1691

Mercure galant, mai 1691 [tome 5].

2017
Source : Mercure galant, mai 1691 [tome 5].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mai 1691 [tome 5]. §

[Diverses particularitez touchant les Saints Lieux] §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 23.

 

[...]Que les François s’estant mis en estat de recouvrer ce qu’avoient perdu les Empereurs Grecs, avoient delivré Jerusalem de l’esclavage aprés une infinité de dangers, & que les Religieux de S. François ayant eu l’avantage d’estre choisis pour estre les Gardiens des Saints Lieux, y avoient chanté jour & nuit les loüanges du Seigneur jusqu’en 1640., que les Grecs Schismatiques eurent assez de credit à la Cour du Grand Seigneur pour s’en emparer ;[...]

Sur la prise de Mons. Ode §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 41-46.

 

On parle de plus en plus de l’étonnement qu’a causé à toute l’Europe la prise de Mons, & de la consternation où elle a mis les Ennemis de la France. Il y a grande apparence qu’ils se sentiront longtemps de la perte qu’ils viennent de faire. Mr Capistron, à qui le succés de Tiridate a fait acquerir tant de gloire cet Hiver, ne s’est pas teu dans un temps où tous ceux qui ont du talent pour la Poësie se sont fait entendre à l’envy les uns des autres. Les Vers que vous allez lire sont de sa façon.

SUR LA PRISE DE MONS.

 

ODE.

Muses, quittez le Parnasse,
Courez aux plaines de Mons ;
Joignez la force à la grace
Dont vous ornez vos chansons,
Quelle conqueste plus belle
A vostre voix immortelle
Mars offre-t-il à chanter ?
Portez-en l’éclat superbe
Encor plus loin que Malherbe
N’a pû jamais le porter.
Ce grand Roy dont la prudence
Confond tous ses Envieux,
Ce Roy que l’heureuse France
Receut de la main des Dieux,
Vient de rompre la barriere
Qui défendoit la frontiere
Du Belge si renommé ;
En vain l’Europe s’assemble,
Tout se dissipe, ou tout tremble,
Dés que LOUIS est armé.
***
L’Idole de l’Angleterre,
Tant craint des foibles Mortels,
En nous declarant la guerre
S’estoit acquis des Autels.
Le Rhin, l’Ibere, & leurs Princes,
Pour inonder nos Provinces,
Dépeuploient tous leurs Etats ;
Mon Roy, comme un autre Alcide,
Contre un torrent si rapide
Ne prépare que son bras.
Tel que dans la Thessalie
Jupiter du haut des Cieux
Se vangea de la folie
Des Titans audacieux ;
Tel le Heros que je chante
Fait sentir sa main pesante
A ceux qui l’osent braver.
Mais s’ils luy rendent hommage,
La mesme main les soulage,
Et s’empresse à les sauver.
***
Tu viens d’éprouver ses armes,
Mons, éprouve sa bonté :
Son Empire plein de charmes
Fera ta felicité.
Tu vas retrouver la joye,
Tu ne seras plus la proye
Des avares Etrangers,
Et tu verras le naufrage
Des peuples du voisinage
A couvert de leurs dangers.
Mais, helas ! que ta conqueste
Nous a fait trembler de fois !
Que de perils pour la teste
Du plus Auguste des Rois !
Chaque instant de la journée
Elle estoit abandonnée
A d’infaillibles hazards,
S’allant offrir la premiere
A la foudre meurtriere
Qui grondoit de toutes parts.
***
Rois, ennemis de sa gloire,
Quittez d’injustes projets,
Dans le sein de la Victoire
LOUIS sçait donner la Paix.
Qu’avez-vous qui vous soutienne ?
Qu’un prompt repentir prévienne
La honte d’estre abatus ;
Aussi-bien malgré l’envie
Que vous portez à sa vie,
Vous admirez ses vertus.

Stances irregulieres §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 47-52.

 

Voicy d’autres Vers d’un genre tout different. Ils regardent les approches du Prince d’Orange, & sont de Mr Brossard de Montaney, dont je vous ay autrefois envoyé plusieurs Ouvrages que le public a fort estimez. Il avoit cessé de travailler depuis huit ou dix années, mais il n’y a point de Muses si endormies, qui ne se réveillent au bruit des conquestes surprenantes que vient de faire le Roy.

STANCES IRREGULIERES.

On ne peut trop loüer les peines que se donne
Le digne imitateur des vertus de Montmout.
Aux plaisirs de la chasse, aux travaux de Bellonne,
 Son Bidet se trouve par tout.
***
Loüis menace Mons, Gastanague a la fiévre,
Il recourt à Nassau par un billet touchant.
 Ce Heros poursuivoit un Lievre,
 Il rompit ses chiens sur le champ.
***
Des nombreux Alliez la Diette est troublée,
 Ce contretemps les a surpris.
Les François font grand tort à la noble Assemblée,
Dont les conseils ne sont pas encor pris.
***
Tant de graves Seigneurs ont-ils quitté leur Terre,
Sont-ils venus si loin pour ne rien projetter ?
Laissez-les en repos faire un beau plan de guerre,
Pas un n’est resolu d’en rien executer.
***
Se faut-il assembler pour regler, pour resoudre ?
Ils sont prests, un Courrier n’a qu’à les avertir :
Mais lors qu’il sera temps d’agir & d’en decoudre,
Leurs chevaux déferrez ne pourront plus partir.
***
Cependant au grand trot le Statouder avance ;
En luy la Ligue & Mons ont mis tout leur espoir.
 On ne connoist pas sa prudence,
 Ce Brave n’y va que pour voir.
***
Le bruit de son trépas fit ouvrir les oreilles,
A de nouveaux perils on voudroit l’engager.
S’il croyoit son courage il feroit des merveilles,
Mais par dépit il veut se menager.
***
A Charleroy jadis il eut quelque disgrace,
Il fut aussi contraint d’abandonner Mastric.
Lors qu’il aura bien veu comme on prend une Place,
Peut-estre une autre fois il prendra Limeric.
***
Le Flaman blâme à tort ce General tranquille,
Déja pour sauver Mons il s’est mordu les doigts.
 Veut-on que pour la mesme Ville,
 Il se fasse battre deux fois ?
***
Sans risquer son honneur sans estre temeraire,
 Il ira si loin qu’il pourra.
Faire lever le Siege est une grosse affaire.
Suffit-il pas de voir tout ce qu’on y fera ?
***
Quelle gloire pour luy, lors que dans l’Angleterre,
Tout couvert de Lauriers sans avoir combattu,
Pour apprendre aux Milors le métier de la Guerre,
 Il dira tout ce qu’il a veu !
***
S’il n’a pas sauvé Mons, a-t-on lieu de se plaindre ?
C’est assez que la Ligue évite un plus grand mal,
 Car lors que tout estoit à craindre,
Luy seul à garanti Nostre-Dame de Hall.
***
Mais d’ailleurs le combat eust esté difficile ;
Loüis, de ce Heros redoutant la valeur,
Fit tant que le François pour éviter malheur,
 Entra promptement dans la Ville.

Paralelle de Cesar et du Prince d’Orange §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 53-54.

 

PARALELLE DE CESAR
et du Prince d’Orange.

Venir à temps, voir, & vaincre sur l’heure,
C’est ce qu’on dit du plus grand des Guerriers.
Nassau qui vole à de pareils lauriers,
De ce qu’il fit n’est pas fort en demeure,
Il en a fait prés de Mons les deux tiers,
Et fera plus peut-estre avant qu’il meure.
Quand Mars l’appelle il n’est pas endormy,
Mal à propos on l’accuse, on le raille,
De tout promettre & n’agir qu’à demi.
Ah ! pour le coup on ne dit rien qui vaille,
C’est sur le pied de Cesar qu’il travaille,
Il vient de mesme & voit son Ennemy ;
Reste un seul point, de gagner la bataille.

L’Incredule §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 54-64.

 

La piece qui suit & dont Mr de Vin est l’Auteur, est d’un caractere tout different des deux autres, & je suis persuadé que vous la lirez avec plaisir.

L’INCREDULE.

