1692

Mercure galant, avril 1692 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1692 [tome 4].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, avril 1692 [tome 4]. §

[Prelude] §

Mercure galant, avril 1692 [tome 4], p. 7-18.

Comme vous voyez avec plaisir tout ce qui parle du Roy, je vous envoye des Vers, où l’Auteur charmé de la gloire de ce Prince, & plein de zele & de reconnoissance pour les bienfaits qu’il en a receus, a peint une partie des vertus & des merveilleuses qualitez qui le distinguent entre tous les autres Souverains.

AU ROY,
EN ACTION DE GRACES.

Que de Vertus, grand Roy, viennent s’offrir aux yeux,
Quand on veut travailler à ton Panegyrique,
 Et quel champ spacieux
Se trouve ouvert à la Muse Heroïque !
Comme dans un Parterre orné de mille fleurs
 De differentes couleurs,
La main à les trier est longtemps incertaine,
La Muse l’est de mesme au choix des riches dons
Dont le Ciel t’a comblé de toutes les façons,
Ouvrant sur toy sa main de graces toute pleine.
***
 Les vertus propres pour la Paix,
 Les vertus propres pour la Guerre,
Qui par leurs differens & merveilleux effets,
Te font aimer & craindre aux deux bouts de la Terre ;
 La valeur, l’intrepidité,
 La vigilante activité,
 La Justice avec la Clemence,
 L’Affabilité, la Douceur,
La profonde Sagesse & la Magnificence
Ont fait en ta Personne une étroite alliance.
Quel amas de Vertus dans un Heros vainqueur !
Quelle, dans ton Eloge aura la préference ?
 Quelle t’y fera plus d’honneur ?
***
Une seule en seroit la matiere assez ample,
 Et ne meneroit que trop loin.
  La Valeur par exemple,
 Pourroit remplir tout nostre soin.
 Combien de Sieges, de Batailles,
 Nous viendroit elle presenter,
Où tes fiers Ennemis, au pied de leurs murailles.
Ou dans un vaste champ t’ont pû voir remporter
Des Lauriers immortels parmy leurs funerailles ?
 Combien feroit-elle éclater
 D’exploits que la Victoire
A voulu couronner pour accroistre ta gloire,
 Et sur la Terre & sur les flots,
Et faire à nos Neveux douter de ton Histoire ?
 Combien la Paix dans ton repos
 Feroit-elle voir de merveilles
 Dignes des plus sçavantes veilles,
Passant tout ce qu’ont fait les anciens Heros ?
***
Tu serois dans son sein avec plus de merite
  Que n’en eut Tite,
 Les delices de tes Sujets.
Tu nous y paroistrois moins leur Roy que leur Pere,
 N’y formant plus d’autres projets
 Que pour leur faire un sort prospere.
***
On y reconnoistroit que tes fameux exploits
  T’en ont à juste titre,
  Rendu diverses fois
  Le glorieux Arbitre,
 Et qu’en Conquerant moderé
 Tu l’as d’en haut bien souvent fait descendre,
 Lors que la Victoire, à ton gré,
 Alloit tes conquestes étendre.
***
 La Sagesse à son tour,
Te feroit voir au dessus du Roy Sage,
A qui de toutes parts on venoit rendre hommage
Dans sa superbe & magnifique Cour.
***
Que ne diroit-on pas sur la Magnificence
 Qui fait briller dans tes Palais
 Tant de pompe & tant de puissance ?
Mais toutes ces vertus ont en vain tant d’attraits.
 Je m’arreste à ta Clemence,
Je la trouve aujourd’huy la plus digne d’encens.
 Je luy dois ma reconnoissance
 Pour les effets que j’en ressens.
Elle me sauve un Fils, & nous fait une grace
Qui dans nostre memoire aura toujours sa place,
 Sans que l’impitoyable temps
 Qui tout détruit, qui tout efface,
Puisse jamais pour toy borner nos vœux constans.
A cette vertu donc, ma chere Favorite,
Qui des plus grands Heros fait le plus grand merite,
 Je consacre en ce jour mes Vers ;
Je voudrois des plus beaux avoir toute l’élite,
 Pour en tracer mille Eloges divers.
***
 C’est la vertu plus admirable
  De l’Essence adorable.
Elle nous regarda jusqu’au fond du neant ;
 Et dés ce temps prévoyant que nos crimes
Nous précipiteroient dans les affreux abîmes,
Fit résoudre le Verbe au Mistere étonnant
 Et de la Créche & du Calvaire,
 Où de la Justice du Pere
Il appaisa le couroux foudroyant,
 Par son merveilleux sacrifice,
  Aux Pecheurs si propice.
***
Le Prophete qui fut selon le cœur de Dieu,
 Dans ses Pseaumes, en tout lieu,
Incessamment chante cette Clemence ;
 Et semble mesme par dessus
 Les autres divins Attributs,
  En relever l’excellence.
***
 Rien n’est si grand dans les grands Rois
Que d’imiter un si parfait Modelle.
Cette douceur qui tempere leurs loix,
Entr’eux & Dieu fait comme un paralelle.
 La Pitié sied bien aux Heros,
 Puis que pour nous par un amour extrême,
 Il s’en laisse toucher luy-mesme
  Dans son profond repos,
 Et sa felicité suprême.
***
On sçait aussi combien la Clemence te plaist.
Sur ton Trône on luy voit la principale place,
 Et tu te montres toujours prest,
Si le crime n’excede, à faire entiere grace.
 Les Ennemis que ta foudre terrasse,
 Ont leur resource en ta Bonté,
 Lors que tes armes ont dompté
 Leur orgueilleuse & fiere audace.
***
 Ah ! si j’avois mes poumons d’autrefois,
 Lors que par des graces insignes,
De mes foibles Ecrits tu lisois quelques lignes,
Sur un si grand sujet je hausserois ma voix.
Mais helas ! j’ay perdu depuis ce temps haleine,
Accablé sous les ans comme sous un fardeau,
Et je ne chante plus qu’à peine
Tout bas sur les bords du Tombeau.
***
J’y vais descendre avec beaucoup de joye,
Grand Heros, si ces Vers que ma Muse t’envoye
 Pour tres-humble remerciment,
 Ont à tes yeux quelque agrément.

Cet Ouvrage est de Mr Robinet, dont je vous en envoyay un autre le mois passé, sur le mariage de Monsieur le Duc de Chartres. Je ne vous explique point le sujet qui l’a engagé à le faire, puis qu’il en parle luy-mesme dans ses Vers ; mais quelque raison qu’il en ait euë, il est certain que la plus forte a esté le plaisir de marquer le zele qu’il a pour le Roy.

[Traduction d’une Piece Latine, Vers de la France à M. de Santeüil] §

Mercure galant, avril 1692 [tome 4], p. 31-43.

Mr de Santeüil, Chanoine de S. Victor, a fait des Vers Latins pour le Roy. Il ne faut rien vous dire de plus pour vous faire entendre qu’il a fait un fort bel Ouvrage, puis qu’il a un genie superieur qui luy attire la faveur des Muses. Je ne doute point, Madame, que vous n’en lisiez la Traduction avec plaisir. Elle est de Mr Diereville, dont vous avez estimé toutes les Pieces que je vous ay envoyées de sa composition.

LA FRANCE
A Mr de Santeüil.

