1691

Mercure galant, octobre 1691 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1691 [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1691 [tome 10]. §

Avis §

Mercure galant, octobre 1691 [tome 10], p. [I-IV].

 

AVIS.

Quelques prieres qu’on ait faites jusqu’à present de bien écrire les noms de Famille employez dans les Memoires qu’on envoye pour ce Mercure, on ne laisse pas d’y manquer toûjours. Cela est cause qu’il y a de temps en temps quelques-uns de ces Memoires dont on ne se peut servir. On reïtere la mesme priere de bien écrire ces noms, en sorte qu’on ne s’y puisse tromper. On ne prend aucun argent pour les Memoires, & l’on employera tous les bons Ouvrages à leur tour, pourveu qu’ils ne desobligent personne, & qu’il n’y ait rien de licentieux. On prie seulement ceux qui les envoyent, & sur tout ceux qui n’écrivent que pour faire employer leurs noms dans l’article des Enigmes, d’affranchir leurs Lettres de port, s’ils veulent qu’on fasse ce qu’ils demandent. C’est fort peu de chose pour chaque particulier, & le tout ensemble est beaucoup pour un Libraire.

Le sieur Guerout qui debite presentement le Mercure, a rétably les choses de maniere qu’il est toûjours imprimé au commencement de chaque mois. Il avertit qu’à l’égard des Envois qui se font à la Campagne, il fera partir les paquets de ceux qui le chargeront de les envoyer avant que l’on commence à vendre icy le Mercure. Comme ces paquets seront plusieurs jours en chemin, Paris ne laissera pas d’avoir le Mercure long-temps avant qu’il soit arrivé dans les Villes éloignées, mais aussi les Villes ne le recevront pas si tard qu’elles faisoient auparavant. Ceux qui se le font envoyer par leurs Amis sans en charger ledit Guerout, s’exposent à le recevoir toûjours fort tard par deux raisons. La premiere, parce que ces Amis n’ont pas soin de le venir prendre si-tost qu’il est imprimé, outre qu’il le sera toujours quelques jours avant qu’on en fasse le debit ; & l’autre, que ne l’envoyant qu’aprés qu’ils l’ont leu, eux & quelques autres à qui ils le prestent, ils rejettent la faute du retardement sur le Libraire, en disant que la vente n’en a commencé que fort avant dans le mois. On évitera ce retardement par la voye dudit Sieur Guerout, puis qu’il se charge de faire les paquets luy-mesme & de les faire porter à la poste ou aux Messagers sans nul interest, tant pour les Particuliers que pour les Libraires de Province, qui luy auront donné leur adresse. Il fera la mesme chose generalement de tous les Livres nouveaux qu’on luy demandera ; soit qu’il les debite, ou qu’ils appartiennent à d’autres Libraires, sans en prendre pour cela davantage que le prix fixé par les Libraires qui les vendront. Quand il se rencontrera qu’on demandera ces Livres à la fin du mois, il les joindra au Mercure, afin de n’en faire qu’un mesme paquet. Tout cela sera executé avec une exactitude dont on aura tout lieu d’estre content.

Ode pour le Roy §

Mercure galant, octobre 1691 [tome 10], p. 7-15.

 

Il y a long-temps, Madame, que vous estes convaincuë qu’on n’a jamais vû de Souverain qui ait soutenu la grandeur & la majesté du Trône avec plus de gloire que nostre Auguste Monarque. Ainsi je n’entreray dans aucun détail des actions merveilleuses qui luy ont fait meriter le nom de Grand. Elles sont connuës de tout le monde, & il n’y a point de Province où ceux que favorisent les Muses n’employent leurs talens à les celebrer. La Piece que vous allez lire m’a esté envoyée d’Avignon, & Mr de Guitrandy en est l’Auteur. Vous avez déja vû un autre Ouvrage de luy dans ma Lettre du mois de Juin dernier, & le plaisir que sa lecture vous a donné vous doit estre une asseurance que vous ne serez pas moins contente de celuy-cy.

ODE
POUR LE ROY.

Grand Dieu, Providence adorable,
Qui veilles sur cet Univers,
Et qui vois d’un œil favorable
Ceux qui te vangent des Pervers,
Tu sçais qu’aujourd’huy sur la terre
Aucun Prince ne fait la guerre
A ceux qui méprisent tes Loix,
Comme LOUIS, ce grand Monarque,
Au front de qui chacun remarque
Le vray caractere des Rois.
 Quel autre avec un plus beau zele
Soutient les droits de tes Autels ?
Quel autre entre tous les Mortels
A te servir est plus fidelle ?
Tu sçais que dés qu’il fut monté
Sur le Trône de majesté
Qu’il fait briller d’un nouveau lustre,
Il médita de saints combats,
Pour mettre par un coup illustre
Le Crime & l’Heresie à bas.
***
 De mesme qu’en sortant de l’onde
Tout environné de clarté,
Le Soleil chasse loin du monde
Les horreurs de l’obscurité.
L’œil content de le voir renaistre,
Voit en un moment disparoistre
Les tristes flambeaux de la nuit,
Et fuir dans quelque roche obscure
Ces Oiseaux de sinistre augure,
Ennemis du jour qui leur luit.
 Ainsi pour montrer sa puissance,
Nostre Roy par tout renommé,
Et craint autant qu’il est aimé,
N’eut besoin que de sa presence.
Ouy, la splendeur de ses regards
Sceut dissiper tous les broüillards
De l’Envie & de la Malice ;
Et l’on voit dans le mesme temps
Perir l’insolence du Vice,
Et l’orgueil des nouveaux Titans.
***
 Les Siecles passez, je l’avouë,
Peuvent nommer de grands Guerriers ;
Mais pour meriter qu’on les loüe
Ont-ils joint l’Olive aux Lauriers ?
On a dans le cours des années
Vû mille vertus couronnées
Succomber sous leur propre faix ;
Mais en a-t-on vû jamais une
Qui sceust maîtriser la Fortune,
Et dans la Guerre & dans la Paix ?
 L’éclat d’une si belle gloire
Qui couvre un parfait Conquerant,
N’estoit que pour Loüis le Grand,
Qui fait plus que l’on ne peut croire.
C’est par luy qu’on voit surmontez
Ces cruels Monstres indomptez
Qui regnoient dans toute la France.
Le Vol, la Fraude, le Duel,
La Rebellion, l’Ignorance,
En ont receu le coup mortel.
***
 Combien d’ambitieuses Testes
Ont depuis plié sous sa main !
Combien de terribles tempestes
Ont mugy contre nous en vain !
Son bras qui rompt tous les obstacles,
Produit chaque jour des miracles
Pour bien affermir cet Etat,
Il est, grace à ce Prince habile
Aussi bien reglé qu’une Ville,
Aussi grand que son Potentat.
 Luy seul parmy tant d’autres Princes
A sceu d’un bras victorieux
Dompter ce Monstre furieux
Qui ravageoit tant de Provinces
L’Heresie au crin de Serpens,
Autour de sa teste siflans,
Expire sous le coup de foudre,
Que ce bras secondé du Ciel,
A lancé pour la mettre en poudre.
Et luy faire vomir son fiel.
***
 Non content de cette Victoire
Qui met l’Heresie au tombeau,
Dans nostre France que la gloire
Couvre de son jour le plus beau,
Nostre Roy, ce foudre de guerre,
La menace dans l’Angleterre,
Aux yeux de ses fiers Leopards.
Tremble pour toy, Peuple rebelle,
Nos Soldats brûlent d’un beau zele,
Et nos Chefs sont autant de Mars.
 Nos Troupes bien plus animées
De l’esprit de leur Souverain,
Que du son guerrier de l’airain,
A vaincre sont accoutumées.
Fier Anglois, ouvre donc les yeux.
Et tâche d’appaiser les Cieux,
Dont la colere te menace.
Rien ne sçauroit t’en garantir,
Et cette force qui terrasse
Ne cede qu’au seul repentir.
***
 Jacques, dont le Peuple farouche
Suit les Loix d’un Usurpateur,
Si ton sort malheureux me touche,
J’admire encore ton bonheur.
Tu n’as desormais rien à craindre,
Et ton mal n’est plus tant à plaindre
Ayant nostre Alcide pour toy.
Non, non, le Ciel t’est favorable,
LOUIS t’aime, il t’est secourable,
Et c’est assez pour estre Roy.
 Mais toy, divine Providence,
Souveraine des Nations,
Par qui les grandes actions
Ne sont jamais sans récompense
Daigne nous conserver LOUIS,
Qui dans ses Exploits inoüies
N’a point d’autre but que ta gloire,
S’il combat, c’est pour ta grandeur,
Et s’il remporte la Victoire,
D’abord il t’en nomme l’Auteur.

