1692

Mercure galant, août 1692 [tome 10].

2017
Source : Mercure galant, août 1692 [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1692 [tome 10]. §

Sur la Prise de Namur. Au Roy §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 10-23.

Je vous ay déja fait part de quelques Ouvrages qui ont esté faits sur ce sujet. En voicy d’autres, que vous trouverez tres-dignes de l’applaudissement qu’ils ont receu des Connoisseurs les plus éclairez. Mr Boyer, de l’Academie Françoise, a parlé ainsi de cette nouvelle Conqueste.

SUR LA PRISE
DE NAMUR.
AU ROY.

Quel torrent de prosperitez !
Grand Roy, je l’ay prédit, & je l’ay dû prédire ;
Et quand j’en croirois moins l’ardeur qui nous inspire,
Et par qui jusqu’au Ciel nous sommes transportez,
 Dans l’avenir le passé nous fait lire
  Ces étonnantes veritez
  Sur la gloire de ton Empire.
***
 Pour en juger plus seurement,
 Sans avoir recours aux Oracles,
Le celeste pouvoir agit visiblement,
Et forçant pour toy seul d’invincibles obstacles,
 Nous fait prévoir dans chaque évenement
De surprenans succés, & de nouveaux miracles.
***
 La force de ton ascendant
Qui soutient contre tous ta puissance suprême,
Et qui seul assez grand pour suffire à luy mesme,
Rend de tout autre sort ton sort indépendant ;
Ta sagesse profonde, & l’immense étenduë
 De ton esprit & de ton cœur,
 Par qui la Ligue confonduë
Voit dans tous ses desseins sa honte & son erreur ;
Ce sont presens du Ciel dont la terre étonnée
Admire avec terreur ta haute destinée.
***
L’invincible Namur par toy-mesme soumis,
 Cette conqueste si soudaine
Qui fait le desespoir de tous nos Ennemis,
 Et nostre esperance certaine ;
Tout ce qui rend enfin tes Etats florissans
Et de tout l’Univers les efforts impuissans,
 N’est pas l’effet d’une puissance humaine.
***
Dieu qui ne voit qu’en toy le Heros tout Chrestien,
Dont le zele ose tout, & la foy ne craint rien,
Pour vanger ses Autels t’a presté sa puissance.
Ce grand Dieu dont tu fais ta gloire & ton appuy,
Luy ton unique objet, & ta seule esperance,
Doit faire tout pour toy quand tu fais tout pour luy.
***
 Si le monde a peine à comprendre
D’où te vient ce constant & rapide bonheur.
Qu’il ouvre enfin les yeux, & commence d’apprendre
 Que c’est le Ciel qui sur toy fait descendre
 Tout ce qui fait l’heureux Vainqueur ;
Qu’il fut dans tous les temps prodigue en ta faveur,
 Et que c’est de là qu’il faut prendre
 La mesure de ta grandeur.
***
Remets devant tes yeux la face de la terre,
 Quand on vit cent Peuples divers
Allumer contre toy cette fatale guerre,
Qui d’horreur & de sang remplit tout l’Univers.
 Les fieres Nations fremirent,
 Les plus superbes Potentats
Les uns aux autres se promirent
 La dépoüille de tes Etats.
 Tout faisoit trembler nos frontieres ;
 Tous nos bords estoient menacez.
 Mesme quand tes forces entieres,
 Quand tous nos efforts ramassez
Pouvoient suffire à peine à garantir nos testes,
 On vit les perils redoubler ;
On vit croistre la Ligue & grossir les tempestes.
 Quel affreux abîme à combler !
***
 Dans cet état, où le plus magnanime
  Perdroit toute sa fermeté,
On te vit mesurer avec tranquillité
  La profondeur de cet abisme.
 Sans balancer dans un mal si pressant
Ton zele vers le Ciel éleva tes pensées,
 Et sur la foy des victoires passées,
Osa tout présumer du bras du Tout-puissant.
***
Une modeste & sainte confiance
T’obtient du Ciel un saint enchainement
 De grands exploits, de gloire, & d’abondance,
De cent Princes jaloux le juste chastiment,
Et de ta pieté la digne récompense.
Cet amas de Guerriers, ce million de bras
Armé subitement pour ta seule defense,
Ce prodige qu’on voit, & que l’on ne croit pas,
Ne nous fait-il pas voir l’invisible puissance
 Qui pour secourir tes Etats
 A tiré de sa Providence
 Ce prompt deluge de Soldats ?
***
Que c’est pour l’Eternel un spectacle agreable
De voir que tes Guerriers d’une pareille ardeur
Honorent ses Autels par un culte semblable,
 Et que cette égale serveur
Donne à ton Camp nombreux & formidable
 Mesme langage & mesme cœur !
Mais que c’est pour ses yeux un objet plein d’horreur,
De voir dans l’autre Camp tant d’erreurs répanduës
 Sous les loix d’un Usurpateur,
Et par le seul espoir de servir sa fureur,
 Cent Religions confonduës !
***
 Juge absolu des Rois & des Tirans,
Dieu porte dans ses mains le glaive & la balance,
 Et fait tomber du haut de sa puissance,
Sur deux Camps opposez, des regards differens.
***
C’est d’un regard terrible & chargé de menaces
Qu’il foudroye un party de Rebelles, d’Ingrats,
Que de Combats perdus, que d’affreuses disgraces !
Que d’Etats épuisez de biens & de Soldats !
On y voit le malheur, la crainte, l’inconstance
Causer le repentir & la confusion ;
On y voit l’inégale & jalouse impuissance
 Mere de la division.
***
 Mais dans ton Camp intrepide & fidelle,
 Où mesme esprit réunit tous les cœurs,
La gloire suit par tout une union si belle,
 Et loin de nous écarte les malheurs.
Si ta vie en peril nous donne des frayeurs,
D’un regard attentif le Ciel veille sur elle,
Et c’est pour nous le comble des faveurs.
***
 Le Ciel fait plus ; dans cette guerre
Sa justice en tes mains a remis son tonnerre,
 Et t’a prêté ces fatales terreurs
Dont l’Ennemy frapé paroist presque immobile,
Laisse prendre à ses yeux sa plus fameuse Ville,
 Et malgré luy devore ses fureurs.
***
Avec tant de bonheur, avec tant d’avantage
Quel Heros comme toy si moderé, si sage,
Sçait regler sa valeur & retenir ses pas ?
Tu n’es point emporté par ce torrent de gloire.
Ton grand cœur trouve moins d’appas
 A précipiter ta victoire,
 Qu’à ménager le sang de tes Soldats.
***
Que ce triomphe est doux, & qu’il est préferable
Aux triomphes chargez de meurtres & d’horreurs !
Vit-on jamais succez si grand, si memorable
 Couster moins de sang & de pleurs ?
Tu n’as ny dérobé, ny soüillé ta conqueste,
Et le nouveau laurier qui couronne ta teste,
Te donne tout l’éclat qui pare les Vainqueurs.
***
Reviens, par ta presence acheve nôtre joye.
Sans t’éloigner de nous, regne, ordonne, foudroye ;
Reconnois ta grandeur, & nous épargne enfin
Les soucis inquiets, & les tendres allarmes,
Et songe jusqu’où va la terreur de tes armes
 Et la force de ton destin.
***
Ta valeur a fourni son illustre carriere,
Et cette soif de gloire ordinaire aux Heros
 N’a plus pour toy d’assez digne matiere.
Tranquille sur ton Trône, agissant en repos,
Gouste les plus doux fruits d’une victoire entiere,
 Et laisse aux pieds de la frontiere
Gronder les vents, & murmurer les flots.

