1690

Mercure galant, avril 1690 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1690 [tome 4].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, avril 1690 [tome 4]. §

[Galanterie de M. le Pays] §

Mercure galant, avril 1690 [tome 4], p. 54-56.

Vous avez déja veu des Vers de Mr le Pays sur la Tontine, & vous les avez lûs avec le plaisir que donne tout ce qui part de sa Plume. En voicy d’autres du mesme Mr le Pays que vous trouverez tres-agreables. Il les a faits sur ce qu’il a sceu qu’un Particulier avoit mis son argent à la Tontine sous le nom du Roy, & c’est à ce Particulier inconnu qu’il les adresse.

Ingenieux François, digne Sujet du Roy,
Je ne te connois point, & je te porte envie ;
Pour asseurer ton bien, tu preferes sa vie
A celle que Cloton ne file que pour toy.
 Que mon ame seroit ravie,
Si ce noble transport estoit venu de moy !
 Ouy, j’ay la vanité de croire
 Que mes Vers te l’ont inspiré ;
 Tu m’en as dérobé la gloire,
 En secret j’en ay murmuré.
De mon Roy jour & nuit mon ame possedée,
Devoit bien avant toy concevoir cette idée.
Quand on fait, quand on dit quelque chose de grand,
 Qui plaist, qui brille, qui surprend,
Pour loüer, pour benir le Heros que j’adore,
 Je voudrois encherir encore ;
Ce seroit pour mon cœur le plaisir le plus doux.
Il me semble en voyant tous les jours sous la Presse
Tant d’Eloges pour luy, qu’on me les vole tous ;
Je sçay qu’injustement j’en ay de la tristesse,
Mais on doit pardonner à ma delicatesse.
Helas, on souffre bien qu’un Amant soit jaloux
Des soins qu’un autre prend pour plaire à sa Maistresse.

[Ode] §

Mercure galant, avril 1690 [tome 4], p. 57-60.

RESPONSE AUX VERS
de Mr le Pays.
ODE.

Toy, qui des Exploits de Loüis
Jour & nuit occupes tes veilles,
Illustre & fameux le Pays,
Qui produis toujours des merveilles.
Que j’aime ton ressentiment,
Et que j’applaudis au tourment
Que te donne aujourd’huy l’envie
De n’avoir pas mis comme moy,
Ton bien sous le nom de ton Roy,
Ny sur une si belle Vie !
***
 Apprens, agreable Envieux,
Que depuis que j’ay cette rente,
Je ne croy pas que sous les Cieux
Un homme ait l’ame plus contente.
Chaque jour me promet du bien,
Et sans estre Epicurien
Le sort n’a rien qui m’importune.
Gros & gras, je ris & je boy,
Et je me vante que le Roy
Sera l’Auteur de ma fortune.
***
 On ne parle dans tout Paris
Que du bonheur que je m’attire ;
Je n’ay jamais servi Loüis
Contre l’Espagne ny l’Empire.
Je n’ay point couru de hazards,
Non pas mesme vû les rampars
Des Places que l’on a conquises.
Qu’ay je donc fait ? J’ay prié Dieu,
Et mis mon argent en bon lieu,
Voilà les peines que j’ay prises.
***
 Le Pays, pour avoir l’honneur
Des Rentes que je me suis faites,
Que tu donnerois de bon cœur
Tes amours & tes amourettes !
C’est dans vos Ouvrages divers,
Que vous autres faiseurs de Vers,
Montrez du zele & de la joye
Au Heros qui nous rend heureux,
Mais moy, pour luy marquer mes vœux,
Je m’explique en belle monnoye.
***
 Du plaisir de me voir Auteur,
Je n’ay point l’ame embarassée,
Et je vois que tout mon bonheur
Me vient d’une seule pensée.
En bon & fidelle Sujet,
Je n’ay que Loüis pour objet,
Toujours prest à luy rendre hommage,
Et de mes jours & de mon bien,
Je ne luy refuseray rien ;
Que puis-je faire davantage ?
***
 Mais toy, qui de tes Vers charmans,
En tous lieux répans l’harmonie,
Et joins mille autres agrémens
A la beauté de ton genie ;
Le Pays, éleve ta voix,
Et chante le plus grand des Rois,
Que respectent les destinées,
Tandis qu’admirant ses vertus
Je vois croistre mes revenus,
Et la gloire de ses années.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1690 [tome 4], p. 60-61.