[Ouvrage sur la solitude] §

Mercure galant, octobre 1691 [tome 10], p. 93-124.

 

Je vous ay toujours trouvé un si grand goust pour la Solitude, qui vous donne lieu dans vostre Province, de vous entretenir à vostre gré avec nos Illustres Morts, que vous devez avoir beaucoup de plaisir à lire les Vers que je vous envoye, & que l’Auteur adresse à un Solitaire.

A MONSIEUR …

Heureux, qui comme vous aime la Solitude,
Daphnis, & qui pouvant s’appliquer à l’étude,
Sans chagrins, sans desirs, sans procés, sans amours,
Peut dans son Cabinet passer ses plus beaux jours.
C’est là que vous trouvez l’utile & l’agreable,
Là que vous distinguez le faux du veritable,
Et que vous joüissez du charmant entretien
Des Sages occupez à chercher le vray bien.
Qu’il est doux de passer les momens de sa vie
Avec tous les Auteurs de la Philosophie !
C’est d’eux seuls qu’on apprend à trouver le repos ;
Eux seuls ont le moyen d’adoucir tous nos maux.
Si quelque passion nous trouble, ou nous tourmente,
On trouve à se guerir chez Zenon & Cleante.
Le Cinique Abboyant nous fournit les moyens
De braver la fortune, en méprisant ses biens.
Socrate nous instruit de l’humeur de Xantippe,
Quelque fois même on peut apprendre d’Aristippe,
Et malgré son caprice & ses dereglemens,
Il sçait assujettir tous les évenemens.
Faut-il approfondir jusque dans la Nature,
Et des lieux differens connoistre la structure,
La matiere, la forme, avec leurs accidens,
Le mouvement terrestre, & la cause des Vents ?
Vous allez consulter le celebre Aristote,
Ou bien si vous croyez qu’en Physique il radote,
Vous lisez Cassendi, des Cartes, & Rohaut,
Dont les divins écrits au degré le plus haut.
Fondés sur la raison, & sur l’experience
Nous ont du firmament donné la connoissance,
Et par d’heureux chemins, aux autres inconnus,
A la perfection sont enfin parvenus.
Vostre esprit occupé de ces rares merveilles,
Veut-il se relâcher de ces penibles veilles,
Prend l’essor, & volant jusque sur l’Helicon,
Se jette entre les bras des Filles d’Appollon.
A lors vous admirez les differens ouvrages
De ces Maîtres hardis, ces rares personnages
Qu’avoit produit la Grece, & le Pays Latin.
C’est là que vous plaignez le funeste destin
Des ouvrages perdus d’un nombre de Poëtes,
De Bion, de Blochus, ces sçavans Interpretes,
Qui comme Theocrite, avec leurs Chalumeaux
Ont chanté les Amours, les Bergers, les Hameaux,
D’Anacreon, Sapho, Callimaque, Meandre,
Dont la Muse Comique, ou dont le stile tendre
Loüoit si dignement Cupidon & Bacchus,
Et dont les seuls fragments, jusques à nous venus,
Ainsi que les débris d’un funeste naufrage,
De tous ces grands Esprits nous forment une Image.
De ces temps éloignez les restes pretieux,
Tronquez ou décharnez, paroissent à nos yeux.
A peine a t-on encor quelques Vers Alcaïques.
Combien a-t-on perdu de leurs doctes Lyriques ?
Ainsi que Bachilide, Alcée est en morceaux.
De Simonide en vain les ouvrages si beaux
Luy devoient acquerir une gloire éternelle,
Le temps nous a privez de ce parfait modelle.
 Oseray-je parler de ces rares Auteurs,
Dont les Ecrits par tout ont tant d’admirateurs,
D’Euripide, Sophocle, Aristophane, Æschile ?
En loüanges pour eux nostre siecle est fertile.
Un Moderne en nos jours ne s’acquiert du renom
Qu’en imitant Plutus & leur Agamemnon.
Pour tout dire en un mot, eux seuls dans leur Epoque
Ont orné dignement le Cothurne & le Soque
Et par nombre d’Ecrits, Homere si vanté
A consacré son nom à l’immortalité.
 Enfin quand vous quittez cette terre fertile,
Ce n’est que pour passer au pays de Virgile,
Qui tantost carressant Alexis, Coridon,
Tantost nous décrivant les fureurs de Junon,
A mêlé les douceurs du stile Bucolique
Aux riches ornemens de son Poëme Epique ;
Qui toûjours instruisant, & charmant ses Lecteurs,
N’a point eu jusqu’icy de justes Traducteurs.
En cela plus heureux l’Auteur de la Pharsale,
D’avoir trouvé Brebœuf, dont le François égale
La pompe de ses Vers, l’enflure de ses mots,
Soit qu’il faille à nos yeux retracer son Heros,
Ou qu’il mene au combat, pour contenter un homme,
Le Sang contre le Sang, & Rome contre Rome.
Stace plus simplement, jusques à nous transmis,
Nous conte les fureurs des Freres ennemis.
Ovide qui croyoit à la metempsicose,
Nous a donné la Fable, & la Metamorphose.
Sous le nom de Corinne il depeint ses amours,
Et les lieux, où l’exil a terminé ses jours.
 Catulle possedant un semblable genie,
Nous apprend les douleurs de sa chere Lesbie.
Martial herissé de ses mots pointilleux,
Properce tout galant, Catulle plein de feux,
Peuvent dans vostre esprit occuper quelque place ;
Mais tout cede aux beautez que nous fournit Horace.
 Horace aimé d’Auguste, aimé de Mécenas,
Qui fait toûjours marcher les graces sur ses pas,
Qui dans ses beaux Discours, dans son Art Poëtique,
Par tout à pleines mains verse le sel attique,
Soit qu’il veüille loüer, ou flater l’Empereur,
Que des vices de Rome il décrive l’horreur,
Ou que voulant des Dieux appaiser la colere
Il fasse en leur honneur une Hymne seculaire.
Philosophe parfait, qui ne veut s’attacher
Qu’à ceux que la nature oblige de chercher,
Dont les discours remplis d’une austere morale
