1689

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, décembre 1689 [tome 12].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12]. §

Pour le Roy. Sonnet §

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12], p. 7-10.

 

On a fait beaucoup d’ouvrages qui regardent le Roy sur la situation où sont presentement les affaires, mais il n’en a point paru qui se soient attiré plus de loüanges que le Sonnet que vous allez lire. Elles n’ont pû pourtant obliger l’Auteur à consentir que je vous fisse connoistre son nom.

POUR LE ROY.
SONNET.

De l’Aigle en sa fureur, du Lion rugissant,
Et de tant d’Alliez la nombreuse milice,
Suscite vainement l’Enfer & sa malice,
Le regne de Loüis en est plus florissant.
***
 Le Ciel qui voit l’ardeur de son zele agissant,
Contre l’Impieté, l’Erreur & l’Injustice,
Va seconder nos vœux par un regard propice,
Et donner à son bras un secours tout-puissant.
***
 Vous, qui par l’union jalouse de sa gloire,
Faites sans y penser le beau de son Histoire,
Vous vaincre separez estoit peu pour LOUIS.
***
 Apprenez le secret du sort qui vous assemble ;
Ce Roy pour couronner mille faits inoüis,
Devoit domter luy seul toute l’Europe ensemble.

[Compliment fait par M. de la Chambre, Curé de S. Barthelemy, à M. le premier President] §

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12], p. 10-18.

 

Vous avez veu, Madame, par tout ce que je vous ay mandé dans ma Lettre de Novembre, que le choix que Sa Majesté à fait de Mr de Harlay, auparavant Procureur General, & aujourd’huy premier President du Parlement de Paris, a causé la joye publique, & receu un applaudissement general. Parmy ceux qui dans cette occasion ont esté complimenter ce grand & illustre Magistrat, Mr l’Abbé de la Chambre s’est distingué avec beaucoup d’avantage. Comme il est Curé de S. Barthelemy, qui est la Paroisse du Palais, il s’est crû dans une obligation particuliere de luy témoigner la part qu’il prenoit à une élevation qui luy est si glorieuse. C’est un devoir dont il s’acquita le 14. du mois passé, & il le fit d’une maniere tres-éloquente, & digne d’un homme qui occupe si justement une place dans l’Academie Françoise. Voicy les termes dont il se servit.

Monseigneur,

Si nous sommes des derniers à vous rendre nos devoirs, & à vous témoigner la joye que nous ressentons, c’est que nous n’avons osé mesler nostre foible voix parmy les acclamations de tous les Ordres du Royaume. Vostre élevation qui fait le bonheur public, fait encore la felicité particuliere de nostre Paroisse. Elle aura l’honneur de vous posseder, & l’avantage d’estre animée de vôtre exemple. Une lumiere si éclatante & si pure ne sçauroit que nous conduire à la vertu. Une vie si reglée & si Chrestienne ne sçauroit que contribuer à l’édification de nostre Troupeau, & à le fortifier de plus en plus dans la pieté que nous taschons de luy inspirer. Mais ce qui redouble nôtre joye, c’est, Monseigneur, que nostre Paroisse retrouve heureusement en vous un nouvel Achille ; Nom, qui luy a toûjours esté propice & favorable. Elle ose se promettre des nobles & genereuses inclinations de V. G. qu’estant heritier du nom, des vertus & de la dignité d’Achille de Harlay vostre illustre Ayeul, vous aurez quelque bonté pour une Eglise qu’il a comblée de tant de bienfaits.

Vous avez, Monseigneur, pleinement recueilli ce patrimoine d’honneur & de gloire que vous avez trouvé dans la succession de ce grand Homme, le plus affectionné à l’Estat qui fut jamais. Vous avez herité de son zele pour la Religion, de son attachement pour le Prince, de son parfait desinteressement, de sa reputation sans tache, de son integrité sans reproche, de sa capacité sans bornes. On jugeoit bien à vous voir marcher sur ses traces dés vos plus tendres années, que vous ajoûteriez un nouvel éclat à tant de vertus ; que vous rehausseriez le lustre de sa pourpre, & de celle des De Thou, des Silleris & des Belliévres. J’en parle comme témoin oculaire, ayant esté assez heureux pour avoir reconnu, tout jeune que j’estois, jusque dans vos moindres démarches, la splendeur de vostre origine, & veu luire les premiers rayons de cette grandeur, où le plus puissant & le plus sage des Rois vous a élevé.

Nous esperons, Monseigneur, qu’aprés avoir imité, & mesme surpassé ce grand Magistrat dans toutes ses excellentes qualitez, vous luy ressemblerez encore dans son amour pour l’Ordre Hierarchique & dans l’affection qu’il a euë pour nostre Paroisse. Non seulement il en a accru le territoire de la moitié, & a donné son nom à une partie considerable : mais ce que nous estimons infiniment plus, il a voulu que les enfans de Mr le Comte de Beaumont, son fils aisné, fussent regenerez dans les eaux salutaires des Fonts Baptismaux de nostre Eglise, de la propre main du Pasteur ; & il a reconnu par là que Saint Barthelemy estoit la veritable & l’unique Paroisse du Palais. Nos Registres sont un monument eternel de cette verité ; nous ne sommes point empressez de vous les representer ; nous n’avons nullement apprehendé que V. G. se laissast prevenir à nostre préjudice, quelque faveur qu’il y ait contre nous. On peut vivre en assurance à l’abri de vostre Tribunal, rien n’échappe à vos lumieres, vous pesez tout au poids du Sanctuaire.

