1691

Mercure galant, avril 1691 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1691 [tome 4].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, avril 1691 [tome 4]. §

Avis §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], [p. I-IV].

AVIS.

Quelques prieres qu’on ait faites jusqu’à present de bien écrire les noms de Famille employez dans les Memoires qu’on envoye pour ce Mercure, on ne laisse pas d’y manquer toûjours. Cela est cause qu’il y a de temps en temps quelques-uns de ces Memoires dont on ne se peut servir. On reïtere la mesme priere de bien écrire ces noms, en sorte qu’on ne s’y puisse tromper. On ne prend aucun argent pour les Memoires, & l’on employera tous les bons Ouvrages à leur tour, pourveu qu’ils ne desobligent personne, & qu’il n’y ait rien de licentieux. On prie seulement ceux qui les envoyent, & sur tout ceux qui n’écrivent que pour faire employer leurs noms dans l’article des Enigmes, d’affranchir leurs Lettres de port, s’ils veulent qu’on fasse ce qu’ils demandent. C’est fort peu de chose pour chaque particulier, & le tout ensemble est beaucoup pour un Libraire.

Le sieur Guerout qui debite presentement le Mercure, a rétably les choses de maniere qu’il est toûjours imprimé au commencement de chaque mois. Il avertit qu’à l’égard des Envois qui se font à la Campagne, il fera partir les paquets de ceux qui le chargeront de les envoyer avant que l’on commence à vendre icy le Mercure. Comme ces paquets seront plusieurs jours en chemin, Paris ne laissera pas d’avoir le Mercure long-temps avant qu’il soit arrivé dans les Villes éloignées, mais aussi les Villes ne le recevront pas si tard qu’elles faisoient auparavant. Ceux qui se le font envoyer par leurs Amis sans en charger ledit Guerout, s’exposent à le recevoir toûjours fort tard par deux raisons. La premiere, parce que ces Amis n’ont pas soin de le venir prendre si-tost qu’il est imprimé, outre qu’il le sera toujours quelques jours avant qu’on en fasse le debit ; & l’autre, que ne l’envoyant qu’aprés qu’ils l’ont leu, eux & quelques autres à qui ils le prestent, ils rejettent la faute du retardement sur le Libraire, en disant que la vente n’en a commencé que fort avant dans le mois. On évitera ce retardement par la voye dudit Sieur Guerout, puis qu’il se charge de faire les paquets luy-mesme & de les faire porter à la poste ou aux Messagers sans nul interest, tant pour les Particuliers que pour les Libraires de Province, qui luy auront donné leur adresse. Il fera la mesme chose generalement de tous les Livres nouveaux qu’on luy demandera, soit qu’il les debite, ou qu’ils appartiennent à d’autres Libraires, sans en prendre pour cela davantage que le prix fixé par les Libraires qui les vendront. Quand il se rencontrera qu’on demandera ces Livres à la fin du mois, il les joindra au Mercure, afin de n’en faire qu’un mesme paquet. Tout cela sera executé avec une exactitude dont on aura tout lieu d’estre content.

[De la manière de faire des louanges du Roi]* §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 7-10.

 

COMME l’homme est naturellement envieux du merite d’autruy, & qu’il n’en sçauroit entendre parler sans peine, rien n’est si suspect ny si fatiguant que les loüanges, pour ceux qui n’y prennent point de part. Si elles sont peu aimées, il faut demeurer d’accord que rarement elles sont dignes de l’estre. Combien de fois est-on obligé de repeter les mesmes choses, pour donner de l’encens à ceux que l’interest ou la politique engage à loüer, & combien de lieux communs sont mis en usage, qui peuvent estre également appliquez à differentes personnes ! Je croy, Madame, que vous serez de mon sentiment, & que vous approuverez que j’ose dire qu’il n’y a que ceux qui travaillent à la gloire de Sa Majesté, qui soient à couvert de ces inconveniens. Il est difficile de loüer les autres sans les loüer trop, & quand on entreprend de loüer le Roy, on ne sçauroit le loüer assez. L’abondance de ce que l’on trouve à dire embarasse dans le choix. Les pensées naissent en trop grand nombre pour pouvoir les mettre toutes dans leur jour ; & il n’y a point d’expressions assez fortes pour répondre à la grandeur d’une si noble matiere. On ne peut dire qu’elle ne soit pas nouvelle, & qu’il soit besoin, pour loüer ce Prince, de le comparer aux Alexandres & aux Cesars. Ce seroit oster beaucoup à sa gloire. Ces Conquerans, quelque renommez qu’ils soient, n’ont jamais vû tant de Puissances liguées contre l’élevation où ils estoient parvenus.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 37-38.

Les Vers qui suivent vous paroistront placez à propos, puis qu'ils ont esté faits sur le départ de Sa Majesté. Ils sont de Mr Marcel, & le fameux Mr d'Ambruis les a mis en air.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Louis vient de partir, &c. doit regarder la page 38.
LOUIS vient de partir, fiers Ennemis, tremblez ;
Déjà vous entendez l'éclat de son tonnerre.
Malgré vos Princes assemblez
Au cœur de vos Etats il va porter la guerre.
Rien ne peut arrester le cours
De sa valeur & de sa gloire ;
Et vous verrez voler sur ses pas la Victoire,
Le Ciel pour ses exploits avance les beaux jours.
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Sur le depart du Roy §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 38-40.

 

L’Auteur du Madrigal que vous allez lire a eu la mesme pensée, & l’a exprimée heureusement.

SUR LE DEPART
du Roy.

Des que Loüis le Grand eut formé le dessein
De se mettre en campagne,
Le vent cessa, l’air fut serein.
C’est ainsi que toujours le bonheur l’accompagne.
Plus de vents, plus de frimats,
Ces restes importuns de la saison facheuse
Ont abandonné nos climats,
Et pour rendre sa marche heureuse
Plus brillant une fois le Soleil se fait voir,
Sa chaleur se réveille,
Apollon remplit son devoir,
Et Mars promet Mons & merveille.

[Feste universelle à l'honneur de Louis le Grand en maniere de petit Opera] §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 40-57.

 

Voicy une maniere de petit Opera, que l'Auteur intitule La Feste universelle à l'honneur de LOUIS LE GRAND. Vous reconnoistrez en le lisant qu'il n'est pas indigne de vostre approbation.

MOMUS.

C'est en ce jour que l'amour nous fait voir
Que tout reconnoist son pouvoir.
Les Dieux reverent son empire,
Il tient Jupiter dans les fers ;
Pluton dans ses prisons soupire ;
Neptune brûle dans les mers.

LISIS.

D'où vient que depuis quelques jours
Je sens je ne sçay quoy qui me fait de la peine ?
Sans esperer aucun secours,
Par tout je suis Climene,
Je m'éloigne de nos hameaux,
Et mesme il faut que mes Troupeaux
Se joignent au troupeau de la belle inhumaine
S'ils pretendent que je les mene.

CLIMENE.

Ainsi, Berger, vous les défendrez tous
Des attaques des Loups ;
Je consens qu'ils paissent ensemble.
Allons dansez sous ces ormeaux,
Le Dieu qui nous assemble,
Aura le soin de nos troupeaux.

Le Choeur des Bergers repete les trois derniers Vers.

Allons, &c.

DEUX BERGERS.

Quel moyen de se défendre
Des caresses de l'amour ?
Il faut à la fin se rendre,
On doit aimer quelque jour ;
La Beauté qui cherche à prendre
Se trouve prise à son tour.
Quel moyen de se défendre
Des caresses de l'amour ?

DEUX BERGERES.