Augustes Habitans du celeste sejour,
Si pour la Terre encor vous avez quelque amour,
Permettez que celuy, qui chante vos merveilles,
Qui depuis si long temps vous consacre ses veilles,
Prenne un peu de relâche, & ne s’excuse pas
De chanter les vertus qui s’offrent icy-bas.
Par ces marques d’honneur la Terre réverée,
N’enviroit point l’encens que reçoit l’Empirée,
Et ce Chantre fameux, en partageant son temps,
Pourroit rendre le Ciel & la Terre contens.
 C’est ainsi qu’en repos & fermant la paupiere,
J’ay vû la France au Ciel adresser sa priere.
De quel brillant éclat, de quelle majesté
Frapa-t-elle à l’instant mon esprit enchanté !
Les Lis que sur son front je vis alors paroistre,
Et son Sceptre a la main me la firent connoistre.
 Hé quoy ! dit-elle enfin, tournant vers moy les yeux,
Pourquoy toujours fixer tes regards sur les Cieux,
Et perçant la splendeur de la voûte azurée
Occuper des Elus la demeure sacrée ?
Tout Mortel doit fremir d’oser y penetrer,
Son cœur doit estre pur pour y pouvoir entrer.
Quelle témerité ! redoute le Tonnerre
Quand tu veux t’élever au dessus de la Terre.
 Ignores-tu, Mortel, que cet auguste lieu
Est toujours défendu par des glaives de feu ?
N’y crois pas plaire aux Saints par tes foibles loüanges,
Leurs cœurs ne sont charmez que des concerts des Anges.
Apprens qu’il est icy des Hommes animez
Du mesme esprit divin dont ils furent formez,
Que le Ciel a choisis pour prendre sa défense,
Toujours prests à punir l’ennemy qui l’offense,
Tels, de la même main qui soûtient nos Autels,
Touchent au haut séjour où sont les Immortels.
Voy, dit-elle, Santeüil, ce qu’on ne pourra croire.
Voy par quelles Vertus LOUIS monte à la Gloire,
Voy comme il a contraint de rentrer dans les fers
Ces Monstres contre luy suscitez des Enfers,
Et par quelle pieuse & loüable entreprise
Il a sceu rétablir le Culte de l’Eglise,
Les suppots de Satan sont pour jamais vaincus,
Et gemissent de voir leurs Temples abbatus.
Le Regne d’un Heros si fécond en merveilles
Devroit être souvent le sujet de tes veilles.
Le Ciel, qui le conduit & qui soûtient sa main,
Ne peut desaprouver un si juste dessein.
 Ne vois-tu pas encore avec quelle prudence
Et du Faste & du Luxe il rabat l’insolence,
Et par quelles bontez, en s’imposant des loix,
Pour le bien de son Peuple il renonce à ses droits ?
Comme il a rétably l’ordre dans la Justice,
Et banny du Palais la fraude & l’artifice,
Les ruses, les détours, enfin tous ces moyens
Qu’employoient les Plaideurs à s’arracher leurs biens.
Voy l’ordre qu’il a mis luy-mesme à ses Finances,
Et par quels Reglemens, par quelles Ordonnances
Dans ses Tresors pillez il a fait raporter
Ce que d’injustes mains en sceurent écarter.
Tu sçais le châtiment de ces horribles crimes,
Dont le secret fatal a fait tant de victimes,
Et de qui les auteurs accablez de remords
Faisoient pour se cacher d’inutiles efforts.
 Sur mille soins divers admire son genie ;
Des Duels deffendus la licence est punie.
En réprimant ainsi de semblables forfaits,
Il conserve le sang de ses meilleurs Sujets,
Et leur bras autrefois contr’eux impitoyable,
N’est plus qu’aux ennemis funeste & redoutable.
Contemple ce Heros, & dans ses fiers regards
Reconnois le courage & la grandeur de Mars.
Il semble ne vouloir respirer que la Guerre,
Et porter en tous lieux les coups de son Tonnere ;
Mais toûjours sa clemence a desarmé son bras.
Il préfere la Paix au succez des Combats,
Quand également fort sur la Terre & sur l’Onde,
Il pourroit, s’il vouloit, être Maistre du Monde.
Ses Ennemis vaincus adorent leur Vainqueur,
Dans leur propre defaite ils trouvent leur bonheur,
Si-tost qu’il en triomphe il en devient le Pere,
Et s’il fait ressentir l’effet de sa colere,
Sçache que c’est de voir détruits tout à la fois
Le Culte des Autels & le pouvoir des Rois.
 Venez, Filles du Ciel, celebrer sur la Terre
Un Heros qui malgré les fureurs d’une Guerre
Qu’un monde d’Ennemis ouvre de toutes parts,
Vous comble de ses biens, & rétablit les Arts,
Et qui, nous préservant de ses tristes allarmes,
D’une tranquille paix nous fait goûter les charmes ;
Loüange qui doit peu flater l’esprit d’un Roy,
Si lors qu’à l’Univers il peut donner la Loy,
Il n’a pas le pouvoir de se vaincre luy-même
En renonçant aux droits de ce titre suprême,
Et foulant à ses pieds par un noble mépris
Des lauriers teints du sang de ses fiers Ennemis.
 Braves Enfans de Mars, le pourriez-vous bien croire ?
Tout terrible qu’il est, & seur de la Victoire,
Il craint par sa valeur d’estre trop redouté,
Et de voir l’Univers gemir d’estre dompté.
Le Regne d’un Heros si fecond en merveilles
Devroit estre souvent le sujet de tes veilles.
 Mais quel terrible bruit se répand en tous lieux !
Il étonne à la fois & la Terre & les Cieux,
Mars en courroux par tout fait gronder son Tonnerre,
Et la Discorde allume une infernale Guerre,
Guerre qui va malgré mille Conféderez
Préparer à LOUIS des Triomphes sacrez.
C’est en vain contre luy que tout l’Enfer conspire,
Le Ciel soûtient son bras. Santeüil, touche ta Lyre,
Le sujet en est digne, & par des chants nouveaux
Celebre les vertus du plus grand des Heros.
Que tant d’exploits fameux à le loüer t’excitent.
A ces mots le Sommeil & la France me quittent.

[Billet galant] §

Mercure galant, avril 1692 [tome 4], p. 43-48.

Vous ne serez point fâchée que je vous fasse part d’un Billet galant qu’une Dame d’un fort grand merite écrivit à une jeune Demoiselle, en luy envoyant le jour de sa Feste une boucle de Diamans, & une table de bracelet, où il y avoit un Amour qui versoit des larmes, & pour Devise, Vostre absence les cause. Le Billet estoit conceu en ces termes.

Je croy, ma chere, que ce seroit trop hazarder que de vous envoyer des fleurs en ce jour. Quelque beauté & quelque fraîcheur qu’elles eussent, elles seroient toujours fort indignes de vous, puis que vous en avez sur vostre teint de beaucoup plus belles qu’on ne vous en peut offrir. Obligez-moy donc de vouloir bien recevoir un Bouquet d’une autre nature. Je vous l’envoye par un Messager qu’on dit que vous ne connoissez pas, quoy que vous le fassiez assez bien connoistre. C’est l’Amour. Ne vous alarmez pas ; il ne s’est chargé de ma commission qu’en qualité de Frere de l’Amitié, & il a cru devoir servir sa Sœur en cette rencontre, elle qui luy peut faire plaisir en tant d’autres. Pour exprimer ce caractere, il s’est rendu different de luy-mesme, & vous verrez qu’il a quitté, non seulement une partie de ses armes, mais encore cet air fier & victorieux qui luy est si naturel. Vous le trouverez soûmis, & les larmes qu’il répandra vous feront voir qu’il ne vient pas chez vous en Conquerant. Il vous dira ce qui les cause ; mais souvenez-vous qu’il vous doit parler pour moy, parce que je crains fort qu’estant avec vous il ne veüille parler que pour luy. Il a de plus ordre de vous presenter des Diamans de ma part. Vous leur donnerez un nouveau brillant, si vous en faites assez de cas pour vous en parer. Vous sçavez ce que leur feu & leur fermeté signifient. Faites-en l’application, & comme vous n’en faites que de fort justes, j’espere n’y estre pas oubliée. Il me reste un avis à vous donner touchant ce Fils de Venus, c’est de vous en défier. Quelque desarmé qu’il vous paroisse, ne le laissez point sur sa bonne foy, car il n’en a guere, & quand il ne peut faire des blessez, il fait des captifs. Ainsi, ma chere, pour empêcher qu’il ne vous donne des chaînes, donnez-luy un lien qui l’attache, non pas à vostre cœur, mais à vostre bras. Je vous répons de luy en cet estat, & qu’il ne vous parlera jamais que pour vous dire que je suis toute à vous.

