’il a retirez du monde en corps & en ame, ce qu’ils ne regarderoient pas, ce me semble, comme une grace, si c’eust esté un bien pour leurs Ames d’estre separées de leurs corps. Les Ames bien-heureuses ont aussi des motifs surnaturels d’aimer leurs corps & de souhaiter d’y estre réunies ; car elles leur doivent une bonne partie des peines qu’elles ont souffertes pour Dieu, de la recompense desquelles elles joüissent. Par exemple, les Martirs n’auroient pas eu le bonheur de donner leur vie pour Dieu, s’ils n’avoient eu des corps capables de mourir ; de sorte que les regardant comme les compagnons de leurs travaux, elles souhaitent qu’ils le soient aussi de leur gloire & de leur felicité. Pour les Ames mal-heureuses, je croy que ce que vous dites est fort veritable, qu’elles sont tres-malheureuses dans leur estat de separation, puis qu’elles y sont reduites dans une privation horrible, premierement & principalement, parce qu’elles sont separées de Dieu qui est leur centre & leur souverain bien ; & secondement, parce qu’elles sont separées de leurs corps pour lesquels elles conservent la mesme inclination qu’elles avoient, & je croy qu’à cause de cette inclination elles desirent d’y estre réunies ; mais je ne croy pas pourtant qu’elles le desirent en la maniere que cette réunion sera faite, c’est à dire, pour souffrir eternellement ensemble des tourmens terribles, & qu’au contraire, comme vous le dites fort bien, elles l’éviteroient s’il leur estoit possible, parce qu’elles regardent cet estat comme devant estre plus malheureux pour elles, puis que non seulement elles souffriront leurs propres peines, mais qu’elles compatiront encore à celles de leurs corps. En effet, si elles souhaitoient la réunion à leurs corps, mesme de la maniere dont elle sera faite, cette réunion estant un accomplissement de leurs desirs, seroit en quelque façon un bien pour elles, aussi-bien que l’esperance qu’elles auroient qu’elle arriveroit, & Dieu en ressuscitant leurs corps, & les réunissant à leurs Ames, sembleroit vouloir leur donner un peu de soulagement ; mais comme nous croyons que l’estat de ces malheureux est & sera à jamais une privation de tous les biens, & un accablement de tous les maux, & que Dieu ne les regardant plus que comme des objets de sa colere & des victimes de sa justice, ne veut plus leur faire aucune grace, on ne doit pas croire, ce me semble, qu’elles regardent cette réünion comme un bien pour elles, ny qu’elles la souhaitent.

III. QUESTION.

On doutera peut estre si les Ames, que Dieu pourroit, s’il vouloit, créer hors des corps, auroient de l’inclination pour y estre unies, n’en ayant pas encore ressenty la bassesse & les miseres. Pour moy, je croy que non, & que l’Ame estant tout esprit, est toûjours mieux sans corps qu’avec un corps. Et vous, Mademoiselle, qu’en pensez-vous ?

RÉPONSE.