Nassau, Castanaga, Zell, Saxe, Brandebourg,
Baviere, Leopold, & mille autres qu’Ausbourg
 Avoit unis contre la France,
 En personne, ou par Députez,
Dans un celebre Bourg s’estoient de tous costez
Rendus pour prolonger leur jalouse Alliance.
 Là, ces Liguez encor confus
Des funestes succés qu’eut Valdek à Fleurus,
Cherchoient d’une ardeur mutuelle
 Les moyens seurs & les plus prompts
De reparer leur perte, & de se vanger d’elle ;
 Là, dis-je, au milieu des flacons
Ils se sentoient plus fiers, ils signaloient leur zele,
Et dressoient, loin des coups, cent projets fanfarons,
 Quand ils apprirent la nouvelle
 Que Bouflers investissoit Mons.
 Ah ! dit Nassau tout en colere,
Courrier, tu rêves, non, cela ne se peut faire,
Non, & l’on n’oseroit tenter de pareils coups.
Quoy, dans le mesme temps qu’icy nous sommes tous,
Que nous deliberons, LOUIS auroit l’audace
D’insulter à nos yeux une si forte Place ?
Non, encore une fois, tu te mocques de nous,
Et tu devrois sçavoir à quels perils s’expose
 Quiconque, ainsi que toy, m’impose.
 A ces mots un second Courrier
Confirme par serment le rapport du premier.
Quoy, soutenir aussi ce conte ridicule ?
Quoy, m’imposer encor, reprit cet Incredule ?
Non, non, il n’en est rien. Qu’en dites-vous, Messieurs ?
 Souffrirez-vous que l’on me joüe,
Et ces deux francs Coquins que troublent leurs frayeurs,
 Craignent-ils assez peu la rouë
 Pour oser .… qu’on seroit heureux,
 Si la gloire du Diadême
 Pouvoit souffrir que par luy-même
Un Monarque fist tout, & qu’il se passast d’eux !
 Mais qu’elle en gronde, ou non, n’importe,
Je ne m’y fieray plus, & veux sous bonne escorte,
Eclaircir par mes yeux ce fait que je crois faux,
 Mais qui pourtant, helas ! me livre,
Sans sçavoir bien pourquoy, de terribles assauts.
Partons ; viste, un cheval, qu’on s’empresse à me suivre.
Par ses ordres donnez trente mille Soldats
 Vers Hall se rendent sur ses pas,
 Et de là sur une Echauguette
 Nassau vit avec sa Lunette,
Ainsi qu’on peut juger, plus qu’il n’eust voulu voir.
Quoy ? de Loüis le Grand l’épouvantable foudre
 Tomber sur Mons, le mettre en poudre,
Et l’obliger enfin, reduit au desespoir,
De venir à genoux implorer sa clemence !
Quel aspect ! quel chagrin pour un ambitieux,
 Quand il voit de ses propres yeux
 Sa foiblesse, son impuissance,
Et dans le mesme temps son Ennemy vainqueur ?
 Muse, dis-moy l’extravagance
Que pour lors à Nassau fit faire sa douleur.
Trop vivement sensible à ce double malheur,
Il s’en vange à l’instant sur sa pauvre Lunette ;
 Contre le mur à tour de bras
 Ce fougueux de dépit la jette,
Et son verre innocent s’y brise en mille éclats.
En ce facheux estat malheur à qui l’approche ;
 Il s’en prend à qui n’en peut mais.
 Tout, jusques à Bantin, qui de son cœur de roche
 Seul a sceu se donner l’accés,
Pâtit de sa fureur ; luy-mesme il se reproche
De n’estre venu là si viste & de si loin,
Que pour voir de plus prés ce qu’il n’auroit pû croire,
 Et que pour estre le témoin
 De la puissance & de la gloire
Du plus victorieux & du plus grand des Rois.
 Quoy, se disoit-il en luy-mesme,
 C’est donc en vain à ses exploits,
Que pour mieux m’opposer j’usurpe un Diadême ?
Qu’avec tant de peril je quitte mes Etats,
Que j’arme contre luy plus de cent Potentats ;
Et tout cela, pourquoy ? Pour essuyer la honte
Dont me couvre en ces lieux cette Place qu’il dompte,
 Et qu’il prend en si peu de temps ?
 Fuyons, partons en diligence,
De ses heureux succés laissons joüir la France,
Et, puis que mes efforts sont toujours impuissans,
 Souffrons du moins que la prudence
Suspende de mon cœur les jaloux mouvemens.
Retournons sur nos pas, allons en Hibernie
Au reste des Mutins faire sentir mon bras.
J’y réussiray mieux, LOUIS n’y sera pas ;
Il pourroit bien icy troubler ma tirannie,
 Et peut-estre la mettre à bas.
 Sauvons-nous donc de sa colere ;
 Les Espagnols, les Allemans
Ne connoissent que trop ses coups, ce qu’il sçait faire,
 Et je le sçais à mes dépens.
Courons, loin de ses yeux, où la gloire m’appelle,
 Allons soumettre sous nos loix
 Ce pays sauvage & rebelle,
Et quoy que Limerik m’ait fait fuir une fois,
Ne desesperons point, tentons par quelque amorce
De faire enfin sur luy ce que n’a pû la force.
L’Irlandois seroit-il moins duppe que l’Anglois ?
J’en dois moins la conqueste à mon bras qu’à ma ruse,
 Et comme j’en sçay le succés,
 Tout fin, qu’il puisse estre, jamais
Pourroit il éviter le joug qu’il me refuse !
 Marchons : mais ça, de bonne foy,
 Nassau, que pretens-tu ? dis-moy.
 Ne sçais-tu pas qu’en Hibernie,
 Saint-Rut de pied ferme t’attend,
 Et qu’en luy de LOUIS le Grand
Tu pourrois bien encor trouver l’heureux genie ?
 N’importe, perir pour perir,
 Repassons viste en Angleterre,
Et si là comme icy le sort nous fait la guerre,
Sur le Trône du moins on nous verra mourir.
 Partons. Aussi-tost ce Monarque,
(La Ligue nomme ainsi ce Bourgeois d’Amsterdam)
 Aussi-tost, dis-je, ce Tyran
 Remonte à cheval, se rembarque,
Et des perfides mains de ses lasches flatteurs,
 Sur ce Trône acquis par son crime,
Va, douteux du futur, recevoir les honneurs,
Qu’ils ne doivent enfin qu’à leur Roy legitime.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 64-65.

Les paroles de l'Air nouveau que je vous envoye sont de Mr de Messange, & ont esté mises en chant par Mr du Bousset, dont la reputation augmente de jour en jour.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Ah, que mon sort est rigoureux, doit regarder la page 64.
Ah, que mon sort est rigoureux !
Mon Iris s'oppose à mes vœux
Quand j'esperois trouver la fin de ma souffrance.
Amour, espoir, refus, rigueur,
Quelle cruelle intelligence,
Vous joint tous à la fois contre un sensible cœur !
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[Reception de M. de Fontenelle à l’Academie Françoise, & tout ce qui s’est passé en cette occasion] §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 91-128.

 

Le Samedy 5. de ce mois, Mr de Fontenelle fut receu à l’Academie Françoise, & s’attira de grands applaudissemens par le remerciement qu’il y fit. Il dit d’abord que si jamais il avoir esté capable de se laisser surprendre aux douces illusions de la vanité, il n’auroit pû s’en défendre dans l’occasion où il se trouvoit, s’il n’avoit consideré qu’on avoit bien voulu luy faire un merite de ce qu’il avoit prouvé par sa conduite qu’il sçavoit parfaitement le prix du bienfait qu’il recevoit. Il ajoûta qu’il ne pouvoit d’ailleurs se cacher qu’il devoit l’honneur qu’on luy avoit fait de l’admettre dans un si celebre Corps, au bonheur de sa naissance qui le faisoit tenir à un Nom qu’un illustre Mort avoit ennobly, & qui estoit demeuré en veneration dans la Compagnie. Tout le monde connut bien qu’il vouloit parler du grand Corneille, dont il fit l’Eloge en peu de mots, aussi-bien que de Mr de Villayer, Doyen du Conseil d’Etat, auquel il a succedé dans la place qu’il avoit laissée vacante. Il passa de là au grand spectacle qui devoit le plus interesser toute l’Assemblée, & parla de la conqueste de Mons, d’une maniere si vive, si fine, & si éloquente, qu’on peut assurer que dans tout ce qu’il en dit il y avoit presque autant de pensées que de paroles. Son stile fut serré & plein de force, & aprés que la peinture qu’il fit de la prise de cette importante Place, eut fait paroistre tout ce qu’elle avoit de surprenant, il n’eut pas de peine à se faire croire lors qu’il ajoûta, que si le grand Cardinal de Richelieu, à qui l’Academie Françoise devoit le bonheur de son établissement, & qui avoit commencé à travailler avec de si grands succés à la grandeur de la France, revenoit au monde, il auroit peine à s’imaginer que LOUIS LE GRAND eust pû l’élever à un si haut degré de gloire.

C’estoit à Mr l’Abbé Testu, comme Directeur de la Compagnie, à répondre à ce Discours, mais son peu de santé ne luy permettant alors aucune application, Mr de Corneille qui en estoit Chancelier, fut obligé de parler au lieu de luy, ce qui causoit quelque curiosité parmy ceux qui composoient l’Assemblée, puis qu’estant Oncle de Mr de Fontenelle, la bien-seance vouloit qu’il cherchast un tour particulier pour se dispenser de luy donner des loüanges. Comme l’amitié qui est entre nous me défend de vous rien dire à son avantage, je me contenteray de vous faire part de sa réponse, telle qu’il l’a prononcée, ainsi vous en allez juger par vous-mesme. Voicy les termes dont il se servit.

Monsieur,

Nous sommes traitez vous & moy bien differemment dans le mesme jour. L’Academie a besoin d’un digne Sujet pour remplir le nombre qui luy est prescrit par ses Statuts. Pleine de discernement, n’ayant en veuë que le seul merite, & dans l’entiere liberté de ses suffrages, elle vous choisit pour vous donner, non seulement une place dans son Corps, mais celle d’un Magistrat éclairé, qui dans une noble concurrence ayant eu l’honneur d’estre declaré Doyen du Conseil d’Estat par le jugement mesme de Sa Majesté, faisoit son plus grand plaisir de se dérober à ses importantes fonctions, pour nous venir quelquefois faire part de ses lumieres ; que pouvoit-il arriver de plus glorieux pour vous ?

Dans le mesme temps, cette mesme Academie change d’Officiers, selon sa coutume. Le Sort qui décide de leur choix, n’auroit pu qu’estre applaudy, s’il l’eust fait tomber sur tout autre que sur moy, & quoy qu’incapable de soûtenir le poids qu’il impose, c’est moy qui le dois porter. Il est vray qu’il a fait voir sa justice par l’illustre Directeur qu’il nous a donné. La joye que chacun de nous en fit paroistre, luy marqua assez que le hazard n’avoit fait que s’accommoder à nos souhaits, & je n’en sçaurois douter, vous ne le pustes apprendre sans vous sentir aussi-tost flaté de ce qui auroit saisi le cœur le plus détaché de l’amour propre. La qualité de Chef de la Compagnie l’engageant dans la place qu’il occupe, à vous répondre pour Elle, il vous auroit esté doux qu’un homme, dont l’éloquence s’est fait admirer en tant d’actions publiques, vous eust fait connoistre sur quels sentimens d’estime pour vous l’Academie s’est determinée à se declarer en vostre faveur.

Son peu de santé l’ayant obligé de s’en reposer sur moy, vous prive de cette gloire, & quand le désir de répondre dignement à l’honneur que j’ay de porter icy la parole à son defaut, pourroit m’animer assez pour me donner la force d’esprit qui me seroit necessaire dans un si glorieux poste, ce que je vous suis me fermant la bouche sur toutes les choses qui seroient trop à vostre avantage, vous ne devez attendre de moy qu’un épanchement de cœur qui vous fasse voir la part que je prens au bonheur qui vous arrive, des sentimens & non des loüanges.

M’abandonnerai-je à ce qu’ils m’inspirent ? La proximité du Sang, la tendre amitié que j’ay pour vous, la superiorité que me donne l’âge, tout semble me le permettre, & vous le devez souffrir, j’iray jusques à vous donner des conseils. Au lieu de vous dire que celuy qui a si bien fait parler les Morts n’estoit pas indigne d’entrer en commerce avec d’illustres Vivans ; au lieu de vous applaudir sur cet agréable arrangement de differens Mondes dont vous nous avez offert le spectacle, sur cet Art si difficile, & qu’il me paroist que le Public trouve en vous si naturel, de donner de l’agrément aux matieres les plus seches, je vous diray que quelque gloire que vous ayent acquise dés vos plus jeunes années les talens qui vous distinguent, vous devez les regarder, non pas comme des dons assez forts de la nature pour vous faire atteindre, sans autre secours que de vous mesme, à la perfection du merite que je vous souhaite ; mais comme d’heureuses dispositions qui vous y peuvent conduire. Cherchez avec soin pour y parvenir les lumieres qui vous manquent ; le choix qu’on a fait de vous, vous met en estat de les puiser dans leur source.

