1692

Mercure galant, juin 1692 [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, juin 1692 [tome 6].
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Mercure galant, juin 1692 [tome 6]. §

[Histoire] §

Mercure galant, juin 1692 [tome 6], p. 65-92.

Les reflexions, quand on les fait serieusement, ont presque toujours de grandes utilitez. Une jeune Demoiselle ayant tous les agrémens que peut donner la beauté, accompagnée du je ne sçay quoy qui la rend piquante, joignoit à ces avantages un esprit flateur & insinuant qui luy faisoit faire beaucoup de conquestes. Elle avoit perdu son Pere & sa Mere dans ses plus tendres années, & vivoit chez une Tante demeurée Veuve sans aucuns Enfans, qui ayant toujours aimé le monde, estoit ravie qu’une jolie Niece luy attirast une grosse Cour. La Belle tiroit tous les ans de son Tuteur une somme assez considerable, qu’elle employoit en ajustemens de mode, & la Tante qui la regardoit comme sa Fille, contribuoit de sa part à luy fournir toute la parure qui touche si fort les jeunes personnes. Ainsi elle changeoit fort souvent d’habits, & comme elle avoit les traits delicats & le teint fort vif, il n’y en avoit aucun qui ne luy donnast quelque éclat nouveau. C’estoient par là tous les jours de nouveaux sujets de l’admirer pour tous ses Amans. Chacun trouvoit à luy dire des douceurs selon son genie, & tout ce qu’on luy disoit estoit écouté avec un plaisir qui marquoit assez que pour estre bien dans son esprit, il ne falloit que luy donner de l’encens. L’avidité qu’elle avoit d’en recevoir, luy faisoit ouvrir l’oreille à tous ceux qui luy en vouloient conter. Pourveu qu’elle entendist dire qu’elle étoit aimable, il importoit peu par quelle bouche. Elle aimoit la chose, & non ceux qui la disoient, & le triomphe qu’elle croyoit remporter en se faisant à toute heure de nouveaux Adorateurs, la rendit en peu de temps une Coquette achevée. Ce caractere, si desagreable pour des gens piquez d’amour, embarassoit ceux qui l’aimant de bonne foy eussent bien voulu faire avec elle une liaison de cœur. Sa complaisance à leur tenir compte de leurs moindres soins, ne leur répondoit de rien, qui ne leur parust commun avec leurs Rivaux, & tout ce qu’elle faisoit de plus obligeant pour entretenir leur passion, ne l’empeschoit pas d’en faire autant pour les autres, mais ils avoient beau s’en appercevoir. Dans quelque dégoust que cette égalité de faveurs les pust jetter, sa beauté estoit toujours un grand charme pour les yeux, & elle avoit d’ailleurs tant d’enjouëment dans l’esprit, & la conversation si agréable, que quand on l’avoit veuë une fois, il estoit presque impossible de ne pas chercher à la voir toujours. Malgré le peu de solidité qui se trouvoit dans les marques apparentes qu’elle donnoit de répondre aux sentimens qu’on prenoit pour elle, quelques uns ne laisserent pas de s’abandonner assez à l’emportement de leur amour, pour en venir à des propositions de mariage. La Belle les recevoit d’une maniere honneste & reconnoissante, mais comme aucun d’eux ne luy paroissoit avoir le bien qu’elle eust souhaitté pour soustenir la dépense où son panchant la portoit, & que les Coquettes n’ont presque jamais le cœur touché pour personne, elle demandoit du temps pour examiner si la qualité de Fille qu’on luy vouloit faire perdre n’estoit point à préferer à tout ce qu’avoit de plus flateur un engagement qu’on ne sçauroit rompre. Du moins elle vouloit joüir encore quelque temps de la douceur d’estre maistresse de ses volontez, & cette excuse qui n’estoit point un refus, luy conservoit ses conquestes, sans que l’esperance qu’elle vouloit bien laisser, la mist dans aucune obligation envers ceux qu’elle amusoit. Cependant les plaisirs suivoient la Belle, & on la voyoit par tout. C’estoit aujourd’huy la Comedie, demain l’Opera, & il n’y avoit aucun lieu de promenade un peu frequenté où elle n’allast étaler ses charmes. Ce fut dans un de ces lieux qu’un Cavalier fort bien fait qui cherchoit à la connoistre, prit l’occasion de luy parler. Il la loüa sur cet air brillant qui la distinguoit des autres, & quoy qu’il ne luy dist que des choses fines, dont toute autre qu’elle eust esté embarassée, elle répondit à tout d’une maniere si vive, qu’il crut ne pouvoir mieux employer certains momens inutiles qu’on a quelquefois à perdre, qu’auprés d’une si belle personne. Il alla chez elle peu de jours aprés, & il luy trouva tout l’agrément qui l’avoit frappé la premiere fois. Il fut mesme redoublé par l’envie qu’elle eut de