1691

Mercure galant, mars 1691 [tome 3].

2017
Source : Mercure galant, mars 1691 [tome 3].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mars 1691 [tome 3]. §

Avis §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], [p. I-IV].

AVIS.

Quelques prieres qu’on ait faites jusqu’à present de bien écrire les noms de Famille employez dans les Memoires qu’on envoye pour ce Mercure, on ne laisse pas d’y manquer toûjours. Cela est cause qu’il y a de temps en temps quelques-uns de ces Memoires dont on ne se peut servir. On reïtere la mesme priere de bien écrire ces noms, en sorte qu’on ne s’y puisse tromper. On ne prend aucun argent pour les Memoires, & l’on employera tous les bons Ouvrages à leur tour, pourveu qu’ils ne desobligent personne, & qu’il n’y ait rien de licentieux. On prie seulement ceux qui les envoyent, & sur tout ceux qui n’écrivent que pour faire employer leurs noms dans l’article des Enigmes, d’affranchir leurs Lettres de port, s’ils veulent qu’on fasse ce qu’ils demandent. C’est fort peu de chose pour chaque particulier, & le tout ensemble est beaucoup pour un Libraire.

Le sieur Guerout qui debite presentement le Mercure, a rétably les choses de maniere qu’il est toûjours imprimé au commencement de chaque mois. Il avertit qu’à l’égard des Envois qui se font à la Campagne, il fera partir les paquets de ceux qui le chargeront de les envoyer avant que l’on commence à vendre icy le Mercure. Comme ces paquets seront plusieurs jours en chemin, Paris ne laissera pas d’avoir le Mercure longtemps avant qu’il soit arrivé dans les Villes éloignées, mais aussi les Villes ne le recevront pas si tard qu’elles faisoient auparavant. Ceux qui se le font envoyer par leurs Amis sans en charger ledit Guerout, s’exposent à le recevoir toûjours fort tard par deux raisons. La premiere, parce que ces Amis n’ont pas soin de le venir prendre si-tost qu’il est imprimé, outre qu’il le sera toujours quelques jours avant qu’on en fasse le debit ; & l’autre, que ne l’envoyant qu’aprés qu’ils l’ont leu, eux & quelques autres à qui ils le prestent, ils rejettent la faute du retardement sur le Libraire, en disant que la vente n’en a commencé que fort avant dans le mois. On évitera ce retardement par la voye dudit Sieur Guerout, puis qu’il se charge de faire les paquets luy-mesme & de les faire porter à la poste ou aux Messagers sans nul interest, tant pour les Particuliers que pour les Libraires de Province, qui luy auront donné leur adresse. Il fera la mesme chose generalement de tous les Livres nouveaux qu’on luy demandera, soit qu’il les debite, ou qu’ils appartiennent à d’autres Libraires, sans en prendre pour cela davantage que le prix fixé par les Libraires qui les vendront. Quand il se rencontrera qu’on demandera ces Livres à la fin du mois, il les joindra au Mercure, afin de n’en faire qu’un mesme paquet. Tout cela sera executé avec une exactitude dont on aura tout lieu d’estre content.

Paraphrase allegorique du Paseaume XCIII §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 7-21.

 

Vous ne devez point vous étonner, Madame, si je commence toutes mes Lettres, ou par des actions du Roy qui loüent Sa Majesté, sans qu’il soit besoin de faire autre chose que les citer, ou par des Ouvrages faits à sa gloire par ses Sujets, ou par d’Illustres Etrangers. Peut-on refuser à cet Auguste Monarque les loüanges qu’il merite, puis qu’on voit que ses plus grands Ennemis se trouvent contraints de luy en donner publiquement ? Vous en allez lire de veritables & d’ingenieuses dans la Paraphrase allegorique que je vous envoye du Pseaume qui commence par, Deus ultionum Dominus. Les Interpretes en le prenant à la lettre, l’expliquent de David persecuté par Saül. Cet Ouvrage est adressé à Mr de Vignacourt, Grand Maistre de Malthe.

PARAPHRASE
ALLEGORIQUE
Du Pseaume XCIII.
Sur les Victoires que le Roy a
remportées contre la Ligue de
presque toute l’Europe.

Grand Dieu, qui sur l’Impie as seul droit de vangeance,
Qui peux quand il te plaist punir son insolence,
Grand Dieu, ne tarde plus, & fais sentir tes coups
A nos fiers Ennemis qui bravent ton couroux.
Jusqu’à quand verra-t-on leur orgueil témeraire
Abatre tes Autels, briser ton Sanctuaire,
Et par un noir excés de leur rebellion,
Abolir ton saint Culte, & ta Religion ?
Il est temps d’abaisser cette fiere impudence,
Qui vient jusqu’à nos yeux blâmer ta Providence.
 Peut-on voir, sans gemir, de tant de maux l’Auteur,
Du Trône d’un Beau-pere injuste Usurpateur,
Liguer contre ton nom tous les Rois de la Terre,
Et porter en tous lieux le flambeau de la Guerre ?
L’Empire conjuré contre tes saintes Loix,
S’arme pour accabler le plus grand de nos Rois ;
Ce Roy, qui pour sauver l’honneur de ton Eglise,
Oppose seul son bras à leur lâche entreprise.
L’impieté paroist sur tous leurs étendards,
Contre la Foy de Pierre ils lancent mille dards,
Ils arment contre nous nos fugitifs rebelles ;
Ils degradent les Rois lors qu’ils te sont fidelles.
Une Reine éplorée, un Pupille innocent,
Dont l’Auguste LOUIS est l’azile puissant,
S’exposent sur les flots pour éviter leur rage,
Et ne sont assurez que sur nostre rivage.
 Ce n’est pas tout ; leur cœur dans le crime endurcy,
Et leur esprit hautain par l’erreur obscurcy,
Poussant l’impieté jusqu’à la frenesie,
T’insultent hautement par ce discours impie.
Le Seigneur, disent ils, prend-il soin des Mortels ?
Distingue-t-il entr’ eux son Culte & ses Autels ?
A-t-il des yeux pour voir les forfaits & les crimes ?
Ecoute-t-il des vœux, reçoit-il des victimes ?
Aveugles insensez, quel demon furieux
Vous met pour vous punir un bandeau sur les yeux ?
Celuy qui du néant tira la Terre & l’Onde,
A-t-il perdu le droit de gouverner le Monde ?
Celuy qui seul regit tout ce vaste Univers,
A-t-il moins de sçavoir que vos esprits pervers,
Et ce grand Ouvrier qui fit tant de merveilles,
Sera-t-il pour vous seuls sans yeux & sans oreilles,
Et ne sçaura-t-il point de vostre impieté,
Confondre l’insolence & la témerité ?
 Mais, grand Dieu, de ton bras la terrible puissance
Vient de faire éclater ta sainte Providence.
La Justice triomphe, & l’Orgueil éperdu
Dans tous ses vains projets se trouve confondu.
L’Irlande a vû Nassau qui luy portoit la Guerre,
Aprés de vains efforts regagner l’Angleterre.
La Sambre a vû cueillir à nos braves Guerriers,
Sur ses bords subjuguez, des forests de Lauriers ;
Et la Mer qui n’a pû soûtenir tant de crimes,
Au Batave, à l’Anglois vient d’ouvrir ses abismes.
L’Eridan penetré d’un veritable deüil,
D’un nouveau Phaëton prépare le cercueil,
Et le Rhin étonné voit déja sur ses rives,
De l’Empire abbatu les Troupes fugitives :
Et ses Princes domptez par nostre Grand Dauphin,
Ont vû de leurs desseins la ridicule fin.
 Heureux, Seigneur, heureux les Monarques, les Princes,
Qui font regner ta Loy dans leurs vastes Provinces,
Et qui n’immolent point à leur ambition
Les plus sacrez devoirs de la Religion !
Que le Monde contre eux éleve sa puissance,
Il ne peut ébranler leur fidelle constance ;
Tranquilles dans la peine & dans l’adversité,
Ils attendent les jours de la prosperité,
Et parmy les combats & la fureur des armes,
Esperant au Seigneur, ils vivent sans alarmes.
Ils sçavent que ta main prête pour leur secours,
Bien-tost de leurs malheurs sçaura borner le cours ;
Et que leurs ennemis irritant ta justice,
Tomberont à la fin au fond du précipice,
 Non, je ne croiray point que ta sainte équité
Nous puisse voir languir dans la calamité,
Et que ton bras puissant pour jamais abandonne
Un Roy qui pour te suivre a quitté sa Couronne.
Je sens que ta justice est preste d’éclater
Contre ces orgueilleux qui vouloient t’insulter ;
Et que tu n’as souffert avec tant d’indulgence,
Que pour les mieux punir au jour de ta vangeance.
 Fortifié, Seigneur, par cet unique espoir,
Je n’ay point redouté leur terrible pouvoir ;
Et lors que des Germains j’ay vû fondre l’orage,
J’ay senti ranimer ma force & mon courage.
En vain nos Alliez, rebelles à ta Loy,
Joints à nos Ennemis nous ont manqué de foy ;
Ils ont vû dissiper leurs nombreuses Armées,
Par le fer, par le feu tristement consumées.
Ils se croyoient déja les maistres de nos Forts,
Leurs Flotes insultoient nos Vaisseaux dans nos Ports.
Ils devoroient des yeux nos plus superbes Villes,
Ils partageoient entre-eux nos Provinces fertiles :
Mais dans ce triste estat ton appuy glorieux,
De tous nos Ennemis nous rend victorieux ;
Et lors qu’ils nous croyoient au bord du précipice,
Tu nous soutiens, Seigneur, par une main propice,
Mesurant ton secours & tes fidelles soins,
A nos pressans dangers, à nos plus grands besoins.
 Apprenez, orgueilleux, par ces coups admirables,
A respecter du Ciel les secrets adorables ;
De vostre ambition calmez les vains accés,
Et ne vous enflez pas de vos premiers succés.
Quand vous avez trahi la plus pure innocence,
Vous avez dans vos loix cherché vostre défense ;
Mais le Juste accablé, mais un Prince vendu,
Mais le sang innocent par vos mains répandu,
Ont une voix qui crie auprés du juste Juge,
Qui donne aux opprimez un assuré refuge.
C’est luy qui de vos cœurs connoist l’impieté,
Et qui de vos complots perçant l’obscurité,
Contre tous vos desseins nous met en assurance ;
C’est le Dieu des Combats qui protege la France.
***
 Genereux Vignacourt, qui d’une ardeur fidelle,
Des Heros de ton nom suis la trace immortelle,
Et qui succedes moins à leur Principauté,
Qu’à leur brillant courage & qu’à leur pieté ;
Quand cet Ordre fameux que la gloire environne,
Aux pieds de ses Autels t’apporte sa Couronne ;
Et que ses Nations pour vivre sous tes loix,
D’un concours general ont réuny leurs voix.
Daigne entendre les sons de mes sacrez Cantiques,
Où je peins de LOUIS les succés heroïques ;
Bien-tost ton heureux regne il me faudra chanter,
Et le plus grand des Rois voudra bien m’écouter.