Au Prince d’Orange §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 23-24.

Le mesme Mr Boyer a fait le Sonnet que vous allez lire.

AU PRINCE
D’ORANGE.

Quelle crainte a glacé ton audace guerriere ?
Quel charme te retient, Nassau ? quand un Grand Roy
Pour un fameux Combat vient t’ouvrir la carriere,
Ta valeur se refuse à cet illustre employ.
***
Namur, par qui l’Espagne asseuroit sa Frontiere,
Malgré tous ses ramparts qui donnoient tant d’effroy,
Namur cede, & tu fais du superbe Baviere
Le Témoin de l’affront qu’on voit tomber sur toy.
***
Ignores-tu que c’est le comble de la gloire,
D’oser avec LOUIS disputer la victoire ?
Tu devois l’entreprendre au peril de ton sang.
***
Sûr de te rendre ainsi digne de son estime,
Tu pouvois meriter les honneurs de ton rang,
Et peut-estre effacer les horreurs de ton crime.

Epistre de Madame des Houlieres, à la goutte §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 25-35.

L’Illustre Madame des Houlieres qui ne suit jamais la route commune, & qui donne toujours sujet d’admirer le surprenant & rare talent qu’elle a pour les Vers, a trouvé un tour ingenieux pour peindre les alarmes que nous cause l’intrepidité qui porte le Roy à mépriser le peril. Vous en conviendrez quand vous aurez leu l’Ouvrage qui suit.

EPITRE
DE MADAME
DES HOULIERES,
A LA GOUTTE.