luy plaire assez pour l’obliger à grossir sa Cour. Il y avoit pour elle de la gloire à acquerir à faire cette conqueste. C’estoit un homme recherché de tout le monde, & qui soutenoit mille belles qualitez qu’il avoit receuës de la nature, par les avantages du bien & de la naissance. Il avoit le goust fin en toutes choses, beaucoup de delicatesse dans ses sentimens, & on ne pouvoit avoir part à son estime sans qu’on fust en droit de se flater qu’on n’estoit pas sans merite. La Belle qui se fit un point d’honneur de l’assujettir, y employa tous ses soins. Elle avoit pour luy des complaisances si particulieres, qu’il ne put douter qu’elle ne voulust luy paroistre aimable préferablement à tous ses Amans ; & comme à la coqueterie prés, soit qu’il regardast l’esprit, soit qu’il s’attachast à la beauté, il voyoit en elle tout ce qui peut engager un honneste homme, il luy parut qu’il ne seroit point indigne de luy de travailler à fixer un cœur, qui avoit esté jusque-là si vagabond. Il entreprit d’en venir à bout, & employa pour cela des manieres douces, qui en peu de temps luy firent faire de fort grands progrés ; mais en luy voulant donner de l’amour, insensiblement il en prit pour elle, & il ne put luy entendre dire qu’il estoit aimé veritablement, sans l’assurer à son tour que jamais personne n’avoit fait sur luy une impression si forte. Cela gâta tout. La Belle ne fut pas plûtost asseurée de son triomphe, qu’elle songea à se conserver ses autres Amans. Elle en avoit perdu quelques-uns que la jalousie de la préference qu’elle paroissoit donner au Cavalier avoit éloignez, & pour ne plus faire de semblables pertes, elle commença à se montrer plus égale, & à reprendre ses airs de faveur pour ceux que sa nouvelle conquête luy avoit fait un peu negliger. Le Cavalier que ce changement surprit, tâcha d’y mettre ordre en s’en plaignant, & en luy faisant connoistre le tort qu’elle avoit d’en user de cette sorte, lors qu’elle sçavoit qu’il l’aimoit assez pour faire tout son bonheur de ne vivre que pour elle. Elle s’offensoit de cette sorte de plainte, & luy disoit qu’ayant tout sujet de croire, aprés les assurances d’amour qu’elle luy avoit données, qu’il estoit le seul qui eust place dans son cœur, il ne devoit point luy envier le plaisir qu’elle trouvoit à se faire dire qu’elle estoit aimable ; outre qu’il pouvoit se faire honneur des soins assidus de ses Amans, puis que c’estoit approuver son choix que de s’empresser à luy rendre hommage. Le Cavalier que cette conduite ne contentoit pas, luy répondoit qu’il se tiendroit dans la foule, & qu’il joüiroit comme les autres du privilege de voir souvent une fort jolie personne, pleine d’esprit, & qui ne pouvoit s’assurer qu’elle fust belle, à moins qu’elle ne l’apprist à tous momens par toutes sortes de bouches. Ces reproches qui se faisoient d’un air serieux donnerent souvent occasion à de petites querelles, qui se terminoient pourtant toujours d’une maniere agreable, parce qu’ils s’aimoient veritablement l’un l’autre. La Belle pretendoit toujours que le Cavalier se plaignist à tort, puis qu’elle estoit preste à l’épouser, aprés avoir amusé tous ceux qui luy avoient proposé le mariage, sans vouloir y consentir pour aucun, & le Cavalier luy répondoit fort sincerement, que ne songeant à s’engager avec elle que pour estre heureux, il sentoit bien qu’il ne le seroit jamais avec une Femme qui souffriroit qu’on luy en contast, & qu’il falloit qu’elle prist ses mesures là-dessus. Ayant enfin remarqué que la declaration l’embarassoit, il luy fit voir qu’il n’y avoit point de caractere plus indigne d’une Fille raisonnable que celuy d’une Coquette ; que si on prenoit quelque plaisir à la voir, c’estoit seulement à cause que l’on avoit le plaisir de luy parler une langue qu’on ne souffroit point ailleurs, & qu’aprés tout, quelque attachement qu’on luy marquast, c’estoit un attachement qui n’estoit suivy d’aucune estime. Il mêla des traits si forts à cette peinture, que la Belle qui avoit beaucoup d’esprit, faisant agir sa raison, comprit l’inutilité de ce qui avoit esté toujours son plus fort panchant. Elle songea que le Cavalier luy assuroit un établissement fort considerable, & faisant reflexion qu’il falloit avoir un but en toutes choses, & le but le plus conforme à ses veritables interests, elle devint plus reservée sur les visites, & n’en receut plus que rarement. Elle fit ce sacrifice de fort bonne grace, avoüant pourtant que ce n’estoit pas sans se faire violence, puis qu’il falloit en quelque