1690

Mercure galant, septembre 1690 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1690 [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1690 [tome 10]. §

[Stances de Mme des Houlieres] §

Mercure galant, septembre 1690 [tome 10], p. 7-13.

La conjoncture presente des affaires fait meriter tant de loüanges au Roy, & ce Monarque en reçoit de tant d’éloquentes Plumes, que je croy devoir commencer ma Lettre en vous faisant part de leurs productions. L’illustre Madame des Houlieres ne s’est pas teuë sur ses dernieres Victoires. Je ne vous vanteray point les Vers que vous allez lire. On n’en voit point d’elle qui ne répondent à la réputation qu’elle s’est acquise.

STANCES IRREGULIERES
Sur les Victoires du Roy.

 Fille du Ciel, aimable Paix,
Vous qui de tous les biens estes toûjours suivie,
Vous que l’aveugle erreur & la jalouse envie
Ont voulu d’icy-bas exiler pour jamais :
LOUIS est triomphant sur la terre & sur l’onde,
Ses nombreux Ennemis sont confus, sont défaits,
 Il va vous redonner au monde.
***
 Si les secrets du Ciel se peuvent penetrer,
Les glorieux succés qu’il accorde à ses armes
Forceront la discorde & l’envie à rentrer
Dans ces lieux destinez à d’éternelles larmes.
 Ouy, je prevoy qu’avant le temps,
 Où les Rossignols par leurs chants
Font retentir les bois de plaintes amoureuses,
Vous descendrez icy du celeste sejour ;
 Plus ses armes seront heureuses,
 Plûtost vous serez de retour.
***
 Entre les bras de la Victoire
On a vû ce Heros déja plus d’une fois,
 Pour n’écouter que vostre voix,
 Imposer silence à sa gloire.
 Son ame au dessus des faveurs
 Que fait l’inconstante Déesse,
N’a point ce dur orgueil ny ces lâches rigueurs,
 Qui mettent le comble aux malheurs
D’un Ennemy forcé d’avoüer sa foiblesse,
 Vice des vulgaires vainqueurs.
Icy la mesme main qui terrasse, releve,
Et toujours de Loüis le triomphe s’acheve
 Par le retour de vos douceurs.
***
 Plus à ses Peuples qu’à luy-même,
Il ne voit qu’à regret ce qu’ils font aujourd’huy,
Et ces Peuples instruits à quel point il les aime,
 Goûteroient un plaisir extrême
A donner tous leurs biens & tout leur sang pour luy.
Il voudroit qu’au milieu de ces brillantes festes,
Qu’enfante un doux loisir dans les lieux où vous estes,
 Tous ses Sujets pussent vieillir.
Ce genereux soucy sans cesse l’accompagne,
Des Conquestes qu’il fait, des Batailles qu’il gagne,
Vous estes le seul fruit qu’il pretend recueillir.
***
De rage & de douleur je les voy qui fremissent
 Au bruit de ses fameux exploits,
 Ces fiers Princes qui vous haïssent,
Et qui foulant aux pieds toutes sortes de loix,
 Pour un Usurpateur trahissent
 Leur gloire & l’interest des Rois.
La terre a bû le sang de leurs meilleures Troupes,
La mer, malgré les vents qui combattoient pour eux,
Pesle mesle a receu, Vaisseaux, Canons, Chaloupes,
Soldats & Matelots, dans ses gouffres affreux.
Goûtez, charmante Paix, une douce vangeance
Du mépris qu’ils ont fait de vos plus sacrez nœuds,
Vous serez la ressource & l’unique esperance
 De leur monstrueuse Alliance
 Qu’a cimentée un crime heureux.

[Sonnets] §

Mercure galant, septembre 1690 [tome 10], p. 13-22.

Voicy d’autres Ouvrages de Vers sur cette mesme matiere. Les trois premiers Sonnets sont de Mr Boyer, de l’Academie Françoise : le quatriéme, de Mr le Clerc, de la mesme Academie, & le cinquiéme, de Mr de Liniere.

LE ROY
A SON PEUPLE.

Cher Peuple, à m’obeir si prompt & si fidelle,
Vous qui me consacrez & vos biens & vos bras,
Vous en qui le courage & l’ardeur d’un beau zele
Me donnent des Heros autant que de Soldats.
***
Soûtenons jusqu’au bout une illustre querelle ;
Que tout soit contre moy, que contre mes Etats
Il s’éleve une Ligue injuste & criminelle,
Le Ciel & mes Sujets ne me manqueront pas.
***
Nous vaincrons, & la Paix qui suivra la Victoire,
Ramenant l’abondance au milieu de la gloire,
Fera de nostre sort Rois & Peuples jaloux.
***
Toutes les Nations environt à la France
Un Roy, dont vostre zele augmente la Puissance,
Tous les Rois m’envîront des Sujets comme vous.

Sur la défaite des Flotes Angloise & Hollandoise.

Peuples jaloux, voyez quelles morts, quel carnage
Viennent d’ensanglanter l’un & l’autre Element.
Un Roy vangeur des Rois a puny vostre rage ;
Malheur à qui s’expose à son ressentiment.
***
Au lâche Usurpateur vous ouvrez un passage,
Vous l’élevez au Trône ; il regne impunément ;
Loüis sur vos Vaisseaux a vangé cet outrage.
Quel horrible debris ! quel vaste embrasement !
***
Humiliez, confus aprés cette disgrace,
Oserez-vous encor, pleins de la même audace,
Disputer avec nous de l’Empire des Eaux ?
***
Dés que Louis poursuit la peine de vos crimes,
L’Ocean vous voit fuir, voit brûler vos Vaisseaux,
Et pour les engloutir, luy prête ses abismes.

Sur la Victoire remportée
en Savoye.
AU ROY.

Que le Ciel fait pour vous de miracles visibles !
Grand Roy, la Ligue en vain redouble ses efforts ;
Rien ne peut ébranler vos forces invincibles ;
Rien ne peut épuiser vos immenses tresors.
***
Le zele des François rend vos armes terribles :
Une si noble ardeur leur donne des transports
Qui leur font penetrer des lieux inaccessibles,
Et couvrir des rochers d’une moisson de morts.
***
Que ce triomphe est beau ! mais qu’il s’augmente encore,
Quand de vostre Grandeur, que l’Univers adore,
Le surprenant éclat ne vous ébloüit pas !
***
Loin de vous élever par ces grands avantages,
Vostre cœur reconnoist par d’assidus hommages
L’invisible secours qui soutient vostre bras.

