1692

Mercure galant, septembre 1692 [tome 12].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1692 [tome 12].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1692 [tome 12]. §

Epître au Roy §

Mercure galant, septembre 1692 [tome 12], p. 7-17.

Jamais Monarque n’ayant porté la gloire de la France dans un si haut degré que LOUIS LE GRAND, jamais les Muses ne se sont attachées avec plus d’ardeur à chanter celle d’aucun autre Souverain, & comme la matiere est inépuisable, vous ne devez pas estre surprise si je vous fais part d’Ouvrages faits sur les mesmes sujets, longtemps aprés que de grandes actions ont suivy celles qui ont donné lieu à ce que je vous envoye. On écrivoit encore sur la prise d’une des plus fortes Places de l’Europe, lors que le gain d’un Combat demande qu’on mette de nouveau la main à la plume. Cependant je remets à d’autres temps ce qui a esté écrit sur ce Combat, pour vous faire voir les alarmes que le Roy a causées, en exposant, comme il a fait devant Namur, des jours si précieux à la France.

EPITRE
AU ROY.

Quand tu braves la mort dans les plaines de Flandre,
Et que chacun t’égale au fameux Alexandre,
Je n’ay garde, Grand Roy, de vanter des exploits,
Qui peuvent tant couter de larmes aux François.
Dés l’enfance ébloüy de ta brillante gloire,
Pour elle j’invoquay les Filles de Memoire ;
Et si depuis deux ans j’erre sur l’Helicon,
Ça n’est que pour apprendre à celebrer ton nom.
Mais tes derniers exploits, qui passent mon attente,
Ont imposé silence à ma Muse tremblante.
Quoy, de Mons, de Namur attaquant les remparts,
Où cent foudres d’airain tonnent de toutes parts,
Secondé de ton Fils, cette teste si chere,
Du salpêtre embrasé tu braves la colere ;
(Ah ! ce nouveau danger glace encor mes esprits)
Et moy, je vanterois par de nouveaux Ecrits
Cette soif de perils qui fait trembler la France ?
Ma Muse avec Nassau seroit d’intelligence.
Que peuvent souhaiter tes Ennemis jaloux,
Que de te voir courir au devant de leurs coups ?
Ouy ! ces lâches Guerriers, que ta grandeur outrage,
Fondent tout leur espoir sur ton propre courage,
Et tu vas seconder leur desir criminel.
Quoy ! pour estre Heros en est-on moins mortel ?
Le plus chetif Soldat, s’il plaist aux fieres Parques,
Peut trancher le Destin du plus grand des Monarques,
Et ces aveugles Sœurs coupent d’un seul ciseau
Nos frêles jours filez sur le mesme fuseau.
Quel triste souvenir ! quelles noires pensées,
Retracent des douleurs par le temps effacées ?
Quand les Dieux irritez pour punir nos forfaits,
Sembloient de nos Voisins exaucer les souhaits,
Et nous menaçant tous d’une perte funeste,
Vouloient te rappeller dans leur troupe celeste,
Quels furent nos sanglots, nos plaintes, nostre deuil,
Voyant l’honneur des Lis pancher vers le cercueil !
Et cependant alors l’inconsolable France
Pouvoit mettre en ton Fils sa seconde esperance,
Prompt & puissant secours dans un si grand malheur.
Mais aujourd’huy, grand Roy, qu’un excés de valeur,
Autour de ces remparts, où mille morts sont prêtes,
Expose également vos precieuses têtes,
Qui de nos justes pleurs arresteroit le cours,
Si quelque coup fatal mettoit fin à vos jours ?
Dans ce triste revers quelle assez forte digue
Pourrions-nous opposer aux fureurs de la Ligue ?
De Lorges, Luxembourg, Catinat & Bouflers,
Et d’autres dont le nom a remply l’Univers,
Qui fortunez, vaillans, sages par ton genie,
Font trembler devant eux toute l’Europe unie,
Si le Ciel nous privoit de ton Fils & de toy,
Ne sçauroient ranimer nos cœurs transis d’effroy ;
Et ces Heros naissans à qui le Ciel destine
La gloire d’affranchir la sainte Palestine,
Ne peuvent pas encor soutenir dans leur main
Ce fer qui doit briller sur les bords du Jourdain.
La France, Grand Loüis, te parle par ma bouche.
Si son repos t’est cher, si sa plainte te touche,
Cesse de prodiguer des jours si précieux,
A qui nôtre destin fut lié par les Cieux ;
Ou ne te promets plus que sur leurs belles rives
Tes exploits soient chantez par nos Muses craintives.
Et toy, qui sceus jadis par tes divins appas
Captiver ce grand Cœur avide de Combats,
Si parmy les plaisirs de la voûte azurée,
Therese, il te souvient de ta France éplorée,
Si tu cheris encor l’honneur des Fleurs de Lis,
Eloigne des dangers ton Epoux & ton Fils.
Un soir, quand la nuit sombre aura tendu ses voiles,
Descens seule & sans bruit du sejour des Etoiles ;
Parois à ce Monarque avec cette beauté
Qui triompha jadis de son cœur indompté,
Lors que pour nostre gloire au pied des Pirenées
Le Ministre des Dieux unit vos destinées ;
Et par le souvenir de ce charmant lien,
Par les Autels sacrez dont il est le soutien,
Par le salut des Lis, & par nos tristes larmes,
Conjure ce Heros de finir nos alarmes.

Cette Epistre est de Mr de Combes, de Toulouse, Auteur de l’Eglogue que je vous envoyay dans ma Lettre de Novembre, sur la mort de Mr de Louvois, & à laquelle vous avez donné la mesme approbation qu’elle a receuë de tous ceux qui ont du goust pour les Vers.

[Bouquet envoyé par Madame des Houlières] §

Mercure galant, septembre 1692 [tome 12], p. 99-105.

Vous envoyer des Vers de l’Illustre Madame des Houlieres, c’est vous faire un vray present. En voicy de sa façon, pour Mr l’Abbé de Lavau, au jour de S. Loüis, qui estoit celuy de sa Feste.