 Fille des plaisirs, triste Goutte,
Qu’on dit que la Richesse accompagne toujours,
 Vous que jamais on ne redoute
Quand sous un toict rustique on voit couler ses jours ;
Je ne viens pas icy pleine d’impatience,
Essayer par des vœux d’ordinaire impuissans,
 D’adoucir vostre violence.
Goutte, le croirez-vous ? C’est par reconnoissance
 Que je vous offre de l’encens.
***
De cette nouveauté vous paroissez charmée.
Faite pour n’inspirer que de durs sentimens,
 A de tendres remercimens
 Vous n’estes pas accoutumée.
Commencez à goûter ce qu’ils ont de douceurs.
Qu’on vous rende par tout de suprêmes honneurs ;
 Qu’en bronze, qu’en marbre on vous voye
 Triomphante de la Santé
Rétablir dans nos cœurs le repos & la joye.
A combien de perils LOUIS seroit en proye
Si vous n’aviez pas mis ses jours en seureté !
***
 Tout ce qu’affrontoit son courage
En forçant de Namur les orgueilleux Rampars,
 Peignoit l’effroy sur le visage
Des genereux Guerriers dont ce Heros partage
Les penibles travaux, les glorieux hazards.
 Dans la crainte de luy déplaire
On n’osoit condamner son ardeur témeraire,
Bien qu’elle pust nous mettre au comble du malheur.
A force de respect on devenoit coupable.
 Vous seule, Goutte secourable,
Avez osé donner un frein à sa valeur.
***
 Helas ! qui l’auroit dit, à voir couler nos larmes
Dans ce temps que la paix consacroit au repos,
Où de vives douleurs attaquoient ce Heros,
Que ses maux quelque jour auroient pour nous des charmes ?
Mais quel bruit, quelle voix se répand dans les airs ?
 Quoy donc, Messagere invisible
De tout ce qui se fait dans ce vaste Univers,
 Auprés du grand Roy que tu sers
On voit couler le sang ! Evenement terrible ! *
Quelle idée offrez-vous à mon cœur agité ?
Sur l’excés de valeur & d’intrepidité,
Ce Heros sera-t-il toujours incorrigible ?
***
 Vous n’avez pas assez duré,
 Goutte, dont j’estois si contente,
 Vous trompez ma plus douce attente,
Vous en qui j’esperois, & que j’avois juré
De celebrer un jour par quelque grande feste,
Si pour nous conserver une si chere Teste,
Dans le Camp de Namur vous aviez mesuré
 Vostre durée à sa conqueste.
***
Ah ! que ne laisse-t-il à son auguste Fils
 Dompter de mortels Ennemis
 Fameux par leur rang, par leur nombre,
Mais qu’à suivre son char le Ciel a condamnez !
Qu’il ne nous quitte plus, qu’il se repose à l’ombre
 Des Lauriers qu’il a moissonnez.
N’est-il point las de vaincre ? & ne doit-il pas croire
 Que son nom pour durer toujours
 N’a plus affaire du secours
 De quelque nouvelle Victoire ?
Ces Grecs & ces Romains si vantez dans l’Histoire
 Ont sauvé leurs noms du trépas
Par des faits moins brillans, moins dignes de memoire.
 Affreuse avidité de gloire !
La sienne efface tout, & ne luy suffit pas.
***
De tant de Nations la chere & vaine Idole
Nassau, par plus d’un crime en Monarque érigé,
 Dés qu’il sçait Namur assiegé,
Fremit, rassemble tout, & vers la Sambre vole,
A voir si prés de nous floter ses Etendars.
A quelque noble effort qui n’auroit dû s’attendre ?
Mais tout sçavant qu’il est dans le Métier de Mars,
Il semble n’estre enfin venu que pour apprendre
Le grand Art de forcer une Place à se rendre ;
Et pour ses Alliez toujours remply d’égards,
Lancer sur nostre Camp de menaçans regards,
 Est tout ce qu’il ose entreprendre.
***
Tout ce qui justifie & nourrit les terreurs,
 L’Art, la Nature, cent mille hommes,
Et ce que l’hyver a d’horreurs,
 Malgré la saison où nous sommes,
 Auront vainement entrepris
 De rendre Namur imprenable,
 Quand Loüis l’attaque, il est pris,
Et ces amas de Rois que sa puissance accable,
 Est la Montagne de la Fable,
Qui de l’attention fait passer au mépris.
***
 Non, je ne me suis point trompée,
Je voy courir le Peuple, & je lis dans ses yeux
 Que LOUIS est victorieux.
Ma crainte pour sa vie est enfin dissipée,
Et je n’aspire plus qu’à revoir dans ces lieux
Ce Heros dont mon ame est toujours occupée.
 Goutte, qu’on vit trop tost finir,
Et dont je viens d’avoir l’audace de me plaindre
Puis que pour ce Vainqueur on n’a plus rien à craindre,
 Gardez-vous bien de revenir.
***
Ne le dérobez point à nostre impatience.
 Lors qu’il est éloigné de nous
Tout est ensevely dans un morne silence,
Et le foible plaisir que donne l’esperance,
Est le seul plaisir qui soit doux.
Mais, Goutte, s’il est vray ce qu’on nous dit sans cesse,
Que jusqu’à l’extrême vieillesse
Vous conduisez les jours lors que vous ne venez
 Qu’aprés qu’on a passé huit Lustres,
Pour des jours précieux, & toujours fortunez,
Jours qui sont tous marquez par quelques faits illustres,
 Quelle esperance vous donnez !
1

Au Prince d’Orange §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 35-36.

Le Madrigal que j’ajoûte icy est de Mademoiselle Bernard. Plusieurs Ouvrages en Vers & en Prose ont fait connoistre il y a longtemps combien elle a l’esprit delicat.

AU PRINCE D’ORANGE.

Il faut, Nassau, que je te remercie.
 D’avoir sceu conserver ta vie.
 LOUIS a besoin de tes jours
 Pour ses glorieuses conquestes,
 A quoy tu travailles toujours.
Tu prens le soin de former les tempestes,
 Les dissiper fait son employ.
Le Ciel deut à son regne un Prince tel que toy.
Ton genie agissant dont parlera l’Histoire,
 Ne t’est pas donné pour ta gloire,
 Mais pour celle de nostre Roy.

[Réjoüissances publiques] §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 44-61.

Quoy que la plûpart des Villes de France ayent donné de grandes marques de joye pour la prise de Namur, je ne vous parleray neanmoins que de ce qui s'est fait en quelques-unes. Je commence par Bordeaux où le Te Deum fut chanté solennellement le 24. du mois passé, dans l'Eglise Metropolitaine de S. André. M. l'Archevesque de Bordeaux y assista aussi bien que le Parlement, la Cour des Aides, & les autres Corps de Justice, avec leurs habits de ceremonie. Mr de Sourdis tenoit sa place dans le Corps du Parlement comme Gouverneur. La Bourgeoisie se mit sous les armes, au nombre de six mille hommes, qui formoient six Bataillons. Leur équipage estoit une vingtaine de chevaux, chargez de bouteilles de vin, & couverts de belles housses, que les Officiers faisoient décharger à tous les campemens pour faire boire cette Milice à la santé du Roy, & ils les faisoient ensuite recharger de nouveau vin. Cette petite Armée alla se mettre en bataille sur les Fossez de la Maison de Ville, où l'on avoit fait rouler six pieces de Canon, qui firent grand feu pendant un long intervalle, avec une vingtaine de boëtes. Mr de Sourdis accompagné des Jurats, vint mettre le feu au bucher, qui avoit esté dressé à la teste de l'Armée, que la nuit fit separer aprés plusieurs décharges generales du Canon & de la Mousqueterie. Alors chacun alluma des feux devant sa porte, & l'on ne vit qu'illuminations aux fenestres & aux Tours. Les trois Chasteaux tirerent tout leur Canon, & jetterent des feux d'artifice jusques à une heure aprés minuit. Les principaux de la Ville donnerent aussi des feux d'artifice, parmy lesquels on distingua ceux des Directeurs de la Douane, & des Peres Jacobins. Celuy que donna Mr de la Salle, Oeconome du Chapitre de saint André, à l'entrée de la Place de ce nom, causa beaucoup de plaisir aux Spectateurs. C'étoit une machine suspenduë en l'air, qui fit paroistre des differens spectacles, representans des Allegories tout à fait plaisantes. Il n'y en avoit rien de plus beau que l'illumination du Port des Chartreux. Comme il est fait en un demy cercle de Lune, on voyoit facilement de tous costez une perspective, illuminée de la longueur de deux mille pas. (...)