Sur les heureux succés des armes du Roy.

Non, ne vous lassez point d’étaler vostre joye,
Peuples trop fortunez sous les loix de LOUIS,
Vous ne devez qu’à luy ces succés inoüis,
Et ces prosperitez que le Ciel vous envoye.
***
De plus de Potentats que l’on n’en vid à Troye
Les complots forcenez sont presque évanouis,
Et l’aveugle fureur dont ils sont éblouis
A de nouveaux lauriers n’a fait qu’ouvrir la voye.
***
Quel Hercule jamais égala nôtre Roy ?
Seul dans tout l’Univers défenseur de la Foy,
Du Dieu des Combattans il lance le tonnerre.
***
Ses Ennemis par tout en ressentent les traits,
Et les ayant domptez par une juste guerre,
Il doit encor bien-tost leur imposer la Paix.

Sur le mesme sujet.

Cedez, fiers Ennemis, nostre tonnerre gronde :
Tous ceux qui pretendoient nous donner de l’effroy,
Voudroient estre avec nous dans une paix profonde,
Et venir en tremblant recevoir nostre loy.
***
Nous sommes triomphans sur la terre & sur l’onde,
Nostre vigueur éclate, on nous craint, & je croy
Que la France seroit la Maistresse du monde,
Si c’estoit le desir de nostre Auguste Roy.
***
Luxembourg à Fleurus sa vaillance déploye ;
Le hardy Catinat se signale en Savoyee
Et Tourville sur mer a mis l’Anglois, à bas.
***
Quoy que ces trois grands Chefs honorent nos Histoires,
Ce n’est ny leur sçavoir, ny leur cœur, ny leur bras,
Mais l’esprit de LOUIS qui gagne les Victoires.

[Madrigal] §

Mercure galant, septembre 1690 [tome 10], p. 22-23.

J’ajoûte à ces cinq Sonnets un Madrigal de Mr Petit de Rouën.

AU ROY.

Divin LOUIS, que la Victoire
A toujours suivy pas à pas,
Et qui prenant toute la gloire
Fais que les autres n’en ont pas.
Quelle est la force de ton bras !
Toute l’Europe conjurée
Sous ce bras se trouve atterrée
Dans toutes sortes de combats.
 Mais faut-il que l’on s’en étonne ?
Celuy du Tout-puissant affermit ta Couronne,
Et voyant qu’on pretend abattre ses Autels,
Te seconde, animé d’une juste vangeance.
 Contre une suprême Puissance,
 Que peuvent de simples Mortels ?

[Oraisons funebres faites pour M. de Montausier] §

Mercure galant, septembre 1690 [tome 10], p. 98-101.

Le respect & la veneration que l’on garde pour la Memoire de Mr le Duc de Montausier, luy a fait rendre tous les honneurs qui êtoient deus à une personne d’un merite aussi generalement reconnu que le sien l’estoit. Aussi les rares vertus qui l’ont fait admirer pendant sa vie, ont receu aprés sa mort les justes Eloges qu’elles meritoient, dans deux Oraisons Funebres, prononcées avec l’applaudissement de deux Assemblées nombreuses, l’une le 11. du mois passé dans l’Eglise des Carmelites du Fauxbourg Saint Jaques, par Mr l’Abbé Flechier, nommé à l’Evesché de Nismes, & l’autre le 19. du mesme mois dans l’Eglise de S. Germain l’Auxerrois sa Paroisse, par Mr l’Abbé Ancelme. Comme ces deux excellentes Pieces sont si bien liées chacune dans ses parties, qu’on n’en pourroit détacher aucun endroit sans luy faire perdre beaucoup de sa force, je me contenteray de vous dire qu’elles ont esté l’une & l’autre données au Public, & qu’ayant eu beaucoup de succés, il y a grande apparence qu’on ne sera pas longtemps sans les envoyer dans vostre Province.

[Idille de Madame des Houlieres sur la mort de ce Duc] §

Mercure galant, septembre 1690 [tome 10], p. 101-108.

Cependant pour ne vous pas priver du plaisir de voir ce qui s’est fait à la gloire de ce Duc, dont les grandes qualitez ont fait tant de bruit dans tout le Royaume, je vous envoye un Ouvrage de Madame des Houlieres, sur le malheur arrivé aux Muses, qui en le perdant, ont perdu leur Protecteur.

SUR LA MORT
De Mr le Duc de Montausier.
IDILLE

Sur le bord d’un ruisseau paisible
Olimpe se livroit à de vives douleurs,
 Et malgré ses autres malheurs
Au sort de Montausier attentive & sensible,
 Disoit en répandant des pleurs :
Qu’allez-vous devenir, belles Infortunées,
Muses, qu’il protegea dés ses jeunes années ?
Qu’allez-vous devenir, Heroïques Vertus,
 Vous qui tremblantes, éplorées,
 Aprés vos Temples abbatus,
Chez luy vous estiez retirées ?
Les titres précieux dont furent revêtus
Ces Grecs & ces Romains, ornemens de l’Histoire,
Sont dûs à ce Heros d’immortelle memoire,
 Qui par des sentiers peu battus.
Marcha d’un pas égal vers la solide gloire.
***
Muses, Vertus, helas ! qui sera vostre appuy ?
Et qui regardera comme d’affreux spectacles
 Vostre misere & vostre ennuy ?
Qui vous écoutera ? Qui voudra comme luy
Vous conduire à travers d’innombrables obstacles
 Au grand Roy qui regne aujourd’huy ?
Ah, qu’une telle perte ouvre de precipices !
Qu’elle va vous livrer à d’injustes caprices !
 Que de dédains, que de dégousts ?
Muses, Vertus, helas ! l’Ignorance & les Vices
Peut-estre par sa mort triompheront de vous.
***
 Injustice de la Nature !
Les arbres dont l’ombrage embellit ces costeaux,
Ne craignent point des ans l’irreparable injure ;
Leur vieillesse ne sert qu’à les rendre plus beaux.
Aprés avoir d’un siecle achevé la mesure,
Ils passent bien avant dans des siecles nouveaux.
 Où voit-on quelque homme qui dure
Autant que les sapins, les chesnes, les ormeaux ?
***
Mais pourquoy m’amuser dans ma douleur mortelle
A faire à la nature une vaine querelle ?
 Arbres qui vivez plus que nous,
 Joüissez d’un destin si doux ;
J’ay bien d’autres sujets de murmurer contr’elle.
Puis-je voir sans blâmer des ordres si cruels,
 Qu’un de ces indignes Mortels
 Que dans sa paresse elle forme
 De ce qu’elle a de plus mauvais,
Plus tard que Montausier s’endorme
De ce fatal sommeil qui ne finit jamais ?
***
Un excés de douleur & de delicatesse
 Porte ma colere plus loin.
Tout homme, quel qu’il soit, dont elle a pris le soin
De conduire la vie à l’extrême vieillesse,
 Quand il s’offre à mes yeux les blesse.
 Non, je ne sçaurois plus souffrir
Que de la fin d’un siecle icy quelqu’un approche,
 Sans luy faire un secret reproche
 Du long-temps qu’il est à mourir.
***
 Vous, qu’avec une ardeur sincere
J’invoquois pour sauver une Teste si chere,
 Dieux, quelquefois ingrats & sourds !
Seize lustres entiers ne firent pas le cours
 D’une vie également belle,
 Et qui devoit durer toujours,
Si le merite estoit un asseuré secours
 Contre une loy dure & cruelle.
 Vous ne vouliez pas que son cœur
Eust le plaisir de voir ce Prince dont l’enfance
 Fut confiée à sa prudence,
 Une seconde fois Vainqueur
Des fieres Nations que l’Envie & l’Erreur
 Osent armer contre la France.
***
Vous estes satisfaits. Les barbares efforts
 De la Déesse qui delie
Les invisibles nœuds qui joignent l’ame au corps,
 Ont fait que sur les sombres bords
Montausier a rejoint sa divine Julie.
Tous deux malgré cette Eau qui fait que tout s’oublie,
 Sentent encor de doux transports ;
Et tous deux sont suivis de ces illustres Morts,
Qui dans une saison aux Muses plus propice,
 Firent de leurs charmans accords
Retentir si longtemps le Palais d’Artenice,
Tandis que des grands noms du Heros que je plains
Aux siecles à venir on transmet la memoire,
 Et que les plus sçavantes mains
Elevent à l’envi des Temples à sa gloire.