Font croire qu’à nos yeux la sagesse s’étale,
Aussi parfait ami conseillant Lollius,
Qu’ardent à critiquer le sot Tigellius,
Et dont les monumens d’éternelle durée,
Lui donnent à jamais une gloire asseurée.
L’exemple de ce grand & rare original
Contre le vice a fait déclamer Juvenal,
Dont les traits plus grossiers, & la plume acerée,
Font croire que de fiel son encre est préparée.
Perse toûjours obscur s’est acquis quelque nom,
En censurant la Cour & les vers de Neron.
N’oublions pas icy les restes de Lucile,
Premier Maistre de l’art, dont la severe bile
S’épanchoit bien souvent jusque sur le Senat,
Et qui n’épargnant pas les premiers de l’Estat,
Par sa sincerité merita l’avantage
D’acquerir l’amitié du vainqueur de Carthage.
Terence, Lelius, joints avec ce Heros,
Ont mis au naturel l’homme & tous ses deffauts.
Tantôt sur un soupçon d’une amoureuse intrigue
Le Pere avare empêche un Fils d’être prodigue.
Un fou pour contenter ses indignes amours,
De ses Proches voudroit voir terminer les jours.
Un Valet étourdy tâche à tromper son Maistre,
Et l’homme vicieux s’y fait par tout connoistre.
Plaute moins éloquent, & beaucoup plus diffus,
Des Romains à son tour reprima les abus,
Et par les traits piquans de ses vingt Comedies,
Voulut de leurs esprits guerir les maladies.
Disciple sans égal de ces Maistres fameux,
Moliere nous a fait de vifs portraits comme eux.
Misantropes, Cocus, Precieuses, Avares,
Tartufes, sots Marquis, tous ces termes barbares
Qu’employe un Chicaneur, ou bien un Medecin,
D’un Malade en idée ignorant assassin,
Gentilhomme Bourgeois, & des Femmes sçavantes,
Des Agnés paroissant faussement innocentes,
Maris, Fourbes, Plaideurs, Poëtes ennuyeux,
Chasseurs, Pedans, Joueurs, Etourdis, & Facheux,
Sont les Originaux qu’il a mis sur la Scene.
Chacun dans ces Tableaux se reconnoist sans peine.
C’est par luy que le vice en public combatu,
En inspire la haine, & porte à la vertu ;
Que l’Acteur en joignant le geste à la parole,
Du Theatre François nous a fait une école,
Bannissant à jamais ces termes indecens
Qui blessent la pudeur, l’oreille & le bon sens.
Pieuse en sa naissance, ensuite trop hardie,
A present épurée, on voit la Comedie,
Les faux Zelez en vain ont voulu l’attaquer,
L’amour y paroist nud, sans qu’il puisse choquer.
Des anciens Gaulois la Muse estoit peu chaste.
On voit dans Rabelais le Vice dans son faste.
Froissart, Alain, Chartier, Chastelin, Coquillart,
Travaillerent long-temps sans mesure & sans art.
L’Auteur des Amadis erroit à l’avanture,
Quand Villon & Marot aiderent la nature,
Et débrouillant un peu cet horrible Cahos,
Firent enfin fleurir Ballades & Rondeaux.
Dans les siecles grossiers de ces Muses Postiches
La Rime tenoit lieu de regle d’Hemistiches.
Pibrac, Magny, Garnier, du Bellay, Passerat,
Chrestien, Belleau, Pasquier, Sainte Marthe, Dorat,
Trouverent des sentiers pour monter au Parnasse,
Mais bientost à Ronsard ils quitterent la place.
Sans doute son genie eust esté plus avant,
S’il eust moins affecté de paroistre sçavant.
Des Portes & Bertaut, plus retenus, plus sages,
Par des chemins plus droits s’ouvrirent des passages.
Enfin Malherbe vint par des sentiers nouveaux
De ses Predecesseurs corriger les defauts.
Les Vers harmonieux devinrent à la mode,
Son exemple donna la majesté de l’ode ;
Les Stances doucement apprirent à tomber,
Et Pegase en son temps n’osa plus regimber.
Maynard, Gombaut, Racan, Porcheres, Malleville,
Charmerent tour à tour & la Cour & la Ville.
Leurs Ouvrages remplis de si justes Sonnets,
De tous les Curieux ornent les Cabinets.
Trop heureux Saint Amant, si de la Solitude
Content, & s’en faisant une douce habitude,
Il n’eust point des Hebreux raconté les regrets.
Tristan, Rotrou, Godeau, Bois-Robert, Des Marais,
D’un éclairé Ministre ont tous fait les delices.
Nous devons aux succés de leurs doctes caprices,
A leur profond sçavoir, à leurs rares Ecrits,
L’assemblage parfait de tous les beaux Esprits.
Richelieu, l’ornement & l’amour de la France,
Distingua le sçavoir, de la sotte ignorance.
Des Artistes exquis admirant les efforts,
De leurs Membres épars il fit un noble Corps,
Et suivant les projets de son vaste genie,
Le premier dans Paris vit une Academie,
Consacrant pour jamais à la posterité
Ce Corps qui doit aller à l’immortalité.
Seguier à son exemple & sur les mêmes traces,
L’éleva dans son sein, le combla de ses graces,
Par des soins empressez, excita chaque Auteur ;
Mais son heureux destin luy fit un Protecteur,
Dont l’auguste genie égalant le courage,
Acheva d’accomplir ce magnifique Ouvrage.
Comme à toute l’Europe, il luy donna des loix.
Ses bienfaits redoublez animerent sa voix.
Chaque jour à sa gloire il consacre quelque heure,
Dans le Louvre, où LOUIS a fixé sa demeure.
Ainsi presentement on voit sous mesmes toits
Les neuf Sœurs, Apollon, & le plus Grand des Rois.
On vit naistre en ces lieux Pauline, Cornelie.
Rodogune y parut, Laodice, Emilie,
Pleines de ces vertus, de toutes ces grandeurs
Que la fierté Romaine inspire dans les cœurs.
Racine, en ce Palais tu vis rendre justice
Aux larmes de Titus, aux pleurs de Berenice.
On plaignit Andromaque, on admira Pirrhus,