Ainsi, Monseigneur, aprés vous avoir simplement fait ressouvenir des anciennes prerogatives de nostre Eglise, autorisées du glorieux aveu d’un de vos Predecesseurs, & tout ensemble un de vos Ancestres, nous nous contentons de vous assurer du plus profond respect & de la plus parfaite veneration qu’on puisse jamais avoir pour vostre Personne, & que nous ne cesserons point d’offrir nos vœux & nos prieres à Dieu pour vostre prosperité.

A Madame la Marquise d'Antin sur sa derniere couche §

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12], p. 23-26.

 

Madame la Marquise d’Antin, Fille de Mr le Duc d’Usez, est accouchée depuis peu de deux Garçons. C’est ce qui a donné lieu aux vers que je vous envoye. On les a trouvez si agréables, que je croy vous faire plaisir de vous en donner une Copie.

A MADAME
La Marquise d’Antin sur sa
derniere couche.

Ouy, ma foy, c’est à faire à vous,
Marquise, & de cette maniere,
Ou iroit bien loin parmy nous,
Pour trouver pareille Ouvriere.
***
Que par vostre travail vous surprenez les gens !
De moindres Dames que vous nestes
Ne feroient qu’avec peine, en aussi peu de temps,
 La moitié de ce que vous faites
***
Avec tout le secours du plus puissant des Dieux,
 Alcmene innocemment perfide,
En une triple nuit fit à peine un Alcide,
Et vous, en moins d’un jour, vous en avez fait deux.
***
Ce n’est pas sans sujet que cette adresse extrême,
 Donne de l’admiration ;
 Si vous continuez de mesme,
 Vous aurez du Roy pension.
***
On voit que vous sçavez qu’il a besoin de monde,
 Pour le servir l’artifice est nouveau.
 Femmes suivez un exemple si beau,
Et devenez pour luy, chacune aussi feconde.
***
Plus habiles que les Guerriers,
Qui luy moissonnent des Lauriers,
Vous doublerez par là son glorieux Empire,
Tremblez, fiers Ennemis du plus puissant des Rois,
Contre luy c’est en vain que l’Univers conspire,
Les Heros parmy nous naissent deux à la fois.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12], p. 26-28.

Toutes les Chansons, ou du moins une fort grande partie, roulent sur des plaintes d'infidelité. Aucun des deux Sexes ne s'en sauve, & les paroles que vous trouverez icy notées, vous feront voir que le vostre n'en est pas exempt. Elles ont paru depuis fort corrompuës, & sous un chant beaucoup inferieur à celuy que je vous donne. Vous en connoistrez la difference, si vous prenez la peine de comparer cet Air, avec celuy qui vient d'estre imprimé dans le Livre d'Airs de differens Auteurs pour l'année 1690.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Un Berger tendre & constant, doit regarder la page 27.
Un Berger tendre & constant,
Touché de voir sa Bergere,
Par un parjure éclatant,
Oublier qu'il sceut luy plaire ;
Dieux, dit-il, pour me vanger
D'une injure si cruelle,
Faites qu'elle aime un Berger
Aussi charmant qu'elle est belle,
Mais qui sujet à changer,
Ait le cœur aussi leger
Que le sien est infidelle.
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A Monseigneur. Rondeau §

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12], p. 152-154.

 

Voicy un Rondeau qui a couru à la Cour. Un jeune Gentilhomme qui est dans le Service l’ayant presenté à Monseigneur le Dauphin, ce genereux Prince luy fit donner cinquante Loüis pour acheter un cheval. On connoist par là que lors que l’esprit est joint à la profession des armes, on en fait mieux ses affaires.

A MONSEIGNEUR.
RONDEAU.

Pour un cheval quinze ans sont bien pesants,
Le mien les porte, & maintes longues dents,
D’où je conclus non sans quelque apparence,
Que mon cheval doit avoir pris naissance,
L’an qu’à Senef on occit tant de gens.
 Donc à ce compte il n’avoit que quatre ans,
Lors qu’on prit Gand au pays des Flamans ;
C’est à peu prés l’âge d’adolescence
  Pour un cheval.
 Par ce calcul qu’est-ce que je pretens ?
GRAND PRINCE, Helas ! vous voyez où je tens.
Or vous supplie avec tres-humble instance,
A Chevalier ayant peu de finance,
Faire donner credit chez les Marchands
  Pour un cheval.

A l'aimable Iris §

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12], p. 154-157.

 

L’amour semble fait pour les Bergers ; ils ont tout le temps qu’il faut pour s’en laisser occuper entierement, & les Vers qui suivent nous font voir que leur douce oisiveté leur donne ordinairement un heureux commerce avec les Muses. Ils sont de ce caractere aisé qui est si propre à la Bergerie.

A L’AIMABLE IRIS.