Je croy, Monsieur, que comme les Creatures n’ont rien d’elles-mesmes, si ce n’est le peché, & que c’est Dieu qui les fait estre tout ce qu’elles sont, elles n’ont point aussi d’elles-mesmes d’inclination pour aucun estat particulier, mais que c’est Dieu qui leur donne une inclination naturelle pour l’estat dans lequel il veut qu’elles soient, autrement il donneroit l’estre à des Creatures pour les rendre malheureuses, ce qui seroit contraire à sa bonté. C’est pourquoy, si Dieu créoit les Ames avant que de les attacher à un corps, comme il auroit dessein de les mettre en cet estat, je croy qu’il leur donneroit une inclination naturelle pour y estre mises, qui les obligeroit à le desirer, malgré la connoissance qu’elles auroient de la bassesse & des miseres du corps, car estant destinées de Dieu pour y estre unies, elles seroient encore plus malheureuses d’en estre separées, parce que leur bonheur consiste à estre dans l’estat où Dieu les veut, & pour lequel il les a creées. On dira peut-estre que ces Ames, bien loin d’estre malheureuses de vivre separées des corps que Dieu leur auroit destinez, en seroient au contraire plus heureuses, parce qu’elles joüiroient de Dieu, & qu’il est certain qu’elles en jouiroient, puis que Dieu leur ayant donné la capacité de le connoistre & de l’aimer, & devant par consequent estre malheureuses si elles estoient privées de sa possession, Dieu qui est infiniment bon ne les voudroit pas rendre malheureuses, puis qu’elles ne l’auroient merité par aucun peché, ny par consequent les priver de luy ; qu’ainsi il n’y a nulle apparence que ces Ames desirassent de s’unir avec les corps, ny qu’elles eussent aucune inclination pour cette union, qui les separant de Dieu les assujettit à tant de miseres. Il me semble qu’on peut fort bien répondre à cela, en disant qu’il n’est pas croyable que Dieu qui est si bon, voulust faire goûter à ces Ames le bonheur infiny que l’on possede en joüissant de luy, ayant le dessein de les en priver ensuite pour les envoyer dans les corps, quoy qu’elles n’eussent merité ce traitement par aucun peché, & qu’il y a bien plus d’apparence que Dieu leur cacheroit par quelque moyen la beauté de son essence, & la douceur de sa possession, puis que, comme je viens de dire, il auroit dessein de les en priver, & qu’il ne leur feroit point envisager de plus grand bonheur pour elles, & ne leur inspireroit point de plus grand desir que celuy d’estre infuses dans les corps qu’il leur auroit destinez, parce que, comme j’ay déja dit, Dieu est trop bon pour rendre sans sujet ses Creatures malheureuses, ce qu’il feroit pourtant, s’il ne leur donnoit pas d’inclination pour l’estat dans lequel il veut qu’elles soient, car je suppose toûjours, en disant tout ce que je viens de dire, que Dieu auroit dessein de mettre dans les corps, les Ames dont nous parlons ; s’il n’avoit pas ce dessein sur elles, j’avouë qu’elles n’auroient point d’inclination pour cet estat, puis que Dieu n’ayant pas resolu de les y mettre, ne leur en auroit donné aucune ; & sans doute, si cela estoit, elles seroient bien plus heureuses de vivre toûjours separées des corps, puis qu’ainsi elles seroient dans la condition des Anges, & qu’elles auroient comme eux le bonheur de joüir de Dieu, car Dieu les ayant creées à cette fin, & leur en ayant donné la capacité, puis qu’on les suppose égales aux nôtres, pourquoy les en priveroit-il ? Pourquoy sans qu’elles l’eussent merité par aucun peché, les rendroit-il aussi malheureuses que les Damnez, ce que l’on appelle la peine du dam, n’estant autre chose que cette privation de Dieu ? Ainsi le bonheur des esprits ne consiste pas seulement à estre dégagez de la matiere, mais à joüir de Dieu, car au contraire, s’ils n’en joüissoient pas, ils seroient bien moins malheureux d’estre unis avec des corps, qui les empescheroient de ressentir le malheur de la privation de Dieu, comme ils en empeschent nos Ames, à moins que Dieu par quelque autre moyen ne les empeschast de ressentir le malheur de cette privation.

IV. QUESTION.

En attendant, Mademoiselle, que vous me disiez vostre pensée, je tireray cette consequence de la mienne, que l’Ame, qui est actuellement unie au corps, doit donc naturellement desirer d’en estre separée, & qu’elle le desireroit effectivement, si l’incertitude de son bonheur futur ne l’en empeschoit. Voyez un Sauvage qui n’aura aucune idée du Paradis ny de l’Enfer, dites-luy que son Ame est un pur esprit, un esprit immortel, qui separé du corps vivra & agira plus parfaitement qu’il ne fait avec le corps, vous verrez que ce Sauvage vous répondra, qu’il est donc plus souhaitable à l’Ame d’estre separée du corps que d’y estre unie, & que luy-mesme souhaitera cette separation.

RÉPONSE.