Je vous envoye un Air nouveau dont je ne vous diray rien. La connoissance que vous avez de tout ce qui regarde la Musique, vous en fera voir toutes les beautez.

AIR NOUVEAU.

Non, le temps ne peut rien contre un parfait amour ;
Aprés une absence cruelle
Je revois mon Iris plus tendre & plus fidelle,
Et depuis son heureux retour,
Cent fois le jour
Elle dit aprés moy, je redis aprés elle,
Non, le temps ne peut rien contre un parfait amour.
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[Chaires de Droit remplies à Paris & à Caën] §

Mercure galant, avril 1690 [tome 4], p. 61-75.

Mes Lettres vous ont appris que la mort de Mrs Doujat & Hallé, fameux l’un & l’autre par leur profonde érudition, avoit laissé deux Chaires vacantes dans la Faculté de Droit. Ces Places estant fort considerables, plusieurs Sujets tres dignes de les remplir ont fait leurs efforts pour y entrer, & comme l’ardeur d’en venir à bout, les a obligez de travailler avec une application extraordinaire, ceux qui n’y ont pas réussy, ont eu du moins l’avantage de pousser si loin l’étude de l’un & de l’autre Droit, que les connoissances qui leur en restent, leur doivent estre infiniment pretieuses. Les Prétendans estoient Mrs de Bonamour, le Gendre, Amyot & Collesson, ces quatre premiers, Docteurs & Aggregez de la Faculté de Paris ; Mr Toublane, Docteur & Aggregé de la Faculté d’Angers ; Mrs le Saché, Cahuzat, Bastide, Grolleau, ces trois derniers, Prestres, & Mr Duval, tous Docteurs en Droit Civil & Canonique. On leur donna à chacun de la matiere de l’un & de l’autre Droit pour expliquer & pour soûtenir, & cela fut fait au sort. Les disputes ont esté longtemps ouvertes, & honorées souvent de la presence des plus celebres Magistrats, & des plus sçavans hommes du Royaume. Enfin chacun ayant fourny sa carriere, le Conseil nomma Mrs de Fieubet & de Harlay, Conseillers d’Estat, pour presider à l’Assemblée, faire prester serment aux Docteurs, qui devoient donner leurs suffrages, & pour recevoir ces mesmes suffrages. Cette Assemblée se tint le Jeudy 9. du mois passé. Mrs de Fieubet & de Harlay s’y rendirent, & furent receus par Mr Bignon, Conseiller d’Estat, Doyen d’honneur de la Faculté, à la teste de tous les Professeurs, Docteurs, Aggregez d’honneur, & autres Aggregez. Vous sçaurez, Madame, que dans la Faculté il y a de deux sortes d’Aggregez, les uns Aggregez d’honneur, tels que Mrs Pinsson, Issaly, Desmarais, & autres fameux Avocats, & les autres Aggregez de profession. Ces derniers en font toutes les fonctions, & tant les uns que les autres, ils ont voix dans l’Assemblée. La Compagnie se rendit à Saint Jean de Latran, où l’on chanta une Messe solemnelle, aprés laquelle on proceda à l’Election. On rendit justice à tous les Concurrens, & comme il est impossible de mieux attaquer & de mieux défendre que firent les quatre premiers, ils l’emporterent sur les six autres. Mr de Fieubet fut le premier qui parla, & il le fit avec toute l’éloquence imaginable. Aprés qu’il eut fait l’éloge de tous ces Messieurs, il témoigna le regret qu’avoit Mr le Chancelier, aussi bien que tout le Conseil, de donner l’exclusion à Mr Amyot, qui s’estoit distingué d’une maniere extraordinaire. Il en donna pour raison qu’ayant parmy les Professeurs son Beaupere & son Beaufrere, qui sont Mrs Baudin & Cuynet, c’estoit un obstacle qui le mettoit hors d’estat d’avoir les suffrages. On peut dire que sans cela il y auroit eu bonne part, puisque les matieres les plus difficiles luy estant toujours tombées, il s’en est tiré de la maniere du monde la plus aisée, & avec toute l’érudition possible. Mr Amyot estant exclus, on donna les suffrages, & Mr Bignon, le premier des Vocaux, ayant harangué de cette maniere noble & éloquente qui luy a fait acquerir tant de reputation dans le Parlement, conclut en faveur de Mr le Gendre & Mr de Collesson. Mr le Gendre eut toutes les voix. C’est un homme consommé dans l’étude du Droit, & qui, quoy que dans un âge avancé, ne laisse pas de s’appliquer au travail avec une assiduité surprenante. Mr Collesson fut aussi éleu, mais ce ne fut pas d’un consentement si universel, puis qu’il ne l’emporta que d’une seule voix sur Mr de Bonamour son Concurrent Il est vray qu’il seroit fort difficile de trouver deux Sujets de la force de l’un & de l’autre. Le premier joint à une entiere connoissance du Droit Civil & Canonique toute celle des belles Lettres. Il a travaillé sur Martial, & sur Suetone. Ses Ouvrages sont dans les mains de tout le monde, & Mr de Launay, Docteur & Professeur du Droit François, dit en luy donnant sa voix, qu’il avoit un merite imprimé, s’il m’est permis : ajouta-t’il, d’emploier les termes dont quelques uns de Mrs de l’Academie Françoise se servent en parlant de ceux qu’ils reçoivent dans leur Corps sur la reputation qu’ils se sont acquise par les Ouvrages qu’ils ont donnez au Public. Il possede parfaitement la Langue Grecque, & on ne doit pas douter qu’il n’eust eu tous les suffrages, ainsi que Mr le Gendre, s’il n’avoit eu à combattre contre un homme du merite de Mr de Bonamour. Quoy que l’élection ne soit pas tombée sur ce dernier, il n’en doit pas avoir moins de gloire, puis que le peu qu’il s’en est fallu, & les éloges que luy ont donné ceux mesmes qui ont esté pour Mr Collesson, sont une preuve convaincante de sa capacité. Il est jeune, & il y a environ quinze ans qu’il eut l’honneur de disputer une pareille Chaire avec les plus grands Maistres de l’Art, je veux dire, Mrs Baudin & Cuynet, & il le fit avec un succés qu’on ne devoit point attendre d’un homme qui n’estoit âgé que de vingt ans. Quant à Mr Amyot, on a toujours esté si persuadé de son merite, que lors que le Droit fut rétabli, quoy qu’il ne fust pas Docteur, le Roy ne laissa pas de l’aggreger à la Faculté, & Mr le Pelletier, Ministre d’Etat, qui estoit alors Doyen d’honneur, luy dit que Sa Majesté pleinement instruite de sa capacité, le faisoit Docteur. Il n’y a peut-estre rien de si singulier que cela. On sçait qu’un Empereur trouva mauvais qu’un Docteur qu’il avoit ennobli, eust esté prendre place parmy les Chevaliers, disant qu’il pouvoit bien faire plusieurs Chevaliers, mais qu’il ne pouvoit faire un Docteur. Aussi Mr Amyot sensible à l’honneur qu’il a receu de Sa Majesté, ne manque jamais de prendre la qualité de Docteur de la nomination du Roy.