Cette Paraphrase qu’il ne faut que lire pour en connoistre les beautez, est de Mr l’Abbé de Viani, Commandeur & Prieur de Saint Jean d’Aix, Frere du Prieur de Saint Jean de Malthe, Prelature si considerable dans l’Ordre de ce mesme nom.

[Des ouvrages de l’abbé de Viani, auteur de la Paraphrase allegorique]* §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 21-23.

 

Vous avez déja veu un Ouvrage de mesme nature de cet excellent homme. C’est la Paraphrase allegorique aux Victoires de Monseigneur, du Pseaume 71. que David composa pour souhaitter les vertus necessaires à son Fils Salomon, pour bien regner. Cet Ouvrage, fut leu en ce temps-là à l’Academie Françoise, & il y receut un applaudissement general. Mr l’Abbé de Viani n’est pas seulement un homme de belles Lettres, il est grand Theologien & fort appliqué aux Sciences Saintes, où il a fait des progrés qui luy ont acquis beaucoup de gloire. Il est d’ailleurs un des plus honnestes hommes du monde, & sa reputation n’est bornée ny par les Mers, ny par les Alpes, puis qu’il est dans une tres grande estime parmy tous les Sçavans Etrangers.

Ode §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 75-85.

 

Il n’y a point d’Académie de belles Lettres en France, où il se fasse une distribution de Prix, qui n’ait rendu justice aux Ouvrages de Mr l’Abbé Maumenet. Il en a remporté dans toutes, & il eut celuy de Poësie la derniere fois que l’Academie Françoise en donna. Je me souviens que je vous ay mandé dans quelqu’une de mes Lettres, que l’Academie Royale d’Arles en avoit proposé un pour celuy qui réussiroit le mieux sur la satisfaction que le Roy a d’avoir un Fils digne de luy, & sur les premieres Conquestes de ce jeune Heros. Mr l’Abbé Maumenet a encore remporté ce Prix depuis peu de temps. C’est un Tableau representant Monseigneur, & il a esté donné par Mr de Roubias d’Estoublon, si distingué dans l’Academie d’Arles. Comme cette Piece m’est tombée entre les mains, & que la matiere n’en sçauroit estre plus relevée, vous ne serez pas fachée de la voir.

ODE.

En vain cent Nations à ta perte animées
S’efforcent de troubler la Paix dont tu joüis,
France, pour dissiper leurs nombreuses Armées,
 Tu n’as besoin que de LOUIS.
Que contre toy l’Empire ose armer tous ses Princes,
Loin de porter l’alarme au fond de tes Provinces,
 Il verra tomber ses remparts ;
Et ton vaillant Dauphin formé sous un grand Maistre,
A ce Peuple jaloux fera bien-tost connoistre,
 Si tu dois craindre les Cesars.
***
Qu’entens-je ? Juste Ciel ! Déja la foudre tonne,
Et le jeune Loüis semant par tout l’effroy,
A sur les bords du Rhin où l’appelle Bellonne,
 Montré qu’il est Fils d’un grand Roy.
Philisbourg qui resiste, & croit avec audace
Mettre à couvert ses murs du Loup qui les menace,
 En peu de jours se voit soumis ;
Et déja Frankendal, Manhein, ouvrant leurs portes,
Cedent au seul aspect de ces fieres cohortes,
 Qui font trembler nos Ennemis.
***
Quel rampart assez fort serviroit de barriere
Aux progrés d’un Vainqueur aimable & redouté,
Qui sçait l’art de mesler avec l’ardeur guerriere,
 La vigilance & la bonté ?
Icy son cœur touché des malheurs de la guerre,
De ce bras triomphant qui lance le tonnerre
 Soutient l’infortuné Soldat ;
Et là, plus redouté que le Dieu des Batailles,
Il ne songe au milieu de mille funerailles
 Qu’à foudroyer un Peuple ingrat.
***
Il est temps d’arrester le beau feu qui t’anime,
Dauphin, n’expose plus des jours si pretieux ;
Et pour combler les vœux d’un Pere magnanime,
 Borne tes Exploits glorieux.
Ce Monarque content de ta noble conduite,
N’aura plus desormais de soucy qui l’agite,
 Si ton couroux est desarmé ;
Et bien que tout réponde au gré de ton envie,
Quand pour vanger ses droits tu prodigues ta vie,
 Peut-il n’en pas estre alarmé ?
***
Certes, quiconque a veu l’essay de ta vaillance,
Détourner des malheurs prests à nous accabler,
Avoüera (s’il n’est point ennemi de la France)
 Que c’est assez te signaler.
Il est d’autres honneurs où LOUIS te rappelle.
Egale, s’il se peut, sa prudence immortelle,
 Son genie & son équité ;
Pour un si grand dessein tu ne sçaurois trop faire ;
Mais parmy les dangers que brave ta colere,
 Tu ne l’as que trop imité.
***
C’en est fait, sa valeur attentive à nos plaintes,
A déja suspendu ses glorieux exploits.
Et par un prompt retour va dissiper les craintes,
 Qui troubloient le plus grand des Rois.
Le voicy qui revient, ce jeune & fier Alcide,
A l’abry des fureurs de la Parque homicide,
 Luy renouveller son amour ;
Et d’un esprit soumis au milieu de sa gloire,
Confesser qu’il ne doit sa premiere victoire
 Qu’à celuy dont il tient le jour.
***
A cet aspect charmant quelle est ton allegresse,
Grand Roy, qui pris le soin de former ce Heros,
Et qui le vis cent fois soupirer de tristesse,
 Au milieu d’un profond repos !
Qu’il t’est doux que Bellone à son ardeur propice
Les palmes à la main ait ouvert cette lice,
 Digne d’exercer son grand cœur,
Et qu’il doive aux complots du Germain infidelle,
Ce que jusqu’à ce jour ta bonté paternelle
 N’osoit permettre à sa valeur.
***
Si dans tous les hazards qu’affrontoit son courage
Tu sentis pour ses jours la peur qu’il n’avoit pas,
Tu n’en goûtes que mieux la gloire & l’avantage,
 Qui l’ont suivi dans les combats.
Aprés que les écueils, les bancs, & les tempestes
De mille affreux perils ont menacé nos testes,
 Le calme en a plus de douceurs,
Et la belle saison où Flore nous enchante,
Renaistroit à nos yeux moins belle & moins touchante,
 Si l’Hyver n’avoit des rigueurs.
***
Tout ce que peut sentir de tendresse & de joye
Un bon Pere, un grand Maistre, un Monarque achevé,
Ne le resseus-tu pas, quand le Ciel te renvoye
 Ce Fils par tes soins élevé ?
De combien de lauriers sa teste est couronnée !
Voy comme à ses costez la France fortunée,
 Vient applaudir à ses exploits ;
Et parmy tant de cœurs dont tu fais la fortune,
Sçache que si tu vois l’allegresse commune,
 C’est ton Ouvrage que tu vois.
***
Tous ces bienfaits divers dignes de ta puissance.
Dont ta Royale main cent fois nous a comblez,
Dans le don que tu fais d’un Heros à la France,
 Ne sont-ils pas tous rassemblez ?
Par luy bravant du sort la haine conjurée,
Nos bons destins auront l’éternelle durée
 Promise à l’Empire des Lis ;
Et nos derniers Neveux qui liront ton Histoire,
N’y pourront rien trouver si digne de ta gloire,
 Que les Triomphes de ton Fils.

Priere pour le Roy, Et pour la Maison Royale §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 86.

PRIERE
POUR LE ROY,
Et pour la Maison Royale.

Grand Dieu, de qui dépend le destin des Monarques,
Et qui de tes bontez as donné tant de marques
 A celuy que nous possedons ;
Daigne étendre tes soins sur sa Maison Auguste,
Et fait qu’un si grand Prince enrichi de tes dons,
Ne soit pas moins heureux qu’il est vaillant, & juste.

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 86-87.

Je n'ay rien autre chose à vous dire de l'Air nouveau dont vous allez lire les paroles, sinon qu'il est de la composition d'un fort habile Musicien.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Si vous voulez que je cache ma flâme, doit regarder la page 87.
Si vous voulez que je cache ma flâme,
Et que l'amour qui regne dans mon ame
Ne paroisse plus tant,
Quitez vostre rigueur extrême,
Et quand on me verra content,
On ne croira jamais que je vous aime.
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[Plaisir du carnaval]* §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 87-90.

 

Vous vous plaignez que dans ma dernière Lettre je ne vous ay point parlé des plaisirs du Carnaval. Vous devez estre bien persuadée que dans l’estat glorieux où se trouve la France, la joye a regné dans tous les coeurs. Il y a eu quantité de Bals à Paris, & de divertissemens chez les Particuliers, mais il n’y en a point eu à la Cour, parce que l’année du deüil de Madame la Dauphine n’est pas finie. La devotion y a occupé le Roy. Sa Majesté a assisté à toutes les Prieres qui se font plus frequemment en ce temps-là, que dans tout le reste de l'année. Monseigneur, pour s’éloigner des plaisirs de la saison, a esté prendre celuy de la Chasse à Anet, où Mr le Duc de Vendosme, & Mr le Grand Prieur l’ont receu avec un zele tout extraordinaire, pour répondre, autant qu’ils ont pû, à l’honneur que ce Prince leur a fait. Leurs Majestez Britanniques, dont la pieté est connuë, en ont donné des marques, en allant faire leurs devotions en l’Eglise de Saint Germain en Laye, où estoient les Prieres de Quarante heures pendant les trois derniers jours du Carnaval. Elles assisterent le Lundy au Sermon de Mr l’Abbé de Moré, Docteur de Sorbonne & Chapelain du Roy, & ensuite à la benediction qu’il donna au Salut. Le jour suivant, Elles entendirent la Predication de Mr l’Abbé de Converset, Docteur de Sorbonne, Prieur & Curé de la mesme Eglise, & furent tres-satisfaites de ces deux actions.