 Vous avez, à ce qu’on m’a dit,
Depuis peu, belle Iris, un Troupeau fort petit.
Si vous voulez choisir un Berger bien fidelle,
Qui garde vos Moutons en vous gardant sa foy,
Et que chaque Brebis soit toûjours blanche & belle,
Iris, ne prenez point d’autre Berger que moy.
***
 Vous verrez vos tendres Agneaux,
Bondissans sur l’herbette au bord des clairs ruisseaux,
De vos Moutons bien-tost j’augmenteray le nombre ;
Je sçauray les garder des Loups les plus méchans,
Quelquefois au Soleil, & quelquefois à l’ombre,
Enfin je suis pour vous prest à courir les champs.
***
 On coupera dans la saison,
De vos heureux Moutons la fertile toison ;
A mon retour chez-vous des prez & de la plaine,
Pour me recompenser, mes plaisirs les plus doux
Seront de vous en voir les soirs filer la laine,
Chantant les tendres vers que j’auray faits pour vous.
***
 Ne me traitez point mal, Iris,
Ayez au moins pitié de vos cheres Brebis,
Car lors qu’une Maistresse est cruelle & superbe,
Les chagrins du Berger deviennent dangereux.
Elle voit ses Moutons bien-tost languir sur l’herbe,
Pendant que son Berger est triste & malheureux.

[Histoire] §

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12], p. 189-227.

 