Il y a eu aussi une grande dispute pour la Chaire de Droit, vacante en l’Université de Caën. Elle fut ouverte l’année derniere par Mr le Petit, qui fit le Panegyrique de Sa Majesté, d’une maniere fort éloquente, en presence de Mr l’Evesque de Bayeux, de Mr Foucault, Intendant, & des Personnes les plus considerables de la Province. Cette dispute a duré un an, à cause du grand nombre de Concurrens, & Mr le Petit s’estant trouvé le plus habile, tant pour les belles Lettres, que pour sa profonde érudition dans le Droit Civil & Canonique, a merité le suffrage de tous ses Juges. Cette élection fut confirmée sur la fin du mois passé, par la nomination du Roy. qui aime en toutes sortes d’occasions à rendre justice à ses Sujets.

[Academiciens receus à l’Academie de Nismes] §

Mercure galant, avril 1690 [tome 4], p. 121-122.

Mr l’Abbé Baudry, dont l’on a vû plusieurs beaux Ouvrages en Vers François à la gloire du Roy, a esté receu depuis peu dans l’Academie Royale de Nismes. Mr l’Abbé Flechier, nommé à cet Evesché, a esté élû Protecteur de cette celebre Compagnie, par tous les suffrages des doctes Academiciens qui la composent. Elle ne pouvoit faire un choix plus judicieux que de prendre pour Chef un Prelat également sage, éloquent, habile & zelé.

[Histoire] §

Mercure galant, avril 1690 [tome 4], p. 122-133.

