1691

Mercure galant, août 1691 [tome 8].

2017
Source : Mercure galant, août 1691 [tome 8].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1691 [tome 8]. §

Prologue. Tiphon et les Geants §

Mercure galant, août 1691 [tome 8], p. 12-22.

 

Mr des Forges, a fait un Prologue, intitulé Les Geans. Le dessein qu’il a eu dans cet Ouvrage se fait assez connoistre, sans qu’il soit besoin de se l’expliquer. Il a esté mis en Musique par Mr de Brossard, Maistre de Musique de la Cathedrale de Strasbours.

PROLOGUE.
TIPHON ET LES GEANTS.

 

LES GEANTS.

Asseurons nostre vangeance
Contre le Dieu trop glorieux
Que fait sentir en tous lieux
L’excés de sa puissance.

TIPHON.

Le puissant Jupiter, tout fier de ses exploits,
Depuis assez long temps fait craindre son tonnerre,
Et menace toute la terre
De l’assujettir à ses loix.
Depuis assez long temps Bellonne & la Victoire
Font leurs plaisirs les plus doux
D’éterniser sa memoire,
Sans reserver un seul moment pour nous.
Vangeons-nous de l’excés de sa valeur extrême,
Unissons nos cent bras contre son Diadême,
Et plus heureux
Que ces Titans fameux
Qui braverent jadis sa puissance suprême,
Arrestons de ses faits le cours impetueux ;
Que malgré ses efforts il tombe enfin luy-même.

CHOEUR DE GEANTS.

Unissons nos cent bras, &c.

MERCURE paroist.

Temeraires Mortels, vos efforts seront vains.
Que vous sert-il d’oser trop entreprendre ?
Le prudent Jupiter instruit de vos desseins
Sçaura facilement contre vous se défendre.
Son bras toujours victorieux
A déjà mis sous son obeïssance
Mille Peuples audacieux.
Craignez de ressentir comme eux
Le triste effet de sa vengeance.
Calmez, calmez plutost ce vainqueur irrité,
Il est trop dangereux de vouloir luy déplaire,
Cessez d’admirer sa colere
Son grand coeur oubliera vostre temerité.

CHOEUR DE GEANTS.

Nous méprisons ce Dieu terrible,
De nostre audace en vain on croit nous voir punis.
Est-il rien d’impossible
A tant de bras unis ?

MERCURE.

Bientost de vostre indigne offence
Vous recevrez le juste châtiment.
Vous vous armez contre luy vainement
Ce Dieu seul contre tous punira l’insolence.
Mars en tous lieux accompagne ses pas ;
Malheureux, redoutez la force de son bras.

CHOEUR DE GEANTS.

Nous méprisons ce Dieu terrible
De nostre audace en vain on croit nous voir punis.
Est-il rien d’impossible
A tant de bras unis ?

TIPHON.

Il est temps que chacun r’anime son courage.
Pour braver la valeur de ce Dieu si puissant,
Opposons de ce Mont le sommet menaçant
A son trop rapide passage,
Et que son Regne florissant
A cent Peuples jaloux ne porte point ombrage.
Mais déjà des Tambours nous entendons le bruit.
C’est Jupiter qui nous poursuit,
Hercule prés de luy contre nous s’interesse.
Courons aux armes, le temps presse.

CHOEUR DE GEANTS.

Jupiter nous poursuit,
Courons aux Armes, le temps presse.
*
Jupiter lance son Tonnerre.
*

TIPHON.

Quoy rien ne peut rallentir son ardeur ?
Sa presence par tout inspire la terreur,
Tout se rend à sa voix, tout flatte son envie.
Ce mont si redouté devant luy s’humilie.
Quelle honte pour nous ? quelle gloire pour luy !
Faut-il que nous servions de lustre à son Histoire,
Et n’aurons-nous armé tant de bras aujourd’huy
Que pour estre témoins de l’excés de sa gloire ?

CHOEUR DE GEANTS.

Ah ! fuyons, l’ennemy s’avance prés de nous,
Evitons, s’il se peut, le fureur de ses coups.
*

SUIVANS de Jupiter qui poursuivent les Geans.

*
Ingrats, vostre fuite est vaine,
Nous vous poursuivrons en tous lieux.
Recevez la juste peine
De vos efforts audacieux.

JUPITER.

Des ennemis liguez je suis enfin le Maistre,
Et leurs soins ont esté perdus.
Ils ont appris à me connoistre :
Le seul bruit de mon nom les a tous confondus.
Mortels heureux, goustez en assurance
Les doux momens que vous offre mon bras.
Vivez en paix, vivez sans embarras,
Jupiter prend vostre défense.
*

CHOEUR de Mortels & de Bergers.

*
Vivons en paix, vivons sans embarras,
Jupiter prend nostre deffense.
Goûtons en assurance
Les doux momens que nous donne son bras.
Honorons à jamais un Dieu si magnanime,
Que nos chants redoublez résonnent dans les airs ;
Qu’un mesme zele nous anime,
Il est digne de nos Concerts.
Que de mille bienfaits il comble nostre vie,
Qu’il triomphe toujours en dépit de l’envie,
Que l’immortalité ne l’arrache à nos yeux
Que pour briller parmy les autres Dieux.
Marquons-luy les transports que sa presence inspire ;
Il merite les soins que nous prenons pour luy.
Que par tout son grand nom retentisse aujourd’huy ;
Puissons-nous à jamais admirer son Empire.
*

DEUX BERGERS.

Preparons-luy des jeux nouveaux.
Que nos chants les plus beaux
Succedent au bruit de la Guerre ;
Ce Dieu veut bien suspendre son tonnerre
Pour partager sous nos Ormeaux
Les champestres plaisirs de nos simples hameaux.

GRAND CHOEUR.

Honorons à jamais ce Dieu si magnanime
Que nos chants redoublez résonnent dans les airs,
Qu’un mesme zele nous anime ;
Il est digne de nos Concerts.

Les Dieux au Conseil sur la destinée du Prince d’Orange §

Mercure galant, août 1691 [tome 8], p. 34-92.

 

Je vous envoye le Dialogue que je vous promis le mois passé. Le nom de l’Auteur ne m’est point encore connu. Il n’a pas pourtant sujet de se cacher, aprés l’approbation qu’il sçait que le Public donne à ses Ouvrages.

LES DIEUX
AU CONSEIL
Sur la destinée du Prince
d’Orange.

JUPITER.

Partez, Mercure, & sans vous arrêter un moment, allez dire à mes Freres, Neptune & Pluton, de se rendre incessamment icy pour tenir Conseil. Quant aux Dieux de ce pays-cy, j’avertiray moy-mesme ceux de qui je veux prendre avis.

MERCURE.

Ne vous plaist-il pas que j’y mande aussi les Faunes, les Satyres, les Sylvains, les Nymphes, les Dryades, & les Hamadryades, avec toute la sequelle des Divinitez du bas étage ?

JUPITER.

Non, de par tous les Diables, non. Que ferions-nous de toute cette cohuë ? Elle voudroit disposer de tout, aussi-bien que la Chambre-Basse d’Angleterre. Partez, vous dis-je. Que ce Prince d’Orange me payera bien la peine que je vay me donner à tenir Conseil ! J’avois si fort abandonné à l’Avanture, mon premier Ministre d’Etat, le soin des affaires de là-bas, que durant des siecles entiers il ne me venoit seulement pas en pensée de luy demander quel cours elles prenoient ; & voicy que ce Prince remuant se prévalant de la negligence de mon Ministre, & de la mienne, bouleverse tout à sa fantaisie. C’est un desordre que je ne veux pas souffrir, & il faut que je travaille à y apporter du remede. Ah ! te voilà déja de retour, Mercure ! Eh bien, mes Freres viendront-ils ?

MERCURE.

Ils entrent.

JUPITER.

Fais sortir tout le monde, excepté Mars, Themis, & la Paix, & garde la porte.

MERCURE.

Parlez, s’il vous plaist, à Momus. Il veut demeurer en dépit de moy.

JUPITER.

Bon ! Momus icy ! Qu’y ferois-tu, mon pauvre Amy ? Nous allons estre sur le serieux.

MOMUS.

Que tous les maux du monde puissent te confondre, Prince d’Orange, qui me fais ainsi chasser de la Compagnie de mes Maistres, où quelquefois je suis plus grand Seigneur qu’eux. Aussi, à dire le vray, Jupiter n’est qu’un innocent. Si j’estois aussi bien que luy maistre d’un foudre, je t’aurois bien-tost reduit en pieces.

JUPITER.