On ne perd rien pour attendre
Dans cet aimable sejour.
Suivons le chemin de tendre,
Ne cherchons aucun détour.
Un Amant peut tout pretendre,
Quand il sçait faire sa cour.

CHOEUR DE BERGERS.

On ne perd rien pour attendre, &c.

LISIS.

Quand une Beauté nous enchaine,
Q'elle nous fait sentir la douceur de ses coups,
On se laisse mener sans peine ;
La liberté n'a rien qui soit si doux.

CLIMENE.

Qu'on marche avec assurance
Quand le sort remplit nôtre espoir,
Quand le coeur suit l'obeissance,
Quand l'amour prévient le devoir !

CHEOUR DE BERGERS.

Jeunes Amans,
Que vos plaisirs seront charmans !
La tendresse
Qui vous presse
Vous fait paroistre les momens
De longs retardemens.

LISIS & CLIMENE.

Qu'on rie, qu'on chante, qu'on danse
Dans cet heureux jour ;
Que la joye augmente ;
Que tout se ressente
Des bienfaits de l'amour.

CALLIOPE.

On voit, lors qu'à l'amour on se laisse engager,
Que la flâme la plus belle
Devient à la fin mortelle ;
Evitez sagement un si cruel danger.

PAN.

Fuyons sa surprise,
Ses charmes, ses fers ;
Manquer de franchise,
C'est estre aux enfers.

URANIE.

Un Amant n'est guere sage,
Il s'estime malheureux
Si l'on méprise ses feux ;
Mais il l'est bien davantage
Quand on répond à ses voeux.

MELPOMENE.

Craignez, imprudente Jeunesse,
Gardez pour la vertu toute vostre tendresse.

CHOEUR DE BERGERS.

La vertu seroit farouche,
S'il n'estoit permis d'aimer ;
Un objet aimable touche,
Il a droit de nous charmer.

PAN.

Ce Sexe volage
Jamais ne s'engage
Que pour un moment,
Comme il se dégage
Sans sçavoir comment.

CALLIOPE.

Mettrons-nous en oubly les Arts les plus parfaits
Qui prestent à l'amour d'inévitables traits ?
On captive les coeurs par les vers d'Uranie.

URANIE.

La Musique sur tout par ses puissans accords
Charme les Immortels, les Vivans, & les Morts.
La rage cede à l'harmonie,
Sa douceur calme les fureurs,
Et l'on voit que la simphonie
Suspend les plus grandes douleurs.

MELPOMENE.

Il n'est rien que l'on n'enchante
Par les charmes de la voix,
Et la Lire est bien plus puissante
Que le Sceptre des plus grands Rois.

LES MUSES s'adressant à la Renommée qui survient, précédée par des Trompettes & des Hautbois.

Vous venez à propos, joignons-nous,
Le concert en sera plus doux.

LE CHOEUR.

Celebrons cette Feste,
Et que chacun s'apreste
A chanter tour à tour
La merveille des Arts, & celles de l'amour.

LA RENOMMÉE.

Que deviendroient ces Arts dans le siecle où nous sommes,
Si le plus grand des Rois,
Si le plus grand des hommes
Ne les faisoit fleurir ? Consacrons-luy nos voix.

SUIVANS DE LA RENOMMEE.

Publions à l'envy son éclatante gloire,
Traçons de ses hauts faits la memorable histoire ;
Leur nombre étonnera les siecles à venir,
Et bien loin de ne les pas croire,
Ils en conserveront toujours le souvenir.

DEUX FAUNES.

Dans l'horreur des combats ceux qui l'ont osé suivre,
L'ont veu cent fois en danger de perir ;
Mais celuy qui montre à bien vivre
Ne doit jamais mourir.

DEUX NIMPHES.

Des monstres infernaux il a vaincu la rage
Lorsque dans ses Etats il a détruit l'erreur ;
Des combats singuliers il a banny l'usage,
On n'entend plus parler d'une telle fureur.

NEPTUNE.

Je luy vois faire des miracles
Pour relever l'éclat d'un Trône renversé,
En vain un fier Tiran y forme des obstacles,
Il se verra bien-tost à son tour abaissé.
Il sera contraint de descendre,
L'imprudent court à son trépas ;
Si son crime a pû nous surprendre,
Sa fin ne nous surprendra pas.

TROUPE D'IRLANDOIS.

Que la foudre
Le reduise en poudre
Pour punir sa fureur.
Que la foudre
Le reduise en poudre
Pour soulager nostre douleur.

DEUX FRANÇOIS.

Que le Ciel en colere
L'accable de malheur,
Et que bientost Cerbere
Luy devore le coeur.

TROUPE D'IRLANDOIS.

Qu'il meure, qu'il perisse.

CHOEUR DE FRANÇOIS.

Que le Ciel punisse
Ce coeur inhumain.

TROUPE D'IRLANDOIS.

Qu'il meure, qu'il perisse.

TROUPE DE FRANÇOIS.

Il perira de nostre main.

UN IRLANDOIS.

Le Peuple d'Albion son Monarque abandonne.
Dans un triste sort quel sera son appuy ?
Il perd en un moment une triple couronne.

CHOEUR DE FRANÇOIS.

Non, non, il ne perd rien, LOUIS sera pour luy.

MOMUS

Moy qui trouve tout à redire,
Qui ne trouve rien de parfait,
Je me sens obligé de dire
Que des grandes vertus ce Prince est le portrait.
Ce Heros bien souvent aux dépens de sa gloire
Content de sa grandeur,
A fixé la Victoire,
Et retenu son coeur.
Son Etat par ses soins en delices abonde ;
On parlera de luy jusqu'à la fin du monde.

LE CHOEUR,

Il est heureux, pieux, & juste,
Et la victoire suit son Char.
Il n'est pas moins sage qu'Auguste,
Il est plus vaillant que Cesar.

LA RENOMÉE.

Que son nom vole
Plus viste qu'Eole
Par tout l'Univers.

SUIVANS DE LA RENOMMEE.

Que son nom vole
De l'un à l'autre Pole :
Qu'à son honneur on chante mille Vers.

CALLIOPE.

Nostre Parnasse,

CIBELE

Nos campagnes.

UNE DRUIDE.

Nos forests,

UNE NAYADE.

Nos Eaux,

UNE OREADE.

Nos Montagnes.

CHOEUR DE MUSES ET DE NIMPHES.

Retentissent toujours du bruit de ses exploits,
Il est plus Roy que tous les autres Rois.

LE CHOEUR.

Il est plus Roy que tous les autres Rois.
Sa grandeur n'a point de seconde,
Et nous défions le Soleil,
Luy qui fait tout le tour du monde,
De voir jamais rien de pareil.

DEUX FRANÇOIS.

Mars sur nos Ennemis fait tomber son tonnerre,
Il les confond, il les détruit,
Et cependant dans nostre terre
A peine en oyons-nous le bruit.
Sans quitter son Palais il gagne des Batailles.
Hollandois, Allemans, appaisez son couroux,
Tous vos Camps sont par luy remplis de funérailles.
Que ne fera-t'il pas s'il s'approche de vous ?
Mais un jeune Heros doit terminer l'affaire,
Si Louis faisoit tout, qu'auroit son Fils à faire ?
Ce Prince nous fait voir en signalant son bras,
Qu'il suit bien ses leçons, qu'il marche sur ses pas.

MERCURE,

Il est prest à partir suivy de la fortune,
Je viens de luy porter
Le Trident de Neptune,
Et le foudre de Jupiter.

CHOEUR.

