Mercure galant, novembre 1692 [tome 14].
Mercure galant, novembre 1692 [tome 14]. §
[Ode de Mr l’Abbé de Maumenet] §
Je passe à l’Eloge d’un Prince qui a fait connoistre dés sa premiere Campagne, qu’il seroit un jour un des plus fermes appuis de l’Etat, & de la veritable Religion, qui reçoit aujourd’huy de si sensibles coups de tant de Princes Catholiques. Cet Eloge est de Mr l’Abbé de Maumenet, dont je vous ay parlé plusieurs fois à l’occasion des Prix qu’il a remportez en diverses Academies. Il est adressé à son Altesse Royale Madame, sur le retour de Monsieur le Duc de Chartres.
ODE.
Il revient, Auguste Princesse,Ce Fils si digne d’estre aimé,Et vostre cœur, plein de tendresse,Pour ses jours n’est plus alarmé.Le Dieu qui préside aux Batailles,Et qui parmy les funeraillesSoutient le bras de nos Guerriers,A pris soin de sa destinée,Et deux fois en moins d’une annéeA couvert son front de Lauriers.***Ah ! que cette ardeur magnanime,Qu’écoute trop son jeune cœur,En luy meritant vostre estime,Remplit vostre ame de frayeur !En vain dans leur habit de gloire,Vous vîtes Mars & la VictoireFlater son espoir & vos vœux ;L’amour, les yeux baignez de larmes,Pût-il vous cacher les alarmesD’un choc terrible & dangereux ?***Il y paroist, ce jeune Alcide,Et plein d’un genereux transport,Il vole où le plomb homicide,Porte le desordre & la mort.Sous un nuage de fumée,Qu’éleve la poudre enflammée,Bellone le cache à mes yeux,Et dans cette horrible tempeste,Ce Grand Prince que rien n’arrête,Voit couler son sang glorieux,***Toutefois la noble assuranceQui le retient au Champ de Mars,Sollicite encor sa vaillanceA chercher de nouveaux hazars.Semblable aux Heros de sa Race,Il veut qu’à sa guerriere audaceCedent tous les droits de son Sang,Et que l’éclat qui l’environne,Se doive plus à sa Personne,Qu’à la Noblesse de son rang.***Tu vas répondre à son courage,Belge. L’acier étincelant,Ce triste artisan du carnage,Succede au feu du plomb volant.Que te sert-il que ton adresseAit à la flamme vangeresseOpposé cent mobiles Forts ? *Quand du fer nos Troupes armées,A triompher sont animées,Qui peut arrêter leurs efforts ?***Soutenu de sa ferme audace,Mon Heros toujours indomté,N’oppose au coup qui le menaceQue sa seule intrepiditéLà Soldat, icy Capitaine ;Par-tout où sa valeur l’entraîne,On connoist sa teste & son bras,Et par-tout un si bel exemplePorte celuy qui le contemple,A braver l’horreur du trépas.***C’est trop contenter son envie,Déesse dont il suit les Loix,Gloire, exposer sa belle vie,C’est troubler le plus grand des Rois.Ah ! si la Parque impitoyableOsoit ravir ce Prince aimableAu milieu d’un sanglant combat,Quelle palme à nos yeux offerte,Pourroit jamais payer la perteD’un Prince si cher à l’Etat ?Tu m’entens, & ta main propiceBien-tost d’un Laurier immortelVa couronner dans cette Lice,Le Fils du Heros de Cassel.Jusqu’icy la Fortune égale,Dans une balance fatale,Tenoit ses faveurs en suspens ;Mais de nos Princes redoutablesLes Vertus, les Faits incroyables,Fixent le sort des Combattans.***C’en est fait. Ce Tyran habileQui se flatoit d’un vain projet,De son esperance inutileN’a que la honte & le regret.Luxembourg qu’il croyoit surprendre :Peu satisfait de se défendre,Poursuit ses Bataillons rompus ;Et leur vangeance dissipéeRedoute encor la mesme Epée,Qui les confondit à Fleurus.Content d’une gloire si belle,CHARTRES, de Lauriers couronné,Mêle à ta Guirlande immortelleLe Myrthe qui t’est destiné.Une Epouse pleine de charmes,Te prépare aprés mille alarmes,Un cœur charmé de ton retour,Un cœur, dont la douce victoireVaut les Triomphes que la gloireT’offre dans un autre sejour.***1Et Vous, genereuse Princesse,A qui nous devons ce Heros,Qui dés sa plus tendre jeunesseQuitte les douceurs du repos ;Vous, de qui l’ame magnanimeA de la gloire qui l’animeFormé les plus beaux sentimens,Goûtez les fruits de vostre ouvrage,Et ressentez aprés l’orageCe que le calme a d’agrémens.Déja nos plus sçavans Orphées,Rassemblant icy les beaux Arts,Luy dresseroient mille TrophéesDignes d’arrêter ses regards ;Mais ils n’osent suivre leur zele.Par une image trop fidelle,Ils pourroient enflammer son cœur,Et ce Heros cher à la FranceN’a, dans sa noble impatience,Que trop écouté sa valeur.
[Histoire envoyée à l’Auteur du Mercure] §
On voit naistre des Hommes illustres dans tous les climats. L’Isle de Carantia, toute farouche qu’elle est, a produit le fameux Astrologue, dont je décris l’avanture ; je n’y ajoûte rien. Voicy ce qu’il en a laissé luy-même à une Dame de qualité qui n’est pas fort éloignée de Paris.
Je me trouvay du panchant pour l’Astrologie presque dés le berceau, & l’Etoile dont je suis marqué au front du jour de ma naissance, est sans doute un présage de l’instinct que je devois avoir pour la contemplation des Astres. Privé de mes parens dans une saison de la vie, où le cœur s’ouvre tout entier au plaisir, je resolus de traverser les Mers, de porter avec moy toute ma fortune, & de chercher les plus habiles Astronomes dans les quatre Parties du Monde. Comme il y a prés de quarante-huit ans que l’Univers est ma Patrie, passant sans cesse de Royaume en Royaume, plusieurs Volumes ne suffiroient pas pour décrire toutes mes avantures. Je ne parleray donc que de la plus recente, pour satisfaire la charmante personne qui l’exige de moy. Aprés avoir veu tout ce qu’il y a de plus beau dans l’Asie, l’Amerique, & l’Afrique, je m’embarquay au Port de Tunis pour la France, que les Etrangers conviennent estre le plus agreable sejour de l’Europe. D’abord la navigation parut heureuse, mais dans le calme le plus tranquille, les vents furent irritez, le Ciel parut en feu, & la mer fut ébranlée. Lors que le Pilote s’abandonnoit au gré des flots, qu’on s’embrassoit les uns les autres, qu’on se disoit le dernier adieu, qu’on n’attendoit plus qu’un coup de mer pour estre précipité dans les abismes, le Vaisseau brisa contre un rocher à trois milles de Marseille. Je me sauvay sur une planche malgré l’orage, & me trouvay dans un lieu champestre, d’où j’apperceus de loin une maison assez propre. Ma disgrace dans cette occasion me fut une espece de privilege pour tout oser. Je tire des forces de ma foiblesse, je marche, je m’approche d’une avenuë, où je trouve une Beauté si charmante, que toute l’éloquence des Amans les plus polis auroit peine à l’exprimer. Pour moy, qui n’ay jamais rien entendu dans le mistere de l’amour, je l’avouë, rien ne m’a paru si accomply dans tous les climats du monde. Qui l’auroit cru, que ma destinée eust esté si heureuse ? Mais ce qui me toucha plus que tout le reste, ce fut la maniere honneste dont elle m’introduisit dans sa maison, donnant ses ordres pour m’y faire recevoir du soulagement dans tous les besoins où se trouve un malheureux nouvellement échapé du naufrage. Je fus mesme contraint d’y passer la nuit. Le matin, je m’informay du nom de cette aimable inconnuë, qui s’appelloit Cydippe, & je me disposois à continuer ma route, aprés luy avoir rendu mille actions de graces. Que je fus agréablement trompé dans mon projet ! Elle me pria avec instance de demeurer au moins huit jours pour me délasser un peu de mes fatigues, & m’ordonna de luy déclarer ma naissance, ma Patrie, & ma profession. Il est aisé de juger que je me soumis avec plaisir à des prieres si obligeantes, & à des loix si douces. Aprés que je luy eus témoigné que j’estois confus des bontez qu’elle avoit pour un Etranger, elle me conduisit dans un sombre boccage, où je ne pus me dispenser de luy décrire l’histoire de ma vie, telle que je viens de la dépeindre, en y ajoûtant des circonstances beaucoup plus propres à me faire connoistre. J’obeis à vos ordres, trop charmante Cydippe, luy dis-je, & je serois au comble de ma joye, si le portrait que je vais vous tracer estoit assez beau pour vous plaire.