Comme il m’est tout-à-fait extraordinaire, Messieurs, de tenir Conseil, & sur tout de n’y appeller qu’un aussi petit nombre de Dieux que vous estes icy, je ne doute pas que vous ne soyez en peine du sujet qui doit servir de matiere à nostre Consultation d’aujourd’huy ; ainsi je croy qu’il est à propos de commencer par vous dire, que dernierement je jettay les yeux sur l’Europe, & qu’ayant apperceu le desordre épouvantable que le Prince d’Orange y cause par son ambition demesurée, j’en ay conceu tant d’indignation que j’ay résolu d’y mettre ordre, & pour cela, je veux apprendre de vous le détail des miseres où il a plongé les Peuples, & les remedes que vous estimez propres à les arrester. Vous me ferez un plaisir sensible de me dire vos avis sincerement sur ce que je vous demande, & je puis vous assurer que je suis outré de voir ainsi ma chere Europe, ce Pays de nostre naissance, si pleine de confusion. On ne s’y garde plus de bonne foy, le droit des gens y est presque inconnu, & l’on y employe le feu, le fer, & quelquefois mesme le poison, pour se défaire de ceux que l’on n’a pas interest de laisser vivre.

NEPTUNE.

Qu’il y a long temps que je souhaite cet heureux moment, où il m’est enfin permis de m’expliquer à mon gré sur ce qui nous amene icy, & que j’aime à vous voir à present en resolution de jetter les yeux sur ce que font les hommes, & à les traiter chacun selon leur merite !

Puis que c’est le Prince d’Orange dont nous avons à examiner la conduite, pour regler sa destinée, je ne m’étendray pas à vous faire un long recit de ses qualitez personnelles, estant bien persuadé que nous ne le connoissons que trop, & je me contenteray de vous dire que pour ce qui me regarde en particulier, j’ay perdu tout repos, & que je me vois dans de continuelles inquietudes depuis qu’il s’est mis en teste d’estre Roy d’Angleterre, quoy qu’il en coute.

Avant son entreprise je me faisois un regale de voir des Flotes voguer sur mes eaux, & je me plaçois quelquefois sur la pointe d’un rocher pour considerer à mon aise ces maisons flotantes qu’on appelle Navires, & mesme j’admirois l’adresse des hommes d’avoir sceu si bien brider Eole, nostre Confrere, qu’ils se servent de luy comme d’un mercenaire à gages, pour se transporter par son moyen où bon leur semble. Mesme comme ce n’estoit qu’en quelques saisons de l’année & durant les beaux jours qu’ils me donnoient ce spectacle, & que d’ailleurs ils avoient le soin de se renfermer en des lieux d’abry, dés qu’ils voyoient approcher les incommodes Saisons, j’avouë que je m’en divertissois agreablement ; mais à present ce divertissement se change en peine. Il faut que je fasse par necessité ce que je ne faisois que pour mon plaisir, & je suis obligé l’Hiver aussi-bien que l’Eté, durant la tempeste comme durant la bonace, d’estre perpetuellement à l’herte pour veiller à ce qu’il ne se passe rien à mon préjudice.

Quelle peine n’est-ce pas pour moy, qui ne me plais ny dans la grande chaleur ny dans le grand froid, d’estre toûjours aux écoutes, ou dans la crainte de me voir forcer dans mes Palais ? J’entens quelquefois heurter impetueusement à ma porte, & quand j’envoye un Triton s’informer de ce que c’est, il me rapporte que ce sont des Vaisseaux qu’une tourmente a coulez à fond pour s’estre mis en Mer hors de mouçon ; & si je demande à ces pauvres gens d’où vient cette fureur qui les precipite à un naufrage certain, ils me répondent qu’il faut bien obeïr au Prince d’Orange, qui les force à s’exposer ainsi, tantost pour porter ses Confidens en Hollande, tantost pour l’y porter luy-mesme. D’autrefois je me sens étourdir les oreilles d’un bruit effroyable, & quand je mets la teste hors de l’eau pour apprendre d’où procede ce fracas, je ne sçaurois rien appercevoir tant l’air est en feu & en fumée ; & si j’arreste quelque malheureux noyé, il m’apprend que c’est un combat Naval qui se livre entre les partisans du Prince d’Orange & les François, qui ne veulent pas souffrir que ce Prince qui n’est qu’un simple particulier, donne la loy à toutes les Puissances de l’Europe. J’en rencontre quelquefois d’autres qui s’engloutissent tout vivans pour venir foüiller jusque dans mes trésors, & lors que je leur demande qui les autorise à me venir troubler comme ils font, ils me montrent une Commission du Prince d’Orange qui leur ordonne de repescher au fond de la Mer de l’or du Perou qui s’y est perdu depuis plus d’un siecle avec des Galions d’Espagne ; sans que ces hardis Avares fassent reflexion, qu’outre que je suis le Seigneur dominant de la Mer, & que par consequent tous ces biens épaves m’appartiennent, une possession comme est la mienne de plus de cent années, m’acquiert sur cet Or un droit incontestable. Enfin si vous me voyez mal vêtu, c’est au Prince d’Orange que j’en ay l’obligation ; car l’interdit qu’il a jetté sur tout le commerce, empeschant tous les Vaisseaux d’aller aux Indes, ou d’en venir, il n’y a plus de Vaisseaux Marchands qui fassent naufrage ; ainsi je n’ay plus d’occasion, comme je l’avois auparavant, de trouver parmy les débris quelque riche piece de brocard de la Chine, ou quelque autre belle étoffe pour m’habiller.

Jugez, Seigneur, si tout cela me doit satisfaire, & à quel dépit il ne m’est pas permis de m’emporter contre cet esprit inquiet, qui me prive absolument de mon repos. Voilà les justes sujets de plaintes que j’ay contre le Prince d’Orange ; & je m’en serois déja fait raison si ce n’estoit que je suis persuadé que l’amitié fraternelle qui est entre nous, demande que nous ne fassions rien de consequence sans l’avoir auparavant concerté. C’est pourquoy je vous supplie de trouver bon que j’en prenne à la premiere occasion une vangeance signalée, & que je le fasse perir aussi-tost qu’il se sera rembarqué pour l’Angleterre.

PLUTON.

Si je ne considerois que moy-même, je conclurois bien autrement que ne vient de faire Neptune : car en ne me regardant que comme un Souverain qui se fait d’ordinaire un plaisir de voir accroistre le nombre de ses Sujets, j’aurois à vous prier de laisser vivre le Prince d’Orange, puis que depuis qu’il fait parler de luy, & qu’il a allumé la guerre, je voy mon Domaine s’étendre, & les Enfers se peupler considerablement. Il nous arrive à tous momens des Troupeaux d’ames, que nous ne sçavons presque plus où placer, & j’estime que si cette affluence continuë, je seray reduit à les envoyer occuper sous vostre bon plaisir les vastes campagnes des espaces imaginaires. Le bon homme Caron en est quelquefois fatigué jusqu’à ne pouvoir porter la main à son gouvernail ; & ce qui m’inquiette plus que tout cela, c’est que je commence à avoir pour suspect ce vieil Avaricieux, (que cela soit dit entre nous) qui quoy qu’il ne reçoive qu’une obole de chaque Passager, s’en fait pourtant un si grand fond à present qu’il passe beaucoup d’Ames, que je crains que sentant que j’ay besoin de luy, il ne me fasse suracheter ses services, qu’il ne fasse de l’entendu, & que sur le mauvais exemple du Prince Loüis de Bade en Allemagne, il ne veüille plus servir que quand, comme, & où bon luy semblera.

C’est pour cela que considerant quelle peste c’est pour le genre humain, & quelle peine pour nous autres Dieux, que ce Prince d’Orange, qui ne se soucie pas que tout perisse, je suis ravy que vous me fassiez l’honneur de me consulter sur ce que nous avons à en faire. Voicy ce que je sçay de luy. C’est qu’il fomente une guerre cruelle qui finiroit s’il estoit hors du monde ; c’est qu’il fait perir en un mois plus d’hommes, que d’ordinaire il n’en meurt en un an ; c’est qu’il met nostre Europe à deux doigts de sa perte, & qu’au lieu d’une bonne intelligence qu’il devroit y avoir entre ceux qui l’habitent, il fait tant par ses intrigues, que chacun y fait des entreprises sur ses Voisins, & qu’ils semblent tous ne conspirer qu’à qui se fera le plus de mal.

Tout cela ramassé ensemble, je le trouve coupable de plusieurs crimes, pour raison desquels on doit le punir rigoureusement. C’est à quoy je conclus, & j’offre pour l’execution de ce conseil les plus cruels de mes Monstres.

MARS.