[Sonnet sur le mesme sujet] §

Mercure galant, septembre 1690 [tome 10], p. 109-111.

Mr le Clerc, de l’Academie Françoise, s’est aussi adressé aux Muses dans un Sonnet dont la perte que nous avons faite de Mr de Montausier, luy a fourny la matiere. Il est trop beau pour ne vous en pas envoyer une Copie.

SONNET.

Montausier ne voit plus la lumiere du jour,
Muses, que son trépas a si fort desolées,
A l’honneur de son nom dressez des Mausolées,
Dignes de sa vertu, dignes de vostre amour.
***
Dés ses plus jeunes ans il vous faisoit la cour,
Et quand de nos Climats Mars vous eut exilées,
On vous y vid bien-tost par ses soins rappellées,
Accommoder vos chants au fier bruit du tambour.
***
Que nos derniers Neveux, par vostre ministere,
Apprennent à quel point il fut juste & sincere,
Vaillant & liberal, sage, actif, éclairé.
***
Mais non, LOUIS a fait son vray Panegyrique,
Quand pour former d’un Fils le courage heroïque,
A ses plus grands Sujets son choix l’a préferé.

Air nouveau §

Mercure Galant, septembre 1690, p. 111-113.

Quoy que nous soyons dans une saison fort éloignée du Printemps, je ne puis m'empescher de vous faire part d'un Air qui fut fait lors qu'on partit pour se rendre en Flandre & en Allemagne. Comme la Campagne n'est pas encore achevée, je le croy assez du temps pour vous l'envoyer, puisque les paroles marquent la peine que soufrent nos Belles d'estre separées de leurs Amans. Cet Air est de la composition de Mr Capus, Maistre de Musique fort estimé, & étably à Dijon.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Ah, Printemps ton retour, n'a plus, doit regarder la page 112.
Ah, Printemps, ton retour n'a plus pour moy de charmes.
Le cher objet de mes tendres desirs
S'éloigne de mes yeux malgré tous mes soupirs,
Moins sensible à l'amour qu'à la fureur des armes.
Ah, Printemps, ton retour n'a plus pour moy de charmes.
Il ramene en ces lieux les Jeux et les plaisirs,
Il fait naistre les fleurs & voler les Zephirs,
Et dans mon cœur il met le trouble & les alarmes.
Ah, Printemps, ton retour n'a plus pour moy de charmes.
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[Réjouissances faites à Agen]* §

Mercure Galant, septembre 1690, p. 113-115, 120-121.

Comme les Victoires du Roy ont continué, on a fait de nouvelles réjoüissances dans toutes les Villes, & celle d'Agen n'a rien épargné pour faire voir combien elle s'interessoit sensiblement aux avantages que l'Armée Navale de Sa Majesté a remportez sur celle des Anglois & des Hollandois. Le 7. du mois passé, jour choisi pour en rendre graces à Dieu, Mr l'Evesque d'Agen fit richement tapisser une grande Galerie qui est dans la court de l'Evesché. Un grand Buste du Roy fut exposé au milieu sous un magnifique Dais, & la nuit estant venuë, on alluma un nombre presque infiny de lumieres qui illuminerent toute cette Galerie, avec de grands flambeaux de cire blanche aux costez du Buste. Pendant tout ce jour & toute la nuit, on regala de vin & de plusieurs mets tous ceux qui se presenterent. Le Corps de Ville fit mettre toute la Bourgeoisie sous les armes, avec les Capitaines & les Sergens de quartier, qui assisterent au feu de joye. Il fut allumé aprés que l'on eut chanté le Te Deum dans la Cathedrale, & ce fut un feu continuel de Mousqueterie & de Canon. [...]

 

La Feste se termina par des danses & des feux particuliers qu'on fit dans toute la Ville. Chaque Magistrat Presidial fit la danse de son quartier ; chaque Consul fit la mesme chose, & toutes ces danses alloient dans la court de l'Evesché, où incessamment l'on versoit à boire à tous ceux qui en vouloient. Le Procureur Sindic, qui fut ocupé tout ce jour-là à donner ses ordres pour la representation du Combat Naval, fit allumer de nouveau le lendemain au soir toutes les Lanternes de sa ruë, & se mit à la teste de tout son quartier, qui fit une danse si nombreuse, qu'elle se multiplia aussi-tost en huit autres danses.

[Réjouissances fait à Uzez]* §

Mercure Galant, septembre 1690, p. 121-123.