Comme je suis persuadée, Monsieur, que vous n’avez témoigné estre dans plusieurs des sentimens que vous avez marquez, que pour me donner sujet de les combattre, je n’ay pas fait difficulté d’opposer mes sentimens aux vostres, & je ne craindray pas encore de conclurre le contraire de ce que vous avez avancé. Je vous diray donc qu’il me paroist que ce n’est pas seulement l’incertitude du futur bonheur ou malheur de l’Ame, qui luy fait craindre la mort, mais aussi l’inclination naturelle qu’elle a de demeurer unie à son corps. Et aprés tout, il n’est pas besoin, à mon avis, de raisonnemens pour prouver une chose que chacun sent assez, puis que l’experience de tout le monde est plus puissante pour en convaincre que tous les raisonnemens, car je ne croy pas qu’on puisse alleguer l’exemple d’une personne qui ait donné des marques certaines qu’elle souhaitoit la mort, seulement par le desir qu’elle avoit d’estre délivrée de la prison de son corps, afin d’avoir le bien de vivre & d’agir plus parfaitement ensuite. Si Saint Paul, & plusieurs autres ont desiré de quitter leurs corps pour estre avec le Seigneur, ces desirs qu’on a cru que l’amour leur a fait pousser, estoient des desirs surnaturels, & une personne qui ne croiroit ny Paradis ny Enfer, n’en seroit pas capable. J’avouë que plusieurs souhaitent la mort sans qu’il y ait rien de surnaturel dans ces souhaits, & qu’on en a veu beaucoup se faire mourir eux-mesmes, mais ils ne l’ont fait que parce qu’ils y estoient portez ou par l’envie de s’affranchir des cruelles peines qu’ils souffroient, ou par de violens mouvemens qu’excitoit en eux la crainte de quelques grands maux. Ils ne regardoient pas la mort comme un bien, mais elle leur paroissoit un moindre mal que ceux qu’ils souffroient ou qu’ils craignoient, & ils n’avoient point d’autres moyens de s’en delivrer que celuy-là. Ainsi la resolution qu’ils prenoient de se faire mourir, venoit de ce qu’il est aussi naturel d’éviter & de craindre d’estre malheureux, que d’éviter & de craindre la mort, puis que l’on ne craint la mort, que parce qu’on la regarde comme un mal. On apportera peut-estre le sentiment de quelques Philosophes, qui ont témoigné regarder la mort comme un bien à souhaiter, & comme une liberatrice qui venoit delivrer les hommes de leurs miseres, affranchir leurs Ames de l’esclavage du corps, & leur procurer le bonheur d’une vie plus libre & plus parfaite. Je veux que ces Philosophes persuadez du bonheur de l’autre vie, que quelques-uns, ce me semble, reconnoissoient consister dans l’union de l’ame avec Dieu, ayent regardé la mort de la maniere que l’on vient de dire, j’ay peine à m’imaginer qu’ils n’en ayent eu aucune crainte, car quelques raisonnemens que l’on puisse faire là-dessus, nous ne sçaurions tout-à-fait détruire un sentiment naturel qui nous porte à craindre la mort, & qui vient des causes dont j’ay parlé. Ainsi je croy que lors qu’ils ont témoigné n’en avoir aucune crainte, ils l’ont fait par vanité, & pour se faire admirer des hommes, car s’il eust esté vray qu’ils n’eussent pas craint la mort, d’où vient qu’ils ne prevenoient pas volontairement le temps où elle devoit venir, puis qu’ils attendoient un si grand bonheur en l’autre vie ? Je n’ay pas entendu dire qu’aucun d’eux l’ait fait, du moins par le motif dont on parle, quoy que nous ayons un tres-fort panchant à nous procurer le bonheur autant que nous le pouvons, à moins qu’il ne faille employer pour cela des moyens extremement facheux & difficiles. Il est donc évident que ce qui les en empeschoit, estoit l’opposition naturelle qu’ils y avoient, & par consequent l’horreur que donne la mort ; car je ne croy pas qu’ils fussent persuadez comme nous, que ce fust une méchante action de se donner la mort à soy-mesme. Ainsi cela ne pouvoit les en empescher. On opposera encore, qu’il y a eu des personnes qui ont donné des marques bien assurées qu’elles desiroient la mort, puis qu’elles se la sont donnée à elles-mesmes, ainsi que Caton a fait, aprés avoir lû le Discours d’un Philosophe sur l’immortalité de l’Ame, qui luy promettoit beaucoup de bonheur, aprés que la sienne seroit dégagée du corps ; mais il y a bien de l’apparence que ces gens-là estoient fort malheureux en cette vie, & que l’esperance d’estre plus heureux aprés la mort, ainsi que le discours du Philosophe dans Caton, avoit excité en eux un vif sentiment, qui se rendant maistre entierement de leur Ame, ne leur avoit pas laissé la liberté de faire attention à l’amour naturel qu’ils avoient pour la vie, & à l’horreur que cause la mort. Je croy mesme que si quelqu’un les eust empeschez de se faire mourir pendant la violence de leur transport, ils ne se seroient pas ensuite portez à une telle action. Comme on ne sçauroit prouver que ce transport violent n’en soit pas cause, j’ay droit, ce me semble, de le supposer, puis que cela est possible & tres-probable, & qu’on n’a point d’exemple certain que personne se soit fait mourir, ny mesme ait souhaité de mourir, simplement par le desir d’estre privé de la prison de son corps, afin d’avoir le bonheur de vivre & d’agir plus parfaitement. Voilà, Monsieur, ce que m’ont fourny mes foibles lumieres, & tout ce que vous avez pû souhaiter de ma complaisance.

Les deux Pinçons. Fable §

Mercure galant, novembre 1689 [tome 11], p. 71-75.