Agrippine, Neron, les conseils de Burrhus.
Là tu representas sur un noble Theatre
Hippolite fuyant l’ardeur de sa Marâtre,
Mitridate jaloux, Xiphares amoureux,
Agamemnon pleurant, Achille furieux.
Ce juste composé luy seul a l’avantage
D’adoucir le François, de polir son langage,
D’ajoûter, retrancher, corriger ses defauts,
Arbitre souverain des termes & des mots.
Sur differens sujets leurs éloquentes Plumes
Chaque année au Public fournissent des Volumes,
Où la Prose élegante, où la beauté des Vers
Vont se faire admirer au bout de l’Univers.
Juste Reformateur des vices du Parnasse,
On te voit en ces lieux occuper une place,
Boileau, qui des Auteurs justement redouté,
Leur as fait voir souvent trop de sincerité,
Qui donnant aux François une autre Poëtique,
Par les traits rafinez d’une juste Critique,
Leur marques les defauts, les beautez, les efforts
Des Poëtes vivans aussi-bien que des morts ;
Qui capable de tout, propre à tout entreprendre,
Vas sur un autre ton chanter un Alexandre,
Et de toutes façons contentant ton Lecteur,
Montrer à nos Neveux quel homme fut l’Auteur ;
Plus sage que Regnier, dont la verve coulante
S’écarte trop souvent, ou deviens insolente,
Qui combattant un cœur par le vice abbatu,
Nous a décrit l’endroit, où chopoit la vertu.
Une verve effrontée irrite la nature.
Qui voudra badiner doit imiter Voiture.
Joindre les ris aux pleurs dans un même dessein,
C’est un penible effort, digne de Sarrasin.
N’attendez pas, Daphnis, qu’une veine sterile
Vous décrive une terre en moissons si fertile.
Je sçay trop de mon Lut quel est le foible son,
Et j’en laisse le soin au docte Pelisson.
Ainsi qu’en nos jardins, au lever de l’Aurore,
L’Abeille va s’emplir des richesses de Flore,
Succe l’Oeillet, le Lis, la Jonquille, le Thin,
Tel on vous voit, Daphnis, appliqué le matin,
A goûter les douceurs de la vive éloquence,
Qui souvent employée à sauver l’innocence,
A veu ses Orateurs maintenir autrefois
La liberté d’un Peuple, & l’équité des Loix,
C’est là que vous voyez Ciceron, Demosthenes,
Ornemens éternels des Romains & d’Athenes
Deffendant leur pays, affrontant les Tirans,
Presque des mesmes coups l’un & l’autre expirans,
Victimes des fureurs d’un Roy de Macedoine,
Proscrits infortunez de la haine d’Antoine.
Charmé de partager leurs pretieux Tresors
D’un Moderne élegant vous blâmiez les efforts,
Quand d’un ton qui pourroit suspendre la Victoire,
Il veut à leurs depens augmenter nôtre gloire.
Paroissez donc icy, celebres Orateurs,
Ornemens du Barreau, sçavans Declamateurs,
Patru, Forcroy, Pajot, Chardon, Robert, Nivelle,
Sur quels pas marchez-vous ? quel est vostre modelle,
Quand d’un riche Client vous soutenez les droits,
Et qu’un Juge souvent s’endort à vôtre voix ?
Cet illustre Senat où regnoit la Justice,
A l’Orateur Romain autrefois plus propice,
De son art éloquent prenoit les sentimens,
L’écoutoit, admirant ses nobles mouvemens.
Soit enfin qu’il fallust absoudre Dejotare,
Qu’il fallust s’opposer à la fureur barbare
Du fier Catilina, des autres Conjurez,
On vit tous ses conseils suivis & reverez.
Mais je vous vois déja chercher les origines
Des Empires fameux, leurs progrés, leurs ruines,
Daphnis, & je vous trouve, au milieu du repos,
Environné de Rois, de Consuls, de Heros,
Themistocles, Numa, Periclés, Alexandre,
Cesar, Coriolan, Artaxerces, Lisandre,
Sylla, Sertorius, Timoleon, Cyrus,
Xenophon, Annibal, Philopœmen, Pyrrhus,
Auguste, Marcellus, Germanicus, Phraate,
Pompée, Agesilas, Scipion, Mitridate,
Viennent separement vous conter leurs Exploits
Les Chefs, les Empereurs, les Princes, & les Rois
Paroissent devant vous tout éclatans de gloire,
Et des siecles passez vous racontant l’Histoire,
Vous les voyez encor de leurs faits ébloüis
Ceder à la grandeur des exploits de Loüis,
Ce qu’il fait aujourd’huy semble presque incroyable.
Les siecles à venir le croiront une fable.
Tous ces Geans liguez pour attaquer les Cieux,
Sont par un Jupiter foudroyez en tous lieux.
Les Monstres sont domptez, l’Hydre n’a plus de teste ;
D’un Hercule nouveau c’est la moindre conqueste.
Phœbus est en couroux, un Soleil tout ardent
Va plonger Phaëton au fond de l’Eridan.
Comme un autre Thesée il combat le Centaure,
Dans son Dedale il va chercher le Minotaure.
Ce genereux vainqueur, cet illustre Jason,
Veut d’un Usurpateur arracher la Toison.
Comme à ses grands desseins il n’est rien d’impossible,
La Fable par ses soins va devenir plausible,
Et l’on croit à present les exploits glorieux
Des Heros que la Grece a mis au rang des Dieux.
 Evitant ce qui peut troubler un sort tranquille,
Enfermé dans les murs d’une superbe Ville,
Où la Jorgue coulant par differens Canaux,
Dans un Fleuve voisin precipite ses eaux ;
Dans une Isle, où le Rhône approchant la Durance
Voit un Estat paisible au milieu de la France,
Insultant la fortune, & vivant en repos
Je tâchois par ces Vers à suspendre mes maux,
Quand Loüis devant Mons conduisant une Armée,
Fixoit tous les regards de l’Europe alarmée ;
Que d’un autre côté, ses genereux Guerriers
Devant Nice pour luy moissonnoient des Lauriers,
Et que Rome attentive au succés de la Guerre,
Travailloit à remplir la Chaire de Saint Pierre.