L’amour est une passion si bizarre, qu’il ne faut pas s’étonner des évenemens extraordinaires qu’elle cause. Celuy dont je vais vous faire part, est un des plus surprenans qui soient jamais arrivez. Une jeune Veuve, ayant assez d’agrément, & l’esprit tourné d’une maniere à faire plaisir dans tout ce qu’elle disoit, recevoit des visites assez assiduës d’un Cavalier, dont elle avoit entrepris de toucher le cœur. Il estoit riche, & d’une naissance fort considerable. L’envie qu’elle eut de réussir dans cette conqueste, l’obligea d’avoir pour luy des complaisances qui luy auroient découvert dans quels tendres sentimens elle se trouvoit pour luy, s’il se fust senti quelque disposition à profiter de l’avantage de les avoir inspirez ; mais n’allant chez elle que pour le plaisir d’une agreable conversation, il n’avoit point d’yeux pour les avances qui luy estoient faites, & la seule honnesteté avoit part à tout ce qu’elle prenoit pour des soins d’amour. S’ils n’estoient pas aussi empressez qu’elle eust souhaité qu’ils fussent, elle se persuadoit que le Cavalier cherchoit à la bien connoistre avant que de s’expliquer, & elle ne doutoit point que le temps ne vinst à bout de mettre les choses dans l’estat où elle tâchoit de les amener. Il estoit vif dans ses passions, & diverses avantures avoient fait dire de luy qu’il ne sçavoit ny aimer ny haïr moderément. Comme il ne faisoit paroistre d’attachement pour personne, & qu’il avoit avec elle beaucoup plus de liaison qu’avec aucune autre Femme, elle resolut de laisser agir ses charmes, & crut dangereux de luy marquer plus ouvertement à quel point il luy plaisoit, avant qu’une plus longue habitude l’eust engagé assez fortement, pour ne luy pas donner lieu de craindre qu’il fust en pouvoir de luy échaper. Elle seroit demeurée long temps dans l’erreur où elle estoit, si un incident fort impreveu ne l’eust détrompée. Une jeune Demoiselle, dont la Mere estoit de ses intimes Amies, luy rendit visite un jour que le Cavalier estoit avec elle. Cette Mere qui vouloit avoir un Gendre, l’ayant promise à un Gentilhomme qui ne manquoit ny de bien ny de merite, voyoit avec déplaisir que par une antipatie dont sa Fille ne luy donnoit aucune raison, elle s’opposast à ses volontez ; & comme elle souhaitoit que rien ne parust forcé dans ce mariage, elle avoit prié la jeune Veuve d’employer tous ses efforts pour luy oster cette repugnance. Dans cette veuë, elle l’envoyoit fort souvent chez & la Belle y venoit toujours accompagnée d’une Suivante, qui ne la perdoit jamais de veuë, & que la Veuve avoit donnée à la Mere. Le Cavalier la regarda attentivement. Il trouva dans ses manieres, aussi-bien que dans ses traits, tout ce qui peut rendre une Fille aimable, & aprés une conversation de plus d’une heure, où elle ne fit pas moins paroistre d’esprit que de modestie, il la laissa seule avec la Dame, à qui elle venoit demander de tâcher au moins d’obtenir de sa Mere un temps raisonnable pour se disposer à luy obeir. Le Cavalier la vit encore trois ou quatre fois chez la jeune Veuve, & comme il estoit instruit de la violence qu’on luy vouloit faire, il s’interessa dans son malheur, ne trouvant point une injustice plus grande que d’oster aux Filles la liberté de choisir selon leur goust, quand il s’agissoit d’un établissement pour toute la vie. Il arriva que dans une de ces visites, plusieurs personnes estant survenuës pour parler avec la Dame sur quelque interest particulier, il entretint fort long-temps la Belle sans avoir personne dont ils fussent écoutez. Si l’antipatie l’éloignoit du Gentilhomme, un fort panchant qui ne pouvoit avoir d’autre cause que l’Etoile, luy faisoit trouver tant d’agrément dans le Cavalier, qu’elle ne put se deffendre de luy faire voir assez d’estime pour l’autoriser à une declaration serieuse. Bien qu’elle la traitast d’inutile par l’engagement qu’avoit pris sa Mere, elle ne fut pas fachée de l’entendre, & lors qu’il l’eut priée de luy dire s’il trouveroit son cœur favorable, en faisant agir pour l’emporter sur l’Amant qu’on vouloit qu’elle épousast, elle ne luy cacha point, que quand il n’auroit besoin que de son consentement, elle luy feroit connoistre avec plaisir qu’il ne le devroit qu’à son inclination. Il la pria avant que de la quitter, de vouloir bien continuer à se laisser voir chez la jeune Veuve, afin qu’ils concertassent ensemble avec quelque sorte de loisir ce qu’il falloit faire pour venir à bout de leur dessein. L’amour se fortifia dans ces entreveuës, & comme il est mal aisé de le cacher, sur tout à une personne jalouse & interessée, la Dame qui s’en apperceut presque aussi-tost, en parla au Cavalier. Il ne fit point de façon de luy avoüer ce qu’il sentoit pour la Belle, & sans prendre garde à un peu d’émotion qui parut sur son visage, il la conjura de le servir auprés de la Mere, sur qui il sçavoit qu’elle avoit quelque pouvoir. La jeune Veuve qui estoit adroite, se contraignit le mieux qu’elle put, pour luy répondre de tout le secours qu’il pouvoit attendre d’elle, fort resoluë neanmoins de tirer ses avantages de la confidence qui luy estoit faite, & la Demoiselle estant entrée dans le mesme temps, elle eut le chagrin d’apprendre par elle-mesme qu’elle n’estoit pas indifferente à l’amour du Cavalier. Elle leur promit à l’un & à l’autre qu’elle parleroit puis qu’ils le vouloient, & ajoûta que connoissant l’esprit de la Mere, qui avoit donné sa parole au Gentilhomme, pour qui elle avoit de grands égards, elle apprehendoit d’avoir le malheur d’agir inutilement. L’amour est sujet à se flater. Ils se reposerent de tout leur bon heur sur elle, & la déclaration dont ils la chargeoient estant necessaire, ils jugerent à propos de ne la pas differer. La Dame alla voir la Mere dés le lendemain, & luy expliqua les pretentions du Cavalier qui attendoit sa réponse. Comme elle la vit fort éloignée de les approuver, elle luy demanda un entier secret sur la confidence qu’elle alloit luy faire, & luy dit ensuite qu’estant autant son Amie qu’elle l’étoit, elle se croyoit obligée de luy apprendre qu’elle s’estoit apperceuë que sa Fille qui avoit parlé au Cavalier plusieurs fois chez elle, n’estoit pas fachée qu’il luy en contast, & qu’elle craignoit que le trop d’estime qu’elle avoit pour luy, ne contribuast à la resistance qu’elle apportoit à son mariage ; qu’à la verité le Cavalier estoit un fort honneste homme, mais qu’il y avoit beaucoup à dire du côté de la fortune ; qu’il aimoit d’ailleurs violemment, mais qu’il avoit le secret de se défaire d’une passion avec autant de facilité qu’il la prenoit, & qu’elle pouvoit profiter de cet avis sans la commettre. La Mere l’ayant priée de remercier le Cavalier, parla le soir à sa Fille, à qui sans entrer dans nul détail, elle défendit d’aller encore chez la jeune Veuve. Cette défense fut sensible aux deux Amans, mais comme l’amour s’augmente par les obstacles, ils n’en eurent l’un & l’autre que des sentimens plus vifs. Le Cavalier brulant d’envie de sçavoir ce que la Belle avoit resolu, s’informa de l’heure où elle avoit accoustumé le matin de se trouver à l’Eglise, & comme elle n’y étoit ordinairement accompagnée que de la Suivante, il profita de quelques momens pour recevoir d’elle les plus fortes assurances qui pouvoient flater sa passion. La Suivante qui estoit toute à la jeune Veuve, alla l’avertir de ce commerce, & la Mere en ayant esté instruite, trouva qu’il estoit de la prudence de dissimuler, de peur d’aigrir trop l’esprit de sa Fille. Ainsi elle n’employa que le pretexte de la bienseance, pour l’empescher de sortir sans elle. Ce nouveau malheur rompit toutes leurs mesures. La voye des Lettres estant la seule ressource qu’ils pouvoient encore avoir, le Cavalier s’en servit, en donnant à la Suivante une lettre pleine des plus forts sermens, que rien ne seroit capable d’affoiblir sa passion. Elle la rendit à sa Maistresse, qui bien qu’elle en eust beaucoup de joye, ne laissa pas de se trouver fort embarassée pour luy répondre. Sa Mere qui s’estoit imaginé que l’écriture estoit dangereuse pour les Filles, n’avoit point