BOUQUET.

 Il est aujourd’huy vostre Feste,
  Et de ces agreables fleurs,
Dont le temps ne sçauroit effacer les couleurs,
Ma main devroit, Abbé, couronner vostre teste.
 Mais helas ! depuis quelques jours
 Je cherche en vain sur le Parnasse
 Ces vives fleurs, que rien n’efface,
 Et que vous y cueillez toujours.
 Que vous donner donc en leur place ?
 Un simple bon jour ? C’est trop peu.
Mon cœur ? C’est un peu trop, quoy que sa saison passe,
Il ne faut mesme pas, de vostre propre aveu,
Que jamais de son cœur mon Sexe se défasse ;
Et d’ailleurs, dans le train où vous a mis la Grace,
 Train, qui chez vous n’est point un jeu,
Le present d’un cœur embarasse.
***
 Je sçay que depuis quelque temps
On donne pour Bouquet des Bijoux importans ;
 Mais quand vous verrez la fortune,
 Demandez-luy si dans ces lieux
 Où les Muses chantent le mieux,
 Elle daigne en mettre quelqu’une
En pouvoir de donner des Bijoux precieux.
***
Pas une des neuf Sœurs par elle n’est aidée.
 Abbé, le nom de bel esprit
 Icy ne donne point d’idée,
 De gloire, d’aise, de credit,
Comme de certains noms, qui d’abord qu’on les dit,
 Tout pauvres qu’ils sont par eux-mesmes ;
 Remplissent l’esprit de tresors,
 De voluptez, d’honneurs suprêmes ;
 Par tout excellens passe-ports
 Des vices de l’ame & du corps.
***
 Je m’égare, & je moralise
 Peut-estre un peu hors de saison.
 Qu’y faire ? malgré la raison,
Dans tout ce qu’on écrit on se caracterise.
 Cependant revenons à nous,
Tâchons par des souhaits à nous tirer d’affaire.
 Je sçay que c’est ne donner guere,
Mais ceux que la Nature a formez comme nous,
D’un limon moins grossier que le limon vulgaire,
 Trouvent des charmes aussi doux
Dans les souhaits d’un cœur sincere,
 Que dans les plus riches Bijoux.
***
Ce n’est ny du Sçavoir, ny de l’esprit solide,
Ny de la pieté qu’il faut vous souhaiter,
Vous en avez assez, Abbé, pour en prêter.
 Est-ce une conduite rigide ?
Est-ce une probité sur quoy pouvoir compter ?
Encor moins ; vostre cœur jamais ne vous expose.
 Aux déreglemens, aux noirceurs ;
 Que la foiblesse humaine cause,
 Et sur le merite & les mœurs
On pourroit défier les plus fins Connoisseurs
 De vous souhaiter quelque chose.
***
 Tout ce qu’une Femme resout,
Arrive, bien ou mal, comme il est dans sa teste.
Je veux par des souhaits celebrer vostre Feste,
Et j’en trouve un à faire enfin selon mon goust.
 Je ne sçay s’il sera du vostre.
 Abbé, le voicy sans façon.
 Saint Loüis est vostre Patron ;
 Loüis le Grand en est un autre,
Au gré de bien des gens pour le moins aussi bon.
Que pour vous faire un sort qui soit digne d’envie,
Leurs soins à vostre égard se partagent ainsi.
Que l’un, lors qu’à cent ans vous sortirez d’icy,
Vous procure les biens de l’Eternelle Vie,
Et que l’autre vous rende heureux dans celle-cy.

[Réjouissances faites à Dijon] §

Mercure galant, septembre 1692 [tome 12], p. 119-133.

Vous sçavez, Madame, que le 18. de l'autre mois, Madame la Duchesse accoucha d'un Prince, qu'on appelle Duc d'Anguien. La joye en a esté grande à Dijon, & la Relation que je vous envoye vous l'apprendra. Je la laisse dans les mesme termes que je l'ay receuë,

Parmy toutes les réjoüissances qu'on a fait paroistre dans Dijon, pour l'heureuse naissance de Monsieur le Duc d'Anguien, celles qui se sont faites au Chasteau n'ont cedé en rien à celles de la Ville. Mr Durand de Fontenay, Major de cette Place, Gentilhomme de merite connu par ses services dans les Troupes, & qui ayant esté choisi de S. A. S. Monsieur le Prince pour un de ses Aides de Camp au Siege de Namur, s'est acquitté de cet employ avec beaucoup d'honneur, voulant donner des marques publiques de sa reconnoissance pour les bontez de ce grand Prince, eut à peine appris l'accouchement de Madame la Duchesse, qu'il donna les ordres pour faire le lendemain une Feste dans le Chasteau, qui fut d'autant plus agreable qu'elle fut prompte, & exécutée avec autant d'ordre & de diversité, que si l'on eust employé beaucoup de temps à la préparer.

Il fit orner la grande Salle de l'appartement du Gouverneur, de tapisseries fort magnifiques, avec quantité de Lustres pour la rendre plus éclairée. On exposa sous un Dais le Portrait de Son Altesse Serenissime Monsieur le Prince, & celuy de Monsieur le Duc, au bas duquel étoient ces Vers.

Plein d'esprit & d'ardeur, né pour vaincre & pour plaire ;
Charmant par mes vertus, estimé de mon Roy ;
C'est par là qu'on me voit digne Fils de mon Pere,
Et qu'un jour on verra mon Fils digne de moy.