[Lettre galante] §

Mercure galant, avril 1692 [tome 4], p. 76-102.

Je vous ay déja envoyé trois Lettres du Berger de Flore, sur les galantes Societez où il a esté receu. En voicy une quatriéme, dont la lecture ne vous donnera pas moins de plaisir que vous en avez eu en lisant les autres.

A LA BELLE
MARTHESIE.

La cinquiéme Societé où j’entray, & plûtost par hazard que par inclination, estoit appellée, Le Royaume de Phenicie. Son nœud estoit de couleur de feu, & sa Devise, Brûler sans se plaindre. Ce nom de Phenicie fut tiré du Phenix, qui servoit de corps à cette Devise. Là les Cavaliers descendirent encore d’un degré, pour estre tenus dans une plus grande soumission. On les nomma Esclaves, & les Dames porterent le nom de Reines. Mon Frere fut de cette Societé, aussi bien que moy, & la fortune voulut qu’une mesme personne devint d’abord l’objet de nos attachemens ; ce qui nous étoit déja arrivé d’autres fois, comme si la nature nous eust donné les mesmes inclinations. C’estoit pourtant sans jalousie de part ny d’autre, au contraire, nous cherchions à nous servir. Cette Belle s’appelloit Caliste. Un de ses Parens qui luy estoit destiné pour Epoux, ne fut pas trop satisfait de nous voir assidus auprés d’elle, & comme il avoit de l’esprit, il s’en plaignit d’une maniere assez agréable. Ce fut par ces Vers qu’il nous envoya.

On dit que la concorde est rare entre les Freres,
 Et qu’il ne s’en voit gueres
Que l’interest, l’envie, ou quelque passion
 N’entretienne en division.
 Nous avons pourtant un exemple
 De deux Freres, parfaits Amis,
 Qu’avec plaisir nostre Hameau contemple
Toujours ensemble aux champs, au Bal, au Cours, au Temple,
 Toujours l’un à l’autre soumis.
Ils ont mesme tous deux aimé les mesmes Belles,
Sans, pour estre Rivaux, devenir Ennemis.
Midiane & Zaïde en sçavent des nouvelles,
 Et je suis trompé si tous deux
Ne soûpirent encor pour l’Objet de mes vœux ;
 Mais je n’entens point raillerie.
 A moins qu’ils n’éteignent leurs feux,
Deust chacun contre moy s’animer de furie,
 Je mettray du desordre entr’eux.
***
 N’approchez donc point de Caliste,
 De cent pas, ô Berger Fleuriste ;
 Allez conter fleurette ailleurs.
 Et vous aussi, Berger de Flore :
 De grace, à d’autres vos douceurs.
 Je vous estime, & vous honore.
Puissiez-vous estre unis plus fortement encore ;
Je le souhaiteray, mais à condition
 Que l’aimable Objet que j’adore
 N’entre point dans vôtre union.

Ce Berger appellé Leandre, estoit de nos Amis. Nous le laissâmes en repos, & nos desirs se bornerent à l’amitié de sa Parente, qui devint bien-tost sa Femme. Nous fismes ensuite la cour à deux autres Belles de la Societé ; mon Frere à une Blonde nommée Orcene ; & moy à une Brune, appellée Mirrhine. Cette Brune estoit une jeune coquette, mariée depuis cinq ou six mois, mais qui n’avoit pas renoncé au plaisir d’avoir des Amans, quoy qu’elle eust un Mary. Ce fut le premier jour d’une année que je luy fis present de mon cœur, & ces Vers luy en apprirent la nouvelle. Elle les aimoit bien plus que la Prose,

Que vous donner en ce jour, belle Reine,
 Par bonne Etrene ?
 Les Bijoux du Palais,
 Sont des presens de bale
 Pour une ame royale
 Ils n’ont que de foibles attraits.
***
Un cœur plein d’un beau feu, constant, tendre, & fidelle,
 Est bien mieux le fait d’une Belle.
Que vostre Majesté reçoive donc le mien.
 En vertus d’amour il excelle,
  Il ne luy manque rien.
***
Si le present n’estoit pas agreable
  A vostre Majesté,
 Je ne sçay pas de quel costé
Luy viendroit un malheur pour moy si déplorable ;
On ne peut rien offrir à la Divinité
 De plus pur, de plus estimable ;
 Et vous traiter d’un air semblable,
 C’est regaler vostre beauté,
D’un honneur, ce me semble, assez considerable.
***
 Qu’il touche donc vostre bonté,
 Comme il fait la Bonté celeste,
  Il vous est presenté
Avec respect, avec sincerité,
Mesme sans interest, Reine, je le proteste.
***
 Aucun don n’est moins limité,
N’est plus grand, & plus plein de generosité.
 Cela n’est que trop manifeste.
En le donnant, on donne tout le reste.

Cette Dame n’estoit pas d’humeur à refuser de ces sortes de presens. Elle en faisoit pourtant mistere, de peur qu’on ne la broüillast avec son Mary, si elle s’en faisoit honneur, mais comme elle avoit l’esprit pointilleux & inégal, on ne sçavoit presque jamais comment on estoit auprés d’elle. Il arriva diverses ruptures entre nous, dont le renoûment n’estoit jamais bien éloigné ; elle commençoit toujours la guerre, & moy la paix. Croyant une fois l’avoir laissée en belle humeur, à la veille d’un voyage de deux ou trois jours qu’elle alloit passer dans un endroit fort agreable, mais fort desert, je m’avisay de luy écrire avant son départ ce qui suit.

Dans ces lieux écartez de tout commerce humain,
  Où vous allez demain,
 Quittez un peu vostre humeur fiere,
Belle Reine, & songez aux douceurs que l’on sent,
Quand on sçait que l’on regne en un cœur innocent,
Seule, en secret, avec puissance entiere ;
 Et puis pensez que dans le mien
 Vous regnez de cette maniere,
 Mais, de grace, pensez-y bien.

Elle me renvoya mon Billet, aprés l’avoir lû, & avoir écrit au bas, Je n’en feray rien. Cette réponse me donna du chagrin ; & ennuyé du peu de progrés que je faisois sur son esprit, je résolus de rompre le premier avec elle, si-tost que nous nous serions raccommodez de la broüillerie que demandoit son insulte. La paix ne tarda guere à se faire aprés son retour, & la guerre à recommencer. Je pris l’occasion d’une petite faveur que je la priay de m’accorder, & qu’elle me refusa ; sur quoy l’ayant quittée brusquement, je luy envoyay ce Billet.

Je vous l’ay dit cent fois, si j’ay bonne memoire,
 Qu’un amour ardent, circonspect,
 Plein de tendresse & de respect,
Propre à vostre service, utile à vostre gloire,
 Tel que le mien, soumis, discret,
 Mirrhine, estoit bien vostre fait,
 Vous ne m’avez pas voulu croire,
 Là-dessus je m’en suis défait.
Nous verrons qui de nous en aura du regret.