[Carte du Theatre de la Guerre] §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 90-95.

 

Il paroist une Carte nouvelle, intitulée, La Carte du Theatre de la Guerre. Elle comprend les Royaumes d’Angleterre, d’Ecosse, d’Irlande, & de Dannemarck, le cours du Rhin, les dix-sept Provinces des Pays-bas, & toute la partie Septentrionale de la France, c’est à dire, les Provinces qui sont deçà la Riviere de Loire ; sçavoir, la Picardie, Bretagne, Maine, Anjou, Perche, Beauce, Isle de France, Brie, Champagne, Lorraine, Alsace, & le Pays aux environs de la Saare. Lors que cette Carte, qui a six grandes feüilles, est assemblée, on ajoûte une bordure ingenieusement faite ; & comme la Carte porte le titre de Theatre de la Guerre, cette Bordure est composée de tous les Instrumens qui luy sont propres, comme Bombes, Carcasses, Sacs à terre, Gabions, Mortiers, Canons, Tambours, Timbales, Trompettes, Enseignes, Guidons, Pavillons, Tentes, Etendars, Cuirasses, &c. Dans chacun de ces Instrumens il y a un plan des Villes fortes situées dans les Etats compris en cette Carte, au nombre de cinquante-six. Elle est dédiée à Monseigneur le Dauphin, & aux quatre coins sont les Armes de ce Prince, accompagnées de deux Devises. L’Epistre dédicatoire est enrichie d’ornemens Allegoriques, & d’une Medaille, au revers de laquelle sont ces mots, sur ce que Monseigneur a passé le Rhin. Ante Parentem unus tentavit Cesar. Les six feüilles qui composent cette Carte se distribuent separément, & ont chacune leur Titre & Echelle, pour la commodité de ceux qui font des Recueils de Cartes Geographiques. Les vuides, ou mers, sont remplis de Tables, non seulement des longitudes & latitudes des principaux lieux, mais on y voit aussi dans quel Estat & dans quelle Province ils sont situez. Cet Ouvrage estoit penible, & n’avoit pas encore esté donné au Public dans des Cartes Geographiques. Il n’y en a point où les costes de la Manche soient si particulierement décrites que dans celle-cy, qui se distribuë chez le Sr de Fer son Auteur, Geographe de Monseigneur le Dauphin, sur le Quay de l’Horloge du Palais, en une, en deux, en quatre, & en six feüilles, selon la curiosité ou la commodité de ceux qui aiment ces sortes d’Ouvrages.

[Lettre sur l’Opinion] §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 95-110.

 

La Lettre qui suit combat agreablement le trop de pouvoir que quelques-uns donnent à l’Opinion. Je ne doute point que sa lecture ne vous divertisse. Elle est de Mr Cipiere de Bordeaux, & sert de réponse à une autre Lettre qui avoit esté écrite sur la Beauté.

A MONSIEUR B.

Monsieur,

Je viens de lire vostre Lettre à Mr S.… & j’ay admiré la maniere aisée avec laquelle vous tournez les choses. L’esprit & le brillant qui y frappent, persuaderont toujours ce que vous voudrez à la premiere lecture, & je l’ay leuë plus de trois fois avant que de remarquer que les préjugez que vous opposez favorisent si fort l’Opinion, qu’il semble que vous ayez eu plus de dessein de soûtenir ses interests, que de combattre les couleurs & les beautez réelles. Souffrez, Monsieur, que faisant gloire de suivre vos sentimens, je m’en éloigne cette fois, pour faire voir que ce n’est qu’avec justice que je tiens vostre parti en toute autre chose. Je ne sçaurois endurer que l’Opinion regne avec tant de tirannie, qu’elle soumette le merite à son caprice, qu’elle chasse la raison de son empire, & qu’elle punisse la justice mesme. Cependant toute cette irregularité doit arriver, si l’on permet que l’Opinion juge des causes mesmes qui ne sont point de son ressort ; & si, toute aveugle qu’elle est, elle profane indignement tout ce que l’Antiquité la plus juste & la plus éclairée a aimé & consacré. Nous n’admirons toute l’ancienne Grece, qu’aprés qu’elle a admiré le juste jugement que Paris fit, lors qu’il se declara si ouvertement pour la beauté de cette Venus, dont parleront tous les siecles. On n’a encore trouvé personne qui se soit avisé d’accuser ce Prince d’injustice, ou d’un mauvais discernement, & qui ait osé publier que la Déesse de l’Amour & de la Beauté n’estoit pas belle. Se pourroit-il bien faire que tous les hommes eussent eu la mesme disposition de fibres de leurs cerveaux, & qu’ils se fussent tous accordez à aimer cette Reine ? Si cela est, on aura plus de sujet de dire que c’estoit une beauté réelle, qu’une beauté imaginaire, puis qu’elle sembloit belle à tous les hommes, comme l’or leur paroist or, pour me servir de vos termes. Tous ceux qui l’ont veuë l’ont aimée, & ceux qui n’ont veu son Portrait qu’en couleurs, en figures, ou en paroles, n’ont pas laissé de la trouver de leur goust, & de la consacrer aprés les autres. Or, Monsieur, il n’est pas impossible de trouver aujourd’huy une beauté pareille, qui ravisse l’estime, l’admiration & l’amour de tous ceux qui la verront. Je crois mesme que malgré toute la delicatesse que vous faites paroistre, vous l’aimeriez avec tant d’autres, & peut-estre que vous renonceriez à une opinion, qui soutenuë avec toute la force que vous avez, ne laisse pas de me paroistre éloignée de la verité. Vous comprenez bien que je parle de Mademoiselle de .… dont vous dîtes si bien la premiere fois que vous la vistes.

J’en défierois tous les Appelles,
J’en défierois tous les Zeuxis,
De peindre des traits mieux choisis,
De faire des couleurs si belles.
La nature fait quelquefois
Ce que ny l’esprit, ny la voix
Ne sçauroient comprendre, ny dire ;
Et ne le pouvant exprimer,
On sent que le cœur veut aimer
Ce que dabord l’esprit admire.

Je m’étonne que vous l’ayez connuë, & que vous ayez écrit une telle Lettre. Il faut que vous ne vous soyez pas souvenu d’elle, car je suis persuadé que son idée vous eust fait effacer autant de mots que vous en auriez écrit, ou que vous en auriez mis de contraires. Vous estes trop raisonnable pour ne l’avoir pas fait, & je crois dans le fond que vous n’avez écrit tout cela que pour vous divertir, car autrement il faudroit que les Philosophes n’aimassent jamais, parce qu’ils font profession de suivre la verité, & de ne s’attacher point aux imaginations & aux opinions, ou qu’ils n’aimassent que des beautez intellectuelles, parce qu’ils s’élevent quelquefois au dessus des corps mesme. En verité c’est pousser la Philosophie trop loin, & bien en prend aux Dames qu’elle ne soit pas vraye, car elles ne pourroient avoir que des galans ignorans, que l’étude de la Nature n’auroit pas instruits & adoucis. Pour moy, je me réjoüis qu’il ne faille point abandonner la raison pour s’approcher des Dames, & que nostre merite ne dépende pas tout-à-fait de leur bon ou mauvais goust. L’on seroit bien malheureux si cela estoit. On verroit tous les jours des étourdis avec les Belles, ausquelles un homme d’esprit enrageroit de ne pas plaire, parce qu’elles auroient peut-estre une disposition de cerveau peu favorable. Il seroit obligé de s’en aller avec des Pretieuses ridicules, qui n’auroient pas l’esprit de comprendre cent jolis mots & cent pensées tres-heureuses qui se perdroient. Vous voyez bien les desordres que tout cela causeroit, & croyez moy, Monsieur, il est important que le monde ne soit pas persuadé de cette opinion.

Mais, me direz-vous, ce sont-là des inconveniens. On en trouve dans toutes les opinions, & ce ne sont point des preuves qui détruisent les raisons que vous apportez. Il me semble pourtant que ces exemples contraires que nous voyons tous les jours doivent bien dissuader de croire que les beautez soient si arbitraires & si dépendantes de la grossiereté ou de la delicatesse des fibres, de l’opinion, ou de la coutume des gens & des pays. Nonobstant cette grande diversité que l’on voit entre tous les Peuples, on trouve des beautez qui plaisent à tout le monde, & l’on n’en peut attribuer la cause ny aux yeux, ny aux temperamens, mais plûtost à ces couleurs & à ces figures qui sont par tous les endroits les mesmes dans les beautez ; car qu’est-ce qui change dans une statuë qui plaist à tous les Peuples, & dans tous les siecles ? Par exemple, dans cette belle Venus de marbre blanc, de la main du fameux Praxitelés, pour laquelle il emporta le prix ? Vous sçavez que plusieurs personnes de differentes Nations ont esté à Gnide pour voir cette Piece, que le Roy Nicomede en offrit à cette Ville-là dequoy payer ses dettes ; mais que les Habitans ne voulurent écouter aucune proposition, persuadez que la beauté de cette Statuë rendroit leur Ville plus celebre & plus recommandable. Vous sçavez aussi que cette Statuë d’or & d’yvoire de Jupiter Olimpten, que Phidias fit en Elide, a passé pour une merveille du monde ; & vous ne trouverez guere d’Auteurs Grecs qui n’en ayent parlé. La Minerve du mesme Auteur, qui fut placée dans ce Temple qui est encore sur pied dans Athenes, a esté adorée de toute la Grece & du monde entier, sans vous parler de la folie de ce jeune homme, pour une Statuë d’un marbre blanc qui estoit ailleurs dans un Temple, que l’on reconnut par quelques desordres, que son amour luy fit faire. Seroit-il bien possible que quelqu’un n’eust pas dit que ces Statuës ne luy plaisoient pas, & qu’elles n’estoient que des grotesques, si leurs beautez eussent dependu de son goust ? Pour moy, je croy qu’en quelques endroits qu’on les apportast, elles trouveroient toujours des personnes qui les estimeroient de belles figures, & qui admireroient l’ouvrage avec la main de l’Ouvrier. Cela doit passer sans contredit. Que si vous accordez cela à de simples figures inanimées, muettes, sans vivacité, sans tendresse, je crois que vous ne pouvez le refuser à une personne dont les moindres traits sont admirables, dont tous les mouvemens parlent, dont la vivacité rend attentifs tous ceux qui la voyent, & dont la tendresse vous attendrit vous-même. C’est, Monsieur, tout ce que j’ay à vous opposer ; c’est là mon plus fort argument ; & si vous n’estes pas convaincu comme il faut, je suis prest à payer les frais du voyage pour aller voir la force, la solidité & la verité de cette raison J’attens donc une retractation, ou l’heure que vous voulez que nous partions. Vous ne pouvez vous dispenser de choisir l’un ou l’autre, sans faire croire que vous avez écrit plûtost par passion que par raison ; passion à la verité qui est plus raisonnable & plus spirituelle que la raison de certaines gens. Je suis, &c.