En effet, rien ne vous les peut fournir si abondamment que les Conferences d’une Compagnie, où si vous m’en exceptez, vous ne trouverez que de ces Genies sublimes à qui l’immortalité est deuë. Tout ce qu’on peut acquerir de connoissances utiles par les belles Lettres, l’Eloquence, la Poësie, l’Art de bien traiter l’Histoire, ils le possedent dans le degré le plus éminent, & quand un peu de pratique vous aura facilité les moyens de connoistre à fond tout le merite de ces celebres Modernes, peut estre serez-vous autorisé, je ne dis pas à les préferer, mais à ne les pas trouver indignes d’estre comparez aux Anciens. Ce n’est pas que toute juste que cette loüange puisse estre pour eux, ils ne la regardent comme une loüange qui ne leur sçauroit appartenir. Ils ne l’écoutent qu’avec repugnance, & la veneration qui est deuë à ceux qui nous ont tracé la voye dans le chemin de l’esprit, s’il m’est permis de me servir de ces termes, prévaut en eux contre eux-mesmes, en faveur de ces grands Hommes, dont les excellens Ouvrages toûjours admirez de toutes les Nations, ont passé jusques à nous malgré un nombre infiny d’années, comme des Originaux qu’on ne peut trop estimer. Mais pourquoy nous sera-t-il défendu de croire que dans les Arts & dans les Sciences les Modernes puissent aller aussi-loin, & même plus loin que les Anciens, puis qu’il est certain, en matiere de Heros, que toute l’Antiquité, cette Antiquité si venerable, n’a rien que l’on puisse comparer à celuy de nostre Siecle ?

Quel amas de gloire se presente à vous, Messieurs, à la simple idée que je vous en donne ! N’entrons point dans cette foule d’actions brillantes dont l’éclat trop vif ne peut que nous ébloüir. N’examinons point tous ces surprenans prodiges dont chaque année de son regne se trouve marquée. Les Cesars, les Alexandres ont besoin que l’on rappelle tout ce qu’ils ont fait pendant leur vie pour paroistre dignes de leur reputation, mais il n’en est pas de mesme de Loüis le Grand. Quand nous pourrions oublier cette longue suite d’évenemens merveilleux qui sont l’effet d’une intelligence incomprehensible, l’Heresie détruite, la protection qu’il donne seul aux Rois opprimez, trois Batailles gagnées encore depuis peu dans une mesme Campagne, il nous suffiroit de regarder ce qu’il vient de faire, pour demeurer convaincus qu’il est le plus grand de tous les hommes.

Seur des conquestes qu’il voudra tenter, il y renonce pour donner la paix à toute l’Europe. L’Envie en fremit ; la Jalousie qui saisit de redoutables Puissances, ne peut souffrir le triomphe que luy assure une si haute vertu. Sa grandeur les blesse, il faut l’affoiblir. Un nombre infiny de Princes qui ne possedent encore leurs Etats que parce qu’il a dédaigné de les attaquer, osent oublier ce qu’ils luy doivent, pour entrer dans une Ligue, où ils s’imaginent que leurs forces jointes seront en estat d’ébranler une Puissance qui a jusque là resisté à tout. Que les Ennemis de la Chrestienté se resaisissent de tout un Royaume qu’ils n’ont perdu que par cette Paix, qui a donné lieu aux avantages qu’on a remportez sur eux, n’importe, il n’y a rien qui ne soit à préferer au chagrin insupportable de voir le Roy joüir de sa gloire. Les Alliez se resolvent à prendre les armes, & des Princes Catholiques, l’Espagne mesme que sa severe Inquisition rend si renommée sur son exactitude à punir les moindres fautes qui puissent blesser la Religion, ne font point difficulté de renouveller la guerre, pour appuyer les desseins d’un Prince, à qui toutes les Religions paroissent indifferentes, pourveu qu’il nuise à la veritable ; d’un Prince qui pour se placer au Trône ose violer les plus saintes loix de la nature, & qui ne s’est rendu redoutable qu’à cause qu’il a trouvé autant d’aveuglement dans ceux qui l’élevent, qu’il a d’injustice dans tous les projets qu’il forme.

Voyons les fruits de cette union ; des pertes continuelles, & tous les jours des malheurs à craindre plus grands que ceux qu’ils ont déja éprouvez. Il faut pourtant faire un dernier effort, pour arrêter les gemissemens des Peuples, à qui de dures exactions font ouvrir les yeux sur leur esclavage. On marque le temps & le lieu d’une Assemblée. Des Souverains, que la grandeur de leur caractere devroit retenir, y viennent de toutes parts rendre de honteux hommages à ce témeraire Ambitieux, que le crime a couronné, & qui n’est au dessus d’eux, qu’autant qu’ils ont bien voulu l’y mettre. Il les entretient d’esperances chimeriques. Leur formidable puissance ne trouvera rien qui luy puisse resister. S’ils l’en osent croire, le Roy qui veut demeurer tranquille, ne se fait plus un plaisir d’aller animer ses Armées par sa presence ; & dés que le temps sera venu d’entrer en campagne, ils sont assurez de nous accabler.

Il est vray que le Roy garde beaucoup de tranquillité ; mais qu’ils ne s’y trompent pas. Son repos est agissant, son calme l’emporte sur toute l’inquietude de leur vigilance, & la regle des saisons n’est point une regle pour ce qu’il luy plaist de faire. Nos Ennemis consument le temps à examiner ce qu’ils doivent entreprendre, & Loüis est prest d’executer. Il n’a point fait de menaces, mais ses ordres sont donnez ; il part, Mons est investy, ses plus forts remparts ne peuvent tenir en sa presence, & en peu de jours sa prise nous delivre des alarmes où il nous jettoit en s’exposant. Que de glorieuses circonstances relevent cette conqueste ! C’est peu qu’elle soit rapide, c’est peu qu’elle ne nous coute aucune perte qu’on puisse trouver considerable. Elle se fait aux yeux mesmes de ce Chef de tant de Ligues, qui avoit juré la ruine de la France. Il devoit venir nous attaquer, on va au devant de luy, & il ne sçauroit défendre la plus importante Place qu’on pouvoit ôter à ses Alliez. S’il ose approcher, c’est seulement pour voir de plus prés l’heureux triomphe de son auguste Ennemy.

Nos avantages ne sont pas moins grands du costé de l’Italie. Une des Places qui vient d’y estre conquise, avoit bravé, il y a cent cinquante ans, les efforts de deux Armées, & dés la premiere attaque de nos Troupes elle est contrainte de capituler. Gloire par tout pour le Roy ! Confusion par tout pour ses Ennemis ! Ils se retirent tout couverts de honte ; le Roy revient couronné par la Victoire, & la Campagne s’ouvrira dans sa saison. Quelles merveilles n’avons-nous pas lieu de croire qu’elle produira, quand nous voyons celles qui l’ont precedée.

Voilà, Messieurs, une brillante matiere pour employer vos rares talens. Vous avez une occasion bien avantageuse de les faire voir dans toute leur force, si pourtant il vous est possible de trouver des expressions qui répondent à la grandeur du Sujet. Quelques soins que nous prenions de chercher l’usage de tous les mots de la Langue, nous ne sçaurions nous cacher que les Actions du Roy sont au dessus de toutes sortes de termes. Nous croyons les grandes choses qu’il a faites, parce que nos yeux en ont esté les témoins, mais sur le rapport que nous en ferons, quoy qu’imparfait, quoy que foible, quoy qu’infiniment au dessous de ce que nous voudrons dire, la posterité ne les croira pas.

Vous nous aiderez de vos lumieres, vous, Monsieur, que l’Academie reçoit en societé pour le travail qu’elle a entrepris. Elle pense avec plaisir que vous luy serez utile ; je luy ay répondu de vostre zele, & j’espere que vos soins à dégager ma parole luy feront connoistre qu’elle ne s’est point trompée dans son choix.

Ces deux Discours ayant esté prononcez, Mr Charpentier, Doyen, prit la parole, & dit que devant avoir l’honneur de complimenter le Roy sur ses nouvelles conquestes, comme le plus ancien de la Compagnie, si la modestie de Sa Majesté ne luy eust pas fait refuser toutes sortes de Harangues, il alloit lire ce qu’il avoit préparé pour s’acquitter d’un devoir si glorieux. Vous connoissez la beauté de son genie & sa profonde érudition, & il vous est aisé de juger par là des graces qu’il donne à tout ce qui part de luy. Aprés qu’il eut lû cette harangue, il dit que le reste de la Seance ayant à estre employé, selon la coutume, à la lecture des Ouvrages de ceux de la Compagnie qui en voudroient faire part à l’Assemblée, il croyoit qu’on ne seroit pas faché d’entendre une Epistre de l’illustre Madame des Houlieres à Monseigneur le Duc de Bourgogne, sur les Conquestes du Roy, puis qu’outre un merite tout particulier qui distinguoit cette Dame, elle avoit l’avantage d’estre associée à l’Academie d’Arles, & à celle dè i Ricourati de Padouë, & qu’ainsi ce seroit une digne Academicienne qui paroistroit parmy des Academiciens. La proposition fut receuë avec applaudissement, & l’Epistre de Madame des Houlieres fut donnée à Mr l’Abbé de Lavau, qui avoit déja entre les mains quelques Ougraves qu’il avoit bien voulu se charger de lire. Avant que de commencer, il dit qu’il auroit bien voulu contribuer à la solemnité de cette journée, en faisant quelque autre chose que de lire les Ouvrages des autres, mais qu’il n’estoit pas aisé de bien parler de ce qui faisoit l’étonnement de l’Europe ; que les productions de tant de rares genies qui avoient paru jusque-là, loin de frayer le chemin, le faisoient paroistre plus difficile, & que mesme il le paroissoit encore davantage aprés les Discours qu’on venoit d’entendre, sur tout celuy de Mr de Fontenelle, qui avoit parlé de l’Auguste Protecteur de la Compagnie, d’une maniere qui faisoit connoistre qu’il estoit déja parfaitement instruit des devoirs d’un Academicien, & qui donnoit de grandes idées de ce qu’il sçauroit faire à l’avenir ; que si ses Ouvrages estoient pleins d’un agrément qui montroit la délicatesse de son esprit, il avoit de grands exemples dans sa Famille, & qu’il venoit de leur renouveller la memoire du grand Corneille, son Oncle, un des principaux ornemens du siecle & de l’Academie Françoise, generalement estimé & honoré de toutes les Nations où il se trouve des gens qui aiment les Lettres. Il poursuivit en disant, que si cet excellent homme ne nous manquoit pas, il auroit bien sceu faire passer à la posterité nostre incomparable Monarque, sinon tel qu’il est, au moins tel qu’il est permis aux hommes de le concevoir ; que nous en avions de seurs garants dans les Heros des siecles passez, qu’il a fait revivre d’une maniere si glorieuse pour l’Antiquité, & qu’il semble n’avoir ramenez jusques à nous avec tout leur éclat, que pour faire paroistre encore davantage la gloire de son Souverain. Mr l’Abbé de Lavau dit encore, qu’il auroit eu à parler des prises de Mons, de Ville-franche & de Nice, mais que connoissant par experience combien il estoit difficile d’en parler d’une maniere qui convinst à de si grandes conquestes, il croyoit devoit se retrancher à ce qu’il avoit entendu dire à un des plus grands Prelats du monde, que nos voix en devoient estre étoufées, qu’elles estoient trop foibles, qu’il falloit laisser agir nos cœurs & nostre joye, & lever les mains au Ciel pour le remercier de tant de prodiges. Ce qu’il ajoûta, que la reputation de ce Prelat n’avoit point de bornes, & qu’on ne pouvoit le connoistre sans avoüer qu’il estoit impossible d’occuper plus dignement le premier rang dans l’Eglise de France, c’est à dire, le second de l’Eglise Universelle, fit nommer à tout le monde Mr l’Archevesque de Paris. Il finit en disant que puis qu’un si grand homme, qui a sceu si souvent & si excellemment parler de son Maistre & des évenemens de son Regne, faisoit entendre qu’en cette derniere occasion, le party du silence estoit à suivre, & qu’il falloit s’abandonner à la joye, souvent plus éloquente que les paroles, c’estoit à luy plus qu’à un autre de se conformer à ce conseil ; qu’il falloit attendre que le Ciel, à qui l’on ne pouvoit douter que Loüis le Grand ne fust précieux, donnast de ces hommes merveilleux, dont il luy plaist quelquefois d’enrichir les siecles, qui sçauroient peindre ce grand évenement aussi grand qu’il l’est, & recueillir tout ce que fait & dit ce Roy invincible, pour l’apprendre à nos Neveux d’une maniere qui pust les persuader, Ouvrage qui n’appartenoit pas à des hommes ordinaires, & d’autant plus difficile, que depuis plusieurs années nous voyons des prodiges se succéder continuellement les uns aux autres. Si nous ne les croyons qu’avec peine, continua-t-il, quoy que nous en soyons convaincus, que feront ceux qui verront un jour tout d’un coup tant de merveilles dans toute leur étenduë, sans y avoir esté préparez par des exemples qui auroient pû les disposer à croire ce que la valeur, la justice, la clemence, la bonté, la magnificence, la sagesse, la gloire enfin, & plus que tout cela la Religion font executer chaque jour à Loüis, le plus grand des Rois.