Comme par les ordres de Mr le Maréchal d'Estrées, Commandant pour le Roy en Poitou & Aunix, on a commencé d'assembler les douze Compagnies du Regiment Royal, étably par le feu Roy en la Ville de Niort, elles furent convoquées ce jour-là à l'occasion du Feu de joye. Aprés qu'on eut fait les exercices en bon ordre, & fort regulierement, on les conduisit devant la grande Eglise de Nostre-Dame, où le Te Deum fut chanté, en presence du Corps de Ville, de tous les Corps de Justice, & de tous les Ordres Religieux. Ensuite ces Compagnies défilerent, & se rendirent en la grande Place du Marché vieux, où elles furent rangées en trois Bataillons de prés de cinq cens hommes chacun. Elles firent plusieurs salves & décharges de Mousqueterie, dont le bruit ne fut interrompu que par des acclamations de Vive le Roy, fort souvent reïterées. Le feu fut mis au bucher avec six flambeaux, portez par Mr de Pierrelevée, Lieutenant de Roy de la Ville & du Chasteau de Niort, par Mr de Fonmort, President & Lieutenant General ; par Mr de la Terraudiere, Maire ; par le Doyen des Echevins qui y assisterent tous en robes avec leurs chaperons rouges ; par le Major du Regiment, & par le premier Capitaine, & à la fin on vit s'élever en l'air quantité de fusées & de feux d'artifice qui terminerent la feste.

On ne se distingue pas moins dans les petits lieux, que dans les plus grandes Villes, quand il s'agit de montrer son zele pour le Roy ; & le 20. du mesme mois de Juillet, Mr le Bailly du Duché d'Anguien, dit autrefois Montmorency, fit chanter le Te Deum avec toute la solemnité possible, dans le Convent des Religieux Trinitaires, où toute la Justice du lieu se rendit en robes. L'Eglise estoit fort ornée, & éclairée d'un grand nombre de lumieres. On fit la Procession pour le Roy, & ensuite un des Peres fit un Discours à la loüange de ce Monarque. La Musique & la Simphonie ne furent pas oubliées à l'Exaudiat & au Te Deum, & il se fit plusieurs décharges de plus de cent Boëtes.

[Histoire] §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 81-100.