façon qu’elle renonçast à elle-mesme, mais la raison luy avoit ouvert les yeux sur la bagatelle, & connoissant tout le ridicule du caractere qu’elle abandonnoit, elle invectivoit contre les Coquettes d’un air si naïf & si plaisant, qu’il estoit aisé de voir que c’estoit un personnage qu’elle n’avoit plus dessein de joüer. Deux mois se passerent sans qu’elle changeast de sentimens. Le Cavalier ne se sentoit point de joye, & tout se préparoit pour leur mariage, lors que la voyant un jour d’une humeur assez rêveuse, il demanda en riant si sa rêverie ne venoit point de ce qu’elle regretoit sa coqueterie. Elle répondit aussi en riant qu’il la trouveroit peut-estre coquette, si elle avoüoit de bonne foy que ce qui la faisoit ainsi rêver, estoit un Amant qui luy plaisoit fort, & qu’il estoit mesme à craindre qu’il ne l’emportast sur luy dans son cœur. Ce fut le sujet d’une conversation assez enjoüée, & quoy qu’elle luy tinst encore d’autres fois le mesme langage, il eut d’autant moins sujet de s’en alarmer, que sa Tante ayant arresté le jour où l’on devoit faire le Contrat de mariage, elle n’y mit aucune opposition. Ce jour arrivé, le Cavalier se rendit chez elle, & fut fort surpris de ne l’y point rencontrer. La Tante luy dit avec des marques d’une inquietude extraordinaire, qu’elle ne sçavoit ce que sa Niece estoit devenuë, & qu’elle l’avoit inutilement envoyé chercher dans tous les lieux où elle avoit fait quelque habitude. La Cavalier desesperé de cette disgrace, mit des Espions par tout en campagne, & non seulement ce jour se passa sans qu’on en pust sçavoir des nouvelles, mais encore quinze autres, pendant lesquels on ne cessa point de raisonner. La Tante vouloit que quelqu’un de ceux qu’elle avoit bannis en faveur du Cavalier, l’eust enlevée pour se vanger de l’un & de l’autre, & qu’il la fist si bien observer, qu’elle ne pust leur faire sçavoir en quel endroit on l’avoit conduite. Le Cavalier disoit au contraire qu’elle avoit fuy volontairement, puis que si quelqu’un l’avoit enlevée, cette violence auroit fait éclat, & ne seroit pas devenuë secrete. Il estoit toujours frappé de l’Amant qu’elle l’avoit menacé plus d’une fois de luy préferer, & sans sçavoir déterminément ce qu’il devoit croire, il estoit persuadé, quoy qu’il arrivast, qu’elle estoit perduë pour luy. Enfin il sortit de cet embarras par un billet de sa main, qui luy apprenoit qu’elle n’avoit pû s’empêcher de suivre l’Amant pour qui elle estoit contrainte de l’abandonner, & que s’il vouloit qu’on luy en dist davantage, il pouvoit venir où le Porteur du billet le conduiroit. Il ne luy fallut rien de plus pour le confirmer dans ce qu’il avoit pensé d’abord, qu’elle s’estoit enfermée dans quelque Convent. Ce fut en effet où on le mena. La Belle vint à la Grille d’un air modeste, mais toute brillante par l’heureux calme d’esprit qui paroissoit sur tout son visage. Elle dit au Cavalier qu’elle le croyoit trop juste pour vouloir se plaindre de son infidelité, puis qu’elle ne le quittoit, que pour un objet si digne de l’amour de tout le monde, que pour peu qu’on s’appliquast à le bien connoistre, on ne pouvoit plus aimer que luy ; qu’elle avoüoit hautement qu’elle luy estoit obligée de son salut, & qu’en luy faisant connoistre combien la Coquetterie estoit détestable, il l’avoir tirée comme du fond de l’abisme où la vanité la précipitoit ; qu’il estoit cause qu’elle avoit poussé ses reflexions plus loin, & qu’à force de considerer la necessité qu’il y a de se sauver, & le peu qu’est & dure la vie, elle avoit voulu se mettre à couvert de son panchant, en renonçant tout-à fait au monde, pour qui elle se sentoit un attachement trop fort ; qu’en y demeurant elle auroit pû retomber dans des foiblesses qui l’auroient renduë indigne de son estime, au lieu que par le party qu’elle avoit pris, elle estoit seure qu’il ne pourroit se défendre de l’aimer & de l’estimer toujours. Le Cavalier employa tout ce qu’il put trouver de raisons pour la détourner de son dessein, & luy fit voir avec combien d’innocence elle pouvoit vivre dans le monde, & se permettre tous les divertissemens qui convenoient à une personne de son âge. Elle se montra insensible à tout, & les larmes de sa Tante qui luy porta de rudes attaques, & qui ne pouvoit se consoler de sa perte, ne firent aucun effet. Elle prit l’habit de Religieuse au commencement du mois passé ; & l’estat qu’elle a choisi la rend si contente, que tout ce qu’elle souhaite, c’est de voir finir son temps de Noviciat pour faire profession.