Mais parce que je voulois rompre, elle ne le voulut pas. Elle m’écrivit que je faisois bien le méchant pour un Esclave ; & qu’elle sçauroit me mettre à la raison, si je ne m’y rangeois de moy-mesme. Un cœur qui aime est foible & timide. Je ne fus ny assez fort ny assez hardy pour soûtenir mon entreprise. Je revins à elle en luy demandant pardon de m’estre échapé, & il arriva par sa bizarrerie, que quand elle me vit dans la soumission, elle me dit fierement qu’elle ne me pardonneroit jamais la menace de la quitter, que j’avois eu la témerité de luy faire. Neanmoins ce pardon me fut bien-tost accordé. Une fiévre violente la prit quelques jours aprés, & la reduisit à un fort mauvais estat. Je fis alors ces Vers pour la divertir.

Avec vous la Beauté pâtit ;
 Les Graces sont au lit ;
Les Ris ne lancent plus que de tristes œillades.
L’Amour, tout Dieu qu’il est, souffre sans contredit ;
 Les Jeux ont l’air tout interdit,
Et sont bien éloignez de danser des balades,
 Et de donner des serenades.
 Vous guerissant, à ce qu’on dit,
 Vous gueririez tous ces Malades.

Son Mary qui estoit à l’Armée, dans les commencemens de cette maladie, revint au Pays à la premiere nouvelle qu’il en receut ; & n’eut pas peu d’affliction de se voir en danger de perdre cette belle Femme. Ce qu’il y eut d’assez plaisant, c’est que dans les redoublemens de sa fiévre, son esprit se dereglant, elle ne faisoit que parler de Palcin. C’estoit le nom d’Esclave qu’on m’avoit donné, & celuy d’une Terre, un peu déguisé ; de sorte que son Mary demandant qui estoit ce Palcin qui revenoit si souvent à la bouche de sa Malade, & personne n’osant luy dire ce qu’on en sçavoit, il se mit en teste qu’il y avoit un grand mistere caché sous ce nom, & s’abandonna à un chagrin que ne pouvoit dissiper l’asseurance qui luy fut donnée, qu’il falloit qu’elle extravaguast dans les mots, aussi bien que dans le sens. Mon assiduité & mes soins pour cette Belle, diminuerent beaucoup depuis le retour de ce Mary, quoy que j’eusse autant d’inclination qu’auparavant à luy rendre mes services, & que sa maladie continuast dans la mesme violence, mais diverses considerations arrestoient mes bonnes volontez, & m’obligerent mesme d’aller à la Campagne. Dans le sejour que j’y fis, un de mes Amis devenu amoureux d’une jeune Veuve qui estoit belle & qui chantoit bien, ce qui est assez rare, comme vous sçavez, me pria de luy faire des Vers sur un grand Air qui couroit, & qui plaisoit fort à sa Maistresse, pour luy apprendre la resolution qu’il prenoit de l’aimer. Il m’avoit dit qu’elle se plaisoit beaucoup à la Campagne aussi-bien que luy, & qu’elle y estoit presque toûjours, qu’elle avoit un penchant plus grand à l’humeur cruelle qu’à la douce, & qu’elle portoit en galanterie, le nom de la premiere personne que j’avois aimée, je veux dire, de Philis ; & sur sa priere & ses instructions, voicy les Vers que pour la premiere fois l’amitié sçeut m’inspirer ; encore l’amour m’aida-t-il à la faveur du souvenir de ma premiere Inclination.

Zephirs, arbres, ruisseaux, mes plus cheres delices,
Devenez aujourd’huy les innocens complices
Du dessein que je fais d’aimer une Beauté
Qui n’a rien de mortel qu’un peu de cruauté.
Ruisseaux, charmez ses soins par vos plus doux murmures.
Arbres, charmez ses sens par vos ombres obscures.
Zephirs, allez flatter ses roses & ses lis,
Et pour l’amour de moy servez tous ma Philis.
***
Sans crainte, à mes desirs montrez-vous tous propices.
Rendez de bonne grace à Philis ces offices ;
Ils ne causeront point de sentimens jaloux
Aux Nimphes que l’amour fait soupirer pour vous.
Les Nayades, Pomone & la Gentille Flore,
Sçavent que cette Belle est digne qu’on l’adore ;
Et loin que vos bontez leur donnent du soucy,
En plaisant à Philis, vous leur plairez aussi.

Mon Amy trouva ces Vers assez conformes à ses intentions, & les presenta à sa Belle, à qui ils ne déplurent pas. Elle les apprit, & les chanta ; & les fit voir & chanter à ses Compagnes, ce qui les fit si bien aller de l’une à l’autre qu’ils vinrent jusqu’aux oreilles de Mirrhine qui commençoit à se mieux porter ; mais comme la Renommée n’est jamais fidelle dans ses rapports, lors qu’aprés avoir ouy ces Vers, & témoigné qu’ils luy sembloient assez jolis, elle demanda qui en estoit l’auteur, elle ne pût apprendre sans depit que c’estoit moy, & que je les avois faits pour une jeune Veuve dont j’estois devenu amoureux pendant sa maladie. Il est fâcheux à une Belle de perdre un Cœur qu’elle estoit au nombre de ses Conquestes les plus asseurées. Mirrhine jugeant à ce discours que le mien manquoit pour elle de fidelité ou de constance ne m’en voulut pas peu de mal. Son Mary d’un autre costé n’estoit pas mieux intentionné pour moy. Il avoit enfin découvert que j’estois la personne dont sa Femme parloit tant en sa maladie, & quoy qu’on l’asseurast que si elle y avoit jamais pensé en santé, c’estoit fort à la legere, il croyoit qu’on cherchoit à le tromper, & que le meilleur party quel eust à prendre, c’estoit de rompre avec moy. Averty de ces sentimens, tant de la Belle que de son Mary, & de l’opiniastreté qu’ils avoient à les conserver ; & appellé d’ailleurs à Paris par une grande & puissante affaire, je quittay la Province aprés leur avoir seulement envoyé faire civilité à mon départ ; mais je ne fus pas éloigné trois mois sans apprendre la mort de Mirrhine, qu’une recheute avoit entrainée dans le Tombeau. La nouvelle que la Societé m’en donna, me toucha sensiblement ; & pensant à cette perte, & à celle de ma volage Arthenice, je m’écriay plus d’une fois dans le transport de ma douleur.

 Combien d’infortunes diverses !
Quel esprit assez fort peut fournir aux traverses,
Qui nous accablent tous les jours ?
Que les biens & les maux s’écartent dans leur cours,
 Et que le Ciel y met de differences ?
Les biens sont passagers ; les maux durent toujours.
 Combien voit-on d’éternelles absences ?
 Qui vit jamais d’éternelles amours ?

Mon Frere, s’il m’est permis de vous parler encore de luy, ne fut pas plus heureux que moy dans l’amour qu’il eut pour Circene. C’estoit une autre Coquette fort avide de loüanges, qui se déguisoit sous les apparences d’une Prude, & qui luy fit bien voir du pays. Il s’en plaignit par une Elegie qui la toucha, & qui eut la force de la remettre à la raison pendant quelques mois ; mais comme il n’est rien de plus glissant que le panchant à la coquetterie, elle y retomba ; & aprés beaucoup de chagrins que cette humeur luy fit essuyer, il en fut enfin vangé par le secours d’une de ces redoutables maladies qui empoisonnent la beauté, & dont la malignité agit si fortement sur Circene, qu’elle luy enleva tous ses charmes, & tous ses Amans.

Ce fut dans le temps de cette Societé, Madame, que je composay le Chemin d’amour, en faveur d’un jeune Marquis de mes Amis, qui desiroit sçavoir l’art de se faire aimer par les belles formes. Cette Piece eut l’approbation de la Societé, & la receut en ces termes.