Aprés que Mr de Lavau eut parlé de cette sorte, il leut un Ouvrage de Mr Boyer sur la prise de Mons, une Lettre familiere en Vers de Mr Perrault, adressée à Mr le President Rose, sur les alarmes où l’on estoit à Paris de ce que le Roy s’exposoit tous les jours pendant le Siege, & l’Epitre aussi en Vers de Madame des Houlieres à Monseigneur le Duc de Bourgogne. Mr le Clerc leut ensuite une Ode, qui estoit la Paraphrase d’un Pseaume sur cette mesme conqueste, & Mr de Benserade finit la seance par une Piece toute en quadrains, dont chaque dernier Vers, qui estoit seulement de quatre sillabes, faisoit une cheute tres-agreable. Je ne vous dis rien de la beauté de tous ces Ouvrages, puis que vous pourrez les lire bien-tost dans un recueil que doit debiter au premier jour le Sr Coignard, Libraire de l’Academie.

Sur la prise de Nice. Ode §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 128-141.

 

Le Roy estant present au Siege de Mons, où il a souvent exposé sa vie, chacun a mis toute son attention à cette conqueste, & cela est cause que peu de personnes ont écrit sur celle de Nice, & qu’on n’a pas fait assez de reflexion sur les avantages qui reviennent à la France par la prise de cette importante Place. Ainsi il ne m’est tombé entre les mains que l’Ouvrage que vous allez lire. Il est de Mr de Calvy, Juge Royal de Grasse, dont vous connoissez le nom par d’autres Pieces que je vous ay déja envoyées de luy. Celle cy est adressée à Mr de Gourdon, Aide de Camp de Mr de Catinat.

SUR LA PRISE DE NICE,
ODE.

Muse ce beau Jardin, les delices de Grasse,
A veu couler cent fois une source de Vers.
Ce lieu paré de fleurs & d’arbres toûjours verds,
Du celebre Godeau fut long-temps le Parnasse.
C’est icy que chantant la gloire de Sion,
Et nos Rois triomphans de la Rebellion,
 Il sçeut charmer toute la France.
Fay qu’aujourd’huy ma voix puisse du mesme ton,
Du sage Catinat celebre la vaillance,
Et confondre l’orgueil d’un nouveau Phaëton.
***
A ce Prince aveuglé, le fameux temeraire,
Qu’au fond de l’Eridan la foudre ensevelit,
Ranimé par ma voix avoit déja prédit
Les effroyables coups de LOUIS en colere.
Mais sourd à la raison il méprisa la paix,
Et sur luy son orgueil a fait tomber les traits,
 Dont il eût pû sauver sa teste.
Funeste aveuglement ! ridicule fureur !
Prince, ton repentir eût calmé la tempeste,
Ton audace te livre à ton dernier malheur.
***
Déja de tes Etats la plus noble partie,
Sous les Loix de LOUIS respire un air plus doux,
Et chaque jour, partout où s’adressent ses coups
De triomphes nouveaux sa valeur est suivie.
Ville-franche vaincuë a veu rendre ses Forts ;
A peine ont-ils fait teste à nos premiers efforts.
 Mont-Alban suit leur destinée,
Et ses Ramparts si forts en leur étroit contour,
Qui devoient à nos coups resister une année,
Foibles, ne les ont pu soustenir tout un jour.
***
Nice fait voir encor de plus rares spectacles,
De nos braves Guerriers prevenant les exploits,
Elle court se soumettre au plus puissant des Rois,
Du seul bruit de son nom ordinaires miracles.
Aux pieds de Catinat ses pâles Habitans,
Admirant son courage & ses faits éclatans,
 Viennent implorer sa clemence.
Heureux d’avoir flechi le cœur de ce Heros,
Mais plus heureux encor que soumis à la France
LOUIS ait pour jamais assuré leur repos.
***
Mais que vois-je d’icy ? quel bruit viens-je d’entendre ?
Il semble que le Ciel tombe en éclats divers.
Des nuages épais obscurcissent les airs,
Et la nuit dans le jour vient ses voiles épandre.
Muse, qui sans relâche attentive aux combats,
Vois tout ce qui se passe aux plus lointains Climats,
 Dis-moy quel est ce grand orage.
Mais l’air devient moins sombre, & mes yeux penetrans
Découvrent sur ces Rocs une éfroyable image,
Et de Ramparts détruits, & de Soldats mourans
***
C’est toy, Chasteau superbe, orgueilleuses murailles,
C’est dans tes Bastions que des coups surprenans
Me font oüir le bruit de ces globes tonnans,
Qui dans leurs flancs d’airain portent cent funerailles,
Fiers encor d’avoir pu resister autrefois
Aux Ottomans unis avecque les François,
 Tu te vantois d’estre invincible,
Que les plus grands Guerriers t’attaqueroient en vain,
Et qu’à tous leurs efforts toujours inaccessible
Il falloit pour te vaincre un effort plus qu’humain.
***
Le voicy ; Catinat que jamais ne repousse
L’Ennemy le plus fort & le plus indompté,
Va de tes murs hautains abattre la fierté,
Et vanger pleinement Anguien & Barberousse,
Leur cœur parut encor dans les plus grands hazards,
Aprés deux mois entiers, ferme dans tes Ramparts
 Tu vis leur Flotte disparoistre ;
D’un tel évenement je sçay qu’on t’a flatté ;
Mais, croy moy, dans trois jours Loüis sera ton Maistre,
Ce qu’attaque son bras est bien-tost emporté.
***
Sous ton vaste Donjon d’un seul coup de tonnerre,
Tel que ceux dont le Ciel terrassa les Titans,
Il vient d’ensevelir tes plus forts Combattans,
Et jusque dans son centre a fait trembler la terre.
Des plus funestes coups assailli jour & nuit,
Tu te verras bien-tost en poussiere réduit,
 Malgré ta sourcilleuse assiette ;
Catinat sous ses pieds foulera tes Rochers,
Et l’incroyable bruit de sa valeur parfaite
Va comme une merveille étonner l’Univers.
***
Au pied d’un Roc affreux l’invincible Alexandre
Vit la Nature mesme arrester ses exploits ;
Et ce que n’avoit pû l’effort de tant de Rois,
Sur ce Rocher horrible on osa l’entreprendre.
Si Maistre de la Terre il veut vaincre les Cieux,
Qu’il vole, disoient-ils, & s’éleve en ces lieux ;
 Nous luy cederons la victoire.
Que produisit enfin ce ridicule orgueil ?
Il y monta vainqueur & s’y couvrit de gloire,
Et l’insolent barbare y trouva son cercueil.
***
Tel sera le destin de cette Place altiere.
Malgré tous ses efforts, déja nos Légions
Renversent à la fois Soldats & Bastions :
Tout s’ouvre, tout se rend à leur ardeur guerriere,
Déja son Deffenseur du haut de ses Remparts
Vient demander la paix, & fait de toutes-parts,
 Cesser sa vaine resistance.
Bien-tost, superbes Murs vous vous pourrez vanter,
Appuyez de LOUIS & des bras de la France,
Que jamais Ennemi ne vous pourra dompter.
***
De là, comme un torrent que jamais rien n’arreste,
Catinat prend sa route, & triomphe en chemin.
Déja tombe à ses pieds tout l’orgueil de Turin,
Et son malheureux Prince à la fuite s’appreste ;
Mais les Nimphes du Pô se couronnent de fleurs,
Et disent en dansant que desormais leurs pleurs
 Ne grossiront plus leur domaine.
Tous nos maux sont passez, l’invincible LOUIS
Veut que nos flots heureux, comme ceux de la Seine,
Ne reconnoissent plus que l’Empire des Lys.
***
 Cher & fameux Gourdon, que mesme dés l’enfance,
Les Muses ont cent fois couronné de laurier,
Et qui dans les hazards intrepide Guerrier,
Fais aux Plaines de Nice admirer ta vaillance,
Au sage Catinat, ce genereux Vainqueur,
Que le sçavoir éleve autant que la valeur,
 Montre ces marques de mon zele.
Mais si tu veux des Vers dignes de ses exploits,
Fais-nous encore oüir cette voix immortelle,
Dont tu sçais celebrer le triomphe des Rois.

