1693

Mercure galant, février 1693 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1693 [tome 2].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, février 1693 [tome 2]. §

[Madrigal] §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 7-8.

 

Voulez-vous, Madame, voir un Eloge du Roy, qui convienne parfaitement à ce Grand Monarque ? Vous le trouverez dans le Madrigal que vous allez lire. C’est un Ouvrage d’une petite étenduë, mais il dit beaucoup en peu de mots, & il ne faut pas un grand nombre de paroles pour faire entrer vivement dans tout ce qu’on peut penser des merveilleuses qualitez d’un Prince qui est né pour estre l’admiration de toute la terre.

 LOUIS est sage & genereux.
 En ses desseins il est heureux ;
 À ses Amis il est fidelle.
Les Souverains de sa gloire jaloux,
 Voudroient le prendre pour modelle,
 S’il alloit moins souvent aux coups.

[Reception de Mr d’Angers à Tours] §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 9-19.

 

Il se trouvera tant d’occasions de revenir sur cette matiere avant que je finisse ma Lettre que je la quitte maintenant pour vous apprendre ce qui s’est passé à Tours au voyage qu’y a fait Mr l’Evesque d’Angers. Ce Prelat, qui comme vous sçavez, est le Fils aîné de M r le Pelletier, Ministre d’Etat, y vint le Lundi 5. du mois dernier, à dessein de visiter le Tombeau de Saint Martin, & de se faire recevoir en qualité d’Evêque d’Angers en la fameuse Eglise où reposent les cendres de ce saint Pontife. Mrs du Chapitre qui en avoient esté avertis, envoyerent au devant de luy Mr l’Abbé le Loyer, Chanoine & ancien Chantre de cette Eglise, pour le convier à prendre le logement qu’ils luy avoient fait préparer chez Mr l’Abbé Collin, aussi Chanoine & Prevost de Valieres dans la mesme Eglise, tant pour luy, que pour Mr l’Abbé de S. Aubin, son Frere, Mr l’Abbé de Flamanville, & toute sa suite. Mr d’Angers estant arrivé à Tours fut complimenté par Mr l’Abbé Saicher, aussi Chanoine & Dignité, avec sept Dignitez, Prevosts & Chanoines députez du Chapitre, & regalé magnifiquement le soir aux dépens du même Chapitre. Le lendemain, Feste des Rois, sur les sept heures du matin, Mr l’Abbé le Loyer, & les autres Commissaires du Chapitre, le conduisirent à l’Eglise, où Mrs du Chapitre, & leur Clergé, qui est fort nombreux, le receurent à la porte, & d’où, après luy avoir presenté l’eau benite, & ensuite de la vraye Croix à baiser, ils le menerent au grand Autel en chantant un Répons de Saint Martin, à la fin duquel Mr l’Evêque d’Angers ayant chanté le Verset & l’Oraison du mesme Saint, donna la benediction solemnelle au Peuple, selon ce qui se pratique à la reception des Evéques qui sont Chanoines honoraires de cette Eglise. Cela estant fait, ce Prelat fut conduit solemnellement par tout le Clergé, au lieu où se tient le Chapitre, & où Mr l’Abbé Guedier, Chanoine & Sous-Doyen, luy ayant, en l’absence du Doyen, presenté un ancien Livre couvert de velours rouge, où sont contenus les Statuts de cette Eglise, avec le saint Evangile, & le serment des Evesques Chanoines de Saint Martin de Tours, Mr d’Angers prêta ce serment à haute voix, en Latin. [...]