Je suis né dans une Isle de la grande Tartarie, éloignée de plus de quatre mille lieuës de ce Royaume. Je m’appelle Theopiste, qui signifie immortel selon l’idiome de nostre langue. Mon Pere estoit souverain Sacrificateur du Soleil, car c’est le Dieu qu’on adore dans nos climats, mais avec tant de superstitions qu’on luy immole par un aveuglement bizarre, tous les Cadets des deux sexes. Comme j’estois l’aîné de cinq enfans, mon sort fut de vivre, & d’estre élevé dans le Vestibule du Temple avec beaucoup de de soin. Je m’appliquay dés ma plus tendre jeunesse à l’étude de l’Astrologie, & je fus assez heureux pour découvrir le faux de cette Divinité chimerique que j’adorois comme les autres. Ainsi à l’âge de quinze ans, je quittay ma Palme ne portant avec moy qu’une Ceinture de Diamans d’un grand prix, & resolu de voyager dans toute la Terre habitable pour y découvrir la veritable Religion, & pour apprendre les belles Lettres. J’oubliois de vous dire que j’estois déja plus idolâtre d’une jeune Beauté, que je ne l’estois du Soleil. Sans doute il s’en fallut peu que ses charmes ne me fissent changer de sentimens. Vous rougissez, trop aimable Cydippe, au seul nom d’amour, mais que vostre pudeur ne s’alarme point. Vous apprendrez bien-tost par la suite de mon histoire, que c’est la seule occasion où mon cœur s’est laissé vaincre aux appas des personnes de vôtre Sexe. L’étude a toujours esté ma passion dominante. J’ai fait tout le tour du monde, sans autre veuë que d’apprendre tout ce qu’un honneste homme doit souhaiter de sçavoir. Je choisissois dans la Capitale de chaque Empire les Maistres les plus éclairez, étudiant dans l’une la Philosophie des Sages, dans l’autre l’Histoire des Empereurs ; icy les plus beaux secrets de la Nature, & là, l’usage du monde le plus poly ; par tout, ce qu’il y a de plus exquis dans les Mathematiques, tous les rafinemens de la Geometrie, les subtilitez de l’Algebre, les élevations de l’Astronomie, la Sphere, & l’usage des Globes ; la Phisionomie, la Geomance, la Chiromance, & la Rouë de Pithagore, sans obmettre la Geographie, les Fortifications, la Musique, & la Poësie. Je n’ay pas aussi negligé les Langues qui m’ont paru les plus utiles, l’Hebraïque & la Syriaque, la Chaldaïque & la Grecque, l’Italienne & l’Espagnole, la Latine & la Françoise. Pour ce qui regarde la derniere, à laquelle je me suis fort attaché, comme elle est sujette au changement, peut-estre me manque-t-il beaucoup de cette politesse, qui en fait le principal agrément. Il y a déja quelques années que je l’appris d’un fameux Missionnaire de France, qui convertit à Ispaham un grand nombre de Persans à la Foy Catholique. C’est celuy que le Ciel m’avoit destiné pour me convertir moy-mesme. Il me fit voir par des argumens si plausibles qu’il y avoit un Dieu, Createur du Soleil & des Astres, de la Terre, & de tous les Estres, que ce Dieu s’estoit incarné dans le sein d’une Vierge, & tous les autres Misteres ; sur tout il me justifia si bien l’harmonie miraculeuse, & les admirables rapports de l’ancienne Loy avec la nouvelle, qu’il me fut aisé d’abjurer mes anciennes erreurs. Je m’appliquay ensuite à l’étude de l’Ecriture, de la Theologie, & des Peres avec assez de succés, pour attirer plusieurs Infidelles de diverses Provinces dans le party de la veritable Eglise.
Voilà, trop aimable Cydippe, l’abregé de l’histoire de ma vie. Si je me sers de paroles un peu tendres pour vous ouvrir mon cœur, n’en soyez pas surprise. Je connois déja vostre vertu, je lis dans vos yeux l’innocence de vos mœurs, & j’estime infiniment plus cette profonde sagesse, qui me paroist marquée sur vostre front, que cette ravissante beauté, qui doit passer en France pour un des plus rares chef-d’œuvres de la Nature. Aussi ne dois-je entreprendre que l’éloge de vostre merite caché, sans rien dire de ces avantages sensibles qui vous attirent par une heureuse necessité l’estime, l’admiration, & les cœurs de tout le monde. Mais comme il n’y a point de loüange comparable à celle d’en estre digne, vous devez l’attendre de la verité, & non pas de la flaterie. La flaterie est l’écueil de ceux qui ne regardent les choses qu’avec les yeux de l’ambition. Elle est la perte du genre humain ; toujours odieuse. Elle corrompt tout, & il y a autant de honte à l’employer, qu’il y a d’honneur à loüer les personnes qui ont un vray merite. Au reste, comme j’ay toujours passé pour un homme sincere dans mes tableaux, il est de mon interest de les rendre naturels & sans artifice. Entre tous les temperamens, le vostre est sans doute le plus heureux. Il est vif, sans emportement, complaisant sans foiblesse, noble sans fierté, intrepide sans ostentation regardant toujours les choses par l’endroit le plus doux dans les chagrins de la vie, perdant le souvenir de vos disgraces par la comparaison de celles des autres, & sçachant conserver dans la bonne fortune tout l’usage de vostre vertu. Il ne seroit pas necessaire de rien dire du caractere de vostre esprit, qui sçait naturellement bien penser & rencontrer d’abord ce qui ne vient aux autres que par de longues reflexions. Il est d’une vivacité fine, d’un discernement juste, d’une vaste capacité, d’une profonde érudition. Il suffiroit de vous entendre parler, pour admirer en vous cette douceur d’expression qui ne laisse rien languir, ce raffinement d’intelligence qu’on ne conçoit que dans la pureté du goust le plus exquis & le plus sain ; cette énergie de discours qui met les choses dans leur plus beau jour, & qui les fait penser noblement. Me seroit-il permis, trop aimable Cydippe, de mesurer vostre cœur par la portée de vostre esprit ? Il est tendre, mais il est pur ; il est grand, mais il est droit, toujours noble, toujours magnifique, toujours content, toujours fidelle, jamais alarmé, jamais vaincu. Il ne trouve point d’obstacle qu’il ne surmonte, de difficultez qu’il ne vainque, de peril qui l’épouvante. Il ne s’est jamais attaché qu’à un seul objet, il l’aime, & l’aimera toujours d’un amour innocent & chrestien, d’un amour sans partage, sans interest, sans foiblesse, sans imperfection. Par quel destin la plus belle ame qui fut jamais se trouve-t-elle donc aujourd’huy accablée de chagrins ? J’en connois la cause, je l’ay leuë cette nuit dans les Astres, & comme rien n’échape à mon Astrologie, j’ay remarqué avec douleur que vous estiez éloignée du cher objet de vos tendresses. Que j’ay de joye d’avoir esté contraint de demeurer avec vous, pour vous dire que le calme doit bien-tost succeder à l’orage !
Les chagrins d’un Amant sont dépeints dans vos yeux,Trop aimable Cydippe, on y voit la tristesseCombattre avec l’amour sans art & sans foiblesse.Consolez-vous, bien tost on calmera les Dieux.
Mais quoy, je suis interrompu ; j’apperçois quelqu’un à l’entrée du Boccage. Apparemment qu’on cherche à vous parler, souffrez que je me retire. Non, dit Cydippe, continuons nostre entretien. C’est une Parente avec un Frere & deux Sœurs qui m’accompagnent dans le triste sejour où vous m’avez trouvée, & quoy que je ne doute point que vous n’ayez déja connu le secret de ma douleur, je suis bien-aise de vous en faire moy-mesme la confidence.
Quoy que ne je sois pas du sang des Rois, ma naissance est des plus illustres, & ma fortune n’est pas moins avantageuse. Libre & maistresse de mes droits par la mort de mes proches, cette Parente que vous voyez m’éleva d’une maniere si noble, que je puis dire qu'elle me fit presque gouster la vertu avec le lait, n’attendant pas que ma raison fust entierement éveillée, pour me donner le premier ply de leur sagesse que je devois avoir au temps de ma force. Agée de seize ans, mille raisons de bienseance, & de justice, nous engagerent de donner entrée chez nous à un jeune Cavalier, sage, bienfait, riche, puissant, aimé, & enfin l’on remarquoit je ne sçay quoy d’honneste & d’heureux répandu dans toutes ses actions, qui gagne, & qui captive les cœurs.
Il faisoit éclatter aux yeux de tout le monde,Son esprit, sa douceur, sa sagesse profonde.
Certains interests qui nous estoient communs, nous ayant appellez à Paris, où nous avions même maison, même table, mêmes plaisirs, vous jugez assez, cher Theopiste, qu’il m’y donna mille preuves d’estime, de tendresse & d’attachement, mais d’une maniere si respectueuse que je ne pus m’empescher de l’aimer, sans trahir neantmoins les devoirs de la vertu.
Lors que je fus bien informéeQue j’estois tendrement aimée,Aprés avoir quelque tems resisté,Comme on le doit avant que de se rendre,D’un amour également tendreMon cœur l’aima de son costé.
Comme il vaquoit alors une Charge des plus considerables à la Cour, où son merite l’avoit déja fait connoistre, il en fut bien-tost revestu. La beauté de son esprit, sa profonde capacité, sa vigilance laborieuse, sa prudence consommée, ses tours insinuans, son air gracieux, ses manieres engageantes, en un mot, tout ce qui distingue les grands hommes, le fit bien-tost aimer du Prince, honorer des Courtisans, estimer de tout le monde. En effet, il est le charme inévitable des cœurs, le Ciel prodigue semble n’avoir versé tous ses tresors en son ame, & ce qui est beaucoup plus, c’est que j’en suis tendrement aimée. Je ne sçay, cher Theopiste, si vous ajoûterez foy à tout ce qui me reste à vous dire de nostre amour réciproque. Il y entre toute la vivacité, toute la tendresse qu’on se figure dans les Amans les plus heureux, mais tout y est si pur & si chaste, que nous vivons ensemble depuis dix ans, comme si nous estions de purs esprits, & peut-estre que la France auroit peine à laisser à la posterité l’exemple d’un amour mieux gouverné par la raison, & mieux reglé par la sagesse. Nous sommes si persuadez l’un & l’autre de la fermeté de nos chaisnes, que nous voyons indifferemment ce qu’il y a de plus aimable dans les deux Sexes, sans jamais former aucun soupçon de nostre mutuelle fidelité. Je suis de toutes les parties de divertissement, au Bal, à l’Opera, dans les Jeux, dans les Cercles, inventant de nouvelles manieres de réjoüir mes Amis, qui plaisent par le charme de la nouveauté, les recevant en foule pour les regaler avec un air de grandeur qui m’éleve beaucoup au dessus de ma condition. Je n’aurois garde de m’aplaudir ainsi moy mesme, si je n’avois dessein de vous faire comprendre que mon Amant me voit par là caressée, aimée de tout le monde, sans que rien puisse troubler cette charmante paix qui fait l’assaisonnement de tous mes plaisirs.
Mais que dis-je, Ay-je déja perdu le souvenir du déplorable état où vous me trouvez ? C’est ce Tirsis même que j’adore qui m’a releguée dans cette solitude champestre. Quelle estrange catastrophe pour moy ! Dans cette aimable saison où il partage à la Cour de Fontainebleau, tout ce qu’inspirent les délices & la joye, je me trouve ici seule sans autre consolation que celle de mes soupirs & de mes larmes. Ne me demandez point la cause de ma disgrace, je ne la connois pas, mon cœur ny ma raison ne me reprochent rien. Cependant il m’ordonne de me retirer, j’obeïs, & je pleure sur des chaînes que je ne puis rompre sans desespoir, car je l’aime toujours malgré les rigueurs de mon sort, soit qu’il m’appelle auprés de luy, ou qu’il m’ôte la vie. Mais quoy ? Puis je me plaindre de mon aimable Tirsis, aprés dix ans d’une fidelité à l’épreuve de tous les orages ? Auroit-il cessé de m’aimer ? Non, Thirsis, vous n’êtes pas l’auteur de la plus cruelle separation qui fut jamais, c’est l’Amour.