Sur la Campagne de Monsieur le Comte de Toulouse, Grand Amiral de France, à la prise de Mons. Epitre aux Muses §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 141-148.

 

Voicy d’autres Vers de Mr Craisé, Procureur du Roy de l’Amirauté de Dieppe, pour Monsieur le Comte de Toulouse. Ce jeune Prince merite bien qu’on parle de luy. Il s’est trouvé au Siege de Mons, & a monté la Tranchée à la teste de son Regiment, ce que personne n’avoit jamais fait dans un âge si peu avancé.

SUR LA CAMPAGNE
de Monsieur le Comte de Toulouse, Grand Amiral de France, à la prise de Mons.

 

EPITRE AUX MUSES.

Soyez bien de retour, Muses, de la Campagne,
Que mon grand Amiral vient, d’ouvrir sur l’Espagne,
Mais de grace, pourquoy l’exposer aux hazards,
Avant qu’il ait atteint l’âge de suivre Mars ?
Nous direz-vous de luy, qu’en des Ames bien nées,
La valeur n’attend point le nombre des années ?
Du moins il faut la force, & jamais la fierté
N’a produit les Heros avant leur puberté.
On les admire bien en tous leurs exercices,
Mais l’Etat n’en reçoit encore aucuns services.
Quel est donc l’Ascendant de ses faits inoüis ?
Ce Prince, c’est tout dire, est Fils du Grand LOUIS.
Il est né pour la Guerre, où son premier prelude,
Est d’estre à la Tranchée aussi-tost qu’à l’Estude.
Il previent vos Leçons, il n’est point en repos.
Il marche, il court, il vole au chemin des Heros.
Il fait voir un esprit au dessus de son âge.
Il se sent animé du plus ferme courage,
Et tandis qu’il apprend le cours de l’Univers,
Qu’il s’instruit dans la Carte à voguer sur les Mers,
Impatient qu’il est du métier de la Guerre,
Avant qu’armer sur l’Onde, il commande sur Terre.
***
Ayant sceu que le Roy part pour assieger Mons,
Quand la Ligue d’Ausbourg dort en ses Garnisons,
Il brusle du desir de voir former ce Siege.
Il obtient d’y venir par un pur privilege,
Son équipage est prest, il part avec la Cour,
Les Muses avec luy sortent de leur sejour.
Quoy ! les Muses au Camp à voir prendre une Place !
Regardent-elles Mons comme leur Mont Parnasse ?
L’un & l’autre, il est vray, sont couverts de Lauriers,
Mais la Ville de Mons n’en offre qu’aux Guerriers.
Cette Ville qui sert de rempart à Bruxelle,
Et qui se vante d’estre en Sieges la Pucelle,
Est de tant de côtez investie à la fois,
Qu’il semble que la terre a produit des François.
Les Lignes sont en ordre, on ouvre la Tranchée,
Où malgré les perils la gloire est recherchée.
Le Roy visite tout, il montre aux Generaux
Les postes qu’il faut battre, ou prendre par assauts.
Les Princes de l’Armée imitant ce Monarque,
Veulent braver la mort sur les postes qu’il marque ;
A peine il les retient, tant leur auguste Sang
Fait voir qu’ils ont le cœur aussi haut que le rang.
Toulouse estant de jour vient d’un air intrepide
Pour monter la Tranchée où la gloire le guide ;
Son Regiment le suit avec la mesme ardeur.
Vous, Muses, dont les soins tendent à sa grandeur,
Ne publierez-vous pas qu’il s’est fait une feste,
D’entendre les Canons foudroyer sur sa teste,
Les balles des mousquets, sifler, gresler sur eux,
D’aller durant la nuit à la lueur des feux,
Soutenir le travail, en avancer la course,
Et de voir ruisseler le sang comme une source,
D’affronter les dangers par tout son Regimen,
Qui ne le voit agir qu’avec étonnemen ?
Jamais Prince à son âge est-il devenu Maistre ?
Jamais dans la Tranchée en a-t-on veu paroistre
Avec tant de jeunesse & tant de fermeté,
Et jamais pourra-t-il estre un jour imité ?
Ce Prince auroit voulu passer la nuit entiere,
Mais un ordre secret fait borner sa carriere.
C’est assez pour sçavoir si ce jeune Amiral
Craindroit une Bataille, où le combat naval.
Le Roy qui fut charmé de voir sa bonne mine,
Par ce seul coup d’essay pour d’autres le destine ;
Et puis que Mons rendu vous rend vostre Heros,
Muses, sous ses Lauriers achevez vos travaux.

Ceremonies observées au mariage du Prince Jacques de Pologne §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 151-157.

 

Vous sçavez le mariage de la Princesse Elizabeth Palatine, Soeur de l'Imperatrice & des Reines d'Espagne & de Portugal, avec le Prince Jacques, Fils ainé du Roy de Pologne. Elle arriva le Samedy 24. de Mars à Belveder, où la Reine la vit incognito dans l'Eglise. Ensuite elle alla descendre à Jasdowa, en la maison du grand Maréchal de la Couronne, par qui elle fut receuë, & traitée magnifiquement à souper. Le lendemain Dimanche, le Roy, la Reine, les Senateurs & les Dames de la Cour allerent l'y visiter, ainsi que le Prince Jacques, qui s'y rendit accompagné des deux Generaux de Pologne & de Lituanie, & de quantité de Noblesse. Elle fit son entrée à Warsovie le soir de ce mesme jour, à la clarté des flambeaux, & fut complimentée par les Magistrats. [...] Après qu'on eut traversé la Ville, les deux jeunes Princes receurent cette Princesse à la porte de l'Eglise de S. Jean, & la conduisirent devant le Maistre Autel par dessus de riches tapis. Elle y trouva le Roy & la Reine qui luy firent une seconde reception. Le Te Deum fut chanté, après quoy le Cardinal Radziewski fit la ceremonie de la Benediction Nuptiale. Cela estant fait, cette auguste Compagnie passa par une Galerie murée à la Chambre des Senateurs, où le Festin estoit préparé. Le Roy alla s'asseoir à table sous un riche Dais, ayant le Nonce du Pape à sa gauche. La Reine avoit aussi la Princesse à costé d'elle, mais un peu plus bas, & le Prince Jacques estoit assis à un des coins de la table. Le Repas finy, le Roy dansa, & toute la Cour joüit de plusieurs autres divertissemens. Il y avoit un échafaut ou Theatre pour les Comediens Polonois, un autre pour les François, & un troisième pour les Allemans. Les trois jours suivans se passerent de la même sorte en festes, & les Presens furent faits avant qu’on se mist à table. Le Jeudy 29. à l'entrée de la nuit, il y eut un beau feu d'artifice sur deux grandes Barques longues qu’ils appellent Witinnes, bien liées & attachées l’une à l’autre. Le Lundy 2. d'Avril, le Cardinal Radziewzki traita magnifiquement toute la Cour, & ces mesmes réjoüissances ayant esté continuées encore quelques jours, furent terminées après les Festes par deux grands Festins.

[Mort de Madame Dumbarton]* §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 184-189.

 

Le 17. du mois passé, Madame Dumbarton, femme de Mr de Douglas, Milord d’Ecosse, & Commandeur de l’Ordre de Saint André, mourrut à Saint Germain en Laye, aprés avoir receu tous ses Sacremens par les mains de Mr l’Abbé de Converset, Curé & Prieur de ce lieu, avec toutes les marques d’une grande pieté & d’une entiere resignation à la volonté de Dieu, en presence du Roy & de la Reine de la grande Bretagne. Le lendemain dix-huit, le Corps, après les devoirs rendus en l’Eglise Paroissiale, fut transporté à Paris, en l’Eglise de Saint Germain Desprez, pour y estre inhumé dans une très-belle Chapelle qui a esté fondée par les Ancestres de Mr de Douglas. Ce corps estoit dans un Carosse de deüil attelé de six Chevaux, accompagné de deux Ecclesiastiques, & suivy d'un autre Carrosse de la Reine de la Grande Bretagne, où estoient Mr l'Abbé de Converset, Mr l'Abbé Coigtenton, Predicateur ordinaire du Roy d'Angleterre, & deux Gentilshommes. Le Convoy arriva sur les neuf heures du soir à l'Abbaye, à la clarté de quantité de Flambeaux. Le Pere Sous Prieur en Chape, avec un Diacre, un sous Diacre & des Chapiers, vint recevoir le Corps à la porte, estant à la teste de plus de soixante Religieux, tous avec des Cierges. Mr l’Abbé de Converset avec un Surplis & une Etole le presenta par un éloquent discours qu’il fit en Latin, sur l’illustre Naissance de Milord Dumbarton, sur la pieté de ses Ancestres, & sur leur fidelité inviolable au service de leurs Rois. Il y representa aussi les grandes vertus de la Defunte, entre lesquelles avoit toujours paru une singuliere pieté, qu’elle avoit fait éclater encore plus particulierement dans tout le cours de sa maladie, qui ayant esté longue & facheuse, luy avoit fourny la matiere d’une admirable patience. Le Pere Sou Prieur luy répondit pareillement en Latin par un excellent discours, où il s’etendit aussi sur les Eloges de la Famille illustre de Milord Dumbarton, & sur son merite personnel, & il le finit en remerciant Mr de Converset du present qu’il faisoit à l’Eglise de Saint Germain des Prez, & n’oubliant pas les louanges qu’il devoit aux vertus de la Defunte. Ensuite, le Corps fut porté au Choeur, où l'on chanta les Vespres des Morts, & de là en la Chapelle, avec toutes les pompes & les honneurs que l'on estoit obligé de rendre à une personne de sa qualité.

[Des ouvrages de l’abbé de Villiers]* §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 193-194.

 

Madame de Villette est Sœur de Mr l’Abbé de Villiers, que ses Predications n’ont pas rendu moins celebre, que le talent d’écrire également bien en Prose & en Vers, comme vous en avez pû juger par l’excellent Poëme de L’Art de prescher, & par les Reflexions sur les defauts d’autruy, & comme on en pourra juger encore bien-tost par d’autres Ouvrages qu’on dit qu’il est sur le point de donner au Public, cet Abbé employant à la composition de Livres toujours agreables & utiles, le temps que le travail de la Chaire luy peut laisser libre.

[Mort du Père Bonaventure de Recanati]* §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 196-197.

 

Il me reste à vous parler d’une perte tres-considerable que les Capucins ont faite en la personne du Pere Bonaventure de Recanati, Predicateur du Pape. Il est mort âgé de soixante & seize ans, au Convent de Rome le 14. de Mars, parmy les larmes & les soupirs de tous les Religieux, qui ne purent presque chanter pendant ses Funerailles, tant ils regrettoient amerement cet excellent homme, qui estoit l’exemple & l’ornement de tout l’Ordre.