Il y a des gens qui sont nez pour estre heureux, & ce que je vais vous raconter en est une preuve. Un Cavalier tout plein de merite, & d’une naissance fort considerable, mais assez mal partagé du costé de la fortune, se rencontra d’une humeur si portée à la dépense, que quand il auroit eu vingt mille livres de rente, il n’auroit pas vescu avec plus d’éclat. Son étoile qui le favorisoit dans le jeu, & qui luy donnoit assez de credit pour faire réussir plusieurs affaires qui luy estoient proposées de toutes parts, luy fournissoit les moyens de suivre le panchant qui l’entraînoit. Il menoit par là une vie tres-agreable, & il n’y avoit point de belles societez où il ne se fist recevoir avec plaisir. Cependant comme les fonds qui le faisoient subsister, n’estoient point solides, il ne laissoit pas d’avoir en veuë quelque avantageux établissement qui pust le mettre à couvert de la crainte de décheoir, & c’estoit à quoy il travailloit de tout son pouvoir, en cherchant à plaire en de certains lieux où il voyoit de grands biens à esperer ; mais s’il plaisoit effectivement par ses bonnes qualitez, qui estoient connuës de tout le monde, on se trouvoit refroidy pour le mariage, sitost qu’on venoit à examiner son peu de bien, & le vol qu’il avoit pris. L’habitude en estoit fort dangereuse. Il se faisoit un si grand plaisir de se distinguer par tout ce qui pouvoit le faire paroistre, qu’on estoit persuadé qu’il ne cherchoit à se marier que pour se mettre en estat de faire encore une plus belle dépense, & quelque forte inclination que l’on se sentist pour luy, on voyoit tout à risquer avec un homme de son caractere, à qui l’épargne avoit toujours esté inconnuë. Aprés plusieurs tentatives inutiles, enfin lors qu’il y pensoit le moins, cette mesme étoile qui avoit tant fait pour luy, continua jusqu’au bout à luy estre favorable. Un jour qu’il alla dans un quartier éloigné chez une Dame de ses Amies qui voyoit beaucoup de monde, il y trouva une assez grande assemblée de gens choisis de l’un & de l’autre Sexe. La conversation roula sur differentes matieres, & il y brilla avec une vivacité d’esprit surprenante. Trois jours aprés, la mesme Dame l’envoya chercher pour luy apprendre que si une Veuve de qualité, spirituelle, tres riche, sans aucuns Enfans, & d’une humeur douce & agreable, le pouvoit accommoder, il auroit lieu d’estre satisfait des avantages qui luy seroient faits en l’épousant. Le Cavalier qui cherchoit depuis longtemps une semblable fortune, ne balança point à l’accepter, mais il demeura un peu surpris quand la Dame eut ajoûté, que la Veuve à qui il avoit le bonheur de plaire n’estoit pas dans une grande jeunesse, & que bien qu’elle eust encore assez de fraîcheur pour pouvoir cacher une partie de son âge, elle vouloit agir avec luy de bonne foy, l’ayant chargée de luy declarer sur toutes choses qu’elle avoit soixante & douze ans passez. L’article estoit un peu dégoûtant pour un jeune Cavalier. Cependant aprés un moment de rêverie il prit son party, & dit à la Dame que la conclusion de l’affaire dépendroit du jour qu’on se résoudroit à luy donner du costé de l’interest, & qu’on n’avoit rien à luy déguiser sur l’âge, puisque quatre-vingt-dix ans luy plairoient plus que soixante & douze. Ils ne purent s’empêcher de plaisanter l’un & l’autre sur cet avantage, & enfin le Cavalier s’abandonna au sçavoir faire de son Amie, en la priant seulement, si elle amenoit les choses à un certain point qu’il luy dust être avantageux de conclurre, de les terminer le plus promptement qu’il se pourroit, pour luy épargner le personnage d’Amant, trop difficile à joüer pour luy auprés d’une Vieille. La Dame luy répondit, qu’il demandoit justement ce qui estoit du goust de la Veuve, qui ne souhaittoit rien autre chose, sinon qu’il l’examinât trois ou quatre fois en compagnie, sans luy rien dire de particulier, & que si son humeur luy convenoit, sans qu’il se sentist de la répugnance pour l’engagement qu’on luy proposoit, deux jours suffiroient pour finir l’affaire. Il fut fait comme il fut dit. La Veuve se rencontra cinq ou six fois chez l’Amie commune, & elle affecta de n’y venir que lors qu’il y avoit déja bien du monde, afin que la conversation estant generale, le Cavalier ne fust point embarrassé comme il eust pû l’être, si ne trouvant que la Veuve il eust été obligé de luy addresser toûjours la parole. Aprés ces sortes d’essais, il fut question de se declarer de part & d’autre. La Veuve malgré son grand âge, conservoit encore des traits qui faisoient connoître qu’elle avoit été fort belle. Elle étoit propre, judicieuse en tout ce qu’elle disoit, avoit toutes les manieres d’une Femme de naissance, & des airs fort imposans. Ainsi le Cavalier passa de fort bonne grace pardessus la honte de se marier avec une Vieille, lors qu’il eut appris ce qu’elle s’étoit résoluë à luy donner. Il se seroit pourtant volontiers contenté de la moitié, si elle eust voulu le dispenser de porter le nom de son Mary, & estre assez genereuse, pour n’exiger de luy qu’un remerciment ; mais il fallut en passer par-là, & luy tenir mesme quelque compte de l’assurance qu’elle luy donna, que si sa réputation l’avoit pû permettre, elle luy auroit fait une donation simple, sans l’assujettir au Mariage. Elle ajoûta, que n’ayant point voulu se remarier depuis vingt ans qu’elle estoit demeurée Veuve, quoy qu’on l’en eust pressée plusieurs fois, ce qu’elle faisoit pour luy dans un âge où toutes les passions sont presque toujours éteintes, devoit l’engager à luy accorder toute son estime, qu’il auroit peut-être peine à luy refuser quand il la connoistroit mieux. Il répondit à cela par toute l’honnesteté qu’il devoit avoir pour une Femme qui luy assuroit un bien fort considérable. Le Mariage fut fait, & la Dame qui avoit une parenté nombreuse, fit ce jour-là une grande feste. On ne pouvoit rien voir de plus somptueux que la chambre qu’on prépara pour les Mariez. Il y avoit un lit magnifique, & tout le reste étoit à proportion. On se réjoüit fort pendant le soupé, & sur les onze heures la Mariée disparut. On étoit en peine de ce qu’elle pouvoit être devenuë, & comme elle étoit l’Heroïne de la Feste, on l’alla chercher pour terminer la ceremonie. Elle s’estoit retirée dans un appartement separé, & on frapa inutilement à la porte de sa chambre, on ne la put obliger d’ouvrir. Le Marié n’épargna pas ses prieres, & elles n’obtinrent rien. La Dame luy répondit qu’il y avoit un lit assez beau préparé pour luy ; qu’il pouvoit en aller prendre possession, & y dormir fort tranquillement, & qu’à quelque heure qu’il voulust la venir voir le lendemain au matin, il la trouveroit levée & disposée à l’entretenir. Une conduite si peu attenduë le surprit au dernier point, & parut l’embarasser. Cependant ne jugeant pas à propos de témoigner de l’empressement à contre-temps, il se soumit à la loy qui luy estoit imposée, & aprés avoir passé en réjoüissance une partie de la nuit avec le reste de la Compagnie, il se fit conduire dans l’appartement qu’on luy avoit destiné. Le jour suivant, il se rendit à la chambre de la Dame, qui l’ayant receu d’un visage fort riant, le pria de vouloir l’écouter sans l’interrompre, & luy dit ensuite qu’il ne seroit point surpris de la conduite qu’elle tenoit avec luy, s’il consideroit qu’ayant pû demeurer Veuve plus de vingt années, elle ne s’étoit résoluë à l’épouser par aucun goût pour le Mariage, mais seulement dans la veuë de quelque societé, & par l’unique plaisir de luy assurer une fortune qui pût le mettre en état de satisfaire toûjours l’inclination qu’il avoit pour la dépense ; qu’il sçavoit trop la disproportion qu’il y avoit de son âge au sien, pour prétendre qu’il deust avoir de l’amour pour elle ; que ce seroit s’exposer à meriter qu’il la méprisast, que d’en exiger des marques, mais que vivant avec luy comme elle avoit commencé, sans songer jamais qu’il fust son Mary, elle le croyoit trop honneste homme pour ne vouloir pas estre veritablement de ses Amis, ce qu’elle luy demandoit instamment pour toute reconnoissance de l’estime tres-particuliere qu’elle avoit pour luy ; qu’ayant de grands biens qu’elle devoit laisser à des gens qui ne luy en sçauroient aucun gré, elle ne connoissoit personne plus digne que luy d’en avoir une partie ; qu’en cela elle suivoit un panchant qu’il luy avoit esté impossible de surmonter ; qu’estant cependant entierement au dessus de la foiblesse qu’elle avoit honte qu’on pust reprocher à quelques Femmes, elle luy remettoit avec plaisir toutes les obligations qu’on pouvoit pretendre qu’il eust contractées en l’épousant, & que s’il vouloit agir avec elle sur le pied d’un Amy de confiance qui luy feroit voir un cœur sans déguisement, il y trouveroit des avantages qui luy donneroient sujet de ne s’en pas repentir. Vous pouvés vous figurer combien le Cavalier eut de joye d’une declaration si agreable. C’estoit pour luy un double bonheur de voir qu’en luy assurant une fortune tres-avantageuse, on le dispensoit d’estre Mary. Ses remercimens furent proportionnez à ce qu’une generosité de cette nature luy devoit faire sentir, & il ne s’est point démenty depuis. L’estime qu’il a prise pour la Veuve (car on la peut toujours appeller ainsi) le porte pour elle à des complaisances qui luy tiennent lieu de devoirs d’Amant, & ses soins dans toutes les choses qui peuvent luy faire un peu de plaisir, paroissent si empressez, qu’ils passeroient pour amour, s’il n’estoit pas impossible qu’il y en eust entre un jeune Cavalier, & une Dame plus que septuagenaire.