Grand Prince, si le Ciel daigne exaucer nos voeux,
Tu jouïras d'un sort encore plus heureux,
Le bonheur te suivra dans la paix, dans la guerre ;
A cent Peuples divers tu donneras des loix,
Nous te verrons un jour le Maistre de la terre,
Tout l'Univers sera l'Empire des François.
Dieux, conservez ce grand Monarque,
Qu'il n'ait jamais que de beaux jours ;
Que jamais la cruelle Parque
N'en puisse interrompre le cours.

BACCUS.

Quoy, sans Bachus fait-on des Festes
Et celebre-t-on de LOUIS
Les hauts faits inouis ?
Mars ny l'Amour sans moy ne font point de conquestes,
Pour les Guerriers il faut du vin.

SILENE.

Beuvons sans fin
De ce nectar divin.
Que chacun s'enyvre,
Malheur à qui ne voudra suivre
Ce Dieu de pampre couronné,
Qui s'enyvra dés qu'il fut né.

BACCUS & SILENE.

Beuvons, chantons, vuidons les pots,
Pour boire à la santé du plus grand des Heros.

CHOEUR.

Prions les Immortels de nous donner la paix ;
Que le bruit des Canons, des Mousquets, des Trompettes
Fasse place aux Balets, aux Chansons, aux Musettes.

UN FRANÇOIS.

Ah, quand viendra ce temps avec tous ses attraits !

CHOEUR.

Il va rendre bien-tost nos desirs satisfaits.
Le siecle d'or qu'on vit sous le regne d'Auguste,
Va regner sous le Fils du Roy Louis le Juste ;
Nos lauriers produiront les Mirthes de la paix,
Pour ne secher jamais.

Le Hollandois dans la Barque de Caron. Dialogue §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 57-104.

 

Le Dialogue qui suit est tellement de saison, que je croy ne vous pouvoir rien envoyer qui soit plus capable de vous satisfaire. Si l’Auteur continuë à travailler sur cette matiere, ce qui seroit fort à souhaiter, je vous feray part de tous les Ouvrages qui partiront de sa Plume.

LE HOLLANDOIS
dans la Barque de Caron.
DIALOGUE.

CARON.

A Bord, à bord, à bord ; vite, Rameurs, à bord, la Barque s’enfonce, & nous allons tous perir. Malheureux Mercure, si jamais il t’arrive de m’amener des ames pesantes, j’iray te dénoncer à Minos, & je te feray condamner à tirer mes rames à perpetuité.

MERCURE.

Il faut que je sois né sous une Etoile bien maligne. J’ay de la peine autant que quatre, jamais Basque n’a tant couru que je fais. J’use chaque année plus de vingt paires d’ailes & autant de souliers, à conduire & reconduire les Ames, & il faut que je sois encore garant de leur pesanteur, comme si les Parques me les delivroient au poids. Sçache, Caron, que ces airs de Maistre que tu te donnes avec moy, ne peuvent m’accommoder. Retranche-les, je te prie, autrement.…

CARON.

Je n’ay que faire de tes contes, & il m’importe fort peu par qui soit exercée la commission dont tu es chargé. Je suis seur qu’elle ne sçauroit estre en de plus méchantes mains que les tiennes ; mais il n’est pas à present question de disputer ; il s’agit, ou de vuider ma Barque, ou d’y donner un si juste contrepoids, qu’elle ne panche pas plus d’un costé que d’autre. Prenons du sable sur ce rivage ; que chacun se mette en devoir d’en jetter dans la Barque, & qu’on ne cesse point que je ne le commande..…

MERCURE.

A quoy t’amuses-tu, Caron, avec ton contrepoids ? tu vas faire un beau chef-d’œuvre. Je me condamne de moy-mesme à tirer tes rames, si tu parviens jusqu’à la moitié du fleuve sans t’abismer. Fais autrement ; je viens d’appercevoir cette Ame pesante ; mets-la dehors, & vogue à ton aise, tu passeras bien sans contrepoids.

CARON.

Tes yeux sont sans doute meilleurs que les miens, car je ne la voy pas.

MERCURE.

Faut-il s’en étonner ? Tu es vieux, & je suis jeune ; tu es dans un lieu sombre, & sans lunettes, & j’en ay les meilleures du monde. Quand je crevay les yeux d’Argus, j’en arrachay une demy-douzaine que je garde en poche. En voicy deux dont je te fais present.

CARON.

Oh, que vois-je ? oh, la grosse masse d’Ame ! Pourquoy me l’avoir amenée ? Comment l’appelles-tu ?

MERCURE.

C’est l’Ame d’un Hollandois.

CARON.

Tu me rends-là de bons offices, Mercure. Tu peux te vanter que ce n’est point ta faute si je n’ay pas esté submergé. A la pareille, je prendray soin de te dépeindre à Pluton avec de si bonnes couleurs qu’il te traitera comme tu le merites. Ignores-tu les deffenses qu’il a faites de passer d’autres Ames que celles des hommes ? Asseurement celle-cy n’en est point une.

MERCURE.

Tout-beau, Caron, ta colere est mal fondée. Cette grosse Masse, telle que tu la vois est l’Ame d’un homme, mais à dire vray, plus materielle que les Ames ordinaires. Tu aurois donc esté dans une bien plus grande surprise, si tu l’avois veuë lors qu’elle sortit du corps qu’elle a animé. Il faut sçavoir combien je l’ay limée & rabotée pour la mettre en état de ne peser pas plus qu’une Ombre ; mais je n’ay osé y rien oster davantage, de crainte qu’en voulant la décharger de tout ce qu’elle avoit de materiel, je ne la reduississe à rien.

CARON.

Je commence à goûter le conseil que tu me donnois tout à l’heure de la laisser aller sur le rivage, & de l’abandonner au Temps, qui minant toutes choses imperceptiblement, en enlevera tout ce qu’elle a de terrestre beaucoup mieux que tes rabots & tes limes, & aprés cela nous la passerons.

MERCURE.

A propos de ce Hollandois, il me souvient, Caron mon vieil Amy, qu’autrefois nous fismes ensemble un petit voyage en l’autre monde, pour y voir ce qui se passoit sous le Soleil. Je voudrois que l’envie te prist à present d’y en faire un autre ; il ne sera pas long, & je ne te meneray qu’en Hollande, où tu verras ces gros Messieurs les Hollandois qui, toutes grosses que sont leurs ames, ont des corps qui les surpassent encore de beaucoup en grosseur.

CARON.

Ce seroit faire un hardy coup que de laisser ainsi les Ames & la Barque à l’abandon ; tu sçais bien que ny toy ny moy, n’avons point de temps de reste. Cependant sur la parole que tu me donnes, que ce voyage ne sera pas de durée, j’y consens, partons. Mais à qui laisserons-nous ma Barque à gouverner ?

MERCURE.

Je vois là un homme qui sera ton affaire. Eh ! Duquesne, à moy, mon cher. Passe deçà, nous avons besoin de toy. C’est un bon Compagnon, qui en son temps a veu de fort prés les Hollandois, & leur a souvent fait peur. Je te répons de luy, c’est un François ; il te sera fidelle.

CARON.

Malepeste, comme tu voles ! j’ay peine à te suivre. Je vois le jour, & il faut que nous soyons déja sur la Terre.

MERCURE.

Oüy, nous y sommes ; tiens toy bien, & fais ce que je te diray. A nostre premier voyage nous entassames Montagnes sur Montagnes, & nous nous mismes au sommet pour mieux découvrir ; mais il ne s’en trouve point icy, ce qui m’embarasse un peu. Attens ; voicy un expedient tout trouvé. Vivent les esprits inventifs.

CARON.

Que voy-je-là, Mercure ? Il me semble appercevoir des Barques comme la mienne. Je croyois estre le seul Nautonnier que les Dieux eussent créé.

MERCURE.

