1690

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1690 [tome 1].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1]. §

Clovis à Louis le Grand §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 7-30.

 

Nous entrons dans une Année, où il semble que l’on se prépare à voir les plus grands évenemens qui ayent jamais fait ouvrir les yeux à toute l’Europe. Ce n’est point à moy à raisonner sur ce qui fait aujourd’huy l’entretien des Politiques, mais je croy du moins qu’il me peut estre permis de vous faire part de ce que le premier Roy Chrestien des François a auguré en faveur du plus auguste & du plus puissant de ses Successeurs. Mr Magnin, Conseiller Honoraire au Presidial de Mascon, & l’un des Academiciens de l’Academie Royale d’Arles, est l’Auteur du petit Poëme que vous allez lire. Son zele ne doit point vous étonner. Vous sçavez qu’il n’a point trouvé d’occasions de donner au Roy les Eloges qu’il merite, sans faire voir qu’il n’y eut jamais Sujet plus touché que luy de la gloire de son Souverain.

CLOVIS
A LOUIS
LE GRAND.

Heros, formé du sang le plus pur de mes veines,
Pour servir de modelle aux grandeurs Souveraines.
Monarque dont la gloire, en charmant l’Univers,
Attire les regards de cent Peuples divers ;
Tes travaux, tes vertus, & tes Exploits de guerre,
Ne t’ont pas seulement distingué sur la terre,
Au bruit que fait ton Nom tes illustres Ayeux,
Du celeste séjour, jettent sur toy les yeux.
Tu ne l’ignores pas ; ma grandeur triomphante
Fut comme le signal de ta grandeur presente.
Aprés avoir fondé l’Empire des François,
Veu ses destins divers rouler de Rois en Rois,
Ses Guerriers, la terreur & la gloire du monde,
Du bruit de leurs Exploits remplir la Terre & l’Onde,
Craint par mille revers, frequens chez les mortels,
La cheute de ton Trône, & celle des Autels,
Quand les armes en main la cruelle Heresie
Signaloit par le sang sa noire frenesie ;
Puis-je voir tes Etats heureux & florissans,
Braver de tes Rivaux les efforts impuissans,
Tes Sujets, par tes soins & par ta vigilance,
Toûjours seurs de la paix, contens de l’abondance ;
Ce repos immortel, dont le calme asseuré
Sur celuy de ton ame est peint & mesuré ?
Puis-je voir ta sagesse immuable & profonde,
Balancer le destin des Puissances du monde,
Répondre en un instant à mille soins divers,
En reglant tes Etats, regler tout l’Univers,
Entrer dans le secret de toutes les intrigues,
Prevenir les desseins des plus puissantes ligues,
Puis-je te voir enfin si grand, si genereux,
A force de Vertus, estre toujours heureux,
Sans parler des transports de ma juste allegresse
Avecque les Mortels que ta gloire interesse ?
Du Trône où tu te sieds Auguste fondateur,
Je partage avec toy la dignité, l’honneur.
Je vois avec plaisir par combien de miracles,
Ton beau regne répond à tant d’heureux oracles ;
Mais je ne trouve pas, lors qu’on te nomme Grand,
Que l’on comprenne assez d’où ce surnom dépend.
Foibles adorateurs des Puissances humaines,
Vous ne leur donnerez que des loüanges vaines,
Si vos Heros, jaloux des titres immortels,
Ne les ont établis sur la foy des Autels,
S’ils ne rapportent pas au Dieu qui les couronne,
Les pompeuses grandeurs que le monde leur donne.
Non, tous ces faux brillans ne leur servent de rien,
Le veritable Grand doit estre tres-Chrestien ;
Il vaut plus ce beau nom, que mille Exploits de Guerre ;
Quand on me le donna, j’estois le seul en terre,
De tant de Potentats dont on vantoit la foy,
Il n’en estoit aucun de fidelle que moy.
Du perfide Arius la coupable doctrine
Ostant à l’homme-Dieu son essence divine,
Son erreur triomphante, avoit en mesme temps,
De la Religion sappé les fondemens,
Quand brûlant d’un saint Zele en ce desordre extrême,
Clotilde m’inspira le desir du Baptesme.
Si le monde aujourd’huy n’a plus de ces erreurs,
La vaine ambition a tant de Sectateurs,
Qu’à force d’animer l’injuste jalousie,
La Politique a fait ce que fit l’Heresie.
Quand tout est soulevé, tout armé contre toy ;
On voit que dans son centre on attaque la Foy.
Qui se met en estat, hors toy, de la défendre ?
A quel enchantement se laisse-t-on surprendre,
En faisant une ligue avec des Ennemis,
Moins que les Ottomans, à l’Eglise soûmis,
Voulant faire éclipser le Soleil de la France
Pour redonner l’éclat au Croissant de Bisance ?
Ligue où Rome concourt, à faire détrôner
Un Roy Saint, qu’elle doit, & plaindre, & couronner,
Et de l’Usurpateur secondant l’entreprise,
Etonne l’Univers, & fait gemir l’Eglise.
Quand on vous instruira de cette verité,
Vous ne la croirez pas, sage Posterité.
Non, non, le champ est pur, l’erreur en est bannie,
La main de l’Ennemi sema la Zizanie ;
Le Pontife Zelé, bon & vieux à la fois,
Méconnut du serpent, & la ruse & la voix,
Direz-vous ; mais LOUIS, par sa sagesse extrême,
A sceu vous prévenir, il parle tout de mesme,
Il voit & plaint l’erreur, & sans estre en courroux
Il se met en défense, & seul & contre tous.
C’est là de ta grandeur le chef-d’œuvre admirable,
LOUIS, les autres Grands ne font rien de semblable,
Aujourd’huy mesme encore à leur ambition
Ils font ceder les droits de la Religion.
Ce Simbole de Paix, ce nom de Catholique,
Aux dépens de l’Eglise arme la Politique,
Mais plus ils font d’efforts, plus on voit ta grandeur,
Ton calme les agite, il les met en fureur.
Qu’ils viennent tous en foule attaquer ta frontiere,
Elle ne fut jamais plus forte, plus entiere.
Croyent-ils avoir à faire à des Turcs effraiez ?
S’ils t’ont causé des frais, ils les ont bien payez.
Foibles & querelleux, que peuvent-ils pretendre ?
Ce que tu leur as pris, ils sont à le reprendre,
Et lors que tu voudras les en laisser joüir,
Y pourront-ils trouver de quoy se réjoüir ?
Ces peuples malheureux, ruinez sans ressource,
Sçauront que de leurs maux ils sont l’unique source,
Et de leur vain orgueil detestant la fureur,
Ils ne les verront point sans haine, sans horreur.
On la sçaura par tout, cette tragique Histoire,
Qui les couvre de honte, & te comble de gloire.
Qu’ont-ils fait, dira-t-on, sinon de rehausser
La grandeur du Heros, qu’ils pensoient abaisser ?
L’Espagne, l’Angleterre ; & le corps Germanique,
Tout le Nord, la Hollande, heureuse Republique,
Qui croiroit que la France eust deu ne perir pas,
Avec tant d’ennemis, à la fois sur les bras ?
Mais loin de l’affoiblir, sa force est redoublée,
Une si grande attaque à peine l’a troublée,
En vain de toutes parts le Tonnerre a grondé,
LOUIS la défendoit, qu’a-t-elle apprehendé ?
Tandis qu’on nous chassoit de nos Bourgs, de nos Villes,
Son Peuple avoit des jours & des nuits si tranquilles,
Qu’il entendoit le bruit des guerres, des combats,
Comme un évenement qui ne le touchoit pas.
Mais, ajoûteront-ils, le moyen que la France
N’eust pas de son bonheur une entiere assurance ?
Le Roy, qui prenoit soin d’établir son repos
Estoit né pour donner des leçons aux Heros.
Sa sagesse reglant sa grandeur de courage,
Il en faisoit toûjours un équitable usage.
Seur de vaincre à la guerre, il ne manquoit jamais,
Et de prendre, & d’offrir le parti de la Paix.
Des yeux de sa justice envisageant sa gloire,
Ses desseins l’ont conduit de victoire en victoire.
Pacifique, ou guerrier, également vainqueur,
Fier à ses Ennemis, & maistre de son cœur,
S’il ne les domtoit pas par la force des armes,
Il se domtoit luy-mesme & calmoit leurs alarmes.
Pressez par l’Ottoman, les vit-il aux abois,
De nulle ambition il n’écouta la voix ;
Sa moderation, inconnuë à l’Histoire,
Propre à donner exemple aux jaloux de sa gloire,
Servit tout au contraire à leur persuader
Que leurs efforts unis alloient l’intimider.
Mais diront-ils encor, le Ciel comme en colere,
Regarda le projet qu’ils avoient osé faire.
LOUIS prit un parti si saint, si genereux,
Qu’il en devoit attendre un succés tres-heureux.
Pouvoit-il voir un Roy, par l’ardeur de son zele,
Rétabli dans l’Eglise, & détrôné pour elle,
Un Monarque, à l’horreur de tous les Potentats,
Par ses propres enfans chassé de ses Estats,
Le Tiran, protecteur de l’impie Heretique,
Aidé dans ses desseins, d’un parti Catholique,
Sans offrir un asile au Prince infortuné
Qui voyoit contre luy tout l’Enfer déchaisné,
Sans faire en sa faveur agir dans ces alarmes,
Le secours des conseils, la puissance des Armes,
Et partageant sa peine en ce triste revers,
Paroistre encor plus grand aux yeux de l’Univers ?
Mais sans aller chercher ces loüanges futures,
On t’en donne aujourd’huy de si justes, si pures
Qu’à tes Ennemis mesme on le fait avoüer,
On ne sçauroit assez dignement te loüer.
Tes soins si glorieux, ta sagesse profonde,
Sont dans l’art de regner la merveille du monde.
Ces Heros si fameux dans les siecles passez,
Par tes moindres travaux tu les as effacez.
Ceux mesme dont ta gloire a fait la jalousie,
Pour modelle à la leur ne l’ont-ils pas choisie ?
Mais en cela leur art a beau s’étudier,
C’est un original qu’on ne peut copier.
On verra ce Loüis, comme un chef-d’œuvre unique ;
Il ne la doit qu’à luy sa grandeur heroïque,
Et pour comble de gloire & de felicité,
Il est inimitable, & n’a rien imité.
Mais cette vive foy qui t’attache à l’Eglise
Lors que tout s’en separe, ou que tout la divise,
Fait de cette Grandeur qu’on admire aujourd’huy,
Le fondement sacré, l’inviolable appuy.
On ne le sçait que trop ; cette Mere immortelle,
Hors toy qui la soutiens, n’a plus d’Enfant fidelle.
La voilà par l’effet, d’un retour obstiné,
En l’estat qu’elle estoit quand je fus couronné,
Les graces que ma foy me donna lieu d’attendre,
Sur ta posterité le Ciel les va répandre,
Tes dignes Successeurs sur ton Trône affermis,
Braveront comme toy leurs plus fiers Ennemis ;
Le Dieu de ces Autels dont tu prens la défense,
Fera de leur Empire adorer la puissance.
Dans tes Estats heureux, tes fortunez Sujets
Verront toujours regner l’abondance & la Paix,
A l’ombre des lauriers qui couronnent ta teste,
Jamais ils ne craindront ny foudre, ny tempeste.
Les rayons du Soleil qui brilleront sur eux,
Sembleront ne briller que pour les rendre heureux ;
Des jours doux & sereins, suivis de nuits tranquilles,
Ne leur annonceront que des travaux faciles.
Quand le bruit de la Guerre aura tout alarmé,
A peine sçauront-ils pourquoy l’on est armé.
Attendant sans effroy le succés des querelles,
Ils n’en seront instruits qu’en lisant les nouvelles,
Si charmez, si contens de leur prosperité,
Ils voyent comme elle passe à la posterité,
Ils la voyent bien avant dans les races futures
Former un long tissu d’heureuses avantures ;
Ton Dauphin, les Enfans de ce Fils genereux,
En previennent déja les desirs, & les vœux.
Voy dans ces Rejettons que le Seigneur te donne,
Ses regards de faveurs briller sur ta Couronne,
Jusqu’à la fin des temps dans leurs faits inoüis,
Mille Peuples charmez verront toujours LOUIS.
Formez par ta sagesse, & couverts de ta gloire,
Ce seront leurs vertus qui feront ton Histoire,
Les Peuples éclairez par de nouveaux Soleils,
Dans une course égale, & des regards pareils,
Les envisageront comme tes Parelies,
Et leurs felicitez par là seront remplies.
Que l’Aigle Imperiale avec des yeux jaloux,
En fuyant ta lumiere imite les Hiboux,
Un jour, des partisans de sa haine cruelle
Il se fera peut-estre une ligue contre elle.
Rome à tes interests si contraire aujourd’huy,
Connoistra que la France est son plus seur appuy.
Elle se souviendra par qui la tirannie
Du Burbare Lombard fut autrefois punie,
Et de ces Protestans dont elle enfle le cœur,
Elle détestera l’orgueil & la fureur,
Lors voyant ta grandeur, sans en estre offensée
La foy du Fils Aisné sera récompensée.
Enfin, l’on avoüera ce que ma voix t’apprend,
Qu’un Prince Tres-Chrestien, est un Prince tres-grand.