 Cet Ouvrage galant me plaist ;
Tout s’y fait par amour. & rien par interest.
Il est pour le Berger, comme pour le Monarque ;
 C’est l’Etoile du Nort ;
Il guide le cœur qui s’embarque,
 Droit dans le port.

J’acheveray, Madame, par une autre Lettre, de vous donner les éclaircissemens que vous avez desirez de moy. J’ay bien de la joye d’apprendre que vous les recevez avec plaisir. Je m’en feray toujours un tres-grand de contribuer à vos divertissemens, & de vous marquer que je suis avec zele & respect vostre, &c.

[Histoire] §

Mercure galant, avril 1692 [tome 4], p. 103-116.

L’amour fait prendre des résolutions extraordinaires à ceux qui en sont vivement atteints, mais il n’y en a guere de pareilles à celle qui a causé les malheurs d’une jeune Fille de Famille dont je vous vais apprendre l’histoire. Elle estoit preste à se marier à un Bourgeois d’une des plus considerables Villes de France, & comme il la recherchoit depuis long temps, la passion qu’elle prit fut d’autant plus violente, qu’elle eut de grands obstacles à vaincre. Elle vint enfin à bout de les surmonter, & l’on avoit arresté le jour pour le mariage, lors que son Amant, trompé par l’adresse de certaines gens qui le surprirent, fut enrôlé malgré luy dans une Compagnie de Cavalerie. Son Amante n’en eut pas esté plûtost informée qu’elle alla trouver le Capitaine, auprés de qui l’amour luy fit employer toutes sortes de moyens pour obtenir qu’il le renvoyast. Aprés luy avoir appris l’engagement où il estoit avec elle, & le desespoir où elle seroit si en s’obstinant à le retenir, il empêchoit l’établissement qu’il luy assuroit en l’épousant, elle luy offrit en sa place un homme d’une taille beaucoup plus avantageuse que celle du Cavalier qu’on luy avoit amené par violence ; mais cette offre, quoy qu’accompagnée de larmes qu’elle répandoit en abondance, n’eut point le pouvoir de le fléchir. Il fit une raillerie de son amour, & mesla à son refus des paroles de mépris, qui furent pour elle un nouvel outrage. Cette Fille ne croyant plus avoir rien à perdre, puis que son Amant luy estoit osté, ne se sentit possedée que du desir de tirer raison de cette injure. La vangeance prit la place de l’amour, & pleine des sentimens qu’elle luy mit dans le cœur, elle ne songea qu’à les satisfaire. Elle estoit hardie, & s’estoit accoutumée à tirer si juste, qu’il n’y avoit personne qui pust se servir du Pistolet plus adroitement. Peu de temps aprés l’indigne refus de ce cruel Capitaine, elle apprit qu’il alloit en quelque endroit, éloigné de la Ville de cinq ou six lieuës, & s’estant armée d’une Carabine, elle alla l’attendre en un certain lieu où elle pouvoit se rendre sans estre veuë de personne, & d’où il estoit comme impossible qu’on la découvrist. Elle y demeura quelque temps, toujours intrepide, & sans changer de dessein, & l’ayant enfin apperceu de loin, elle le choisit si bien dans le moment qu’il passa, que le coup qu’elle tira le renversa mort de son cheval. L’ardeur qui l’avoit portée à se vanger ne fut pas plûtost remplie, qu’elle ouvrit les yeux sur le peril où sa passion venoit de la mettre. La crainte du châtiment qui devoit suivre son crime, si elle se laissoit prendre, la fit songer à se mettre en seureté. Elle se sauva dans une Forest voisine, & prenant toujours des lieux détournez, elle se trouva insensiblement prés de Montauban. Le hazard voulut qu’elle y rencontra des gens de sa connoissance, à qui elle emprunta de l’argent, feignant qu’elle avoit dessein de s’en retourner chez elle, & se gardant bien de leur rien apprendre du malheur où sa passion l’avoit fait tomber. Elle trouva cependant moyen de donner de ses nouvelles à son Amant, & d’avoir des siennes ; & comme il ne put avoir son congé du Capitaine, à qui l’on avoit donné la Compagnie de celuy qu’elle avoit tué, & qu’il auroit deserté inutilement, puis que la desertion l’auroit obligé de se cacher, ce qui eust servy d’obstacle invincible à leur mariage, elle resolut de prendre un party, qui pust la mettre en estat de n’estre point reconnuë. Elle étoit de taille à porter un habit d’homme. Elle en choisit un qui luy fust propre, & ayant fait couper ses cheveux, elle acheta une perruque, & toutes les choses qui luy pouvoient estre necessaires pour se déguiser, & cacher son sexe. Ce déguisement ne suffisoit pas. L’argent luy manquoit, & les moyens de subsister luy paroissant difficiles, elle suivit l’inclination qui la portoit à prendre les Armes. Comme elle estoit jeune, & qu’elle avoit bonne mine habillée en homme, un Capitaine Suisse qui la rencontra, luy fit demander si elle vouloit entrer dans sa Compagnie. Elle y consentit, & ayant du cœur & de l’intrepidité, elle se fit remarquer en plusieurs occasions où elle fut employée. Il n’y avoit aucun Soldat plus adroit & plus zelé pour le service du Roy, & elle sortoit toujours avec avantage de toutes les affaires qui luy étoient faites par ses Camarades. Elle passa deux ans & demy de cette maniere, & il y a environ un an que la Compagnie estant à la garde des Lignes, elle s’avança un peu au-delà avec un autre Soldat qui non plus qu’elle n’estoit chargé d’aucune fonction ce jour-là. Le malheur voulut qu’ils rencontrassent une jeune Fille qui ne les put éviter. Son Camarade voulut s’en rendre le maistre, & sur l’obstacle qu’elle y apporta, ils se prirent de paroles, & leur contestation les obligea de tirer l’épée. Elle fut blessée legerement dans ce combat où elle receut un coup de pointe dans le côté, mais l’avantage luy en demeura, & d’un coup d’estramaçon porté sur la teste de son Camarade, elle abatit ce brutal qui avoit voulu emmener la jeune Fille. Elle alla en même-temps raconter la chose à son Capitaine, qui ayant donné ordre que l’on allât promptement secourir ce miserable, fut informé de la verité par sa deposition. Il tomba d’accord du fait, & l’on admira la continence & la generosité de son Ennemy, qui se contentant de la victoire n’en avoit point voulu d’autre prix que le plaisir de l’avoir pû remporter. Cette vaillante & aimable Fille a toujours vécu avec beaucoup de reserve, estant attachée avec une entiere application à remplir tous ses devoirs, & ne donnant jamais sujet de se plaindre aux gens raisonnables qui estoient sujets aux mesmes ordres qu’elle recevoit. Elle a passé l’hiver à Dunkerque où la Compagnie estoit en quartier, & l’on ignoreroit encore son déguisement, sans le Jubilé qui a esté en ce lieu-là pendant la premiere quinzaine du Caresme. Elle y fit une Confession generale, & celuy qui la receut l’obligea de ne plus cacher son sexe, & de reprendre son habit de Fille. Toute la Ville l’a regardée comme une Heroïne, & la necessité où elle s’est veuë de renoncer à la profession de Soldat, l’ayant obligée à raconter jusqu’aux moindres circonstances de son avanture, Mr de la Neuville, Lieutenant de Roy, a écrit en Cour afin d’obtenir sa grace. Quoy qu’elle ait commis un crime digne de punition en tuant le Capitaine qui avoit eu le cœur assez dur pour refuser de luy rendre son Amant, l’offre faite d’un Cavalier de plus belle taille à mettre en sa place, semble excuser la vangeance que son desespoir luy a fait executer. Ainsi l’on ne doute point que son courage, & sa fermeté en beaucoup d’occasions où il a fallu qu’elle se soit exposée, ne luy fassent meriter l’oubly d’une faute qui fait admirer la force de son amour.