Aprés avoir prété ce serment, il remercia Mrs du Chapitre de l’honneur qu’ils lui faisoient, les assurant qu’il le regardoit comme un des plus nobles avantages de l’Evêché d’Angers, parce qu’il luy donnoit lieu d’esperer une protection particuliere de S. Martin, & le droit de demander l’amitié d’une Compagnie qui tient un si haut rang dans l’Eglise, & ayant prononcé les éloges d’homme comparable aux Apôtres, & de premier des Confesseurs qu’on ait honoré publiquement dans l’Eglise, que l’antiquité a donnez à S. Martin, il ajoûta qu’il esperoit qu’avec le secours de leurs prieres qu’il leur demandoit dans l’esprit d’une veritable fraternité, il obtiendroit de ce grand Evêque, leur Pere commun, dont ils conservoient les cendres & le Tombeau dans leur Eglise, & l’esprit dans leurs mœurs, toute l’assistance dont il avoit besoin pour gouverner un Diocese qui avoit autrefois ressenty tant d’effets du grand zele de ce même Pontife. Puis il quitta le Camail d’Evêque, & s’estant revestu des habits de Chanoine, il fut conduit au Choeur, où Mr le Sous-Doyen, en l’absence du Chantre, l’installa dans la premiere place du costé droit prés le grand Autel. Il celebra ensuite la Messe au grand Autel, pendant laquelle on chanta un excellent Motet, de la composition de Mr Thierry, Maistre de Musique ; après quoy, Mr d’Angers revint à la place du Choeur, & entendit la Messe solemnelle du jour des Rois, dont il admira les ceremonies majestueuses, & propres à cette grande & ancienne Eglise. On la commença au Tombeau de Saint Martin derriere le grand Autel, où M. le Sous Doyen, qui estoit de semaine à l’Autel pour le Doyen, ne vint de ce Tombeau que pour l’Introite, accompagné de vingt Officiers qui l’avoient précedé dans toute la marche, qui est longue, puis qu’on fait le tour du Choeur, & qu’y estant entré, on passe à costé gauche du grand Autel pour aller au Tombeau de Saint Martin, d’où on vient ensuite par le costé droit au grand Autel. Après la Messe, Mr d’Angers fut reconduit comme auparavant à son logis, & y ayant dîné, & toute sa compagnie, avec Mr de Miromenil, Intendant de la Generalité de Tours, & un grand nombre de Mrs du Chapitre, qui avoient esté avec Mr l’Intendant au souper du soir précedent, il partit pour Angers, où il fut receu aux acclamations publiques de tout son Diocese. [...]

L’Alliance de l’Academie de Nismes, Avec l’Academie Françoise. Ode. §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 85-96.

 

Je vous ay mandé dans l’une de mes dernieres Lettres, que Mrs de l’Academie Royale de Nismes, ayant demandé à estre receus de temps en temps dans les Assemblées de l’Academie Françoise, cette Illustre Compagnie avoit consenty avec plaisir à cette espece d’association qui avoit esté proposée par Mr l’Evesque de Nismes, Protecteur de cette premiere Academie. C’est ce qui a donné lieu à Mr de Guintrandy d’Avignon de faire l’ouvrage que je vous envoye.

L’ALLIANCE
DE L’ACADEMIE
DE NISMES,
Avec l’Academie Françoise.
ODE.