Aimant la guerre autant que je l’aime, il semble que je ne doive pas estre mécontent de celle que le Prince d’Orange excite dans l’Europe, puis que c’est sous mes Enseignes qu’elle paroist se faire, & qu’elle fait retentir mon nom de toutes parts. Mais, Messieurs, ceux qui sont dans cette opinion, ne considerent guere ce qui se passe en la conjoncture d’à present. J’aime la guerre, à la verité, mais la guerre que j’aime est une guerre juste & équitable, qui se passe dans les regles & suivant les Loix que j’ay prescrites. J’aime une guerre qui se fait par une pure émulation, & seulement afin que les Sujets des Princes qui la soutiennent ne viennent point à s’engourdir par une trop molle oisiveté. J’aime une guerre qui se fait de bonne foy & sans supercherie. Enfin, la guerre que j’aime est celle où l’on n’oublie point que l’on est homme, où l’on observe inviolablement le droit des gens, où l’on ne risque à perdre que quelque pouce de terre, & où il ne meurt que ceux que leur destinée veut faire perir par ce genre de mort.

Mais la guerre du Prince d’Orange n’est point du tout de ce caractere. Ce n’est pas, à proprement parler, une guerre, mais une fureur & un massacre concerté. Vous pourrez bien m’en croire sur ce que je vous diray, puis que la guerre estant de mon département, j’ay eu l’œil sur celle-cy plus que qui que ce soit.

Si je la regarde dans son origine, & que j’en approfondisse la cause, je n’en trouve point d’autre qu’un desir temeraire dans le Prince d’Orange de porter une Couronne. Si j’en examine les pretextes, je n’y voy rien de plausible, car enfin la raison veut-elle, & le bon sens le peut-il souffrir, qu’à cause que parmy une vile populace, il se trouvera quelques Mutins qui se plaindront qu’on ne leur conserve pas de pretendus privileges, un particulier qui ne fait point partie du corps de la Nation, soit en droit d’équiper une Armée, & d’entrer dans le Païs pour se mettre à la teste de cette canaille ?

D’ailleurs, l’ordre de la guerre qui s’observe inviolablement parmy les Nations les plus sauvages, l’ordre, dis-je, de la guerre demande qu’on la dénonce. C’est ainsi qu’en usoient autrefois les Romains. C’est ce qu’ont toûjours observé les Turcs, pour qui les peuples du Septentrion n’ont que peu d’estime, & c’est ce qui se pratique encore actuellement parmy les Sauvages de l’Amerique qui sont la barbarie même ; & cependant le Prince d’Orange, prétendu Protecteur des Loix, a fait son entreprise tellement à la sourdine, qu’on n’a sçû qu’il en vouloit au Roy d’Angleterre, que quand il a eu débarqué dans son Isle.

Tout cela me paroist si pernicieux & d’un si dangereux exemple, qu’afin de prévenir la témerité des Nations qui sont dans chaque Etat, je suis d’avis que l’on extermine ce Prince d’Orange, pour donner à connoistre à ses semblables, que les Dieux ne laissent point impunies des actions si remplies de mauvaise foy que le sont les siennes ; & si vous voulez vous rapporter à moy de sa punition, je la feray si éclatante qu’il en sera parlé à jamais.

THEMIS.

Je n’oserois, Seigneur, entreprendre un Discours reglé contre le Prince d’Orange, dont on vient de vous parler. Ce n’est pas que je n’aye à dire quelque chose de plus fort encore que ce que l’on vous a remontré, mais la douleur d’avoir esté maltraitée au dernier point par cet homme plein d’injustice, m’accable si fort, que je crains que les paroles ne me manquent, & que je ne puisse achever la description des outrages qu’il m’a faits.

Il y a bien des hommes injustes à la verité, & ç’a esté parce que je leur ay vû trop de mépris pour moy, que je me suis bannie moy mesme de leur societé, & que j’ay repris le chemin du Ciel, où vous m’aviez devancée ; mais j’avois au moins la consolation de connoistre que ces injustes ne l’estoient qu’en de certaines choses, & que pour le reste ils suivoient assez les préceptes que je leur avois laissez. S’ils commettoient un crime pour satisfaire une passion par laquelle ils se laissoient trop gouverner, ils prenoient le soin que toutes leurs autres actions ne fussent pas dans le déreglement ; mais le malheureux contre qui il y a déja longtemps que je vous ay porté mes plaintes, entasse crimes sur crimes, & bien loin de se moderer à present qu’il possede ce qu’il souhaitoit, il se sert de ces mêmes crimes, comme d’échelons, pour monter à de plus grands. Je ne vous rappelleray pas en memoire les sages Loix, que par vostre ordre j’ay établies parmy les hommes, & je ne doute pas que vous ne vous souveniez des défenses expresses que nous leur avons faites de s’approprier injustement les biens les uns des autres ; que sur tout nous leur avons recommandé d’avoir tout le respect possible pour les liens sacrez du sang qui les unit si étroitement ensemble ; que nous avons declaré positivement que nous traiterions comme des Monstres ceux qui violenteroient leurs Peres, ou ceux qui leur tiennent lieu de Peres ; que nous leur avons enjoint de se garder de la bonne foy, non seulement entre Amis, mais entre Ennemis, quand une fois ils seroient convenus de quelques conditions entre eux ; & enfin que nous aurions une horreur éternelle pour les Ames malfaisantes qui ne se plaisent que dans le carnage, & qui par des ordres secrets contraires à ceux qu’ils donnent en public, livrent à la colere de leurs Ennemis ceux d’entre leurs Amis, qui dans la trop grande confiance qu’ils ont en ces détestables Traistres, leur ont mis leur sort entre les mains. Voilà la loy, & voicy les contraventions que le Prince d’Orange y a faites.

Nous défendons aux hommes de s’approprier injustement le bien d’un autre, & ce Prince occupe actuellement le Trône du Roy legitime d’Angleterre, comme si une fureur populaire avoit le droit de se donner ou de rebuter des Rois à sa fantaisie, quand une fois nous les avons établis sur elle.

Nous voulons qu’on traite comme des Monstres ceux qui font injure à leur Pere, & le Roy que le Prince d’Orange a dépossedé, est le Pere de sa Femme, & le Frere de sa Mere.

Nous commandons aux hommes de se garder de la bonne foy, tout ennemis qu’ils sont, quand ils ont fait entre eux quelques conventions ; & ce Prince estant il y a quelques années à la teste d’une Armée de Hollandois contre la France, ne laissa pas de livrer combat aux François, quoy qu’il eust dans sa poche les Articles de la Paix que les Ambassadeurs de ses Maistres avoient signée avec ceux du Roy de France. Il est vray que vous ne voulûtes pas que les François souffrissent de cette supercherie, & que vous envoyâtes la Victoire combattre pour eux, mais pourtant vous n’en avez point encore puny le Prince d’Orange ; & c’est cette impunité (permettez-moy, Seigneur de parler de cette sorte) qui luy a fait entreprendre le crime qu’il soûtient aujourd’huy. Il a voulu par là sonder jusqu’où l’on pouvoit pousser vostre patience, & comme il a reconnu qu’elle estoit sans bornes, il l’a méprisée ; il a augmenté son audace, & je suis certaine qu’il se promet encore une pareille impunité.

Enfin nous avons fait entendre que nous aurions de l’horreur pour ceux qui par des ordres secrets révoqueroient ceux qu’ils auroient donnez hautement, parce que cette voye infame seroit un moyen trop assuré pour abuser de la credulité de ceux qui en veritables gens d’honneur s’assureroient de l’execution d’un ordre quand ils l’auroient veu donner en leur présence, & de leur avis ; & cependant ce Prince a fait perir un bon nombre de braves Hollandois en une Bataille, qui l’année derniere se donna dans les Etats de Neptune entre les François & les Hollandois, qui ne se hazarderent au Combat que dans l’esperance d’estre secourus des Anglois, de qui pourtant ils furent abandonnez, parce que le General de ces derniers qui avoit pris avec eux des mesures pour le Combat, avoit un ordre secret du Prince d’Orange d’abandonner comme il fit les Hollandois dans le plus grand danger, dequoy les François qui combattoient tout de bon ayant profité, en firent une sanglante boucherie.

Voilà ce qu’on appelle des injustices ; & ce qui fait le comble de mon déplaisir, c’est que je n’oserois esperer de les voir finir, tandis que cet homme paistry d’iniquité sera vivant, à moins que vous n’entrepreniez d’y mettre ordre.

Vangeance donc, Seigneur, vangeance. Arrestez les emportemens de ce cruel, ou abandonnez-le à mon ressentiment. J’inventeray quelque nouvelle peine pour le faire servir d’exemple à tous ceux qui auroient la hardiesse d’en entreprendre autant que luy ; je le livreray à mes Ministres, & vous entendrez parler d’un supplice qui donnera de la frayeur à tous ses semblables.

LA PAIX.