voulu luy donner de Maistre. Ainsi les caracteres qu’elle s’estoit appliquée à former par elle-mesme, outre qu’elle avoit une ortographe des plus vitieuses, faisoient un effet si desagreable aux yeux, qu’il luy fachoit de faire connoistre ce défaut au Cavalier. Cependant l’amour la força d’écrire, & quand elle eut achevé sa lettre, elle la fit copier par la Suivante, dont le caractere estoit fort lisible. Elle fut portée au Cavalier, qui en receut encore quelques unes, mais s’il fut content des premieres Lettres, ce fut un bonheur qui ne dura pas long-temps. La Suivante ayant rendu compte à la jeune Veuve du nouveau commerce qu’ils avoient ensemble, luy donna lieu d’imaginer un moyen pour les brouiller à jamais. Elle obligea la Suivante dont l’écriture passoit pour celle de la Demoiselle, d’écrire au Cavalier une Lettre fort honneste, par laquelle elle luy mandoit que les persecutions qu’elle souffroit de sa Mere, & qui augmentoient de jour en jour, luy faisoient voir la necessité de luy obeir, si elle vouloit gouster un peu de repos ; qu’ainsi elle le prioit de vouloir toûjours luy conserver son estime, & d’étoufer un amour qui ne pouvoit qu’avoir des suites facheuses pour l’un & pour l’autre. Le Cavalier ne manqua pas d’écrire aussi tost les choses les plus touchantes pour la détourner de son dessein. Elles ne furent veuës que de la Veuve, qui obligea la Suivante à continuer d’écrire toujours au nom de la Belle, qu’il estoit juste qu’elle travaillast à son bonheur, & qu’il n’avoit pas raison de luy demander de la fermeté, puis qu’il luy estoit impossible de se dispenser de donner son consentement au mariage qu’avoit arresté sa Mere. Cela ne finit que par une Lettre qu’on luy renvoya toute cachetée, en l’asseurant qu’on en useroit de la mesme sorte pour toutes les autres, s’il s’obstinoit encore à écrire. Le Cavalier qui estoit veritablement touché de la Belle, ne put souffrir ce mépris qu’avec un chagrin extraordinaire. La Veuve tâchoit de de l’en consoler, tandis que la Belle se trouvoit de son costé dans un estat déplorable. Elle luy avoit encore écrit deux ou trois Lettres fort obligeantes. La Suivante qui se gardoit bien de les porter, luy venoit dire qu’il luy avoit répondu de bouche, qu’il la prioit de ne plus songer à luy, & qu’il n’estoit point d’humeur à se piquer de constance, quand on luy ostoit jusqu’au plaisir de la veuë. Ce procedé la piqua jusques au vif. Elle voulut pourtant luy parler, & pria la Veuve d’obtenir de luy un rendez-vous ; qu’elle trouveroit moyen de se dérober, pour venir chez elle, & qu’elle seroit contente quand elle luy auroit fait tous les reproches que meritoit l’engagement inutile où il l’avoit mise. La Veuve luy dit peu de jours aprés, que le Cavalier avoit refusé le rendez-vous, & qu’il luy avoit juré que s’il la voyoit venir tandis qu’il seroit chez elle, ils romproient ensemble pour ne renoüer jamais. La Belle entra dans des mouvemens de desespoir, qu’il est impossible de comprendre. Elle traita tous les hommes d’Infidelles, & le dépit la rendant alors capable de tout, elle resolut d’épouser le Gentilhomme. La Mere saisit cette heureuse occasion de dégager sa parole, & le mariage se fit en fort peu de jours. Son Mary la mena presque aussitost passer quelque temps à une Terre, où elle ne fut pas fachée d’aller. La solitude convenoit assez à ses chagrins, & elle y estoit plus en liberté de s’abandonner à la resverie. Quoy que le Cavalier fust persuadé de son inconstance, il ne pouvoit bannir de son cœur les impressions trop fortes qu’elle y avoit faites. Il s’en entretenoit quelque-fois avec la Veuve, qui le railloit de l’aveugle attachement dont il avoit peine à se défaire, & cessant enfin de luy en parler pour ne rien entendre là dessus qui le blessast, il ne laissoit pas de garder toûjours l’idée flateuse, dont il estoit possedé. Il y avoit déja trois ou quatre mois que ce mariage s’estoit fait, quand estant entré un jour chez une Dame de ses Amies, il fut étonné d’y trouver la Belle. Elle estoit venuë à Paris pour peu de jours, & devoit s’en retourner presque aussi-tost. Ils se traiterent d’abord avec beaucoup de froideur, & comme ils avoient tous deux sujet de se plaindre, ils faisoient connoistre par leurs regards, que le silence où les obligeoit la Compagnie, les tenoit dans un estat violent. Enfin l’entretien s’estant partagé de sorte, que le Cavalier pouvoit parler à la Dame, il s’approcha d’elle, & luy demanda par où elle croyoit qu’il eust merité l’injuste conduite qu’elle avoit tenuë à son égard. La Dame luy dit d’un ton assez triste, qu’il devoit se contenter de l’avoir reduite à se marier en dépit d’elle, & à se voir peut-estre malheureuse toute sa vie, puis qu’une union qui n’estoit soutenuë que du devoir, ne satisfaisoit guere un cœur delicat, sans vouloir encore rejetter sur elle la plus indigne inconstance, dont jamais un homme eust esté capable. Comme chacun voulut se justifier, les Lettres d’indifference que le Cavalier avoit receuës jusqu’à luy en avoir renvoyé une sans la vouloir lire, & celles où la Dame pretendoit qu’il n’avoit pas daigné faire réponse, furent pour eux des sujets d’étonnement qui commencerent à leur faire ouvrir les yeux sur la tromperie qu’on leur avoit faite. La Dame ayant avoüé au Cavalier qu’elle s’estoit servie de la main de la Suivante dans toutes ses Lettres, luy protesta qu’elle ne luy en avoit écrit aucune que pour luy répondre d’une éternelle constance s’il l’aimoit assez pour ne se rebuter pas. Le Cavalier offrit de luy en monstrer de toutes contraires, & la Dame du logis qui estoit une Amie commune, ayant esté mise du secret pour cet éclaircissement, ils promirent de se rendre le lendemain dans le mesme lieu. Le Cavalier apporta les Lettres dont la Dame ne reconnut que les premieres. Ainsi la fourberie fut aisément découverte, quoy que l’on ne pust avoir le témoignage de la Suivante qui s’étoit mariée depuis un mois dans une petite Ville assez éloignée. La Belle ne douta point que tout leur malheur ne vinst de la jeune Veuve, qui avoit donné cette Suivante à sa Mere, & le Cavalier en demeura convaincu, lors qu’elle l’eut asseuré que l’ayant priée de ménager un rendez-vous avec luy pour sçavoir la cause de son changement, elle estoit venuë luy dire qu’il ne vouloit jamais ouïr parler d’elle. Il seroit bien malaisé de vous peindre les emportemens du Cavalier. Il jura qu’il se vangeroit de la jeune Veuve d’une maniere terrible, & la pria de ne le pas priver du plaisir que luy donnoit une veuë si agreable, dans le peu de temps qu’elle seroit à Paris. La Dame ne luy cacha point que la certitude qu’elle avoit de son innocence ayant réveillé en elle des sentimens qu’elle croyoit assoupis, elle se voyoit forcée de luy refuser ce qu’il demandoit, & quoy qu’il pust dire, elle ne luy accorda la permission que d’une seule visite, dont leur Amie auroit soin de luy apprendre le jour lors qu’elle seroit preste à partir. Cependant le Cavalier fit reflection sur ce qui avoit pû l’engager à les mettre mal ensemble, & il trouva qu’un amour secret qu’elle avoit pour luy, en devoit estre la cause. C’estoit l’homme du monde qui se possedoit le plus, & qui sçavoit mieux dissimuler. Il alla chez elle, prit un air libre & fort enjoué, & luy ayant dit aprés plusieurs discours obligeans qu’il commençoit à s’appercevoir que ses sentimens pour elle devenoient amour, il vit que la declaration luy faisoit plaisir. Il luy parla serieusement, & n’eut pas de peine à obtenir son consentement pour l’épouser. Le mariage se fit avec autant de secret que de promptitude, & il luy fit trouver bon qu’aprés la ceremonie ils monteroient en carrosse pour aller à une maison de campagne qu’il avoit à quatre lieuës de Paris, ce qui les delivreroit des importuns complimens qu’il faut essuyer dans une semblable occasion. Ils s’y rendirent dés qu’ils furent mariez, & le Cavalier la mena d’abord dans un appartement assez proprement meublé. Il en sortit aussi tost sous quelque pretexte, & un peu aprés on apporta à la Dame un billet de sa main qui contenoit ces paroles.