[Ouverture du jubilé] §

Mercure galant, janvier [tome 1], 1690, p. 30-32.

 

Le 7. du mois passé, le Pape fit l'ouverture du Jubilé en l'Eglise de Sainte Marie Majeure. La Cavalcade fut fort solemnelle. Tous les Corps Reguliers & Seculiers avec les Basiliques y assisterent en Procession. Le rendez-vous estoit à l'Eglise des Chartreux & de là la marche se fit par la Vigne Montale. Sa Sainteté estoit portée en Litiere avec les marques les plus éclatantes de la majesté des Souverains Pontifes. Toute sa Maison estoit montée sur des mules. Un Prelat portoit la Croix à cheval, suivi d'un Carosse vuide à six chevaux blancs. Il y avoit aussi deux Litieres vuides, & l'on menoit à la main deux Mules ou Haquenées richement harnachées. Ensuite marchoient les Chevaux-legers, & les Cuirassiers le Sabre nud à la main, & des Trompettes & Timbales. Le Pape fut receu par le Sacré College à la grande porte de Sainte Marie Majeure. Il donna ensuite la Benediction au Peuple, & permit à tous les Religieux de luy baiser les pieds.

Maximes galantes §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 32-70.

 

Comme il me paroist que les Maximes sont assez en vogue, je croy que vous ne serez pas fachée de voir celles-cy, dont le hazard m’a fait tomber une copie entre les mains. Elles sont de Mr de Templery, Gentilhomme d’Aix en Provence. C’est un nom qui ne vous sçauroit estre inconnu, puis que je vous ay déja envoyé divers Ouvrages tant en Vers qu’en Prose, que vous avez toujours leus avec plaisir.

A Me LA MARQUISE
D’OPPEDE.
A LA VERDIERE.

Madame,

Comme la principale de mes Maximes a toujours esté de chercher de quoy vous divertir, je vous envoye celles que mon loisir m’a permis de faire pendant mon dernier sejour à la campagne, en attendant que je les accompagne d’autres qui soient morales & Chrestiennes. Je sçay que le plus grand defaut des Maximes, est quand elles sont contraires à la verité ; mais pour celles-cy, qui roulent presque toutes sur l’amour, je puis vous assurer qu’elles sont veritables ; car j’y ay travaillé d’aprés nature, & il y en a peu dont je n’aye fait, pour mes pechez, une malheureuse experience. Aprés tout, Madame, quand mesme je me serois trompé, & qu’il y en auroit quelqu’une qui seroit fausse, vous devez l’excuser par cette autre, que tout homme est menteur. Cependant je vous répons que je ne le seray jamais envers vous dans les protestations de mes services, & que toutes les fois que je vous en feray quelqu’une, vous pourrez croire assurément que je suis,

Vostre tres humble & tres-obeissant Serviteur, TEMPLERY.

MAXIMES GALANTES.

I.

L’amour naissant est un Roy mineur, & alors la raison est une Reine Regente. Tant que ce Roy est jeune, cette Reine commande, mais lors qu’il est grand, elle devient sa sujete & luy obeït.

II.

En amitié on ne commence jamais d’aimer qu’on n’y pense bien, mais en amour on commence toujours sans y penser. Tous les commencemens de l’amour sont semblables : les suites sont differentes.

III.

Le premier plaisir de voir un bel objet n’est pas encore amour : ce n’est qu’une approche vers cette passion, & un éloignement de l’indolence.

IV.

Une des marques qu’on est amoureux, c’est quand on commence à faire des Vers. On dit, que la nature seule fait les Poëtes, mais je vois que l’amour s’en méle aussi.

V.

Une Fille peut agir librement avec un Amy, mais dés que cet Amy devient Amant, elle doit prendre une conduite plus retenuë. Ce qui n’est que familiarité pour l’Amy, devient faveur pour l’Amant.

VI.

La Badinerie spirituelle est souvent le plus court chemin du cœur : ceux qui paroissent les plus foux, sont d’ordinaire les plus sages. Aprés tout, si l’on n’a de quoy plaire, qu’on ait au moins de quoy divertir.

VII.

Autrefois on faisoit l’amour dans les formes. Les soins & les yeux parloient longtemps avant que la bouche s’expliquast. On portoit le Roman jusqu’au dixiéme tome. Aujourd’huy l’on ne fait que des historietes qui sont concluës au premier chapitre.

VIII.

Les hommes ne se font point trop presser pour avoüer leur engagement. Il y en a mesme qui crient, & se plaignent de leurs blessures avant que l’amour ait tendu son arc ; mais les Femmes sont toujours sur la negative. Elles se sauvent du changement de leur humeur sur des vapeurs, ou sur des démêlez domestiques. Enfin le mesme feu qui les brûle, les fait rougir.

IX.

Qu’une Femme est à plaindre quand elle a tout ensemble de l’amour & de la vertu !

X.

Il y a de faux Amans aussi-bien que de faux devots. L’amour a ses hipocrites, comme la devotion, & il y a plus de fausse monnoye en soupirs & en grimaces, qu’il n’y en a en or & en argent : mais quand on feint de joüer le personnage d’Amant, il est bien difficile de soûtenir longtemps son rôle sans se démentir. Les ruses réussissent souvent en la guerre, mais en l’amour, jamais.

XI.

Ce qu’on appelle constance, n’est quelquefois qu’une paresse de changer.

XII.

Pour ne se pas trop aimer, il faut se trop voir. Il n’est point d’amour à l’épreuve d’une trop grande frequentation, & bien que les roses soient les plus aimables fleurs, qui ne verroit autre chose, ne les trouveroit plus belles.

XIII.

Les longues chaisnes s’usent, & sont quelquefois les plus aisées à rompre. Lors que depuis un fort longtemps on dit à une personne, je vous aime, on se dit à soy-mesme, je ne l’aime plus.

XIV.

C’est une politique en amour de se broüiller quelquefois. Une amour paisible est d’un goust fade. Le trouble en est l’assaisonnement. Cette sorte d’interregne fait goûter plus de douceur dans les raccommodemens.

XV.

Les retours de l’amitié sont difficiles. Ceux de l’amour sont aisez.

XVI.

Quelquefois il ne dépend non plus de nous d’aimer, ou de n’aimer pas, que d’estre Noble, ou d’estre Roturier.

XVII.

Les Rivaux aimables sont ceux qu’un Amant aime le moins. Il ne les hait que parce qu’ils ne meritent pas d’estre haïs, mais bien qu’il leur refuse son amitié, il n’est pas en son pouvoir de leur refuser son estime quand elle est fondée sur le merite.

XVIII.

Suivant l’ordre naturel les premiers vont devant, mais en fait d’amour les premiers vont souvent aprés les autres. Nous voyons tous les jours qu’un Doyen est la duppe d’un nouveau venu.

XIX.

Les Amans voyent les trahisons de leurs Rivaux avant mesme qu’elles soient executées, mais ils ne voyent les defauts de leurs Maistresses qu’aprés que leur enchantement est finy.

XX.

Amour est un mal contagieux. En voulant enflâmer un cœur on s’enflâme soy-mesme. Il n’y a que le Soleil qui brûle sans se brûler.

XXI.

L’amour va d’ordinaire par accés, comme la fiévre. Tantost on est tout en feu, & tantost on est tout de glace. Il y a des jours où l’on se croit gueri, & d’autres où l’on se croit mort.

XXII.

C’est une fausse maxime de dire que ceux qui n’ont qu’une Maistresse sont comme les Borgnes, qui n’ayant qu’un œil, courent risque de perdre leur bien par le moindre accident. Il faut ou n’aimer en nul endroit, on n’aimer qu’en un seul. Quand on aime plusieurs personnes à la fois, on n’en aime pas une. Un vray Amant n’a des yeux que pour sa Maistresse, ou s’il regarde d’autres Belles, c’est de la maniere qu’on regarde les belles Statuës : on les admire, mais on ne les aime pas.

XXIII.

Le commencement de l’amour dépend plus de nous que la fin. Les prisons de l’Empire amoureux ont plusieurs portes pour y entrer, mais quelquefois on n’en trouve point pour ensortir.

XXIV.

Amour est un commerce qui ne peut estre sans correspondant, ou pour mieux dire, c’est un de ces Métiers qu’on ne peut faire seul, il faut estre deux. Une personne s’ennuye d’aimer toute seule : si on ne luy tient Compagnie, elle se retire.

XXV.

L’esprit en un galant est presque toujours suspect : il fait souvent des Comediens, mais de sinceres Amans, fort peu.

XXVI.

L’amour aiguise l’esprit : il donne des lumieres aux gens qui en ont le moins. Il en est comme d’un Fuzil, qui fait étinceler un rocher froid de sa nature.

XXVII.

Pour s’empescher d’aimer jamais rien, il faut une force d’esprit au dessus de l’homme, ou une foiblesse au dessous de la Bête. L’amour est un des principaux ingrediens qui entrent en la composition d’un honnête homme, & il n’en est aucun qui ne se fist une honte de ne pas porter une chaîne, pour le moins, une fois en sa vie.

XXVIII.

Il y a certaines galanteries qui aquierent de l’honneur aux hommes, aussi bien que les armes ; & il y a des Belles d’une si grande reputation, & d’un si haut merite, qu’il est plus glorieux d’en recevoir de l’amour, que d’en donner aux autres.

XXIX.

Quand une Fille est trop coquette, un dégoût pour la Maîtresse rompt le dessein d’en faire sa Femme.

XXX.

Le plaisir d’estre aimé n’a de douceur qu’autant qu’il a couté de peine. L’or ne seroit pas si estimé, s’il ne faloit par de longs travaux creuser des mines pour le trouver.

XXXI.