Les effets que l’imagination produit sont si extraordinaires, que quelquefois ils deviennent incroyables. Je vais vous en conter un qui vous surprendra. Deux Dames estoient liées d’une amitié fort étroite. On les voyoit à toute heure ensemble, leurs inclinations estant semblables, il estoit rare que l’une prist un plaisir sans qu’il fust commun à l’autre. Aussi les appelloit-on les Inseparables. Elles aimoient toutes deux le Jeu, & la liaison qui estoit entre elles faisoit qu’elles partageoient la perte ou le gain, jusque-là mesme que l’une joüant en l’absence de l’autre, leur societé subsistoit toujours également, à moins que la Joüeuse n’eust dit tout haut en entrant au Jeu, qu’elle ne joüoit que pour elle seule. Cela n’arrivoit presque jamais. Cependant une de ces Dames s’estant un jour trouvée en un lieu où l’on proposa de jouër au Lansquenet aux petites pieces par pur divertissement, en attendant qu’il vinst d’autre monde pour jouër un plus gros jeu, elle declara qu’elle joüoit sans moitié, le gain ou la perte devant estre si mediocre, qu’elle auroit cru qu’il y eust deu avoir de la honte à rien partager avec son Amie. Les Joüeurs furent sages un quart d’heure ; mais on se piqua presque aussi-tost, & aprés avoir commencé aux petites pieces, on alla aux Loüis d’or. Ainsi la Dame faisoit un gain fort considerable lors que son Amie entra. Cette Amie qui pretendoit estre de moitié, montra de la joye de ce qu’elle faisoit si bien ses affaires ; & un des Joüeurs chagrin de la perte qu’il faisoit, luy dit d’un ton un peu rude, qu’elle n’avoit que faire de se réjoüir, puis qu’elle n’avoit aucun interest au gain. Elle se plaignit de l’injustice de la Dame lors qu’elle eut appris qu’elle joüoit seulement pour elle ; & la voyant en train de gagner, elle luy dit qu’elle pouvoit compter son argent pour la mettre de moitié pendant le reste du jeu. La Dame la refusa, & prit pour pretexte que la fortune luy ayant esté trop favorable pour luy laisser croire que son bonheur dust continuer, elle ne vouloit point qu’il y eust ce jour-là de societé entre-elles, puis qu’elle ne pouvoit l’y recevoir, sans l’exposer en quelque maniere à une perte certaine. Cette raison, & le caprice de la plûpart des Joüeurs qui s’imaginent que le moindre changement arrivé au jeu leur porte malheur, firent que la Dame s’obstina sur le refus. Son Amie sortit, pour ne pas faire éclater le dépit qu’elle en avoit, & estant revenuë peu de temps aprés, elle trouva que son gain estoit augmenté de plus d’un tiers. Cette augmentation luy devint sensible. C’estoit un argent qu’elle croyoit qu’on luy faisoit perdre fort injustement, & son chagrin luy suggerant le dessein de causer de l’inquietude à la Joüeuse qu’elle connoissoit timide & sujette à s’effrayer, elle s’approcha de son oreille, & luy dit qu’elle sortoit d’une maison où estoit la petite verole & qu’elle venoit la luy apporter pour la punir du mauvais tour qu’elle luy faisoit. Elle s’en alla fort brusquement aprés luy avoir parlé de cette sorte, & la Dame animée par l’ardeur du jeu, voulut faire effort pour vaincre l’extrême frayeur qui la saisit, mais il luy fut impossible d’en venir à bout. Elle se troubla, changea de couleur, & ne sçachant plus ce qu’elle faisoit, elle fut contrainte de quitter le jeu, en disant que le cœur commençoit à luy manquer. La pasleur qu’on vit tout à coup sur son visage, fut la preuve de son mal. On la remena chez elle, & elle se mit aussitost au lit. On alla querir son Medecin, à qui elle dit, qu’il luy seroit inutile de chercher la cause de ce qu’il voyoit, & qu’il pouvoit la traiter comme une Femme attaquée de la petite verole. Elle luy conta ensuite ce que son Amie avoit fait contre elle. Il se moqua de ce qu’on estoit venu luy dire, & luy voulut rasseurer l’esprit, mais rien ne put la guerir de ses alarmes, & elle passa la nuit dans cette pensée. Les indices du mal qu’elle apprehendoit parurent assez fortement pour faire dire au Medecin mesme qu’elle ne se trompoit pas. Son Amie qui sçeut la chose vint la voir le lendemain, & la Dame luy demanda si jamais personne s’estoit vangé si cruellement. Cette Amie surprise de la voir en cet estat, luy protesta qu’elle luy avoit dit une fausseté dans le seul dessein de la mettre en peine, & justifia si bien qu’elle n’avoit esté que chez une Dame voisine où il n’y avoit aucun malade, qu’on reconnut impossible qu’elle luy eust apporté l’air contagieux qu’elle croyoit avoir pris. Cependant tout son sang s’estoit meslé par la crainte, & l’imagination avoit esté si puissante en elle, que la petite verole se declara dés ce mesme jour. Le Medecin dit d’abord que les suites en seroient tres-dangereuses. Il voulut qu’on appellast du secours, & tout l’Art de ses Confreres ainsi que le sien, fut incapable de sauver la Dame. Elle mourut aprés les premiers remedes, & laissa son Amie d’autant plus inconsolable qu’elle l’aimoit tendrement, & qu’elle se voyoit cause de sa mort, pour avoir voulu l’inquieter dans le temps qu’elle joüoit, sans avoir eu la moindre pensée qu’il fust possible que la chose allast plus loin.