L’amour même jalouxDe voir sous son EmpireDeux jeunes cœurs unis par les nœuds les plus doux.Trouble nôtre repos, & cause mon martire.
C’est donc ce Dieu volage & libertin, ennemy de la vertu & de la sagesse, que j’accuse de la fatalité de ma destinée. Amour, impitoyable tiran, ne te flatte pas de surprendre mon cœur. Amour, corrupteur de l’innocence, n’interromps point le cours de mes soupirs. Je sens ma tendresse alarmée, & j’aime tout de Tirsis jusqu’à mes propres douleurs. Oüy Tirsis, je cheris mes maux, & je ne puis souffrir que tu les partages avec moy. Laisse dire à mes yeux le desespoir de mon cœur, je ne veux que les Forests pour témoins de mon martire, & il suffit que les rochers par leurs tristes échos repetent toutes mes douleurs.
Permettez moy, luy dis-je, de vous interrompre ici. Je l’avouë, trop aimable Cydippe, pendant que vous parliez, je n’ay pû m’empescher de m’attendrir, & j’ai meslé mes larmes avec les vostres, mais il est temps que la joye succede à la tristesse. J’ose vous assurer que vous reverrez bien-tost vostre cher Tirsis, avec plus d’agrément que jamais. Calmez vos craintes & vos frayeurs ; retirez-vous pour prendre quelque repos, tandis que j’iray chercher un Instrument d’Astrologie dont j’ay besoin, pour vous mieux expliquer dans la suite tout ce qui vous doit arriver sans en obmettre aucune circonstance. Je trouvay heureusement un Astrolabe, mais comme le Ciel estoit tout obscurcy de nuages sombres & grossiers, & qu’il estoit impossible de travailler, Cydippe me pria d’étudier la Physionomie d’Arnoul, d’Iris, & de Cleonice, son Frere, & ses deux Sœurs. Je me fis un vray plaisir de luy donner cette satisfaction, dans le temps mesme qu’elle me la demandoit. Arnoul, luy dis-je, chere Cydippe, trompera l’attente de son Gouverneur & de ses Maistres. Si ses premieres années ne promettent pas beaucoup pour les belles Lettres, semblable à ces fruits qui ne meurissent que lors que le Soleil les penetre de ses plus vives ardeurs, quand sa raison sera dévelopée de certains nuages qui l’obscurcissent, on le verra d’un goust exquis pour les sciences. Tous les traits de son visage sont heureux, & marquent qu’il portera bien loin la vivacité de son esprit. Il doit estre insinuant, doux, agreable, judicieux, n’ayant que des inclinations nobles, aimant à remplir ses devoirs, cherchant par tout le solide, & ne dégenerant jamais de la probité de ses Peres.
Iris est naturellement née spirituelle & judicieuse, prudente & moderée. Elle excellera en tout ce que doit sçavoir une Fille de sa qualité, la Danse, la Musique, les Instrumens, & ce qui merite beaucoup plus d’éloges, c’est que sa douceur, sa modestie, sa pieté la feront passer pour un prodige, capable d’attirer l’admiration des Sages, & d’irriter la jalousie des Libertins.
Cleonice, sa Cadette, aura plus de ce qui plaist aux esprits superficiels, qui jugent moins des choses par ce qu’elles sont, que par ce qu’elles paroissent. Ses manieres enjoüées & carressantes auront ce je ne sçay quoy qui se fait plus aimer que le serieux & le solide. Il sera beaucoup plus necessaire de la presser sur ses devoirs de Religion que les deux autres, de qui l’on peut dire qu’ils ont l’ame naturellement chrestienne. Cependant il est certain qu’elle est née avec un bon cœur, & sous une heureuse constellation, qu’elle fera une grosse fortune, non pas de celles qui naissent & qui viennent toutes seules, mais de celles que l’on seme, que l’on cultive, & qui naissent du mérite.
C’est à vous, aprés Dieu, chere Cydippe, qu’ils seront éternellement redevables de ces grands talens qui doivent servir de spectacle à la posterité. Ces rares exemples de vertu que vous leur donnez chaque jour, cette solide pieté qui les prévient sans cesse contre les folies du siecle, cette adresse à leur dire le mot du Seigneur, lors que le cœur est le plus ouvert à la joye, cette douce fermeté qui calme en eux les faillies d’une jeunesse naturellement impetueuse & sans regle, tant de rares qualitez dans une Sœur d’un merite si universellement reconnu, ont produit, & produiront toujours des effets merveilleux. Voilà en peu de mots ce que j’avois à vous dire sur leur sujet, pour satisfaire vostre innocente curiosité. Mais puis que les Astres & les Estoiles se découvrent à nos yeux, profitons de cet heureux moment pour les consulter sur vostre destinée. Aprés m’estre informé de Cydippe mesme du point de sa naissance, je montay mon Astrolabe, je mesuray les douze Signes, je contemplay les sept Planettes, je jettay les figures misterieuses que nostre Art nous enseigne, & comme elle s’apperçut bien que mon entreprise n’estoit pas l’ouvrage d’un jour, elle me dit avec ces manieres honnêtes & gracieuses qui accompagnent toutes ses actions, vous avez besoin de repos, cher Theopiste, je vous conjure de ne vous point trop appliquer. Si ma solitude vous plaist, comptez que vous estes chez vous, & que vous ne sçauriez plus m’obliger, que de passer icy le reste de l’Automne. Je receus tous ces témoignages de bonté avec beaucoup de respect & de reconnoissance, résolu neanmoins de continuer ma route aussi tost que j’aurois découvert ce que je cherchois pour la satisfaire. L’intemperie de la saison presque toujours sombre & nebuleuse, fut cause que je travaillay plusieurs nuits assez inutilement, mais enfin le quatorziéme jour, je fus assez heureux pour découvrir Saturne dont j’avois besoin. Quelle joye pour moy, lors que je remarquay des Signes sensibles du futur bonheur de ma charmante Hôtesse ! Je courus rapidement la chercher, pour luy annoncer une nouvelle qui devoit faire sa felicité pour le reste de sa vie, & l’ayant surprise sur le bord d’un ruisseau, toute baignée de ses larmes, elle fut surprise à son tour de me voir l’approcher avec un visage aussi serein & tranquille que j’avois paru rêveur & farouche lors que je speculois les Astres, les raisons de simpathie, la force Magnetique, & les vertus occultes.
Ne vous étonnez pas de ce changement, luy dis-je, trop aimable Cydippe, le Ciel s’est enfin déclaré en vostre faveur, & vous promet mille & mille prosperitez. Vous verrez bientost Tirsis, le seul objet de vos tendres amours. Il vous a toujours aimée plus que luy-mesme, & vostre bannissement n’est autre chose qu’une épreuve qu’il a voulu faire de vostre vertu, puis qu’il vient pour vous épouser. Mais ce qui doit augmenter vostre joye, c’est que se conformant à vos desirs, il se contentera de vous donner son cœur, & de posseder le vostre, sans vous assujettir à ces loix de l’himenée, qui vous ont toujours paru si humiliantes, & si peu propres à resserrer les nœuds d’une chaste alliance. Lors que vous vous serez donné des marques réciproques de l’amour le plus tendre, & tel que je viens de le dépeindre, vous retournerez à la Cour, où vos charmes brilleront avec plus d’éclat que jamais, & vostre Epoux y sera comblé des bienfaits du Prince, qui le doit employer aux Negociations les plus honorables, & les plus importantes. Joüissez donc en paix de vostre bonne fortune, trop aimable Cydippe, & me permettez de vous quitter aprés vous avoir protesté que je beniray toujours le jour de mon naufrage, puis que.… Mais j’apperçois un Cavalier qui vient à nous. Ah, Theopiste, me dit Cydippe, ne me quittez pas, c’est Tirsis, & je goûte déja l’effet de vos promesses. Icy, je l’avouë, je ressentis mon ame comme enlevée hors de moy même. Saisi, transporté, ne me possedant pas, ce ne fut qu’avec peine que je rappellay mes esprits, pour estre le spectateur de ce qui se passa dans cette entreveuë. Cydippe, de son costé se trouva si saisie, qu’elle ne put prononcer une parole, mais ses beaux yeux fixement attachez sur ce cher objet de son amour, estoient mille fois plus éloquens que n’eussent esté ses discours. Tirsis qui sentit bien la cause de son silence, se jetta d’abord à ses pieds, où aprés l’avoir priée d’une voix entrecoupée de sanglots & de soupirs, de luy pardonner, il se leve, ils s’embrassent, ils laissent quelque temps leurs larmes se confondre les unes avec les autres sans se rien dire. Cydippe luy déclare ensuite qu’elle a connu parfaitement que son exil n’avoit esté qu’une épreuve, & que sa tendresse, bien loin de diminuër, s’estoit fortifiée par l’absence. Mais pourquoy vous éprouver, reprit Tirsis ? Aprés l’amour que vos charmes innocens m’ont inspiré, ne vous devois je pas l’hommage de tous mes vœux, & pouvois-je avoir du Soupçon de vôtre inconstance ? Cependant il ne s’agit pas ici de grandes reflections, trop aimable Cydippe. Je viens pour faire avec vous une alliance éternelle, & comme nostre union depuis dix ans a fait penser à la Cour que vous estiez mon Epouse, j’ay cru qu’il estoit à propos de conclurre nostre hymen dans ces lieux écartez, & vous apprendrez par la suitte que vôtre exil pretendu n’étoit qu’un pretexte pour en faciliter les moyens. Allez donc vous parer de vos plus beaux ornemens. Je viens de regler à Marseille les pompeuses magnificences de cette feste que je souhaitte il y a si long-temps. On nous attend à l’Eglise pour la decider aujourd’huy, & demain nous devons partir ensemble pour la Cour, où le Roy me veut donner de nouvelles marques des bontez qu’il a pour moi.
Dans le Temple on arrive enfin.La, par une chaîne éternelle,D’une promesse solemnelle.Les deux Epoux unissent leur destin.