Vous m’avez fait perdre par vos artifices la seule personne que je me sentois capable d’aimer, & il ne seroit pas juste que vous menassiez une vie heureuse lors que vous m’avez rendu le plus malheureux de tous les hommes. La prison où je vous laisse n’est pas fort desagreable. Vivez y sans moy, qui ne vous verray jamais.

Il me seroit inutile de vous expliquer le desespoir de cette nouvelle Mariée, qui comprit par ce Billet la vangeance que le Cavalier avoit voulu tirer d’elle. Il revint à Paris le mesme jour, & répondit sur son mariage d’une maniere à faire connoistre qu’on le chagrinoit de luy en parler. La Belle luy tint parole, en luy marquant un jour pour la voir avant son départ. Elle apprit de luy de quelle façon il l’avoit vangée, & condamna ce qu’il avoit fait. Il luy répondit que l’ayant perduë, il avoit voulu se mettre en état de ne pouvoir prendre d’engagement avec aucune autre, & avoir en mesme temps le plaisir de contenter sa vangeance, en tourmentant à son gré sa plus mortelle ennemie. La Dame avoüa qu’elle n’auroit pas esté fachée qu’il eust rompu avec elle ; mais les choses ayant tourné autrement, elle le pria de considerer que c’estoit sa Femme, & qu’il ne seroit pas glorieux pour luy qu’on publiast dans le monde, qu’un interest d’amour inutile, l’eust porté à l’épouser seulement pour la punir ; que pour elle, quoy qu’elle eust trop suivy son dépit en se donnant à un homme pour qui son panchant ne luy disoit rien, elle n’épargnoit ny n’épargneroit jamais aucuns soins pour changer son cœur, afin de remplir le moins imparfaitement qu’elle pourroit, les obligations de tendresse où elle s’étoit mise avec un Mary, & qu’elle luy conseilloit de faire la mesme chose pour une personne qu’il ne pouvoit rendre malheureuse qu’en se rendant malheureux luy-mesme. Elle eut beau parler, rien ne fut capable d’ébranler sa haine, & tout ce qu’il accorda, ce fut que si le lieu où il avoit mis sa Femme ne luy plaisoit pas, il luy permettroit de se retirer dans un Convent, où il auroit soin qu’elle ne manquast de rien. La Dame a pris ce party. Elle est dans une Maison de Religieuses de Province, & comme elle y est depuis plus d’un an, sans que ses Amis ayent encore pû rien gagner sur l’esprit du Cavalier, il y a grande apparence que le temps de voir finir sa clôture n’arrivera pas si tost.

[Envoi de médailles gravées]* §

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12], p. 227-228.

Je continuë à vous envoyer des Medailles, qui toutes ensemble feront une suite des principales actions de la Vie du Roy. Le revers de celle que je viens de faire graver, contient la Ville de Strasbourg, avec tous les Forts qui sont dans les Isles des environs, & qui ferment la France du costé de l’Allemagne.

[Livres nouveaux] §

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12], p. 228-242.