[Epistre à Madame des Houlieres] §

Mercure galant, juin 1692 [tome 6], p. 189-197.

L’Ouvrage que vous allez lire a esté adressé à Madame des Houlieres, par Mr Castaigner de Ternchou, Auteur d’une Epistre sur les Anciens & les Modernes, que je vous ay envoyée dans ma Lettre du mois de Novembre dernier.

EPISTRE.

Heureux qui comme vous maistresse de la Rime,
Joint l’art à la Nature, & sans peine s’exprime,
Des Houlieres ; pour moy qui n’écris qu’au hazard,
La Nature souvent veut l’emporter sur l’art.
Dans ses égaremens ma Muse libertine
Ne veut rien qui l’arreste & rien qui la chagrine
Sujette seulement aux loix de la raison
La contrainte pour elle est un mortel poison.
Traduisant quelquefois Virgile, Ovide, Horace,
Elle neglige trop les regles du Parnasse,
Et malgré les conseils de ses plus chers Amis,
Par malheur au Poëte elle croit tout permis.
Que faire en cet estat, charmante des Houlieres ?
Sur elle répandez vos celestes lumieres.
Elle admire vos Vers, leur cadence, leurs sons,
Et cherche à profiter de leurs doctes leçons.
Qui connoist mieux que vous les bords de l’Hippocrene ?
Quels tours harmonieux ! quelle fertile veine !
Venez joindre vos voix aux murmures des eaux ;
Aimables Rossignols, & vous, petits Oiseaux
Qu’on entende par tout vos chants, vostre ramage,
Ont-ils rien de si doux que son divin langage ?
La Rose, le Jasmin, toutes les autres fleurs,
Doivent à son pinceau leurs plus vives couleurs.
Paissez, petits Moutons, sans crainte, sans alarmes.
Si de vostre indolence elle a décrit les charmes,
Par ses raisonnemens, si plausibles, si doux,
Vous estes plus contens, & plus sages que nous.
C’est ainsi qu’autrefois le Chantre de Sicile,
Sur de semblables sons composoit un Idile,
Que Bion & Moschus étroitement unis,
Plaignoient l’Amour en fuite, & la mort d’Adonis,
Que Virgile exprimoit son amoureuse peine,
Et chantoit Alexis, Pollion & Mecene.
Des Houlieres plus sage, aussi sçavante qu’eux,
Connoist l’Amour, ses maux, & ne sent point ses feux.
Chez elle Cupidon n’entretient que sa Mere,
Mais comment penetré d’une douleur amere,
Se plaint-il à Venus des honneurs que l’on rend
Aux beautez de mon Prince, à son auguste rang ?
 Quelle douleur pour luy ! quelle mortelle atteinte !
Si chez Anacreon il forme quelque plainte,
Une Abeille la cause, & trouble son repos,
Mais icy pour Rival, c’est un jeune Heros.
Agréable pinceau, plume toujours fertile,
Que vous nous peignez bien en la Cour, en la Ville,
La jeunesse fougueuse en sa brutalité,
Ses emplois, ses travers, son incivilité,
Quel portrait, quel crayon, quelle divine Image !
Apollon voit-il rien de plus beau ; de plus sage ?
Quelles reflexions ! la nature, ses maux,
L’homme, sa vanité, ses desirs, ses deffauts,
Ses inutiles soins, ce monde qui l’amuse,
Sont les dignes sujets qui font parler sa Muse.
Contre le bel esprit elle s’anime en vain,
Des Houlieres détruit ce que trace sa main,
Et ses productions sont autant de merveilles,
C’est l’esprit de Malherbe, & l’esprit des Corneilles,
Quand elle veut tracer les exploits inoüis,
La valeur, les combats, la grandeur de LOUIS.
Mais quel sujet nouveau pour son esprit s’appreste !
LOUIS part, & sa marche assure une conqueste.
Le fier Nassau fremit, & le Belge aux abois
D’un bras toujours vainqueur craint la force & le poids.
Une égale fortune en tous lieux l’accompagne ;
La Victoire avec luy commence la Campagne.
Déja Namur le voit affronter les hazards,
Et déja sa presence ébranle ses ramparts.
En vain l’Usurpateur assuré de sa perte
Demande du secours, la Tranchée est ouverte.
La Sambre pour couler cherche d’autres canaux,
Et change pour Loüis la pente de ses eaux.
Quelle moisson pour vous, sçavante des Houlieres !
Quels exploits, quel Vainqueur, que de grandes matieres !
La Muse qui chanta la conqueste de Mons,
En faveur de LOUIS va chercher d’autres tons.