Il y avoit si long temps, Seigneur, que l’on n’avoit parlé de moy tout de bon dans le monde, que je me croyois entierement effacée de la memoire des hommes, lors que le Roy de France qui m’aime d’une affection sincere, prescrivit il y a quelques années des conditions pour me rétablir, qui parurent si équitables à tous les Princes de la Religion de Christ, qu’ils convinrent tous de me recevoir chez eux pour l’espace de vingt ans sous le nom de la Tréve, que j’avois envoyée devant moy comme mon Avant-couriere. Vous pouvez vous imaginer quelle joye je receus à cette nouvelle, & les desseins d’établissement que je me proposay. J’en fis dans les Cours de tous ces Princes, je me meslay de former des Compagnies pour le Commerce. Je donnay mes soins à faire cultiver les campagnes. Je dressay des Canaux pour communiquer les eaux des Mers, ou de quelques Rivieres que je trouvay voisines les unes des autres ; je fis travailler à l’ornement des Palais, je fis reformer les vilains endroits des belles Villes ; je traçay des Plans pour en construire de nouvelles ; j’inventay des Manufactures ; je fis apporter de la reforme dans les Loix : j’eus soin qu’on cultivast les beaux Arts, & j’engageay par mes humbles remontrances les Princes à moderer les imposts que la Guerre les avoit forcez d’établir sur leurs Peuples. Enfin j’ordonnay à la Joye & à l’Abondance de s’introduire indifferemment en toutes sortes de Familles.

J’estois encore occupée à projetter de plus grands desseins, & je m’attachois à feüilleter les vieilles Chroniques pour apprendre ce qui se passoit durant le siecle d’or, afin de le renouveller en celuy qui court à present ; & voilà que tout à coup, & lors que je m’y attendois le moins, ce songe creux de Prince d’Orange abusant de ma franchise, & des parties de plaisir que j’avois liées entre quelques Princes d’Allemagne qui se rendoient visite, tantost chez l’un, & tantost chez l’autre, s’est allé fourrer parmy eux pour les pervertir, & pour leur inspirer de la défiance de moy, en quoy il a si bien réüssi que par ses discours seditieux, il les a fait resoudre à me livrer la guerre, à moy qui suis leur Souveraine, & qui en qualité de Déesse, puis disposer de leur vie & de leur mort.

Ils ont fait tous leurs projets à mon insceu ; ils se sont unis avec luy pour suborner les Anglois, gens peu traitables pour moy, & que je n’ay pû jamais mettre dans mes interests, & à l’aide de la Rebellion qu’ils ont trouvée cachée dans le cœur de la pluspart d’entre eux, ils m’en ont fait chasser, & leur Roy en mesme temps.

J’ay, comme vous le voyez, un assez juste sujet de dépit contre eux, mais comme je n’aime point le sang, & que je me tiens pour bien vangée quand je voy punir les seuls Auteurs de mon bannissement, je ne vous demande que le Prince d’Orange, pour l’immoler à ma colere, & quand je luy auray ôté la vie, je ne me mets pas en peine de me rétablir. L’Empire me demande au Turc à cor & à cry. Les Espagnols, & les Hollandois ne seront point de difficile composition. Il ne me sera pas difficile de faire recevoir aux Anglois leur Roy à bras ouverts, en le leur faisant voir d’un autre biais que le Prince d’Orange ne le leur a montré ; & quant au Roy de France, nous simpatisons si bien ensemble, que je suis seure qu’il voudra tout ce qui tournera à mon avantage.

JUPITER.

Je reconnois assez, Messieurs, par tout ce que vous venez de me dire que le Prince d’Orange merite encore plus d’estre puny, que je ne me l’estois figuré ; mais en verité je vous admire dans le genre de punition que vous luy destinez, car si j’ay bien conceu vos intentions, vous concourez tous unanimement à le condamner à perdre la vie, & vous n’estes differens sur ce point, qu’en ce que l’un propose un genre de supplice, & l’autre un autre. C’est sans doute faire connoistre que vous avez les veuës fort bornées, & qu’elles ne passent guere celles des hommes ; car enfin si j’en avois appellé à ce Conseil, ils eussent tous conclu comme vous à une mort presente.

Mais quoy que nous soyons resolus de le punir, croyez-vous bien que la mort soit une assez rigoureuse punition pour les crimes dont nous le trouvons coupable ? Il nous faut une vangeance d’une autre espece. Vous vous souvenez tous qu’autrefois Promethée m’offença, & qu’il eut l’insolence de me servir à table des Os recouverts d’une petite peau, tandis qu’il mangeoit les viandes les plus delicates du festin où nous estions, & il faisoit cela, disoit-il, pour éprouver si estant Dieu j’en sçaurois bien faire la distinction. Vous sçavez encore, qu’Encelade avec les Tirans entreprit d’escalader le Ciel, & que ce dénaturé osa bien porter sur moy son bras sacrilege pour m’arrester prisonnier. Que dites-vous de la vangeance que j’en ay prise ? Ne trouvez-vous pas qu’elle est bien digne de Jupiter, puis qu’encore à present j’en puis satisfaire mes yeux quand bon me semble, & que soit que je les jette vers les Scythes, j’ay le plaisir d’y voir encore aujourd’huy mon Promethée cloüé sur le Mont Caucase, & son foye becqueté sans cesse par l’Aigle devorant dont j’ay rendu la vie éternelle, afin qu’il tourmente éternellement ce miserable ; soit aussi que je regarde la Sicile, les torrens de feu & de fumée que je voy sortir du Mont Etna, me sont un indice certain que le témeraire Encelade, que j’ay terrassé sous cette montagne, souffre plus qu’à l’ordinaire, & qu’il fait de vains efforts pour se tirer de dessous un si pesant fardeau.

Que cecy vous serve d’idée pour vous imaginer la punition que je veux exercer sur le Prince d’Orange ; & puis que c’est un Usurpateur & un Tiran, sçachez que je veux le punir de la peine dont j’ay fait menacer tous les Tirans par un de mes Prophetes. C’est Perse le Poëte, par qui j’ay fait dire en mon nom.

 Sævos punire Tyrannos
Haud alia ratione velim, cùm dira libido
Moverit ingenium, ferventi tincta veneno,
Virtutem videant, intabescantque relicta.

Je veux qu’il vive, car je ne suis pas encore réconcilié avec luy ; mais je veux qu’il vive pour mourir à toute heure de dépit & de confusion ; & pour cela je vay luy désiller les yeux, afin de luy montrer à découvert la vertu dans son plus grand brillant, & que la rage qu’il aura de ne l’avoir pas suivie, luy soit un bourreau perpetuel, qui luy fasse souffrir en mesme temps toutes sortes de supplices.

Qu’il voye donc dans LOUIS LE GRAND, l’unique Roy de l’Europe, une idée parfaite de la Vertu, & qu’en le considerant il reconnoisse quelle satisfaction c’est pour un homme de s’estre acquis par ses grandes qualitez une aussi haute réputation qu’est la sienne.

Je veux qu’il penetre la sagesse des Conseils de ce sage Roy, le bon ordre qu’il met dans ses Etats, les douces consolations qu’il a dans sa Royale Famille, l’amour que ses Sujets luy portent, les respects que luy rendent les Peuples les plus éloignez, la confiance sincere qu’ont en ses bontez ceux que le malheur ou l’injustice accable, la crainte qu’ont de luy ceux qui ne se gouvernent pas par les principes de l’équité, & les frequentes Victoires que je luy fais remporter sur ses Ennemis. Voilà la peine que je destine au Prince d’Orange, pendant qu’il demeurera sur la terre, que je feray accompagner de perpetuelles conspirations contre luy, de toute sorte de mauvais succés dans ses entreprises, de mépris de la part de ses Amis, & d’une insulte piquante de la part de ses Ennemis ; & quand la Parque aura coupé le fil d’où dépendent ses malheureux jours, je veux luy continuer ce même supplice dans les Enfers ; & pour cela, je vous charge, Pluton, d’ordonner à Appelles, Michel-Ange, ou le Brun, de dessiner le Portrait du Roy de France, afin que quand ce Prince d’Orange sera dans vostre Empire, vous luy mettiez cette Figure devant les yeux, & qu’il ne puisse la perdre de veuë, de quelque costé qu’il se tourne, en sorte que son tourment ne prenne aucune fin, & qu’il se reproche sans cesse de n’avoir pas suivy la vertu.

Virtutem videant, intabescantque relicta.

C’est ainsi, Messieurs, que nous punirons le Prince d’Orange ; & quant au rétablissement de la Paix, je vais travailler à ouvrir les yeux des Princes qui l’ont bannie, afin que voyant que le faux pouvoir du Prince d’Orange n’est qu’une veritable foiblesse, ils se desabusent, & rentrent dans leurs veritables interests.

Le Vieil Oiseau. Fable §

Mercure galant, août 1691 [tome 8], p. 92-96.

 

Je puis vous asseurer que les Vers qui suivent vous plairont, sans vous pouvoir dire le nom de l’Auteur. On m’a dit qu’ils sont d’un Gentilhomme fort jeune, qui ne fait pas profession d’estre Poëte. Son stile paroist fort aisé, & le tour fin qu’il a donné à cette Piece, fait souhaiter d’en voir d’autres de sa façon.