[Sonnets de Mr de Tierceville] §

Mercure galant, octobre 1691 [tome 10], p. 135-138.

 

Cet engagement ayant réveillé sa Veine, qu’il avoit laissé assoupir depuis long-temps, il luy envoya ceux-cy à Manneville.

SONNET.

Il brille sur vostre visage
 Ce qui peut vous soumettre un Roy ;
Cet air noble, touchant & sage,
Doit tout ranger sous vostre loy.
***
Mais, Iris, un cœur de mon âge
Est pour vous de mauvais aloy,
Et je vous trouve, dont j’enrage,
Un trop friand morceau pour moi.
***
Vous reverer par préference,
Et vous servir sans esperance,
C’est où je borne mes desirs.
***
Au reste, au cas que je radote,
Quelque Suzon, quelque Marote
Amuseront mes vains soupirs.

Mademoiselle de Luynes, aprés la lecture de ce Sonnet, ayant témoigné qu’elle voyoit bien que la galanterie de Mr de Tierceville tendoit plûtost à quelque Suzon qu’à elle, quoy qu’elle la meritast mieux, de son aveu mesme, il luy envoya cet autre Sonnet.

 Selon vostre humeur triomphante,
Avec tous vos charmans appas,
Mon Sonnet donc ne vous plaist pas,
Et vous n’en estes pas contente ?
***
Pour mieux répondre à vostre attente,
Quoy qu’à deux doigts de mon trépas,
J’aurois fait encor bien des pas ;
C’est la suite qui me tourmente.
***
En offrant à vôtre air vainqueur
La préference dans mon cœur,
J’ay crû faire un loyal partage.
***
J’ay cru me mettre à la raison.
Faites-vous Marote ou Suzon,
Si vous en voulez davantage.

Approbation des Maîtres des Academies de Joueurs §

Mercure galant, octobre 1691 [tome 10], p. 157-161.

 

Voila, Madame, ce qui m’a été écrit de ce divertissement, que la pratique vous donnera mieux à connoistre que la speculation, & que vous trouverez un veritable tableau des revolutions humaines, & des inconstances de la fortune. Celuy qui m’a envoyé ces Regles, y a ajoûté la Piece qui suit.

APPROBATION
Des Maîtres des Academies
de Joueurs.

 Nous Juges souverains des jeux,
 Arbitres de leurs coups douteux,
Maistres des lieux publics où l’esperance attire
Des gens de toutes parts, de toutes qualitez,
 Sur qui le sort exerce son empire
 A la faveur des cartes & des dez.
***
Nous declarons sans force ny contrainte
 Sans interest, ny feinte,
Qu’entre les petits jeux recemment inventez,
Celuy des Changemens remporte l’avantage
 D’estre du plus charmant usage.
***
Il éveille, il égaye, il delasse l’esprit.
Chacun est maistre en son aprentissage ;
 Il fait que tour à tour on rit.
 Si l’on y meurt l’on y revit,
 Il entretient l’espoir & le courage.
Personne ne s’en apauvrit,
 Il ne cause pas grand dommage.
***
 Sur quoy nous jugeons qu’en ce temps
 Où le ménage est necessaire,
Une Famille, où sont d’honnêtes gens
Qui cherchent à bas prix les divertissemens,
 Auroit de la peine à mieux faire,
Que de donner ses heures de loisir
 A ce plaisir.

[Ceremonies Juifves faites dans la Synagogue d'Amsterdam, à l'occasion de l'Envoyé de Maroc] §

Mercure galant, octobre 1691 [tome 10], p. 162-200.

 

Il est arrivé à Amsterdam un Envoyé du Roy de Maroc. Comme il est Juif de Religion, il assista le 8. de ce mois aux Ceremonies que firent les Juifs dans la Synagogue, où ils celebrerent ce jour-là la memoire de la pomme mangée par Adam à la suscitation d'Eve dans le Paradis terrestre. La Synagogue d'Amsterdam est une des plus belles qu'ils ayent dans toute l'Europe. Quoy qu'elle soit extrêmement spatieuse, le bas ne laissoit pas d'estre remply d'hommes presque entierement. Toutes les Femmes estoient dans les Galeries grillées d'enhaut. Les hommes, suivant leur coutume, avoient un voile blanc sur leur teste par-dessus leur chapeau, & les plus animez de l'esperance de la venuë du Messie, tenoient en leur main une pomme d'Orange, avec une palme ornée de quelques rubans. L'Envoyé de Maroc qui estoit du nombre, avoit sa place sur le premier banc proche le Sanctuaire, & parut avoir grand attachement aux ceremonies. Tous ceux qui y prenoient part crierent d'abord de toutes leurs forces, apres quoy, quelques-uns des plus anciens porterent & rapporterent en Procession un des livres de Moyse depuis le Tabernacle jusques au Pupitre, où sont les Chantres qui entonnent ce qu'on doit chanter, & lors qu'ils eurent chanté environ une heure, ils finirent par un Cantique de joye sur un air assez gay, mais le reste n'êtoit proprement qu'un espece de bourdonnement de Ruche à miel. Voilà l'idée qu'en a eu un homme que la curiosité obligea d'aller ce jour-là à la Synagogue. Il dit que de temps en temps, il entendit des cris extraordinaires, mais qui ne pouvoient passer pour aucun ton de Musique.

[...] Lors qu'il y a des Juifs assemblez dans quelque Synagogue au nombre de dix, qui doivent avoir au moins treize ans & un jour, le Chantre va au Pupitre, & commence à entonner les Prieres, que les Assistans reprennent. Les Allemands chantent plus haut que les autres, les Levantins & les Espagnols presque à la maniere des Turcs, & les Italiens ont leur chant particulier. La plus grande de leurs Festes est le jour du Sabat, pendant lequel il leur est enjoint de se reposer. Outre les trente-neuf Chefs à quoy les Rabins ont reduit ce qui leur est défendu de faire ce jour là, ils ne peuvent allumer, ny eteindre le feu, ny l'attiser, ny le detiser, non pas même allumer, ny éteindre une Lampe. [L'auteur énumère une suite de restrictions] Il leur est aussi defendu de parler d'affaires, du prix de quoy que ce soit, de vente, d'achat, de donner, de recevoir, de jouër des Instrumens [...]. Ils mangent ordinairement trois fois pendant les vingt-quatre heures du Sabat, la premiere, le Vendredy après la Priere du soir, & les deux autres le lendemain, la nappe demeurant sur la Table pendant tout ce temps. Ils le font durer le plus qu'ils peuvent par leurs chants & leurs prieres [...].