Les faveurs trop multipliées perdent leur goût. Il est d’elles comme de la manne, qui devint insipide dés qu’elle tomba trop abondamment.

XXXII.

L’amitié s’augmente à chaque service d’un amy, quand méme il a déja rendu les plus grands ; mais l’amour au contraire diminuë à chaque faveur d’une maîtresse quand elle a accordé les plus grandes. Toutes les démarches d’un Amant heureux sont autant de pas vers l’indifference. Tel a eu assez de resolution pour supporter sa disgrace, qui n’a pas assez de force pour soûtenir son bonheur.

XXXIII.

Il y a peu d’engagemens qui puissent tenir contre un long dédain. En la fiévre d’amour un cruel mépris est le Quinquina, & tire d’affaire un pauvre cœur.

XXXIV.

Quand on ne peut par ses soins se faire aimer d’une ingrate, il est permis de s’en faire haïr. Quelque amitié qu’ait un Pilote pour une plage agreable, il ne l’aime plus s’il y échoüe. Enfin deserter est un crime à un Soldat quand on l’auroit maltraité, mais deserter n’est pas un crime à un Amant quand on en use de mesme, & comme toutes les resistances ne sont pas honnestes, toutes les fuites ne sont pas honteuses.

XXXV.

Comme les Femmes ne veulent jamais diminuer leur triomphe, elles sont chagrines de perdre un Amant, quand mesme elles ne l’aiment point, car c’est toujours un Esclave & un trophée de moins à leur Char.

XXXVI.

Le repos d’un Amant ne s’accommode guere du repos d’une Maistresse. Elle est tranquille, il en est au desespoir : elle est agitée, il en est ravy.

XXXVII.

La prudence & l’amour ne sont pas faits l’un pour l’autre. Tandis que l’amour croist, la prudence diminuë.

XXXVIII.

Vouloir estre amoureux avec mesure, c’est vouloir estre fou avec raison.

XXXIX.

On se lasse bien-tost de plaindre un Amant qui se plaint toujours. Si vous écoutez ses folies, il sera vostre importun ; si vous ne les contentez pas, il sera vostre ennemy.

XL.

Il n’est pas aisé à un Amant de se moderer quand il conte ses peines à une Belle. La peur de n’en dire pas assez pour la persuader, fait que souvent il en dit trop pour estre cru.

XLI.

Une ame bien amoureuse est difficile à se contenter. Elle trouve son bonheur trop petit, & son malheur trop grand.

XLII.

Les Amans ont des gousts si bizares, qu’ils sentent quelquefois de la volupté dans la douleur, & croyent que leurs chaînes, bien loin de les charger, les chatoüillent.

XLIII.

La contrainte de ne pas declarer son tourment, en est un autre. Il est de l’amour comme de la poudre, qui plus elle est serrée, plus elle fait d’effet.

XLIV.

Les yeux ont cet avantage sur la bouche, qu’ils peuvent parler malgré mesme la défense d’une Cruelle.

XLV.

Le Mariage moissonne en un jour toutes les fleuretes que l’amour a produites en plusieurs années.

XLVI.

Un homme qui en se mariant a sacrifié sa fortune à son inclination, a d’ordinaire autant d’aversion pour la Femme, qu’il a eu d’amour pour la Maistresse : le calme qu’il a creu trouver est un orage, & il regarde comme son écueil le port où il a voulu aborder.

XLVII.

Il est quelquefois agreable à un Mary d’avoir une Femme jalouse, il entend toujours parler de la personne qu’il aime.

XLVIII.

La beauté est une fleur qui a sa racine dans la jeunesse. Une Belle doit profiter de ses roses avant qu’elles soient fanées. La beauté qui n’est plus, est comme la beauté qui ne fut jamais, & il n’est pas des Femmes comme des pommes dont les plus meures sont de meilleur goust.

XLIX.

Quand les Femmes ne sont plus aimables, pourquoy veulent-elles estre toujours aimées ? Quand elles ne plaisent plus au monde pourquoy luy veulent-elles plaire ? Lors qu’on a joüé son rôle ; que la Comedie est finie, & que les lumieres sont éteintes, quelle folie de vouloir fournir encore une Scene !

L.

Il y a certaines qualitez, comme la science & le courage, qui ne sont loüables qu’aux hommes. Quand une Femme sort des vertus de son Sexe pour passer à celles d’un autre, elle devient ridicule.

LI.

Lors qu’on est entierement à une Maistresse, on n’est guere à ses Amis. On perd auprés d’eux ce que l’on gagne auprés d’elle.

LII.

L’amour est un petit trompeur. Il prend souvent le masque de l’amitié, & se déguisant sous le nom de complaisance, ou d’estime, il entre incognito dans un cœur.

LIII.

L’amitié & l’amour sont si proches l’un de l’autre, qu’il n’y a entre deux qu’une feüille de papier, encore est-ce du papier qui boit.

LIV.

L’amitié est discrette, & s’introduit avec retenuë, & du consentement des parties ; mais l’amour a des manieres bien effrontées. Il ne se contente pas d’entrer dans un cœur contre la volonté d’une personne, il a encore l’impudence d’y demeurer malgré elle, & de brûler la maison où il habite.

LV.

Ceux qui n’aiment pas n’ont jamais de grandes joyes ; ceux qui aiment, ont souvent de grandes tristesses.

LVI.

Une jeune Fille a autant de plaisir d’entendre un premier je vous aime, qu’une pauvre Veuve un second oüy.

LVII.

La perseverance est un grand art pour gagner le cœur d’une Belle. Combien voyons-nous d’esclaves en amour, qui deviennent conquerans ? Souvent un Berger danse au son de sa musette aprés y avoir longtemps soûpiré ; & telle Femme rit au commencement pour se moquer d’un homme, qui à la fin rit pour luy plaire.

LVIII.

Un vray Amant doit croire n’avoir encore rien fait, tant qu’il luy reste quelque chose à faire.

LIX.

Qui demande plus, merite moins. La grande retenuë est le caractere d’un parfait Amant. On en voit plusieurs copies, mais des originaux fort peu.

LX.

Les hommes ne sont jamais entreprenans auprés des Dames tandis qu’elles sont serieuses, mais souvent elles ne sont point trop fachées qu’on sorte un peu de son devoir, & elles aiment mieux qu’on leur manque de respect, que si l’on en avoit trop.

LXI.

L’intrigue en amour est de toutes les choses celle qui demande le plus de conduite, & qui d’ordinaire en a le moins.

LXII.

Une Femme enjoüée aime avec plus de facilité, mais une mélancolique aime avec plus d’ardeur.

LXIII.

La pluspart des Dames sont si entestées de passer pour belles, qu’elles souffriront plûtost une raillerie sur leur conduite, que sur leur beauté.

LXIV.

Un visage fardé rend une Femme méprisable, mais une ame fardée la rend odieuse.

LXV.

La beauté est souvent un ennemy qui ne paroît illustre que pour causer des ruines éclatantes. C’est un Astre dont les influences ne sont pas toûjours favorables, & dont la clarté n’éclaire quelquefois que pour conduire plus seurement en de mauvais pas. Et d’ailleurs si c’est un bien, il est moins pour la personne qui le possede, que pour celle qui le regarde.

LXVI.

La beauté sans esprit, est un appas sans ameçon. Elle attire les cœurs mais elle ne les arreste point.

LXVII.

Il y a des beautez si engageantes, que si l’on ne fuit avant que de les avoir veuës, on ne fuit pas loin. On ne peut aller au plus, que de la longueur de ses chaînes. Tant de force d’esprit qu’il vous plaira, tant de resolutions que vous voudrez, tout cela ne fait que blanchir.

LXVIII.

Moins on a de peine à aimer une aimable personne, plus il en coûte à ne l’aimer plus.

LXIX.

Quand on commence à plaire, on a déja fait un grand pas. Si l’on n’est aimé, on est en passe de l’estre. Le trajet de l’œil au cœur est si petit, que ce qui entre agreablement en l’un, ne tarde guere d’entrer en l’autre.

LXX.

Quand pour se guerir, on ne s’éloigne que pour quelques jours de ce qu’on aime, le remede devient un poison. Une grande absence éteint l’amour, une petite le rallume.

LXXI.

L’amour est veritablement une maladie, mais elle n’est jamais mortelle. Ce n’est que dans les Romans que les gens meurent d’une langueur amoureuse. Par tout ailleurs on ne meurt d’amour que par metaphore.

[Lettre en Prose et en Vers à une Dame affligée de ce que sa Soeur se faisoit religieuse] §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 70-77.

 

Je vous envoye deux Ouvrages galans, dont l’Auteur m’est inconnu. Je voudrois avoir pû découvrir son nom, pour luy rendre la justice qui luy est deuë.

LETTRE A UNE DAME
affligée de ce que sa Sœur
se faisoit Religieuse.

Quoy, parce que Mademoiselle vostre Sœur se fait Religieuse, faut-il que vous soyez au desespoir ? Ne peut-on vivre contente dans le monde sans avoir une Sœur ? Est-ce un si grand malheur de perdre l’esperance d’avoir un Beaufrere, & le plaisir de partager avec luy la succession paternelle ? Il n’est pas permis, Madame, d’assister à l’Autel en habit de deuil, & de pleurer sur la victime.

 Pleine de l’espoir d’un Chrestien
 Elle suit un Dieu qui l’appelle,
 Vos pleurs ne serviront de rien.
De quoy vous plaignez-vous, & quel tort vous fait-elle ?
 Vous aurez beaucoup plus de bien,
 Et vous n’en serez pas moins belle.
Etouffez au plûtost d’inutiles soupirs,
De ses dons entre vous le Ciel fait un partage ;
Elle bannit le monde en fuyant ses plaisirs,
Et de ce monde en reglant vos desirs,
 Vous en ferez un bon usage.

Mademoiselle vostre Sœur n’est n’est pas tant à plaindre que vous pensez. Elle est morte à la verité pour sa Famille, mais c’est d’une mort volontaire à son égard, precieuse devant Dieu, & que les hommes ont appellée civile, peut-estre parce qu’on ne sçauroit rien faire de plus honneste & de plus obligeant pour ceux qui restent.

Consentez que l’Epoux dont son ame est charmée,
 Jaloux de cette bien-aimée,
Pour la mieux posseder l’a conduise à l’écart,
Et souffrez que sa foy plus vive que la nostre
 Choisisse la meilleure part,
 Et qu’elle grossisse la vostre.

Comme une disgrace n’arrive jamais seule, le Ciel vient de mettre vostre patience à une épreuve bien plus rude ; vous venez de perdre ce que vous aimez le mieux au monde. Le diray-je, Madame, vous n’avez plus de Perroquet.

Ce petit animal plein de sens & d’esprit,
 N’entendoit rien qu’il ne comprit,
Parla si bien François tout le temps de sa vie,
Que si tout son merite avoit esté connu,
 Assurément il auroit eu
 Une place à l’Academie.

Parmy ceux qui ont connoissance de cette avanture, la plus commune & la plus saine opinion veut pourtant qu’il ne soit pas mort, mais qu’ayant trouvé la commodité d’une fenestre ouverte, il a pris le temps de vostre absence pour aller voir ses Parrens à l’Amerique.

De tous les Perroquets c’estoit le plus charmant,
Mesme à mordre il avoit une grace infinie,
 Rongeoit les meubles proprement,
 Entretenoit la Compagnie,
 Et ne crioit que rarement.

Depuis ce malheur, vostre Maison est si triste & si affligée, que je n’oserois vous conseiller de revenir.