Au dessous de ces Portraits on mit deux riches fauteüils, élevez sur deux marches couvertes de tapis, pour marquer la place de ces deux Princes. Le soir sur les huit à neuf heures, toutes les personnes de consideration de la Ville, de l'un & de l'autre Sexe, qui avoient esté invitées, s'assemblerent dans cette Salle avec la parure la plus propre à augmenter la beauté des Dames ; de sorte qu'il sembloit que le Dieu d'Amour pour lors ne commandoit pas moins dans cette Place, que celuy de la Guerre. Madame de Fontenay, qui a beaucoup d'agrémens dans sa personne & dans ses manieres, eut le soin de faire placer les Dames, tandis que Mr de Fontenay prenoit celuy de recevoir les hommes les plus qualifiez qui s'y rendirent. Lors que chacun fut placé, sans que le grand nombre causast de confusion, les Vers & les Instrumens commencerent l'Opera du Triomphe de l'Amour, que l'on avoit choisi pour estre le plus convenable au sujet de cette réjoüissance. Cet Opera fut précedé d'un Prologue qui répondoit à la gloire que Monsieur le Duc vient nouvellement d'acquerir au Combat donné en Flandre & à la joye qu'il a de se voir Pere d'un Fils souhaité avec tant d'empressement. Les Vers & le Chant furent faits le même jour, de cette maniere.

PROLOGUE.

PREMIER RECIT.

Chers Habitans de la Cité des Dieux,
Préparez une Feste, & marquez vostre zele,
Pour un Prince brillant d'une gloire nouvelle,
Et qui doit faire un jour le bonheur de ces lieux.

SECOND RECIT.

Marchant sur les pas glorieux
De son Pere & de ses Ayeux,
Du plus grand Roy du monde il a rempli l'attente,
Par les faits surprenans qu'a produit son grand coeur,
Dans cette Bataille sanglante
Dont il revient vainqueur.

TROISIEME RECIT.

Aprés une illustre victoire,
Ce Heros de retour,
Goûte les premiers fruits de sa nouvelle gloire,
Et ceux de son amour.
Une Princesse aimable & belle,
Qui charme seule & son coeur & ses yeux ;
Luy donne dans un Fils, digne present des Cieux,
Un gage précieux
De son amour tendre & fidelle.
Chers Habitans de la Cité des Dieux,
Préparez tous une Feste nouvelle.

CHOEUR.

Chers Habitans de la Cité des Dieux,
Que chacun de vous en ces lieux
A la joye, an plaisir aujourd'huy s'abandonne.
Unissons nos coeurs & nos voix,
Pour ce jeune Heros, fameux par ses exploits,
Et chantons mille & mille fois
Le gage précieux que son amour luy donne.

Ce Prologue fini, on commença incontinent l'Opera du Triomphe de l'Amour. Ce Dieu en effet ne triomphe-t-il pas en ce rencontre, & ne merite-t-il pas beaucoup de gloire d'avoir donné un successeur à un des plus grands Princes de la premiere Cour du monde ? Cet Opera fut executé avec beaucoup de justesse, & la Symphonie en fut admirable. Les Dames allérent ensuite respirer la fraischeur de l'air dans la place d'Armes, où le bruit des Canons succedant à l'harmonie des voix & des instrumens, redoubla la joie que l'on ressentoit. Aprés plusieurs décharges coup sur coup réïterées, on fut agréablement surpris de voir le sommet des tours couronné de lanternes, à travers lesquelles on découvroit des noeuds d'amour, & des Chiffes qui marquoient les noms de leurs Altesses Serenissimes ; mais le plaisir de la surprise augmenta merveilleusement, lors qu'on apperçut sur les mesmes tours, des feux d'artifices qui les bordoient, & que l'on en vit partir une infinité de lances à feu, & de fusées volantes entremêlées de grenades, qui de toutes parts s'élevant dans l'air, répandirent par tout l'éclat & la lumiere, avec une diversité de figures, & un nombre infini d'étoiles brillantes, qui paroissant dans l'eau du fossé, sembloient faire l'alliance de deux élemens ennemis, & on eût dit que du fond des eaux & du haut des airs, il sortoit de differens feux qui faisoient un nouveau jour au milieu de la nuit la plus sombre. Tout le peuple de la Ville estoit accouru au bruit de cette Feste, & bordoit les fossez du Chateau en foule, avec tant de cris & d'acclamations que le son confus des voix se mêlant au bruit de l'artifice, ce mélange donnoit autant de plaisir dans sa confusion que la Musique en avoit donné par son harmonie. Le Feu d'artifice estant fini, & la grande foule du peuple écoulée, les Dames demeurerent au Chasteau, & elles eurent envie d'aller sur le sommet d'une des Tours, où elles trouverent un nouveau plaisir. Mr de Fontenay y avoit fait trouver les violons qui joüerent les Pieces les plus belles & les plus sçavantes des Maîtres les plus habiles. Cela dura jusques à une heure aprés minuit, que chacun se retira content du plaisir qu'il avoit eu dans cette Feste, si bien ordonnée, & executée avec tant de propreté & d'agrément ; mais

En vain l'amour avec ses charmes,
Et le Dieu Mars avec ses armes,
Se joignent en un mesme temps
Pour rendre une Feste assortie ;
Tous leurs plaisirs sont languissans
Si Bacchus n'est de la partie.

En effet, tandis que le concert & les feux d'artifices occupoient ceux qui estoient invitez, & qui avoient accouru à cette Feste, les vin animoit les uns & les autres, & fournissoit à la Garnison de quoy prendre part au plaisir. Mr de Fontenay fit largesse du meilleur de sa cave aux Soldats qui saluérent la santé du Roy & de leurs Altesses Serenissimes, & répondirent assez bien de leur part, à tout ce qu'on fit d'ailleurs pour remplir cette Feste, à laquelle succedérent le repos & le sommeil.

[Diogène et Mausole, Dialogue] §

Mercure galant, septembre 1692 [tome 12], p. 145-150.

Je vous envoye un Dialogue de Lucien, mis en Vers par Mr l’Abbé Jacquelot, sur ce qu’une grande Renommée vaut mieux qu’un magnifique Tombeau.

DIOGENE, MAUSOLE.

DIOGENE.

Mausole, d’où te vient l’orgueil qui te possede ?
Tu veux que parmy nous tout le monde te cede.

MAUSOLE.