 

La liberté est un bien qu’on ne peut trop estimer, mais il est de ceux dont le prix ne se connoist que par leur contraire. Ainsi le Pinçon en cage peut estre crû sur ce qu’il en dit. M. Moreau de Mautour qui le fait parler, vous est connu par plusieurs Poësies galantes que je vous ay déja envoyées de luy.

LES DEUX PINÇONS,
FABLE.
A. M. B.

 Si pour prendre de mes leçons,
 Amy, vous estes trop habile,
Ecoutez l’entretien de deux jeunes Pinçons,
Vous en pourrez tirer quelque precepte utile.
 Ils n’ont parlé rien moins que de chansons,
 Quoy qu’en chansons, tout Chantre volatile
  Dust leur ceder.
Je viens au fait, c’est assez preluder.
***
 De ces Pinçons, l’un habitoit la Ville,
Destiné par le sort, pour divertissement
  D’un Seigneur opulent,
 Qui le tenoit en magnifique cage.
Or fin embellissoit cette douce prison,
Qui renfermoit l’Oiseau de beau plumage,
Aussi de le cherir son Maistre avoit raison.
L’autre habitoit les champs dés sa naissance,
De la nature seule il connoissoit les loix,
 Et simple hoste des Bois,
Vivoit en liberté, vivoit dans l’innocence.
***
 Le hazard, ou plutost le desir curieux,
 De changer quelquefois de lieux,
L’ayant conduit un jour pardevant la fenestre
Du gros Seigneur, il vit l’autre Pinçon paroistre,
 Et tout court s’arresta.
Eblouy par l’éclat de la cage dorée,
 Pareil destin cent fois il souhaita,
Et la cage par luy fut cent fois admirée.
***
 Que je te trouve heureux, dit-il, cher Compagnon,
D’habiter si brillante, & si belle maison !
 Je ne vois qu’or autour de toy reluire.
Tu ne sçais pas ce que ton cœur admire,
Luy répond aussi-tost nostre esclave Pinçon.
J’avois ainsi que toy pour demeure champestre,
Les feuilles d’un buisson, ou les branches d’un hestre,
Et j’estois libre. Helas, que ne le suis-je encor !
La Clef des champs, croy moy, vaut mieux que cage d’or.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1689 [tome 11], p. 75-76.

Rien n'est tant à souhaiter que d'estre libre, & on ne laisse pas de s'abandonner tous les jours à des engagemens qui ostent la liberté. On aime, on tâche à se faire aimer, & on commence à estre si peu à soy, qu'on ne connoist plus d'autre plaisir que celuy de voir ce que l'on aime. C'est la folie des Amans. Ainsi vous ne serez pas surprise du transport d'amour que vous trouverez dans les Vers suivans. Ils ont esté mis en air par un fort habile Maistre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Tous mes maux sont finis, doit regarder la page 76.
Tous mes maux sont finis, j'ay reveu ce que j'aime,
Disparoissez, chagrins jaloux,
Affreux tourmens, éloignez-vous,
Tout doit ceder à ce plaisir extrême,
Tous mes maux sont finis, j'ay reveu ce que j'aime.
images/1689-11_075.JPG

[Réception de Mr. de la Grange à l’Academie de Nismes] §

Mercure galant, novembre 1689 [tome 11], p. 325-327.

 

Messieurs de l’Academie Royale de Nismes connoissant le merite de Mr de la Grange, Avocat au Parlement de Paris, le receurent dans leur Compagnie le 26. du dernier mois. Il a donné des preuves de son sçavoir dans ses plaidoyers, & continuë d’en donner avec beaucoup de succés. Le Prix qu’il a remporté au jugement de Mrs de l’Academie Royale d’Angers est un témoignage de son éloquence. Il a eu l’honneur de presenter son Discours au Roy, qui luy a fait celuy de le recevoir favorablement. On a veu de luy des Ouvrages de Poësie à la gloire de Sa Majesté, & quelques Traductions qui disputent avec leurs Originaux. Il est Fils de Mr de la Grange, Secretaire du Roy, & President du Presidial de Crespy en Valois. La perte que Mrs de l’Academie Royale de Nismes ont faite en la personne de Messire Jacques Seguier, leur ancien Evesque, qui avoit esté déclaré leur Protecteur par Lettres Patentes du mois d’Aoust 1682. a esté heureusement reparée par l’Illustre Mr Fléchier, nommé au mesme Evesché. Il est l’un des ornemens de l’Academie Françoise, & donne aujourd’huy à celle de Nismes un nouvel éclat, puis qu’il est aussi de cette celebre Compagnie.