[Stances qui marquent l’amour parfait] §

Mercure galant, avril 1690 [tome 4], p. 133-137.

Je me souviens de vous avoir oüy dire quelquefois que vous aviez peine à croire qu’il y eust un amour assez des-interessé pour meriter le nom de parfait. Vous le trouverez dans les Vers qui suivent, s’il est vray que l’Auteur soit aussi sincere, qu’il paroist avoir d’esprit.

STANCES.

Souffrez-moy seulement, Iris, de vous aimer,
Sans esperer jamais que vous m’aimiez de mesme.
 Vostre beauté m’a sceu charmer,
Et ce charme secret fait mon bonheur extrême.
***
Je sçay que mille Amans vont vous faire la cour ;
Mais sans estre jaloux que vostre cœur s’engage,
 Je joüira y de mon amour,
Du plaisir de vous voir, & d’aimer davantage.
***
Je suis dans mon Automne, & vous dans le Printemps ;
Rien n’est égal en nous, l’âge ny la tendresse,
 Mais j’ay plus de feu qu’à vingt ans,
Et l’amour que je sens me tient lieu de jeunesse.
***
Jamais un jeune Amant ne fut plus enflâmé,
Jamais un jeune Amant ue vous trouva si belle,
 Jamais aucun n’a tant aimé,
Et vous n’aurez jamais un Amant si fidelle.
***
Iris, un jeune Amant ne vous connoistra pas
Ne verra qu’à demy tant de charmantes choses ;
 Parmy tant de divers appas
Il ne sçaura loüer que vos lis & vos roses.
***
Moy, je découvre en vous mille secrets tresors,
Dont le Ciel vous formant d’une main favorable
 Orna vostre esprit, vostre corps,
Et je vous aime autant que vous estes aimable.
***
Nul ne vous servira sans espoir, sans desirs,
Sans vous faire valoir ses soupirs & ses larmes ;
 Moy, je ne veux d’autres plaisirs
Que celuy de vous voir, & d’adorer vos charmes.
***
Que l’on goûte en amour les plaisirs les plus doux,
Mon cœur aux plus heureux ne porte point d’envie,
 Pourvû que toujours prés de vous
Je passe à vous aimer le reste de ma vie.

A Mercure §

Mercure galant, avril 1690 [tome 4], p. 137-138.

Voicy d’autres Vers du mesme Auteur, que vous ne trouverez pas moins agreables.

A MERCURE.

Celeste Messager, cher confident des Dieux,
Qui tous les mois partez des Cieux
Pour donner aux Mortels des nouvelles du Monde,
Volez, Mercure, allez, parcourez l’Univers,
Allez trouver Iris, jeune, charmante, blonde ;
 Vous verrez qu’elle est sans seconde,
Vous n’avez jamais vû tant de charmes divers.
***
Pour la bien divertir & flater ses desirs
 Donnez luy de nouveaux plaisirs,
Choisissez-luy toujours quelque rare nouvelle.
Dites-luy qu’au milieu des charmes de la Cour,
Tircis également amoureux & fidelle
 Soupire sans cesse pour elle,
Et qu’enfin vous n’avez jamais vu tant d’amour.

[Jettons que les Maistres Chirurgiens de Paris ont fait fraper] §

Mercure galant, avril 1690 [tome 4], p. 219-223.