De la Carie entiere on sçait que j’estois Roy,
C’est de moy qu’en Lydie on recevoit la Loy ;
Plus d’une Isle se vit par mon bras asservie,
Je pris Milet d’assaut, ravageay l’Ionie.
Un air fier, un air grand relevoit mes appas,
J’estois né pour l’amour, comme pour les combats ;
Mais le plus bel endroit où ma gloire se fonde,
C’est mon fameux Tombeau, la merveille du monde.
Pour la matiere & l’art rien n’est si précieux,
Ny les Palais des Rois, ny les Temples des Dieux,
Et sous une si riche & noble architecture,
Un peu d’orgueil sied bien jusqu’en la sepulture.

DIOGENE.

Voicy donc tes raisons, ta valeur, ta beauté,
Ton Empire, & sur tout ton Tombeau si vanté ?

MAUSOLE.

Ouy, voila mes raisons.

DIOGENE.

O mon pauvre Mausole,
Peux-tu dans ce lieu sombre avoir l’ame si folle ?
Il ne te reste plus de forces, ny d’attraits.
Qu’un Juge, si tu veux, examine nos traits,
De ton crane & du mien quelle est la difference ?
Tous deux nous sommes laids, mais laids à toute outrance,
Sans narines, sans yeux, nous allongeons les dents.
Mais quoy, ton Mausolée étonne les passans !
Que l’Univers l’admire avec Halicarnasse,
Ce n’est pour t’opprimer qu’une pesante masse.

MAUSOLE.

Tout cela n’est donc rien, & nous sommes égaux ?

DIOGENE.

Ne le croy pas ; pour toy, je prevois mille maux
Du souvenir cruel de tes frêles delices,
Tandis que je riray de tes justes supplices.
Artemise qui fut ton Epouse & ta Sœur,
D’un superbe Tombeau t’a rendu possesseur ;
Et moy, qui sceus d’un Muid jadis me faire un Louvre,
Je ne m’informe point si la terre me couvre.
Pour dire plus enfin ; ton Tombeau doit perir,
Et mon nom glorieux ne peut jamais mourir.

Voicy une Epigramme du mesme Auteur, que vous trouverez agreablement imitée de celle du premier Livre de Martial, qui commence par, Garris in aurem.

 Paul nous dit bon jour en secret,
 Et dit toujours, tant est discret,
 Parlons bas, on peut nous entendre.
 Des humains le plus importun,
 A l’oreille il vient nous apprendre
 Ce que prône le bruit commun ;
 Mesme il vient vous dire à l’oreille
Que du vaste Univers LOUIS est la merveille.

La Beauce, Elégie §

Mercure galant, septembre 1692 [tome 12], p. 193-202.

Vous ne serez pas fâchée de voir quels sont les sentimens de tous ceux du Diocese de Chartres touchant l’Illustre Prelat qui leur a esté donné, & que vous avez connu sous le nom de Mr l’Abbé Desmarais, qui s’étoit retiré à S. Cyr. Je vous ay parlé dans d’autres Lettres de ses grandes qualitez, & je ne sçaurois douter que vous n’en voyiez avec plaisir une nouvelle peinture dans l’Elegie que je vous envoye. Elle est de la composition de Mr Danchet.

LA BEAUCE.
ELEGIE.

D’un funeste cyprés tristement couronnée,
A mes ennuis mortels en proye abandonnée,
Je pleurois mon Pasteur que la Parque en couroux,
Enlevoit aux dépens de mes vœux les plus doux.
Mon cœur estoit atteint de la douleur amere,
Qu’une Fille ressent à la mort de son Pere.
Eh ! n’éprouvois-je pas un semblable malheur,
Ne me servoit-il pas de Pere & de Pasteur ?
Mes yeux à tous momens estoient ouverts aux larmes,
Mes plus aimables lieux avoient perdu leurs charmes.
 Je m’en prenois au sort, & m’affligeois toujours,
De mes vives douleurs rien n’arrêtoit le cours.
O Ciel ! de mes regrets témoin impitoyable,
Disois-je, quel forfait m’a pû rendre coupable ?
Les vœux que je faisois vous ont-ils irrité ?
Rendez-moy le Pasteur que vous m’avez ôté,
Vous n’avez pû souffrir le bonheur de ma vie.
J’ay perdu mon Prélat, ma gloire m’est ravie.
Si la vertu pouvoit empêcher de perir,
Il estoit digne, helas ! de ne jamais mourir.
De la juste douleur dont je suis possedée,
Quel Successeur pourra détourner mon idée ?
Mais LOUIS devenu sensible à mes malheurs,
A calmé mes ennuis, a desseché mes pleurs ;
Il arrache au repos d’une sainte retraite
Un digne Successeur, dont la vertu parfaite
Vouloit s’ensevelir dans un lieu retiré,
Où de l’Amour divin ce Prelat penetré,
Animé du beau feu d’une foy pure & vive,
Joüissoit des douceurs de la vie unitive.
Mais inutilement il se vouloit cacher,
LOUIS l’a découvert, il l’est allé chercher,
Et par un juste choix à nos souhaits propice,
Luy fait voir qu’au merite il sçait rendre justice.
Quoy que l’illustre sang de ses nobles Ayeux
Le pust faire monter à ce rang glorieux,
Sur tous ses Concurrens il a la préference,
C’est la seule vertu que Loüis récompense.
Dans les murs de Saint-Cyr reglé par sa vertu,
De ses Habits sacrez on le voit revestu.
Il s’appreste à venir couronner nostre joye.
Meritons le bonheur que le Ciel nous envoye.
Comme on voit une Vigne en un secret vallon,
A l’aide d’un Ormeau méprisant l’Aquilon,
Porter superbement ses branches dans la nuë,
Ainsi de mon Prelat ma gloire soutenuë,
Croistra de jour en jour au mépris de l’erreur,
Et de mes Ennemis bravera la fureur ;
Je conçois de son nom un fortuné présage,
De ma felicité son merite est le gage.
De ses discours touchans les lâches cœurs frapez,
Du soin de leur salut seront plus occupez,
Et rallumant les feux d’une foy presque éteinte,
Il leur inspirera l’amour avec la crainte.
Il va leur découvrir par ses rares vertus,
Du celeste sejour les sentiers peu battus.
Les conduisant luy-mesme au milieu des orages,
Il les garantira des funestes naufrages.
Ils peuvent à ce Guide abandonner leur sort.
Le Vaisseau sans peril est seur d’aller au port.
Ceux qu’un amour impur captive dans ses chaînes,
Trembleront au recit des infernales peines,
Et voyant leur Pasteur brûler d’un saint amour,
Ils voudront commencer d’en brûler à leur tour.
Ce Furieux qu’irrite une legere offense,
Que flate dans son cœur l’espoir de sa vangeance,
Le voyant aux genoux de ses fiers Ennemis.
Pleurera le malheur où ses transports l’ont mis.
Le Pauvre en sa cabane où le destin l’accable,
Attendra sans se plaindre un secours charitable.
Le Riche en son Palais au comble du bonheur,
Conservera toujours la pauvreté du cœur.
De toutes les vertus c’est le parfait modelle.
On vole en l’imitant à la Gloire Eternelle.
Heureuse de joüir d’un bien si precieux
Mon cœur n’aspire plus qu’à le voir en ces lieux.
Momens, qui prolongez trop long-temps son absence,
Que vous paroissez longs à mon impatience !
Déja mes Habitans courent de tous costez
Et témoignent l’ardeur dont ils sont transportez.
Ciel, de nostre destin ne troublez pas les charmes.
Et ne nous causez plus de funestes alarmes.
Protegez ce Prelat, comblez-le de vos biens,
Retranchez de nos jours pour prolonger les siens.