[Ceremonie faite au couronnement du Pape] §

Mercure galant, novembre 1689 [tome 11], p. 328-329, 334-335.

 

La ceremonie du couronnement du Pape se fit le 16. du mois passé. Sa Sainteté s'estant renduë au Portique de S. Pierre, Elle fut mise sur un Trône, & le Cardinal Archiprestre de la mesme Eglise luy en ayant presenté les Chanoines, ils luy baiserent les pieds. Le Pape fut porté ensuite à la Chapelle S. Gregoire, & de là à l'Autel des Saints Apostres, où il celebra pontificalement la Messe. [...]

 

Lors que [la messe] fut dite, Sa Sainteté entonna en suite le Te Deum, & monta en suite dans une des Loges du Vestibule de Saint Pierre qui répond sur la Place, d'où Elle donna trois fois la Benediction au Peuple, aprés que le Cardinal Maidalchin, comme premier Diacre, luy eut mis la Thiare sur la teste. La ceremonie dura six heures, & pendant ce temps, il se fit plusieurs décharges de l'Artillerie du Château Saint-Ange, & de la Mousqueterie des Troupes rangées sur la grande Place de Saint Pierre. [...]

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1689 [tome 11], p. 353-354.Le poème figure dans plusieurs sources sous le nom de Jean Regnault de Segrais (cf. LADDA 1690-09).

Voicy une seconde Chanson, dont l'Air & les paroles plaisent fort icy.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Que tes loix, Amour, sont cruelles, doit regarder la page 353.
Que tes loix, Amour sont cruelles ?
Malheureux sont les cœurs qui s'en laissent charmer,
Plus malheureux encor ceux qui te sont fidelles.
Mais qui peut vivre sans aimer ?
images/1689-11_353.JPG

[Vie de la feuë Reine d'Angleterre] §

Mercure galant, novembre 1689 [tome 11], p. 354-357.

 

Je vous envoye un Livre tout nouveau que je suis assuré qui vous plaira, puis que vous avez pris tant de plaisir à lire la Vie de Madame de Montmorency, & celle de Saint François de Sales. Il est du mesme Auteur, & contien tout ce qui est arrivé à la feuë Reine d’Angleterre, Mere des Rois Charles II. & Jacques II. L’Auteur ayant eu en veuë d’écrire la Vie, non seulement d’une grande Reine, mais aussi d’une Reine Chrestienne, a pris soin de ramasser tout ce qu’elle a fait & dit pendant plus de quarante ans, tant en Angleterre qu’en France, dans les differens estats de sa fortune. Les Dames de la Visitation de Chaillot, dont elle a fondé le Monastere, & avec lesquelles elle a passé la plus grande partie de ses dix-huit dernieres années, luy ont entendu souvent conter l’histoire de ses prosperitez & de ses malheurs, & c’est par elles qu’on a sceu beaucoup de choses qu’on rapporte icy. La part qu’elle a euë dans les disgraces du Roy Charles I. son Mary, a donné lieu de s’étendre sur beaucoup de particularitez tres-curieuses touchant le Procés qui a esté fait à ce Prince, & l’abominable attentat de ses Sujets qui ont osé le condamner à la mort. La fuite du Roy Charles II. son Fils y est ensuite traitée, ainsi que son rétablissement par le General Monk, qui s’est couvert de gloire en remettant son Souverain legititime sur le Trône. L’Auteur dit dans sa Preface qu’en écrivant la Vie de cette admirable Reine, il ne luy donne point de rafinement de vertu, parce que n’en faisant point paroistre dans sa devotion, elle se contentoit de s’acquitter des vrais devoirs de Chrestien, & de suivre autant qu’elle pouvoit la Regle de la Visitation, quand elle estoit dans son Monastere, s’obligeant à des exercices de pieté, dont elle s’estoit fait une heureuse habitude, & sur tout de la Meditation, qu’elle pratiquoit fidellement, en quelque lieu qu’elle fust, ne trouvant rien de plus utile pour la faire rentrer en elle-mesme dans les occasions où elle sentoit que les persecutions de ses Ennemis sembloient affoiblir sa patience. Ceux de vos Amis qui voudront avoir cet excellent Livre, le trouveront chez le Sieur Guerout, Libraire, Court-neuve du Palais.

[Avis]* §

Mercure galant, novembre 1689 [tome 11], p. 358.

 

Le Sieur Guerout avertit ceux qui voudront avoir le Mercure, & autres Livres, qu’au commencement de Janvier 1690. il aura sa Boutique dans la Galerie neuve du Palais, auquel lieu les Libraires de Province luy pourront écrite.