[Le Poëte en couche] §
Le titre de l’Ouvrage qui suit parle par luy même, & Mr de Vin en est l’Auteur. C’est beaucoup vous dire pour vous préparer à une lecture qui doit vous faire plaisir, puis que vous n’avez rien vû de sa façon que vous n’ayez trouvé fort agreable.
LE POETE EN COUCHE
Ragot, pour avoir leu Paracelse & Ronsart,Se mit dans sa teste mal faite,Qu’il pouvoit sans façon arborer l’EtendartDe Medecin, & de Poëte.De ces Auteurs proscrits constant Adorateur,Il en vantoit par tout l’excellence & la gloire ;Il les sçavoit tous deux par cœur,Et fier de sa belle memoire,S’érigeoit de luy-mesme en habile Docteur.***D’un homme par ces mauvais guidesBien plus égaré que conduit,Que pouvoit-on attendre, & quel en fut le fruit ?Ses Vers guindez, durs, insipidesChoquoient à chaque mot la Rime, ou le bon Sens ;Il se piquoit sur tout de les faire à la haste,Et son remede unique estoit certaine pasteQu’il faisoit pour blanchir les dents.Trop heureux qu’il s’en tinst à ce remede unique,Et que sa Verve PoëtiqueFust, quoique grand, le seul malheurDont il empoisonna la France.Il est vray que de l’AuditeurIl épuisoit bientost toute la complaisance.Le plus froid, le plus moderéLe fuyoit ; cependant, quelque fust le suppliceQu’à l’entendre on eust enduré,On luy rendoit toujours justice,Et malgré le sombre chagrinQu’helas ! mesme encore il nous donne,On baille, l’on s’endort, mais on avouë enfinQu’en qualité de MedecinJamais il n’a tué personne.***Enyvré qu’il estoit de ses rares talens,Par un attentat ridicule,Ragot du Public increduleExigeoit un tribut d’encens,Et son extravagante audaceLe mettoit au dessus d’Hypocrate & d’HoraceTout, jusqu’aux sacrez droits de la Divinité,Accommodoit sa vanité.Il se plaçoit luy-mesme au plus haut du Parnasse ;Il tranchoit en tous lieux du petit Apollon,Et, pour mieux en remplir la place,D’une syllabe enflant son nom,Se fit appeller Ragoton.***Bientost, fier de ce nom, sa petite ProvinceDevint pour son merite un trop estroit sejour.Pour le mettre en un plus beau jourIl s’en vint à Paris chercher les yeux du Prince,Et flatté de charmer la CourQui seule luy parut une digne carriere,Y prodigua sa paste & sa Verve grossiere.A s’introduire chez les grandsCet Apollon nouveau mit toute son étude ;Il marchoit en Caton à pas graves & lents.Malgré son air & fade & rude,Ne se croyant pas fait pour vivre en solitude,Sur le pied d’homme à beaux talensIl produisoit par tout sa grotesque figure,Et sans garder pour eux ny respect ny mesure,Jusqu’en leur cabinet il relançoit les Gens.***En dépit qu’on en eust Ragot vouloit paroistre,Mais comme tous ses vœux s’adressoient à la Cour,Il crut, pour s’y faire connoistre,Qu’il devoit feindre un peu d’amour,Et s’attacher à quelque Belle,Qui, se faisant honneur de ses tendres regards,Pust vanter & ses Vers & sa paste nouvelle,Et le prosner de toutes parts.Un jour chez une Dame il rencontra Lisette,Luy trouva de l’esprit ; enfinLa jugeant propre à son dessein,Le sort tomba sur elle ; il luy conta fleurette ;Mais, par malheur pour luy, son cœur,Plus qu’il n’avoit pensé, fut & sensible & tendre,Et prit pour elle plus d’ardeurQue sans doute il n’en vouloit prendre.***Cependant sur le vain espoirDe réussir au teste-à-teste,Ce sot présomptueux s’accoustume à la voir,Et s’asseure d’en faire une prompte conqueste.Ainsi, tant comme Amant que comme Ambitieux,Se flattant que l’Hymen les unissant tous deux,Il interesseroit d’autant plustost la BelleQu’elle croiroit agir moins pour luy que pour elle,Il s’abandonne à tous ses feux.Le serieux, le badinage,Les jeux, les ris, la belle humeur,Tout par luy fut mis en usage,Et pour triompher de son cœur,Ragot fit ce qu’eust fait l’Amant le plus flatteur.Il ne negligea rien : mais contre son attenteLa place resistant aux vains assauts qu’il tente,Et ses coups redoublez ne faisant que blanchir,Il commence à douter qu’il puisse la fléchir.Pour derniere resource il fait agir sa Verve ;C’estoit sa piece de reserve.Enfin il voulut s’en servir,Et, piqué de la voir à ses feux si rebelle,Essayer, deust-elle en mourir,De la traiter en Vers d’injuste & de cruelle.***Dans ce politique desseinRagot se tourmente, s’agite,Se frotte le front de la main,De sa Muse amoureuse implore, sollicite,Et l’inspiration, & le secours divin,Et d’un air à calmer le plus sombre chagrin,Grimace en Singe qu’on irrite.Tantost debout, tantost assis,Tantost extasié, tantost de sens rassis,Il change à tous momens & d’humeur, & de place,Frappe du pied la terre, au Ciel leve les yeux,Les roule en Matou furieux,Et bave comme une Limace.Il se frappoit la teste, & resvoit d’une ardeurA produire un petit miracle ;Mais trouvant dans ses Vers obstacle sur obstacle,Et se couvrant le front d’une vaine sueur,Enfin trop fatigué de la double tortureQue luy donnoit pour lors la Rime & la Raison,Il crut, pour aider la Nature,Qu’il pouvoit, sur le pied d’Amy de la maison,En user librement, & changer de posture.Ainsi ce Bastard d’ApollonA gigots étendus se jetta sans façonSur le lit de Lisette, & là grattant sa teste,S’écria d’un ton fou ; la hache est-elle preste ?J’en ay plus de besoin qu’autrefois JupiterN’en eut quand de Pallas il voulut enfanter.Si pour si peu de chose on luy fendit la sienne,Hé de grace, Messieurs, qu’on me fende la mienne ;Car enfin je suis gros de plus de trois Sonnets,D’une Ode, d’un Epithalame,D’un Rondeau redoublé, de quatre Virelais,Et d’une charmante Epigramme.***Helas ! ce sont les tristes fruitsDe ma docte & prodigue Veine.Ses fécondes ardeurs les ont trop tost produits,Et ma pauvre teste en est pleine.Sur mon front tout en feu chacun les peut sentir,Un fardeau si pesant m’accable,Et ces nombreux Enfans n’attendent pour sortirQu’une main prompte & charitable.Qu’on daigne donc me la prêter,Qu’on me la fende ! Hé quoy, dans un état si tristeVeut-on me laisser avorter ?Quelle perte, grands Dieux ! Ah ! si l’on ne m’assisteMa douleur va bientost me réduire aux abois,Et ma fécondité me fera rendre l’ame.Je meurs, mais s’il se peut, qu’on sauve l’Epigramme.Viste, au secours, j’étouffe, & je sens que ma voixS’affoiblit, diminue, & se perd dans ma bouche.Quoy donc, point de pitié pour un Poëte en couche !***Pendant ce douloureux fracas,Chacun rioit à grands éclats,Et ses cris ne touchoient personne.Enfin Lisette, toujours bonne,Jugeant de son travail par ses yeux de travers,Se croit à son secours en effet necessaire,Court, luy soutient la teste, & sa main salutaireLe fait, quoi qu’avec peine, accoucher de dix Vers.Ce fut ainsi qu’une montagneDe ses gemissemens fit raisonner jadisLes lieux les plus lointains d’une vaste Campagne,Pour n’enfanter qu’une Souris.***Délivré qu’il en fut, ah ! ma belle Lucine,C’est à vous, cria-t-il, que je dois ce Dixain.Sans vous, sans vostre main divine,J’aurois gratté ma teste en vain.Ouy, peut estre avant sa naissanceAurois-je pleuré son trépas.Ainsi donc agréez que ma reconnoissanceEn fasse un holocauste à vos charmans appas,Et que sur vos Autels s’offrant en sacrifice,Par ma voix qu’il emprunte, il vous prie en un motD’estre à l’infortuné RagotToujours douce, & toujours propice.
[Idille] §
Je vous envoye un Idille sur le retour de Monsieur le Duc de Chartres. Il est de la composition de Mr Pagot, Valet de Chambre de leurs Altesses Royales Monsieur, & Monsieur le Duc de Chartres. Mr Gervais le jeune en a mis les paroles en Musique, & elles furent chantées au Palais-Royal au commencement de ce mois. [...] L'Idille dont je vous fait part, a pour sujet l'Hiver qui ramene Monsieur le Duc de Chartres à la Nymphe de Saint Cloud, que son absence tenoit toujours en alarmes par les perils qu'il couroit.
L'HIVER.
Je ramene en ces lieux vostre Auguste Heros.Vous qui l'aimez d'une amour si fidelle,Preparez-luy quelque Feste nouvelle ;Que chacun à l'envy celebre ses travaux.L'horreur de mes frimats l'arrache à la Victoire.Chantez, chantez son glorieux retour :Aprés avoir donné le Printemps à sa Gloire,Il vient donner l'hiver à son amour.Chantez, chantez son glorieux retour.BERGERS DE S. CLOUD, SUITE DE L'HIVER.
Chantons, chantons le glorieux retourD'un Heros que l'Hiver arrache à la Victoire.Aprés avoir donné le Printemps à la Gloire,Il vient donner l'Hiver à son amour.LA NYMPHE DE S. CLOUD.
Le Ciel, à mes voeux favorable,Nous rend la presence adorableD'un Heros, le sujet de nos jeux innocens.Aprés mille perils pressans,Où l'engagea son courage,Quel plaisir de le voir encor sur ce rivage !L'HIVER.
Possedez ce Heros glorieux,Joüissez de toute sa tendresse.LA NYMPHE.
Heureux Habitans de ces lieux,Montrez vostre allegressePar mille chants joyeux.Deux Bergers chantent, & le Choeur répond.