Je ne vous parleray point d'un Feu d'artifice qui a esté fait à Uzez dans la mesme occasion par l'ordre de Mr l'Evesque, ny d'un Soupé magnifique de cinquante Couverts, qu'il donna ensuite à toute la Noblesse du Pays. Je vous diray seulement que le bruit de cette Feste ayant attiré un fort grand nombre de nouveaux Convertis, la Cathedrale s'en trouva toute remplie dans le temps du Te Deum. Il fut chanté en Musique en presence des Corps de Ville & de Justice, & ce Prelat avant que de se revestir de ses habits Pontificaux, alla s'asseoir au Fauteuil dont il se sert ordinairement pour entendre le Sermon & fit le discours qui suit. [...]

[Réjouissances faites à Mende]* §

Mercure Galant, septembre 1690, p. 137-140.

La Ville de Mende, dans le Givaudan, Province du Gouvernement de Languedoc, n'a pas monstré moins de zele, qu'Agen & Uzez. Les Chanoines de la Collegiale de tous les Saints firent dresser un Feu de joye dans leur court avec toute la magnificence possible. Ils s'y rendirent tous en Surplis & en Aumusses ayant leur Doyen à leur teste, & tenant chacun un Cierge de cire blanche à la main, & aprés avoir chanté le Te Deum, & commencé le Veni Creator, il allumerent ce Feu à ces paroles, Accende lumen sensibus. Entre les Particuliers de la Ville, Mr de Reversac, Tresorier de France en la Generalité de Montpellier qui estoit alors à Mende avec sa Famille, se distingua par un feu d'artifice fort agreable. Il fut allumé devant sa maison au bruit de six Musettes, de douze Violons, de quatre Trompetes, & d'une assez grande Mousqueterie. Le Bal succeda à ce divertissement, & la Compagnie grossit de telle sorte en fort peu de temps, qu'on fut obligé de danser dans une court extrémement spatieuse. Douze Masques superbement vestus, y vinrent accompagnez d'une bande de Violons, & par les sauts surprenans qu'ils firent, il fut aisé de connoistre que c'estoit une Troupe de Comediens nouvellement arrivée. Ces rejouïssances durerent jusqu'au jour.

[Réjouissances faites à Nogent-le-Roi]* §

Mercure Galant, septembre 1690, p. 140-141.

On en fit de fort grandes à Nogent le Roy le 23. de Juillet, pour la Victoire remportée à Fleurus par l'Armée du Roy, & elles furent renouvellées le 30. du mesme mois pour la défaite des Flottes Angloise & Hollandoise. Deux Compagnies de Bourgeois formerent une espece de Bataillon, qui fut suivy d'une Compagnie de Cadets, chacun de huit à neuf ans, tout bienfaits & propres. Elles marcherent au bruit des Fifres, des Violons, des Tambours, & des Trompettes, & allerent se ranger prés de l'Eglise en deux lignes paralelles. Aprés que l'on eût chanté le Te Deum, pendant lequel tout le Canon fut tiré, les Compagnies defilerent, & monterent au Chasteau, ayant Messieurs de la Justice à leur teste.

[Réjouissances faites à Toulon]* §

Mercure Galant, septembre 1690, p. 147-150.

Les mesmes réjouïssances ont esté faites à Toulon, où l'on a chanté le Te Deum dans la Cathedrale avec beaucoup de ceremonie. Entre les Particuliers qui ont signalé leur zele dans cette rencontre, on peut dire que Mr Maillard s'est distingué. Il fit parer magnifiquement l'Eglise des Peres Augustins Deschaussez qui est la plus belle de la Ville. On y voyoit un Portrait du Roy representé avec sa Cotte d'Armes, & au dessous ces paroles, Cunctis sufficit, & necat omnes, pour faire entendre, que quoy qu'il soit seul à combattre tous les Souverains de l'Europe liguez contre luy, il ne laisse pas de les surmonter. Sous ce Portrait estoient d'un costé les Armes de France avec ces mots, Terraque Marique triumphant, & de l'autre celles de la Ville de Toulon, qui sont d'azur à une Croix d'or. Ces paroles se lisoient autour, Fidum semper erit Regique Deoque Tolonum, pour marquer la fidelité que Toulon garde inviolablement à Dieu & au Roy. Le matin du 13. du mois passé, jour choisy pour cette Feste, le Pere Raphaël, Prieur du Convent, celebra une Messe solemnelle. Aprés Vespres, les Religieux, ayant chacun un Flambeau à la main, firent une Procession où l'on porta l'Image miraculeuse de nostre Dame de Montaigu. Le soir, les Violons au dedans, & les Tambours & les Fifres au dehors, firent connoistre qu'on alloit chanter le Te Deum. Cette ceremonie estant achevée, le Pere Prieur, accompagné de plusieurs Religieux portant des Flambeaux, alla benir & allumer le Feu de joye qui avoit esté dressé entre l'Eglise, & la Maison de Mr Maillard. Je ne vous dis rien des illuminations qui estoient aux fenestres, & en d'autres endroits de cette Maison, ny du regale qu'il fit ce soir là à ses Amis.

[Service fait à Cologne pour le repos de l'ame de Me la Dauphine] §

Mercure Galant, septembre 1690, p. 150-152.

 

Le 23. du mois passé, on fit à Cologne, dans l'Eglise Cathedrale, un Service solemnel pour Madame la Dauphine. Tous les Ecclesiastiques de ce Diocese s'y trouverent avec les Religieux de tous les Ordres. L'Office s'y fit en Musique, & on y entendit toutes sortes d'Instrumens. Les Timbales & les Trompettes étoient couvertes de frise noire. Un tres-grand nombre de cierges brûloient dans des chandeliers d'argent tout autour du Mausolée. Le cercueil estoit couvert de drap noir, avec un carreau de velours noir brodé d'argent. On avoit posé sur ce carreau une Couronne d'or enrichie de Diamans, & on voyoit au dessus une representation de Mort qui voltigeoit. La Messe fut celebrée par un Evesque, & les Bourguemestres, les Magistrats & tout ce qu'il y avoit à Cologne de personnes considerables assisterent à cette lugubre Ceremonie. Aprés la Messe, l'Evesque & les Prelats s'avancerent vers le Mausolée, suivis des Chanoines qui avoient de longues robes de velours rouge & des surplis par dessus. On fit les encensemens, & le tout se termina par des chants lugubres.

[Theses de mathematique soutenuës au College Mazarin] §

Mercure galant, septembre 1690 [tome 10], p. 152-159.