Sur la mort de Mr Brulart §

Mercure galant, septembre 1692 [tome 12], p. 208-213.

Les Vers que je vous envoye sur la mort de Mr Brulart premier President au Parlement de Bourgogne, vous feront connoître combien il estoit aimé & estimé dans cette Province.

SUR LA MORT
De Mr Brulart, Premier President de Dijon.
IDILLE.

Quel son triste & fatal vient de fraper les airs ?
Helas ! est-ce vous que je perds ?
 Brulart, la Parque inexorable
Vient-elle de trancher des jours si précieux,
 Et la terre trop miserable
Est-elle enfin reduite à vous ceder aux Cieux ?
***
Ah ! je n’en doute plus ; les vertus éplorées,
 Par vous constamment honorées,
Me le disent assez par leur abattement.
 La Justice en ce dur moment
De ses tremblantes mains voit tomber la balance ;
 On implore en vain son pouvoir,
Elle n’écoute point les cris de l’innocence,
Et semble en cet instant oublier son devoir.
***
 La Pieté sa Sœur, triste, mais plus constante,
 Prosternée au pied des Autels,
 Prioit en vain les Immortels
 Pour vostre santé languissante.
 Elle connoist que ses efforts
Ne peuvent ranimer les debiles ressorts
 D’une machine chancelante,
 Les Arrests du Ciel sont trop forts.
Par de profonds soupirs qu’un zele ardent enflâme,
Les vœux qu’elle faisoit pour le salut du corps,
 Sont donnez au salut de l’ame.
***
 Vers elle je vois dans ces lieux
D’un pas ferme avancer l’intrepide Constance.
 Sur son front paroist l’assurance,
Elle veut imiter les instans glorieux,
Et la sage fierté de vos derniers adieux,
Mais bien-tost d’elle-mesme elle n’est plus maistresse,
 Et cede enfin à sa tendresse.
Ses yeux remplis de pleurs sont couverts de sa main ;
Mais tandis qu’elle veut nous cacher sa foiblesse,
 Ses larmes inondent son sein.
***
Peut-on representer l’affliction extrême
  De toutes les autres Vertus ?
Quand on voit succomber la Constance elle-mesme,
 Quels cœurs ne sont point abattus !
 Prés de vostre Epouse fidelle
Toutes courent remplir un trop juste devoir,
 Et retenir son desespoir.
 Sans leur secours que feroit elle ?
***
Leurs soins toujours actifs l’arrachent au trépas,
Mais sa vive douleur ne se modere pas ;
Elle semble au contraire estre plus violente.
Quels pleurs & quels sanglots ! quelle plainte touchante !
Mais en vain ses soupirs voudroient vous rappeller,
En d’éternels ennuis elle se voit plongée.
 O Ciel, qui l’avez affligée,
 Vous pouvez seul la consoler.
***
Vous, tendres rejettons d’une union si belle,
 Enfans d’un si pur sang produits,
Meditez vostre Pere & les jours & les nuits,
 C’est pour vous un parfait modelle,
Tous vos pas seront seurs par ce Guide conduits.
 Il vous dira que la noblesse,
Que ce que la fortune a de pompeux dehors,
 Que les grandeurs, que la richesse
 Ne sont rien au prix des tresors
 Que donne l’exacte sagesse.
***
 Et pour vous, ô grande Ame, accordez-moy l’honneur,
 De vous rendre encor cet hommage.
A distinguer ma voix dans ce commun malheur,
 La reconnoissance m’engage.
 Mes Vers n’ont pas la vanité
De pretendre passer à la posterité,
 Et de servir à vostre gloire.
Les belles actions d’un Heros si vanté,
Sans le foible secours des Filles de Memoire,
Vous répondent assez de l’immortalité.

[Vers pour le jour de la Naissance du Roy] §

Mercure galant, septembre 1692 [tome 12], p. 214-218.

Il n’y a point de jour que l’on doive celebrer avec plus d’ardeur que celuy de la naissance du Roy qui arrive tous les ans le 5. de ce mois. C’est un devoir dont Mademoiselle l’Heritier de Villandon s’est acquittée par ces Vers. Je vous ay déja parlé du merite de cette Demoiselle, qui est estimée de beaucoup de Personnes de qualité, & qui joint à une grande vertu un sçavoir peu ordinaire.

POUR LE JOUR
de la Naissance du Roy.