Voicy le jour heureuxQui fait cesser nos larmes ;Voicy le jour heureuxQui va combler nos voeux.Un Heros plein de charmesVient de quitter les armes,Pour suivre les doux noeudsDe son coeur amoureux.Voicy les jour heureuxQui fait cesser nos larmes ;Voicy le jour heureuxQui va combler nos voeux.On entend un bruit de Guerre qui doit précéder la venuë de la Gloire.
LA NYMPHE.
O Ciel ! la Gloire vient troubler tous nos plaisirs,Elle me va ravir le Heros que j'adore.L'HIVER.
Non, il n'est pas temps encore,Et je vais m'opposer à ses cruels desirs.LA NYMPHE ET L'HIVER.
Non, il n'est pas temps encore,Opposons-nous tous deux à ses cruels desirs.L'HIVER A LA GLOIRE.
Déesse, en vain vous voulez faire croire,Que vous regnez sur toutes les Saisons ;Jamais on n'a vû la VictoireRegner dans le temps des glaçons.LA GLOIRE.
Ce n'est point la rigueur de ta Saison cruelleQui ramene ce Prince en ces aimables lieux ;Son bras toujours victorieuxNe craint point les frimats quand la Gloire l'appelle.C'est à ses feux ; c'est à son amourQu'on doit son glorieux retour.L'HIVER.
C'est aux frimats ;LA GLOIRE
C'est à son amourL'HIVER & LA GLOIRE, ensemble.
Qu'on doit son glorieux retour.Suite de L'HIVER.
C'est aux frimats ;Suite de LA GLOIRE.
C'est à son amourSuite de L'HIVER & de LA GLOIRE.
Qu'on doit son glorieux retour.LA GLOIRE.
Les voeux d'une aimable PrincesseL'ont emporté sur ses desirs guerriers ;Aprés tant de travaux, aprés tant de lauriers,Il cede enfin à sa tendresse.C'est à ses feux ; c'est à son amourQu'on doit son glorieux retour.L'HIVER.
C'est aux frimats ;LA GLOIRE.
C'est à son amourL'HIVER & LA GLOIRE.
Qu'on doit son glorieux retour.Suite de L'HIVER.
C'est aux frimats ;Suite de la GLOIRE.
C'est à son amourSuite de L'HIVER & de la GLOIRE.
Qu'on doit son glorieux retour.LA NYMPHE.
Terminez les débats d'une vaine querelle.Unisons-nous tous trois pour plaire à ce Heros.Pendant que dans ces lieux il gouste un doux repos,Par mille nouveaux airs montrons-luy nostre zele.L'HIVER, LA GLOIRE, LA NYMPHE, ensemble.
Terminons les débats d'une vaine querelle ;Unissons-nous tous trois pour plaire à ce Heros.Pendant que dans ces lieux il gouste un doux repos,Par mille nouveaux airs montrons-luy nostre zele.LA GLOIRE.
Je l'ay veu tout couvert du sang des EnnemisMonter au Temple de Memoire.L'HIVER.
Par cent travaux, par cent faits inouis,On l'a veu fixer la Victoire.LA NYMPHE.
De l'Auguste PHILIPPE il est le digne Fils :C'est le Neveu, c'est le Sang de LOUIS.Tous les CHOEURS.
De l'Auguste PHILIPPE il est le digne Fils :C'est le Neveu, c'est le Sang de LOUIS.LA NYMPHE à la GLOIRE.
Je tremble, je frissonne,Quand je le vois courir aprés vos étendars.L'HIVER.
Sans cesse il s'abandonneAux plus affreux perils, aux plus cruels hazards.LA GLOIRE.
Du chaste sein d'une Bellonne,Il ne pouvoit sortir qu'un Mars.DEUX BERGERS de S. Cloud.
On diroit à le voir que le Dieu de la guerre,Dans les mains de l'Amour a remis son tonnerreI. Voix de la suite de l'Hyver.
Il se fait craindre, & plaist également.I. Voix de la suite de la Gloire.
S'il est terrible, il n'est pas moins charmant.Tous les CHOEURS.
Il se fait craindre, & plaist également,S'il est terrible, il n'est pas moins charmant.LA GLOIRE.
Pendant que dans ces lieux son amour le rappelle,Joüissez du plaisir de le voir ;Mais quand l'Amour aura fait son devoir,Souffrez qu'il me soit fidelle.Laissez-le sur les pas de ses nobles Ayeux,S'élever au-dessus de tous les demy-Dieux.LA NYMPHE & L'HIVER, ensemble.
C'est en vain qu'on voudroit s'opposer à la Gloire,Ce Heros suit tous ses desirs ;Il méprise tous les plaisirs,Quand il voit voler la Victoire.DEUX BERGERS de S. Cloud, & les Choeurs répétent.
Suivez, jeune Heros,L'ardeur qui vous transporte.Suivez, jeune Heros,Le cours de vos travaux.Toujours sur vostre coeur la Gloire est la plus forte ;Vous ne sçauriez gouster un indigne repos.Suivez, jeune Heros,L'ardeur qui vous transporte.Suivez, jeune HerosLe cours de vos travaux.
[Sonnet à Mr le Duc de Chartres sur sa Campagne de Flandre] §
Mr Robinet, toûjours empressé à marquer son zele à Leurs Altesses Royales, a fait le Sonnet qui suit.
A MONSIEUR
LE DUC DE CHARTRES.
Sur sa Campagne de Flandre.O Prince merveilleux ! quel prodige à vostre âge,D’estre un Heros parfait, un Guerrier consommé !Alexandre aussi jeune eut-il plus de courage ?Par ses premiers Exploits fut-il plus renommé ?***De vostre cœur Bellonne a d’abord tout l’hommage,C’est d’elle qu’il se montre entierement charmé.Au milieu des Combats vous estes son image,Et de son sang tout pur vous paroissez formé.***Mais la Victoire assez vous a couvert de Palmes.Hors des périls guerriers passez à des jours calmes,Où l’Hymen vous tient prests des Myrthes à son tour.***Aprés une Campagne & si longue & si belle,Revenez, tout brillant d’une gloire immortelle,Ayant satisfait Mars, satisfaire l’Amour.
[Stances] §
Vous m’avez marqué estre fort contente d’un Ouvrage que je vous envoyay la derniere fois, où le nom de Cydippe estoit employé. Ce nom vous doit faire aimer la Piece qui suit, puisque vous l’y trouverez. Aussi est elle du mesme Auteur, qui veut demeurer encore inconnu.
STANCES.
Combien à mes tendres desirsL’Amour promettoit de plaisirs,Si mes soins pouvoient plaire à l’objet que j’adore !Ils ont plû ; ma constance a vaincu sa rigueur.On m’en a fait l’aveu si charmant à mon cœur ;Et je soupire encore.***Soit delicatesse ou destin,Toujours quelque nouveau chagrinAltere ma Cydippe ou m’éloigne moy mesme.La crainte, les soupçons ne nous quittent jamais.Hé quoy ! l’on doit joüir d’une si douce Paix,Quand on plaist, & qu’on aime.***Que nous laissons perdre tous deuxDe doux momens, de jours heureux ?Ah ! n’en sommes-nous point, Cydippe, responsables ?Deux jeunes cœurs unis des nœuds les plus charmans,Qui negligent le soin de leurs contentemens,Helas ! sont bien coupables.***Tandis qu’avec nos plus beaux joursTout rit encore à nos amours,Croyez moy, profitons de nostre intelligence,Et laissons les chagrins & les soupçons jaloux,Aux Amans que l’Amour condamne à son couroux,Ou que trouble l’absence.
[Madrigal] §
Mr de Boissimon, connu jusques à present, sous le nom du Cavalier d’Angers, a fait le Madrigal que vous allez lire.
LA DEFIANCE
mal fondée.Jeune Iris, pourquoy craignez-vousQue le Berger qui pour vous a des charmes,Refuse de rendre les armes,Et ne cede pas à vos coups ?Découvrez-luy vostre MystereSi-tost qu’il sera dans ces lieux,Et je répons de vostre affaire.Avec vostre bouche & vos yeux,Quand on descend d’Ayeux illustres,Quand on n’a veu, comme vous, que trois Lustres,Iris, pour peu qu’on sçache aimer,On est bien seur de tout charmer.
Requeste à Bacchus §
Le malheur arrivé cette année aux Vignes, a fait faire ces autres Vers au mesme Mr de Boissimon.
REQUESTE A BACCHUS.
Ah Bacchus, pourquoy dans ces lieuxNous rens-tu ta liqueur si rare !Du plus agreable des DieuxDeviendras-tu le plus barbare ?A nos vœux tout le Ciel se rend,Jupiter nous est favorable,Neptune devient plus traitable,Mars conserve Louis le Grand.De ton costé sois-nous propice,Ou plustost rens-nous la justiceDeuë à nostre fidelité.Fais-nous sentir ta liberalitéEn répandant tes faveurs sur nos Vignes.Par retour nous nous rendrons dignes,Bacchus, de tes charmans bienfaits ;Nous soutiendrons tes interestsContre tout l’amoureux Empire.Au son des pots on nous entendra direLes biens que tu nous auras faits ;Et si quelqu’amoureux ose nous contredire,Soit qu’il parle ou bien qu’il soupire,Armez de ta seule LiqueurNous luy ferons sentir un bien plus dur martyre,Et tu triompheras de ce Peuple sans cœur.