Mr le Prevost a soûtenu depuis peu de temps au College Mazarin, des Theses de Mathematique sur l’Architecture Militaire. Comme elles estoient dédiées à Mrs les Prevost des Marchands & Echevins de Paris, ils firent l’honneur au Soûtenant d’y vouloir bien assister en Corps. Ces Theses estoient imprimées en livre, & dans ce livre on avoit representé l’Hostel de Ville, avec la marche de ses Officiers. Il contenoit plusieurs autres Tailles-douces, suivant les sujets qui devoient servir de matiere à la dispute. L’Assemblée fut illustre & fort nombreuse, & le Soutenant s’attira une approbation generale par ses réponses. On distribua dans l’Assemblée une Ode Latine, faite par Mr le Comte, à l’honeur de ceux à qui les Theses estoient dédiées. Je vous en envoye la traduction. Elle est d’un des plus heureux Genies de l’Academie Françoise.

A MESSIEURS
Les Prevost des Marchands
& Echevins de la Ville
de Paris.

Fourcy, puis qu’en tous lieux par tes travaux utiles,
De Paris chaque jour s’augmente la splendeur,
 Et qu’enfin la Reine des Villes
Par toy voit sa beauté répondre à sa grandeur.
***
Donne tréve à tes soins, suis la voix qui t’appelle
Au plaisir innocent de nos doctes Combats ;
 Et vous qu’anime un mesme zele,
Son fidelle conseil, accompagnez ses pas.
***
Là ne s’agitent point ces disputes frivoles,
O à la raison trop vive obscurcit le discours,
 Et sur un vain jeu de paroles
Se debat & s’égare en mille faux détours.
***
Mais là brille cet art à qui tout est possible,
Qui ceint une cité d’invincibles remparts,
 Et qui d’un mur inaccessible
Porte, comme il luy plaist, la mort de toutes parts.
***
On y voit un Enfant, d’une main intrepide,
Allumer les Canons dont il est entouré ;
 Déja son adresse homicide
Menace l’Ennemy d’un trépas assuré.
***
C’est avec ce bel Art que sans estre nombreuse
Une Troupe resiste à mille efforts divers,
 Et que la France belliqueuse
Sous le bras de LOUIS fait trembler l’Univers.
***
Par ce bel Art, Fleurus desormais si celebre,
A vû ses champs couverts d’une moisson de morts,
Et du sang des Peuples de l’Ebre
La Meuse épouvantée a vû rougir ses bords.
***
Par luy de nos Guerriers l’heroïque vaillance
A lancé sur les mers cent foudres irritez,
 Et des Ennemis de la France
Fait voler en éclats les flotantes Citez.
***
Quel fracas ! & combien sur l’onde lumineuse
Perissent par le feu de superbes Vaisseaux !
 Tout brûle, & la flâme orgueilleuse
S’applaudit de regner sur l’empire des eaux.
***
Les restes malheureux de ces tristes naufrages
Vont heurter les rochers effrayez & surpris,
 Et la mer avec ses rivages,
Toute avare qu’elle est, partage le débris.
***
Les Enfans d’Albion, malgré leur arrogance,
En ont tremblé d’horreur, & par ces grands exploits
 Ont vû commencer la vangeance
De leur noir attentat sur la Pourpre des Rois.

[Les philosophes à l’encan] §

Mercure galant, septembre 1690 [tome 10], p. 159-160.

Il paroist un Livre nouveau, intitulé, Les Philosophes à l’encan. Il contient deux Dialogues, dont l’un est traduit de Lucien. Ce premier Dialogue renferme ce qu’il y a de plus particulier à dire de la doctrine de Pythagore, de Diogene, d’Aristippe, de Democrite, d’Heraclite, de Socrate, d’Epicure, de Chrysippe, d’Aristote, & de Pyrrhon. Il est accompagné de remarques fort utiles pour l’intelligence de beaucoup de choses, & il y en a de mesme sur le second Dialogue, qui est purement du Traducteur. Il a continué la matiere, afin de parler des autres Philosophes celebres dont Lucien n’a rien dit. Ainsi en lisant ce Livre avec les Remarques, on apprend la vie de tout ce qu’il y a eu de Philosophes considerables dans l’Antiquité.

[Autre Fragment de M. l'Abbé Plomet] §

Mercure Galant, septembre 1690, p. 178-179.

La Ville & la Cour de Montpellier ayant fait chanter le Te Deum pour les Victoires du Roy, la veille du jour où l'on celebre la Feste de Saint Ignace. Le lendemain Mr l'Abbé Plomet qui prononça le Panegyrique de ce Saint, dans l'Eglise des Peres Jesuites, le finit par ces paroles [...].

[Divertissement representé sur le Theatre de Bourbon à Roüen] §

Mercure Galant, septembre 1690, p. 182-187.

On a representé cette année, selon la coutume, sur le Theatre du College Royal & Archiepiscopal de Bourbon des Peres Jesuites de Roüen, une Tragedie pour la distribution des Prix fondez par Mrs du Parlement de Normandie. Le sujet estoit Idomenée, Roy de Crete, qui à son retour du Siege de Troye, fut battu d'une si forte tempeste, que pour appaiser la colere des Dieux qu'il croyoit avoir irritez, il promit de leur immoler la premiere chose vivante qui s'offriroit à ses yeux sur le rivage de Crete. Il y vit d'abord son Fils unique, appellé Idée, & lors qu'il voulut le sacrifier, la Reine sa Femme s'y opposa. Elle s'estoit engagée à le marier avec Electre, Fille d'Agamemnon, qui s'estoit retirée en l'Isle de Crete aprés la mort de son Pere. Les Sujets d'Idomenée ne pouvant souffrir la mort de ce jeune Prince, entreprirent de le faire regner en chassant ce Roy, mais il se deroba secretement tandis qu'on preparoit toutes choses dans le Temple pour son mariage, & afin de detourner la vangeance des Dieux de dessus la teste de son Pere, il s'immola luy-mesme, & se rendit la Victime & le Sacrificateur, sans que son dessein eust esté connu ny de la Reine sa Mere, ny de la Princesse Electre. Cette Tragedie estoit du Pere d'Epineul, Regent de Rhetorique, & fut representée avec beaucoup de magnificence, par les meilleurs Acteurs d'entre la jeunesse de ce College. Chaque Acte estoit suivy de Balets differens, où les Passions parurent sous les simboles de la crainte, du desespoir, de la tristesse, de l'esperance & de la joye. Ils furent dansez par les plus habiles Danseurs de l'Opera étably à Roüen depuis peu d'années, & par les Maistres de danse de la Ville. Ce grand Spectacle finit par la distribution des Prix, où les Enfans des personnes les plus qualifiées eurent bonne part. Le Fils de Mr de Brinon, Conseiller au Parlement, en remporta cinq en Rhetorique. Le Fils de Mr de Machonville, President en la Chambre des Comptes, en remporta deux. Le Fils de Mr d’Orgeville, President au Mortier, en eut un, & le Fils de Mr de S. Gervais Conseiller, un autre ; chacun en sa Classe.