Dans la face droite de l’autre Jetton est le Portrait de Loüis le Grand, pour servir de monument éternel de la protection dont il a bien voulu honorer la Compagnie des Maistres Chirurgiens de Paris en plusieurs rencontres, & sur tout, quand il a eu l’occasion de choisir un premier Chirurgien pour sa Personne sacrée, ayant desiré que celuy qui remplit presentement cette premiere place de la Chirurgie, essuyast la rigueur que cette Compagnie exige de ceux qui se presentent pour y estre admis ; & lors qu’il empêcha par un Arrest de son Conseil d’Estat, y estant en personne, les Chirurgiens Hospitaliers d’estre aggregez dans cette Societé, sans avoir fait les exercices de Theorie & de pratique selon la coûtume. Ces mots sont autour du cercle. Ludovicus Magnus, Chirurgorum Parisiensium Protector. Au revers est la Devise que la Compagnie a prise depuis longtemps. Le corps est un trophée d’instrumens de Chirurgie, attaché dans une Salle magnifique, & disposé de la maniere que les Anciens dressoient leurs Trophées d’Armes dans le Temple de Jupiter, aprés avoir remporté quelques victoires. Au dessus paroist une table ornée d’un tapis fleurdelisé, & couverte de Livres de Chirurgie, pour faire connoistre que l’avis de ceux qui ont écrit de cet Art, n’est pas moins necessaire pour bien faire les operations, que les instrumens dont on se sert dans l’execution. Ces paroles, Consilioque manuque, font l’ame de la Devise, & on les a expliquées par ce Madrigal,

Grand Art, dont le pouvoir surmonte la Nature,
 Qui du plus accompli des Corps
 Sçais démêler tous les ressorts,
Et seul en as connu l’admirable structure.
 Combien l’homme sans ton secours
Verroit-il accourcir le nombre de ses jours ?
Parmy ceux que l’on voit te consacrer leurs veilles,
Les uns pleins de sçavoir ordonnent sagement,
Les autres pleins d’ardeur pratiquent seurement,
Tu partages entre eux tes dons & tes merveilles :
Mais si tu veux passer pour un Art plus qu’humain,
Fais trouver en un seul le Conseil & la Main.

[Ceremonie faite aux Cordeliers] §

Mercure Galant, avril 1690, p. 231-232.

 

On celebre chaque année au jour du Dimanche de Quasi modo, dans l'Eglise du Convent des Cordeliers de Paris, une Feste que les personnes qui ont visité les Saints Lieux, rendent solemnelle. Cette Ceremonie commence par une Procession publique d'un grand nombre de Religieux, & de ceux qui ont eu le bonheur de voir le Sepulchre du Sauveur. Ils portent des palmes en leurs mains, & sont precedez de Trompettes, de Timballes, de Hautbois, & d'autres Instrumens de Musique, pour marquer la joye particuliere qu'ils ressentent de la Resurrection du Fils de Dieu, & du triomphe qu'il a remporté sur ses ennemis. La Messe se chante ce jour-là en Grec, & c'est un usage tres ancien. Aprés l'Evangile il y eut cette année un Sermon en la mesme Langue.

[Livres nouveaux] §

Mercure galant, avril 1690 [tome 4], p. 283-284.

Il paroist depuis quelque temps un Livre nouveau, intitulé, Remarques, ou Reflexions Critiques, Morales & Historiques, sur les plus belles & les plus agreables pensées qui se trouvent dans les Ouvrages des anciens Auteurs & modernes. Il y a quantité de Livres qui promettent beaucoup, & l’on trouve dans celuy-cy plus que son titre ne fait esperer, puis qu’on y voit non seulement les plus belles, & les plus agreables pensées qui sont dans la pluspart des Ouvrages des Auteurs anciens & modernes, mais encore une infinité de choses dites par beaucoup de grands hommes, à propos de quoy l’Auteur fait leur histoire en abregé. Ainsi l’on voit dans un seul Livre des collections qu’on ne peut faire qu’en plusieurs années de lecture, & ceux qui veulent se donner la peine d’en faire, y apprennent la maniere de faire un bon choix.

[Explication de l'énigme du mois passé]* §

Mercure galant, avril 1690 [tome 4], p. 312.

Le mot de la Tontine, qui étoit le vray sens de l’Enigme du mois passé [...]