 Aussi-bien que trouverez-vous,
Madame Anne perduë, une cage deserte,
Des Valets desolez qui pleurent vostre perte,
Fuyez loin de ces lieux le celeste courroux,
Quand pour se consoler d’un mal qui desespere,
 Il ne reste plus qu’un Epoux,
 Un Epoux ne console guere.

Vous auriez le chagrin de remarquer sur le visage de tous vos Amis une maligne joye de se voir enfin delivrez d’un Rival si chery. Eh, Madame, n’ont-ils pas raison ?

Pour luy vous avez fait mille & mille injustices,
De tant d’honnestes gens à vous plaire empressez,
On ne connoist que luy dont les heureux services
 Ayent esté récompensez.

Autre lettre à la mesme Dame §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 77-82.

 

AUTRE LETTRE
à la mesme Dame.

Vous avez une tres-juste idée de la foiblesse humaine, nous ne sommes ordinairement émeus que par les objets qui nous touchent. Nostre cœur ne se prend que par nos yeux, & comme presque rien ne se conserve que par les mesmes causes qui l’ont fait naistre, nous courons risque de perdre nos Amis quand ils nous perdent de veuë.

 Vous avez raison, je me rends,
On oublie aisément, & malheur aux absens ;
C’est un destin commun, rarement on l’évite,
Mais qu’il soit fait pour nous, je n’en suis pas d’accord,
 Les absens n’auront jamais tort.

Il est vray que nous sommes nez dans un siecle fort ingrat & fort infidelle ; tous les Amis s’en plaignent, tous les Amans s’en desesperent ; mais à l’égard des premiers, ils sont si rares à present, que ce malheur ne tombe presque plus sur personne. Pour les derniers, rien n’est si aisé que d’y remedier.

 Qu’il se gouvernent comme au jeu,
Quand on leur coupe cul, qu’ils moderent leur feu,
Et sans examiner si la chose est permise,
Que celuy que l’on quitte au lieu de s’offenser
Ne songe qu’à recommencer
Avec une autre une reprise.

Vous ne sçauriez comprendre la vertu de ce remede si vous ne l’avez éprouvé.

Ceux qui le connoissoient le mieux
Ne trouvent rien de comparable,
L’usage en est delicieux,
Et le succés indubitable.

Pour des nouvelles je n’en ay point à vous mander. Vous sçavez les changemens qui sont arrivez, & que de grands hommes de la Robe ont abdiqué, ce qui est tres-rare, & que Sa Majesté a choisi des Sujets dignes de leur succeder, ce qui est tres-difficile.

Il semble que le Roy dans ce choix d’importance
 Ait daigné tous nous consulter,
 Et sans user de sa puissance,
 N’ait pensé qu’à nous contenter.

Peut-estre que cette Lettre vous paroistra courte ; je souhaite que ce soit là la seule chose que vous y trouviez à dire ; mais j’ay de bonnes raisons pour ne la faire pas plus longue,

Il falloit vous répondre, & d’une telle affaire
 C’est ainsi que j’ay dû sortir,
 Quand on ne sçauroit divertir,
 Il faut du moins n’ennuyer guere.

[Air nouveau]* §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 82-83.

L'Air nouveau dont vous allez lire les paroles, est fort en vogue depuis quelque temps.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Si tu veux sans suite & sans bruit, doit regarder la page 82.
Si tu veux sans suite & sans bruit
Noyer tous tes chagrins, & boire à ta Maistresse,
Viens à moy, je sçais un reduit
Inaccessible à la tristesse.
Là, nous serons servis de la main d'une Hôtesse
Plus belle que l'Astre qui luit,
Et meslant au bon vin quelque peu de tendresse,
Contens du jour, nous attendrons la nuit.
images/1690-01_082.JPG

[Prix proposez par l’Académie d’Angers] §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 83-86.

 

L’Academie Royale d’Angers continuë à distribuer tous les ans deux Prix, dont l’un est pour l’Eloquence, & l’autre pour la Poësie. Voicy l’Ecrit qu’ils ont donné au Public cette année sur ce sujet.

L’Academie d’Angers propose deux Prix ; l’un pour celuy qui aura le mieux réüssi dans la composition d’un discours, dont le sujet sera ; Le discernement du Roy dans le choix des Personnes à qui Sa Majesté confie l’Education de Monseigneur le Duc de Bourgogne : l’autre pour la Poësie Françoise, dont le sujet sera ; La protection que le Roy donne au Roy d’Angleterre.

Ces deux Prix qui sont deux Médailles d’or données par Monsieur le Comte de Serrant, Directeur de l’Academie d’Angers, seront distribuez le quatorziéme May de l’année presente 1690.

Le Discours ne sera au plus que de demi-heure de lecture. Les Vers n’excederont point le nombre de cent. On laisse aux Auteurs le choix de la mesure des Vers. Le Discours & les Vers finiront par une Priere pour le Roy.

Les Auteurs observeront de mettre à leurs pieces une sentence avec un paraphe, ou quelque autre marque, qui servira à distinguer le Discours & les Vers, qui auront remporté le Prix, sans y mettre leur nom.

Toutes personnes seront receuës à pretendre à ces Prix, à la reserve des trente Academiciens, qui en seront les Juges.

Les Pieces seront mises dans le 15. d’Avril de cette année 1690. entre les mains de Monsieur Gourreau, ancien Conseiller au Presidial d’Angers, l’un des deux Secretaires de l’Academie, demeurant à Angers, il en donnera son receu à ceux qui le souhaiteront : On n’en recevra plus passé le temps marqué cy-dessus. Les Pieces seront envoyées affranchies de port.

De la Vanité des Songes, & sur l’apparition des Esprits §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 86-135.

 

Je vous envoye une Lettre du Berger de Flore à la Bergere Pomone, que je suis asseuré qui vous plaira. Elle est sur une matiere que je sçay que vous avez agitée plus d’une fois, & vous y trouverez quantité de choses dont vostre curiosité sera satisfaite.

DE LA VANITÉ DES
Songes, & sur l’apparition
des Esprits.