[Sonnet] §

Mercure galant, septembre 1690 [tome 10], p. 187-190.

Je vous envoye le revers d’une Médaille de la vie du Roy, où vous trouverez la Prise de Bude. On voit au dessus un Soleil avec ces paroles, Me stante triumphant, c’est à dire, que lors que le Roy n’a point les armes à la main, les Allemans triomphent des Turcs. Rien n’est plus constant, & le contraire se voit dans la perte qu’ils ont faite, le premier jour de cette année, & dans celle qu’ils viennent de faire en Transilvanie. Cependant ils n’ont pù joüir de leur bonheur, & ils ont mieux aimé se liguer contre la France, & forcer Sa Majesté à reprendre les armes aprés les avoir quittées en faveur de la Chrestienté, que de voir augmenter les Conquestes qu’ils avoient commencé à faire sur les Ennemis de la Foy. Ils ont assuré par là de nouveaux triomphes à ce grand Monarque ; & l’on peut dire avec beaucoup de raison à son avantage, ce que Mr de Condamine, Receveur des Finances à Nevers, a heureusement exprimé dans ce Sonnet.

AU ROY.

Que de gloire à la fois éclate sur ta teste !
Que d’Ennemis vaincus cedent à ton pouvoir !
L’Allemagne à l’aspect de tes Drapeaux s’arreste,
Et le Belge dompté n’ose se faire voir.
***
A marcher contre toy le Savoyard s’appreste ;
Il s’allie aux Lombards, flaté d’un vain espoir ;
Mais bien-tost ses Sujets deviennent ta conqueste,
Et soumis à tes loix te marquent leur devoir.
***
Ayant vû le Batave & l’Anglois disparoistre,
L’Ocean effrayé te reconnoist pour Maistre ;
Grand Roy, que reste-t-il aprés de tels exploits ?
***
Tout cede à ta valeur sur la terre & sur l’onde,
Ton nom est reveré des Peuples & des Rois ;
Pour le rendre plus grand est-il encore un Monde ?

[Histoire] §

Mercure galant, septembre 1690 [tome 10], p. 198-220.