[Panegyrique du Roy prononcé à Toulouse] §

Mercure galant, juin 1692 [tome 6], p. 197-200.

Il n’y a guere de Villes en France où l’on ne fasse des Panegyriques du Roy. Le 14. de May, jour où ce Prince monta sur le Trône, Mr de Montaudier, Avocat au Parlement de Toulouse, & l’un des Membres de l’Academie de la mesme Ville, fit l’éloge de cet Auguste Monarque, dans le lieu destiné à ses Assemblées, en presence de plusieurs personnes d’un rare merite. Mr Graverol, de l’Academie de Nismes, estoit de ce nombre. Il doit bien-tost donner au Public les Eloges des Hommes Illustres de Languedoc, & s’est déja fait connoistre avec beaucoup d’avantage dans la Republique des Lettres, par divers Ouvrages sur le Droit, & sur plusieurs autres matieres. M. de Montaudier n’eut pas moins d’admirateurs dans cette action qu’il eut d’Auditeurs. Mr de Rocoles, l’un des Historiographes du Roy, & des vingt quatre Docteurs Honoraires de la Faculté de Droit de l’Université de Paris, dans laquelle il s’est aussi fait assez connoistre par sa belle Litterature, & par quantité d’ouvrages qu’il a mis au jour, se trouva à cette même Assemblée, aussi-bien que Mr Martel Avocat au Parlement de Paris, & fort distingué parmy les Sçavans par beaucoup de Pieces éloquentes, & par les Voyages qu’il a faits, sur tout en Italie, où il a esté aggregé à quelques-unes de ces florissantes Academies, où il est si glorieux d’avoir une place. Ils sont l’un & l’autre des principaux Membres de celle de Toulouse.

[Mort de Henri Arnaud]* §

Mercure galant, juin 1692 [tome 6], p. 212-218.