Tu t’es trompé. Voicy des Barques en assez bonne quantité, & beaucoup plus grandes que la tienne. Vois-tu cette forest de mats ? c’est le Port d’Amsterdam, Ville Capitale de la Hollande. Choisi le plus haut de ces mats, & grimpe dessus. Je vais me mettre sur un autre tout prés, d’où je satisferay à ta curiosité. Prens tes yeux d’Argus.

CARON.

Pourquoy tant de Barques ? à quel usage sont elles employées ?

MERCURE.

Ce que tu nommes Barques, ils les appellent Vaisseaux ou Navires, & ils s’en servent pour courir d’un bout du Monde à l’autre.

CARON.

Qu’est ce que cette grosse machine de pierres que je vois à ma droite ?

MERCURE.

C’est l’Hôtel de Ville, qui a couté des sommes immenses à bastir.

CARON.

A quoy bon tous ces cordages, ces mats & ces anchres, que je vois sur le rivage à ma gauche ?

MERCURE.

C’est ce qu’ils appellent le Magazin des Indes. Il est remply de richesses, & contient de quoy équiper un nombre infiny de Navires.

CARON.

Et ces manieres de Colosses qui vont & viennent le long du Port, à quoy servent-ils ? Où sont donc les hommes ?

MERCURE.

Ces mesmes Colosses que tu vois sont ce que l’on appelle les Hollandois, & c’est de ces gros corps que sortent ces grosses Ames dont une seule a manqué de faire enfoncer ta Barque.

CARON.

Par Pluton, je ne me serois jamais imaginé que ce fussent là des hommes. Je les prenois pour des Elephans, ces Animaux monstrueux, dont j’ay oüy dire tant de merveilles à Alexandre, à Porus, & aux autres qui nous sont venus des Indes. Mais peut-estre m’en imposes-tu, & il me souvient qu’à nôtre premier voyage, ce que tu me faisois passer pour des hommes n’estoit pas plus gros que des fourmis.

MERCURE.

Ta remarque est bonne, & pourtant je ne te trompe pas ; mais la cause de ton erreur vient de ce que la premiere fois tu regardois les hommes de loin & sans lunettes, & icy tu les vois de prés, & avec des yeux d’Argus. Il faut seulement convenir que les premiers, tout gros qu’ils estoient, l’estoient pourtant beaucoup moins que ceux-cy, qui vivant dans des lieux de marécages, n’ont qu’un sang grossier qui rend leurs corps de mesme trempe.

CARON.

Laissons-là leurs corps, & voyons-les par l’esprit. Aussi bien n’y a-t-il que par cet endroit-là qu’ils sont soumis à ma Jurisdiction. Dis-moy donc à quoy s’occupent les esprits des Hollandois.

MERCURE.

Ce sont de bonnes gens, dont toute l’ambition se termine à commercer tranquillement. Pourveu qu’ils ayent la paix de ce costé là, ils sont contens, & on ne les voit guere inquieter ceux de leurs voisins qui leur laissent la liberté du trafic.

CARON.

Je les aime d’estre de cette humeur, & je leur seray le plus favorable que je pourray, à la seureté de ma Barque prés. Ils ne sont pas responsables de ce que les Dieux n’ont pas jugé à propos de subtiliser davantage leurs esprits. Je t’assure que quand celuy que nous avons laissé sur le rivage se sera dématerialisé, je le passeray du meilleur de mon cœur, & le placeray dans un endroit des plus commodes & des plus honorables de ma Barque.

MERCURE.

Ecoute, Caron, cela va bien, mais ils ont un defaut qui leur porte plus de préjudice que tous leurs Ennemis les plus animez ne sçauroient faire. Ils prennent trop facilement la mouche, & ont ombrage de rien. Ils ont quatre voisins tres-puissans dont ils se défient ; & un entre autres qui leur est si suspect, qu’à la moindre démarche qu’ils luy voyent faire, ils remuent contre luy le Ciel & la terre, quoy qu’il ne songe point à leur nuire ; car il les regarde comme les Eleves de ses Ancestres, & les siens mesmes, & il est ravi de les voir dans la prosperité : mais quand il les voit entrer en défiance de luy, il commence par les rassurer, & s’ils refusent d’ajoûter foy aux protestations d’amitié qu’il leur fait faire, & qu’ils continuent à cabaler contre luy, c’est alors qu’il les châtie ; aprés quoy il leur redonne la paix.

CARON.

Tu me fais plaisir de m’instruire si bien ; mais nomme-moy leurs Voisins, & sur tout celuy qui leur est si suspect.

MERCURE.

Les trois premiers sont les Allemans, les Espagnols, & les Anglois ; & le quatriéme dont ils ont tant de défiance, c’est l’Empereur des François.

CARON.

Toutes ces Nations me sont connuës, & je passe tous les jours des gens de leurs quartiers. Je me divertis mesme souvent à les entendre raisonner, & je ris sous cape quand ils disent qu’ils sont morts pour la querelle du Prince d’Orange, comme si ce Prince d’Orange, formé de bouë comme eux, valoit la peine qu’ils s’interessassent à sa querelle jusqu’à se faire égorger pour la défendre. Mais qui est donc ce Prince d’Orange ? On ne parle que de luy dans ma Barque. Les uns disent, je suis mort de faim & de misere en Irlande, où j’estois au service du Prince d’Orange. Un autre dit, j’y estois aussi, & j’y ay esté tué, parce que j’estois dans un parti contraire à celuy du Prince d’Orange. D’autres sont morts sur mer, à Fleurus, à Staffarde, & tous dans la guerre allumée dans l’Europe, pour soutenir, ou pour faire avorter l’entreprise du Prince d’Orange. Dy moy qui il est.

MERCURE.

Le Prince d’Orange est un ambitieux qui passant sur toutes les loix de la Nature & de l’honneur les plus inviolables, est allé détrôner le Roy des Anglois, son Oncle & son Beaupere ; & cela, à l’aide de ces Hollandois que tu vois devant toy.

CARON.

Tu me les dépeignois si paisibles. Pourquoy donc ont-ils contribué à cette guerre, qui ne sçauroit se faire sans détruire leur commerce, qui, à t’entendre parler, est leur Idole ?

MERCURE.

C’a esté par une inspiration de leur mauvais genie, & de cet esprit de défiance qui les gouverne. Ils se sont imaginé que le Roy de France vouloit se rendre maistre de leur liberté & de leur commerce. Ils ont eu le mesme soupçon du Prince d’Orange, qui vivoit chez eux à leurs gages, & en qualité de Lieutenant General de leur Etat. Pour éviter donc de tomber sous la domination de l’un & de l’autre, ils ont mis celuy-cy hors de leur Pays, en luy aidant à conquerir un Royaume ; & quant au Roy de France, ils luy ont attiré sur les bras une des plus fortes guerres qui se soient jamais veuës, & qui te donnera bien de l’exercice.

CARON.

Qu’est-il arrivé de là ? Je m’assure que cette politique leur a acquis une paix profonde, & une assurance entiere que leur commerce ne sera point troublé.

MERCURE.

C’estoit là sans doute leur veuë, Caron, & c’estoit-là le plausible de leur dessein ; mais de bonne foy, sont-ce là les moyens qu’il falloit employer pour y parvenir, & pour peu que leurs esprits, qu’avec raison tu trouves si pesans, eussent esté plus subtils, n’eussent-ils pas reconnu facilement que cette entreprise causeroit leur perte ?

CARON.

Explique-moy ce que tu veux dire. Je ne suis pas assez informé de la situation où sont leurs affaires, pour concevoir ton raisonnement.

MERCURE.