Le Thesauriseur et le Singe §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 110-114.

 

Je ne vous préviendray point sur la maniere agréable dont est tournée la Fable que je vous envoye. Lisez, & vous aurez lieu d’estre contente.

LE THESAURISEUR
ET
LE SINGE.

Un homme accumulant (on sçait que cette ardeur
Va souvent jusqu’à la fureur)
Celuy-cy ne songeoit que Ducats & Pistoles.
Quand ces biens sont oisifs, je tiens qu’ils sont frivoles.
 Pour seureté de son tresor,
Nostre Avare habitoit un lieu, dont Amphitrite
Défendoit aux Voleurs de toutes parts l’abord.
Là, d’une volupté, selon moy fort petite,
Et selon luy fort grande, il entassoit toujours.
 Il passoit les nuits & les jours
A compter, calculer, supputer sans relâche,
Calculant, supputant, comptant comme à la tâche,
Car il trouvoit souvent du mécompte à son fait.
Un gros Singe, plus sage, à mon sens, que son Maistre,
Jettoit quelques doublons souvent par la fenestre,
 Et rendoit le compte imparfait.
 La chambre bien cadenassée
Permettoit de laisser l’argent sur le comptoir.
Un beau jour Dom Bertrand se mit dans la pensée
D’en faire un sacrifice au liquide manoir.
 Quant à moy, lors que je compare
Les plaisirs de ce Singe à ceux de cet Avare,
Je ne sçay bonnement auquel donner le prix.
Dom Bertrand gagneroit prés de certains esprits,
Les raisons en seroient trop longues à déduire.
Un jour donc l’Animal qui ne songeoit qu’à nuire,
 S’il n’eust oüy l’homme rentrer,
 Eust jetté, sans considerer
L’estime que l’on fait des biens de cette espece,
Tous ces beaux Ducats piece à piece.
Il les eust fait voler tous jusques au dernier,
Dans le gouffre, enrichy par maint & maint naufrage.
Dieu veuille preserver maint & maint Financier,
 Qui n’en fait pas meilleur usage.

Réjouïssances faites à Constantinople par l'Ambassadeur de France §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 114-120.

 

On nous mande de Pera du 16. Novembre dernier, que Mr de Chasteauneuf, Ambassadeur du Roy à la Porte, après avoir fait des Festes pour les Victoires de l'Armée de Flandre & de l'Armée Navale, n'eut pas sitost sceu que Sa Majesté en avoit remporté une troisième, qu'il fit de nouveau éclater sa joye avec beaucoup de magnificence. L'ouverture de cette Feste, se fit le matin du mesme mois de Novembre, par une salve de trois cens boëtes qui furent tirées dans le jardin du Palais, & par la décharge du canon de trente Vaisseaux. Toute la Nation s'assembla dans la Chapelle, où l'Archevesque de Spiga chanta le Te Deum, aprés avoir fait un discours tres éloquent sur la puissance du Roy. L'Evesque des Armeniens voulant faire voir qu'il prenoit part à la Joye que ressentoient les François, assista à cette ceremonie, avec son Clergé & sa Musique, & fit demander à M. l'Ambassadeur la permission de faire succeder ses actions de graces particulieres à celles que rendoit la Nation. Comme il n'est ny Sujet du Roy, ny sous la protection de la France, & que son Eglise suit un rite qui est different de celuy de Rome, Mr de Chasteauneuf jugea que la demande de cet Evesque n'estoit qu'un effet de l'estime & de la veneration que la gloire de Sa Majesté s'attire de tous les peuples du monde, ce qui le fit consentir à sa demande. Au retour de la Chapelle, on servit trois tables en mesmes temps. Celle de Mr l'Ambassadeur estoit de vingt-quatre couverts. Celle de la Nation, tenuë par son Chancelier, de quatre vingt dix, & la troisiéme pour le Clergé, de soixante & dix. Il y en avoit une quatriéme que tint son Maître d'Hôtel, & celle-là ne finit que le lendemain. Mr l'Ambassadeur avoit à sa table quinze Turcs de consideration, le Gouverneur de la Ville, l'Intendant de la Marine, le Commandant des Janissaires, le Fils du Grand Tresorier que son Pere luy envoya, en luy faisant dire qu'il eust souhaité estre deposé la veille pour avoir la liberté de venir se réjoüir avec son Excellence, & le jeune Prince de Moldavie. Les tables furent aussi bien servies qu'elles pouvoient l'estre en ce païs-là. Les décharges des boëtes & du canon recommencerent lors que l'on but la santé du Roy ; elles s'estoient fait aussi entendre pendant tout le Te Deum. Le repas finit à l'entrée de la nuit, & le Palais se trouva alors orné d'une illumination dont l'effet fut fort brillant. Il y avoit dans la Cour une Piramide de feu, du bas de laquelle sortoient deux fontaines de vin, qui coulerent pour le peuple. On fit une quatriéme décharge, aprés laquelle on tira cinq cens fusées. On alla dans les appartemens toute la nuit, & les Turcs qui ne sortirent du Palais qu'au jour, prirent tant de goût à cette feste, que pour y contribuer eux-mesmes, ils firent reveiller plusieurs Dervis. C'est une espece de Moines qui joüent admirablement bien de la flûte, & qui vinrent concerter avec d'autres Instrumens. Tout Constantinople prit part à la joye de Mr l'Ambassadeur, qui n'a rien de plus pressant que de marquer en toutes sortes d'occasions le zele qu'il a pour la gloire de nostre auguste Monarque.

[Mort de Jean-Jacques Renouard de Villayer]* §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 129-131.

 

Il y a presentement à l’Academie Françoise une place vacante par la mort de Messire Jean-Jacques Renoüard, Comte de Villayer, Doyen des Conseillers d’Estat, arrivée au commencement de ce mois La declaration que le Roy fit en sa faveur lors que le rang de Doyen luy fut contesté par un Concurrent d’un tres-grand merite, est une marque bien glorieuse de l’estime dont ce Prince l’honoroit. Il a fait un Testament fort avantageux aux Hôpitaux, & est mort dans sa quatre-vingt-septiéme année. La place de Conseiller d’Estat qu’il avoit, a esté donnée à Mr de Fourcy, Prevost des Marchands, & Gendre de Mr le Chancelier Boucherat. C’est un don que le Roy luy a fait avec cette maniere obligeante qui luy est si naturelle, & en disant à Mr le Chancelier, qu’il auroit voulu que c’eust esté une place de Conseiller d’Estat Ordinaire.

[Jetons de l’année 1691]* §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 131-132.

 

Je vous tiens parole, & vous envoye les Jettons qui ont paru au commencement de cette année. Le premier est celuy du Tresor Royal, & les autres sont ceux de l’Amirauté, des Galeres, des Bastimens, de l’Artillerie, de l’Extraordinaire & de l’Ordinaire des Guerres, de la Chambre aux deniers, des Menus-plaisirs, des Revenus casuels, & de la Ville de Paris.

[Assemblée faite à l’Academie de Nismes] §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 132-136.

 

Le 9. de ce mois, l’Academie Royale de Nismes fit une Assemblée publique, de laquelle Mr Demerés, Chanoine en l’Eglise Cathedrale de cette Ville-là, bon Theologien & habile Predicateur, fit l’ouverture par un excellent discours. Ensuite Mr de Marsolier, Auteur de plusieurs beaux Ouvrages, Chanoine en la Cathedrale d’Uzez, & Frere d’un Conseiller au Grand Conseil, qui porte ce mesme nom, Mr Mesnard, Conseiller au Presidial de Nismes, & Mr de Travenol, l’un des plus fameux Avocats du Presidial de la même Ville, firent leurs complimens à la Compagnie, & la remercierent de l’honneur qu’elle leur avoit fait de les y aggreger. Mr Demerés, qui est maintenant Directeur de l’Academie, leur fit une réponse courte, éloquente & tres-agreable au nom de la Compagnie : aprés quoy Mr Dayglun, Docteur de Sorbonne, Chanoine, Grand Official, & Grand-Vicaire de Nismes, fameux Predicateur & Frere de Mr de Trimond, Conseiller au Parlement de Provence, fit l’Oraison Funebre de Mr Seguier, le dernier Evêque de Nismes, & qui avoit esté le premier Protecteur de l’Academie. On aplaudit fort à cette Piece, & à celles qu’on lut ensuite dans l’Assemblée. Mr Demerés qui avoit fait admirer son éloquence, fit aussi admirer sa Poësie par la lecture d’une Elegie qu’il avoit composée en Vers Latins & en Vers François, sur la mort de ce digne Prelat, dont la perte est si heureusement reparée par l’Illustre Mr Fléchier, qui est aussi Protecteur de cette Compagnie de beaux Esprits, & l’un des quarante de l’Academie Françoise. La closture de cette Assemblée fut faite par une autre lecture d’un chapitre de l’Histoire de Nismes Payenne & Chrestienne, où Mr Mesnard qui en est l’Auteur, & qui la doit publier au premier jour, tâche de prouver que Nismes n’a jamais esté une Colonie Romaine. On verra aussi bien-tost l’Histoire du Cardinal Ximenes, par Mr l’Abbé de Marsolier, Parisien de naissance, dont je viens de vous parler, l’un des Academiciens externes de l’Academie de Nismes. Le sçavant Mr Graverol, qui en est l’un des principaux ornemens, a esté depuis peu receu dans celle de Ricovrati de Padouë.

[Comparaison de la Fiêvre & de l’amour] §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 136-141.