Messire Henry Arnaud, Evesque d’Angers, mort dans son Diocese, âgé de quatre-vingt-quinze ans. Il a toujours residé, & n’a jamais attendu qu’on luy ait parlé des affaires de son Evesché, où il estoit necessaire de remedier. Sa vigilance le faisoit aller au devant de tout, & quand il a eu quelques procés, il n’a point cherché d’autres sollicitations que l’équité de sa cause. Aussi ses Juges disoient que son silence faisoit plus pour luy que tout le credit qu’il eust pû trouver en sollicitant. Dans les années où les récoltes ont esté méchantes, il a toujours fait de fort grandes charitez aux Pauvres, sans qu’on ait sceu d’où elles venoient. Sa grande application à l’étude luy avoit fait perdre la veuë depuis quelques années, mais la force de son esprit n’avoit point diminué, & il auroit merité d’estre de l’Academie d’Angers, quand mesme les Evesques de ce Diocese n’en seroient point Academiciens nez. On ne doit pas en estre surpris puis que l’esprit est un privilege acquis à tous ceux de cette Famille. Elle est d’Auvergne, & non seulement noble & ancienne, mais celebre par les rares qualitez des grands Hommes qui en sont sortis. Pierre Arnaud, Mestre de Camp du Regiment de Champagne, General des Carabins, & Gouverneur du Fort-Loüis basty prés de la Rochelle, pour tenir cette Ville en crainte, eut un si grand genie pour la guerre, que le feu Roy voulut sçavoir toute sa maniere d’armer, de conduire, & de faire combattre ses gens, afin d’en tirer les ordres qu’il voulut qu’on observast dans toutes les Troupes Françoises. Il estoit Frere d’Antoine Arnaud, Procureur General de la Reine Catherine de de Medicis, l’un des plus éloquens hommes de son temps, dont Mr Marion, Avocat General, connut si bien le merite, qu’il luy fit épouser Catherine Marion sa Fille, qui estoit fort riche. De ce mariage sortirent Messire Robert Arnaud d’Andilly, Messire Henry Arnaud, Evesque d’Angers qui vient de mourir, & Messire Antoine Arnaud, Docteur de Sorbonne. Mr d’Andilly, l’Aîné des trois, ayant esté fort jeune à la Cour, y parut digne des plus grands emplois, & en soutint de tres-importans avec une probité qui répondoit à sa suffisance. Le mépris qu’il avoit pour tout ce qu’il y a de plus flateur dans le monde, l’obligea de se retirer à l’Abbaye de Port-Royal des champs, où sa Mere, six de ses Sœurs, & cinq de ses Filles ont esté Religieuses. Il estoit alors âgé de cinquante cinq ans, & c’est pendant le temps de cette retraite, qu’il a composé tant de beaux Ouvrages qu’on a imprimez en 8. volumes in folio. Il mourut en 1674. & dans les dernieres années de sa vie, il eut la consolation de voir son desinteressement récompensé par la justice que le Roy rendit au merite de Mr Arnaud de Pompone son Fils, en luy envoyant le Brevet de Secretaire d’Etat, lors qu’il estoit Ambassadeur en Suede.

[Epistre de M. le Duc de Nevers] §

Mercure galant, juin 1692 [tome 6], p. 225-239.

Je ne doute point, Madame que je ne vous fasse beaucoup de plaisir en vous envoyant un Ouvrage dont tout le monde s’empresse d’avoir des Copies. Il est d’une personne qui tient un rang extrémement distingué ; mais dont l’esprit surpasse encore la naissance. Vous conviendrez de ce que je dis quand je vous auray nommé Mr le Duc de Nevers. Tout ce qu’on a vû de luy est d’un caractere qui le fait d’abord connoistre, mais si vous avez toujours admiré le feu qui brille dans ses Ouvrages, vous verrez avec surprise qu’il ait pû le conserver dans une matiere qui est seche pour les personnes du monde ; mais de quoy un homme qui a l’esprit fin & delicat, n’est-il point capable ? Vous trouverez dans ce que vous allez lire le langage de Sainte Therese, & de tous ceux qu’on appelle Gens Interieurs. Il faut de l’habileté pour rendre ces sortes de termes compatibles avec les beautez de la Poësie.

A MONSIEUR L’ABBÉ
DE LA TRAPE.