[Feste celebrée à Poitiers] §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 150-154.

 

Les Peres Augustins de Poitiers ont celebré pendant huit jours la solemnité de saint Jean de Sahagun, Religieux de leur Ordre, canonisé par le Pape Alexandre VIII. Elle a eu tout l'éclat possible, & ils n'ont rien épargné pour donner à cette cérémonie toute la pompe qu'elle pouvoit recevoir. Le premier jour, ils sortirent en Procession de leur Eglise, qui estoit magnifiquement parée, pour aller prendre Messieurs de saint Pierre dans la Cathedrale, où ils entrerent au bruit des Tambours & des Trompettes. Aprés que l'on y eut chanté un Motet, les Chanoines les accompagnerent dans leur Eglise, où ils retournerent dans le mesme ordre qu'ils estoient partis. M. l'Evesque de Poitiers y officia Pontificalement, & la Messe, & les Vespres, aussi bien que le Salut, furent chantées par une excellente Musique de la Cathedrale. Le second jour, ces Religieux firent la mesme chose pour les Chanoines de l'Eglise Collegiale de sainte Radegonde, & le troisiéme, pour ceux de Nostre-Dame la Grande. Les Carmes, les Jacobins, & les Cordeliers y vinrent officier les trois jours suivans, & ce furent les Augustins qui à leur tour firent l'Office le septiéme jour dans leur propre Eglise. La Clôture de cette Octave, se fit par les Chanoines de saint Hilaire, qu'ils allerent prendre, & qui amenerent une excellente Musique, remplie de tres-belles voix, & de plusieurs sortes d'instrumens. Le Te Deum fut chanté, aprés que la Benediction eut esté donnée, & le soir sur les sept heures, tous les Religieux du Convent, la Croix & la Baniere en teste, allerent mettre le feu à un bucher qu'ils avoient fait élever au milieu de la Place Royale, devant leur Eglise. Il s'y fit plusieurs décharges de Canon, & il s'y trouva un concours de monde extraordinaire.

Sur la Prise de Namur §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 154-160.

Je vous envoye encore quelques Vers sur la prise de Namur, & commence par ceux que vous m’avez demandez. Je n’en connois point l’Auteur, mais ils ont assez plû à tous ceux qui les ont lûs, pour meriter vostre curiosité.

SUR LA PRISE
de Namur.

Namur estoit une Pucelle,
Dont on ne pouvoit approcher.
Son cœur aussi dur qu’un rocher
Nous la montroit toujours rebelle,
 Et jamais la cruelle
 Ne se laissa toucher.
 LOUIS pourtant se met en teste
 Cette glorieuse conqueste.
 Il fait plus, il y réussit,
 Et voicy comment il s’y prit.
 Il part avec nombreuse escorte
 De gens à pied, gens à cheval,
En telle occasion gens qui ne font point mal,
 Et va Camper devant la porte
 De la Belle, dont la fierté
  A jadis rebuté
  Plus d’un Amant illustre.
 Ce fut pour la gloire & le lustre
 D’un autre plus illustre Amant.
Cet Amant donc paroist, & fait son compliment.
 Namur, dit-il, Namur trop inhumaine,
 Depuis plus d’un an en secret
Sans vouloir pour raison vous découvrir ma peine,
 Je brûle d’un amour discret ;
Mais je cede, il est temps, à l’ardeur qui me presse.
 Cedez à l’exemple de Mons.
Quinze jours comme vous Mons en fit les façons.
Cedez aussi comme elle à ma juste tendresse.
Je ne veux, ny ne puis vous le dissimuler,
 Ma tendre passion l’emporte,
Je viens vous conquerir, ou bien vous enlever,
 Sinon, mourir à vostre porte.
 Mourez, dit Namur, que m’importe ?
Je ne veux point aussi vous le celer.
 Non, LOUIS, cessez de pretendre
Que je veuille jamais à vos efforts me rendre.
A ce dessein ne vous obstinez pas,
Vous avez du pouvoir, vous avez des appas,
 Mais j’ay toujours sceu me défendre.
 LOUIS dans sa bouillante ardeur
Ne connoist rien de trop grand pour son cœur.
Plus, dit-il, une Belle est farouche & severe,
Plus la Conqueste en est & glorieuse & chere.
  En effet le desir
  S’accroist par la défense,
 Et la plus douce joüissance
  Ne donne du plaisir
  Qu’aprés la résistance.
Il redouble ses soins & son empressement,
Remplit tous les devoirs du plus parfait Amant.
  Tous les soirs une Serenade,
 Chaque matin une nouvelle Aubade.
  Sa violente passion
  Se fait voir en chaque action.
Il donne à tous momens quelque sensible marque
  De l’ardeur de ses feux.
Namur s’émeut enfin, se rend aux tendres vœux,
  De ce charmant Monarque.
  Elle s’enflame chaque jour
 Et triomphant de sa vertu mourante,
LOUIS remply d’une gloire éclatante,
Va recueillir les fruits de son amour.
Ainsi cette Pucelle autrefois si sauvage,
 Cedant au bout de trente jours
 A de si pressantes amours,
 Perdit enfin son pucelage.
 Cela soit dit sans vous fâcher,
Namur, semblable sort autre que vous regarde,
Et s’il en est encor quelqu’une qui le garde,
C’est celle que Louis ne daigne pas toucher.
***
Trop indignes Rivaux de mon Auguste Maistre,
Par ces faits inoüis, par cet illustre effort,
 Apprenez à le mieux connoistre,
Le dernier coup qu’il frappe est toujours le plus fort.