Il faut que tu sçaches que le Roy de France qui leur estoit suspect, ne devoit pas estre soupçonné d’en vouloir à leur liberté. Ce Prince a des Etats assez vastes & assez riches pour s’en contenter. Il y a une barriere entre eux & luy tres-difficile à rompre. C’est un enchaînement de Villes fortes qu’on ne sçauroit prendre sans répandre beaucoup de sang, & on sçait que ce Prince ménage le plus qu’il peut celuy de ses Sujets. D’ailleurs, le Pays qu’ils occupent ne vaut pas la peine qu’on souhaite en estre Maistre. Il est disposé de telle maniere, qu’il ne peut estre conservé, ny habité que par eux, & par consequent il n’invite guere à le conquerir. Si l’on joint à cela que le commerce que ses Sujets font avec eux, sans courir les risques d’une longue navigation, luy rapporte presque autant d’avantage que s’ils étoient ses Tributaires, on jugera aisément que ce grand Roy, qui avoit de la gloire de reste, & qui ne songeoit qu’à joüir des fruits de la paix qu’il avoit procurée à son Peuple & donnée à ses Voisins, ne devoit pas estre soupçonné de leur en vouloir. Il n’en est pas ainsi du Prince d’Orange ; il n’est que trop évident qu’il songeoit à se les assujettir, & je ne sçay s’il n’en viendra point à bout. Voicy comment ils ont raisonné à son égard. Le Prince d’Orange ayant trouvé à propos de leur découvrir le dessein qu’il avoit fait de détrôner son Beaupere, ils appuyerent sa resolution, & la fortifierent par les sommes qu’ils luy donnerent & qu’ils luy promirent, & par des secours de Vaisseaux & d’hommes. Ils firent cela pour se défaire d’un Prince dont l’ambition démesurée leur estoit connuë, & qu’ils sçavoient qui vouloit regner à quelque prix que ce fust. Ils avoient sujet de craindre que ce ne fust chez eux, parce qu’il n’est pas aisé d’enlever des Etats entiers à des Souverains, au lieu qu’il pouvoit plus facilement se rendre Maistre des leurs, puis qu’il en avoit déja les forces à son commandement, & qu’il s’estoit fait des Creatures dans les Etats qui les sacrifioient, ou par la crainte d’être immolez, ou par interest. Ainsi, comme il estoit Maistre des Troupes & des Magistrats, leur liberté alloit expirer, & ils crurent en luy donnant tout ce qu’il falloit pour le chasser, qu’ils en tireroient un double avantage ; premierement en ce que ce Prince s’éloigneroit d’eux, & les delivreroit des frayeurs continuelles que son ambition leur causoit ; & en second lieu, en ce qu’il viendroit à leur secours toutes les fois qu’on voudroit les inquieter. Voilà, comme je te l’ay fait déja observer, le plausible de leur raisonnement, & voicy en quoy ils ont tres-grossierement erré. Ils pensoient conserver par là leur commerce, & ils ne faisoient pas reflexion que pour soutenir cette entreprise il faudroit faire une guerre qui l’interrompt considerablement. Ils esperoient se delivrer du Prince d’Orange, & ils ne faisoient pas attention sur son genie, qui le porte à prendre de l’argent de toutes mains. Ils pensoient mettre leur liberté à couvert, & ce Prince la tient actuellement opprimée. Il se servira de l’argent des Hollandois pour subjuguer l’Angleterre, & ensuite il se servira de l’argent des Anglois & de leurs Troupes pour subjuguer la Hollande. Ceux-cy contribueront volontiers de leur bourse & de leurs forces pour cette expedition, afin d’estre Maistres du commerce dans tous les lieux où il leur est disputé par les Hollandois. Ainsi il n’y a que la France qui puisse empêcher que leur liberté ne soit opprimée.

CARON.

Je vois bien par tout ce que tu me dis, que la Republique ne subsiste plus.

MERCURE.

Si l’on s’en tient simplement aux noms, la Republique subsiste encore ; car tout se passe au nom des Etats, mais si l’on considere l’essentiel, il est constant qu’il n’y a plus de Republique, puis qu’aucune resolution ne s’y prend qu’aprés avoir esté dictée par le Prince d’Orange. C’est luy qui dispose des Charges de Guerre & de Magistrature. C’est luy qui regle le départ des Vaisseaux, & je le regarde comme le veritable Souverain de la Hollande. Il est actuellement à la teste de leur Armée de Terre, où il les flatte d’aller faire lever le Siege de Mons, que le Roy de France assiege en personne avec une Armée formidable. Quant à leur Armée de Mer, il la va joindre à la flotte Angloise par qui il la fera ruiner, persuadé que plus les Hollandois seront foibles, plus il aura de facilité à les reduire.

CARON.

Si cela est, adieu la liberté de la Hollande. Il y a grande apparence que le Prince d’Orange s’en fera hautement declarer le Souverain. Quelle pitié d’avoir si peu d’esprit, & des Ames si peu clairvoyantes ! En verité, j’ay de la compassion pour eux, & ces bonnes grosses gens me font de la peine dans le danger que je leur voy courir. Je ne verray qu’avec un grand déplaisir que des gens de ma profession, & qui sont en quelque façon mes Camarades, soient reduits à l’esclavage. Si tu sçavois quelque moyen de les en garantir, tu m’obligerois de leur donner tes conseils. Songe, mon cher Mercure, & dis-moy ce qui te vient dans l’esprit. Quelquefois les premieres pensées sont les meilleures.

MERCURE.

J’en ay une plaisante. Tu en penseras ce qu’il te plaira, je vais te la dire. Ce qui donne la hardiesse au Prince d’Orange de songer à assujettir les Hollandois, c’est le grand pouvoir où il est, & l’esperance dont il se flatte de détruire tout à fait l’autorité du Roy son beaupere en Irlande, qui est le seul de ses Royaumes où ce Monarque soit encore reconnu. Ils n’ont qu’à retrancher l’argent qu’ils luy donnent avec profusion, car n’ayant rien ou peu de chose de son fond, il sera moins en estat d’entreprendre sur eux, & si par hazard il arrive que la populace Angloise, qui ne regarde pas plus loin que son nez, soit assez mal conseillée pour suppléer à leur deffaut, & luy en fournir autant qu’il en demandera, qu’ils en fassent tenir sous-main au Roy qu’il a détrôné. Guerre pour Guerre, il vaut mieux encore pour eux qu’elle se fasse en Irlande à forces égales entre ces deux Princes, que dans leur Pays entre le Prince d’Orange & eux, puis que tost ou tard il faudra qu’ils rompent avec luy.

CARON.

J’approuverois assez ta politique, qui ne me paroist pas à mépriser ; car enfin tandis que le Prince d’Orange sera occupé en Irlande de bonne maniere, les Hollandois peuvent s’assurer qu’il les laissera en repos. Je veux mesme encherir sur ton conseil, & leur faire observer qu’à moins d’estre absolument insensez, ils doivent luy oster le commandement de leur Armée de terre, (car asseurement il la ruinera) & la mettre dans les mains d’un Chef, bon Republiquain, qui ne soit pas dans la dépendance de ce Prince, & qui ne suive que leurs volontez ; & comme d’ailleurs leur grand interest n’est point d’attaquer le Roy de France, qui est trop fort pour eux, ils doivent retenir leurs Troupes sur leurs Frontieres, afin de voir où crevera le grand orage, & les tenir prestes à tout évenement, estant certain que la prise de Mons aura de terribles suites. Ils doivent faire la mesme chose de leur Armée de Mer, la tenir sur leurs costes, montrer les dents à quiconque voudra les y insulter, & n’envoyer aucuns Vaisseaux au large, que ceux qui doivent servir d’escorte à leurs Navires Marchands, qui pourront de cette sorte voguer en asseurance vers les quatre coins du Monde.