[Retour d’une femme du monde à Dieu] §

Mercure galant, avril 1692 [tome 4], p. 116-123.

Les passions sont les sources de tous les malheurs qui nous arrivent. Heureux qui comprend assez le peu que sont les plaisirs, pour entrer dans les sentimens de la Dame que vous allez entendre parler.

RETOUR
D’une Femme du Monde
A DIEU.

Illusions des sens, delices de la terre,
 Qui me captiviez nuit & jour ;
Assez & trop longtemps vous m’avez fait la guerre,
 Je veux vous la faire à mon tour.
***
 J’ay honte de cet esclavage
Qui tenoit sous vos fers mon esprit abattu ;
C’en est fait, je les brise, & fais un doux passage
 Des vains plaisirs à la Vertu.
***
N’attendez rien de moy, j’ay sondé vos abismes,
 J’en reconnois la profondeur.
Tous vos biens sont des maux ; cherchez d’autres victimes,
 Dont vous tirannisiez le cœur.
***
 Le mien ne goûte plus vos charmes,
Un plus beau feu l’anime, il vole vers les Cieux.
Heureuse, si je puis effacer par mes larmes,
 Les crimes de mes yeux.
***
Que leur funeste éclat fut nuisible à mon ame !
Il servoit à nourrir de fatales amours,
Et pour les en punir j’en éteindray la flâme
Dans un torrent de pleurs qui coulera toujours.
***
Quoy donc ? sans respecter l’Auteur de la Nature,
Pour luy ravir les cœurs vous employiez vos traits ?
Pleurez, pleurez, mes yeux, sans tréve & sans mesure,
 Les larcins que vous avez faits.
***
Vos regards affectez, languissans & volages
Mandioient de ces cœurs la triste liberté ;
 Mais, helas ! lors que leurs hommages
Offroient un plein triomphe à vostre vanité,
 Par le plus sanglant des outrages
Vous usurpiez les droits de la Divinité.
***
Les droits en sont sacrez, la beauté les viole.
 C’est peu de corrompre les sens ;
 Il n’est rien qu’elle ne s’immole,
 Et cette malheureuse Idole
Va de la raison mesme exiger de l’encens.
***
Fiere de ce tribut qui marquoit ma victoire,
Je laissois mille Amans soupirer à mes pieds,
Et mon orgueil content en goûtoit mieux la gloire,
 Plus ils estoient humiliez.
***
Ah, Seigneur, j’attentois alors sur vostre Empire,
 Et j’envisage avec effroy,
Lors que de tous costez le remords me déchire,
Qu’au mépris de vos loix on recevoit ma loy.
***
Jusque sur vos Autels je vous portois la guerre,
 Et défiant vostre couroux,
 Je doutois de vostre tonnerre,
Dont par pitié pour moy vous reteniez les coups.
***
Tout prest à le lancer, vous épargniez ma teste,
 Et par l’excés de vos bontez,
 Vous avez fait une conqueste
Qui se fust refusée à vos severitez.
***
Que l’amour est puissant pour émouvoir une ame !
Le vostre de la mienne attire tous les vœux,
 Et luy communiquant sa flâme,
 La purge de ses premiers feux.
***
Elle vous trahissoit, vous la rendez fidelle,
 Et remediant à ses maux,
Vous donnez à mon cœur une forme nouvelle,
 A mes sens des emplois nouveaux.
***
Vous faites leur bonheur de ce qui fit leur peine,
 Et par un glorieux retour,
 Ce qui fut l’objet de leur haine,
 Devient l’objet de leur amour.
***
La gloire leur plaisoit, j’en aimois la fumée,
Mais je vois aujourd’huy, grace à vostre clarté,
 Que la plus belle renommée
 Vaut bien moins que l’Eternité.
***
Foibles & vains attraits d’un malheureux visage,
 Vous pouvez faire assez de bruit.
Mais que sert vostre éclat ? Le crime est vostre ouvrage,
 Vous ne produisez que ce fruit.
***
Devenez donc, mes yeux, devenez deux fontaines.
Et vous, divin Amour, échauffant mes desirs,
Pour laver mes forfaits, faites que dans les peines
 Je mette mes plus doux plaisirs.

[Discours prononcé à l’Académie de Peinture & de Sculpture] §

Mercure galant, avril 1692 [tome 4], p. 128-141.

Le Roy ayant fait l’honneur à l’Academie Royale de Peinture & de Sculpture de l’établir dans le Louvre, elle y fit la premiere de ses Assemblées le Samedy 15. du mois passé, & à l’ouverture Mr Guillet de Saint Georges, Historiographe de la Compagnie, parla en ces termes.

Messieurs.