Quel Ange, quel Esprit me ravit & m’éclaire,
 Et soutenant ma foible voix,
 Me fait pour la seconde fois
Du profane Helicon passer sur le Calvaire,
Et chercher des Lauriers sur l’arbre de la Croix ?
***
 Est-ce Therese ou Catherine,
Qui prêtant leurs clartez au dessein que j’ay pris,
M’ouvre les yeux de l’ame, & portent mes esprits
Dans l’abisme profond de l’Essence divine ?
***
 Déja leur onction penetrant dans mes Vers,
De la crasse des sens débroüille mon organe.
De vostre sainte vie admirateur profane,
Abbé, je vous invite à ces divins Concerts,
Vous de Bernard imitateur rigide,
Qui faites voir en vos sacrez deserts
 Tous les Pauls de la Thebaïde.
Heureux sejour, où des biens de l’esprit
 On goûte la douceur suprême !
C’est entrer bien avant dans la mort de soy-mesme,
 Que de vivre comme on y vit.
Actif contemplateur vous passez vostre vie,
Et de Marie en Marthe, & de Marthe en Marie.
***
Pour ne point vous prester à d’inutiles soins,
Pour observer les loix du jeûne & du silence,
 Ministres de la Providence,
Les Habitans de l’air servent à vos besoins,
Volent autour de vous, vous suivent, vous escortent,
Et reçoivent du Ciel la Manne qu’ils vous portent.
***
 Anachoretes fortunez,
 Que les Anges sont étonnez
 De vous voir dans la solitude,
En retraite avec Dieu, quand l’ame en ce moment
 Dans un état de quietude,
 Joüit de la Beatitude,
Et converse avec luy familierement.
***
 Misteres incomprehensibles !
 Sans images, sans gousts sensibles,
 Sans raisonnement, sans discours,
Dieu vous fait tout entendre, & vous parle toujours.
***
Dans l’union sensible une ame à Dieu liée
 Joüit, & connoist son estat ;
Mais celle qui l’ignore est plus glorifiée,
 Et brille d’un plus bel éclat
 Dans l’union crucifiée.
***
C’est ainsi qu’on a vû dans Assise autrefois,
Du mystique parfait le plus parfait modelle,
Absorbé tout en Dieu dans l’union réelle.
 Le Seraphique François.
Ce Saint tout rayonnant de vertus éclatantes,
Porte encor aujourd’huy ses stigmates sanglantes.
***
C’est par un long travail & d’assidus efforts,
Par des afflictions & des peines mortelles,
Qu’on laboure de l’ame à la sueur du corps
 Les Terres Spirituelles.
***
Le celeste élixir puisé dans l’Oraison
Inonde tous les sens avec tant d’abondance,
Qu’il penetre ce corps, & par son influence,
Lave l’impureté de son premier limon.
Cette terre arrosée avec tant de largesse,
Ne craint plus des saisons la dure secheresse.
Alors l’Amour divin dans un creuset sacré
 Met cette matiere & l’affine ;
Son feu circule autour, l’éleve à tel degré,
 Qu’elle se change en essence divine.
***
O celeste Chimie ! ô transmutation,
Qui de l’Ame & de Dieu fait l’étroite union.
 Ainsi que deux cires fonduës
 L’une dans l’autre penetrant,
 Dans un tout se reconcentrant,
 Leurs natures sont confonduës.
Quel excés de douceur & de suavité,
Quand de Jesus mourant nostre ame est enflammée,
Que dans le doux transport de sa felicité
En son amour, en sa Croix transformée,
Se dilatant elle est toute abismée
 Dans des torrens de volupté !
Je l’entens, ô grand Dieu, qui mourante & pâmée,
En rompant ses liens, quand vous la ravissez,
S’écrie avec Xavier, Ah Seigneur, c’est assez.
***
Pour la ravir sur ses aisles sacrées,
Attiré par l’amour le Saint Esprit descend,
L’enleve avec le corps, le soutient, le suspend,
Et luy fait penetrer les voûtes étherées.
 Dieu ! que cet extase & ce vol
 Est surprenant, est admirable,
 Et qu’il me semble préferable
 Au ravissement de Saint Paul !
***
Mais quel divin cahos de matieres mistiques
 Veut débroüiller mon foible esprit ?
 A quelle Ecole est-ce donc qu’il apprit
Du monde interieur les chifres seraphiques ?
***
 Quelle honte, helas ! quel malheur
De sentir dans mon cœur tant & tant de merveilles,
 D’en fraper vos saintes oreilles,
 Et de n’en estre pas meilleur !
***
O fatales grandeurs ! ô vanitez mondaines !
Sources de tant de maux qu’on voit dans l’Univers ;
Richesse, pompe, éclat, ambition humaine,
 Que vous tenez dans de rigoureux fers
La volonté captive, & l’esprit à la gêne !
***
A quoy sert des grands biens l’ébloüissant tresor,
Qu’un prodigue répand, & qu’un avare serre,
 Tout cet argent & tout cet or
Que la roüille corrompt, ou qu’un Voleur déterre ?
***
Sortons de cet abisme, & par un saint transport.
Pour vivre tout à Dieu mourons avant la mort.
  Abbé, prêtez-moy des armes
Pour combattre mes sens à la terre attachez,
 Et que pour pleurer mes pechez
 Je puisse avoir le don des larmes ?
***
 Salut de nos Ames, grand Dieu,
  Source de biens infinie,
Vous touchâtes le cœur du Publicain Mathieu ;
 Vous pardonnez quand Pierre vous renie.
 Agneau sans tache, immense pureté,
Vous avez retiré du desordre & du crime,
 Par l’excés de vostre bonté
 La Pecheresse de Solyme.
***
Que n’avez-vous point fait, ô divin Redempteur,
 Aprés avoir chassé la Chananée ?
Elle encor dans sa Foy saintement obstinée,
Desarme vostre bras, & fléchit vostre cœur,
***
  Du faiste du Sicomore
 Zachée aussi-tost qu’il descend,
 Vous reconnoist & vous adore,
Un rayon de la foy dans son cœur se répand,
 Qui le perce & qui le devore ;
 Mais vous avez plus fait encore.
 Un Assassin, un Monstre furieux
Dévoüé par Satan aux tenebreux abismes,
Tout dégoutant de meurtres & de crimes,
Trouve sa grace, & monte avec vous dans les Cieux.
***
O Clemence Eternelle en miracles feconde !
 Sauveur misericordieux !
Une goutte, ô Jesus, de ton Sang precieux,
 Peut effacer tous les pechez du monde.
Vous, aimé du Seigneur, en qui sa grace abonde,
Par l’offre de ce Sang fléchissez son couroux.
Détournez du Pecheur le bras qui le menace.
Que des celestes fleurs que Dieu verse sur vous,
L’odorante vertu, la senteur efficace
  Aille si loin s’épancher,
Que l’air tout embaumé des parfums de la Grace,
Nous frappe, & nous invite à nous en approcher.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1692 [tome 6], p. 308-309.