LE VIEIL OISEAU.
FABLE.

Un vieux Rossignol de ce Bois
Laissa femme jeune & fringante.
Aussi-tost d’Amans plus de trente,
 Un chacun d’étaler sa voix.
 On ne vit onc Musique si charmante.
Pas un ne plût pourtant, c’estoient
  Oiseaux de Cour
  Lestes d’atour,
 Le col beau, la plume luisante,
 Au surplus pas un sol de rente.
La Belle aimoit l’argent, & qui n’en avoit pas
 Estoit pour elle sans appas.
 Tendres regards, douces paroles
 N’y faisoient rien, il falloit des pistoles.
 Ce fut par là qu’en vint à bout
 Un riche Oiseau de ce Bocage,
 Riche je dis, car c’estoit tout.
 Du reste vieux, de noir plumage,
 Oiseau d’un étrange jargon,
 Car on dit qu’il parloit Gascon.
 Il n’était Femme un peu jolie
  Dans tous nos Bois,
  A qui cent fois
  En son patois,
Il n’eust conté son amoureuse envie.
  L’affreuse Pie
 Et la Fauvette tour à tour
 Avoient écoûté son amour,
 Sans en avoir l’ame attendrie ;
 Mais enfin il plaist en ce jour,
  Et sans retour
  Il se marie.
 L’affaire se conclut, dit-on,
 Avant que le Printemps expire.
 Tous les Oiseaux n’en font que rire,
Et s’en vont chantant sur ce ton.
  Quand on a l’âge
  De soixante ans,
 Comme l’Oiseau du noir plumage,
  Plus de bon temps
  En mariage,
  Le cocuage
  N’est pas le mal
  Le plus fatal ;
 Ce qu’on doit craindre davantage
  En mariage
  Quand on a l’âge
  De soixante ans,
 Est d’aller voir en peu de temps
  Le noir rivage.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1691 [tome 8], p. 96-97.Le poème figure dans les poésies de Mme Deshoulières (Seconde partie, Jean Villette, 1695, p. 21). La musique en est attribuée à Michel Lambert dans deux sources manuscrites (cf. Lambert/ A 21 et LADDA 1692-01).

Les paroles de l'Air nouveau que vous trouverez icy, ont esté mises en chant par un tres-habile Maistre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Aimables Habitans de ce naissant Bocage, doit regarder la page 96.
Aimables Habitans de ce naissant Bocage,
Qui semble fait exprés pour cacher vos amours.
Rossignols, dont le doux ramage
Aux charmes du sommeil m'arrache tous les jours.
Que vostre chant est tendre !
Est-il quelque chagrin qu'il ne puisse charmer ?
Mais, helas ! n'est-il pas dangereux de l'entendre,
Quand on ne veut plus rien aimer ?
images/1691-08_096.JPG

La Jalousie des Enfans de Jacob §

Mercure galant, août 1691 [tome 8], p. 138-141.

 

Les Vers que vous allez lire sont de Mr Chays, Medecin de la Faculté de Montpellier, demeurant à la Ville du Bourg S. Andeol en Vivarez. Il seroit difficile de faire rien de plus nouveau sur une matiere qu’on a si souvent mise en œuvre.

LA JALOUSIE
DES ENFANS
DE JACOB.

Jacob aimoit Joseph d’une amour paternelle,
Son cœur brûloit pour luy de feux plus éclatans
 Que pour aucun de ses enfans,
Et jamais on ne vit une flame si belle.
 Il le prevenoit dans ses vœux,
Et le Vieillard ravy de ses tendres carresses
Devant ses autres Fils, quoy qu’il dust craindre d’eux,
Luy marquoit quelquefois tendresses sur tendresses.
 Mais que ne peut la jalouse fureur !
Ceux-cy frappez d’une mortelle envie
Se liguerent entre-eux, jurerent dans leur cœur
 De luy ravir la vie,
 Sans voir que cette perfidie
Perdroit, outre Joseph, leur Pere & leur honneur.
Mais l’Eternel Jacob, le Dieu de la vangeance,
Resolu de punir ces Freres inhumains,
Qui du Sang fraternel vouloient soüiller leurs mains,
Pour mieux faire éclater les traits de sa puissance,
Permit que dans la suite on vit regner sur eux
Joseph qui les tira de l’état malheureux
 Où les reduisoit l’indigence.
 Ainsi, Loüis, cent Princes inhumains
Ont conceu contre toy de funestes desseins.
Jaloux de voir qu’en tout le Ciel te favorise,
Leur injuste fureur les porte à te haïr ;
Mais nous ne craignons point leur indigne entreprise,
 Tu les verras se dissiper & fuir,
  Et je te prophetise,
Qu’un grand Roy Dieu-donné, Fils aisne de l’Eglise,
Doit tout vaincre, & par tout doit se faire obeir.

[Le Cabinet des beaux Arts] §

Mercure galant, août 1691 [tome 8], p. 161-166.

 

Le Cabinet des beaux Arts, ou récueil d’Estampes gravées d’après les Tableaux d’un plafond, où les beaux Arts sont representez avec l’explication de ces mesme Tableaux, se vend à Paris chez G. Edelinck, ruë Saint Jacques, au Seraphin. L’Auteur de ce Livre est Mr Perrault, de l’Academie Françoise. Il y a quelques années qu’il fit peindre dans le Plafond de son Cabinet ceux d’entre les beaux Arts qu’il aime le plus, par les meilleurs peintres de l’Academie Royale de Peinture & de Sculpture. Ces Tableaux qui furent peints à l’envy l’un de l’autre, s’étant trouvez tres beaux, il a voulu avoir la satisfaction de les voir gravez par les meilleurs Graveurs de Paris. Il y a onze Tableaux : dont huit representent les huit Arts qui suivent : l’Eloquence, la Poësie, la Musique, l’Architecture, la Peinture, la Sculpture, l’Optique, & la Mechanique ; les trois autres Tableaux representent les Divinitez qui president à ces Arts, sçavoir Apollon au milieu des Muses, Mercure & Minerve. Ces onze Tableaux ont esté peints par onze Peintres, & gravez par onze Graveurs tous differens. Chaque Estampe est accompagnée d’une explication en Vers & en Prose, qui rend raison de ce qui est dans le Tableau, & contient ce qu’il y a de plus curieux & de plus particulier dans le bel Art qu’il represente. Les Estampes sont precedées d’un frontispice qui represente au naturel le Cabinet où les Tableaux ont esté peints, & d’une autre planche où l’on voit le dessein general du plafond, & tous les Tableaux en petit, avec les ornemens qui les accompagnent. Il seroit difficile de pouvoir exprimer la satisfaction que donne ce Livre. Les yeux & l’esprit y trouvent également ce qui les peut contenter, & si l’on est charmé de la beauté des Tailles-douces, la lecture des explications cause un extrême plaisir. On ne doit pas en estre étonné, puis que personne n’estoit plus capable de faire un ouvrage de cette nature que Mr Perrault, non seulement parce qu’il a infiniment de l’esprit, mais encore à cause du bon goût qui luy est naturel pour les beaux Arts, & qu’il a fortifié par l’habitude qu’un employ de plusieurs années luy a donnée avec tous les plus habiles Ouvriers de l’Univers, pour le service du premier Monarque du monde, & qui se connoist le mieux aux belles choses.

[Education de M. de Moncade] §

Mercure galant, août 1691 [tome 8], p. 168-177.