Enigme §

Mercure galant, avril 1690 [tome 4], p. 315-317.

La nouvelle Enigme que je vous envoye, ne se trouvera peut-être pas si facile à deviner, que celle de la Tontine. Je n’en connois point l’Auteur, mais il me paroist avoir un génie particulier pour les Ouvrages de cette nature.

ENIGME.

 Je vais t’apprendre mon destin,
Juge s’il est heureux, ou déplorable,
Dés que je suis formé, mon Pere impitoyable
 Me plonge le fer dans le sein.
***
Je suis fait pour servir une fiere Maistresse,
 Que pourtant je tiens sous mes loix,
 Et qui, souvent, pour marquer sa Noblesse,
 Va du mesme pas que les Rois.
***
Si celle que je sers est richement parée,
 Je me ressens de son superbe atour,
 En campagne, en Ville, à la Cour,
 Elle a toujours une garde assurée.
***
 Quand je la gouverne, elle est bien.
M’échape-t-elle, on la craint d’ordinaire,
 Aussi jamais on ne m’impute rien
 De tout le mal qu’elle peut faire.
***
Il est vray que dans son employ,
Pour elle mon secours est de peu d’importance ;
Mais du moins elle trouve en moi
Son repos & son innocence.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1690 [tome 4], p. 317-318.

Voicy un second Air de M de Bacilly. Il en a fait aussi les paroles, elles sont du temps.

AIR NOUVEAU.

Jamais Printemps n'eut tant de charmes,
Que celuy que nous allons voir.
Chacun s'apreste à faire son devoir,
Et d'un jeune Heros va seconder les armes.
Tandis que les Bergers
Vont cueillir dans nos champs mille et mille fleurettes,
Tous nos graves Guerriers
Animez par le son des Tambours, des Trompettes,
Vont dans les champs de Mars cueillir mille Lauriers.
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[Nouvelles Reflexions ou Sentences, Maximes morales & politiques] §

Mercure galant, avril 1690 [tome 4], p. 318-321.

Le Sr. Guerout, Libraire au Palais, commence à débiter un Livre qui doit être d’une grande utilité pour tous ceux qui ont quelque connoissance de la Chirurgie. C’est un Ouvrage du Sçavant Ettmullerus qu’on a traduit en François, & qui a pour titre Nouvelle Chirurgie Medicale, & raisonnée. On l’appelle ainsi, parce qu’on y rend raison de tout jusqu’aux moindres choses, & qu’il n’y a point de si petites circonstances, ny d’abus sur les causes, sur les Symptomes, sur la cure, & sur les remedes des maladies externes qui font l’objet de la Chirurgie, que l’on n’y explique avec autant d’exactitude que de netteté. Il semble que cet Auteur ait voulu écrite particulierement en faveur des Medecins, comme on le peut voir par le Titre même de l’Ouvrage, afin de leur fournir dequoy soûtenir avec honneur l’inspection que la Medecine a euë de tout temps sur la Chirurgie. On y a joint une Dissertation sur l’infusion des liqueurs dans les vaisseaux. C’est un Traité fort sçavant dans lequel toute la Mecanique des corps, tant en maladie qu’en santé, est expliquée, & cela est soûtenu d’une infinité de belles experiences.

Le mesme Libraire va commencer le debit d’un autre Livre nouveau, intitulé, Nouvelles Reflexions ou Sentences & Maximes morales & Politiques. On leur a donné ce titre, parce qu’on en a inseré plusieurs dans cet Ouvrage, qui ont paru fort utiles pour se bien conduire, soit par rapport aux mœurs & à la Religion, soit par rapport à l’Estat & à la Vie Civile. L’Auteur avouë qu’il a composé la pluspart de ces Maximes, des plus belles & des plus solides pensées qu’il ait pû choisir dans les Ouvrages les plus estimez, & ceux qui les liront avec un esprit desinteressé, n’auront pas de peine à reconnoistre, que loin d’avoir eu le dessein d’attaquer qui que ce soit en particulier ; il n’en veut qu’à l’homme corrompu, & non pas à la vertu.

M. Touraine, Vicaire de Villers-le-bel, a donné depuis peu au public des Instructions du Calendrier universel & perpetuel, qui font voir plusieurs erreurs de calcul ou de supputation Astronomique dans le Calendrier Romain. Ce petit Livre contient des choses fort curieuses. On le trouve chez le Sieur l’Anglois, ruë saint Jacques à la Victoire.