La meilleure preuve que je puisse donner de la vanité des Songes, c’est, aimable Berger, la vie qui me reste aprés celuy que je fis le 22. de Septembre 1679. Je m’éveillay ce jour-là à cinq heures du matin, & m’estant endormy une demy-heure aprés, je songeay que j’estois dans mon lit, & que le rideau en estoit ouvert du costé des pieds (deux circonstances veritables) & que je voyois entrer dans ma chambre une de mes Parentes morte depuis quelques années, le visage pâle & défait, l’air triste autant qu’elle l’avoit eu enjoué, & vestue d’une cimare de satin cendré & gris de perle, que je luy avois vû porter la derniere année de sa vie. Elle vint s’asseoir sur le pied de mon lit, & me regardoit avec pitié. Comme je la sçavois morte dans le Songe aussi bien que dans la verité, je jugeay à cette connoissance, & à la tristesse de ses regards, qu’elle venoit m’annoncer quelque mauvaise nouvelle, & apparemment la mort ; & la prevenant avec assez d’indifference pour ma destinée : Eh bien, luy dis-je, il faut mourir, Elle me répondit, Il est vray. Et quand, luy demanday-je aussi-tost ? Aujourd’huy, repliqua-t-elle. Je vous avouë que le terme me parut un peu pressant, neanmoins ne m’en étonnant pas trop, je l’interrogeay encore, & je luy demanday de quelle maniere. Et il me sembla pour lors la voir grommeler quelques paroles entre ses dents pour me répondre ; mais je ne les entendis pas, & dans ce moment je m’éveillay. L’importance d’un Songe si précis, & si peu embroüillé contre l’ordinaire, me fit observer ma situation, & je remarquay que j’estois couché sur mon costé droit, le corps étendu, & les deux mains appuyées contre mon estomach. Je me jettay hors du lit aprés cette reflexion pour écrire mon Songe, de peur d’en rien oublier ; & le trouvant accompagné de toutes les circonstances qu’on attribue aux misterieux & aux divins, je ne fus pas plûtost habillé que j’allay dire à ma Belle-sœur, que si les Songes en bonne forme estoient des avertissemens infaillibles, elle n’auroit plus de Beau-frere dans vingt-quatre heures, Je luy racontay ensuite celuy que j’avois fait, & je l’appris aussi à quelques-uns de mes Amis, n’estant pas à Flore en ce temps-là, mais dans la Ville voisine. Ce fut pourtant sans en prendre l’alarme, & sans rien changer à ma conduite ordinaire, me rapportant à la Providence de tout ce qu’il luy plairoit d’ordonner de moy. Si j’eusse esté assez foible pour me mettre dans l’esprit que j’allois mourir, peut-estre que je serois mort ; & qu’il me seroit arrivé comme à ces hommes, dont parle un Historien que je vous ay veu lire, (c’est Procope au deuxiéme Livre de la Guerre de Perse) lesquels dans un temps de peste furent frappez de ce fleau de Dieu, pour avoir seulement songé que les Demons les touchoient, ou leur disoient qu’ils seroient bien-tost dans le tombeau ; & que j’eusse ainsi payé par la diminution de mes jours, la peine que meritent les Personnes, qui donnant créance à ces resveries, violent la Loy de Dieu qui le défend. Du moins est-il seur qu’un Canadois n’en eust pas échappé, quand mesme il auroit deu employer les precipices, ou mesme ses propres mains à rendre son songe veritable ; parce que les Peuples de ce Pays-là sont absolument persuadez qu’ils ne songent rien qui ne doive arriver. Je ne croy pas, sage Bergere que vous soyez de cette humeur, & que vous voulussiez comme eux, faire effectivement du bien ou du mal à une personne, à cause seulement que vous luy en auriez fait en songe, ou que vous en auriez receu d’elle de cette maniere. L’un ne tire pas à consequence pour l’autre. L’ame, selon moy, est si irritée de voir que le sommeil la tient prisonniere dans l’obscurité de nostre masse terrestre, en luy fermant par son pouvoir toutes les portes des sens, qu’elle en devient comme folle, & ne fait qu’extravaguer tant que cette captivité dure ; & il y a bien loin de cet estat à celuy de sa pleine raison & de sa vive lumiere ; ainsi, belle Bergere, point de créance aux Songes, s’il vous plaist. Il vous a semblé que vostre cher Epoux environné de flâmes brillantes vous demandoit des prieres, vous ne devez pas croire pour cela, que le Ciel vous l’ait osté. Cette figure d’une ame en Purgatoire n’est qu’un amusement de la vostre, qui ne se repose pas mesme la nuit, de la pensée d’un objet à quoy elle s’attache tout le jour ; qui vous le represente parmy les feux & les flâmes, dont elle sçait qu’il brûle pour vous, & qui vous demande mal-à-propos pour luy, ce que vous ne luy accordez que trop souvent ; mais ce seroit encore une plus grande erreur, si vous vous imaginez que c’est son ame mesme, qui est venuë à vous pendant que vous dormiez, pour ne vous pas faire peur, comme il seroit arrivé si elle vous avoit apparu hors du sommeil. Les ames ne se separent point des corps pour y retourner ; le giste est trop mauvais pour elles, quoy que beau dans les jeunes & les charmantes personnes comme vous. S’il en estoit autrement, j’aurois veu Plusside depuis sa mort. Cette Belle dont vous avez tant oüy parler, m’avoit juré dans le fort de nos affections, un jour de Pasques, non seulement au pied des Autels, mais au retour de la sainte Table, que si elle mouroit avant moy, elle viendroit me voir, & me dire de ses nouvelles ; & je luy avois fait aussi la mesme promesse avec serment ; & neanmoins il y a plusieurs années qu’elle a payé le tribut à la Nature, sans avoir accompli ce qu’elle devoit à l’amour, & à sa parole. Jugez aprés cela s’il faut prendre pour une verité, ce qu’on lit du Comte de Bouchain, dans le premier Tome des Croisades, page 279. Ce Comte, dit l’Auteur de ce Livre, sur le rapport d’un autre qu’il cite, estant un soir sur le point de se coucher, aprés avoir bien combattu durant le jour, vit entrer dans sa Tente le jeune Engelram son Amy, Fils du Comte de Saint Pol, lequel avoit esté tué peu auparavant, au Siege d’une Ville, appellée Marra, prise d’assaut par les Chrétiens sur les Sarrazins. Comme ce Comte avoit l’ame intrepide, & d’ailleurs pleine de joye de voir son Amy, il luy demanda sans s’étonner, comment il estoit alors en vie, luy qu’il avoit veu mort à Marra. Engelram luy répondit que cela venoit de ce que ceux qui finissoient leur vie pour le service de Jesus-Christ, ne mouroient point. Ce Comte satisfait de cette réponse, & trouvant Engelram beaucoup plus beau qu’il n’estoit auparavant, luy demanda encore d’où luy venoit ce nouvel éclat. Engelram luy montra dans le Ciel une admirable Maison, & luy en faisant remarquer la beauté, luy répartit que c’estoit delà, que venoit celle qu’il trouvoit en luy ; & comme le Comte demeura ravi d’admiration à la veuë de ce Palais celeste, Engelram luy dit encore ; je vous apprens qu’on vous en prepare un beaucoup plus beau ; adieu jusqu’à demain, puis il disparut. Jugez, dis-je, Madame, si ce recit est veritable, aprés celuy que je vous ay fait. Comment une personne reviendroit-elle sans l’avoir promis, si une autre ne revient pas, aprés l’avoir solemnellement juré ? car enfin l’Auteur des Croisades, ny celuy dont il a tiré l’apparition d’Engelram, ne disputent point qu’il se fust engagé de retourner aprés sa mort auprés du Comte son Amy, & bien des gens certifieront que Plusside m’avoit donné parole de revenir aprés la sienne auprés de moy, & parole sacramentale, si ce mot se peut employer. Vous me répondrez peut-estre que Dieu ne luy en a pas accordé la permission. Ah pour cela je n’en doute pas. Nostre pacte n’étoit fait que sous cette condition, sans quoy rien ne se doit entreprendre & ne se peut executer ; mais je croy aussi que Dieu ne l’accorda jamais à personne, si nous en exceptons Samuel qui apparut à Saul, & quelques-uns de ceux qui ressuscitant avec Nostre-Seigneur, se montrerent à des Personnes devotes de Jerusalem. Hors ce peu d’exemples, l’Histoire, ce me semble, n’a rien d’asseuré sur ces retours de l’autre monde. Euridice, dans la Fable, fit bien quelques pas pour revenir en celuy-cy, mais ils ne furent pas en grand nombre, & l’attrait du centre & du repos éternel l’emporta bien viste sur l’inclination qu’elle avoit pour la lumiere. Je vous ay déja raconté un de mes songes, il faut que je vous en aprenne encore un autre, avant que de vous expliquer plus clairement mes pensées sur tant de pretendues aparitions d’ames & d’esprits, qu’on trouve dans les bons Auteurs, aussi-bien que dans les mauvais. On m’envoya fort jeune dans une Ville éloignée de sept lieues de ma Terre natale pour me dépayser, & pour m’apprendre à écrire ; & estant retiré de là, aprés cinq ou six mois on me fit passer chez un de mes Parens, où mon Pere nouvellement revenu de l’Armée, s’estoit rendu, & m’avoit mandé. Il vit mes exemples, & les trouvant assez bonnes, il ne laissa pas de témoigner qu’il doutoit si elles estoient de ma façon ; & sortant une aprésdînée pour aller faire une visite dans le voisinage, avec la Dame du lieu où nous estions, il me recommanda d’écrire dix ou douze lignes pour le relever de ses doutes. Mon devoir me fit donc aussi-tost aprés son depart monter dans la chambre qu’on nous avoit donnée ; & y ayant cherché mes commoditez pour écrire à mon aise, je me mis, petit garçon que j’estois, à genoux devant un fauteüil, sur lequel je plaçay mon papier & mon encre. Pendant que j’écrivois, j’entendis sur l’escalier, des gens qui portoient du bled aux greniers ; & m’estant levé de ma place je détournay un pan de tapisserie, & je vis une petite Salle ouverte, où mon Pere s’entretenoit avec la Dame du lieu, assis auprés d’elle. Comme j’avois vû l’un & l’autre monter en Carosse & sortir du Chasteau, je fus fort surpris de les appercevoir dans cette Salle. La frayeur se joignit à l’étonnement. Je laissay aller la tapisserie, & quitant la chambre, je descendis l’escalier au plus viste, & entray tout effaré dans l’Office qui estoit au bas. Une Femme de Charge qui remarqua quelque alteration sur mon visage, me demanda ce que j’avois. Je luy en fis le recit. Elle me dit honnestement que je rêvois, & que Madame la Marquise & mon Pere ne reviendroient de plus d’une heure. Je n’en voulus rien croire, & je demeuray vers la porte de l’Office jusqu’à ce qu’enfin je les visse arriver. Ma peine ne se redoubla pas peu à cette veuë ; je n’en dis pourtant rien à mon Pere, mais quand il me voulut envoyer coucher avant luy, quelque temps aprés le soupé, tout ce que je pus gagner sur moy, fut de me laisser conduire hors de sa presence. Je l’attendis pour aller dans nostre chambre, & je n’y voulus rentrer qu’avec luy. Etonné de me trouver encore lors qu’il se retira, il ne manqua pas de me demander ce qui m’avoit retenu ; & aprés quelques vaines excuses, je luy avouay que j’avois peur, parce qu’il revenoit des Esprits dans cette chambre. Il se moqua de ma crainte, & s’informa de moy à qui j’avois ouy tenir ce sot discours. Je luy racontay alors mon avanture : & il ne la sceut pas plûtost que prenant soin de me détromper, il me fit conduire aux greniers, & pour mieux dire, au galetas où aboutissoit l’escalier. On m’y donna à connoistre qu’ils n’estoient pas propres à recevoir du Bled, qu’il n’y en avoit point, & qu’il n’y en avoit jamais eu : & comme à mon retour auprés de luy il me demanda l’endroit où j’avois levé la tapisserie, & vû la Salle ouverte, je le cherchay de tous les costez pour le luy montrer, mais ce fut en vain, je ne trouvay point d’autre porte dans les quatre murailles de nostre chambre, que celle de l’escalier. Des choses si opposées à ce que j’avois crû tres-veritable, m’alarmerent encore plus qu’auparavant, & je m’imaginay sur le recit que j’avois ouy faire des Esprits Follets, que quelqu’un d’eux m’avoit causé ces illusions pour se joüer de moy. Mon Pere me remontra que ces amusemens d’Esprits à la bagatelle, qu’on m’avoit racontez, n’étoient que des Fables, & encore plus Fables que celles d’Esope & de Phedre. Puis il ajoûta que la verité estoit que je m’estois endormi en écrivant ; que j’avois songé pendant mon sommeil tout ce que j’avois cru oüir & voir ; & que la surprise & la crainte s’estant jointes, & tout à coup emparées de mon imagination, y avoient causé le mesme effet, qu’y auroit pu produire la verité mesme. J’eus de la peine en ce temps-là à goûter ce raisonnement, mais il a bien fallu m’y rendre dans la suite, comme tres-juste. Observez pourtant, aimable Bergere, combien l’impression de ce songe estoit forte. Je pense de bonne foy que s’il n’eust esté dementi par toutes les circonstances que je viens de dire, je le prendrois encore aujourd’huy pour une verité, & je ne m’étonne pas si tant de gens ont eu la mesme opinion de quelques-uns des leurs, quelque avancez en âge, en experience, & en raison qu’ils fussent, parce qu’ils auront pû se les imaginer aussi fortement que j’avois conceu le mien, sans avoir rien trouvé qui les ait desabusez de leurs fausses persuasions ; en cela contraires comme moy, à certain Medecin appellé Belon, qui parlant de luy-mesme dans un Livre qu’il a composé, dit que s’estant une fois éveillé en sursaut d’assez bon matin, dans une Hostellerie où il logeoit, au bruit de quelques personnes qui se lamentoient dans la ruë, & s’estant levé en chemise, & mis à la fenestre pour satisfaire sa curiosité, il avoit aperçeu des femmes échevelées & à demy-nuës, qui passoient en pleurant & en criant ; puis s’estant recouché & rendormy, il avoit en suite raporté à son hoste, comme un songe, ce qui estoit arrivé, ne voulant pas croire cet hoste quand il l’assura qu’il n’y avoit point de songe en ce qu’il racontroit, qu’on l’avoit ouy se relever ; qu’on l’avoit vû à la fenestre, & qu’il avoit esté témoin d’une desolation qui n’estoit que trop vraye pour le repos des miserables qui la souffroient. A quoy je puis encore ajoûter l’exemple de ce maistre yvrogne, qu’un Duc de Bourgogne ayant vû vers le soir endormi sur un fumier, au milieu d’une ruë, fit par divertissement porter dans son Palais, deshabiller, mettre en beau linge à point, & coucher dans une chambre dorée & dans un lit magnifique, sans qu’il s’éveillast ; & qui le lendemain matin estant éveillé fut vestu en Prince, loüé, flaté, servi, regalé & traité de mesme jusqu’à la fin du jour, que s’estant renyvré & rendormi, il fut recouvert de ses guenilles, & reporté à l’endroit où il avoit esté pris. Aprés quoy ayant cuvé son vin, & se trouvant sur le fumier, il crut qu’il n’en estoit pas sorti, & recita comme un Songe, dont la durée ne luy auroit pas deplu, l’heureux jour qu’il avoit veritablement passé dans un Palais, avec toute sorte d’honneurs, de pompes & de delices. Voilà, gentille Bergere, quelles sont les Erreurs de l’imagination. Le Medecin & l’Yvrogne prenoient l’original pour la copie, & le corps pour l’ombre ; & moy au contraire, je prenois l’illusion pour l’effet, & le mensonge pour la verité. Justes fondemens de la Sceptique. Mais je n’ay pas esté le seul qui ait esté deceu de cette maniere. Dion & Brutus, ces deux grands Capitaines, & ces deux sages Philosophes, que Plutarque compare l’un à l’autre, & que je vous ay ouy louer tant de fois, furent sans doute trompez comme moy, dans ces fameuses apparitions d’esprits que cet Auteur leur attribue. Voicy ce qu’il dit du premier. Comme il estoit par hazard un soir tout seul, assis à l’entrée d’une Galerie de son Palais, pensant profondement en luy-mesme à quelque chose, il oüit tout à coup du bruit ; de sorte que jettant la veuë sur l’autre bout de la Galerie, il y vit à la faveur du jour qui s’abaissoit, une grande & hideuse Femme, tout à fait semblable d’habit & de visage aux Furies, de la maniere dont on les represente sur les Theatres, laquelle avoit un balay à la main, dont elle nettoyoit la Maison. Cette vision l’étonna, & il en fut si fort effrayé, qu’il envoya querir ses Amis pour la leur raconter ; & estant comme hors de luy-mesme, il les pria de ne le point quitter cette nuit, dans la crainte qu’il avoit que ce Spectre ne se presentast encore à luy, lors qu’il seroit seul, ce qui n’arriva pourtant pas. Voilà le recit de Plutarque, par où il est aisé de juger que Dion avoit songé ce qu’il croyoit avoir veu. Toutes les circonstances concourent à cette pensée. Il estoit seul, il estoit assis, & c’étoit sur le soir. Fatigué sans doute du travail de la journée, travail de corps ou d’esprit, ou de tous les deux, qui ne croira pas aisément que dans cet estat il s’endormit pensant à ce qui le faisoit resver ; que durant son sommeil, il se representa la Furie dans l’action qu’il la vit ; & que la surprise & la crainte s’estant tout a coup emparées de son ame à cet aspect, comme elles s’emparerent de la mienne, elles le firent passer comme moy, du sommeil au réveil, sans qu’il s’en apperceust. Je croy qu’il n’y a pas lieu d’en douter, & je le croy avec d’autant plus de raison que les mesmes effets s’ensuivirent, Dion ayant esté effaré & épouvanté de son songe, comme je le fus du mien. Quant à Brutus, Plutarque rapporte qu’estant une nuit bien tard dans sa Tente, avec un peu de lumiere, s’entretenant dans ses pensées, tandis que tout reposoit dans son Camp, il luy sembla qu’il entendoit quelqu’un entrer dans sa Tente ; si bien que jettant la veuë du costé de la porte, il apperceut la monstrueuse figure d’un corps de taille énorme & épouvantable, qui se vint presenter à luy sans luy rien dire. Brutus plus étonné du silence du Spectre que de son apparition, eut l’assurance de luy demander qui il estoit, s’il estoit Dieu ou Homme, & quel estoit le sujet qui l’amenoit là. Je suis ton mauvais Genie, luy répondit le Spectre, & tu me reverras auprés de la Ville de Philippe. Eh bien, je t’y reverray, luy répondit Brutus, sans s’alarmer de cette espece de menace. Le Spectre disparut aprés ces paroles, & Brutus ayant aussi-tost appellé ses Domestiques, leur demanda s’ils n’avoient rien ouy, ny rien vû. Ils luy répondirent que non ; aprés quoy il se remit à veiller & à penser comme auparavant ; mais dés qu’il fut jour il alla trouver Cassius son Ami, pour luy conter la vision qu’il avoit euë. Plutarque ajoûte à ce recit, dans la suite de la vie de Brutus, ces mots. On dit que ce mesme Spectre qui s’estoit déja apparu à luy, s’y presenta une seconde fois en la mesme forme & figure, & disparut sans luy rien dire ; mais Publius Volumnius, homme sçavant en Philosophie, qui fut toujours avec Brutus dés le commencement de cette guerre, ne fait aucune mention de ce Spectre. Supposons pourtant qu’il luy apparut une seconde fois auprés de la Ville de Philippe, comme il l’avoit promis, cela ne doit pas empescher de croire que ces deux apparitions n’ayent esté de purs Songes. A l’égard de la premiere, tout contribue à le persuader. Brutus couché, quoy que Plutarque ne l’explique pas ; la nuit qui estoit extrémement avancée, il le remarque ; ses Domestiques qui ne virent & qui n’entendirent rien, quoy qu’ils fussent proche de luy, & mesme dans sa Tente, puis qu’il ne leur demanda pas seulement s’ils n’avoient rien ouy, mais encore s’ils n’avoient rien vû ; & qui auroient pourtant deu aussi-bien l’entendre parler au Spectre, s’il luy avoit veritablement parlé, qu’ils l’entendirent quand il les appella ; & enfin la voix du Spectre qui devoit estre bien forte, à en juger par la grandeur de son corps, dont le bruit n’auroit pas manqué d’estre ouy de ses Domestiques, & mesme de les éveiller, eussent-ils esté profondement assoupis, puis que le Spectre n’avoit nul interest à se contraindre & à parler bas. Tout cela, dis-je, nous apprend que Brutus, qui avoit cru veiller dans ces momens-là, avoit du moins sommeillé, & que si le songe de la figure terrible & menaçante ne luy causa pas de la crainte, il luy causa du moins de la surprise, & que cette impression agissant fortement sur son esprit qu’il avoit naturellement mélancolique, luy fit ouvrir les yeux, sans penser qu’il les eust fermez, je veux dire, sans penser qu’il eust dormi. Quant à la seconde apparition, ce ne fut qu’un effet de la premiere, dont l’impression se réveilla aprés la défaite & la mort de Cassius, lors que se voyant à la veille d’une deuxiéme Bataille, il vint à se representer qu’il pourroit bien avoir le mesme sort que son Ami, comme il arriva, & il ne faut pas penser que les mêmes songes ne retournent pas, puis que l’experience apprend le contraire, & qu’il est peu de personnes qui n’ayent songé diverses fois qu’elles tombent dans des puits, ou qu’elles volent proche de terre ; ou qu’on les appelle par leurs noms, & qui s’estant mesme reveillées à ces diverses sortes de songes, ne les ayent pas pris pour des veritez. Vous direz peut estre, spirituelle Bergere, que les évenemens funestes qui suivirent les visions que j’ay rapportées, vous persuadent qu’elles estoient veritables, & que l’histoire du Comte de Bouchain ne marque pas qu’il fust assis comme Dion, ny couché comme Brutus ; ny qu’il resvast comme l’un & comme l’autre, pour le pouvoir accuser de sommeil & de songe, aussi-bien qu’eux. J’avouë que l’Histoire de ce Comte dit seulement qu’il estoit sur le point de se coucher ; mais comme elle remarque que c’estoit sur le soir, & qu’il avoit combatu durant le jour, la fatigue avoit pû l’abattre & l’endormir avant qu’il se mist au lit, soit en priant Dieu, soit en pensant à d’autres choses. J’avouë mesme que Raymond d’Agiles, que cite le nouvel Auteur des Croisades sur l’histoire de ce Comte, luy fait seulement dire. J’ay veu la nuit, non pas en Songe, mais en veillant, le Seigneur Engelram de S. Pol, qui a esté tué à Marra, &c. & qu’ainsi le premier Auteur ne remarque pas que le Comte eust cette vision, le soir sur le point de se coucher, ayant combattu durant le jour, comme l’avance le second qui l’a pu tirer d’ailleurs, sans citation. Mais soit qu’il eust eu cette vision avant que de se mettre au lit, ou aprés s’y estre mis ; avant que de dormir, ou aprés avoir dormi & s’estre éveillé ; je dis que comme Engelram estoit mort depuis peu de jours, le Comte que pensoit souvent à cet Ami en veillant, put aisément se le mettre dans l’esprit, pendant une surprise du sommeil, ou mesme pendant un sommeil profond ; & puis se réveiller imperceptiblement dans le transport de son admiration pour la beauté du Palais celeste qu’il s’estoit representé ; & dans l’ardeur du desir qu’il avoit de suivre ce cher Ami, en un si bel endroit : en sorte que ces impressions l’emportant sur celle du sommeil, il auroit cru voir éveillé, ce qu’il n’auroit veu qu’en dormi. C’est ainsi, belle Bergere, qu’un million d’autres ont fait des songes dont ils ne se sont pas apperceus, parce qu’ils en ont esté empeschez par la force de quelque mouvement qui s’estoit rendu maistre de leurs esprits & de leurs reflexions, & qui les préoccupoit trop pour leur donner lieu de douter, si leur imagination n’avoit point trompé leurs sens. Il est vray que le Comte de Bouchain fut tué dans une attaque, par une pierre tirée d’une machine des Ennemis, le lendemain de la vûë d’Engelram ; que le Fils unique de Dion se precipita de colere du haut d’un plancher en bas, quelques jours aprés la vision de la Furie ; & que Brutus se donna luy-mesme la mort, de déplaisir d’avoir perdu la seconde Bataille de Philippe, aprés le retour de son mauvais genie ; & qu’il semble qu’on doive conclure avec tous les Auteurs, dont aucun que je sçache, n’a soupçonné que ces trois personnes dormissent, non plus qu’elles mesmes, que les apparitions estoient les avertissemens des maux qui leur devoient arriver ; mais sans vous remontrer que Dieu, & la Nature ne font rien en vain, & que de tels avertissemens de maux seroient fort inutiles, puis qu’ils ne les detournent, ny ne les reculent, je vous representeray seulement que la prudence ne permet pas qu’on juge des choses accidentelles par l’évenement, d’autant qu’il releve de la fortune. Elle veut qu’on en juge par le principe qui les fait agir, qui n’estant icy qu’une cause obscure & incertaine, ne peut rien produire de seur & de reglê. On a veu des millions de Songes de cette nature, & mesme beaucoup plus precis & plus positifs que ceux-là. Le mien en est une petite preuve ; mais comme ils n’ont point eu de suites qui y répondissent, on les a ensevelis dans le silence, au lieu que le pur hazard en ayant donné à ces trois-là, on ne les a pas seulement publiez, & consacrez à la posterité, on en a encore voulu tirer des consequences pour les autres, en les proposant pour exemples, comme si trois fléches qui portent dans le noir, entre cent mille qui le manquent, devoient faire passer pour seure & pour infaillible, la main qui les auroit tirées. Croyez-moy donc, aimable Bergere, ne vous amusez non plus aux Songes qu’aux figures qu’on voit dans les nuées, & persuadez-vous que les Morts ne reviennent non plus que le Temps qui est passé, & qu’ils ne reviendront qu’au son des trompettes celestes, lors qu’elles nous annonceront les grands Jours du Seigneur. Voila ce que je vous puis dire sur ce sujet. Vous avez Plutarque & Maimbourg dans vostre charmante Bibliotheque, vous pouvez les consulter, si vous doutez que j’aye ajoûté, ou retranché aux extraits que j’en ay rapportez, mais assurez-vous qu’ils sont fidelles, & qu’ils ne dementent point le caractere de vostre Serviteur, Le Berger de Flore.