Rassemblez aujourd’huy les plaisirs & les jeux.
Qu’en ces célébres murs on allume des feux,
 Et que tout le Peuple y déploye
Les vifs & doux transports d’une éclatante joye.
 France, c’est dans cet heureux jour
 Que Louis receut la lumiere.
Si tost qu’il commença son auguste carriere,
Il fut de tous les cœurs & l’espoir & l’amour,
 Mais de quelque vaste esperance
Qu’il ait pû nous combler dans son aimable enfance
Il la surpasse bien encor.
Toûjours à la vertu propice,
Par sa bonté, par sa justice,
Il ramene le Siecle d’or.
***
Son regne est un tissu de surprenans miracles ;
 En vain les folles unions
 De cent jalouses Nations
 Prétendoient luy servir d’obstacles ;
Il donne à l’Univers les merveilleux spectacles
 De mille augustes actions.
En vain l’Usurpateur qui fit naistre la Ligue,
Oppose à ce Vainqueur & la force & la brigue.
 Nostre grand Roy seul contre tous,
Accable ce Tyran par d’intrepides coups.
Nous verrons sous leur poids succomber un perfide,
Il a déja senti d’assez rudes revers.
Nostre vaillant Heros, à l’exemple d’Alcide,
De Monstres odieux veut purger l’Univers.
La prise de Namur, le Combat de Tubize
En ont presque achevé la fameuse entreprise ;
Mais tandis que Louis, remplissant ses projets,
Fait ressentir par tout le pouvoir de ses armes,
Il empesche que Mars & ses tristes allarmes
 Ne viennent troubler ses Sujets.
 Nous le voyons montrer sans cesse
Aux Peuples fortunez qui vivent sous ses loix
 Que leur bonheur seul l’interesse,
Et qu’il est le plus grand & le meilleur des Rois.
***
Celebrons donc le jour où le Ciel à la Terre
 A fait present de ce Heros,
Aussi sage au milieu des horreurs de la guerre
Qu’occupé noblement dans le sein du repos.
Prions pour luy le Ciel d’une ardeur vive & pure.
Ah ! s’il veut nous donner un bonheur assuré,
Qu’il fasse seulement (propice à la Nature)
Que de Louis le Grand, le charmant regne dure
 Encore plus qu’il n’a duré.

[Histoire] §

Mercure galant, septembre 1692 [tome 12], p. 238-263.