[Madrigaux, Sonnets, Quadrains, Odes & Epigrammes sur la prise de Mons] §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 202-223.

 

Le plaisir que vous me témoignez avoir pris à lire les divers Ouvrages que je vous ay envoyez sur la derniere Conqueste du Roy, m’oblige à vous faire part de ceux qui me restent.

SUR LA PRISE DE MONS.

Lors que LOUIS, suivy de ses Troupes fidelles,
 Jette dans Mons le peril & l’effroy,
 Le fin Guillaume songe à soy,
 Et vole au secours de Bruxelles.
Quand Bruxelles bien-tost preste à changer de Roy,
Verra camper Loüis au pied de ses murailles,
Le fin Guillaume, ennemy des Batailles,
 Ira secourir Charleroy.
***
Heros, chargé d’une triple Couronne
Qui ne te couta rien, qu’un de ces attentats
Que l’équité Britannique pardonne
 Aux heureux Scelerats,
Digne Patron de Messieurs les Etats,
Dy nous un peu comment raisonne
Quiconque vante ou ta teste, ou ton bras.
Maistre dans l’art d’éviter les combats,
 Tu prens les Villes qu’on te donne,
 Et défens tres-bien en personne
 Celles que l’on n’attaque pas.
***
J’ay conquis, diras-tu, plus viste qu’un tonnerre
 Trois … Alte là, rapide Conquerant.
Si chaque Region semblable à l’Angleterre,
 Se rendoit au premier Tiran
Qui daigneroit leur declarer la guerre,
 Un Courrier ne voudroit qu’un an
 Pour subjuguer toute la terre.

MADRIGAL.

Bessus le verre en main défaisoit Alexandre ;
Ainsi faisoit Guillaume, & les Princes du Rhin.
A table ils renversoient Peronne & Saint Quentin ;
Cependant à leurs yeux Mons est reduit en cendre.
 Ce coup devroit bien leur apprendre
 A mettre un peu d’eau dans leur vin.

SONNET.

Ton Heros va finir la guerre ;
Voy le bonheur dont tu joüis,
France, quand tu te réjouïs
Malgré le Tiran d’Angleterre.
***
Nostre Monarque est un tonnerre,
Et ses exploits sont inoüis ;
Devant l’invincible LOUIS
Les plus forts murs tombent par terre.
***
 Les Ennemis de ce grand Roy
Luy cedent par un juste effroy,
Et sont vaincus dés qu’on le nomme.
***
 A voir ce qu’il fait en tout lieu,
Loüis est au dessus de l’homme,
Et c’est le Chef-d’œuvre de Dieu.

LINIERE.

QUADRAIN.

Mes vœux sont exaucez, Loüis a la Victoire,
Mons cede à sa valeur dont le Ciel a pris soin.
Peut-estre eust il manqué quelque chose à sa gloire,
Si l’injuste Nassau n’en eust esté témoin.

SONNET.

De l’Europe liguée excusons l’ignorance,
Avant que nous eussions l’Europe sur les bras ;
Nous n’avions point connu les forces de la France,
Loüis mesme, Loüis ne les connoissoit pas.
***
Brandebourg, tu l’as dit sur la vaine esperance
Qui flatoit dans Ausbourg vingt jaloux Potentats ;
Qu’il ait du nom de Grand sur tous la préference,
Si Louis de ce coup se tire d’embarras.
***
S’en est-il sceu tirer ? Nice n’est plus que poudre,
L’Italie a tremblé de ce seul coup de foudre,
Mons, l’imprenable Mons brûle dans ses marais.
***
Nassau ne s’approcha que pour se mieux convaincre,
Que rien n’est seur pour luy que la Fuite ou la Paix,
Soit que LOUIS le cherche, ou qu’il soit las de vaincre.

Le P. Mourgues Jesuite, Professeur Royal de Mathem. à Toulouse.

TRADUCTION
d’une Epigramme Latine,
Sur la Chasse du Roy, & celle du
Prince d’Orange.

Nassau chasse, & suivant une Meute legere
La soutient par son bras, l’anime par sa voix ;
LOUIS plus grand Chasseur, d’une audace guerriere
Grimpant rochers & monts met sa proye aux abois.
Leur travail est égal, mais leur prise inégale.
 Nassau courant dans un vallon
 Avec sa nombreuse cabale,
Prend un Lievre timide, & LOUIS un Lion.

L’Abbé Saurin

AU ROY.

 

SONNET.

Je ne sçay plus d’éloge à ta Gloire immortelle,
Tes augustes vertus volent de toutes parts ;
La Victoire à ton gré plante ses Etandars,
Elle te suit par tout où ton ardeur t’appelle.
***
Tes Rivaux sont à bout ; ta Conqueste nouvelle,
Où Mons a veu ton bras foudroyer ses Rempars,
Fait trembler les Lions, l’Aigle & les Leopars,
Qu’a trompez d’un Tiran l’audace criminelle.
***
On te prend pour un Mars, qui Maître du Destin,
Par un enchaînement de prodiges sans fin,
Au milieu des dangers n’en sent point les allarmes ;
***
De qui tout l’Univers doit reverer les Loix,
Quand on voit contre toy toute l’Europe en armes,
Ne pouvoir arrester le cours de tes Exploits.

LE ROUGE, Secr. du Roy.

AU ROY.

 

MADRIGAL.

Quand on pense au bonheur de ce puissant Empire,
 L’esprit remply de Philisbourg,
 Et de Cazal & de Strasbourg,
Et de Nice & de Mons, voicy ce qu’on peut dire.
La Victoire a fixé son Trône dans ton sein
 Pour l’éclat de ton Diadême,
Mille vertus chez toy se tiennent par la main,
 Et tes triomphes tout de mesme.

Le mesme.

AUTRE.

On demande pourquoy Guillaume
 Est venu dans les Pays-bas ;
Qui peut l’avoir contraint à quitter son Royaume
 Au milieu de tant d’embarras ?
 Il est venu pour voir l’Armée
 De nostre invincible Loüis,
 Dont l’équitable Renommée
Publioit tous les jours les exploits inoüis.

ODE.

Vous, qui trop loin de la France,
N’estes pas assez heureux
Pour vivre sous la puissance
D’un Roy grand & genereux.
Indiens, Chinois, Tartares,
Peuples Chrestiens, & Barbares,
Apprenez ses faits nouveaux.
Et vous, Nil, Eufrate, & Gange,
Pour oüir comme il se vange,
Calmez le bruit de vos eaux.
Par un profond artifice
Et des moyens inoüis,
Cent Princes pour l’injustice
Sont armez contre Loüis ;
Mais luy seul que le Ciel guide,
Oppose un cœur intrepide
A leur complot monstrueux,
Et du formidable orage
Sa sagesse & son courage
Rejettent l’effet sur eux.
***
 Tel souvent dans les temps sombres
Le Soleil vient à nos yeux
Chasser devant luy les ombres
Qui cachoient l’azur des Cieux.
Tel un Lion de Bizerte,
Qui voit armer à sa perte
Les vagabonds Africains,
Court sur eux sans qu’il s’étonne,
Et par les morts qu’il leur donne
Echape fier de leurs mains.
 Dés que le mois des alarmes
Eut fait fondre les glaçons,
Mon Roy couvre de Gendarmes
Tous les champs d’autour de Mons.
En grand Maistre de la guerre
Il s’en approche & le serre
D’une forest d’Etendarts ;
Et tandis qu’il le visite,
Son vaillant Fils qui l’imite
Le suit comme un autre Mars.
***
 Jamais Architecte habile
Ne laissa moins de defauts,
Et ne mit mieux une Ville
A l’épreuve des assauts.
Au pied du mur qui l’assure
La favorable Nature
Fait tourner l’eau d’un marais,
Et ceux que le siecle antique
Vit de bitume & de Brique
Ne furent pas plus épais.
 L’Ibere au Ciel peu fidelle,
A la honte de nos jours,
D’un Peuple impie & rebelle
Avoit cherché le secours ;
D’une Garnison nombreuse
La forte Place orgueilleuse,
Rit de se voir assieger,
Et sa trop longue insolence
Force un Roy plein de clemence
A ne la plus ménager.
***
 Le Monarque qui mesure
Ses desseins à sa grandeur,
Veut contraindre la Nature
A seconder sa valeur.
Nouvel & grand Alexandre,
Son pouvoir ose entreprendre
De changer les Elemens ;
Sur le profond marescage
Il s’affermit un passage,
Et des eaux il fait des champs.
 Mons entend bien-tost la foudre
Qui gronde en diverses parts,
Et chaque jour met en poudre
Quelque endroit de ses remparts.
L’air est plein d’ardentes balles,
Et de Bombes plus fatales
Que le Cheval des Troyens.
Chacun des coups qui les jette
Est une triste Comete
Pour la vie & pour les biens.
***
 Ainsi quelquefois Messine
Voit du haut d’un mont fumeux
Descendre pour sa ruine
Un cruel torrent de feux.
Un toit tombe, un se consume,
Et du quartier qui s’allume
En vain tout le Peuple fuit ;
Aux lieux qu’il prend pour azile
La flâme encor plus agile
Le devance & le poursuit.
 Le Prince que plus d’un crime
A mis sur le Trône Anglois,
A secourir Mons anime
L’Espagnol, le Hollandois ;
Mais s’il presse & s’il s’avance,
C’est une vaine apparence
Dont il les tient ébloüis ;
Il sçait, quoy qu’il dissimule,
Que les Monstres plus qu’Hercule
Doivent redouter Louis.
***
 Enfin la Ville obstinée
N’a fait que de vains efforts ;
Dedans, elle est fulminée,
Et preste à forcer, dehors.
Par le sort qui la menace
Le Soldat qui perd l’audace
Se soumet au grand Vainqueur ;
Tout Mons à ses pieds se jette,
Et benissant sa défaite,
Rend moins les clefs que le cœur.
 Cependant mon Roy foudroye
Loin de là d’autres remparts,
Villes & Chasteaux, tout ploye
Sous ses heureux Etendarts.
Des Ennemis de la France.
Les projets pleins d’insolence
En l’air sont évanouis,
Et l’on voit par nos conquestes
Que leur Ligue avec cent testes
A moins de bras que LOUIS.

SONNET.