[...] Le 15. du mesme mois de Tifri, ils celebrent la Feste des Tabernacles, en memoire de ce qu'à la sortie de l'Egypte, ils campoient dans le Desert. Chacun choisit chez soy un lieu découvert pour y faire une Cabane, couverte de feüillage, que l'on tapisse à l'entour, & que l'on orne autant qu'on le peut. Ils y boivent & mangent, & mesme quelques uns y couchent pendant les neufs jours de cette Feste. Les deux premiers & les deux derniers sont solemnels comme la Pasque, mais les autres le sont moins. Il n'y a rien d'extraordinaire aux prieres que l'on fait dans le Synagogue pendant ces neuf jours, que ce qu'on ajoüte au sujet de la Feste. Après qu'on a recite le Sacrifice qui se faisoit autrefois, ils font une fois le tour du petit Autel, en portant des branches de Myrthe, des Saule, de Palmier & de Citronnier avec leur fruit, & chantant quelques Cantiques. Le septième jour ils font ce tour-là sept fois avec des branches de Saule, chantant seulement le Pseaume 24. [...].

[Mort de Jean-Paul de la Roque]* §

Mercure galant, octobre 1691 [tome 10], p. 227-228.

 

Messire Jean-Paul de la Roque, Prestre, Docteur en Theologie, Protonotaire du Saint Siege Apostolique, Auteur des Memoires de l’Eglise, & qui a fait pendant douze années avec succés le Journal des Sçavans. Il a voulu estre enterré dans l’Eglise des Peres Theatins, ausquels il a donné sa Bibliotheque. Ces bons Religieux ont receu cette marque de son amitié avec une parfaite reconnoissance. Cet illustre Défunt avoit beaucoup d’érudition, & a prêché dans les meilleures Chaires de Paris. Le Clergé luy avoit accordé une pension depuis long-temps, en consideration des Ouvrages qu’il a faits à la gloire de l’Eglise. Ses talens, sa douceur & sa probité luy avoient attiré l’estime de quantité d’honnestes gens qui le regrettent.

[Mort de Mr de Beserade [sic]] §

Mercure galant, octobre 1691 [tome 10], p. 250-258.

 

L’Academie Françoise a fait une grande perte en la personne de Mr de Benserade. Il estoit issu de Paul de Benserade, Seigneur de Chepy, Chambellan du Roy Loüis XII Grand Maistre & Capitaine General de son Artillerie, Capitaine Gouverneur du Chasteau de Milon, comme il est justifié par les Lettres de naturalité à luy accordées, & à son Fils Loüis de Benserade en 1504. Il avoit des alliances illustres dans la maison de la Porte, & dans celle de Vignancourt, estant petit Neveu d’un Grand Maître de Malthe de ce nom, & Cousin issu de Germain de celuy qui regne presentement. La Maladie qui l’a emporté, l’a surpris dans la preparation qu’il faisoit pour se faire tailler de la Pierre, & tout l’art des Medecins n’a pû reparer les fautes des Chirurgiens. Il a eu une Fiévre violente accompagnée de rêveries, mais comme il a toûjours eu beaucoup de Religion & qu’il s’étoit préparé à l’Operation qu’on luy devoit faire en veritable Chrétien, & en Chrétien penetré des veritez de la Foy, s’abandonnant entierement aux ordres de la Providence, tous les discours qu’il tenoit, quoy qu’ils fussent prononcez avec vehemence, suivant son temperament, s’adressoient à Dieu, à qui il se plaignoit, en luy demandant en mesme temps de la patience dans ses douleurs qui estoient extrêmes. Quand les accés de sa fiévre diminuoient, & que sa teste devenoit plus libre, il se servoit de ce temps, qu’il reconnoissoit un effet de la Grace pour faire des Actes de Foy, d’Esperance, & de Charité, & dans le fort de ses plus vives souffrances, on l’a veu souvent lever les yeux au Ciel, & s’écrier ; Donnez moy la patience, ô mon Dieu. Je n’attens rien que de vous. J’espere en vous, vous ne m’abandonnerez point, mais que vostre volonté soit faite, mon Sauveur. Tout pour vous, tout pour vostre gloire & rien pour moy. Il sçavoit bon gré à ceux qui l’aidoient dans ces occasions. Il ne manquoit jamais à les reconnoistre dans ses rêveries, & lors qu’il estoit le plus agité, il se calmoit à leur veuë. Mr de Benserade a toûjours eu beaucoup de probité & d’honneur. Il a fait long-temps les delices de la Cour, & il a toûjours eu pour le Roy un respect & un amour d’autant plus grand, qu'il le connoissoit davantage. Il avoit une passion pour la gloire de ce Prince , que rien n'auroit jamais esté capable d'alterer, & il n'a point fait d'Ouvrage où il n'ait voulu la faire paroistre. Il n’a jamais cessé d’être bon & fidelle amy, & jamais l’amitié n’a esté capable de luy faire trahir son devoir ny envers Dieu, ny envers les hommes. Quoy que ce que j’ay dit pût suffire pour vous marquer que la réputation que son esprit luy avoit donnée, j’y ajoûteray qu’il l’avoit, non seulement beau, mais singulier. La Cour, toute la France, & ceux qui l’ont voulu imiter, luy ont rendu justice là-dessus. C’estoit un de ces hommes que produisent quelquefois les siecles, & qui ne se retrouvent plus. Il faisoit déjà du bruit dans le temps du ministere du Cardinal de Richelieu, dont il avoit pension, & a esté attaché toute sa vie à la maison de Villeroy, & fort consideré de Monsieur qui le logeoit au Palais Royal. Pendant toute la Regence, & jusques au temps que les Balets que l'on pensoit à la Cour ont place aux Opera, il en a fait presque tous les Vers, ainsi que tous ceux qui s'y sont chantez. Comme les Seigneurs & les Dames du plus haut rang dansoient alors dans ces Ballets, & le Roy mesme, on demandoit des Vers pour chacun qui paroissant n’estre faits que pour les seuls Personnages, avoient neanmoins rapport par allusion à ceux par qui ils estoient representez. Il n’y avoit rien de plus agreable que ces Vers misterieux, & que l’on ne peut mieux y reussir que faisoit Mr de Benserade. Aussi avoit-il si bien étudié la Cour, qu’il en sçavoit parfaitement toutes les Intrigues. Il est mort le 20. de ce mois, âgé de soixante & dix-huit ans, & a fait un Testament qui marque à quel point il aimoit la justice.

[Histoire] §

Mercure galant, octobre 1691 [tome 10], p. 258-275.