Il est bien juste que le premier Discours de nos nouvelles Assemblées nous fasse faire une agreable reflexion sur l’estat avantageux où se trouve presentement l’Academie Royale de Peinture & de Sculpture, qui se voit aujourd’huy établie dans la premiere des Maisons Royales. C’est en ces heureux momens que les demonstrations de joye sont de saison. Vostre Ecole, toujours regardée avec estime en quelque endroit de Paris où elle ait déja fait ses Exercices, va bien paroistre maintenant avec une autre distinction, puis que nostre Auguste Monarque luy fait l’honneur de la placer dans le Louvre, & trouve bon que l’Art illustre qu’elle professe soit cultivé dans le sejour des Rois. Quelle gloire pour elle, & quelle satisfaction pour ceux qui composent ce Corps celebre ! Mais parlons sans exageration, & demeurons d’accord qu’elle merite bien d’estre placée noblement, elle qui est d’une Fondation Royale, & qu’ainsi le nouveau lieu de sa demeure répond dignement à son origine. C’est donc aujourd’huy qu’elle prend possession de la place illustre que le Roy luy a destinée, & je ne puis m’empescher de le dire encore une fois ; c’est dans cette conjecture, qu’on ne sçauroit trop loüer la joye que ce bonheur excite dans vos Cœurs, & qu’il fait éclater presentement sur vos visages, puis que ces mouvemens d’allegresse marquent vos sentimens de reconnoissance pour les bontez de nostre Monarque incomparable, & vostre veneration pour sa Personne sacrée. Il y a quarante-quatre ans que ce grand Roy fit l’établissement de la Compagnie, & depuis ce temps-là ses bienfaits ont fait subsister l’Ecole, & rendu l’Art du Dessein aussi florissant qu’il le peut estre. Il a favorisé en particulier les habiles hommes qu’il a choisis dans vostre Corps pour ces Ouvrages de pieté ou de magnificence qui font l’ornement des lieux sacrez, des Maisons Royales, & des Places publiques. Aujourd’huy ses faveurs se répandent en general sur le Corps entier. Ainsi les soins importans de ses Armes triomphantes ne luy font rien negliger des loüables exercices de la Paix, & sans interrompre le cours de ses Conquestes, il a la gloire de porter les Sciences & les beaux Arts à leur degré de perfection. L’Academie, animée d’un zele particulier pour son auguste Fondateur, conservera exactement toutes ces grandes idées, & ne laissera échaper aucune occasion de les exprimer avec toute la force que demande la dignité de la matiere. Elle sçait bien que pour attirer la suite des bontez que ce grand Prince a pour elle, il faut qu’elle continuë ses applications pour le progrés & la splendeur de l’Ecole. Et peut-elle mieux fonder les esperances de ce progrés que sur la protection de Monsieur le Marquis de Villacerf, qui par une generosité sans pareille agit incessamment pour elle auprés du Roy, & luy procure chaque jour des avantages singuliers ? N’est-ce pas aussi dans cette veuë que se signale le fameux Mr Mignard, Directeur & Chancelier de l’Academie, qui remplit tres dignement les devoirs de ces deux Charges, & qui ne doit qu’à un vray merite l’estime generale qu’il s’est attirée ? Dans l’ardeur qu’il a pour la gloire de la Compagnie, il se voit incessamment secondé par la sage & laborieuse conduite de Messieurs les Recteurs, de Mrs les Professeurs, de Mrs les autres Officiers, & en general par le zele de tous les Academiciens. Ainsi la Compagnie se proposant de reconnoistre selon ses forces l’honneur que le Roy luy fait de la loger dans le Louvre, elle trouvera occasion d’y paroistre dans une loüable & modeste concurrence avec les trois autres celebres Academies qui ont le mesme avantage, & qui seront liées avec elle beaucoup plus par cette noble émulation que par la proximité du lieu. Quand elle portera la veuë sur l’Academie d’Architecture, qui vient aussi d’y estre établie, nostre Ecole se souviendra, avec la moderation dont elle se pique, qu’à l’exemple des Ecoles de Peinture de l’Italie, elle est toujours en estat de donner aussi à la France sur le talent des Architectes, un nouveau Michel-ange, un second Rafael, & un autre Jules Romain. Mais comme elle va aussi continuer ses Estudes auprés de la fameuse Academie Françoise, elle jettera les yeux sur cette Compagnie illustre, & regardant avec une estime toute particuliere les excellens hommes qui la composent, & à qui nostre Langue doit sa pureté & sa force, les occupations de la nostre prouveront aussi que de son costé elle a la prerogative de s’exprimer intelligiblement à toutes les Nations de l’Univers, sans affecter un idiome seul, & de leur faire entendre éloquemment par les caracteres de ses figures, les plus secrets mouvemens de l’Ame, & les plus grands effets de la Nature. Son travail prouvera, dis-je, que comme la plume de nos meilleurs Ecrivains merite de justes loüanges en mettant au jour l’Histoire ancienne & la moderne, & sur tout les Merveilles de l’Histoire du Roy, le Pinceau de nos Peintres, le Ciseau de nos Sculpteurs, & le Burin de nos Graveurs ne s’y font pas moins admirer, en rendant par des expressions vives & immuables, & par des simboles manifestes cette Histoire intelligible à tous les Peuples de la Terre, quelque diversité qu’il y ait aujourd’huy dans les Langues, & quelque changement qui y puisse jamais arriver. Enfin dans la proximité de la celebre Academie des Inscriptions & des Medailles, la nostre luy laissant la gloire qui luy est deuë sur la sçavante & curieuse invention du Type de chaque Medaille, & sur la judicieuse application du Mot ou de l’Ame, elle s’applaudira avec une sage modestie sur les Empreintes de ces insignes monumens, & n’aura pas de peine à persuader que l’Art du Dessein est absolument necessaire à figurer sur les Metaux & les Merveilles des Siecles passez, & les surprenans Evenemens du Regne de Louis le Grand. Voila, Messieurs, les agréables suites du nouvel établissement de l’Academie. Elle se concertera avec ses trois Compagnes, pour celebrer la gloire du Roy ; mais elle ne dissimulera pas dans cette espece d’association, qu’elle peut unir en elle seule presque tous les talens qui sont particuliers à chacune des trois autres.

Le Sr Berou, Concierge de l’Academie Royale de Peinture & de Sculpture, continuera de distribuer les Estampes gravées par les excellens Graveurs de l’Academie, d’aprés les Ouvrages des plus grands Hommes de la Compagnie, comme il les distribuoit auparavant au Palais Royal, où estoit alors cette Academie.

Elegie §

Mercure galant, avril 1692 [tome 4], p. 164-177.

Vous croirez facilement que les Vers que vous allez lire n’ont pas moins de delicatesse que de force, quand je vous auray appris qu’ils sont de Mr Boyer de l’Academie Françoise. Ils vous feront voir que l’on se flate inutilement de pouvoir aimer sans former aucuns desirs, & que l’Amant le plus sage ne s’en sçauroit garantir que par la fuite.

ELEGIE.