[Ceremonie faite à Niort] §
Les Religieux de la Charité de la Ville de Niort ont celebré avec de grandes solemnitez la Feste de la Canonisation de S. Jean de Dieu, leur Patriarche. L'ouverture s'en fit le Dimanche 19. du mois passé, par une Procession generale, où fut portée la Banniere du Saint, qui avoit esté benite le jour précedent, par Mr Prunier, Curé de Nostre-Dame, dans la Paroisse duquel l'Hôpital de ces Religieux est situé. Les Pauvres de l'Hôpital General commencerent la marche, & furent suivis de la Confrairie des Pelerins, aprés laquelle on vit paraistre les Confreres de Saint Nicolas, au nombre de plus de trois cens, & tous en Surplis. Les Religieux de la Charité suivoient la Banniere du Saint, qui estoit précedée de plusieurs Trompettes, & ensuite marchoient les Capucins, les Cordeliers, le Clergé Seculier de la Ville, les Officiers du Bailliage en robes, Mr de la Teraudiere, Maire, l'épée au costé, les Echevins avec leurs robes & chaperons rouges, douze Sergens des Bandes du Regiment Royal, étably en la Ville de Niort, les Officiers de ce mesme Regiment deux à deux, l'épée au costé & le haussecol, & douze autres Sergens de Bandes pour fermer la marche, & separer ceux qui la formoient, du reste du Peuple, qui assista à cette Procession dans une affluence extraordinaire. Elle se rendit à Nostre-Dame, où la Grand'Messe fut chantée solemnellement, & le Panegyrique du Saint prononcé avec beaucoup de succés par Mr Prunier. La Messe finie, tous les Corps reconduisirent la Banniere du Saint dans l'Eglise de la Charité, & plusieurs Motets y furent chantez en Musique, aussi-bien que les Prieres pour le Roy & pour la Paix. L'aprésdînée, le mesme Panegyrique y fut prononcé par Mr l'Abbé Raffy, Docteur en Theologie, & ancien Curé de la Rocheguion, & on termina la Ceremonie de ce jour par un feu de joye que les Religieux avoient fait dresser au milieu de la Place qui est devant leur Hôpital. Ils y allerent processionnellement avec Mr le Curé de Nostre-Dame, & son Clergé. Ce mesme Curé, le Pere Lambert Hersant, Mr le President de Fontmort, Mr de la Teraudiere, Maire, Mr Boucher, Capitaine au Regiment, commandant un détachement que l'on avoit fait pour assister au Feu, à l'occasion des reveuës qui se font de temps en temps de ce Regiment, & Mr de la Teraudiere, Fils, Aide Major dans ce mesme Regiment, mirent le feu au bucher par divers endroits, au bruit des Trompettes & des Tambours, & de plusieurs Salves de Mousqueterie, que fit le détachement qui bordoit la Place de tous costez. Cela fut suivy d'un grand nombre de fusées qui s'éleverent du Dôme de l'Hôpital, où il y avoit de grandes illuminations. On alluma un semblable feu dans la mesme Place, & avec les mesmes ceremonies, le jour de l'Octave, pendant laquelle le Pere Rabor, Cordelier, Mr l'Abbé Sergé, le Pere Joachim, Capucin, le Pere Motot, Prestre de l'Oratoire, Mr Chaillot, Vicaire de l'Eglise de Nostre-Dame, Mr Melenent, Prestre, Aumônier de la Charité, & le Pere Mesnard, Prestre de l'Oratoire, prononcerent le Panegyrique du Saint, avec autant d'éloquence, que de zele. L'Office du jour qui fut la closture de l'Octave, se fit par Mr Baston, Curé de Saint André, qui aprés plusieurs Motets que l'on chanta en Musique, entonna solemnellement le Te Deum, dont les versets furent chantez alternativement, le premier par le Clergé, le second par les Trompettes, & le troisiéme par l'Orgue, pendant quoy on éleva la Banniere du Saint à la voûte de l'Eglise.
[Autre Histoire] §
L’Amour n’est pas toujours Ennemy de la raison, & l’avanture dont je vais vous faire le détail en est une preuve. Une jeune Demoiselle, belle & bien faite, d’un esprit doux, & d’un agrément d’humeur qui la rendoit toute aimable, receut quelques assiduitez d’un Cavalier qui luy en firent bien-tost découvrir tout le merite. Jamais il n’y eut une ame plus droite, de sentimens plus nobles & plus élevez, ny de manieres plus insinuantes. Comme la sympathie agissoit en eux, ils ne purent se connoistre sans s’estimer réciproquement. L’estime n’eut pas de peine à faire naistre l’amour, & cet amour leur fit sentir en fort peu de temps que leur bonheur dépendoit de s’aimer toujours, & de vivre l’un pour l’autre dans une parfaite confiance. Ils s’en expliquerent selon les sentimens de leur cœur, & ne se cacherent point qu’ils se trouveroient heureux, s’ils pouvoient s’unir de telle sorte, que la seule mort les pust separer ; mais l’amour qui leur faisoit voir beaucoup de douceur dans leur union, ne leur fermoit pas les yeux sur un inconvenient terrible. Ils avoient tous deux fort peu de bien, & en raisonnant ensemble sur le Mariage, les suites fâcheuses que le manque de fortune leur faisoit envisager, estoit un desagrément qu’ils concevoient bien que leur tendresse n’adouciroit point. Ainsi ils convinrent de n’estre qu’Amis ; mais ils se promirent d’estre Amis jusqu’au tombeau, quelque changement qui pust arriver dans leur estat, & de donner à cette amitié toute la force qu’elle peut avoir lors qu’en s’aimant on n’a en veuë que ce qui fait la liaison des esprits. Cette résolution les fit soûpirer, mais ils ne laisserent pas de la prendre, & continuerent à se voir d’une maniere qui faisoit juger de la pureté de leurs sentimens. Ils avoient de l’empressement pour estre ensemble, & se rendoient compte des moindres choses qui leur arrivoient, prenant conseil l’un de l’autre dans tout ce qu’ils avoient à résoudre ; mais jamais ils ne cherchoient aucune entreveuë particuliere. La Mere de cette Belle se trouvoit presente à tout, & tous ceux qui avoient quelque habitude avec cette aimable Fille, découvroient en elle un si grand fond de sagesse & de vertu, qu’il n’y avoit pas le moindre soupçon à former de sa conduite. Elle vivoit sans ambition & sans chagrin, se tenant heureuse d’avoir fait un vray Amy, quand le Ciel voulut donner à ses belles qualitez la récompense qui leur estoit deuë. Un vieux Gentilhomme extrémement riche, & qui n’avoit qu’une Fille preste à marier, l’ayant remarquée souvent à l’Eglise, se sentit touché également de sa modestie & de sa beauté. Il parla d’elle à quelques personnes qui la connoissoient, & on luy fit un portrait si avantageux de son cœur & de son ame, qu’il en prit pour elle toute l’estime possible. On n’oublia pas de l’informer de l’attachement du Cavalier, & ce fut d’une maniere qui luy fit connoistre qu’il n’y avoit rien de plus pur que l’amitié qui les unissoit, & qui auroit pû devenir amour, s’ils n’avoient eu tous deux assez de raison, pour ne pas s’abandonner aux sentimens flateurs d’une passion, que la prudence ne permettoit pas qu’ils écoutassent. Le vieux Gentilhomme loüa la sagesse de l’un & de l’autre, & entendant tous les jours dire mille biens de la charmante personne qui luy plaisoit tant, il l’examinoit avec plus de soin toutes les fois qu’il la rencontroit dans le mesme lieu. Cette attention renouvellée produisit en luy je ne sçay quoy de si fort qu’il ne put s’empêcher de souhaiter, de la voir passer dans un estat plus heureux que celuy où elle estoit. Il songea qu’il pouvoit luy faire de grands avantages sans qu’ils portassent aucun préjudice aux interests de sa Fille, à qui sa Mere avoit laissé de grands biens, & ayant enfin formé le dessein de l’épouser, il luy fit proposer la chose par une de ses Amies. On s’adressa à la Belle, qui sans en rien dire, ny à sa Mere, ny au Cavalier, marqua beaucoup de reconnoissance de l’honneur qu’on luy faisoit, & fit prier le vieux Gentilhomme de se contenter de luy donner son estime, parce qu’elle avoit en quelque sorte renoncé au Mariage, & que la vie douce qu’elle menoit, la laissoit sans goust pour une fortune plus avantageuse. Cette réponse le mit dans une grande surprise, & le refus augmentant sa passion, il luy fit faire plusieurs autres fois toutes les offres qui pouvoient le plus toucher son cœur, sans qu’elle changeast de sentimens. Quelque chagrin que luy causast ce mauvais succés, il ne voulut point faire parler à la Mere, & jugeant que le Cavalier n’ignoreroit pas la cause de ce refus, il alla chez luy pour luy demander de bonne foy s’ils avoient ensemble quelque engagement qui fust contraire à ses esperances ; mais il fut bien étonné quand le Cavalier luy protesta que la Belle luy avoir fait un secret entier de la proposition, & qu’il le pria de ne se pas rebuter de la froideur avec laquelle on l’avoit receuë. Cela fut suivi de tout ce qui se peut dire à l’avantage d’une personne accomplie ; aprés quoy le Cavalier l’asseura qu’il tourneroit si bien son esprit qu’il porteroit une réponse telle que la meritoit une generosité aussi grande que la sienne. Le Gentilhomme ne fut pas plûtost sorty, que le Cavalier alla chez la Belle pour luy reprocher qu’elle avoit manqué à la confiance qu’elle luy devoit. Elle répondit que ne voulant point songer à ce mariage, elle avoit cru inutile de luy parler d’une chose qui ne devoit aboutir à rien ; que ce n’estoit pas luy faire un grand sacrifice que de refuser un Amant bien plus que sexagenaire, & qu’à ne luy rien cacher, ce qui l’avoit promptement determinée au party qu’elle avoit pris, c’est que la jalousie estant naturelle aux vieilles gens, qui ne sont pas à blasmer quand ils se défient de leur merite, elle avoit pensé qu’il faudroit peut-être qu’elle se privast de la douceur de le voir, pour satisfaire un Mary bizarre, ce qui luy avoit paru d’une consequence à ne se pas laisser ébloüir des avantages qu’on luy promettoit. Ce sentiment estoit obligeant, mais comme il nuisoit aux interests de la Belle, le Cavalier le combattit de tout son pouvoir, & luy fit connoistre, que puisque son peu de bien l’avoit empêché de profiter des favorables dispositions de son cœur, il devoit estre assez bon Amy pour n’avoir en veuë que le plaisir de la voir dans l’opulence qu’il ne pouvoit luy procurer par luy-mesme ; qu’il y avoit tout sujet de croire sur la réputation du Gentilhomme, qu’il ne seroit pas sujet aux foiblesses qu’on attribuë à ceux de son âge ; mais que quand mesme, pour luy mettre l’esprit en repos