 

Je vous envoye des Vers d’une aimable Personne de vostre Sexe, dont vous avez déja veu quelques Ouvrages. Elle pense finement, & vous serez contente de l’expression. Une Dame de ses particulieres Amies l’ayant trouvée attaquée de fiévre un jour qu’elle l’alla voir, luy dit en riant qu’elle voyoit bien que son mal venoit des soins qu’elle se donnoit pour sa Famille, & que si elle vouloit suivre son conseil, elle n’auroit jamais de chagrins que ceux que l’amour luy causeroit, & qu’assurément elle trouveroit ces sortes de maux plus faciles à souffrir que l’importune ardeur de la fiévre. C’est ce qui luy donna lieu de faire cette réponse.

A MADAME DE M.

 Une brûlante ardeur me court de veine en veine ;
 Je sens un inquiet chagrin,
 Je ne dors non plus qu’un Lutin,
J’ay l’esprit à l’envers, tout me trouble & me gêne.
 Mais si je brûle nuit & jour,
 Ce n’est pas des feux de l’amour.
 La chaleur d’une fiévre ardente
 Me cause tous ces mouvemens.
L’amour nous livre encore à de plus grands tourmens,
 Au moins à ce que l’on nous chante,
 Car, grace au Ciel, jusqu’à ce jour
C’est sur la foy d’autruy que je parle d’amour.
Cependant, si je puis dire ce qui m’en semble
Sur le rapport de ceux dont son cruel poison
 Trouble les sens & la raison,
Ce Dieu dans ses effets à la Fiévre ressemble.
 La Fiévre met les gens en feu,
 Fait resver, rend visionnaire ;
 Ainsi fait le Dieu de Cithere ;
 Ses Sujets ne resvent pas peu.
 Chaque Amant croit que sa Maistresse
 Brille de graces & d’appas ;
 Qu’il n’est point d’objet icy-bas
 Pareil à celuy qui le blesse,
 Et toutes ces perfections
 Ne sont que pures visions
 D’une folle delicatesse.
 La Fiévre renverse l’esprit,
 Oste la force & l’appetit,
Empoisonne le cœur, fait cent Metamorphoses ;
 L’Amour, fust-ce le plus petit,
 Avec excés cause les mesmes choses.
Est-il rien de plus fou que deux jeunes Amans ?
 Enfin on voit, plus on y pense,
Que la Fiévre & l’Amour dans leurs égaremens,
 Ont une grande ressemblance.
J’y vois pourtant un peu de difference,
C’est que la Fiévre a des momens heureux
Où l’esprit en repos se sent dégagé d’elle ;
Mais ceux à qui l’Amour a tourné la cervelle
C’est sans retour, plus de raison pour eux.
 Ainsi donc, ma chere Amarante,
 J’aime mieux sentir le couroux
 De la Fiévre qui me tourmente,
 Fust-elle encor plus violente
Que les feux importuns de l’Amour le plus doux.

Declaration d’Amour §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 141-144.

 

Voicy d’autres Vers qui n’ont besoin que du nom de leur Auteur pour s’attirer les loüanges qu’ils meritent. Ils sont de Mr de Messange, connu par divers Traitez qui ont esté favorablement receus du Public.

DECLARATION
d’Amour

 L’Amour, qui vouloit me surprendre,
Voyant que je craignois l’excés de sa rigueur,
Et que de mille objets je sçavois me défendre,
 A sceu tendre un piege à mon cœur,
 Et dans les beaux yeux de Silvie,
 Il m’a fait voir tant de douceur,
Qu’enfin il a troublé le repos de ma vie.
***
 Ces beaux yeux, par des traits de feux,
 Avec un tourment rigoureux,
 M’ont embrasé de la plus vive flâme.
Un teint que de Venus l’éclat n’efface pas,
Une bouche vermeille, & mille autres appas,
Sans peine ont triomphé des forces de mon ame.
***
Depuis ce temps fatal, je soupire en tous lieux,
Un trouble secret m’environne ;
Un triste ennuy m’abat, le repos m’abandonne :
Le sommeil révolté ne ferme plus mes yeux.
***
 Loin de la Beauté que j’adore,
 Tout semble fait pour m’affliger,
 Si l’espoir vient me soulager,
 L’impatience me devore.
***
Jours tranquilles, helas ! qu’estes vous devenus ?
 Adieu, charmante indifference ;
Paisible, dans ton sein, l’on ne me verra plus.
 Amour, je cede à ta puissance.
***
Traite à ton gré mon cœur, puis qu’il est sous ta loy :
Mais souviens-toy pourtant, si j’ose te le dire,
Qu’en me laissant souffrir sous ton cruel empire,
Tu te fais à toy-mesme autant de tort qu’à moy.

[Mariage de Monsieur le Prince de Turenne] §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 144-154.

 

Je vais satisfaire à ce que je vous promis la derniere fois, de vous mander toutes les particularitez que j'apprendrois du mariage de Mr le Prince de Turenne avec Mademoiselle de Vantadour qui se fit la nuit du Dimanche gras au Lundy. [...] Aussi sont-ce-là, sans doute, les motifs qui ont porté Sa Majesté à faire paroistre publiquement la satisfaction qu'Elle avoit de ce mariage, dont Elle a bien voulu signer le Contrat. Ce fut chez Madame la Duchesse de la Ferté, Tante de Madame la Princesse de Turenne, que se fit l'Assemblée, & où Monsieur, avec Messieurs les Princes & Mesdames les Princesses du Sang, voulurent bien se trouver pour assister à la Ceremonie. Elle fut precedée d'une grande Feste, & il suffit de dire que Madame la Duchesse de la Ferté en prit soin, pour faire connoistre qu'elle fut des mieux entenduës. Tout y marqua son esprit & sa generosité. On joüa d'abord un fort gros jeu. Il y eut une agreable Symphonie, une petite Comedie Italienne, & le Soupé qui suivit fut aussi magnifique que bien ordonné. On servit deux Tables en mesme-temps, & chacune estoit de vingt-cinq couvers. Aprés minuit, Monsieur, avec toute cette illustre & nombreuse assemblée, accompagna les Fiancez à Saint Eustache. Mr de Gordes, Evesque & Duc de Langres, y fit la Ceremonie, en ayant été prié, tant par la Maison de Boüillon, que par celle de Vantadour, dont il est également l’amy, mais de ces amis toûjours pleins d’empressement à obliger, d’une fidelité & d’une probité singuliere. La Ceremonie faite, Monsieur, & toute la Compagnie, reconduisit les Mariez chez Madame la Duchesse de la Ferté. Son Altesse Royale y donna la chemise à Mr le Prince de Turenne, & Madame la Princesse, à Madame la Princesse de Turenne. Ceux qui virent alors Madame la Duchesse de Vantadour, tomberent d’accord que jamais Mere n’eut plus de joye qu’elle, & l’on peut dire à sa gloire que comme ce mariage est son ouvrage, aussi jamais personne ne fit tant pour sa Fille qu’elle a fait pour Madame la Princesse de Turenne. Toute la Cour & tous ceux qui la connoissent, conviennent que parmy les grandes qualitez de cette Duchesse, la bonté & la droiture de son cœur ne sont pas celles qui brillent le moins en elle. La preuve qu’elle vient d’en donner est grande & illustre. Il est vray que l’on a raison de dire que Madame de Vantadour a une Fille qui a toujours dignement répondu à ses esperances & à ses souhaits. On ne peut avoir plus d’esprit qu’en a Madame la Princesse de Turenne, & il ne faut pas douter que son cœur n’ait les mesmes traits de douceur & de bonté que celuy de Madame sa Mere. Comme on est persuadé qu’elle rendra Mr le Prince de Turenne fort heureux, aussi croit-on qu’il n’y a personne qui merite mieux que luy de l’estre. Vous n’ignorez pas qu’il revint à la Cour il y a quatre mois, & qu’il a depuis dignement remply la grande reputation qu’il s’est acquise dans les Païs Estrangers, & particulierement à Rome & à Venise. Ce Senat si sage & si prudent conceut une si haute idée de ce jeune Prince, qu’il voulut luy confier des emplois, qu’il ne donne jamais qu’à des personnes d’une experience consommée, mais Mr le Prince de Turenne l’en remercia, parce que son inclination encore plus que sa naissance, le portera toujours à ne desirer jamais d’autres emplois que ceux dont le Roy le trouvera digne. Je finiray cet Article par un endroit que vous serez bien-aise d’apprendre ; c’est que Monsieur a marqué sa generosité naturelle en cette rencontre, par un present qu’il a fait à Madame la Princesse de Turenne, de deux Boucles d’oreille & d’un Coulant, qui sont d’un tres-grand prix.

[Mort de l’abbé de Belebat]* §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 164-167.

 

Il me reste à vous apprendre sur cette triste matiere, que Mr l’Abbé de Belebat mourut icy d’Apoplexie le 7. de ce mois. Il s’appelloit Paul Hurault de Lhopital-de Belebat, & il estoit de l’ancienne Maison des Hurault, originaire de Bretagne, dont la Branche aisnée s’établit il y a prés de quatre cens ans dans le pays Blesois, & y acquit la Terre de S. Denis, qu’elle y possede encore presentement. Elle compte plus de quinze generations de Pere en Fils. Il y a encore la Branche des Marquis du Vibraie, & celle des Comtes de Marais. La Branche de Chiverni, dont estoit le Comte de Chiverni, Chancelier de France, est tombée dans la Maison de Monglat. La Branche de Belebat prit le surnom de Lhopital, quand le Bisayeul de Mr l’Abbé de Belebat épousa la Fille heritiere de Michel de Lhopital, Chancelier de France. Le Défunt a fait Mr le Comte de Belebat, son Neveu, son Legataire universel, & il y a quelques années qu’il resigna à Mr l’Abbé de Choisi, aussi son Neveu, le Prieuré de S. Benoist, qui vaut cinq ou six mille livres de rente. Mr l’Abbé de Choisi vous est connu par plusieurs Ouvrages qui ont tous receu l’approbation du Public, & sur tout, par l’agreable Relation qu’il nous a donnée de son Voyage de Siam, où il devoit demeurer en qualité d’Ambassadeur aprés le départ de Mr le Chevalier de Chaumont, si l’on eust trouvé dans Sa Majesté Siamoise des dispositions plus favorables pour embrasser la Religion Chrestienne. Vous sçavez qu’il est de l’Academie Françoise. Feu Mr l’Abbé de Belebat estoit Frere de Madame de Choisi sa Mere, qui a fait tant de bruit par son esprit, & qui s’est veuë honorée de l’amitié de presque tous les Souverains de l’Europe. Elle estoit Femme de Mr de Choisi, Chancelier de feu Monsieur le Duc d’Orleans.