Les belles personnes ne sont pas toûjours les plus aimables, & ce que je vais vous dire vous convaincra qu’il est quelquefois dangereux pour elles de se prévaloir trop de cet avantage. Un Cavalier assez délicat dans ses sentimens, & fort estimé par son esprit & par sa naissance, s’estant un jour rencontré à l’Opera auprés d’une jeune blonde dont les yeux estoient fort vifs, fut comme éblouy tout à coup de sa beauté. Il la regarda attentivement, & les évenemens de la Piece qu’on representoit luy donnant sujet de l’entretenir, il s’y attacha d’une maniere qui fit connoistre à la Belle les impressions qu’elle faisoit sur son cœur. C’estoit un de ces visages que l’on peut dire avoir esté faits au tour. Elle avoit le teint uny, & d’un éclat à surprendre, & le brillant répondoit à la regularité des traits. Il ne se passa rien dans tout l’Opera qui ne leur fournist quelque matiere de dire des choses agreables, & jamais temps ne coula si viste. La Belle se fit un plaisir de paroistre aimable au Cavalier, & le Cavalier ceda malgré luy au charme qui l’entraisnoit. Avant que de la quitter il sceut qu’elle demeuroit avec une Tante, qui prenant soin de la divertir l’avoit amenée à l’Opera. Il les conduisit à leur Carrosse, & ayant obtenu permission de les voir chez elles, il y alla dés le lendemain. La Belle de son costé, qui le vit parler à quelques personnes qu’elle connoissoit, fut informée de son nom, & le receut comme un homme qui ne pouvoit que luy faire honneur par ses visites. Elle eut pour luy des airs d’agrément, & de complaisance, qui le rendirent en fort peu de temps le plus amoureux de tous les hommes. La Belle n’avoit qu’à se ménager pour assujettir entierement le Cavalier à ses volontez. Le party estoit tres-avantageux pour elle, & elle avoit une Amie qui luy donnoit là-dessus de fort bons conseils. C’estoit une Fille d’un fort grand merite, & qui par la bonté de son cœur, & par la droiture de ses sentimens l’emportoit sur la pluspart des personnes de son Sexe ; mais elle avoit un defaut qui s’opposoit à l’estime que l’on auroit euë pour ses belles qualitez, si on eust voulu les examiner. Elle estoit fort laide, & cette laideur, causée en partie par la petite Verole qui l’avoit fort maltraitée, empêchoit qu’on n’eust envie de s’attacher à connoistre ce qu’elle valoit. Le Cavalier qui les rencontroit fort souvent ensemble, disoit à la Belle en plaisantant, aprés qu’elle estoit partie, qu’elle avoit grand tort de se défier de sa beauté ; que les avantages qu’elle avoit receus de la Nature estoient assez grands pour n’avoir pas besoin d’estre relevez par une opposition si desagreable, & qu’en leur donnant un semblable relief, elle oublioit qu’elle ne laissoit goûter qu’à demy l’extrême plaisir qu’il y avoit à la voir. La Belle luy répondoit sur le mesme ton, que quand on avoit quelque agrément capable de plaire, on estoit contraint de se retrancher sur quelque laide personne, si on vouloit avoir une Amie, parce que la jalousie estoit si commune entre toutes celles qui se piquoient de beauté, qu’elles alloient quelquefois jusqu’à la haine, ce qui les portoit le plus souvent à se déchirer les unes les autres. Cependant le Cavalier n’avoit jamais à souffrir long-temps de la veuë de son Amie. Comme il se contentoit de la saluër en arrivant, elle se retiroit presque aussitost de la même sorte, sans se vouloir mettre de leur conversation, & il se faisoit un petit triomphe de ce qu’il voyoit que sa presence l’obligeoit à fuir. Si le plaisir qu’il sentoit à estre auprés de la Belle n’estoit point troublé de ce costé-là, il eut d’autres peines qui luy furent plus sensibles. Elle ne se fut pas plûtost apperceuë de l’entier pouvoir qu’elle avoit sur luy, que cessant de se contraindre, & negligeant les avis de son Amie, elle n’eut plus aucun soin de déguiser les defauts qui luy estoient naturels. C’estoit la personne du monde la plus inégale, & qui s’abandonnoit le plus au caprice. Le Cavalier estoit quelquefois surpris de la trouver dans une froideur pour luy qui approchoit de l’indifference ; & quand il luy demandoit en quoy il pouvoit luy avoit déplu, elle luy répondoit d’un ton aigre, qu’elle ne comprenoit pas pourquoy il vouloit se plaindre d’elle, puis qu’elle agissoit toujours de la mesme sorte, & que si cela luy paroissoit autrement, il falloit qu’il eust quelque chose dans la teste qui le dérangeoit, & dont elle n’avoir pas envie de se rendre responsable. Un procedé si bizarre ayant obligé le Cavalier à la vouloir mieux connoistre avant que d’aller plus loin sur les propositions de mariage qu’il avoir déja commencé à faire, il luy fut aisé de remarquer qu’il n’y avoit rien de reglé dans son esprit, & que la beauté de son visage luy faisoit prendre un orgueil mal digeré qui luy laissoit croire que tout luy devoit estre permis. Pendant ce temps, un jeune étourdy luy rendit quelques devoirs, & le plaisir qu’elle eut de s’entendre dire des douceurs par une nouvelle bouche, le fit recevoir assez agréablement. Le Cavalier se plaignit à elle des visites trop assiduës qu’elle luy souffroit, & la Belle persuadée qu’il y alloit de ses avantages de l’accoutumer à la laisser maistresse de ses volontez, luy dit fierement que le commerce des honnestes gens n’avoit jamais esté défendu, & qu’elle ne croyoit pas qu’il la voulust épouser pour l’assujettir à ne voir personne. Des réponses si contraires à ce qu’il pouvoit attendre d’elle, luy firent connoistre qu’il risquoit beaucoup s’il s’obstinoit dans sa passion. Il se fit un combat fort violent dans son ame, & pour calmer l’agitation qu’il y sentit, il alla chez son Amie, & luy expliqua tous ses chagrins, en luy avoüant que ses manieres luy donnoient un tel dégoust, qu’il ne sçavoit pas si tout l’amour qu’il avoit pour elle, seroit assez fort pour l’emporter sur ce que l’inégalité de son humeur luy faisoit craindre. Son Amie, sage & judicieuse, luy representa toutes les raisons qui le devoient engager à ne pas rompre l’engagement où il se trouvoit. Elle luy fit voir qu’il estoit fort naturel à une jeune personne, flatée, & par sa beauté, & par les douceurs qu’on luy disoit, de n’estre pas toujours sur ses gardes pour observer s’il n’entroit point un peu de présomption dans les sentimens qu’elle avoit de son merite, qu’il falloit toujours luy pardonner quelque chose en faveur des avantages dont la nature avoit pris plaisir à la combler, mais qu’aprés tout elle répondoit du cœur de la Belle qu’elle sçavoit estre tout à luy, & qu’il verroit le profit qu’elle tireroit de ses leçons, quand il seroit tout à fait en droit de luy en donner. Elle parla avec une éloquence admirable, & en prenant le party de son Amie, elle affoiblit avec tant d’adresse les sujets qu’il croyoit avoir de n’en estre pas content, qu’aprés un entretien de deux heures, il sortit plus affermy que jamais dans le dessein de l’aimer toujours. Cependant elle crut ne pouvoit servir plus utilement la Belle qu’en luy rendant compte de ce qui s’estoit passé. Ce qu’elle luy dit fut accompagné de remontrances sur ce qu’elle hazardoit à manquer de complaisance pour le Cavalier, que trop de fierté pouvoit rebuter, & de qui la jalousie estoit obligeante, puis que l’ombre d’un Rival alarmoit toujours quand on aimoit veritablement. La Belle luy répondit qu’elle prenoit des inquietudes inutiles ; que le Cavalier estoit trop bien pris pour pouvoir rompre ses chaînes ; qu’il estoit-bon de mettre les choses sur un certain pied, dont on pust tirer ses avantages, & que trop de complaisance ne pouvoit servir qu’à gaster les hommes. Pleine de ces sentimens que sa vanité luy inspiroit, non seulement elle negligea de se corriger de ses defauts, mais ne diminuant rien de ses fantaisies bizarres, elle plaisanta le Cavalier sur le regale qu’il s’estoit donné par sa visite, en contemplant à loisir les laideurs de son Amie. La plaisanterie fut poussée si loin, qu’il ne put enfin s’empêcher de dire, que si son Amie n’estoit pas belle, elle réparoit avec beaucoup d’avantage par une humeur douce & par un esprit solide, l’injustice que la nature luy avoit faite, & que c’estoit peu de chose que les yeux ne fussent pas tout-à fait contens quand on estoit auprés d’elle, puis que l’agrément de sa conversation, & la beauté de son ame avoient de quoy suppléer à ce qui manquoit à leur plaisir. Comme ces loüanges étoient autant de reproches pour la Belle, qui estoit bien éloignée de luy ressembler par l’humeur & par l’esprit, elle s’en fit une offense qu’elle sentit vivement, de sorte que son Amie, à qui le Cavalier estoit allé faire de nouvelles plaintes, estant venuë l’avertir une autre fois du peril qu’elle couroit de le perdre par son obstination à le chagriner, elle la menaça fierement de rompre avec elle, si elle continuoit à recevoir ses visites. Le Cavalier, qui luy ayant reconnu un merite singulier, prenoit plaisir à l’entretenir, ne manqua pas de luy en rendre encore une peu de jours aprés, & fut fort surpris de la priere qu’elle luy fit de ne la plus voir, parce que c’estoit la broüiller avec la Belle, à qui elle ne vouloit point donner sujet, s’ils avoient ensemble quelque differend, de l’accuser d’en estre la cause. Elle ajousta que quelque grand qu’il pust estre, l’amour prendroit soin de le terminer, & qu’il n’y avoit aucune necessité qu’elle se meslast plus long temps de leurs affaires. Le Cavalier répondit que malgré les deffenses de la Belle, il la verroit comme il avoit commencé, & que si les marques d’estime qu’il estoit ravy de luy donner, luy faisoient perdre une Amie, il luy offroit en luy un Amy parfait qui pourroit luy donner lieu de ne la pas regretter. Les instances qu’elle fit pour l’obliger à suspendre jusqu’aprés son mariage les témoignages d’amitié dont il la flatoit, furent inutiles. Il s’obstina à la voir, & luy fit toûjours paroistre un grand dégoust pour la Belle, en faveur de qui elle ne cessa de luy parler. Cette intelligence qui ne pouvoit aller qu’à son avantage, la blessa mortellement & non-seulement elle traita son Amie avec beaucoup de froideur, mais elle railla le Cavalier sur son bon goût, en luy disant qu’elle voyoit bien qu’il avoit pris de l’amour pour cette Amie, & qu’elle ne pouvoit que luy applaudir d’avoir eu d’assez bons yeux pour faire un si digne choix. Toutes ces choses ne firent qu’aigrir le Cavalier, qui admirant tous les jours de plus en plus la droite raison de cette Fille, & l’égalité qu’elle avoit en tout, en fut enfin tellement touché qu’il crut qu’ayant à prendre un engagement qui devoit durer toute sa vie, il ne pouvoit rien faire de mieux que de l’épouser. Insensiblement il s’estoit accoûtumé à sa laideur qui ne luy paroissoit plus avoir rien de dégoutant. Elle avoit la taille fine, la gorge belle, de belles mains, de beaux bras, & ce qui estoit beaucoup plus considerable, il ne luy manquoit rien du costé de l’ame de ce qui pouvoit rendre un homme heureux. Ainsi il luy declara la pensée où il estoit & elle en fut si surprise que l’imputant à un desir de vangeance mal examiné, & qui seroit infailliblement suivy d’un prompt repentir, elle le pria de considerer la difference qu’il y avoit d’elle à la charmante personne qu’il vouloit quitter. Il l’asseura qu’il avoit fait de longues reflexions sur ce qu’il luy proposoit & que c’estoit aprés un serieux examen, & sans nul dessein de se vanger, qu’il en vouloit à son cœur. Il eut beau pourtant luy donner cette asseurance, elle demanda un mois pour luy répondre, & voulut pendant ce temps qu’il s’éprouvast auprés de la Belle afin de voir si ses charmes ne le rappelleroient point. C’estoit beaucoup hazarder, & une autre qu’elle eust pressé les choses au lieu de les reculer. Une conduite si sage redoublant l’estime du Cavalier, il ne cacha point ce qu’il avoit resolu de faire, & la Belle écouta d’abord l’avis qu’on luy en donna comme une plaisanterie qui ne devoit point luy causer d’alarmes ; mais quand elle apprit avec certitude que le Mariage étoit arresté, le chagrin de voir qu’une aussi laide personne que son Amie eust esté capable de la supplanter, luy fit tout mettre en usage pour se garantir de cette espece d’affront. Elle offrit au Cavalier de bannir tous ceux qui luy déplairoient, & d’étudier si bien tout ce qui pourroit luy faire plaisir, que ses sentimens regleroient toûjours les siens, mais il fut inexorable. Il voyoit trop bien qu’elle ne vouloit que le dérober à son Amie, & le solide l’emporta sur le brillant. Le Mariage se fit, & trois jours auparavant, la Belle qui ne pouvoit soûtenir ce qu’on luy disoit de tous costez, alla s’enfermer dans un Convent. Quelques-uns veulent que son dessein soit de s’y consacrer à Dieu, mais elle est trop inégale pour prendre avec force une résolution de cette nature.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1692 [tome 12], p. 282-283.