Madrigal §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 160-161.

Sur la prise de Namur, aprés
la disgrace du Combat
Naval.
MADRIGAL.

Mars a vangé Louis du couroux de Neptune.
 Namur est soumis à ses loix,
 Et le dernier de ses exploits
Fait admirer par tout sa gloire & sa fortune.
Nassau n’ose au Combat exposer ses Guerriers ;
 Son esperance ne se fonde
Que sur l’appuy des vents, & sur la foy de l’onde,
Qui produit des Roseaux, & non pas des Lauriers.

Avis aux Flamans §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 161-162.

Le Sonnet que vous allez lire, est de Mademoiselle de Dommaigne de la Rochehüe.

AVIS AUX FLAMANS.

Qu’attendez-vous encor, Peuples infortunez,
Pour secoüer le joug d’une impuissante Ligue ?
Si Guillaume en secret a conduit son intrigue,
Il a forgé les fers qui vous ont enchaînez.
***
Tant de Princes jaloux, tant d’esprits mutinez
Opposent à LOUIS une trop foible digue ;
En vain pour vous sauver on sollicite, on brigue,
Tous, à suivre son char vous estes destinez.
***
Est-ce sur l’impossible où vôtre espoir se fonde ?
Croyez-vous triompher du plus grand Roy du monde,
Qui seul à l’Univers peut imposer la Loy ?
***
Aprés Mons & Namur quelle est vôtre esperance ?
Comptez-vous sur Anvers, Ostende, & Charleroy ?
Il faut les voir tomber, ou conquerir la France.

Epistre au Roy §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 162-169.

Je finis par un Ouvrage, dont Mr Rousselet, Principal du College de Noyon, est l’Auteur.

EPISTRE AU ROY,
Sur la prise des Ville &
Chasteau de Namur.

Grand Roy, dont la valeur & la rare sagesse
Font qu’à tous tes projets Dieu mesme s’interesse,
Et qui sans t’égarer dans ton activité,
Es le plus beau Portrait de la Divinité,
Tu reviens tout brillant des rayons de la gloire,
Qu’imprime encor sur toy ta nouvelle Victoire.
Le Chasteau de Namur sur son Roc foudroyé,
Rend déja de ton nom l’Univers effrayé.
Aprés ce grand effort de ton Bras invincible,
Il voit qu’à ta valeur il n’est rien d’impossible,
Et quand il te plaira de luy donner la Loy,
Que la terre en tremblant se taira devant toy.
Comme un nuage épais où la Foudre s’appreste,
Aux timides Mortels fait prévoir la tempeste,
Pour laisser à Nassau le temps de resister,
Ton courage t’a fait lentement te hâter,
Et ton Foudre de loin annonçant ta venuë,
Avant que de partir a grondé dans la nuë.
En vain pour l’arrester, la Sambre sur ses bords
Voit ce Tyran jaloux faire tous ses efforts.
Par tout où tu fournis ta brillante carriere,
On le voit, effrayé, reculer en arriere,
Et pour combler enfin nos plus justes souhaits,
Comme un autre Pithon succomber sous tes traits.
A ton aspect fatal sa rage infortunée
Luy fait souffrir le sort du mal-heureux Phinée.
Et devenant par tout immobile Rocher,
Quand pour se signaler il veut t’aller chercher,
Il laisse à ta valeur forcer tous les obstacles,
Et des plus grands Heros surpasser les miracles.
Celuy qui commandoit qu’au rang de ses Ayeux
On mist le Grand Alcide & le Maître des Dieux,
Qui vouloit qu’on luy crust des vertus sans pareilles,
Quand pour réduire un Roc il fit tant de merveilles,
Verroit en toy briller un courage nouveau,
D’avoir forcé Namur, son Roc & son Chasteau.
Bien mieux qu’à ce Heros il semble que la gloire,
Par tout où tu combas, attache la Victoire.
Pour la seconde fois le Batave d’effroy,
Va, pour fuir ton couroux, se noyer devant toy.
Bien-tost en fremissant, la perfide Angleterre
Verra tous ses Lauriers flétris de ton Tonnerre,
Et ne pouvant souffrir ton éclat nonpareil,
L’Aigle perdra les yeux aux rayons du Soleil.
 De tes faits inoüis, & surprise & charmée,
GRAND ROY, tu laisseras enfin la Renommée.
Quoy-que pour mieux chanter on luy donne cent voix,
C’est peu pour celebrer ta Gloire & tes Exploits.
Mais helas ! trop souvent dans ce grand choc des armes,
L’excés de ta valeur nous cause des alarmes.
On diroit qu’animant le cœur de tes Guerriers,
Tu voudrois de ton sang arroser tes Lauriers,
Lors qu’on t’a veu braver la funeste tempeste,
De cent Foudres de Mars dressez contre ta Teste,
Dans leur juste frayeur, tes fidelles Sujets,
Ont conjuré le Ciel de benir tes projets ;
Qu’estant du Dieu vivant la plus brillante Image,
Il secondât en tout l’effort de ton courage,
Qu’il armast au secours du plus grand des Humains,
De ses Soldats ailez les invisibles mains.
Le Ciel vient d’exaucer nostre juste priere :
Tu sors Victorieux d’une noble Carriere,
Le Chasteau de Namur, son Roc & ses Rempars,
Tes travaux assidus, les fatigues de Mars,
Que couronne à la fin une illustre Victoire,
Ne font que relever la splendeur de ta gloire.
Il faudroit ramasser, comptant ce que tu vaux,
Des Heros demy-Dieux les plus fameux travaux.
Plus sage que Cyrus, plus heureux qu’Alexandre,
Plus vaillant que Cesar, tu peux tout entreprendre,
Et la Sambre & le Rhin à ton pouvoir soûmis,
Aux bords de l’Hellespont aller planter tes Lys.