 

Il paroist un Livre nouveau que debite le Sr Guerout, sous le titre de, L’Education de Mr de Moncade. La lecture en est tres-agreable par elle-mesme, & il seroit à souhaiter que les gens de qualité, qui ne doivent avoir en veuë que d’élever leurs enfans d’une maniere qui réponde à leur naissance, se servissent de ce Livre, comme d’un modelle, dans l’un des soins les plus importans qu’ils puissent avoir. Mr de Moncade en racontant comment il a passé ses plus jeunes années chez un de ses Oncles, rapporte que loin de pouvoir dire qui a esté son Maistre dans les belles Lettres, il luy semble qu’il a appris de tout le monde, sans avoir esté pourtant enseigné de personne, qu’aucun ne prenoit auprés de luy la qualité de Maistre ny de Precepteur, & que toutefois chacun luy apprenoit quelque chose mais de telle maniere, qu’il ne s’en appercevoit pas luy-mesme, qu’on ne luy a jamais dit, comme aux autres Enfans, qu’il falloit qu’il aprist les Langues, les Mathematiques, la Philosophie, mais qu’on le portoit à ces Sciences comme par rencontre & en se joüant. Cet Oncle qui vouloit reparer dans l’éducation de ce Neveu les fautes qu’il connoissoit qu’on avoit commises dans la sienne, tenoit pour maxime qu’on ne peut trop veiller sur le passage que les Enfans font d’un âge à un autre, parce que quand ils commencent à se sentir, & que s’évertuant, ils veulent se débarasser de leurs puerilitez, ils se déconcertent, & se défont, pour ainsi dire, comme un grain se corrompt lors qu’il se dispose à germer, à moins qu’une main adroite ne s’employe à les conduire. Ainsi il s’associa deux hommes d’un grand merite, pour luy aider à bien élever Mr de Moncade, souhaitant sur tout qu’ils luy donnassent du goust pour toutes les bonnes choses, non pas un goust fade qui ne cherche que des douceurs, ny aussi un goust amer, qui ne veut que le sel tout pur, mais un goust rafiné qui se plaist dans le juste mélange de ces deux contraires, & leur declarant que son intention estoit qu’on eust plus de soin de luy former le jugement, que de luy charger la memoire, parce qu’en effet la Science n’est qu’une sottise, si elle n’est guidée par le bon sens. Lors qu’il luy eut choisi ces deux hommes ausquels il recommanda de le conduire par des sentimens d’honneur & de raison, & de ne luy pas donner du dégoust de la vertu en l’y poussant avec trop d’empressement & de violence, voicy les paroles que l’Auteur met en la bouche de cet Oncle, sur cet endroit de Quintilien, où l’on demande s’il est plus utile d’instruire les Enfans dans la maison, que de les envoyer aux Ecoles. J’ay long temps pensé, mon cher Neveu, à ce que je ferois de vous, & j’ay connu que s’il y a quelque avantage à étudier dans les Colleges à cause de l’émulation, il y a aussi bien du risque, parce que la compagnie y est rarement bonne, & qu’on ne s’y polit pas l’esprit. Quand les Enfans sortent des Universitez, on les prendroit la pluspart pour des Lapons, ou pour des gens tombez des nuës, qui ne sçavent où donner de la teste. Leur langage est barbare, & leurs manieres sont impertinentes. Ils ne sçavent vivre ny avec le monde, ny avec eux-mesmes. Enfin ce sont de petits hommes qu’il faut entierement refondre, & qu’on ne refond pas aisément. D’ailleurs, il y a un extrême danger à élever des Enfans dans les Familles. Les Précepteurs habiles sont rares, & les sages ne se trouvant presque point. Le mauvais exemple des Serviteurs, & bien souvent celuy des Parens, joint à la mollesse de l’éducation domestique, jettent les Enfans dans le mal avant qu’ils le connoissent. Pour moy, qui ne me sens avoir pour vous qu’un amour raisonnable, & qui suis secouru de deux hommes d’un merite éprouvé, j’ay cru qu’il seroit plus seur de vous élever dans ma Maison, que de vous livrer à des Maistres, qui n’agissant que par une charité foible, ou par un vil interest, ne sçauroient rien produire que de tres-imparfait. Le peu que je vous rapporte de ce Livre suffit pour vous faire voir de quelle utilité il peut estre à ceux particulierement qui devant élever leurs Enfans pour l’Etat & pour le service du Roy, ne peuvent trop s’apliquer à leur inspirer des sentimens dignes de ces grandes veuës. Cet Ouvrage est accompagné de plus de trois cens Maximes & Reflexions, dont la pluspart regardent la Morale & la Politique, & quelques-unes, les Sciences & les Arts. Elles ont toutes leur agrément, & je suis fort seur que vous les lirez avec plaisir.

[Traduction des Lettres de Ciceron par l’abbé Saint-Réal]* §

Mercure galant, août 1691 [tome 8], p. 177-179.

 

Mr l’Abbé de S. Real, connu par quantité d’excellens Ouvrages, nous a donné depuis quelque temps la Traduction des Lettres de Ciceron à Atticus, avec des Notes qu’on estime fort. Il y en a une qui a trouvé un Censeur ; elle est conceuë en ces termes. J’avouë, dit Mr de S. Real, que je ne puis comprendre ce que dit Tacite, qu’on défendit une fois entierement les usures, n’y ayant rien de plus necessaire, & par consequent de plus innocent en tous sens dans un Etat, pourveu qu’elles ayent des bornes équitables, reglées par autorité publique, sans exception ny distinction quelle que ce puisse estre. Ceux qui voudront voir la Lettre qui a esté écrite sur cette Note, la trouveront chez la Veuve Boüillerot, au bout du Pont S. Michel. Elle est adressée à Mr Amelot de la Houssaye.

[Histoire] §

Mercure galant, août 1691 [tome 8], p. 188-220.

 