MERCURE

Ils peuvent mesme s’épargner la dépense que leur couteront ces deux Armées, s’ils veulent recourir à la clemence du Roy de France. Je suis comme assuré qu’il leur accordera encore une paix particuliere, & qu’il aimera autant tourner le fort de ses armes contre les Anglois rebelles, les Espagnols, les Savoyards & les Allemans, qui l’ont plus irrité qu’eux, que de les réduire par le refus de la paix, à rester ses Ennemis malgré qu’ils en ayent.

CARON.

Tout ce que nous venons de dire, ne sçauroit que leur estre avantageux, s’ils sont gens à faire d’utiles reflexions. Mais comment prendront-ils cette resolution, s’ils n’ont personne qui la leur inspire ?

MERCURE.

S’il ne tient qu’à leur apprendre les choses, cela ne sera pas difficile, & tu vas le voir à l’œil. Considere bien cette Place quarrée qui est devant nous. Il y a de grandes Galeries qui regnent autour, & qui aussi-bien que cette Place, fourmillent de monde. C’est ce qu’on appelle la Bourse, où à l’heure de midy s’assemblent tous les Negocians de cette grande Ville. Je vais me poster au milieu, & crier à pleine teste. Le salut de la Hollande dépend de trois choses ; premierement, d’ôter le commandement de l’Armée des Etats au Prince d’Orange, & de le donner à un homme affectionné à la Republique ; secondement, de se rendre maistre de ce Prince tandis qu’on le tient dans le Pays, ou tout au moins de ne luy plus donner aucun argent ; troisiémement, de faire une paix particuliere avec la France. C’est Mercure, le Dieu de la prudence, qui est venu vous l’annoncer luy-mesme.

CARON.

J’ay oüy distinctement tout ce que tu as dit ; nous n’avons plus que faire icy, retirons-nous. Dieux, qu’il fait froid à la pointe de ce mats ! Adieu, la Hollande & les Hollandois, profitez de nostre visite.

Le Corbeau §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 136-145.

 

Je viens à une Fable, à laquelle le départ du Roy pour Mons a donné lieu.

LE CORBEAU.

Un jour un malheureux Corbeau
Montroit de tous costez la peau,
Et n’avoit guere plus de plume
Qu’une Grenoüille au bord de l’eau.
Cependant le grand froid l’enrume.
Il estoit en pays des plus marécageux,
Ce qui l’avoit pourveu d’un rume dangereux,
Dont il ne respiroit qu’à peine.
Voilà bien des maux à la fois ;
Malgré pourtant sa courte haleine,
Comme la faim chasse du bois
Le Loup qu’elle met aux abois.
Ainsi nostre Corbeau, quoy qu’il eust foible voix,
La fit pourtant par tout retentir dans la plaine.
Ses lugubres croassemens
Qu’il reitere à tous momens,
Attirent les Oiseaux ; jusques au plus farouche,
Il n’en est point que la pitié ne touche,
Et tous viennent autour de luy
Le consoler dans son ennuy.
Mes Compagnons, dit-il, regardez ma misere,
Voyez au froid qu’il fait ma grande nudité,
Et faites-moy la charité,
Tout le monde voit mon derriere.
Chacun de ce discours fut touché vivement,
Et d’un commun consentement,
Tous les Oiseaux se cottiserent,
Tous une plume boursillerent,
Pour vestir le pauvre Corbeau ;
Il trouva l’habit chaud, & mesme il estoit beau.
Le brillant des couleurs, le different plumage,
Luy parut d’un riche assemblage
Par sa rare diversité.
Il en eut de la vanité.
Jusqu’à l’Aigle, à son gré déja rien ne l’égale,
Il en devient plus fier qu’un Roy des Ostrogots,
Et plus que n’estoit Bucephale,
Quand le Grand Alexandre estoit dessus son dos.
Quoy qu’il ne fust qu’Oiseau de bale,
Aprés avoir fait le plaintif,
Il prit un air imperatif.
L’Assemblée admirant sa beauté surprenante,
Enfla son humeur arrogante.
Jusqu’à l’Oiseau du Paradis,
On n’entendit plus que les cris
De serviteur & de servante
A l’illustre Monsieur Corbeau,
Des habitans des airs le plus grand, le plus beau ;
Chacun ainsi le complimente,
Achevant de gâter son debile cerveau.
Aussi tost il forma le dessein temeraire
De se faire Roy des Oiseaux,
Et pour l’executer il jugea necessaire
De se placer d’abord au Trône des Corbeaux.
Il proposa le cas à cette volatile,
Qui l’avoit si bien revêtu,
Et prenant un air fier, & tranchant de l’habile
Il sceut par ce moyen se la rendre facile,
Et la presomption luy tint lieu de vertu.
En mesme temps les Corbeaux s’assemblerent,
Tinrent conseil, & par luy se flaterent
De mille avantages nouveaux.
L’Aspirant leur promit des choses admirables,
Le rouge, vert & bleu, charma ces noirs Oiseaux,
Et tous à ses propos s’estant rendus traitables,
Il fut, pour trancher court, élû Roy des Corbeaux,
Choüettes, Chatshuants, & pareils Animaux.
On le proclama tel par des cris effroyables
Et d’horribles croassemens,
Qui pour tous ces Oiseaux ayant des sons charmans,
Leur parurent fine musique.
Chacun d’eux saluant sa Majesté Corbique,
De ses respects sçeut l’assurer.
L’Aigle y vint, sans considerer,
Qu’il renonçoit à son Empire.
C’estoit bien faire le butor ;
Sous cape le Corbeau s’en étouffoit de rire ;
Mais ces lâches Oiseaux firent bien pis encor.
Tous, sans exception, se firent une gloire
De porter plumes de Corbeau,
Honneur, sans doute, fort nouveau,
Dans toute l’Oiseliere histoire,
Que les Oiseaux futurs ne pourront jamais croire.
Sire Corbeau qui se laisse charmer
De la soumission que chacun d’eux luy jure,
Prit la peine de déplumer
Ses Sujets de noire figure,
Et les plus beaux Oiseaux en firent leur parure.
Enfin il n’estoit plus, grand, ny petit Oiseau,
Qui se crust du bon air sans plumes de Corbeau.
Nostre Corbeau par là se flatoit en luy-mesme
De parvenir dans l’air à la grandeur suprême,
Et ce fut en effet une grandeur en l’air,
Qui disparut comme un éclair.
Tandis qu’il s’en faisoit accroire davantage,
Qu’il faisoit plus l’Olibrius,
Un Coq d’un genereux courage
Se jetta tout d’un coup dessus,
Et du bec & des pieds, mettant tout en usage,
Le rendit nud comme il appartenoit,
En dépit des Corbeaux & l’effort inutile
De cette Troupe volatile,
Qui de son mieux le soutenoit.
A son dam cependant le combat se donnoit.
Le Coq seul contre tous de tous costez les charge,
Et seul il les terrasse tous,
De mainte plume il les décharge,
Et puis reprenant un air doux ;
Allez, dit-il, je vous pardonne,
Vous ne meritez pas que je sois en couroux,
Recevez le pardon que ma bonté vous donne,
Connoissez vostre faute, & n’y retombez plus.
A ces coups, à ces mots les Oiseaux tout confus
Les yeux baissez & gardant le silence,
Reconnurent du Coq la force & la puissance,
Et qu’il meritoit beaucoup mieux
De regner à jamais sur eux,
Et de porter leur Diadême,
Que le Corbeau, que l’Aigle même.
***
Belle Leçon pour ceux, dont le superbe esprit
N’apprend jamais à se connoistre ;
Qui de l’ambition ne se rend point le Maistre,
Tost ou tard par elle perit.
La vanité conduit au precipice,
Qui de toutes parts est ouvert,
Ceux qui sans consulter ny raison, ny justice,
Ne veulent croire qu’eux sur l’orgueil qui les perd.