L'Air nouveau que j'ajoûte icy, est d'un fort habile Maistre.

AIR NOUVEAU.

L’Air doit regarder la page 309.
Si vous sentiez, Iris, ce que je sens pour vous,
Vous m'aimeriez peut-estre autant que je vous aime.
Helas ! que vostre sort, & le mien seroit doux,
D'aimer si tendrement, & d'estre aimé de mesme !
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[Prise du Grand-Varadin] §

Mercure galant, juin 1692 [tome 6], p. 319-321.

Enfin le Grand Varadin a esté reduit, aprés avoir soustenu plus de six mois de blocus, & presque deux de Siege dans les formes. Ce n’a pas esté sans beaucoup de peine que les Assiegez se sont resolus à capituler, puisque le General Heusler les ayant fait sommer de se rendre le 30. du mois passé, le Bacha fit retirer le Tambour, & aussi-tost toutes les pieces qui estoient demeurées en estat commencerent à tirer. Le soir de ce même jour quelques Officiers Turcs firent dire à ce General que s’il envoyoit quelqu’un, ils ne doutoient point que le Bacha ne capitulast. Un Lieutenant qui fut envoyé le lendemain, representa le peril où les Assiegez s’estoient exposez en differant à se rendre, & le Bacha & l’Aga rompirent le pour-parler, en disant qu’ils n’ignoroient pas qu’on se préparoit à donner l’assaut, mais aussi qu’ils sçavoient de certitude qu’il y avoit un secours en marche, & que la Place valoit bien qu’on la fist le prix du party victorieux. Cette fermeté obligea le General Heusler à faire tirer de nouveau les Bateries, & les breches s’estant trouvées raisonnables, les Officiers & les Soldats de la Garnison contraignirent le Bacha & l’Aga à faire paroistre l’Etendart blanc, ce qui fut fait le 4. de ce mois, & dés le soir mesme on signa les Articles de part & d’autre au nombre de seize. Il fut accordé que la Garnison sortiroit avec armes & bagages pour estre conduite à Temesvvar. Il est sorty du Grand Varadin onze cens hommes armez, & deux mille autres personnes sans armes, Hommes & Femmes.