 

Vous m’avez donné beaucoup de joye en m’apprenant que vos sentimens sont conformes à ce que je vous ay dit du Livre qui contient ce qu’il y a de plus merveilleux & de plus particulier dans la Vie de la Reine d’Angleterre, Mere de Jacques II. à present regnant. Elle est remplie de tant d’évenemens extraordinaires, qu’en admirant la vertu & la patience de cette Reine veritablement Chrestienne, dans les cruelles traverses qu’elle a essuyées, on a le plaisir d’apprendre les ressorts cachez, qui ont fait resoudre le Parricide execrable, commis par des Sujets revoltez en la personne du Roy Charles I. son Epoux. Le regne de Cromwel sous le nom de Protecteur de la Republique d’Angleterre, & le rétablissement du Roy Charles II. son Fils, sont des endroits où sont attachées des circonstances qui n’avoient point encore esté sceuës ; de sorte que ce Livre a dequoy satisfaire également, & ceux qui aiment les pratiques de pieté, qui frappent toûjours bien plus vivement dans une grande Princesse que dans une autre personne, & ceux qui cherchent les motifs secrets des mouvemens remarquables qui ont fait bruit dans toute la terre.

Je vous envoye un autre Livre, intitulé Reflexions Morales, pour les personnes engagées dans les Affaires, qui veulent vivre chrestiennement. C’est un Ouvrage d’un caractere tres-singulier, qui instruit les Intendans des grandes Maisons & les Procureurs, de la maniere dont ils se doivent conduire pour remplir chrêtiennement les devoirs où les engage leur profession. J’ay lieu de vous dire que cet Ouvrage est tres-singulier dans son espece, puis que les Casuistes ne sçachant pas le détail de la pratique, ne peuvent diriger seurement la conscience de ceux qui ont des emplois de cette nature. Ils le peuvent d’autant moins que les Praticiens en se confessant ne s’accusent pas de ce détail, qui est neanmoins dangereux pour l’ame, & qui enferme souvent plusieurs causes d’une restitution indispensable. D’ailleurs les Praticiens n’estant pas Casuistes, ne s’avisent point de regler leur Mestier par les principes de la Theologie. L’Auteur qui a déja donné au Public plusieurs Ouvrages connus, croit celuy-cy tres-utile, si on le lit attentivement, sans prevention, & avec l’indifference qu’il faut avoir pour se laisser persuader de la verité. Il dit en beaucoup d’endroits de son Livre, qu’il connoist des Avocats, des Procureurs & des Intendans fort honnestes gens, qui s’acquitent de leur devoir chrestiennement, & il n’attaque que la friponnerie en elle mesme, sans avoir en veuë qui que ce soit. Ainsi personne n’a lieu de se plaindre. On sçait qu’il y a de l’abus parmy quelques-uns de ceux qui exercent les differentes professions qui sont dans le monde. On le dit, on le publie, & cela ne blesse personne. C’est ce que l’on fait icy, & seulement pour l’utilité publique. Il se peut faire mesme que plusieurs manquent par pure ignorance, ayant dans le fond de la probité, & ceux qui pechent ainsi, faute d’avoir de seures lumieres, seront bien-aises qu’on ait pris soin de les éclairer. Au reste, on peut dire que ce Livre convient à toutes sortes de gens ; aux Plaideurs pour se garantir d’estre surpris, aux Personnes de qualité pour se défendre contre le manege de leurs Intendans s’ils sont de mauvaise foy, & aux Confesseurs mesmes, pour les faire entrer dans un détail, qui ne leur laisse rien ignorer de ce que pratiquent leurs Penitens. On parle des Avocats, mais comme ce sont la pluspart gens de merite, & de beaucoup de science ; l’Auteur ne pretend pas les instruire, comme il le dit dans sa Preface ; mais seulement leur faire faire quelque reflexion sur leur conduite, afin que connoissant la verité, ils puissent la suivre, si par hazard ils s’en estoient éloignez. Les Notaires & les Secretaires des Rapporteurs, ont aussi leur chapitre dans ce Livre, & s’ils cherchent à vivre en Chrestiens, la lecteure ne leur en sera pas inutile. Il se vend, aussi-bien que la Vie de la Reine d’Angleterre, chez le Sr Guerout, Gallerie neuve du Palais.

Le Sr Coignard, Imprimeur ordinaire du Roy & de l’Academie Françoise, debite depuis peu de temps un Livre assez curieux, qui se trouve aussi chez le Sr Guerout. C’est la Relation d’un Voyage fait à la Mer du Sud en 1684. & années suivantes, par Mr Raveneau de Lussan avec les Flibustiers de l’Amerique. Le Pays & les Peuples dont il y est parlé, estoient à peine de nostre connoissance. On n’en sçavoit guere que le nom, & on n’avoit pas encore esté instruit de leurs mœurs. Ces lieux sont peuplez, riches, abondans & agreables. Les Espagnols qui en occupent la meilleure partie, y ont fait divers établissemens, & basti des Villes en grand nombre ; mais ils ne se piquent point d’une fort grande bravoure, puis que deux ou trois cens hommes, parmy lesquels s’est trouvé l’Auteur, ont esté capables de répandre la terreur dans des Provinces entieres. Il y a mille autres choses dans ce Livre qui semblent passer toute créance ; on sçait neanmoins qu’elles sont tres-vrayes, parce qu’elles ont esté confirmées par beaucoup de gens, & que l’Auteur a des certificats de personnes dignes de foy, qui empeschent d’en douter. Il est assez surprenant qu’un homme de vingt-cinq ans ait achevé de si grands voyages. Son âge si peu avancé, & ce qu’il y a de prodigieux dans son Journal, ont fait souhaiter de le voir à plusieurs personnes de la premiere qualité, & il leur a parlé si juste & avec tant de netteté sur son voyage, que son entretien a achevé de faire croire ce qu’il rapporte dans son Livre. Je ne vous dis point qu’il entend parfaitement la Marine, puis qu’on ne la peut apprendre mieux que dans ces voyages de long cours.