sur la jalousie, il se faudroit abstenir entierement de la voir, la pensée d’avoir toujours part à son amitié suffiroit pour luy faire supporter cette contrainte, quelque rigoureuse qu’elle luy pust estre, & qu’ainsi il la prioit de souffrir qu’il allast assurer le Gentilhomme du consentement dont il avoit cru pouvoir luy répondre. Plus le Cavalier se montra Amy desinteressé, plus la Belle s’obstina dans la resolution de refuser la proposition qui luy estoit faite. Cette dispute dura plusieurs jours, & la Belle ne se seroit point renduë, si le Cavalier ne luy eust dit en termes forts serieux, & avec des marques d’un veritable chagrin, que puis qu’il estoit assez malheureux pour mettre obstacle malgré luy à une affaire qui luy devoit estre si avantageuse, il alloit se disposer à faire un voyage en Italie, d’où il ne reviendroit point qu’elle ne fust mariée, ce que sa beauté, son esprit, & sa vertu luy donnoient sujet de croire qui arriveroit en peu de temps de la maniere qu’elle souhaitoit. Enfin la Belle vaincuë par l’empressement de ses prieres, luy permit d’aller donner sa parole au vieux Gentilhomme, en luy disant qu’il n’avoit qu’à faire dresser les articles tels qu’il jugeroit à propos de les arrester pour elle ; que ses interests ne pouvant estre en de plus seures & de plus fidelles mains, elle signeroit sans lire, & que si elle se resolvoit à ce Mariage, c’estoit par une raison plus forte que toutes celles qu’il luy avoit apportées, & que le temps luy feroit connoistre. Le Cavalier luy témoigna une veritable joye de cette permission, & il en donna beaucoup au vieux Gentilhomme, qui ayant appris de luy l’heureux succés qu’avoit eu sa negociation, alla voir la Belle dés le lendemain. Il en fut receu avec tout l’agrément qu’il pouvoit attendre d’une Fille aussi raisonnable que modeste, qui s’étant determinée, avoit interest à paroistre aimable. Il fut charmé de son esprit & de ses manieres, & accorda tout ce qu’on voulut. Le Mariage se fit, & sa fortune devint éclatante. Il n’eut pas sujet de se repentir de tout le bien qu’il luy avoit fait. Elle s’attacha à luy de si bonne foy, & prit tant de soin de bien remplir ses devoirs, que sa Fille mesme luy applaudit sur ce choix, & prit pour elle la plus sincere amitié, malgré l’antipathie qu’on a ordinairement pour les Belle-Meres. Aussi avoit-elle des manieres si flatteuses & si douces, qu’elle auroit contraint les plus indifferens à l’aimer. Le Cavalier fut d’abord extrémement reservé dans ses visites, qu’il faisoit fort rarement. Le Mary qui en comprit la raison, ne put souffrir qu’il le crust bizarre, & l’engagea insensiblement à venir souvent manger avec luy. Plus il le vit, plus il souhaita le voir, & son estime augmentant de jour en jour par la connoissance particuliere qu’il eut de ce qu’il valoit, il devint bientost le meilleur de ses Amis. Le Cavalier répondit à cette amitié d’une maniere admirable, allant au devant de toutes les choses qui pouvoient luy faire un peu de plaisir. Quoy que son cœur fust toujours le mesme pour la Dame, il estoit fort circonspect auprés d’elle, & dans ses paroles, & dans ses regards, & avoit toujours une raison preste pour s’éloigner, lors qu’il arrivoit qu’on les laissast seuls ensemble, en sorte que le plus jaloux n’en auroit pas pris ombrage. Il estoit d’ailleurs parfaitement honneste homme, incapable d’abuser de la confiance qu’on avoit en luy, & d’une Maison fort considerable, d’où il avoit pris toutes les vertus qui accompagnent la belle naissance. Cependant le Gentilhomme eut une affaire importante qui demandoit de grands mouvemens. Le Cavalier l’entreprit, & n’épargna ny peines ny soins pour l’en faire sortir avec avantage, & à son entiere satisfaction. Il s’y rencontra de grandes difficultez, & il les surmonta toutes par sa prudence & par la penetration de son esprit. Le Gentilhomme ne luy en pouvoit marquer assez de reconnoissance, & sa maison ne retentissoit que de ses loüanges. La Dame vit avec plaisir qu’il eust agy avec tant d’ardeur pour son Mary, & ne doutant point qu’elle n’eust beaucoup de part dans ce qu’il venoit de faire, elle n’oublia rien pour estre en estat de luy marquer au plûtost par des effets dignes d’elle combien son cœur y estoit sensible. Les choses s’estant enfin trouvées disposées selon ses souhaits, elle l’arrêta un jour qu’il cherchoit à la quitter, parce qu’on les avoit laissez seuls, & l’ayant prié de l’écouter un moment, elle luy dit qu’il avoit voulu qu’elle épousast le vieux Gentilhomme ; qu’elle estoit bien éloignée de s’en repentir, puis qu’outre qu’elle se voyoit dans un estat heureux & riant du costé de la fortune, elle estoit aimée avec passion d’un Mary dont elle ne pouvoit assez reconnoistre la tendresse, mais qu’il estoit temps de luy découvrir la veritable raison qui l’avoit portée à l’épouser ; qu’elle avoit consideré que ce mariage qui la mettoit dans l’éclat, pourroit estre dans la suite aussi avantageux pour luy que pour elle ; que c’estoit à quoy elle s’estoit d’abord appliquée, & que ses soins avoient si bien réussi, que s’estant renduë maistresse de l’esprit de son Mary, qui le connoissoit d’un merite extraordinaire, elle l’avoit disposé à le choisir pour son Gendre. Le Cavalier surpris de cette nouvelle, ne put déguiser les sentimens de son cœur, & luy en marqua plus de chagrin que de joye. Il l’assura que n’ayant eu jusque-là des yeux que pour elle, il avoit fait toute sa felicité de son bonheur ; qu’il luy suffisoit de la voir contente pour n’avoir rien à souhaiter davantage, & que la voulant aimer toute sa vie préferablement à toutes choses, il la conjuroit de n’exiger point de luy qu’il partageast avec une autre personne ce qui devoit estre tout à elle. La Dame luy répondit que dans l’estat où elle avoit mis l’affaire, il n’y pouvoit montrer de la répugnance, sans donner à son Mary des impressions qui les mettroient peut-estre tous deux dans la cruelle necessité de ne se plus voir ; que le refus qu’il feroit de son alliance ne manqueroit pas à luy paroistre un effet de l’esperance qu’il auroit conceuë de l’épouser, si elle devenoit Veuve ; qu’il n’y avoit rien de plus odieux que ces sortes de veuës fondées sur la mort d’un vieux Mary, & que puis qu’elle avoit entamé cette matiere, elle vouloit bien luy dire, que si le malheur luy arrivoit de perdre le sien, ce que son grand âge luy pouvoit faire paroistre fort peu éloigné, rien au monde ne pourroit la faire penser à un second mariage ; qu’il devoit d’ailleurs considerer qu’elle avoit grand interest au succés de cette affaire ; que si un autre que luy épousoit sa Belle fille, qu’elle luy avoit renduë assez favorable pour esperer son consentement, il pourroit un jour l’embarasser sur ses droits, au lieu que toutes choses seroient heureusement confonduës par son mariage, qui les mettroit tous dans une agreable societé qui ne finiroit qu’avec leur vie, & que rien jamais ne seroit capable de troubler. Quoy que ces raisons fussent plausibles, le Cavalier ne les put gouster. Il résista quelque temps, comme elle avoit résisté lors qu’il luy avoit parlé d’épouser le Gentilhomme ; mais elle luy dit tant de fois, que quand le changement qu’il pouvoit penser arriveroit, il n’y auroit plus de mariage pour elle, & qu’il ne devoit jamais se promettre rien de plus que d’estre son Amy de préference, qu’il luy laissa enfin conduire l’affaire, & commença à changer les honnestetez qu’il avoit pour sa Belle fille en quelque chose de plus empressé. C’estoit une personne sur qui le merite pouvoit tout. Elle en connoissoit beaucoup au Cavalier, dont l’alliance luy faisoit honneur, & la deference qu’elle avoit pour les sentimens de sa Belle-Mere, luy faisant trouver dans ses conseils ce qui répondoit le plus à son inclination, elle receut sans aucune répugnance l’ordre que son Pere luy donna de se préparer à estre sa Femme. Le Party estoit tres-considerable, & si le Cavalier s’estoit employé utilement pour la Dame en l’engageant à épouser le vieux Gentilhomme, on peut dire qu’elle fit encore davantage pour le Cavalier, en luy faisant épouser la Fille de son Mary. Ainsi l’amitié parfaite qui les unissoit, fut récompensée, non seulement par l’éclat d’une fortune à laquelle ny l’un ny l’autre ne sembloit devoir prétendre, mais encore par la douceur de vivre ensemble, & de pouvoir esperer qu’ils ne seroient jamais separez.
[Ouverture du Parlement] §
Le Mercredy 12. de ce mois, le Parlement s'étant rendu en robes rouges dans la grande Salle du Palais, la Messe y fut chantée en Musique, & pontificalement celebrée par Mr de Sillery, Evêque de Soissons. Cette grande ceremonie estant achevée, tous ceux qui composoient ce Senat Auguste entrerent dans la Grand'Chambre, & Mr le premier President prenant la parole, dit, Que les hommes dans leurs plus grands emplois ne pouvoient rien faire par eux mesmes. Il fit une belle peinture de leur foiblesse, & aprés en avoir donné une parfaite idée, il dit, qu'il falloit s'adresser au Ciel, & qu'on ne le pouvoit mieux faire que par les prieres de l'Evesque qui venoit d'officier. Il loüa les grands talens & les vertus de ses Ancestres, & s'estant étendu sur ce que le Chancelier de Sillery avoit fait de grand, & sur ses Ambassades, il ajousta, que le grand mérite de tant d'illustres personnages avoit passé jusqu'à ce Prelat. Mr de Soissons répondit à ce compliment, en termes fort obligeans pour cette Auguste Compagnie, & aprés l'avoir remerciée du choix qu'elle avoit fait de luy pour officier ce jour-là, il dit, que ce n'estoit pas le seul remerciement qu'il eust à luy faire, & qu'il luy en devoit pour tous les Evesques dont le Parlement avoit toujours pris la deffence. Il fit ensuite une peinture de la Justice ; il en fit voir toutes les beautez, & n'oublia pas que Dieu avoit dit, que c'estoit une portion de luy-mesme. Aprés ces Complimens reciproques, il y eut un magnifique dîner chez Mr le premier President, où Mr de Soissons, quelques Presidens à Mortier, plusieurs Conseillers, & autres personnes de la premiere qualité se trouverent.