[Histoire] §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 167-210.

 

Il y a des panchans si forts, inspirez par la nature, qu’il est impossible d’y resister. C’est ce qui fait en quantité de personnes la difference des professions. Un jeune Gentilhomme, fils d’un Officier de justice, revêtu d’une Charge tres-considerable, fut destiné à remplir le même poste, & dans cette veuë son Pere n’épargna rien pour luy faire faire ses études avec le succés qu’il souhaitoit. Il y réussit parfaitement, mais à peine eut-il quinze à seize ans qu’il se sentit entraîner par un violent desir de servir le Roy dans ses Armées. Son Pere qui n’avoit que luy d’enfans avec une Fille, s’opposa fortement à ce dessein, & sans se laisser fléchir par ses prieres, il usa d’une autorité si absoluë qu’il l’obligea d’aller faire ses trois ans d’étude de Droit, aprés quoy il fut reçû Avocat. Quoy que ce ne fust qu’un premier degré pour passer à une Charge si tost qu’il seroit en âge de la pouvoir exercer, il ne put se forcer long temps à porter la robe, & aprés avoir fait paroistre le dégoust qu’il en avoit, il pria sa Sœur de n’oublier rien auprés de son Pere dont il la voyoit tendrement aimée, pour luy obtenir la permission de faire quelques Campagnes. C’estoit une Brune toute aimable, moins âgée que luy de trois à quatre ans, qui n’avoit pas moins d’agrément d’humeur que de beauté, & qui possedoit toute la raison dont sa jeunesse la pouvoit rendre capable. Elle refusa la commission en luy disant qu’elle l’aimoit trop pour luy conseiller de prendre un parti qui l’obligeroit d’exposer sa vie en mille rencontres, & elle ajoûta que la bienséance même ne luy pouvoit permettre de faire ce qu’il souhaitoit, puis qu’on ne manqueroit pas de publier que n’ayant qu’un Frere, elle auroit esté bien aise de le voir dans une profession si dangereuse, sur l’esperance, s’il arrivoit un mal-heur, d’avoir seule à recueillir la succession de son Pere, qui devoit estre fort considerable. Ce refus le chagrina, mais sans luy faire changer d’inclination, quoy qu’il luy fâchast de s’éloigner de sa Sœur, avec qui une amitié fort étroite luy avoit fait prendre une liaison tres-particuliere. Son Pere qui apprehendoit qu’une passion si violente ne prevalust sur tous ses desseins, voulut le fixer en le mariant. Il luy proposa un party avantageux, & comme il estoit extremement riche, il luy offrit de luy faire des avances qui le devoient mettre dans un estat fort satisfaisant, mais son peu d’âge luy servit d’excuse, & sa Sœur luy ayant voulu representer qu’il avoit tort de renoncer à une fortune que tout autre auroit recherchée par toutes les voyes possibles, il luy répondit, que quoy que fort jeune, il se sentoit pour le mariage une aversion presque invincible, & qu’il la prioit, comme il ne pouvoit douter que sa beauté ne luy attirast grand nombre d’Amans, de vouloir se rendre difficile sur le choix, parce qu’il croyoit que tout le bien de son Pere la regardoit elle seule, ses desirs les plus ardens estant de la voir dans une élevation qui satisfist la tendre amitié qu’il avoit pour elle, à quoy il contribueroit avec d’autant plus d’ardeur, qu’il pouvoit dire qu’elle estoit, aprés la gloire, ce qui luy seroit jamais le plus cher. Un discours si obligeant toucha vivement sa Sœur qui l’asseura qu’elle tâcheroit de se rendre digne de son amitié, en ne faisant rien d’important toute sa vie que par son conseil. Cependant aprés avoir encore employé inutilement quelques amis auprés de son Pere, il prit de luy-mesme la permission qu’il demandoit, & alla servir, comme Volontaire, dans le Regiment d’un Marquis de ses Voisins, qui depuis plus de vingt ans s’étoit acquis une fort grande reputation dans le mestier de la guerre. Les heureuses dispositions qu’il vit dans ce jeune Cavalier, jointes à l’estime qu’il avoit pour sa Famille, l’obligerent à le recevoir avec beaucoup d’agrément, & le Cavalier s’acquita si bien de sa premiere Campagne, qu’il se fit autant d’amis qu’il eut de témoins de sa bravoure. Sur tout le Fils du Marquis qui commandoit une Compagnie dans le mesme Regiment, chercha à luy rendre tous les bons offices dont il se trouva capable, & par un panchant secret qui les unit l’un à l’autre, ils semblerent n’avoir plus que des interests communs. Le Cavalier passa l’hiver avec luy en Allemagne, & quoy qu’il ne pust compter sur aucun secours du costé de ses Parens il eut tout en abondance par le moyen du Marquis, qui se faisoit un plaisir de luy tenir lieu de Pere, en attendant que le temps & ses Amis eussent adoucy le sien. Trois ans s’écoulerent sans qu’il retournast chez luy. Sa Sœur avoit soin de luy écrire souvent, & c’estoit entre eux un commerce de tendresse, dont ils se faisoient un plaisir sensible. Elle luy rendoit un compte exact de tous les Partis qui se presentoient pour elle, & le peu d’envie qu’elle luy marquoit avoir de se marier si tost, l’autorisoit à l’en détourner. Il craignoit toujours qu’elle ne fust trompée dans le choix, & il eust voulu examiner par luy-même ce qui auroit pû luy être propre. Les occasions s’estant trouvées favorables, il fit de si belles actions, qu’il fut fait en peu de temps Capitaine de Cavalerie, & sa gloire s’augmentant de jour en jour, son Pere ravi d’entendre ce que l’on en publioit, rentra enfin en luy-mesme. Il considera qu’il n’avoit que luy de Fils, & s’accusa de trop de severité, puis que le party des armes estoit ce qui convenoit le mieux à un Gentilhomme. Ainsi il ne put plus resister au desir de le revoir, & le Cavalier se rendit auprés de luy si-tost que les Troupes eurent esté mises en quartier d’hiver. Certain air noble qu’il s’estoit acquis en portant les armes luy ayant donné un nouveau merite, on le receut avec tant de marques de tendresse, qu’il fut pleinement indemnisé de la rigueur que son Pere avoit euë longtemps pour luy. Il trouva sa Sœur dans une perfection de beauté qui le surprit, & pour luy montrer la joye qu’il avoit de la voir si digne de posseder dans son cœur la place qu’elle y tenoit, il ne pouvoit luy faire assez de caresses. Sa Sœur luy rendoit le change, en loüant sa bonne mine, & les manieres aisées qu’il avoit en toutes choses. Comme elle estoit recherchée de plusieurs personnes qui avoient du bien, son Pere voulut l’obliger à faire un choix, afin de la marier avant que son Frere les quittast pour retourner à son Regiment. Le Cavalier voulut sçavoir d’elle si parmy tous ses Amans il y en avoit quelqu’un qu’elle préferast aux autres, & aprés qu’elle luy eut témoigné beaucoup d’indifference pour tous, elle ajoûta en riant, que pour la toucher il auroit fallu que l’un d’entr’eux luy eust ressemblé. Son Frere luy répondit de la mesme sorte, que malgré l’éloignement qu’il sentoit toujours plus grand pour le mariage, il ne voudroit pas répondre de demeurer insensible, s’il trouvoit une personne aussi brillante & aussi aimable qu’elle, & ne luy voyant d’attachement pour aucun de ceux qui la recherchoient, il luy demanda si elle l’aimoit assez pour vouloir bien souffrir qu’il la mariast. En mesme temps il luy parla du Fils du Marquis, qui estoit son Amy particulier, & dont il luy vanta le merite, comme le jugeant tres-digne d’elle. Il satisfaisoit par là sa reconnoissance, ayant receu mille bons offices du Fils & du Pere, & c’estoit d’ailleurs la faire entrer dans une Famille fort considerable, & d’une Noblesse des plus distinguées. La Belle qui se reposoit entierement sur l’amitié de son Frere, consentit sans peine à le rendre maistre de sa destinée, & son Pere n’eut pas sitost appris son projet, qu’il le chargea de n’épargner aucuns soins pour le faire réussir. Le bien du Marquis luy estoit connu, & il ne pouvoit faire dans son voisinage une alliance qui luy dust estre plus glorieuse. Le Cavalier partit fort content de ses liberalitez, mais il ne put se separer de sa Sœur qu’avec un chagrin, qui luy fit connoistre que la douceur de son entretien estoit un plaisir dont il ne pouvoit se priver sans peine. La Belle que la nature autorisoit à verser des larmes, n’en refusa pas à ce cher Frere, qu’elle conjura en le quittant de prendre soin de sa vie, comme de la chose du monde où elle prenoit le plus d’interest. Il ne fut pas si tost avec son Ami, qu’il luy parla d’elle. Cet Ami qui se souvenoit de l’avoir veuë dans ses premieres années, l’avoit trouvée fort aimable, & l’idée qu’il en conservoit encore, se rapportant au portrait qu’on luy en fit, il ne douta point qu’elle ne fust digne de toutes les loüanges qu’on luy donnoit. Elle estoit souvent le sujet de leurs conversations, & le Cavalier qui luy faisoit voir les Lettres qu’il recevoit d’elle, luy donnoit lieu d’admirer l’esprit aisé qu’elle y répandoit. La Campagne se passa avec beaucoup d’avantage pour l’un & pour l’autre. Ils se signalerent en plusieurs occasions, & quand elle fut finie, ils vinrent joüir avec leurs Amis de la gloire que leur courage leur avoit acquise. Le Cavalier revit son aimable Sœur avec une extrême joye, & il la trouva dans une espece d’engagement qui ne pouvoit estre aisément rompu que par celuy où il devoit l’avoir mise avec son Ami. Son Pere luy en demanda d’abord des nouvelles, & comme sa premiere veuë fut d’empescher le succés de cette affaire, il l’assura que son Ami n’estoit venu que dans le dessein d’entrer dans son alliance. Il l’y avoit disposé en quelque sorte ; & aprés que cet Amy leur eut rendu deux ou trois visites, il fut si charmé de cette belle Personne, qu’on n’eut pas besoin de beaucoup d’adresse peur luy faire faire la declaration que l’on souhaitoit. Le Cavalier, pour l’y engager plus fortement, l’assura qu’il obligeroit son Pere à faire à sa Sœur tous les avantages qui le pourroient satisfaire, & de la maniere dont les choses furent poussées en fort peu de temps, il ne manquoit plus pour les terminer que le consentement du Marquis que l’on attendoit de jour en jour. Il arriva, & les belles qualitez qu’il découvrit dans la charmante Personne que son Fils aimoit, le toucherent d’autant plus, qu’ayant toujours senty pour le Frere un tres-fort panchant, il fut ravy de voir que la Sœur alloit devenir sa Belle fille. On signa le Contrat de mariage, & on estoit prest de choisir un jour pour le conclurre, lors que la Belle se trouva attaquée d’une violente fiévre, qui en peu de temps se regla en quarte. Comme elle estoit extremement delicate, elle en fut fort abattuë. Son Frere que cet accident ne toucha pas moins que son Amy, estoit tres-assidu auprés d’elle, & tâchoit par mille soins de luy faire voir combien il estoit sensible à ce que ses longs accés luy faisoient souffrir. La Belle blâmoit le trop de chagrin