Au lieu d'une Médaille sur quelque action du Roy, comme je vous en envoye ordinairement, vous n'aurez aujourd'huy que quelques Vers mis en Musique à la loüange de ce grand Monarque.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Retirez vous, &c. pag. 282.
Retirez vous, Tirans, qui nourrissez la guerre,
Cedez à la valeur du plus puissant des Rois.
Loüis dont le Ciel a fait choix
Sera toujours l'Arbitre de la Terre.
Il fait tout ce qu'il veut, ses foudres sont ses loix.
Que n'a-t il pas soûmis à l'Empire François ?
A ce grand Conquerant il n'est rien d'impossible.
Son courage est invincible,
Dans les combats il est terrible,
Il reduit la Flandre aux abois.
Il est ardent, il est penible.
Ses Ennemis vaincus admirent ses exploits.
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Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1692 [tome 12], p. 334-336.

Ce qui est fait à la loüange du Roy ne lasse jamais, puïsqu'il n'y a point d'éloges qu'il ne merite. Ainsi vous ne serez pas fâchée d'avoir encore à chanter les Vers qui suivent pour vous réjoüir avec tous les François, des avantages de ce grand Monarque.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Lors que Louis, &c. pag. 335.
Lors que Loüis est en couroux,
Tout cede au pouvoir de ses armes.
Vous qui luy resistez de sa gloire jaloux,
Princes liguez, craignez ses coups ;
Il jette dans les cœurs de mortelles allarmes.
Vos Sujets qui versent des larmes,
Forcez de suivre Mars, murmurent contre vous.
François, réjoüissons nous.
Sous Loüis le Grand, la France
Joüit d'un repos bien doux.
François, réjoüissons nous.
Namur dans l'obeïssance
Publie en ce jour sa puissance.
Le plus grand des Heros triomphe seul de tous ;
François, réjouissons nous.
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