Tremble, Espagne, à l’aspect du plus grand Roy du monde,
Qui sçait vaincre en Cesar tes Sujets indomptez ;
Leurs Forts dés qu’il paroist sont d’abord emportez,
Et son nom seul fera le mesme effet sur l’Onde.
***
Tu sentiras par tout sa valeur sans seconde,
Qui prend en peu de jours tes plus fortes Citez,
Malgré tant de Guerriers par la peur arrestez,
Qui n’osent l’approcher lors que son foudre gronde.
***
Politique au mépris de ta Religion,
Qui souffres l’Heresie & la rebellion
Contre un Roy Tres-Chrestien, contre toy-mesme, Espagne,
***
Aprés ces lâchetez ne merites-tu pas,
Qu’il vienne conquerir la prochaine Campagne,
Ce qui te reste encore à perdre aux Pays-bas ?

Salbray Ancien Valet de Chambre de Sa Majesté.

MADRIGAL.

Quand on sçait que LOUIS a formé le dessein
De donner un combat ou de prendre une Ville,
 L’heureux succez en est certain,
Il le veut, c’est assez, pour luy tout est facile.
Va-t-il assieger Mons ? Mons en vain se deffend.
Cette importante Place en quinze jours se rend,
C’est ce que l’avenir à peine pourra croire.
Il l’auroit mesme encor conquise en moins de jours,
Mais sçachant que Nassau marche pour son secours,
Et promet aux Flamans une pleine Victoire,
Pour confondre l’orgueil de cet ambitieux
Ce Monarque l’attend, & prend Mons à ses yeux.

Du Four, du Havre de Grace.

EPIGRAMME.

 Conquerir seul l’Empire des deux Mers,
Pouvoir mettre en Campagne en tout temps des armées,
 Renverser Mons, reduire les Vallées,
C’est ainsi qu’on se rend Maistre de l’Univers.

De Laistre Avoc. au Parlement.

AUTRE.

 Aprés tant de Forts emportez
Les Villes en tous lieux à se rendre sont prestes.
Rien ne peut plus, Grand Roy, retarder tes Conquestes,
 Nos Ennemis sont démontez.

Le même.

Réjoüissances faites sur le même sujet dans les principales Villes du Royaume §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 223-240.

 

La prise de Mons estant non seulement glorieuse au Roy par elle même, mais encore par les circonstances dont elle a esté accompagnée, les réjoüissances qu’on en a faites par toutes les Villes du Royaume, ont esté extraordinaires & en si grand nombre, qu’à peine un Volume entier les renfermeroit si je n’en voulois oublier aucune. Ainsi je me contenteray de vous parler d’Amiens & de Bordeaux, & ce que je vous en diray vous fera connoistre que les peuples n’ont rien épargner pour signaler la joye qu’ils ont euë de cette grande conqueste.

Le Dimanche 6. de ce mois deux compagnies de Bourgeois privilegiez d’Amiens, monterent dès sept heures du matin à la grande place de la Ville, & demeurerent armez pour garder le feu d’artifice qu’avoient fait dresser Mrs Chocqueule Premier, & Firmin Dehen, Durieux, Lorel, le Févre, du Castel, & de Pontrevé, Echevins. A dix heures, deux autres Compagnies de Bourgeois privilegiez monterent aussi en armes devant l’Hôtel de Ville, où le Bucher estoit preparé. Un moment après, quinze Compagnies de Bourgeois, s'assemblerent à la Place d'Armes, chacune son Enseigne & son Tambour, & elles furent conduites par les Chefs des Escoüades à la grande Place, où elles déplierent leurs Enseignes aux fenestres des Maisons, & y demeurerent à la garde. Il y monta une Brigade de Cavalerie du Regiment de Loëmaria. A midy, la grosse Cloche du Béfroy commença à sonner en branle & continua le reste du jour à differentes reprises, à quoy toutes les Cloches de la Cathedrale répondirent aussi tost. Sur les trois heures, les Officiers du Présidial entrerent au Choeur de cette Eglise, & y prirent place à la droite des hautes Chaires, ayant à leur teste Mr de Verville Lieutenant de Roy. Mrs les Premiers & Echevins y entrerent peu après, precedez de leurs Officiers de Ville & de leurs Sergens à Masse. Ils se placerent aux autres Chaires de la gauche, & leurs Sergens & Officiers sur un petit Banc. Le Te Deum, que chanta une excellente Musique de la Cathédrale, fut commencé au bruit du canon de la Citadelle, de toutes les Cloches, de quinze Trompettes, & de vingt Tambours qui estoient aux voutes, & qui faisoient une harmonie fort guerriere. Le tout finit par mille cris redoublez de Vive le Roy. Ensuite Mrs les Premier & Echevins allerent en Corps visiter la grande Place, où tout leur parut en fort bon ordre. Mr Chauvelin, Intendant de la Province, ayant donné à midy un fort beau repas à un grand nombre de Personnes considerables, donna le soir un fort beau soupé aux Dames. Sur les neuf heures, Mr de Verville, Lieutenant de Roy, s’estant rendu à l'Hôtel de Ville, mit le feu au Bucher avec Mr le Premier suivi de Mrs les Echevins, au bruit du Canon, des Trompetes, des Tambours, & des Hautbois. Une heure après, ils se rendirent à la grande Place, où ils sçavoient que Mr Chauvelin estoit arrivé avec les Dames, pour voir joüer le Feu d’Artifice, & où ils trouverent les Bourgeois armez rangez en haye. [...] Tout cet Ouvrage estoit de prés de trente pieds de haut sur dix-huit de large, chargé d'une infinité de fusées & d'artifice de toutes manieres. Après un grand bruit que firent les Tambours, les Trompettes, les Hautbois, & le Canon que l'on avoit préparé sur la grande Place, & une décharge generale de tous les Bourgeois armez, on tira soixante fusées volantes, & un Dragon estant party d'une maison voisine, alla allumer le feu d’artifice qui joüa avec beaucoup d'ordre pendant une heure, & finit par une nouvelle décharge de Mousqueterie. Il fut d’autant plus considerable, qu’on y tira plus de huit mille fusées, & cinq mille petards. Tous les Bourgeois firent des feux devant leurs maisons, & les réjouissances continuerent toute la nuit.

Elles se firent le même jour à Bordeaux pour cette mesme Conqueste. Après qu’elles eurent esté annoncées le matin par le Canon, au bruit des Tambours & des Fifres, les Compagnies qui sont au nombre de trente-six, allerent se ranger en tres-bel ordre devant l’Hostel de Ville, & le Parlement se rendit en robes rouges à l’Eglise Cathedrale de Saint André. La Cour des Aides s’y trouva pareillement, avec les Tresoriers & les Jurats Gouverneurs de la Ville, Mr de Sourdis, commandant pour le Roy s’y estant aussi rendu accompagné de quantité de Noblesse. Mr l'Archevesque de Bordeaux entonna le Te Deum qui fut chanté par une excellente Musique, de la composition du Sieur Morat. [...]

Messe solemnelle chantée pour la santé de S. M. & la prosperité de ses armes §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 242-243.

 

Sur la fin du mois passé, la Compagnie des Maistres Chirurgiens Jurez de Paris fit chanter dans l'Eglise de Saint Cosme une Messe solemnelle pour la santé de Sa Majesté, & pour la prosperité de ses Armes. Tous les Particuliers y assisterent, ce qui édifia beaucoup un grand concours de peuple qui s'y estoit rendu pour avoir part à cette ceremonie. [...]

[Histoire] §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 244-267.

 