[Tenebres] §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 148-149.

 

A l'égard de l'Office de la Semaine Sainte, que l'on appelle Tenebres, la vois de Madame Cheret a esté admirée à l'Assomption, comme dans les années précédentes. Aussi peut-on dire que cette voix y attire seule autant de monde que pourroient faire des Tenebres toutes en Musique. Celle de Mr Charpentier a paru admirable, & a fait augmenter de plus en plus les Assemblées qui se sont trouvées dans l'Eglise du College de Loüis le Grand, pour entendre les Tenebres qu'on y a chantées les trois jours accoutumez. Cette Musique a fait d'autant plus d'impression, qu'elle exprimoit parfaitement le sujet des paroles qu'on chantoit, & qu'elle en faisoit comprendre la force.

[M. de Fontenelle est élû Académicien à la place de feu M. de Villayer] §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 155-159.

 

La mort de Mr de Villayer, Doyen du Conseil d’Estat du Roy, ayant fait vaquer une Place dans l’Academie Françoise, cette illustre Compagnie s’assembla le Lundy 2. de ce mois, pour la proposition d’un Sujet qui meritast d’être receu dans son Corps. Elle rendit justice à Mr de Fontenelle, en le jugeant digne de cet honneur, quand on auroit sceu, selon la Coustume, si sa personne seroit agreable au Roy. Mr Roze, President à la Chambre des Comptes, & Secretaire du Cabinet, qui estoit alors au Siege de Mons auprés de Sa Majesté, fut prié par la Compagnie dont il est un digne membre, de prendre son temps pour sçavoir d’Elle, s’il luy plaisoit que l’on procedast au second Scrutin. La prise de cette importante Place ayant donné lieu à Mr Rose de dire au Roy que c’estoit une belle matiere pour l’Academie, luy facilita l’Audience qu’il avoit à demander. Cet Auguste Protecteur de cette celebre Compagnie, ayant esté informé par luy du merite de Mr de Fontenelle, dont on luy avoit déja rendu d’heureux témoignages, agréa que l’on fist tomber sur luy l’élection que l’on devoit faire ; & le Lundy 23. on fit le second Scrutin, où il eut tous les suffrages, pour remplir la place vacante. Sa reception se fera au commencement du mois prochain & comme elle doit estre publique, j’auray soin de vous apprendre ce qui s’y sera passé.

Le Roy a esté si satisfait de la maniere dont Mr le Duc de Noailles s’est acquitté du Commandement de son Armée en Catalogue, pendant les deux dernieres Campagnes, que Sa Majesté luy a continué cette année le mesme Commandement. Ce Duc partit le 16. de ce mois, pour se rendre à la teste des Troupes, qui seront ravies de revoir un General, sous les ordres duquel elles aiment à combatre, & qui joint à beaucoup de valeur & d’intelligence dans le Mestier de la Guerre, une douceur & une bonté qui les charment, & qui leur feroit affronter toutes sortes de perils, si elles n’étoient déja portées à le faire pour le service d’un Monarque, qui fait les délices de tous ses Sujets.

[Prieres faites pour le Roy par diver Corps] §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 159-162.

 

Le 29. du mois passé, les Commissaires-Contrôleurs-Mouleur de bois, & autres Officiers sur le bois, voulant témoigner le zele qu'ils ont pour le Roy, firent chanter une Messe solemnelle, pour la conservation de sa personne sacrée & pour la prospérité de ses armes, dans l'Eglise du Saint Esprit, à l'imitation de Mrs les Prevost des Marchands & Echevins de Paris, qui s'estoient acquittez de devoir dans la mesme Eglise ; & le Mardy 3. de ce mois, les Marchands Maistres Ouvriers en draps d'or, d'argent & de foye d'établissement Royal, firent faire la mesme solemnité dans l'Eglise des Peres Benedictins de la Congregation de S. Maur, dits Blan-Manteaux, où ils ont depuis longtemps étably leur Confrairie. La Messe fut précédée de l'hymne Veni Creator, & suivie du Pseaume Exaudiat, qui furent chantez alternativement par les Religieux & par l'Orgue. Tous leurs Officiers en charge y assisterent en corps, & donnerent tous dans cette occasion des marques de leur piété. Le luminaire & les Ornemens estoient les blus beaux que ces religieux ayent coutume d'employer dans les Festes les plus solemnelles ; & non seulement ils joignirent leurs Sacrifices aux prieres de cette Compagnie, dont ils voulurent seconder le zele, mais ils ont celebré plusieurs Messes en leur particulier, pour demander à Dieu ses graces & sa protection pour le Roy, tant qu'a duré le Siege de Mons.

[Médaille frappée sur la victoire de l’armée navale de Sa Majesté]* §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 162-164.

 

Quoy que je vous aye déja envoyé une Médaille frappée sur la Victoire que l’Armée Navale de Sa Majesté remporta l’Esté dernier sur les Flotes d’Angleterre & de Hollande jointes ensemble, je vous en envoye aujourd’huy encore une sur le même sujet. Je sçay bien qu’on ne peut parler aussi long-temps qu’on devroit des glorieux avantages que ses Armées remportent de tous costez, puis qu’ils sont en si grand nombre & si frequens, que si les derniers ne font pas oublier les premiers, ils font du moins que l’on cesse pour un temps d’en parler, afin de s’entretenir de ce qu’il y a de plus nouveau. Cependant je croy que vous ne serez pas surprise que je revienne à la Bataille Navale, lors que la prise de Mons, & celle de Villefranche & de Nice font l’entretien de toute l’Europe.

Voicy les noms des Personnes considerables que nous avons perduës depuis environ un mois.

Vers libres, imitez & chantez sur des airs des Opera de Roland & d'Armide §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 204-207.

 

VERS LIBRES,
Imitez & chantez sur des airs
des Opera de Roland
& d'Armide

Du plus grand de nos Rois celebrons la Conqueste,
Les faits éclatans & gueriers.
Cueillons à foison des lauriers,
Et soyons des premiers à couronner sa teste.
***
Faisons entendre en mille lieux,
Qu'à ce Heros tout est possible ;
Faisons entendre en mille lieux,
Que son regne est tout glorieux.
***
A sa rare valeur rien n'est inaccessible,
Et par tout elle est invincible,
Quand la gloire s'offre à ses yeux.
***
Tandis qu'en vains projets la Ligue est occupée,
Que pour armer elle atend le Printemps,
Impatient d'exercer son épée,
Ce conquérant la tient prête en tout temps.
De ses desseins secrets il cache l'importance,
Et prevenant ses Ennemis,
Il va jusque chez eux affronter leur Puissance,
De leurs Remparts forcer la resistance,
Et montrer qu'à son bras tout doit estre soumis.
***
Triomphez malgré l'envie,
Triomphez, ô Puissant Roy,
On vit heureux sous vostre Loy.
Et par vos soins l'erreur en est bannie,
Triomphez malgré l'envie,
Triomphez, ô Puissant Roy.
***
Quand vous courez aux armes,
Vous causez mille allarmes.
On sçait combien pesent vos coups,
Et ce que peut vostre couroux.
Quand vous courez aux armes,
Vous causez mille allarmes.
***
Les Lys sont la tige feconde
Du plus beau Sang du Monde.
C'est d'eux que sortent des Cesars,
Dont la force & le nom sont craints de toutes parts.
***
Cassel & Philisbourg les ont veus intrepides,
A Mons ils ont par tout affronté le danger,
Et déjà de jeunes Alcides
S'empressent de les suivre, & de le partager.