Il n’y a rien dont les Femmes ne soient capables quand elles sont possedées de l’ardeur de se vanger, & vous tomberez d’accord de ce que je dis, quand vous sçaurez l’avanture dont je vais vous faire part. Une jeune Demoiselle, dont la fortune estoit mediocre, faisoit valoir à son avantage les agrémens qu’elle avoit dans son esprit & dans sa personne. L’envie de plaire ne laissoit languir aucun de ses charmes, & ce qu’ils avoient de vif estoit soûtenu de manieres engageantes, qui prévenoient favorablement pour elle les moins indulgens sur le merite. Sa Mere qui luy souhaitoit un party avantageux, n’estoit pas fâchée qu’elle vist du monde. Elle esperoit que parmy la foule il se trouveroit quelque étourdy qui donneroit dans le mariage ; & cela seroit sans doute arrivé, si pour son malheur une Dame de Province, veuve depuis dix-huit mois, ne fust pas venuë demeurer dans son quartier. C’estoit une de ces Femmes que des traits mignons & délicats font long-temps paroître jeunes, & qui se dérobent des années sans peine, si on ne les suit de prés. Elle estoit brillante dans tout ce qu’elle faisoit ou disoit, & un enjoüement d’humeur & d’esprit qui animoit sa beauté, la faisoit aimer aussi-tost qu’on l’avoit veuë Le voisinage luy ayant fait connoistre la Demoiselle, forma entre-elles une liaison qui les rendoit presque inseparables. La belle estoit charmée d’avoir une Amie, dont l’attachement ne luy pouvoit qu’estre avantageux, mais elle ne songeoit pas que la Dame estant coquette, elle se donnoit une Rivale, qui luy devoit enlever la pluspart de ses Amans. En effet, le Dame ayant trouvé chez cette jeune personne des gens bienfaits, & qui avoient de l’esprit, elle se fit un plaisir de leur faire voir que tout son merite ne consistoit pas dans sa beauté. Elle leur disoit mille choses agreables, & eut pour eux je ne sçay quoy de si prévenant, que l’honnesteté les engagea insensiblement à la voir chez elle ; mais si d’abord leur dessein ne fut que de luy rendre quelques visites de civilité, l’accueil qu’ils receurent leur fut une amorce pour redoubler leurs empressemens. Ses complaisances estoient employées si à propos, qu’il sembloit qu’elles partissent du cœur plutost que de l’habitude qu’elle s’estoit faite d’en avoir pour tout le monde. Joignez à cela un charme au dessus de tout. Elle n’avoit point d’enfans, & joüissoit de quinze à vingt mille livres de rente. Ainsi chacun se croyant favorisé, s’abandonnoit à des esperances, & les assiduitez où les engageoit leur nouvelle passion, affoiblissant leurs soins pour la Belle, la mirent dans un chagrin qu’elle ne put déguiser. Elle fit force plaintes à la Dame, qui luy ayant protesté qu’elle n’avoit aucune pensée de luy oster ses Amans, & que son dessein estoit de vivre toûjours indépendante, la conjura d’estre à tous momens chez elle, afin qu’estant témoin de tout ce qu’elle feroit, elle pust connoistre qu’elle ne cherchoit qu’à se divertir par d’agreables conversations, sans que son cœur prist la moindre part aux choses qui luy étoient dites. Elle luy parloit selon ses vrais sentimens. Le bien qu’elle avoit estant fort considerable, elle dédaignoit toute autre fortune, & les plus grands avantages ne l’auroient pas obligée à renoncer à l’heureux état de Veuve ; mais quoy qu’elle fust fort resoluë à ne se donner jamais un maistre, elle estoit bien aise de voir qu’on luy fist la cour, & d’entendre dire qu’elle estoit aimable. Cependant pour satisfaire la Belle qui continuoit ses plaintes, elle se fit une loy d’aller tous les jours chez elle, afin de luy ramener tous ses Amans. Cette conduite leur fit reprendre leurs premieres assiduitez ; mais la Belle n’y trouva pas mieux son compte. Elle s’apperceut bien-tost que c’estoit la Dame qui les attiroit, & le dépit qu’elle en eut la rendant souvent de méchante humeur, luy fit prendre un esprit aigre qui leur causa de frequentes broüilleries. Leur amitié en fut alterée ; & quoy que la Dame conservast toujours pour cette aimable personne les dehors les plus honnestes, la Belle n’eut pas tant de moderation. Elle commença à diminuer autant qu’elle put le merite de la Veuve, & s’appliquant à examiner tous ses defauts, elle s’attacha sur tout à ce qui est l’endroit sensible des Femmes. Elle insinua qu’il estoit aisé de voir que l’art reparoit ce que son âge déja avancé luy avoit fait perdre, & le hazard luy ayant donné la connoissance d’un Gentilhomme de la même Ville dont estoit la Dame, sur ce qu’il luy dit qu’il falloit qu’il y eût du moins vingt ans qu’elle eust esté mariée, elle fit si bien qu’elle l’engagea à faire venir un extrait de son Baptesme. Elle ne l’eut pas si tost entre les mains, qu’elle en fit courir sous main diverses copies, par lesquelles il étoit justifié que la Veuve qui ne se donnoit que vingt-cinq ans, en avoit prés de quarante. Rien ne luy pouvoit causer un plus sensible chagrin. Aussi fut-elle picquée vivement de cet outrage ; mais comme elle avoit beaucoup d’esprit, elle n’en fit rien paroistre, & tournant la chose en plaisanterie, afin de tâcher de faire croire que la calomnie estoit trop visible pour se mettre en peine de la repousser, elle chercha seulement qui luy avoit fait une si sanglante piece. Il ne luy fallut pas une fort longue application, pour découvrir ce qu’elle avoit envie de sçavoir. Quelques-uns de ses Amans, que rebuta le peu d’apparence qu’ils virent à réüssir auprés d’elle, ayant commencé à dire, pour justifier leur desertion, qu’ils avoient trouvé sur son visage quelque chose de flétry, qu’ils n’y avoient pas remarqué d’abord, la Belle s’applaudit de son triomphe, & quelques mots qu’ils luy échaperent, & qu’on raporta en même temps à la Dame, luy firent connoître avec certitude d’où estoit party le coup qui l’avoit frapée si rudement. Elle feignit neanmoins de l’ignorer, & fort resoluë d’en tirer vangeance par toutes sortes de voyes, elle en attendit l’occasion, sans rien changer dans ses manieres d’agir. La Belle ne laissa pas de s’appercevoir qu’elle faisoit son plaisir plus que jamais de luy oster toujours quelque Amant, & jugeant bien qu’il luy seroit malaisé de joüir de ses conquestes tant qu’elle auroit pour voisine une Amie si redoutable, elle changea de quartier, afin que l’éloignement rompist leur commerce. Il fit l’effet qu’elle en avoit esperé, mais quoy que la Dame la vist rarement, elle n’en nourrit pas moins la haine secrete qu’elle avoit conceuë pour elle, & qui redoubloit de jour en jour dans son cœur le desir de se vanger de ce qu’elle avoit découvert son âge. Six mois se passerent sans qu’elle en pust trouver les moyens ; mais enfin aprés ce temps, quelqu’un luy vint dire qu’un Cavalier fort bien fait, & qui avoit beaucoup plus de bien qu’elle n’en pouvoit pretendre, s’étoit attaché à luy rendre quelques soins, & qu’elle avoit si bien ménagé l’amour qu’elle luy avoit fait prendre, que le mariage devoit se faire dans fort peu de jours. La Dame se mit aussi-tost en teste de n’épargner rien pour l’empêcher, & sans perdre temps, elle rendit une visite à la Belle, comme pour luy faire compliment sur son heureuse fortune, mais en effet pour sçavoir l’estat où estoient les choses, afin de resoudre ensuite ce qu’elle croiroit le plus à propos de faire. L’assurance qu’elle luy donna de la part qu’elle venoit prendre à son bonheur, parut estre accompagnée de tant de sincerité, & elle employa pour l’en convaincre des manieres si flateuses, qu’elle fit tomber la Belle dans tous les paneaux qu’elle luy tendit. Elle apprit d’elle qu’elle n’avoit engagé le Cavalier qu’en luy marquant tout l’amour dont elle estoit veritablement touchée ; qu’il avoit eu d’abord quelque peine à se contenter du peu de bien qu’elle avoit, mais qu’il avoit enfin passé par dessus, & que l’affaire seroit déja terminée si sa Mere n’avoit pas formé quelque contestation sur les avantages qu’il luy devoit faire. Ce fut en dire assez à la Dame pour luy faire voir que le Cavalier seroit sensible à des raisons d’interest. Elle sortit avant qu’il fust arrivé, & le vit descendre de Carrosse dans le mesme temps qu’elle montoit dans le sien. Sa bonne mine, & le portrait qu’on luy avoit fait de son merite, la confirmerent dans la resolution de se sacrifier plûtost elle-mesme, que de ne se pas vanger de l’outrage que luy avoit fait la Belle en luy rendant toutes ses années. Elle alla trouver une de ses intimes Amies qui pouvoit beaucoup sur l’esprit du Cavalier, & aprés l’avoir priée d’user des plus fortes remontrances pour le détourner d’un mariage qui ruinoit sa fortune, elle l’autorisa à luy déclarer, en cas qu’il fallust en venir là, que si une assez jolie personne, & cent mille francs qu’on luy donneroit, le pouvoient accommoder, on le conduiroit en lieu où il auroit tout sujet d’estre content. La Veuve avoit de l’aversion pour un second mariage, mais elle aimoit mieux s’y assujettir que d’endurer que la Belle fust heureuse. Le Cavalier ne fut ébranlé que par l’interest. Il avoit peine à quitter une personne qui l’aimoit sincerement, & à qui il avoit fait les plus forts sermens de n’estre jamais qu’à elle ; mais il luy fut impossible de tenir contre les cent mille francs. Ainsi il se laissa mener chez la Veuve dont il connoissoit & le bien & la personne. Il trouvoit tant d’avantages dans l’offre qu’on luy faisoit, qu’il avoit peine à concevoir son bonheur. La Dame de son costé ne se sentoit point de joye lors qu’elle songeoit au desespoir où elle alloit plonger sa Rivale. On fit dresser le Contrat, & le mariage s’estant fait deux jours aprés, sans que personne en eust pu rien découvrir, le premier soin de la Dame fut d’en informer la Belle, par un Billet qui l’embarassa. Il contenoit seulement qu’elle se croyoit obligée de luy apprendre qu’une Femme de quarante ans qui seroit riche, l’emporteroit toujours aisément sur une Fille de dix-huit, qui seroit sans bien. Quoy que la Belle ne pust bien comprendre ce que vouloit dire le Billet, elle ne laissa pas de trembler. Ses allarmes furent d’autant plus cruelles, que le Cavalier sur un pretexte d’affaire pressée, n’avoit pu trouver depuis deux jours le temps de la voir. Jugez de son déplaisir lors qu’elle eut receu l’avis de sa perfidie. Elle eut tout le loisir de se repentir de ce que la jalousie luy avoit fait faire, & connut à ses dépens combien les Femmes sont vindicatives, puis qu’elle fut convaincuë par les avantages que la Dame avoit faits au Cavalier, & par la prompte resolution qu’elle avoit prise de changer d’estat, qu’elle ne s’estoit portée à ce mariage que par le plaisir de rompre le sien.