 

Rien n’est plus dangereux pour les Dames qui ne peuvent quelquefois s’empêcher de prendre un engagement de cœur, que de hazarder des témoignages qui les en convainquent, lors qu’elles se tiennent le plus asseurées que leur secret ne court aucun risque. Ce que je vais vous conter en sera la preuve. Un Cavalier, ayant beaucoup de naissance, & toutes les qualitez qu’on peut souhaiter dans un honneste homme, n’avoit pas manqué de trouver accés chez toutes les Belles. Il en estoit peu qui n’eussent pour luy plus que de l’estime. Ses manieres agreables & insinuantes, les engageoient malgré elles à se faire un doux plaisir de l’attachement qu’il leur marquoit, & on ne s’étonnoit point, lors qu’il vouloit plaire, qu’il ajoûtast conqueste à conqueste. Quoy qu’il n’eût pas beaucoup de fortune, il ne laissoit pas d’être liberal, selon que le cœur luy en disoit ; mais s’il donnoit d’un côté, il recevoit de l’autre, & le tout bien compensé, il n’y alloit jamais trop du sien. Cependant il se conduisoit si habilement, & sa discretion estoit telle, que comme il estoit d’un caractere entierement opposé à ceux qui ne s’empressent d’avoir de bonnes fortunes que pour s’en vanter, de toutes les Dames à qui il rendoit des soins, il n’y en avoit aucune qui n’eust lieu de croire qu’elle avoit seule son cœur, tant il cachoit avec soin ce qu’il recevoit de faveurs des autres. Tandis qu’il se partageoit ainsi entre celles qui le touchoient davantage, on luy parla de le marier. La Demoiselle estoit fort aimable, avoit de l’esprit, & si elle n’avoit pas tout ce qui fait une beauté reguliere, du moins il ne luy manquoit aucun de ces traits qui frapent si vivement dans une jolie personne. Il est vray qu’elle avoit pour luy un fort grand defaut, ne pouvant estre d’une plus basse naissance. Son Pere qui estoit un homme de rien, aprés avoir passé par de vils emplois, estoit parvenu à estre Marchand, mais enfin le Cavalier en se mariant avec sa Fille, pouvoit s’asseurer d’en avoir un jour du moins deux cens mille écus, dont on luy offroit la moitié comptant pour acheter une Terre. Les avantages du bien firent fermer les yeux sur le reste. Le mariage se fit, la Terre fut achetée, & le Cavalier aima sa Femme. Elle avoit bien de quoy l’engager. Il estoit charmé de sa douceur & des complaisances qu’elle avoit pour luy, & il prenoit soin de luy donner des leçons sur les airs qui luy manquoient, & qui convenoient au rang où il l’avoit elevée ; mais cet amour, assez violent dans sa naissance, se relâcha insensiblement. Il se lassa d’estre l’Amant de sa Femme, & reprenant ses premieres habitudes, il fut plus galant qu’il n’avoit encore esté. Non seulement il continua toutes les intrigues qui flattoient son cœur, ou dont il tiroit quelque avantage, mais il en fit encore de nouvelles. Il s’attacha sur tout à une fort jolie Veuve, qui ayant beaucoup de bien, estoit en estat de répondre à son amour, sans autre veuë que celle de son merite. Il n’eut pas de peine à s’en faire aimer, & la liaison estant assez grande entre-eux, il luy proposa de faire une promenade à une Maison qu’il avoit loüée pour son divertissement à trois ou quatre lieuës de la Ville. La Dame consentit à la partie, & il se fit un plaisir de la regaler en ce lieu là d’une Collation servie proprement, & accompagnée d’un Concert de Voix. Il n’y avoit dans cette maison que des meubles fort communs, & qui ne meritoient pas qu’on s’arrestast à les regarder, mais le Jardin en estoit fort beau. Les Jets d’eau n’y manquoient pas, & l’on y trouvoit de longues allées couvertes par l’entrelassement naturel des branches des arbres qui donnoit de l’ombre dans les plus grandes ardeurs du Soleil. On s’y promena assez longtemps, & la jeune Veuve, en remontant en Carrosse, dit au Cavalier qu’elle demandoit un droit de Maistrise dans cette maison, pour y venir quelquefois avec ses Amies. Vous jugez bien qu’il ne la refusa pas, & qu’il donna pour cela tous les ordres qu’il falloit. Mais il fut tout à fait surpris lors qu’y estant retourné quinze jours aprés pour le plaisir de la Chasse qui l’y attiroit assez souvent, il trouva tout l’appartement meublé d’une maniere si propre qu’il faisoit plaisir à voir. Il luy fut aisé de deviner d’où venoit ce changement. L’aimable Veuve avoit suivy son panchant, & comme les Dames sont aujourd’huy assez genereuses pour ne dédaigner pas de marquer aux hommes par des liberalitez les sentimens de tendresse qu’elles ont pour eux, elle avoit fait porter tout ce qu’il voyoit, & donné ses soins pour l’arrangement. Il alla la voir si-tost qu’il fut de retour, & luy dit, en luy rendant compte du petit voyage qu’il venoit de faire, qu’il avoit cru jusque là pouvoir disposer d’une maison de campagne, mais qu’il voyoit bien qu’il auroit tort de pretendre qu’elle fust encore à luy, aprés ce qu’elle avoit fait pour s’en rendre la Maistresse. La Dame luy répondit fort obligeamment qu’elle consentoit volontiers à l’estre, pourveu qu’il voulust bien l’y accompagner toutes les fois qu’elle voudroit y aller joüir de la promenade, & que s’il y alloit quelquefois sans elle, elle estoit bien aise qu’il y vist des choses qui le fissent souvenir qu’il n’avoit point une plus sincere & plus veritable Amie. Un procedé si honneste meritoit bien les égards particuliers qu’il eut pour elle depuis ce temps-là. Ils furent pourtant accompagnez de tant de discretion, qu’il ne parut point qu’il la preferast aux autres personnes qu’il voyoit avec la même assiduité. Les choses demeurant en cet état & chacune trouvant lieu de se flater d’avoir plus de part que ses Rivales à l’amour du Cavalier, un accident aussi impréveu que triste finit leurs prétentions. Il fut surpris d’une Apoplexie qui l’emporta en deux heures sans que l’on y pust remedier. Sa Femme en parut inconsolable, & le Beaupere regreta fort les cent mille écus, dont une partie alloit au profit de ses Heritiers, à cause qu’il ne laissoit point d’Enfans. Tous les meubles devoient estre pour sa Fille, & cela fut cause qu’ayant découvert qu’il y en avoit de fort beaux dans la maison qu’il avoit loüée à la campagne, il y envoya des gens pour les emporter. Ceux qui receurent ses ordres arriverent dans le temps que des Tapissiers venus de la part de la jeune Veuve, détendoient déja les Tapisseries. La dispute fut fort grande, & ne put se terminer sans que l’on en vinst aux coups. Les Tapissiers soutenoient les interests de la Dame, comme ayant eux-mesmes apporté les meubles, qu’ils avoient par là grand sujet de reclamer ; mais la maison ayant esté loüée par le Cavalier, les gens du Beaupere prétendoient que les meubles devoient luy appartenir, en consequence du Bail qu’il avoit signé. Comme il n’y avoit personne en ce lieu-là d’une autorité assez reconnuë pour décider de ce differend, on mit la force en usage, & chacun en prit par où il put. Un de ceux que le Beaupere employoit ayant apperceu une assez grande cassette, jugea à propos de s’en saisir, persuadé qu’elle valoit mieux que tout le reste. Il la porta au Beaupere, qui l’ayant ouverte avec une avidité qui ne se peut exprimer, y trouva plusieurs liasses de Lettres, & des étiquetes au dessus, qui marquoient le nom des Dames qui avoient cru les pouvoir écrire sans rien hazarder. Comme il estoit naturellement avare, il ne sentit nul chagrin de découvrir les galanteries de son Gendre, mais il en eut un fort grand de ne trouver que des Lettres où il esperoit toute autre chose. Il fut enfin consolé en mettant la main sur une boëte, dans laquelle estoient plusieurs Portraits, dont il y en avoit quelques-uns enrichis de Pierreries. L’avanture ayant fait bruit, les Dames dont la réputation pouvoit estre interessée, si on laissoit voir les Lettres & les Portraits, joüerent toutes sortes de personnages pour tâcher de les ravoir. Le Beaupere ne vouloit point demeurer d’accord de la chose à cause des Diamans, mais lors qu’on eut fait connoistre que l’on n’y pretendoit rien, & qu’on les abandonnoit, pourveu qu’il voulust rendre les Portraits, il devint traitable, & on accommoda les affaires touchant le secret qu’on luy demanda.