[Monsieur se rend aux Théatins la veille de Noël]* §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 135-138.

 

Vous sçavez sans doute, Madame, que les Peres Theatins ont accoûtumé de celebrer tous les ans une Neuvaine solemnelle dans les jours qui precedent la Feste de Noël, pour honorer l'attente des Couches de la Sainte Vierge. On y fait tous les jours la lecture d'une pieuse Meditation sur les Prieres de l'Eglise qu'on appelle communément les O, & elle est precedée & suivie d'une excellente Musique. Tant qu'a vescu la feuë Reine Mere Anne d'Austriche de glorieuse Memoire, elle n'a jamais manqué d'assister à cette solemnité, & elle y venoit ordinairement accompagnée de ses Augustes Enfans. Pendant que le Roy faisoit sa residence à Paris, Sa Majesté y envoyoit toûjours sa Musique, & ne manquoit point la veille de Noël de se trouver au Salut. Son A.R. Monsieur n'a pas oublié une si Sainte Coustume, dont la Reine sa Mere luy avoit donné l'exemple, & à moins que quelque indisposition ne l'en empesche, ce Prince ne se dispense jamais de venir rendre ses hommages à la Créche du Sauveur naissant. Ainsi il a continué cette année ce pieux devoir, s'étant rendu dans l'Eglise des Peres Theatins le 24. du mois passé, accompagné de Madame & de Mademoiselle.

[Eglise de Saint André dans la Ville de Niort, agrandie par les bienfaits du Roy] §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 147-152.