Air nouveau §

Mercure Galant, septembre 1690, p. 278-279.

Le second Air nouveau que je vous envoye, & dont vous allez lire les paroles, est le dernier que vous aurez de Mr de Bacilly. Il est mort depuis trois jours. Ses Ouvrages ont fait connoître la beauté de son genie, & comme ils font son éloge, je n'y dois rien ajoûter.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Un cœur ne doit jamais se rendre, doit regarder la page 279.
Un cœur ne doit jamais se rendre
Sur la foy d'un premier serment.
Lors que l'on s'engage aisément,
Souvent de l'Amant le plus tendre
On fait un infidelle Amant.
images/1690-09_278.JPG

[Divers couplets de Chanson, sur l'air de J'ay passé deux jours sans vous voir] §

Mercure Galant, septembre 1690, p. 279-283.

Voicy plusieurs couplets de Chanson, qui apparemment seront aussi bien receus dans vôtre Province qu'ils l'ont été à Paris. Ils sont de Mr Diereville, qui les a faits sur l'Air J'ay passé deux jours sans vous voir. Il les intitule

PLAINTES
des Hollandois, défaits sur
mer & sur terre.

O Ciel ! quel est nôtre malheur
 Sur mer comme sur terre !
LOUIS en tous lieux est vainqueur,
 Tout cede à son tonnerre.
Helas ! faut-il comme à Fleurus,
Nous voir encor icy vaincus ?
***
Luxembourg, ce vaillant Heros,
 Y parut en Alcide ;
Et Tourville dessus les flots,
 N'est pas moins intrepide.
Helas ! aprés ces deux combats,
Que vont devenir les Etats ?
***
Les Anglois croyoient sur les Mers
 Avoir un grand empire,
Et qu'aucuns Rois de l'Univers
 N'osoient leur contredire.
Helas ! LOUIS leur fait trop voir
Qu'ils se flattoient d'un vain pouvoir.
***
Vainement nous estions unis
 Pour conjurer sa perte ;
Nous n'en sommes que mieux punis,
 Nostre Flotte est deserte.
Helas ! malgré tous nos efforts,
Il nous bat jusque dans les Ports.
***
Nous voguons de tous les costez
 Sans trouver un azile ;
Nous sommes par tout arrestez,
 Rien n'échape à Tourville.
Helas ! en vain nous le fuyons,
Il nous brûle & nous coule à fonds.
***
Ah ! que LOUIS est bien servy
 Sur la Terre & sur l'Onde !
Chacun le veut rendre à l'envy
 Le plus puissant du Monde.
Helas ! quelle rage pour nous
Quand nous voulons l'accabler tous !
***
Que nous sert de voir aujourd'huy
 Toute l'Europe en Ligues ?
Rien ne réüssit contre luy,
 Il rompt toutes nos brigues.
Helas ! tout ce qu'on entreprend
Ne sert qu'à le rendre plus grand.
***
Voy tous les maux que tu nous fais,
 Maudit Prince d'Orange ;
Crains à ton tour de tes forfaits
 Que le Ciel ne se vange.
Helas ! nous ressentons des coups
Que tu merites mieux que nous.
***
Sous une libre & douce loy
 Nous vivions sans traverse ;
Falloit-il pour te faire Roy
 Rompre nostre Commerce ?
Helas ! nous en sommes plus gueux,
Et tu n'en es pas plus heureux.
***
La cheute est le fort des Tyrans,
 Tu ne sçaurois le croire,
Quand tu veux comme les Titans
 Porter si haut ta gloire.
Helas ! puisses-tu l'éprouver
Du Trône où tu sceus t'élever.

[Mort de Pierre Gaucher de Sainte Marthe]* §

Mercure galant, septembre 1690 [tome 10], p. 296-299.

Messire Pierre Gaucher de Sainte Marthe, Seigneur de Meré sur Indre & des Lionnieres, Maistre d’Hostel du Roy, & Historiographe de France, est mort aussi depuis peu de temps. Il a fait part au Public de divers Ouvrages sur l’Histoire, ainsi que ses Ancestres, qui nous ont donné l’Histoire Genealogique de la Maison de France, & de ses Alliances, & l’Histoire des Archevêques, Evêques & Abbez de l’Eglise de France. Cette Famille originaire de Poitou, porte d’argent à la face fuzelée de trois pieces & deux demies de sable au chef de même. Il en est sorty plusieurs Capitaines, qui ont signalé leur valeur en diverses occasions, des Conseillers au Parlement & à la Cour des Aydes de Paris, des Lieutenans generaux à Poitiers, Maistres des Eaux & Forests, non seulement recommandables par leurs services, mais aussi la pluspart s’estant fait distinguer dans les belles Lettres par les Ouvrages qu’ils ont composez. Mr de Sainte Marthe, General des Peres de l’Oratoire, est frere de Mr de Sainte Marthe qui vient de mourir ; & Mr de Sainte Marthe, Conseiller de la Cour des Aydes, & Garde de la Bibliotheque du Roy à Fontainebleau, est d’une des branches de cette Famille.

[La Pierre de touche politique]* §

Mercure galant, septembre 1690 [tome 10], p. 342-343.

Le Sr Guerout avertit qu’en debitant le Mercure, il debitera aussi au commencement de chaque mois, La Pierre de touche politique, qui a commencé à paroistre depuis plus d’un an. Cet Ouvrage est si connu, qu’il seroit inutile d’expliquer en quoy il consiste.