Les choses dont le succés paroist le plus asseuré, sont quelquefois celles qui tournent tout autrement qu’on n’avoit pû le prévoir. Une jeune Demoiselle, en qui mille belles qualitez reparoient avec beaucoup d’avantage l’injustice dont elle avoit à se plaindre du costé de la fortune, vivoit sous la dépendance d’une Mere, qui n’avoit pas moins d’ambition que d’attachement à ses sentimens. Elle n’estoit pas si peu éclairée qu’elle ne connust le merite de sa Fille, qui estant douce, d’une humeur égale, & fort complaisante, sembloit ne pouvoir manquer de faire force conquestes. Outre des traits assez reguliers qui la faisoient mettre au rang des belles Personnes, elle charmoit par sa voix, & la Musique qu’elle avoit apprise dés ses plus jeunes années, luy avoit esté d’un grand secours pour chanter aussi proprement qu’elle faisoit. Sa Mere tâchoit de la mettre dans le monde, pour qui cette aimable Fille n’avoit pas un fort panchant. C’estoit par cette raison qu’elle avoit toujours l’esprit tranquille, puis que si son peu de bien l’empêchoit de rencontrer un Party avantageux, elle sentoit qu’elle n’auroit nulle peine à passer sa vie dans un Convent. Avec tous les avantages que je viens de dire, il n’est pas fort surprenant si elle se fit des Adorateurs. On s’empressa à la voir, & beaucoup parurent avoir dessein de luy plaire ; mais comme il leur fut aisé de connoistre qu’il falloit parler de mariage, si l’on vouloit réussir à toucher son cœur, ils se contenterent de luy dire en general de ces sortes de douceurs que l’on a coutume de prodiguer aux jolies Personnes, & qui dans le fond ne signifient rien. Enfin un Cavalier qui avoit paru d’abord le moins empressé à luy donner des loüanges, parce qu’il avoit voulu étudier son esprit & son humeur avant que de luy rien dire, en devint si amoureux, qu’il ne fut plus maistre de sa passion. Il en parla à la Belle, qui luy ayant témoigné avec toutes les marques d’estime que la bien-seance luy pouvoit permettre, qu’il ne devoit craindre nul obstacle de sa part, pourvû qu’il obtinst l’aveu de sa Mere, le rendit par cette réponse le plus satisfait de tous les hommes. Il ne douta point qu’estant fort bien fait, & ayant cinq à six mille livres de rente, la Mere ne l’écoutast favorablement ; & en effet, sa proposition fut receuë avec plaisir. Il fut permis à la Belle de répondre à son amour, & les progrés qu’il fit dans son cœur en peu de temps, luy donnerent une joye qui ne se peut exprimer. Tous les autres Soupirans furent bannis, & l’on commença à songer aux préparatifs du mariage. Les ravissemens du Cavalier s’augmentoient de jour en jour, & on peut dire qu’on ne vit jamais une passion si vive. Il fit dresser des articles fort à l’avantage de cette belle Personne, & on n’attendoit pour les signer que l’arrivée de quelques Parens qui demeuroient en Province, lors que la Mere & la Fille s’estant trouvées chez une Dame dont les manieres attiroient beaucoup de monde, on les felicita l’une & l’autre sur le mariage qu’on sçavoit estre arresté. Le merite de la Fille fit dire tout d’une voix que son Amant devoit s’estimer heureux, & comme aprés l’avoir loüée sur les agrémens de sa personne, quelqu’un vanta le talent qu’elle avoit de bien chanter, la Dame de la maison la pria de ne luy pas refuser la satisfaction d’entendre d’elle un Air nouveau qui avoit beaucoup de cours. Elle le chanta d’une maniere à charmer, & qui passa tout ce qu’on s’estoit promis de sa voix. Un Marquis, hardy parleur, en parut estre enchanté, & s’estant approché d’elle, il l’assura qu’elle luy avoit tellement gagné le cœur, qu’il ne pourroit s’empêcher de l’aimer toute sa vie. Une belle voix estoit son foible, & il n’en avoit jamais entendu aucune qui l’eust touché davantage. La Belle répondit avec esprit à tout ce qu’il luy dit de flateur, & ne l’imputant qu’à l’habitude qu’il pouvoit avoir de dire des galanteries à toutes les Femmes, elle fut surprise au dernier point d’en recevoir une visite dés le lendemain. Il dit en s’adressant d’abord à la Mere, qu’on alloit chercher les raretez jusqu’au bout du monde, & qu’elle ne devoit pas trouver étrange si le hazard luy ayant fait voir ce qu’il croyoit qu’il y eust de plus parfait pour le vray merite, il fist paroistre tant d’empressement à le venir admirer. La réponse qu’on luy fit sur ce début ayant donné lieu pendant une demi-heure à une conversation generale, il la rendit bien-tost particuliere en disant à l’une & à l’autre, que quoy qu’il sceust l’engagement où elles estoient, les choses n’estoient pas encore si avancées, qu’il ne dust préferer son interest à celuy d’un Inconnu, & qu’ainsi il venoit leur declarer que si un rang assez considerable qu’il pouvoit donner à la Belle en l’épousant, & vingt mille livres de rente sans aucunes dettes, avoient dequoy les toucher, il estoit prest à leur faire voir par de prompts effets que sa passion estoit sincere ; qu’il avoit vêcu jusqu’à trente ans sans songer au mariage, mais qu’il sentoit bien que son heure estoit venuë, puis qu’aprés ce qu’il avoit veu, & ce qu’on luy avoit dit des aimables qualitez de cette belle personne, il estoit persuadé qu’il ne pouvoit vivre qu’heureux avec elle. La Belle rougit de sa declaration, & laissa parler sa Mere, qui ne pouvant croire ce qu’elle venoit d’entendre, dit au Marquis, qu’elle voyoit bien qu’il vouloit se divertir ; que quand sa Fille n’auroit point d’engagement, elle avoit si peu de bien, qu’il estoit hors d’apparence qu’un homme qui pouvoit prétendre à de grands Partis, y renonçast en faveur d’un peu de douceur d’esprit & de quelques agrémens, qui perdroient toute leur grace quand il y seroit accoutumé ; qu’elle ne luy disoit point qu’ayant promis sa Fille à un Cavalier qui en usoit pour elle de la maniere du monde la plus genereuse, il luy seroit impossible de retirer sa parole, puis qu’elle n’estoit pas si peu éclairée, qu’elle ne sceust bien que luy parlant sans aucun dessein, il ne la mettroit dans nul embarras de ce costé-là. Ils parlerent encore longtemps sur le même ton, le Marquis traitant la chose d’un grand serieux, & la Mere se défendant toujours de rien croire. Il s’adressa enfin à la Fille, qui avoit gardé un entier silence, & qui pour toute réponse luy dit qu’elle croyoit qu’on ne devoit luy en faire aucune. Comme il les vit toutes deux dans cette incredulité, il leur dit qu’elles pouvoient soupçonner sa passion, parce qu’elle estoit bien prompte, & qu’il vouloit bien leur avouër que s’il n’avoit pas appris que le mariage qu’elles avoient arresté, estoit sur le point de se conclurre, ses soins auroient precedé la declaration qu’il leur avoit faite ; que cependant il ne croyoit pas passer dans le monde pour un homme sujet à former des resolutions mal digerées ; qu’il s’estoit toûjours montré assez ferme dans toutes les choses qu’il avoit creu devoir entreprendre, & que pour leur mettre l’esprit en repos, il ne les viendroit revoir de deux jours, pendant lesquels elles pourroient s’informer, & de son bien & de sa personne, & qu’aprés ce temps il leur apporteroit des articles tout dressez, qu’il ne tiendroit qu’à elles qu’il ne signast avant que de les quitter. Il sortit aprés leur avoir donné cette assurance, & la Mere qui estoit ambitieuse, commençant à croire qu’il avoit parlé sincerement, se laissa flatter du plaisir de voir sa Fille Marquise. La Belle ne fut pas si credule que sa Mere, & dit que quand il seroit en leur pouvoir de faire ce mariage, elle trouveroit une fort grande injustice à reconnoistre avec tant d’ingratitude les manieres desinteressées que le Cavalier avoit euës pour elle. Elles raisonnoient encore là dessus lors qu’il arriva. On luy dit la chose, & il en fut effrayé. Il connoissoit le Marquis pour un homme entier dans ses desseins, & qui n’avoit plus ce feu emporté de la jeunesse. Il sçavoit qu’il estoit riche, & que sa naissance le distinguoit. Comme il ne pouvoit combattre aucun de ces avantages, il se contenta de dire qu’il estoit bien malheureux de rencontrer un Rival de cette force, dans un temps où il avoit tout sujet de croire que personne ne devoit se declarer ; que cependant n’ayant jamais eu en veuë que le honneur, & les interests de sa Maistresse, il seroit fâché de luy faire perdre une si grande fortune, si le Marquis persistoit dans sa premiere resolution. Il accompagna cela de termes si tendres, & la douleur parut peinte si vivement dans ses yeux, que la Belle ne voulant pas luy ceder en beauté d’ame, luy dit qu’elle regardoit comme une injure, le consentement qu’il osoit donner aux pretentions de son Rival, & que pour luy faire voir que le titre de Marquise estoit incapable de l’ébloüir, quoy qu’elle n’ajoûtast aucune foy aux assurances qu’on venoit de luy donner, elle estoit preste de l’épouser dés le lendemain. Là-dessus elle conjura sa Mere d’y vouloir bien consentir ; mais cette Mere qui estoit bien aise de voir à quoy l’amour du Marquis aboutiroit, feignit de n’en rien attendre, & plaisanta de cette avanture. Le Cavalier ne put se mettre au dessus du pressentiment qu’il avoit de son malheur, & la fermeté que luy montra sa Maistresse ne fut point capable de le rassurer. La Mere s’estant informée sous main du Marquis en apprit des choses qui luy laisserent beaucoup d’esperance. Ses souhaits furent remplis par la seconde visite qu’il leur rendit quand les deux jours furent expirez. Il revint plus amoureux qu’il n’avoit paru la premiere fois, & apporta, comme il l’avoit dit, des articles tout dressez, mais si fort à l’avantage de la charmante personne dont il souhaitoit de gagner le cœur, que toute autre qu’elle n’eust point balancé à les signer. Il fut pourtant impossible de l’y contraindre, & les plus tendres protestations du Marquis demeurerent sans effet. La mere eut beau luy donner la plume, & se servir du pouvoir que la nature luy donnoit sur elle. Elle répondit avec beaucoup de courage qu’elle croiroit meriter que Dieu la punist éternellement si elle faisoit une si grande injustice, & qu’aprés ce qu’elle devoit au Cavalier, il ne luy pouvoit estre permis de luy manquer de parole. Plus le Marquis découvroit en elle des sentimens dignes d’une ame élevée, plus son amour augmentoit, & ne pouvant estre assez genereux pour en triompher en faveur d’une passion aussi legitime que celle qui luy estoit opposée, il fut obligé de se contenter de la promesse que luy fit la Mere de ménager si bien l’esprit de sa Fille, que le temps & ses conseils la feroient changer de sentimens. La premiere chose qu’elle fit fut de prendre le Cavalier par son foible, en luy faisant voir qu’il n’aimeroit que luy mesme si abusant de ce que sa Fille croyoit luy devoir de reconnoissance, il la réduisoit à renoncer à des avantages qui se rencontroient si rarement. La Belle luy tint un langage tout contraire, & la contestation se fit insensiblement avec tant de vehemence, que la Mere resoluë de l’emporter en une chose où il y alloit d’un interest si considerable, dit à sa Fille qu’elle fist la genereuse tant qu’elle voudroit, mais qu’elle pouvoit compter qu’elle ne luy laisseroit plus recevoir aucune visite du Cavalier. Cela fut suivy de quelques menaces, qui firent apprehender à ce mal-heureux Amant qu’il ne fust cause que cette belle personne fust mal traitée. Ainsi il tâcha de contraindre sa douleur pour ne se pas échaper à faire des plaintes qui auroient encore aigry la Mere, & il sortit en disant qu’il alloit à la campagne, afin qu’on ne le pust accuser de chercher à mettre obstacle à une affaire qui leur estoit si avantageuse. La Mere eut soin d’observer sa Fille, afin qu’elle ne pust, ny le voir, ny en avoir des nouvelles. Le Marquis estoit receu tous les jours, & il pardonnoit à cette belle personne sa tristesse & son silence, comprenant bien qu’une passion à étoufer, est un ouvrage penible. Il n’y avoit que huit jours que tout ce grand different estoit arrivé, lors que la Mere & la Fille passant par-devant la maison du Cavalier, virent des marques de deüil à la porte, avec une espece de Chapelle ardente au fond de la Cour. Jugez quel fut leur étonnement lors qu’elles apprirent que c’estoit pour luy que se faisoit cette lugubre Ceremonie. Il estoit vif dans ses passions, & la contrainte qu’il s’estoit faite pour n’éclater pas sur un procedé aussi injuste que celuy de la Mere de la Belle, luy ayant serré le cœur, il fut surpris dés le jour suivant d’une Fiévre violente qui le mit presque aussi-tost dans la resverie. Pendant ses accés il eut toujours à la bouche le nom de la Belle, se loüant autant de sa conduite qu’il detestoit celle de la Mere, & mourut se septiéme jour, sans que ses égaremens eussent cessé. La Belle fit un grand cry lors qu’elle entendit prononcer qu’il estoit mort, & se hastant de regagner son logis, elle n’y fut pas plutost rentrée qu’elle demeura évanoüie entre les bras de sa Mere. On eut de la peine à la faire revenir. Elle tourna les yeux vers le Ciel en les ouvrant, versa quelques larmes, & aprés avoir dit fort tristement qu’on luy avoit fait porter le poignard dans le sein d’un homme qui luy avoit tout sacrifié, elle garda un profond silence, pour mieux se livrer à sa douleur. Sa Mere jugea à propos de ne se point opposer aux marques qu’elle en donnoit, & le Marquis n’en receut aucun reproche, quand il entreprit de la consoler. Elle se contenta de luy dire qu’il falloit tout recevoir de la main de Dieu, & qu’elle esperoit qu’il luy donneroit la force de vaincre l’accablement où il la voyoit. Il tira de là un augure favorable pour le succés de sa passion, & quand quelques jours aprés on la voulut faire renoncer à son chagrin, par les avantages qui luy estoient asseurez, elle pria que l’on voulust bien luy donner un mois pour se reconnoistre avant qu’on l’obligeast à répondre sur aucune affaire, les tristes idées dont elle avoit l’esprit occupé, ne luy laissant point la liberté de bien sçavoir ce qu’elle vouloit. On luy accorda ce terme, & on s’apperceut avec beaucoup de plaisir qu’un grand calme succedoit au premier trouble dont elle s’étoit sentie agitée. Elle parloit comme une autre, & avec de grandes marques de tranquillité sur les matieres qui estoient indifferentes, & il sembloit qu’elle n’eust jamais connu le Cavalier, tant elle fut circonspecte à ne pas mesme prononcer son nom ; mais enfin ce qu’elle rouloit dans son esprit éclata. Elle alla se jetter dans un Convent d’où elle fit sçavoir à sa Mere par un Billet fort respectueux, que Dieu l’avoit éclairée, & qu’aprés ce qui venoit de luy arriver, elle connoissoit si parfaitement qu’il n’y avoit point au monde de bonheur pour elle, qu’on la trouveroit inébranlable dans le dessein de l’abandonner ; que quand elle pourroit se deffendre de faire ce sacrifice à la memoire d’un homme, de la mort de qui elle estoit cause, les passions violentes ne durant jamais, le Marquis s’estoit attaché à elle si aveuglement, qu’elle tenoit impossible que son amour ne s’éteignist pas avec autant de facilité qu’il en avoit eu à le laisser allumer, & que sa voix ayant esté le malheureux charme, qui avoit fait tout le mal, elle faisoit vœu de ne s’en servir jamais que pour chanter les loüanges du Seigneur. La Mere a gemy, la Mere a pleuré, & fait à la grille tout ce qu’un vif desespoir est capable de produire ; sa Fille l’a écoutée sans luy répondre autre chose, sinon que par les prieres qu’elle adresseroit à Dieu pour elle tout le reste de ses jours, elle tâcheroit de meriter la tendresse qui l’obligeoit à la regreter. Ainsi cette Mere ambitieuse a esté forcée de consentir à luy voir prendre le voile, & cette ceremonie s’est faite depuis deux mois dans un Monastere des plus reformez.