 

Quelque soin qu'on prenne dans les Estats dont les Peuples sont de la Religion Pretenduë Reformée, de publier que tous les nouveaux Convertis de France n'ont qu'une apparence de Conversion, & qu'ils ne font aucune des fonctions attachées à la Religion Catholique, on voit tous les jours mille choses qui convainquent du contraire. Il est vray qu'elles ne se remarquent pas tant à Paris, que dans les autres Villes du Royaume, non seulement parce qu'il y a toujours eu moins de Calvinistes dans cette Capitale, qu'en certaines Provinces, mais encore, parce que la grande quantité de peuples, fait qu'on y est pour ainsi dire, comme perdu dans la foule, & que la vie des particuliers n'y est point connuë. Personne n'ignore qu'il y avoit un fort grand nombre de Protestans dans le Poitou, & sur tout dans la Ville de Niort, & il est si vray qu'ils assistent à l'Eglise avec autant de ferveur que les anciens Catholiques, que celle de Saint André s'estant trouvée trop petite pour contenir tous ceux qui ont abjuré le Calvinisme, le Roy qui ne laisse passer aucune occasion de signaler sa pieté, a donné dequoy travailler à l'agrandissement de cette Eglise. Mr le President de Fontmort dont le zele a toûjours paru fort grand pour tout ce qui regarde la veritable Religion, & qui n'a épargné ny soins ny depenses pour la faire fleurir, a eu soin de l'employ des deniers que Sa Majesté a donnez pour cet Ouvrage, qui fut achevé la veille des Rois. Le lendemain, Mr de Fontmort fit poser la Croix sur le frontispice de cette Eglise, avec les Armes du Roy, & l'on celebra une Messe solemnelle, où assisterent tous les Corps de Justice, & tout ce qu'il y a de personnes de qualité & de distinction dans la Ville, & aux environs. Le Pere Mainard de l'Oratoire, qui est fort goûté des nouveaux Convertis de la Province, y prescha & fit un Eloge du Roy qui répondit à la beauté de la matiere. Le Te Deum fut chanté ensuite, & suivy de toute [sic] les démonstrations de la plus parfaite joye. La Mousqueterie & les Cloches de la Ville se firent entendre aussi-bien qu'une infinité d'instrumens guerriers.

[Naissance d’un petit-fils de feu le duc de Saint-Aignan]* §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 152.

 

Mr le Duc de Beauvilliers, Fils de Mr le Duc de Saint Aignan, & le seul qui reste du premier lit, ayant eu huit Filles, commençoit à apprehender de n’avoir point de Garçons ; mais enfin, Madame, la Duchesse de Beauvilliers luy en vient de donner un, ce qui a causé beaucoup de joye dans toute cette Maison. Monseigneur le Duc de Bourgogne & Madame la Duchesse de Chevreuse l’ont tenu sur les Fonts.

[Livres nouveaux] §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 155-162.

 

On a mis depuis peu au jour un Livre, dont la dépense doit avoir esté grande, puis qu’il est tout gravé au burin. Il est intitulé, Reflexions sur quelques paroles de Jesus-Christ, particulierement sur les sept dernieres qu’il a prononcées sur la Croix, pour servir d’un saint Entretien à l’Ame Chrestienne pendant la Messe. Ce Livre est de Mr Nicolas, qui en a déja fait imprimer plusieurs autres, sans y avoir mis son nom. On le trouve à l’Aigle, ruë S. Jacques, chez Mr Bonnart, à qui le Public en doit la graveure. Comme elle est beaucoup plus belle & plus nette que l’impression, les yeux sont aussi satisfaits que l’esprit de la lecture de ces sortes d’ouvrages.

Il n’y a jamais eu personne qui ait porté si loin la Geographie que Mr Sanson d’Abbeville. Aussi peut-on dire que toute la France, ou plûtost toute la Terre luy est redevable, puis qu’il en a fait connoistre une infinité d’endroits dont on n’auroit jamais parlé sans luy, & qu’il a donné une parfaite connoissance de ceux dont on n’avoit que des lumieres imparfaites. On vient de réimprimer son introduction à la Geographie, où sont indiquées les Sciences, dont la Geographie emprunte plusieurs principes, la description des differentes manieres dont cette science est representée, l’explication des termes de toutes les parties de la Geographie, une instruction des Cartes, la Geographie Astronomique, qui explique la correspondance du Globe terrestre avec la Sphere, la Geographie naturelle, qui donne les divisions de toutes les parties de la Terre & de l’eau ; la Geographie historique qui considere la terre,

Par les Etats Souverains.

Par l’étendue des Religions.

Par l’étendue des principales Langues.

Par les differentes especes ou races d’hommes.

Par leurs couleurs.

Et par la forme exterieure du corps.

Cette seconde Edition est beaucoup plus ample que la premiere. On peut juger de l’utilité d’un Volume qui contient tant de choses sans qu’il soit besoin d’en rien dire. Ce Livre se trouve chez l’Auteur aux Galleries du Louvre, vis à vis l’Eglise de Saint Nicolas.

Vos Amies qui ont demandé le Napolitain avec tant d’empressement, seront bien-aises d’apprendre que le Sieur Guerout en a fait faire une Edition nouvelle. Les exemplaires de ce Livre n’ont si-tost manqué que par le grand succés qu’il a eu. On ne doit pas en estre étonné. Les sentimens s’y trouvent par tout si fort selon la nature, qu’il est impossible de ne demeurer pas persuadé des choses qu’on lit. Sur-tout les Lettres de Mademoiselle d’Ossanove ont un air de verité qui fait un plaisir inconcevable. Quelque vives qu’elles soient, il est aisé de connoistre que l’Auteur ne peut leur avoir presté que quelque arrangement dans les mots, puis qu’on ne sçauroit avoir écrit ce qu’elles contiennent sans l’avoir senty. Les Lettres Portugaises que l’on a tant admirées, sortoient hors du vraysemblable par la violence de la passion qui estoit outrée, mais celles-cy sont l’effet d’une tendresse, non seulement permise, mais ordonnée par un Pere, & qui ayant un mariage arresté pour but, a pû obliger un jeune cœur de s’abandonner sans aucun scrupule à ce que l’amour a de plus sensible.

[Origine des Troubadours en Provence] §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 162-170.

 

Madame la Comtesse de Grignan ayant voulu sçavoir ce qu’estoient autrefois en Provence les Troubadours & la Cour d’Amour, Mr de Calvy ressuscita Guillaume Adheimar, un des Ancestres de Mr le Comte de Grignan, pour luy en porter des nouvelles. Ce Gentilhomme fut un Troubadour celebre, qui composa d’excellens Ouvrages, & qui mourut d’amour pour la Comtesse de Die. Dans ce temps-là, les Gentils-hommes les plus distinguez de la Provence s’appliquoient à la Poësie. Les Comtes de Provence en faisoient eux-mesmes ; & les Princes Etrangers avoient chez eux des Troubadours qui leur apprenoient cette Langue, & la maniere de faire des Vers Provençaux. Alors les Dames tenoient Cour d’amour pleniere en quelques endroits de la Provence, où elles prononçoient des Arrests sur les questions qu’on leur envoyoit. C’est de là qu’on a tiré les Arrests d’amour compilez par un Procureur du Parlement de Paris. Troubadour signifie Inventeur, du mot Provençal troubar, qui veut dire trouver, inventer.

LE TROUBADOUR
ADHEIMAR.
A Madame la Comtesse
de Grignan.

Voicy, belle Comtesse, un fameux Troubadour,
Sorti pour vous du tenebreux sejour.
 Le Provençal comblé de gloire
Suivoit jadis les Loix de l’Empire amoureux.
Vous voulez les sçavoir. Né dans ce temps heureux,
Je viens avec plaisir vous en faire l’histoire.
Moy que l’on voit briller parmy les grands Ayeux,
De vostre illustre Epoux, l’honneur de mes Neveux.
***
 La Cour d’amour fut une Cour pleniere,
Le beau Sexe y gardoit une puissance entiere,
Des Dames dont l’esprit égaloit les attraits,
 Y prononçoient ces beaux Arrests,
 Que l’Amour leur dictoit luy-mesme,
Il parloit par leur bouche, & regnoit dans leurs cœurs.
Tout en reconnoissoit l’autorité suprême,
 Barons, Princes, Rois, Empereurs.
***
 Les doctes Filles du Parnasse,
Delices autrefois du Grec & du Romain,
 Dans cette Cour prenoient leur place.
Alors un Troubadour par un transport divin
Sceut donner à sa Muse une nouvelle grace.
C’est luy qui le premier soûmis à la raison,
Fit au bout de deux Vers sentir le mesme son,
 Et variant cette harmonie,
 Rendit leur douceur infinie.
***
Cet ornement nouveau charma tout l’Univers ;
Les Poëtes d’abord en parerent leurs Vers,
 Ces Vers dont la delicatesse
 Egaloit ceux de Rome & de la Grece.
 C’est là qu’ils chantoient leur amour,
Ou proposoient des questions galantes,
 A ces Dames sçavantes
Qui presidoient dans cette Cour.
***
Durant ces siecles d’innocence
Qu’on voyoit peu d’infidelles Amans !
Dans les plaisirs, ou parmy les tourmens
 Nous avions la mesme constance.
Quelles Dames aussi vid-on regner sur nous ?
Leur vertu, leur beauté, leur air, leur politesse,
 Nous faisoient voir, grande Comtesse,
Ce qu’aujourd’huy le monde admire en vous.
***
 On les voyoit fierement se défendre
 Des premiers soupirs d’un cœur tendre ;
Elles ne se rendoient qu’à de longues amours,
Et quand elles aimoient, elles aimoient toujours.
Pour moy, jusqu’au trépas Adorateur fidelle
  Des yeux qui m’avoient charmé.
  J’expiray devant ma Belle,
 Constant, & constamment aimé.
***
 Une mort si digne d’envie
 Fut admirée, & ne fut pas suivie.
Par vous on l’a veu suivre. Un Peintre audacieux
Fut consumé du feu de vos beaux yeux.
 Il n’est pas seul ; plus d’une Ombre plaintive,
 M’a dit sur nostre sombre rive,
Les charmes de Grignan ont causé mon trépas.
Je n’en suis point surpris quand je vois vos appas.
 Moy-mesme Ombre antique & glacée,
Si la nuit du tombeau ne me venoit couvrir,
Je souffrirois pour vous ce que me fit souffrir,
 L’ardeur de mon amour passée,
Et je mourrois encor si je pouvois mourir.

L’Asne-Lion §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 170-173.

 

La Fable qui suit est du mesme Mr de Calvy, qui a fait parler si galamment le Troubadour Adheimar.

L’ASNE-LION.

Un Asne un jour broutant l’herbe d’une Prairie
Vit la peau d’un Lion ; il en trembla de peur ;
Il le crut à l’instant vray Lion de Lybie ;
Mais ensuite ses yeux rasseurerent son cœur.
Ne craignons rien, ce n’est que la peau de la Beste ;
 Allons, dit-il. Il s’en saisit,
S’en couvre & marche avec grand bruit,
 Battant les flancs, levant la teste.
Devant l’Asne-Lion tout tremble, tout s’enfuit ;
L’Animal s’applaudit & rit de leur foiblesse :
Mais son Maistre effrayé fuyant avec vîtesse,
L’Asne pour l’arrester luy fait oüir sa voix.
 Le rugissement ridicule
 Rassure le Maistre, il recule,
Et d’un coup de bâton luy fait sentir le poids.
 Honteux de sa frayeur extrême,
 Il dit plein d’indignation,
 Un Asne, la lâcheté mesme,
 S’ose couvrir de la peau d’un Lion !
Ainsi mille faquins dans le siecle où nous sommes
Cachent leurs noms obscurs sous des noms glorieux ;
Leur puissance, leur train ébloüissent les yeux,
Mais les voit-on de prés, à peine sont-ils hommes.