Livres nouveaux [Le Parallèle des Anciens et des Modernes, en ce qui regarde la Poësie] §
Le même Michel Brunet debite deux autres Livres nouveaux que vient d’imprimer le Sr Coignard, Imprimeur & Libraire du Roy. L’un est Le Paralelle des Anciens & des Modernes, en ce qui regarde la Poësie, par Mr Perrault de l’Academie Françoise. Vous avez déja veu deux Volumes de sa façon sous ce mesme titre. Le premier est pour ce qui concerne les Sciences & les Arts, & le second pour l’éloquence. Celuy cy est le troisiéme. Il y déduit les raisons qu’il a de prétendre, que si les Poëtes Anciens sont excellens, comme on ne sçauroit en disconvenir, les Modernes ne leur cedent en rien, & les surpassent mesme en beaucoup de choses. Il est malaisé que cet Ouvrage, quoy que rempli de beautez, satisfasse également tout le monde, puis que l’Auteur y marque beaucoup de choses, qu’il prétend estre des defauts dans l’Iliade & dans l’Odissée. Comme il le fait à ses risques, chacun a la liberté, selon son goust, d’approuver, ou de condamner son Jugement. La veneration qu’on a pour le nom d’Homere, semble estre un préjugé contre luy. Il y auroit cependant de la justice à se défaire de toute prévention, ce que l’on feroit si on vouloit lire les Ouvrages des Anciens, comme s’ils étoient Modernes, & ceux des Modernes comme s’ils estoient Anciens. On trouveroit beau ce qui est beau veritablement, sans se mettre en peine s’il est beau depuis long temps, ou si ce sont des beautez qui viennent de naistre. Outre le plaisir que vous feront les raisonnemens de Mr Perrault que vous trouverez fort justes dans ce Volume sur la Poësie, vous estimerez la modération qu’il fait paroistre dans sa Preface, où aprés avoir rapporté les injures qu’on luy a dites à l’occasion de quelques Critiques qu’il a faites sur le bouclier d’Achiles, il declare, qu’il ne prendra jamais d’autre vangeance de celles qu’on pourra encore luy dire, que de les rapporter toujours mot à mot, ajoustant que s’il a merité ces injures elles demeureront sur luy, & que s’il ne les a pas meritées, elles retourneront sur ceux dont il les aura receuës.
[Lotterie où l'on peut mettre, quoy que tirée] §
Je vous ay parlé juste touchant la Lotterie de Mr Philidor l'ainé, Ordinaire de la Musique du Roy. Monseigneur le Dauphin & Madame la Princesse de Conty Doüairiere, se sont donné le divertissement de faire tirer cette Lotterie devant eux. Plusieurs personnes de marque y ont esté employées, & les boëtes ont esté cachetées des cachets qui ont servy à la grande Lotterie du Roy. Cependant elles ne seront distribuées que vers le quinziéme du mois prochain, & elles demeureront jusque-là en dépost chez Madame la Princesse de Conty. Il faut vous en dire la raison. On vouloit tenir parole au Public, & tirer cette Lotterie, mais il s'en falloit mille écus que le fond ne fust remply. On ne pouvoit diminuer mille écus sur la somme à laquelle on avoit fixé cette Lotterie, parce qu'il n'y a qu'un seul lot, qui consiste en une maison. L'embarras estoit grand, & les expedients difficiles à trouver. Enfin il a esté résolu, que Mr Philidor prendroit pour mille écus de billets, c'est-à dire, pour ce qui restoit de fond à remplir. Il les a pris, & l'on n'a différé de délivrer les boëtes qu'afin que le Public fust averty, qu'il luy offre ses billets, pour les mesmes sommes qu'il a données. Ceux qui les acheteront ne seront pas long-temps sans estre éclaircis s'ils auront ce lot unique, puis que la Lotterie est tirée, ce qui fut fait le 19. de ce mois, & depuis ce temps on a déjà pris beaucoup de ces Billets. Il peut arriver qu'il luy en restera, mais peut-estre aussi qu'il n'en aura pas assez pour ceux qui en souhaitteront. Le Public a sujet par là d'estre content de Mr Philidor. Puis qu'il offre tous les billets jusques au dernier, on peut le mettre hors d'état de regagner sa maison en prenant ceux qui luy restent. On trouvera les Cartes de plusieurs sortes de numero, chez Mr Louvet, Marchand Papetier à l'Empereur, à Paris, ruë de l'Arbre-Sec, & chez Mr Philidor, l'Ainé, proche les Coches du Sr Paumier à Versailles.
Air nouveau §
Avec quel plaisir ne devez-vous pas recevoir l'Air nouveau que je vous envoye ! Les paroles sont sur la plus noble matiere que l'on pust choisir, & vous comprenez aisément par là qu'elles doivent estre sur les triomphes du Roy. C'est le celebre Mr Boyer qui les a faites, & le fameux Mr Lambert qui les a mises en air. Si la matiere est auguste, les Ouvriers qui ont pris soin de la mettre en œuvre, ont tous les talens qu'il faut pour cela.
images/1692-11_266.JPGAIR NOUVEAU.
Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 267.Croissez, Palmes, croissez, Lauriers.Loüis pousse si loin sa gloire & son Empire,Que s'il faut couronner tous ses exploits guerriers,A peine pourrez-vous suffire.Croissez, Palmes, croissez, Lauriers.Rameaux sacrez d'éternelle verdure,Vous aurez tous un jour l'honneur d'estre cueïllisPar les vaillantes mains du Monarque des Lis ;La Victoire vous en asseure.Croissez, Palmes, &c.
[Sonnet sur un habile Prédicateur] §
Je vous envoye un Sonnet qui en faisant la peinture d’un habile Prédicateur & des utiles effets qu’il produit par ses Sermons, insinuë agreablement quelle esperance doit estre permise à tous ceux qui ont cet admirable talent.
Sur un habile Prédicateur de Paris.
Quand tu parles, la Chaire est dignement remplie,Tu joins le saint Prophete au parfait Orateur ;Tu convertis l’Impie en charmant l’Auditeur.Ah ! que ton éloquence est chrestienne & polie ?***L’Orgueilleux qui t’écoute aussi tost s’humilie ;L’Avare de son or n’est plus adorateur,Et des Mysteres saints reverant la hauteur,Le Libertin sans foy reconnoist sa folie.***Ces prodiges frequens marquent ta Mission.Tous tes discours sont pleins d’une sainte Onction,Et tu ne presches rien que ce qu’on te voit faire.***Que je serois ravy de te voir mon Prelat !Tu ne peux jamais mieux remplir ton ministere,Mais paré de la Pourpre il auroit plus d’éclat.
[Vers adressés au Prince d’Orange]* §
Les Peuples de Hollande, quoy que retenus par leurs Magistrats, ou gagnez, ou apprehendant la puissance du Prince d’Orange, n’ont pû s’empescher de témoigner leur chagrin, de voir que les Alliez n’ont point fait de plus grandes pertes en Flandre que depuis que ce Prince s’est mis à la teste de leurs Armées. Jamais ils n’ont vû tant de promesses & si peu d’effets que depuis ce temps-là. C’est ce qui donna lieu à un Comedien d’Amsterdam, de le joüer il y a quelques mois, dans une Scene qui a fait beaucoup de bruit en Hollande, & mesme dans plusieurs Cours de l’Europe. Ce Comedien representant un Valet, discouroit avec son Maistre, & ce qu’ils disoient rouloit sur les moyens de vivre heureux dans le monde, & sur ce qu’il falloit faire pour parvenir à un bonheur accomply. Aprés avoir nommé bien des choses, le Valet conclut, qu’il falloit, pour vivre heureux, estre comme le Prince d’Orange, qui estoit heureux sans rien faire. Ce trait Satyrique fit tant de bruit, que pour satisfaire ce Prince on fut obligé de mettre le Comedien en prison. Au lieu des loüanges que les Flateurs du Prince d’Orange luy donnent, on pourroit luy dire les Vers suivans qui ont esté faits par Mr Diereville.
Au Prince d’Orange.
Prendre Namur, bombarder Charleroy,Trois défaites dans l’intervale,Nassau, cette Campagne est elle assez fatale ?Qu’en penses-tu de bonne foy ?Tu l’as veu de plus prés que moy,Et pour juger des coups nul autre ne t’égale.Sont-ce-là des Exploits d’un grand & puissant Roy ?Et malgré ta Ligue infernale,Trouves-tu par ces faits que Louis se signale,Et triomphe par tout de toy ?Si tu ne le vois pas, tout l’Univers l’admire.Tu devois partager son florissant EmpireEntre mille & mille Envieux.Quel chagrin va ronger ton cœur ambitieux !Retire-toy honteux d’une telle Campagne.Tu ne sçais que bastir des Chasteaux en Espagne,Lorsque Louis en prend les Villes à tes yeux.
[Réception faite au prince d'Orange]* §
La Maison de Chantilly est si belle, & Monsieur le Prince toûjours ingenieux à inventer des divertissemens, en fait trouver le sejour si agréable à ceux qui vont se promener dans cette délicieuse Maison, qu'il est impossible d'y avoir esté sans qu'on ait envie d'y retourner. C'est ce qui fait que Monseigneur le Dauphin s'y plaist. Il y a passé trois jours ce mois-cy avec Monsieur le Duc, Monsieur le Prince de Conty, & Monsieur le Duc du Maine. Pendant ce temp-là, les plaisirs ont succedé les uns aux autres. La chasse a esté heureuse, la bonne chere complette, & la joye toujours fort grande. Il ne faudroit pas connoistre Monsieur le Prince pour en douter. Monseigneur passa par Paris à son retour, & alla voir l'Opera de Phaëton qui n'avoit point esté joüé depuis plusieurs années, & qui parut avec de nouveaux embellissemens. Il fut extrémement applaudy, tant pour la Musique de Mr de Lully dont on ne se peut lasser, qu'à cause de la magnificence des Décorations & de la beauté des habits.
[Comedie] §
Je ne puis m’empescher de vous dire, en vous parlant des plaisirs, que les Comediens François, joüent une Comedie nouvelle, intitulée, Les Femmes à la Mode, dont le succez est tres-grand, & les assemblées nombreuses ; rien n’est plus vif, ne divertit davantage, & n’entre mieux dans le goust du siecle.