Le Public est obligé aux soins du Sr Thomas Amaurry, Libraire à Lyon, qui avec de tres-grands frais, nous vient de donner tous les Ouvrages du celebre Ettmulerus, Philosophe & Medecin, en deux gros Volumes in folio. Ils ont esté mis dans l’ordre où ils commencent presentement à paroistre par le travail & la vigilance de Mr Chauvin, Docteur en Medecine, aggregé au College de Lyon. Ettmulerus estoit un celebre Professeur dans l’Université de Lipsic, & il a traité la Medecine dans toutes ses parties, avec une profonde érudition. Il n’ignoroit rien des autres sciences, & il ne faut pas s’étonner si avec un genie universel, il s’étoit acquis l’estime de tous les Sçavans. Les témoignages glorieux qu’ils donnent de luy au commencement du premier Volume, nous font connoistre dans quelle haute reputation il estoit. Sa mort arrivée en 1683. avant qu’il eust mis la derniere main à la pluspart des doctes Traitez que l’on a de luy, a esté une grande perte. Il n’estoit encore que dans sa quarantiéme année. Les deux Volumes qui contiennent toutes ses Oeuvres, se trouvent chez le Sr Guerout, Libraire au Palais, & chez plusieurs autres Libraires de la ruë Saint Jacques.

[Mort de Marthe de Neufbourg]* §

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12], p. 248.

 

Dame Marthe de Neuf-bourg. Elle estoit Femme de Messire Renouard de Villayer, Doyen du Conseil. Il est de l’Academie Françoise.

[Mort d’Emery Bigot]* §

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12], p. 252.

 

Emery Bigot. Il estoit d’une fort bonne Famille de Roüen, & Fils d’un Conseiller de la Cour des Aides. Sa grande capacité luy faisoit avoir commerce avec tout ce qu’il y a de Sçavans, & il se faisoit chez luy fort souvent des Conferences sur toutes sortes de matieres de belles Lettres. Il avoit une fort grande Bibliotheque, composée des Livres les plus recherchez, & on peut dire qu’elle estoit parfaite du costé de l’Histoire. Il est mort le 18. de ce mois, âgé d’environ soixante & quatre ans.

[Epitaphe pour M. Soirot]* §

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12], p. 253-254.

 

On a eu aussi nouvelles de la mort de Mr Soirot, arrivée depuis trois semaines. Il estoit Grand-Maistre des Eaux & Forests de Bourgogne & de Bresse, & s’estoit acquis une estime generale. Mr de la Monnoye de Dijon, dont la reputation vous est si connuë, a fait les Vers que vous allez lire, pour luy servir d’Epitaphe.

Cy gist Soyrot. Passant, ce mot veut dire,
Un homme ensemble & genereux & doux,
Qui sceut bien vivre, agir, parler, écrire,
Fut bon Amy, bon Pere, bon Epoux,
Vêcut loué, chery, gousté de tous ;
Hors en un point, mais dont nul ne s’étonne.
C’est que la fin qui les œuvres couronne,
L’a tout à coup fait voir bien different ;
Luy qui jamais ne chagrina personne,
A chagriné tout le monde en mourant.

Sur la Tontine §

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12], p. 295-297.

 

Je ne sçaurois mieux finir ce que j’avois à vous dire de cet Edit du Roy, que par de tres-agreables Vers qui courent là-dessus, de Mr le Pays. Tout le monde en demande des copies, & on n’en doit pas estre surpris, puis que tout ce que l’on voit de luy a ce caractere aisé que chacun cherche, & que peu de gens viennent à bout d’attraper.

SUR LA TONTINE.

Enfin je ne me plaindray plus
De l’Etoile qui me domine ;
Il me reste encor cent écus
Que je vais mettre à la Tontine.
***
 O la charmante invention !
Sans avoir du Dieu Mars essuyé les orages,
Sans avoir fatigué la Cour de mes hommages,
Je seray sur l’Estat, & j’auray pension.
***
 Voicy par où j’espere & comment j’argumente.
Si je vis je suis riche, & si bien-tost je meurs,
 La pauvreté ny ses horreurs
 Ne me causent point d’épouvante.
***
 Or ma Planete bien-faisante
Promet à ma vie un long cours.
Ergo, j’auray sur mes vieux jours
Quinze ou vingt mille écus de rente.
***
 Quel plaisir, quel bon-heur, quelle prosperité
 Se reservent à ma vieillesse !
Mais au milieu des biens je mourray de tristesse,
Si mon Roy n’est témoin de ma felicité.

Air nouveau §

Mercure galant, décembre 1689 [tome 12], p. 315-316.

Voicy un second Air nouveau, dont vous ne serez pas moins satisfaite, que du premier que vous avez trouvé au commencement de cette Lettre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Si c'est ton sort de n'aimer qu'elle, doit regarder la page 316.
Si c'est ton sort de n'aimer qu'elle,
Cœur malheureux, n'aime pas tant.
Tu deviens tous les jours plus tendre & plus constant,
Et ton Iris devient tous les jours plus cruelle.
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