[Vers sur une Medaille frappée pour le Prince d’Orange] §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 169-171.

Le Prince d’Orange a fait battre depuis peu une Medaille, où est d’un costé le Portrait du Roy, avec ces mots,

Ludovicus Magnus.

Et de l’autre costé, celuy de ce Prince, & ces paroles,

Guillelmus Maximus.

Mr Boursaut, dont vous connoissez l’heureux talent, a fait là-dessus ce Madrigal.

LOUIS est Grand, c’est un fait positif,
 Dont l’Univers n’est pas en doute.
 Guillaume par une autre route
Pretend de la Grandeur estre au superlatif.
Il faut rendre justice au celebre Guillaume.
Il a de son Beaupere usurpé le Royaume,
Et commis des forfaits jusqu’alors inconnus.
Des plus cruels Tirans on luy voit les maximes,
Et quand LOUIS est Grand par de grandes vertus,
Si Guillaume est Tres-Grand, c’est par de tres-grands crimes.

[Cérémonies faites au Louvre le jour de la Feste de saint Louis] §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 216-219.

 

Le Lundy 25. de ce mois, l'Academie Françoise celébra, selon sa coûtume, la Feste de S. Louis dans la Chapelle du Louvre, & comme elle choisit toujours un predicateur parmi les plus habiles, pour faire le Panegyrique de ce Saint, elle avoit jetté les yeux cette année sur M. l'Abbé Bignon, Fils de Mr Bignon, Conseiller d'Etat, & Neveu de Mr de Pontchartrain. Les excellens Sermons qu'on a déja entendus de luy, l'ayant mis dans une grande réputation, l'Assemblée fut fort nombreuse, & composée de plusieurs Prelats, Abbez, & autres personnes d'un merite distingué. Il pris pour son Texte ces paroles d'Isaïe, Princeps ea qua sunt digna Principe cogitabit, & traita cette matiere avec toute l'éloquence d'un Orateur consommé. Il y eut des Peintures extrémement délicates, & ceux qui s'appliquerent à retenir de beaux traits, ne furent embarassez que dans le choix qu'ils en devoient faire. Il fait sentir admirablement, en parlant des rares vertus de S. Loüis, que quand la pieté regne dans le coeur d'un Roy, elle passe bien-tost en coûtume dans celuy de ses Sujets. Ce Panegyrique fut precedé d'une Messe que dit Mr l'Abbé de la Vau, l'un des quarante Académiciens, & pendant laquelle on chanta divers Motets de la Composition de Mr Oudot. La plûpart des plus belles voix de Paris estoient de cette Musique, qui fut écoutée avec beaucoup de plaisir.

[Autre Panegyrique de S. Louis fait par M. l'Abbé de Castre] §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 219-220.

 

Le mesme jour, Mr l'Abbé de Castre prêcha dans l'Eglise des Jesuites de la ruë S. Antoine, & son Sermon reçut de grands applaudissemens. Il y avoit une affluence extraordinaire de gens de qualité, & si l'éloge qu'il fit de saint Loüis eut beaucoup d'Approbateurs, celuy du Roy en eut encore davantage. La Musique qui estoit de Mr Charpentier, charma toute l'Assemblée, & particulierement un Motet, composé exprés pour cette Feste. On ne peut rien ajoûter à la réputation qu'il s'acquiert de jour en jour.

[Nouvelle Relation du Combat de Steinkerke] §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 264-265.

 

Le 21. sur les dix heures, Mr l'Abbé de Riqueti celebra la Messe à la teste des Gardes Françoises, où l'on avoit tendu les Tentes de Monsieur le Duc de Chartres. Tous les Officiers Generaux s'y rendirent avec tous les Aumôniers de l'Armée, & aprés la Messe, ce mesme Abbé entonna le Te Deum. Cela parut extraordinaire, parce qu'il n'estoit jamais arrivé qu'on l'eust chanté pour une Victoire dans l'Armée victorieuse, mais il y avoit eu pour cela un ordre exprés de Sa Majesté à Mr de Luxembourg.

Sur la defaite du Prince d’Orange. Au Roy §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 274-275.

SUR LA DEFAITE
du Prince d’Orange.
AU ROY.

Grand Roy, Namur est pris ; par ce coup incroyable
Toute la Ligue enfin est reduite aux abois.
Ta fortune étonnante est un poids qui l’accable,
Et met au desespoir l’orgueil de tous ses Rois.
***
 Sa haine cependant jalouse, infatigable,
Refuse fierement de ployer sous tes Loix,
Tente tous les efforts, dont sa rage est capable,
Et t’appelle sans cesse à de nouveaux exploits.
***
 Mais ce qu’ose Nassau honteux de sa retraite,
Bien loin de reparer la perte qu’il a faite,
Ne sert qu’à redoubler ta gloire & son malheur.
***
Luxembourg tient toujours ta foudre toute preste,
Asseure ton triomphe, & sçait par sa valeur
Du sang des Ennemis cimenter ta conqueste.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1692 [tome 10], p. 288.L'air figure, sous le nom de Montailly, dans le Livre d'airs de différents auteurs, XXXVI, 1693 (cf. LADDA 1693-03).

Je vous envoye un Air nouveau dont assurément les paroles vous plairont.

AIR NOUVEAU.

L’Air, page 288.
Il revient le Heros que j'adore,
Tendres Amours, allez le recevoir.
Je ne sçaurois assez tost le revoir,
Et Mars voudroit le retenir encore.
Courez, courez, volez, avancez les momens
Qui doivent soulager ma peine,
Le retour de Loüis va finir mes tourmens,
Tout couvert de Lauriers la gloire le ramene.
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