[Avanture] §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 173-179.

 

Les engagemens de tendresse ont leur agrément, mais il faut toujours en craindre la fin, & elle arrive quelquefois d’une maniere facheuse, qui fait qu’on regrette tout le temps qu’on a donné à ce que l’on jugeoit digne de l’estime la plus forte. Un jeune homme de qualité & assez bien fait, recommandable d’ailleurs par ses belles qualitez, avoit pris de l’attachement pour une Veuve, dont je n’entreprendray point de vous expliquer le caractere ; vous en jugerez par l’évenement dont je vais vous faire part en peu de paroles. Quelque empressé qu’il parust pour elle, il ne luy rendoit jamais visite que l’aprésdînée, parce qu’un employ considerable dont il s’acquittoit avec honneur, l’occupoit tous les matins. Il est vray que de temps en temps elle venoit l’attendre chez luy un moment avant qu’il y rentrast, estant bien-aise de luy témoigner par ces petits soins, combien ceux qu’il luy rendoit la touchoient sensiblement. Il faisoit une dépense proportionnée au bien qu’il avoit, & il affectoit sur tout d’avoir des Laquais bien faits, & d’une tres-grande propreté. Il en avoit un entre les autres de fort bonne mine qui avoit sa confiance. Il s’en servoit pour les Messages qu’il faisoit faire à la Veuve, ou pour les Billets qu’il luy écrivoit, & ce privilege luy avoit donné un air de fierté qu’il laissoit paroistre dans toutes ses actions. Le jeune Amant de la Dame s’estant un jour trouvé d’assez bon matin dans son quartier, resolut de profiter de l’occasion, en entrant chez elle. Il ne parla à personne, parce que la porte de la ruë estoit ouverte, aussi-bien que celle de l’antichambre, où il monta sans estre apperceu. Apparemment la Femme de Chambre qui avoit le secret de sa Maistresse, & qui entra presque en mesme temps, avoit cru ne risquer rien en s’éloignant un moment sans avoir fermé la porte. Le jeune Amant ne fut pas faché de pouvoir porter luy-mesme à la Veuve l’avis de son arrivée. Il ouvrit sa chambre tout d’un coup, & la vit à sa toilette. Elle n’auroit pas manqué de l’y recevoir agreablement si elle eust esté sans compagnie ; mais elle avoit auprés d’elle un jeune homme qui devoit l’embarasser. Il estoit en Robe de Chambre de brocard d’or, & avoit une chemise d’une toile de Hollande fort fine, garnie de Point d’Espagne, un peu entr’ouverte, & attachée negligemment d’un ruban couleur de feu. Il avoit aussi un bonnet de nuit piqueure de Marseille, chamarré de dentelle, avec une coife garnie de Point de France. Trois ou quatre mouches placées en divers endroits de son visage relevoient son teint qu’il avoit fort beau. Ils se regarderent tous avec beaucoup de surprise, & celle du jeune Amant alla jusques à l’excés, lors qu’ayant envisagé fixement le Cavalier à robe de chambre, il le reconnut pour celuy de ses Laquais en qui il se confioit le plus. Il prit son party sur l’heure, & aprés avoir fait une grande reverence, il se retira en disant d’un ton assez tranquille à la Dame, qu’il se réjoüissoit avec elle de son illustre conqueste, & qu’il se garderoit bien d’avoir jamais des pretentions avec un Rival si dangereux. Il n’a point vû la Dame depuis ce temps-là, & l’histoire ne dit point ce que le Laquais est devenu.

[Ceremonies faites à Avignon pour l'Exaltation du cardinal Ottoboni au pontificat] §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 199-203.

 

Le soir du 3. du mois passé Mr. Cenci, Vicelegat d'Avignon, monta à l'Eglise Metropolitaine, où l'on chanta le Te Deum en Musique, pour rendre graces à Dieu de l'exaltation du Cardinal Ottoboni au Pontificat. Il y avoit plus de deux cens flambeaux de cire blanche allumez, ce qui faisoit un tres bel effet. Mr le Vicelegat marcha precedé de la Compagnie des Suisses & de sa Garde ordinaire, & accompagné de Mr Gaddi, Auditeur & Lieutenant General de la Legation des Auditeurs de Rote ; du Vicegerent de la Chambre Apostolique, des Juges de S. Pierre, du Viguier, Consuls, & autres Magistrats, & Officiers du Pape, & de la Ville, & de toute la Noblesse. Ensuite il descendit à la Place du Palais, où il fit allumer un feu qu'on y avoit préparé. Le lendemain, tout le Clergé Regulier & Seculier se rendit le matin dans l'Eglise Metropolitaine, & marcha de là processionnellement à celle des Peres Cordeliers. Mr le Vicelegat, precedé & accompagné comme le jour précedent, suivit la Procession, & lors qu'il fut monté sur le Trône que l'on a accoutumé de luy dresser, Mr de Garensé, Prevost de Nostre Dame, chanta la grand'Messe, aprés quoy Mr l'Abbé de Tulle prononça en Latin le Panégyrique du Pape avec beaucoup de succés. Cela estant fait, la Procession, & Mr le Vicelegat retournerent dans le mesme ordre à l'Eglise Metropolitaine. Il y eut pendant trois jours des Illuminations extraordinaires au Palais Apostolique, à l'Hostel de Ville, & à toutes les Maisons, avec de grands feux de joye & d'artifice dans toutes les Places publiques.

[Deux auteurs de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés]* §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 222-224.

 

Usuard & Aimoin sont les deux plus fameux Ecrivains que cette Abbaye ait produits dans les siecles reculez. Le Pere du Breüil fit beaucoup d’Ouvrages dans le dernier siecle, entre autres les Antiquitez de Paris. Il donna aussi une addition aux œuvres de S. Isidore de Seville, ramassées & reveuës sur les Manuscrits, ce qui a esté un prelude de ce qui s’est fait, & se fait encore presentement dans ce Monastere, où les Religieux s’appliquent avec un grand soin à donner au Public les Ouvrages des Peres dans leur pureté originale, autant qu’il est possible. Douze cens Manuscrits qui ont esté collationnez pour la seule Edition du Saint Augustin, montrent la grandeur de ce travail. S. Ambroise, S. Anselme, S. Bernard, & quelques autres Peres ont déja paru aussi, & l’on verra bien-tost le S. Hilaire, le S. Jerosme & le S. Athanase, qui sera suivi du S. Jean Chrysostome, & des autres Peres Grecs qui auront plus de besoin d’estre retouchez. Les grands noms de Menard, d’Achery, Mabillon, Blampain, Germain, &c. sont des garans de la perfection des Ouvrages ausquels ils ont travaillé, ou au moins des Religieux qui se sont formez sur leurs exemples, & qui ont pris leurs Leçons.

[Sur le livre Reflexions morales pour les Personnes engagées dans les Affaires qui veulent vivre Chrestiennement]* §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 270-274.

 

Vous me mandez que le Livre intitulé, Reflexions Morales pour les personnes engagées dans les Affaires qui veulent vivre chrestiennement, c’est à dire pour les Intendans des grandes Maisons, Procureurs, Avocats, Notaires, Huissiers, &c. porte un titre qui ne promet pas autant de satyre que l’on y en trouve. Je ne sçay si l’on peut appeller satyre les remontrances qu’on fait d’une maniere douce & honneste, à ceux qui sont atteints de quelques vices, sur tout quand ces vices sont prejudiciables au prochain. Je trouve au contraire que ce sont d’utiles & charitables remontrances pour empescher qu’ils n’y tombent, & des avis à ceux qui en souffrent, qui leur donnent lieu de se garantir de beaucoup de surprises, pour ne pas dire friponneries, qui les ruinent souvent. Je demeure d’accord qu’on voit dans ce Livre beaucoup plus de tours d’adresse des Procureurs qui veulent gagner, que dans la Comedie de Grapinian, & que chaque Plaideur devroit en faire son Livre favory pour le lire à tous momens, afin de l’apprendre en quelque sorte par cœur. Ses Procés luy coûteroient moins, & avanceroient plus. Les grands Seigneurs devroient faire la mesme chose à l’égard de l’article des Intendans, & chacun devroit à l’égard des autres professions, examiner les détours de ceux qui les professent, & qui sont marquez dans le Livre, suivant qu’ils ont affaire à eux. Loin que ces sortes d’Ecrits choquent les honnestes gens d’une profession, ils doivent leur faire beaucoup de plaisir, puis qu’ils servent à les faire distinguer. En effet il n’y a point de profession qui ne soit bonne en soy estant établie, & autorisée par les Loix, & qui ne soit jugée necessaire au bien public. Ainsi lors que ceux qui la professent usent mal de leur employ, les défauts sont des Particuliers, & non de la profession.

[Divertissemens du Carnaval] §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 289-291.

 

Pendant que plus de vingt Puissances souveraines liguées contre la France sont en mouvement, que l'on tient par tout des Assemblées, & que la pluspart accablent leurs Sujets d'imposts, tout est tranquille en ce Royaume, tout y marche d'un pas égal, & l'on prend les divertissemens de la saison à Paris & à Versailles de la maniere qu'on a toujours fait. Le Roy a donné à son ordinaire de magnifiques repas depuis que le Carnaval est ouvert, & l'on n'a passé aucune soirée à Versailles sans qu'il y eust quelque Mascarade, ou quelque autre divertissement. Monseigneur le Dauphin est aussi venu plusieurs fois prendre celuy du Bal à Paris, & ce Prince s'estant extremement diverty au premier que luy donna Monsieur, a souhaité que Son Altesse Royale luy en donnast un second.

[Air nouveau]* §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 298-299.

Vous vous connoissez si bien en Musique, que je vous vanterois inutilement les beautez du second Air nouveau que vous trouverez icy.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Que l'Amour dans un cœur entre facilement, doit regarder la page 298.
Que l'Amour dans un cœur entre facilement,
Il s'en faut bien qu'il n'en sorte de mesme,
Tout parle en vain contre un Amant.
Quand il faut par le changement
Se vanger d'un ingrat qu'on aime.
On éprouve malgré tout ce ressentiment,
Que l'Amour dans un cœur entrant facilement,
Il s'en faut bien qu'il n'en sorte de mesme.
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[Mort du frère de Saint-Simon]* §

Mercure galant, janvier 1690 [tome 1], p. 299-301.

 

Mr le Marquis de S. Simon mourut le 25. de ce mois, en son Chasteau du Plessis, dans sa quatre-vingt-dixiéme année. Il estoit Chevalier des Ordres du Roy, Gouverneur & Bailly de Senlis, Maréchal des Champs & Armées de Sa Majesté, & avoit esté Colonel du Regiment de Navarre. C’estoit le Frere aisné de Mr le Duc de S. Sîmon, & il avoit épousé le 14. Septembre 1634. Dame Loüise de Crussol, Veuve d’Antoine-Hercules de Bados, Marquis de Portes, & Mere de Diane-Henriette de Bados, Marquise de Portes, premiere Femme de Mr le Duc de S. Simon son Frere. Ce Marquis n’a point eu d’enfans de sa Femme, qui est encore vivante, & qui doit estre fort âgée, puis que sa Fille, premiere Femme de Mr le Duc de Saint Simon, est morte en 1670. âgée de quarante ans. Je suis, Madame, Vostre, &c.

A Paris ce 31. Janvier 1690.