Sous un ombrage épais, où le chant des oiseaux
Se mêle heureusement au murmure des eaux,
Tirsis se promenant sur des herbes fleuries
Suivoit le cours de l’onde & de ses rêveries.
Il venoit de quitter une sage Beauté,
Qui joint à ses appas une austere fierté,
Qui croit qu’un cœur ne peut, sans foiblesse & sans crime,
Accorder quelque chose au delà de l’estime,
Qui tremble au nom d’amour, & prend pour trahison
Tout ce qui luy paroist plus fort que la raison.
Tirsis, qui veut toûjours l’aimer, sans luy déplaire,
Medite quels efforts un grand cœur se peut faire
Quand il veut moderer l’ardeur de ses soupirs,
Retrancher à l’amour la honte des desirs,
Loin d’en estre l’esclave, en devenir le maistre,
Pour le rendre agreable aux yeux qui l’ont fait naistre,
Et n’aimer plus Filis, toute aimable qu’elle est,
Autant qu’on doit l’aimer, mais autant qu’il luy plaist.
Tirsis dans cet estat s’encourage luy-mesme
A cet illustre effort qu’exige ce qu’il aime,
Se soumet à ses loix, & flatant sa rigueur
Par ces beaux sentimens luy parle dans son cœur.
 Filis, si de l’amour l’extrême violence
Dans un cœur delicat fait trembler l’innocence,
Je prétens que malgré son pouvoir souverain,
Ce Tyran de nos cœurs prenne un joug de ma main.
La flame qu’en mon sein vos yeux ont allumée,
Perd ce qu’un fol espoir y mêle de fumée.
Le cristal de nos eaux, la lumiere du jour,
Ont moins de pureté qu’un si parfait amour.
Ce n’est plus cet amour adoré sur la terre,
Qui fait à la raison une éternelle guerre,
Qui sans rien épargner agit en furieux,
Un flambeau dans la main, un bandeau sur les yeux.
L’amour que je veux suivre a le mesme équipage ;
Mais il sçait l’art d’en faire un glorieux usage ;
Il se sert du bandeau pour dérober nos cœurs
Aux trompeuses beautez, aux charmes seducteurs ;
Et ne porte un flambeau que pour guider nos ames,
Et que pour consumer par ses divines flames
Tout le mélange impur de ces lasches transports
Qu’accompagne la honte, & que suit le remords.
De l’empire des sens la raison delivrée,
Reine de ces mutins qui l’ont deshonorée,
Elle tient fierement leur pouvoir abbatu
Sous les ordres du Ciel qui soutient sa vertu.
Filis, vous soûriez du triomphe frivole
Dont la foible raison se flate & se console ;
Vous croyez donc qu’un cœur peut difficilement
Voir souvent ce qu’il aime, & l’aimer sagement,
Et qu’il est plus aisé, quand l’ardeur est trop forte,
D’éteindre son amour que d’aimer de la sorte ?
Quoy, Filis, n’est-il rien qui mette en seureté
La gloire & la sagesse auprés de la beauté ?
Nostre amour ne peut-il, sans devenir coupable,
Faire avecque les sens un commerce agreable ?
Les oreilles, les yeux conduits par la raison
Y feront-ils toujours craindre une trahison ?
Non, non, tous ces appas qu’estale un beau visage,
Se peuvent admirer comme un charmant ouvrage.
Ces traits si delicats, & ces vives couleurs
Sont faites pour les yeux aussi-bien que les fleurs.
Quand nous voyons icy la main de la nature
Aux arbres dépoüillez redonner la verdure,
De ce monde nouveau, de cet objet charmant
Pouvons-nous pas nous faire un doux amusement,
Joüir de ces beautez que la nature assemble,
Les voir, les admirer, & les loüer ensemble,
Comparer quelquefois les roses & les lis
Aux fleurs qu’on voit briller sur le teint de Filis,
Et tourner nos regards vers la main immortelle
Qui l’a donnée au monde, & qui la fit si belle ?
Si ce brillant amas de miracles divers,
Ce mélange d’appas qui parent l’Univers,
Si de riantes fleurs l’inconstante peinture,
Si de ces cheutes d’eau l’assoupissant murmure,
Si ces bois animez par les chants des oiseaux,
Si dans chaque saison mille charmes nouveaux
Remplissent nos esprits d’une innocente joye,
Si Dieu qui les a faits veut aussi qu’on les voye,
Nous défend il de voir des traits plus beaux, plus doux,
Que le sexe charmant étale parmy nous ?
Cet éclat, que sa main met sur de beaux visages,
Est-ce un écueil fatal à causer des naufrages ?
Est-ce un piege à nos cœurs qu’un charme si puissant,
Et ne peut-on en faire un spectacle innocent ?
Rendre à vostre merite un tribut necessaire,
Aimer vostre vertu, l’imiter pour vous plaire,
Interdire à l’amour ce qu’il a d’emporté,
Sans perdre la raison admirer la beauté,
Et remonter par elle à sa source adorable,
Un amour de la sorte a-t-il rien de coupable ?
Cet amour est l’amour des Heros glorieux ;
Il commence icy-bas, & dure dans les Cieux.
La vertu qui fait naistre une flame si belle,
Rend sa flame durable & constante comme elle.
Elle ne dépend point ny du temps, ny du sort,
Et maistresse des sens triomphe de la mort.
Vous me direz, Filis, que mon sexe & le vostre
Conservent mal entr’eux un feu comme le nostre,
Qu’il n’est point de soupirs qui ne demandent rien,
Et qu’enfin peu d’amours sont faits comme le mien.
 Supprimons donc ces noms d’Amant & de Maistresse,
Ce qu’on appelle amour, transport, ardeur, foiblesse ;
N’aimons que la vertu, mais ailleurs que chez vous
La trouve-t-on aimable avec des traits si doux ?
On peut dans un Amy trouver un cœur fidelle ;
Mais la vertu chez luy ne fut jamais si belle.
L’amitié se conserve avec plus de douceur,
Quand les yeux sont contents aussi-bien que le cœur ;
Quand pour se faire aimer la sagesse invisible
Dans un charmant objet se rend presque sensible.
Sur vostre front la gloire elle-mesme se peint,
Et prend pour se montrer l’éclat de vostre teint.
Que la fiere pudeur a de puissantes armes
Quand pour se faire craindre elle emprunte vos charmes !
On croit en vous voyant qu’elle vit parmy nous,
Et que la vertu mesme est faite comme vous.
 C’est ainsi que Tirsis dans le fond de son ame
Parloit sincerement à l’Objet de sa flame.
Il part pour la chercher, & se flate en secret
Du succés d’un amour si sage & si discret.
Il la trouve, il l’approche avec cette assurance
Qu’inspire la vertu, que donne l’innocence ;
Il luy parle un langage, où ne se mesle rien
Que ne puisse approuver un cœur comme le sien.
Filis d’un cœur plus doux voit Tirsis, & le loüe,
Mais presque à mesme-temps Tirsis la desavouë,
Et ses nouveaux regards excitent dans son cœur
Un amour, dont loin d’elle il se croyoit vainqueur.
C’est en vain qu’il combat sa fatale puissance,
Il sent qu’il ne sçauroit la vaincre en sa presence,
Et que pour une entiere & prompte guerison
La fuite est un secours plus seur que la raison.

[Nouveau Dictionnaire de rimes] §

Mercure galant, avril 1692 [tome 4], p. 178-180.

Ceux qui aiment les Vers, & qui s’appliquant à en faire, ont quelquefois peine à trouver les rimes dont ils ont besoin, peuvent esperer un grand secours du Dictionnaire de rimes que Mr Richelet, assez connu par d’autres Ouvrages, vient de donner au public dans un nouvel ordre. Il les a rangées alphabetiquement, c’est-à dire, qu’il faut chercher les mots qui finissent par une rime masculine dans l’ordre de la voyelle de leur derniere syllabe, comme amour dans our, ardeur dans eur, & ceux qui finissent par une rime feminine dans l’ordre de la voyelle de leur penultiéme syllabe, comme fable dans able, & mesure dans ure. Ce Dictionnaire qui a esté fait avec grand soin, est precedé d’un petit traité fort curieux sur la structure des Vers, accompagné de remarques sur le nombre des syllabes de quelques mots difficiles, comme meurtrier, lierre & autres. Elles sont toutes fort justes, & il n’y en a qu’une dont je voy que quelques-uns ne demeurent pas d’accord. C’est celle ou l’Auteur dit que ces mots, associé, délié, disgracié, domicilié, excommunié, privilegié, doivent estre regardez, comme amitié & pitié, où tié ne fait qu’une syllabe, de sorte qu’associé ne devroit avoir que trois syllabes non plus qu’amitié. Leur oreille ne s’y peut accoûtumer. Ce Livre qui ne sçauroit estre que d’une fort grande utilité pour les Jeunes Poëtes, se vend chez les Srs Florentin & Pierre de Laulne, devant l’Eglise de Sorbonne, & au Palais chez la Veuve Guerout, & Michel Brunet.

[Nouvelle médaille]* §

Mercure galant, avril 1692 [tome 4], p. 181-182.

Je vous envoye une Medaille dont le Portrait de Sa Majesté fait la face droite, comme il la fait dans toutes les autres. Le revers represente l’Eglise de Nostre Dame de Paris. La Nef de ce magnifique Temple y paroist en perspective, avec les Etendarts & Guidons qui sont aux Galeries, & dans le fond, le Jubé avec ces mots au dessous du Crucifix, Deo optimo, maximo ; & autour du revers, Hostes in manibus tuis sunt. Cette legende est tirée du 14. chapitre de la Genese. C’est ce que Melchisedech dit à Abraham, aprés la Victoire qu’il avoit remportée avec sa seule Famille, sur les Rois confederez contre luy. On lit dans l’Exergue, Cæsis semel iterumque Fœderatorum copiis ad Fleurum 1690. ad Leuzam 1691. signis captis CXLVII.

[Mort de Mr Tierceville]* §

Mercure galant, avril 1692 [tome 4], p. 300-301.

J’ay aussi à vous apprendre la mort de Mr de Tierceville, Lieutenant de Roy à Dieppe. C’estoit un homme remply de fort belles qualitez, & dont l’esprit répondoit à la naissance. Il l’avoit vif, & on a vû de luy quantité d’Ouvrages galans en Vers, qui faisoient connoître son heureux genie. Il y a déja quelques années qu’il s’estoit mis dans de grandes pratiques de devotion. Il les a continuées jusques à sa mort, & a fait paroistre dans les derniers momens de sa vie toute la resignation d’un veritable Chrestien.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1692 [tome 4], p. 308.

Voicy un Printemps d'un habile Maistre.

AIR NOUVEAU.

L’Air doit regarder la page 308.
L'Aimable Printemps fait naistre
Autant d'Amours que de fleurs.
Tremblez, tremblez, jeunes Cœurs,
Dés qu'il commence à paroistre,
Il fait cesser les froideurs ;
Mais ce qu'il a de douceurs
Vous coutera cher, peut-estre.
Tremblez, tremblez, jeunes Cœurs,
L'aimable Printemps fait naistre
Autant d'Amours que de fleurs.
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