[Journal de ce qui s’est passé à la prise de cinq Places, que les Troupes du Roy viennent d’emporter en Italie] §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 221-262 [extrait p. 250-252].

 

Le 2. le feu continua jusques à trois heures aprés midy. Les Ennemis battirent pourtant la chamade à midy sur les Bastions, mais les nostres estoient tellement échauffez à tirer, qu’ils continuerent jusques à l’heure que je viens de vous marquer, sans s’en appercevoir. Les Assiegez croyant n’estre pas entendus, firent redoubler le nombre de leurs Tambours, & il en parut jusques à douze qui battirent de toute leur force pour se faire entendre, & tous les Soldats de la Garnison crierent, Vive le Roy, en jettant leurs chapeaux en l’air. Ils arborerent un Drapeau blanc, & Mr de Catinat fit cesser le feu : mais il ordonna qu’on se tinst toujours en garde, ne pouvant s’imaginer qu’une si forte Place, & d’une si grande importance, pust se rendre en cinq jours de Tranchée ouverte, ce qui luy faisoit apprehender quelque surprise. Les Ennemis laisserent tomber un billet, par lequel ils demanderent deux heures pour parler d’affaires. On envoya des Ostages, & la Capitulation fut quelque temps à conclurre, parce que le Gouverneur demanda des choses qui ne luy furent pas accordées. Voicy les Articles dont on convint.

[Suite du Journal du Siege de Mons] §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 263-339 [extrait p. 335-336].

 

[...] Le 11, le Roy fit le tour des remparts [de Mons], où il se trouva un nombre considerable de Canons ; mais avec de méchants affuts. Le Magazin des Poudres estoit assez bien garny. Les Religieuses de l'Abbaye où le Roy a logé, ayant demandé avec de grandes instances à voir Sa Majesté, on les fit venir du lieu ou elles estoient retirées. Elles chanterent aussi tost le Te Deum, & le Domine salvum fac regem, & sa Majesté leur fit de grandes liberalitez. [...]

[Retour du Roy, son sejour à Compiegne, avec les rejouissances faites à Paris] §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 339-344.

 

Le Roy ayant donné ses ordres à l'égard de Mons & de ses Troupes, partit du Camp le 12. de ce mois, & ayant couché ce jour-là au Quesnoy, & le lendemain à S Quentin, il arriva le 14. à Compiegne, où il séjourna le jour de Pasques. Sa Majesté, pour solemniser cette grande Feste, quoy qu'Elle se reservast à faire ses devotions le Dimanche suivant à Versailles, alla le matin entendre la grande Messe à la Paroisse de Saint Jacques, qui est celle du Chasteau. Monsieur communia à une basse, de la main d'un Aumônier. L'aprésdînée, Sa Majesté qui avoit fait avertir les Religieux Benedictins de l'Abbaye de S. Corneil, de la Congregation de S. Maur, qui est l'Eglise principale de la Ville, qu'Elle iroit y entendre Vespres s'y rendit sur les deux heures, accompagnée, comme le matin, de toute la Cour. Le P. Prieur, revestu d'une Chape, avec les Chantres & les autres Officiers, l'alla recevoir à la teste de sa Communauté, à la porte de l'Eglise, où il lui presenta une Croix pretieuse de l'Empereur Charlemagne, dans laquelle il y a une partie tres-considerable de la vraye Croix. Le Roy s'estant mis à genoux la baisa avec sa devotion ordinaire ; après quoy ayant esté conduit à la place qu'on luy avoit préparée dans le Choeur, il entendit les Vespres, qui furent chantées solemnellement, & à la fin desquelles on vint encenser Sa Majesté. Pendant tout le temps qu'elles durerent, Elle donna des marques de sa solide pieté, & de la veneration qui est deuë à ce saint jour, en se joignant avec les Religieux pour chanter à haute voix les louanges de Dieu, aussi-bien que Monseigneur le Dauphin, & plusieurs Seigneurs de la Cour. Les Vespres finies, le P. Prieur avec toute sa Communauté, reconduisit ce Monarque hors de l'Eglise. Sa Majesté se recommanda à leurs prieres en les quittant, & fit distribuer de grandes aumônes. Elle partit le 16. de Compiegne, & arriva le lendemain à Versailles, d'où Elle estoit partie le 17. de Mars ; de sorte que pour aller à Mons, pour en faire la consqueste, pour y demeurer pendant le Siege, pour attendre la sortie de la Garnison aprés la Capitulation, pour en visiter les fortifications, faire combler les Travaux, & revenir à Versailles, en sejournant en chemin, il n'en a couté qu'un mois au Roy. Il y auroit trop de choses à vous dire là-dessus, & je laisse à vostre imagination à vous les representer. On a déjà chanté deux fois le Te Deum à Paris, quoy que le temps où la Campagne s'ouvre ordinairement, ne soit pas encore arrivé. La prise de cinq Places en Italie meritoit bien qu'on rendist à Dieu des graces particulieres, & la conqueste de la plus forte Place des Pays-bas, ne le meritoit pas moins. Les réjouissances ont esté icy extraordinaires, plus par l'amour que les Peuples ont pour le Roy, qu'à cause de l'importance de ses conquestes. Le Feu d'artifice que la Ville a fait pour la prise de Mons a esté d'autant plus considerable, que suivant ses statuts, la dépense augmente pour tout ce qui se fait lors que les Rois prennent eux-mesmes des Places, ou gagnent des Batailles, & tous les Officiers de Ville qui ont des droits pour ces sortes de réjouissances, reçoivent le double.

[Rédacteur du Mercure Galant sur sa manière de rédiger]* §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 346-348.

 

Au reste, Madame, je ne suis point étonné que l’Article des Conferences de la Haye qui estoit dans ma derniere Lettre, ait fait tant d’impression sur vous. Cela vient sans doute de ce que les veritez ont toujours je ne sçay quoy qui touche plus, que les railleries piquantes qui divertissent pendant qu’on les lit, & qui ne laissent rien dans l’esprit, parce que la verité s’y trouve envelopée de mille mensonges, dont on remplit ces sortes d’écrits, afin d’avoir lieu d’y mettre un sel dont l’acreté dégenere en injures, & que les injures ne découvrent rien autre chose, que le caractere de ceux qui les écrivent. Chacun à le sien. Le mien est de me faire voir Historien, en ne rapportant que des Pieces veritables, comme j’ay fait dans mes dix Volumes des Affaires du Temps, & non pas de faire rire. Je laisse aux autres la gloire qu’ils s’acquierent en remplissant leurs Ouvrages de Pieces fausses de leur composition. Leur esprit inventif, & leur genie y paroissent, mais la verité ne s’y trouve pas. Cependant chacun a sujet d’estre content. L’un veut estre plaisant & divertir, il y réussit ; l’autre veut estre sincere & n’aime pas les faussetez, & il se tire là-dessus d’affaire autant qu’il luy est possible, la verité ne se montrant pas toujours toute nuë ; mais du moins, s’il peche contre elle, c’est sans avoir dessein de le faire.

[Articles reservez] §

Mercure galant, avril 1691 [tome 4], p. 369.

 

Les Articles de guerre qui sont dans ma Lettre m’ont mené si loin, que je suis obligé de remettre au mois prochain des Morts, des Mariages, des Benefices donnez par le Roy, & les nouvelles de Rome & de Constantinople, ainsi que plusieurs autres Articles, & quelques Ouvrages sur la prise de Mons, dont le nom des Auteurs suffiroit pour vous les faire estimer. Je suis, &c.

A Paris le 30. Avril 1691.