[Divertissemens nouveaux] §

Mercure galant, octobre 1691 [tome 10], p. 293-300.

 

On prépare plusieurs divertissemens pour les plaisirs de l’Hiver. L'Academie de Musique doit commencer par un Opera nouveau, sous le nom d’Astrée. Il est de Mr de la Fontaine, de l’Academie Françoise, dont les Fables luy ont acquis une si grande réputation pour ce genre d’écrire. Mr Colasse, Eleve de feu Mr de Lully, l'un des quatre Maistres de Musique de la Chapelle du Roy & qui a déjà donné trois Opera au Public, a fait la Musique de ce dernier.

Les Comediens François commenceront leurs Pieces nouvelles, par une Comedie en cinq Actes, intitulée L'Avanturier. Il la promirent dés l'Hiver dernier ; mais comme il ne se trouva pas assez de temps pour la joüer, elle fut remise au commencement de celuy cy. Tout ce que je vous diray de cette Piece, qui ne m'est pas inconnuë, c'est que son succés dépend de l'attention que les Auditeurs luy préteront, parce que le sujet estant fort plein, & tout remply d'incidens, dont il n'y en a aucun qui n'ait liaison avec un autre, il est malaisé que l'on n'en perde la suite & qu'on s'apperçoive de ces liaisons, pour peu que l'on soit distrait. Ainsi tout ce qui compose un corps agreable, pourra ne paroistre qu'un amas de parties détachées, aux ennemis du silence, & qui vont plus à la Comedie pour y troubler l'attention de ceux auprés de qui ils se trouvent, que pour l'écouter. Cette Piece, quoy que comique, n'a rien de bas, ny rien d'équivoque dont l'imagination puisse estre salie, & comme ce qu'on y a meslé de plaisant n'est pas de nature que demandent les gens de méchant goust, il y a sujet de croire que les personnes d'esprit s'y divertiront. Peut-estre me croirez-vous partial dans ce que j'avance, comme si j'avois dessein de prévenir le Public, dont les jugemens doivent estre libres, & de l'engager à décider sur mes sentimens, mais vous ferez, s'il vous plaist, reflexion que je dis seulement de quelle nature est cette Piece, sans aller plus loin. Ainsi je laisse le champ libre pour juger de toutes ses parties. Je suis mesme persuadé qu'on ne peut faire d'Ouvrages qui soient applaudis generalement. Chacun de ceux qui paroissent, estant fait selon le genie particulier de son Auteur, ne peut estre que d'un goust, & rien n'est plus different que les gousts d'une nombreuse Assemblée. Ainsi ceux dont les Ouvrages ont un grand succés, ne doivent pas croire pour cela qu'ils ayent une approbation generale. Cependant ils ont gain de cause, parce que la pluralité de voix l'emporte dans les Tribunaux du Public, comme dans ceux de la Justice, où lors que cette pluralité de voix se rencontre, les Juges sont obligez de signer un Arrest, quoy qu'ils ayent esté d'un sentiment opposé ; ou si vous voulez, il en est des Ouvrages de Theatre comme de l'or qu'on est obligé de peser. S'il fait trébucher d'un grain, il doit avoir cours comme estant de poids. On peut dire la même chose lors que la pluralité de voix se trouve pour un Ouvrage. Il est receu du Public, & passe dans l'Empire des Lettres comme un Ouvrage qui a cours.

Les Italiens préparent aussi une Piece nouvelle avec un grand nombre d'agrémens à leur maniere. Elle est intitulée Le Phenix, ou la Femme fidelle. Le dessein de l'Auteur est de faire voir que comme il n'y a rien de plus rare que le Phenix, il n'y a rien aussi qui le soit plus qu'une Femme qui veüille garder fidelité.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1691 [tome 10], p. 314-315.

Rien ne peut estre plus de saison que les paroles de l'Air nouveau que je vous envoye.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Le Printemps revient tous les ans, doit regarder la page 315.
Le Printemps revient tous les ans ;
A son retour tout renouvelle.
Cette saison est la plus belle
Pour les Bergers & les Amans.
Moy qui n'aime que la vendange,
C'est à l'Automne que j'en veux,
Et je ne m'apperçois que la nature change,
Que quand le vin nouveau prend la place du vieux.
images/1691-10_314.JPG

Avis §

Mercure galant, octobre 1691 [tome 10], p. 331-332.

AVIS.

On donnera le 15. du mois de Novembre, le septiéme Entretien sur les Affaires du temps. Il ne sera remply que de Faits, dont plusieurs jusqu’à present ont esté ignorez.

Il s’est glissé quelques fautes dans l’article du Jeu nouveau, dont on a donné les Regles dans ce Volume. Lisez dans la onziéme Regle, Il y a de l’avantage a faire, parce que si celuy qui fait, retourne un Valet, ou un As, &c. Il faut lire dans la douziéme regle, Quand on retourne un Roy ou une Dame, le privilege, &c.