[Epitaphe de la Comtesse de Ragny]* §

Mercure galant, août 1691 [tome 8], p. 274-276.

 

J’oubliay la derniere fois de vous parler de la mort de Madame la Comtesse de Ragny, arrivée depuis quelque temps à Autun en Bourgogne. Elle estoit d’une des meilleures maisons du Royaume ; mais plus distinguée encore parmy les Dames vertueuses, que sa famille ne l’estoit parmy les plus anciennes. L’humilité qu’elle a fait paroistre par l’ordre qu’elle a donné pour sa sepulture, pourroit, faute d’autres, estre un témoignage de celle qu’elle a toûjours euë pendant sa vie. Elle a voulu, comme pour servir encore d’exemple aprés sa mort à la Bourgogne, qu’on l’enterrast dans le Cimetiere de la Parroisse sans aucune cerémonie. Voicy son Epitaphe.

Par une humilité qui doit estre admirée
 Ragny voulut sans pompe estre enterrée,
  Et n’avoir qu’un simple tombeau.
Sa naissance vouloit un Monument plus beau.
 Ses charitez d’éternelle memoire,
  Sont les témoins de sa vertu.
Elle fut toûjours sage, & pour comble de gloire
Elle mourut enfin comme elle avoit vescu.
 On ne sçait pas qui perdit plus en elle,
 Quand le Ciel termina ses jours ;
 Les Riches à sa mort perdirent un modelle,
  Et les Pauvres un grand secours.

[Siège de la ville de Forsheim dans le Wirtemberg]* §

Mercure galant, août 1691 [tome 8], p. 295-297.

 

Le 9. Mr le Duc de Villeroy fut commandé. C’estoit son rang pour marcher. Il eut un détachement de Cavalerie, d’Infanterie & de Dragons, avec un ordre de Mr le Maréchal d’aller faire payer derriere Dourlac le reste des contributions qui estoient deuës, & qui se montoient à quatre-vingt mille livres. Il alla à une petite Ville du Marquisat de Dourlac appellée Forsheim, dans une gorge qui donne entrée dans le Wirtemberg. Il y avoit garnison Allemande. On fit sommer la Place par un Tambour, mais comme elle refusa d’écouter les propositions qui luy furent faites, on se mit en estat de l’assieger. On la battit quelque temps, & les Assiegez se défendirent vigoureusement. Il y avoit déja bréche, & le Commandant avoit battu la Chamade, quand le Comte de Furstemberg passant assez prés de là avec un Regiment de deux mille hommes, on l’avertit que les François estoient autour de Forsheim, avec un fort petit détachement de Cavalerie, & que pourveu qu’il se presentast, il les contraindroit de lever le Siege.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1691 [tome 8], p. 337-338.

Vous connoistrez aisément, en parcourant l'Air nouveau dont vous trouverez icy les paroles, qu'elles ont esté mises en chant par un homme qui a de fort grands talents pour la Musique.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Petits Oiseaux, doit regarder la page 338.
Petits Oiseaux, rassurez-vous,
Je ne viens point sous ces sombres feüillages,
Pour interrompre vos ramages,
Ny troubler des plaisirs si doux.
C'est l'amoureuse resverie
Qui me conduit dans ce bois écarté ;
Et bien loin d'en vouloir à vostre liberté,
Je viens pleurer celle qu'on m'a ravie.
images/1691-08_337.JPG

Avis §

Mercure galant, août 1691 [tome 8], p. 341-344.

 

AVIS.

Le Public a souhaité l’Avis qu’il trouvera icy, afin d’apprendre au commencement de chaque mois, le sujet de l’Entretien qu’on luy donnera quinze jours aprés sur les Affaires du Temps. Le cinquiéme Entretien sera une suite de celuy qui est intitulé, Le Prince d’Orange travaillant à son Histoire, & cette suite contiendra l’Histoire de la mort de Mrs de With, & celle de Jean Barneveld, Avocat General de Hollande, arrivée sous le Prince Maurice de Nassau. On y verra de quelle maniere ces trois grands Hommes ont esté les Victimes de deux Princes d’Orange, parce qu’ils servoient comme d’une barriere qui les empeschoit de parvenir à la Souveraineté. Ainsi le paralelle de ces deux malheureux Freres avec Barneveld paroistra juste, à l’exception du genre de mort. Cet Entretien ne sera remply que de faits & de preuves, & les moindres des indices qui découvriront les auteurs de leur mort, les feront connoistre d’une maniere qui empeschera que l’on n’en doute ; de sorte que rien ne sera fondé sur de simples raisonnemens, comme les écrits de Hollande, d’où il est aisé d’inferer tout ce qu’on veut, parce qu’ils sont toûjours faux. Ainsi l’on tâchera, en ne trompant point le Public par des faussetez, à meriter la continuation de l’accueil qu’il a fait aux derniers Entretiens sur les Affaires du Temps. Il en a esté si satisfait, qu’il a fait paroistre par ses applaudissemens que l’on avoit attrappé son goust. On continuëra à travailler du mesme stile, puis qu’il a fait connoistre que c’est celuy qui luy plaist, & qu’on a sujet de croire qu’un goust general ne sçauroit estre mauvais, estant impossible que tout le Public ensemble se puisse tromper.