qu’il faisoit paroistre pour un mal, qui, selon les apparences, ne pouvoit avoir de suites facheuses, & sans bien sçavoir pourquoy il estoit d’une humeur si sombre, il ne pouvoit s’empêcher de s’abandonner à la rêverie. Un jour qu’il la vit se porter mieux qu’elle n’avoit de coutume, il la pria de luy dire si la passion de son Ami avoit fait naître beaucoup d’amour dans son cœur : & la Belle luy ayant avoüé qu’elle n’avoit senti jusque-là que de l’estime, ce qu’elle avoit cru qui suffisoit quand on vouloit faire son devoir, il en montra de la joye, comme s’il eust pû estre jaloux que les sentimens qui luy estoient permis pour un homme qu’elle se voyoit preste d’épouser, l’eussent emporté sur l’amitié qu’elle devoit à la sienne. Enfin sa fiévre qui avoit duré plus de deux mois, la quitta entierement, & déja on recommençoit à parler des apprests du mariage, lors que tout à coup, & sans que personne l’eust préveu, il vint un ordre à tous ceux qui avoient employ dans les Troupes, de partir sur l’heure, ce qui obligea d’en differer la conclusion jusques au retour de la Campagne. L’Amant de la Belle sentit ce délay fort vivement, tandis que le Cavalier se sousmit à l’ordre sans aucun murmure. On remarqua mesme qu’il s’éloignoit plus content qu’il n’avoit fait la derniere fois. Les deux Amis se rendirent ensemble où ils estoient appellez, & comme on estimoit leur bravoure, la Campagne estant déja assez avancée, on les commanda pour une entreprise de vigueur qu’ils ne pouvoient soustenir sans se hazarder beaucoup s’ils vouloient donner l’exemple aux autres. L’amour de la gloire leur faisant fermer les yeux sur le peril, il en cousta du sang à tous deux, mais le Cavalier en fut quitte pour une blessure, qui heureusement ne se trouva pas mortelle, au lieu que son Amy en receut trois, dont il mourut peu de jours aprés. Le Marquis qui de quatre Fils qu’il avoit eus n’avoit conservé que celuy-la, ressentit sa perte avec toute la douleur imaginable, ce qui ne l’empescha pas de donner ses ordres afin qu’on eust soin du Cavalier. Sa blesseure le retint un mois au lit, & pendant ce temps le Marquis qui le visitoit souvent, luy donna toutes les marques de la tendresse d’un Pere. Sa Sœur ayant sçeu cette funeste avanture, parut oublier qu’elle perdoit un Amant, tant elle estoit occupée de crainte pour l’accident de son Frere. Lors qu’il fut guery, comme il ne pouvoit montrer assez de reconnoissance pour tous les soins que le Marquis avoit eus de luy, il chercha à le convaincre de son veritable attachement par les devoirs les plus empressez qui le pouvoient satisfaire, & il le fit d’une maniere si engageante & si agreable, que le Marquis qui avoit toujours senty en sa faveur tout ce qu’une forte inclination est capable de produire, luy dit enfin qu’il le regardoit comme celuy qui pouvoit seul réparer sa perte, & qu’il l’adoptoit dés ce moment pour son Fils, en attendant qu’une Fille unique qu’il avoit, âgée de dix ans, & qu’il faisoit élever dans un Convent, eust atteint l’âge de pouvoir estre sa Femme. Le Cavalier ne trouva point d’expressions assez fortes pour témoigner au Marquis combien il estoit penetré de ses bontez. La reconnoissance, ainsi que l’estime & le respect, l’avoit veritablement attaché à luy, & s’il ne put s’empêcher de fremir d’abord de la proposition d’un mariage, c’estoit une affaire à regarder de si loin, qu’il crut inutile de laisser paroistre l’aversion qu’il avoit pour les engagemens de cette nature. Le temps y pouvoit apporter divers obstacles, & il y eust eu de l’imprudence à ne pas répondre d’un cœur fort ouvert aux honnestetez qu’on avoit pour luy. Ils revinrent l’un & l’autre aprés la Campagne faite, & le Pere du Cavalier alla aussi-tost rendre visite au Marquis. Si l’un avoit un regret sensible de la perte de celuy qu’il s’estoit flaté d’avoir pour Gendre, l’autre n’avoit pas moins de peine à se consoler de ce qu’il ne pouvoit plus avoir pour sa Belle-fille, l’aimable Personne en qui il avoit connu un merite si parfait. Le Cavalier entretint sa Sœur sur cette perte, & fut surpris que les avantages qu’elle auroit receus par l’alliance dont on estoit demeuré d’accord, l’eussent touchée assez peu, pour luy laisser la tranquillité d’esprit où il la trouvoit. Elle luy dit que n’ayant jamais rien aimé assez fortement, pour n’estre pas toujours maistresse de sa raison, elle avoit veu avec un si grand plaisir le choix que le Marquis avoit fait de luy pour estre son Gendre, & par consequent l’Heritier de tout son bien, que la consideration de ses interests l’avoit emporté sur toute autre chose. Le Cavalier s’écria sur l’injustice qu’elle luy faisoit de croire qu’il fust capable de sacrifier à des motifs de fortune, la repugnance qu’il avoit toujours sentie pour le mariage, & qu’il sçavoit bien qu’il auroit toute sa vie, puis que pour l’obliger à la vaincre, il auroit fallu luy faire voir une personne si accomplie, qu’il ne luy manquast aucune des charmantes qualitez qu’il trouvoit en elle, soit pour la beauté, soit pour l’esprit & l’humeur, & il tenoit impossible que cela se rencontrast. Ces sentimens ne luy estoient point nouveaux. La tendre amitié qui l’unissoit à sa Sœur dés ses plus jeunes années, estoit soutenuë de toute l’estime que l’on peut avoir pour le vray merite, & il n’osoit trop s’examiner sur ce fort panchant, de peur de ne pouvoir se cacher qu’il l’aimoit plus que le nom de Frere ne le permettoit. Il estoit dans cette sorte d’agitation qui le tourmentoit toutes les fois que l’on parloit de la marier, lors qu’un venerable Capucin vint reveler un secret qui apporta un grand changement en toutes choses. Il demanda à entretenir son Pere en particulier, & luy apprit que le Cavalier qu’il croyoit son Fils, ne l’estoit point, & qu’il estoit celuy du Marquis. Voicy le dénoüement de cette avanture, qui n’est point une fiction, comme la pluspart de celles qu’on employe dans les Romans, mais un incident dont plusieurs personnes tres-dignes de foy attestent la verité. Cet Officier de Justice que le Cavalier croyoit son Pere, ayant passé cinq ou six années de mariage sans avoir d’enfans, eut enfin la joye de voir sa Femme accouchée d’un Fils, & il luy choisit pour Nourrice la Femme d’un Laboureur fort accommodé, qui faisoit valoir une de ses Terres. Rien ne pouvoit estre plus magnifique que toutes les choses qui devoient servir à cet enfant, & en les donnant à sa Nourrice, qu’il assura d’une récompense proportionnée aux soins qu’il la conjuroit d’en prendre, il commença par de si grandes liberalitez, qu’elle fut persuadée que sa fortune étoit faite. Il arriva dans ce mesme temps que le Marquis eut aussi un Fils. Comme il en avoit déja trois autres vivans, & un équipage de guerre à faire, il le fit remettre sans nul éclat de dépense entre les mains d’une Belle-sœur de cette Nourrice, qui demeuroit avec elle, & qui estoit Veuve depuis quelques mois. Quinze jours aprés que les deux Enfans eurent esté portez dans cette maison, le Fils de l’Officier de Justice, & la Nourrice de celuy du Marquis moururent presque tout à coup, l’un d’une colique, & l’autre d’une fiévre violente. La Nourrice qui restoit, desesperée de voir ses esperances perduës, trouva moyen de remedier à ce malheur, en suivant le conseil de son Mary, qui luy fit garder le Fils du Marquis, comme estant celuy de l’Officier de Justice. Les traits devoient estre si peu connoissables dans cette premiere enfance, que la veuë d’un interest considerable pour elle luy fit approuver cette supposition Ainsi on alla chez le Marquis qui estoit déja party pour l’Armée, porter la nouvelle de la mort de son Enfant, & elle parut fort vraysemblable, sa Nourrice ayant pû luy communiquer le mal dont elle estoit morte. On crut la chose comme elle fut rapportée, & sans rien approfondir, on donna ordre de faire enterrer l’Enfant dans l’Eglise du Village. L’autre Nourrice demeura par là en possession du Fils du Marquis, qu’elle rendit dans son temps à l’Officier de Justice, sans qu’il y eust le moindre soupçon du changement que l’interest luy avoit fait faire. Les dons qu’on luy fit pendant qu’elle l’eut entre ses mains. & qu’on luy continua de temps en temps aprés qu’elle l’eut rendu étoufferent ses remords, & le secret eust esté toujours ensevely, si une Mission de Capucins ne se fust pas établie en ce lieu là. Ils prescherent avec tant de force sur l’unique Necessaire, que le Mary de cette Nourrice épouvanté de l’obstacle qu’il trouvoit à son salut, se resolut de confier à l’un d’eux le triste embarras où il se trouvoit. Il eut de la peine à persuader sa Femme de l’indispensable obligation qu’il y avoit pour l’un & pour l’autre de découvrir ce qu’ils avoient fait, mais ce zelé Missionnaire tourna son esprit de telle sorte, qu’enfin aprés avoir resisté long-temps aux fortes raisons dont il se servit, elle se laissa toucher, & luy promit de demeurer d’accord, comme son mary, de toutes les circonstances de la supposition. L’Officier surpris de ce qu’on luy declara, alla aussi-tost trouver le Marquis avec le Missionnaire, & le Marquis aprés avoir sçeu la chose, ne balança point à dire qu’il luy suffisoit de la voix de la nature qui avoit toujours parlé au fond de son cœur, pour estre persuadé que le Cavalier estoit son Fils, & qu’il auroit esté impossible sans cela qu’il l’eust aimé avec autant de tendresse qu’il en avoit toujours eu pour luy. On interrogea la Nourrice & son mary, & leurs réponses s’estant trouvées uniformes, & meritant d’estre cruës, puis qu’ils n’avoient aucun interest à donner à l’un un Fils qu’ils ostoient à l’autre, le Marquis dit qu’il estoit facile de justifier la verité ; que tous ses Enfans avoient une marque à la cuisse gauche, & qu’il se souvenoit de l’avoir veuë dans celuy qu’on luy vouloit rendre. La marque se trouva dans le Cavalier, qui s’abandonna à des transports de joye incroïables, lors qu’il connut qu’il n’estoit point Fils de l’Officier. Il n’eut plus à s’estonner de la tendresse extraordinaire, qui l’avoit toujours si fortement attaché aux interests de sa Sœur, & il demesla sans peine, ce qui estoit cause qu’il n’avoit jamais pû voir sans chagrin que l’on se pressast de la marier. Le Marquis, qui avoit déja fait choix de cette belle Personne pour sa Belle Fille, demeura avec plaisir dans les mesmes sentimens, & vous jugez bien qu’il ne pouvoit rien arriver de plus agréable à l’Officier que d’avoir pour Gendre celuy qu’il perdoit pour Fils. Ainsi le mariage fut fait avec une égale satisfaction des deux familles, qui ne pouvoient assez admirer ce que l’amour déguisé sous les dehors apparens de la Nature, avoit eu de force sur le cœur du Cavalier.