La pluspart des choses qui arrivent, semblent se regler par le hazard, tant elles se font par des causes éloignées de ce qu’on auroit préveu. Un Cavalier plein d’esprit, & ayant mille belles qualitez, se fit aimer d’une jeune Demoiselle, qui trouva en luy tout ce qui pouvoit meriter son choix. Elle dépendoit d’un Pere un peu difficile à gouverner, & qui estant naturellement avare, n’estoit pas d’humeur à se résoudre aisément à luy faire quelque avance qui fust assez forte pour diminuer son revenu. Il ne laissoit pas de l’aimer fort tendrement, & lors qu’il eut sceu que le Cavalier luy touchoit le cœur, comme il avoit lieu d’estre content de son bien, il ne voulut point la chagriner, en s’opposant à sa passion, mais tout ce qu’on put obtenir de luy, ce fut qu’il feroit les frais de la Noce, tant pour les habits, que pour quelques meubles, & qu’aprés sa mort, sa Fille partageroit sa succession avec ses autres enfans, qui estoient au nombre de trois. Le Cavalier qui aimoit la Belle, se fust resolu à la prendre pour ses droits, si elle eust voulu y consentir, mais s’estant flatée qu’avec le temps ses Amis viendroient à bout de son Pere, elle trouva à propos de ne rien précipiter, & empêcha son Amant de se relâcher sur les propositions qu’il avoit faites. Son panchant estoit pour la dépense, & elle voyoit qu’avec le seul bien du Cavalier, on auroit peine à fournir à celle que son inclination la portoit à faire. Ainsi les choses furent traisnées en longueur, & il se passa deux ou trois mois sans que l’on songeast à rien conclurre. Pendant ce temps, le Cavalier s’estant rencontré avec des Dames auprés de qui brilloit un Marquis par beaucoup de choses dites hardiment, mais avec peu de bon sens, s’avisa de l’entreprendre, & le poussa d’une maniere si vive, qu’il en demeura déconcerté. Le hazard voulut que s’estant trouvez ensemble en d’autres visites, le Marquis fut encore poussé par le Cavalier qui battoit à froid, & qui relevoit admirablement une sottise sans pourtant rien dire de desobligeant. Ce fut un second outrage qu’il ne put luy pardonner. Il resolut d’en tirer vangeance à quelque prix que ce fust, & ayant appris l’amour que le Cavalier avoit pour la Belle, & qu’il estoit prest de l’épouser, il se mit en teste de luy ôter sa Maistresse, en allant la demander pour luy à son Pere. Il estoit extremement riche, & d’une naissance fort considerable. Ainsi il ne douta point qu’en se déclarant il ne fust tres bien receu. La chose arriva comme il l’avoit esperé. Le Pere trouva dans ce party des avantages si grands pour sa Fille, que craignant de rebuter le Marquis, s’il le traitoit comme il avoit fait [avec] le Cavalier, il convint de luy donner une Terre de quatre mille livres de rente. Le Marquis de son costé le laissa le maistre des articles du Contrat & vous jugez bien qu’il n’oublia pas les interests de sa Fille. La chose estoit arrestée quand elle en eut le premier avis. Les assurances qu’elle avoit données au Cavalier jointes aux sentimens de son cœur, qui luy estoient favorables, la jetterent dans un embaras terrible, mais enfin l’ambition l’emporta, & comme la volonté de son Pere luy servoit d’excuse, aprés avoir essuyé quelques reproches, elle sceut si bien luy faire entendre raison, qu’il fut contraint d’avoüer qu’il l’aimeroit peu, s’il luy faisoit perdre une si haute fortune. Il eut mesme la discretion de luy cacher le peu d’estime qu’il avoit pour le Marquis, & prit congé d’elle pour aller faire un voyage de deux ou trois mois, afin de s’épargner le chagrin d’estre le témoin d’un mariage qui le privoit de ce qu’il aimoit le plus. Il se fit en peu de jours, & la Belle à qui le Marquis n’épargna rien pour la mettre dans l’éclat où elle souhaitoit d’estre, aprés luy avoir fait faire beaucoup de dépenses inutiles, usa du pouvoir qu’elle avoit sur luy pour en obtenir encore une Croix de Diamans. Elle luy en fit de telles instances qu’il fut obligé de la promettre, & comme elle estoit fort impatiente dans tous ses desirs, un mois qu’il differa à la satisfaire luy parut un Siecle. Enfin pour luy mettre l’esprit en repos, & se délivrer de ses importunitez, il la mena chez cinq ou six Joüailliers qui ne luy monstrerent rien où il ne trouvast des defauts considerables. L’un d’eux luy dit que s’il vouloit attendre dix ou douze jours il acheveroit de mettre en œuvre des Diamans forts nets & fort bien choisis, & qu’il seroit content de la Croix, mais qu’il la vendroit cinq cens Louis, sans en pouvoir rien rabattre. Le Marquis ne témoigna aucun empressement de la voir à cause du prix, mais la Dame le pria de la vouloir apporter chez elle, & pendant ce temps ses carresses redoublées disposerent le Marquis à luy faire ce present. Le Jouaillier vint, la Croix fut trouvée toute charmante, & on luy compta les cinq cens Louis en presence de deux ou trois Femmes que le hazard avoit amenées chez elle. Sa joye fut grande de se voir parée d’un si beau Bijou, & cette nouvelle marque d’amour que luy avoit donnée son Mary, l’obligea à prendre de luy tous les soins possibles dans une fascheuse maladie dont il fut surpris peu de jours aprés. Les Medecins n’y purent trouver aucun remede, & quand ils luy eurent dit qu’il devoit songer à ses affaires, il pria la Dame, si elle vouloit qu’il mourust content, de ne luy pas refuser une chose qu’il vouloit luy demander. La douleur fausse ou veritable qui fournit toujours des larmes aux Femmes dans ces sortes d’occasions, luy en fit verser en abondance, & ce ne fut qu’en poussant mille sanglots qu’elle l’asseura qu’il obtiendroit tout. Alors il expliqua sa priere qui se reduisit à la Promesse qu’il exigea d’elle, de n’épouser point le Cavalier. Il la reïtera plusieurs fois, tant cette affaire luy tenoit au cœur, & ce furent les dernieres paroles qu’il pût prononcer. Sa mort luy fit pousser tous les cris qui sont ordinaires dans la perte d’un Mary. Elle pleura, s’affligea & dit à tous ceux qui luy parlerent de se resigner à la volonté de Dieu, que rien ne seroit jamais capable de la consoler, mais aussi tost qu’elle eût eu le temps de se recueillir assez pour faire reflexion qu’elle demeuroit une riche Veuve, elle trouva à propos d’estre moderée dans sa douleur, & se rendit aux conseils de ses Amies qui ne furent point d’avis qu’elle se gastast le teint, en continuant de pleurer un Mort qu’elle ne pouvoit ressusciter. Le Cavalier à qui on manda cette nouvelle, revint promptement luy faire ses complimens. Elle les receut comme d’un Amy qu’elle sçavoit qui l’aimoit toujours, & le pria de la voir fort rarement pour fermer la bouche à la médisance. Il crut qu’il ne luy déplairoit pas s’il se dispensoit de luy obeïr, & n’ayant pû s’empescher en d’autres visites de luy expliquer les sentimens de son cœur, elle l’arresta en luy apprenant ce que son Mary l’avoit engagée à luy promettre. Le Cavalier surpris de cet incident, luy demanda si elle avoit oublié qu’il n’avoit tenu qu’à elle qu’il ne l’eust épousée sans aucun bien, & s’il estoit juste qu’aprés s’estre arraché à luy-mesme pour la laisser en estat de joüir de sa fortune, elle ne fust point touchée de ce qu’il avoit souffert, quand elle estoit en pouvoir de disposer d’elle-mesme. La Dame luy répondit qu’elle se sentoit le mesme cœur, mais que tant de monde avoit ouy la priere que son Mary luy avoit faite en mourant, que ce seroit l’offencer dans le tombeau, & s’exposer à la raillerie publique, que de n’executer pas sa derniere volonté. Il tâcha en vain de faire parler l’Amour, la Dame n’écouta rien, & d’autres conversations qu’il eut avec elle sur cette mesme matiere, ne la purent obliger à changer de sentiment. Cependant il arriva une chose qui produisit un effet bizarre que le dépit de la Dame rendit heureux pour l’un & pour l’autre. Une de ses meilleures Amies qui devoit aller au Bal, luy vint emprunter sa Croix, & comme elle en loüoit la beauté, un Orfévre qui estoit present, & qui apportoit de petits flambeaux de Cabinet qu’on luy avoit commandez, prit cette Croix qu’il entendoit tant vanter, & aprés l’avoir examinée, il dit que le travail en estoit fort beau, & que si on y avoit employé de bons Diamans, elle vaudroit tout au moins deux mille écus. La Dame luy répondit qu’il falloit que les faux Diamans fussent bien chers, puis qu’on avoit payé de ceux qu’il voyoit cinq cens Loüis d’or en sa presence. L’Orfévre persista à dire si affirmativement, & d’un si grand serieux que tous ces Diamans estoient faux, qu’elle commença à s’étonner. Il fallut pourtant pour la convaincre envoyer chercher deux ou trois autres Orfévres, qui ne luy laisserent aucun doute qu’elle n’eust esté trompée. Elle alla sur l’heure chez le Joüaillier qui avoit vendu la Croix, & ne l’ayant point trouvé, elle demanda sa Femme, qui se connoissant en Diamans, soutint que son Mary ne pouvoit avoir vendu cette Croix pour bonne. La Dame qui ne se put contenir, parce qu’elle avoit esté témoin de l’argent donné, dit que c’estoit un fripon & un voleur, & que s’il ne luy rapportoit les cinq cens Loüis qu’il avoit receus, il entendroit parler d’elle d’une maniere qui assurément ne luy plairoit pas. Le Joüaillier de retour, ayant sceu la Scene qui s’estoit joüée, dit qu’il étoit resolu d’attendre qu’on le poussast, & qu’il estoit juste que l’éclat qu’on avoit fait, fust reparé par un autre éclat. Le lendemain on vint luy faire un message, pour l’obliger d’aller voir la Dame, & il répondit qu’aprés les injures qui luy estoient échapées, il ne parleroit que dans les formes sur son accusation. Deux jours aprés il luy fut signifié par un exploit de Sergent, qu’il eust à venir se défendre sur la Croix de Diamans. Il parut devant le Juge, & non seulement il tomba d’accord qu’ils estoient faux, mais il avoüa qu’il avoit touché la somme qu’on luy demandoit. La Dame commençoit à s’applaudir d’avoir gain entier de cause, lors qu’il fit voir un Billet de la main de son Mary, portant que quoy que le Joüaillier eust receu de luy cinq cens Loüis d’or pour cette Croix devant deux ou trois témoins, la verité estoit qu’il les luy avoit rendus, & avoit esté seulement payé des faux Diamans, suivant le prix dont ils estoient convenus. La Dame fut au desespoir de cette avanture, qui ayant fort éclaré, parce qu’elle avoit conté la chose à tous ses Amis, fit connoistre à tout le monde la tromperie qu’on luy avoit faite. Elle ne la put pardonner à son Mary, & pour s’en vanger, elle protesta qu’elle se tenoit dégagée de la parole qu’il avoit voulu qu’elle luy donnast de ne point épouser le Cavalier. On luy remontra que les choses qu’on promettoit aux Mourans devoient estre inviolables, & que le Marquis pouvoit sortir du tombeau pour luy venir faire des reproches de son infidelité. Elle répondit qu’elle estoit Femme à ne pas s’épouvanter ; que s’il s’avisoit de luy apparoistre pour luy dire ce qu’il auroit sur le cœur elle sçavoit ce qu’elle avoit à répondre, & que quand ce ne seroit que par curiosité, elle noüeroit volontiers conversation avec un Mort. Il y avoit environ dix mois qu’elle étoit Veuve, & sans vouloir écouter personne, lors que l’année de son deüil fut expirée, elle se donna au Cavalier, à qui elle apporta un fort gros doüaire, & la joüissance de la Terre que son Pere luy avoit cedée en la mariant avec le Marquis.

[Madrigal sur les Couches de Me la Duchesse de Humieres] §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 270-271.

 

Madame la Duchesse de Humieres est accouchée. Vous sçaurez de quel Enfant en lisant ce Madrigal.

 Nostre jeune Duchesse,
 Pour qui tout s’interesse,
 Vient, dit-on, d’accoucher.
 De quoy ? C’est d’une Fille.
Qu’importe, & pourquoy s’en facher
Dans l’Arsenal, dans la Bastille ?
Je ne puis le dissimuler,
La douleur en est fort legere.
Qu’elle ait la beauté de sa Mere,
On a dequoy se consoler.

[Les desordres du Jeu] §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 292-293.

 

Tous les Livres dont la lecture donne du plaisir, ne sont pas toujours aussi utiles qu’ils sont agréables. C’est ce qui doit faire estimer celuy qui paroist depuis peu sous le titre Des desordres du Jeu, puis qu’il est aussi profitable que divertissant. On y voit les malheurs que le Jeu cause parmy les Princes, les Ecclesiastiques, les Courtisans, les Gens de guerre, les Magistrats, les Femmes, les jeunes gens, & les Vieillards, & ces desordres sont prouvez par des exemples des malheurs arrivez pour le Jeu à toutes ces sortes de personnes. Ainsi l’on peut dire que ce Livre est composé d’une infinité de petites histoires qui divertissent en instruisant, & qui donnent de l’horreur pour une passion si condamnable. Il se vend chez le Sr Michalet, Imprimeur du Roy ruë Saint Jacques, à l’Image S. Paul. On le trouve aussi chez le Sr Guerout.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1691 [tome 5], p. 330-331.

Je croy que vous serez satisfaite du Printemps dont vous allez lire les paroles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Le doux Printemps est enfin de retour, &c. doit regarder la page 330.
Le doux Printemps est enfin de retour,
Accompagné des Zephirs & de Flore.
La jeune Beauté que j'adore
Commence à goûter mon amour.
Je voy bien qu'à m'aimer son ame se dispose,
Son cœur devient reconnoissant,
Puis qu'elle mesme en rougissant
M'en a déjà dit quelque chose.
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