[Poème sur le prince d’Orange]* §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 210-217.

 

Je vous promis dans ma Lettre du mois passé de vous entretenir dans celle-cy du Voyage du Prince d’Orange à la Haye, & des motifs qui l’ont porté à le faire. Il est juste que je vous tienne parole, mais avant que d’entrer dans ce détail, je croy qu’il est bon de vous faire part d’un Ouvrage où il est parlé assez juste de ce Prince. Sa lecture vous fera connoistre que la peinture qu’en fait Mr Castaignet de Tanchou qui en est l’Auteur, a un grand rapport à ce que j’ay à vous en dire.

Que croire, Licidas, dans le siecle où nous sommes ?
Est-il rien d’assuré maintenant chez les hommes ?
Chaque jour on invente, & dés le lendemain
Ce que l’on affirmoit se rencontre incertain.
L’homme est ingenieux, & son adresse extrême
Ne s’applique souvent qu’à le tromper luy-mesme.
Tout luy paroist probable, & dans le mesme temps
Il croit aveuglement ce qui flate ses sens.
Si de l’Usurpateur la perte se publie,
Dans son opinion sa mort est établie,
Et le Peuple ignorant, s’en croyant plus heureux,
Pour témoigner sa joye, allume mille feux.
Enfin lors que le temps détruit cette nouvelle,
Chacun sent en son cœur une douleur mortelle.
Le Peuple, encore un coup sottement prevenu,
Croit que Nassau vivant, le Royaume est perdu.
Qu’a-t-il fait qui luy puisse inspirer cette crainte ?
A-t-il à nos Etats pû donner quelque atteinte ?
N’a-t-il pas augmenté la grandeur de mon Roy ?
Senef, Cassel, Mastrick, Saint-Denis, Charleroy
Seront des monumens, où pour jamais l’histoire
Marquera sa foiblesse avec nostre victoire.
Enfin par le plus grand de tous les attentats
On l’a vû d’un Beau-pere usurper les Etats,
Et par sa trahison voler une Couronne
Qu’un tas de Révoltez & le crime luy donne,
Mais où sont les exploits de ce Guerrier fameux ?
Qu’a-t-il fait pour monter à ce rang glorieux ?
Quel signe de valeur, quelle grande Victoire
Affermit sa Couronne, & releve sa gloire ?
Est-il quelque rencontre, est-il quelques combats,
Où l’on ait reconnu la force de son bras ?
Non, toute sa vertu n’a jamais sceu paroistre,
Qu’à former le dessein de faire quelque traistre.
Par cet esprit trompeur des Princes ébloüis
Ont osé cependant armer contre LOUIS,
Et pour le soutenir, pour couronner son crime,
Préferer le Tyran au Maistre legitime.
En vain pour le défendre ils feront leurs efforts ;
LOUIS va l’attaquer mesme jusqu’en ses Ports,
Et c’est-là que sa Flote à vaincre accoutumée,
De ses nouveaux exploits charge la Renommée,
Rien ne peut resister à nos braves Guerriers ;
On les voit en tous lieux moissonner des lauriers,
Les rochers escarpez, les Rivieres profondes,
De l’une à l’autre Mer les écumantes ondes,
S’opposent vainement au cours de leur valeur ;
LOUIS par tout inspire une invincible ardeur :
Tout cede devant luy ; la plus forte défense,
Ne sçauroit resister au Heros de la France.
Bien-tost nous le verrons par de nouveaux exploits
Forcer les Allemans à recevoir ses loix.
C’est-là, cher Licidas, ce que nous pouvons croire,
Dans l’Europe aujourd’huy tout parle de sa gloire.
Ces Princes conjurez, ce monde d’Ennemis,
Par sa rare valeur seront bien-tost soumis,
Et déja du Hainaut les fertiles campagnes,
Déja du Savoyard les affreuses montagnes,
Ont esté les témoins de ces rudes combats,
Où par tout la victoire accompagne ses pas.
Cette mesme valeur, cette mesme fortune,
Soumet à son pouvoir l’Empire de Neptune,
Et le vaste Ocean ne voit plus sur ses eaux,
Que du François vainqueur les superbes Vaisseaux,
Remportant chaque jour de nouveaux avantages.
On doit tout esperer de ces heureux présages ;
Aprés tant de combats & d’exploits inoüis,
Malheur à qui voudra resister à LOUIS.

Article des Enigmes §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 284-293.Voir l'énoncé de l'énigme.

 

L'Enigme du mois passé a esté expliquée sur le Violon qui en estoit le vray sens, par [liste des gagnants].

Air nouveau §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 295-296.

Je vous envoye un second Air de la composition d'un habile Maistre. Les paroles sont d'un Amant si respectueux, qu'il y a grande apparence qu'il ne trouvera jamais parmy les Belles d'opposition à ses desirs.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Pourquoy me fuyez-vous, &c. doit regarder la page 295.
Pourquoy me fuyez-vous cruelle ?
Mes regards auroient-ils causé vostre couroux ?
Ah, souffrez seulement que je vous trouve belle,
C'est tout ce que je veux de vous.
images/1691-03_295.JPG

[Prieres faites pour le Roy & present fait à Sa Majesté] §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 296-298.

 

Le Vendredy 23. de ce mois, le Corps de Ville fit celebrer une haute Messe au S. Esprit, pour la prosperité des armes du Roy, & pour la conservation de sa Personne sacrée ; & le lendemain 24 le Corps & Communauté des Marchands Merciers Grossiers & Joüailliers de Paris, en firent celebrer une autre pour le mesme sujet au Saint Sepulcre. Les Gardes en charge, les Anciens, & quantité de ceux de ce Corps y assisterent. Ils ont poussé leur zele plus loin, & donnent cent mille écus à Sa Majesté, ce qui fait voir avec quelle ardeur ils souhaitent que ses projets réussissent, puis qu’ils contribuent selon leur pouvoir, aux grandes dépenses que la guerre oblige à faire. Ils donnerent cette mesme marque de leur zele en 1673. en offrant au Roy cinquante mille écus, que Sa Majesté n’accepta pas. Au contraire, aprés avoir marqué qu’Elle n’en avoit pas besoin alors. Elle leur donna deux mille écus, afin qu’ils fissent prier Dieu pour la prosperité de l’Etat.

[Journal du siège de Mons] §

Mercure galant, mars 1691 [tome 3], p. 302-413 [extrait p. 348-351].

 

Celuy de la nuit du 25. au 26. fut de trois cens pas. On fit divers boyaux, qui au moyen de la Ligne à laquelle on continuoit de travailler le jour, devoient faire une troisiéme ligne paralelle. Il n’y eut que six Soldats de blessez. La Garnison ne fit pas un feu de plus de quatre ou cinq cens hommes. A la droite, la Baterie de vingt Pieces commença à tirer sur les dix heures du matin, & celle de la gauche tira une heure aprés. Les deux Bateries de Bombes tirerent en mesme temps. Elles estoient de douze Mortiers chacune, & l’on s’apperceut que le Canon commençoit à ruiner les Ouvrages, en voyant voler la poudre & les tuiles de toutes parts dans la Ville, ce qui y fit un fracas considerable. Sur les onze heures du matin, les Hautbois du Regiment du Roy donnerent dans la Tranchée une Serenade aux Dames de la Ville, dont quelques-unes vinrent sur le rempart pour les entendre. Pendant ce temps là on ne tira aucun coup, mais une heure aprés, nostre Canon commença à ronfler d’une grande force. Celuy de la Ville ne tira que quelques coups à boulet perdu depuis ce jour là. Un Gendarme estant assis, fut tué d’un boulet de Canon. Monseigneur alla à la Tranchée à deux heures aprés midy, avec Mr de Vauban. On apprit que les Bourgeois étoient partagez en deux factions, que l’une vouloit soutenir le Siege, & que la plus considerable estoit d’avis de se rendre, sans attendre le bouleversement de la Ville.