 C’est assez garder le silence.
Tâchons par de nouveaux efforts
De chanter l’heureuse alliance
Que jurent deux illustres Corps.
Une celebre Academie
Reçoit en qualité d’Amie
Celle que Nismes voit fleurir ;
La Feste s’en fait au Parnasse.
Afin d’en parler avec grace
Daigne, Apollon, me secourir.
***
 Dans le sein d’une belle Ville.
Dont Nemause est le Fondateur,
S’élevoit une Ecole habile
Par les soins d’un grand Orateur.
Sous l’appuy de ce beau Genie,
Dont l’éloquence est infinie,
Elle estoit des Muses l’amour ;
Et par l’aveu mesme du Prince
Que revere cette Province,
Elle croissoit de jour en jour.
***
Là cent illustres Personnages
Charmez des douceurs des beaux Arts,
Consacroient mille beaux Ouvrages
À la gloire d’un autre Mars.
LOUIS que l’Univers admire,
Dont la France est l’heureux Empire,
De tous leurs chants estoit l’objet.
Rien que sa valeur, sa prudence,
Sa sagesse & sa vigilance,
N’en estoit l’auguste sujet.
***
 Quand les Muses, ces neuf Pucelles,
Admirant leurs doctes Ecrits ;
Ces beaux Ouvrages, dirent-elles,
Meritent bien d’aussi beaux prix.
Nostre devoir nous sollicite
À tenir toujours au merite
Nos plus rares tresors ouverts ;
Mais enfin quelle récompense
Peut couronner tant d’éloquence !
Quels Lauriers assez beaux & verds ?
***
 Mes Sœurs, ne soyons plus en peine
Dit Thalie en haussant la voix.
Je m’ouvre une route certaine
Qui m’offre un prix digne de choix.
Je médite avec confiance
Une riche & noble Alliance
En faveur de nos Nourrissons,
Et cette union ravissante,
Que nous sçaurons rendre constante,
Sera le prix de leurs Chansons.
***
Dans une Ville spatieuse,
Vous sçavez aussi-bien que moy
Qu’une Assemblée ingenieuse
A pour Protecteur un grand Roy.
Par le seul merite affermie,
Du beau titre d’Academie
Elle joüit éminemment ;
Et tout ce qu’eut Rome & la Grece
De sçavoir & de politesse,
Elle le possede amplement.
***
Faisons nos soins d’unir ensemble
Par de forts & durables nœuds,
Ces deux Corps dont chacun rassemble
Ce qu’il faut pour remplir nos vœux.
Ils ont tous deux en habitude
Du panchant pour la même étude,
Le mesme Roy pour leur objet.
Leurs humeurs n’ont rien de contraire,
Et pour peu que nous voulions faire,
Tout répond à nostre projet.
***
 Les autres Filles de Memoire
Loüant le dessein de leur Sœur,
Veulent avoir part à la gloire
De le conduire avec honneur.
Mais pour mieux regler nostre zele,
Il faut, reprit nostre Pucelle,
Que Phœbus en soit le garant.
Allons le trouver au plus viste.
Il est à l’écart qui médite
Les beaux faits de Loüis le Grand.
***
 Aussi-tost la Troupe divine
Se rend à l’endroit du vallon,
Où proche d’une eau cristalline
Resvoit doucement Apollon.
Il gravoit, au defaut du marbre,
Ces mots sur le tronc d’un gros arbre,
Mots, dont les yeux sont ébloüis.
Tu cours, Ligue, aprés un Fantôme,
Ton Guillaume est toujours Guillaume,
Et Louis toujours plus Louis.
***
 La Troupe en même temps s’avance,
Et se rangeant autour du Dieu,
Elle chasse loin le silence
Qui regnoit dans ce charmant lieu.
Thalie alors dont la voix forte
Sur toutes les autres l’emporte,
Dit d’abord au long son dessein ;
Puis prie avec un doux sourire
Phœbus qui l’écoute & l’admire,
D’y prêter le feu de son sein.
***
 Illustres Nymphes de Permesse,
Leur dit ce Dieu, leur doux soutien,
Le zele qui vous interesse
Me plaist autant qu’il vous sied bien.
Je donne dans vostre pensée,
Elle ne peut qu’estre embrasée
Puis que Fléchier sera pour vous.
Ouy, Fléchier, maistre en l’art de plaire,
Conduira luy seul cette affaire
Selon vos souhaits les plus doux.
***
 En effet, rien n’est plus facile.
N’avez-vous pas ensemble en luy
Du premier Corps un Membre habile,
Du second un illustre appuy ?
Que differez-vous davantage
D’employer ce grand Personnage
Qui peut tout sur tous les esprits ?
Sus donc, Muse, partez sur l’heure,
Pour l’informer dans sa demeure
Du dessein que nous avons pris.
***
 Comme le trait qu’une main ferme
Décoche avec un air aisé,
Court en volant marquer le terme
Que l’Archer s’estoit proposé ;
Ainsi la Nymphe toute preste,
Sans qu’aucun autre soin l’arreste,
Fend les vents sur l’aislé Coursier ;
Et par une vistesse extrême
Elle arrive enfin le jour mesme
Au Palais du fameux Fléchier.
***
 Ayant laissé dans l’écurie
Pegase au plus gras ratelier,
La Muse dans sa rêverie
Monte hardiment l’escalier :
Et sans trouver aucun obstacle,
Elle va consulter l’Oracle
Dont l’esprit est si juste & net,
Et prenant la plus courte voye,
Elle le rencontre avec joye
À l’étude du Cabinet.
***
 Elle entre, non sans le surprendre
D’un agreable étonnement.
Ensuite elle luy fait entendre
Son dessein par son compliment.
Ce grand homme aussi-tost s’engage
À prester ses soins à l’ouvrage,
Puis qu’Apollon le commandoit.
En ayant donc receu parole,
La Muse derechef s’envole
Sur Pegase qui l’attendoit.
***
 Alors Fléchier devoit au Prince
Porter au nom des trois Etats
Le Cahier de cette Province
Si fertile en vins delicats.
Il part plein de cette éloquence
Dont tout reconnoist la puissance,
Et qui peut à soy tout gagner.
Il vient, il arrive, on admire
Qu’il soit tel en l’art de bien dire,
Que LOUIS en l’art de regner.
***
 Cet Office considerable
Qui le fait paroistre à la Cour,
Est l’occasion favorable
Qui met enfin son œuvre au jour.
Il parle, & tout suit son beau zele.
D’abord cette union fidelle
Se contracte au gré des neuf Sœurs,
La Feste s’en fait au Parnasse ;
Tout y chante & danse avec grace,
Mesme les plus graves Censeurs.
***
 Les arbres sur l’écorce dure
Font voir, déployant leurs tresors,
En chiffres, en fleurs, en peinture,
Les noms des deux illustres Corps.
La claire & la pure Fontaine
Se laisse boire à tasse pleine.
Phœbus tient ses coffres ouverts :
Chacun de Laurier se couronne,
Et tout le Pinde ne resonne
Que de Ris, de Chants, & de Vers.

[Tout ce qui s’est passé au transport du corps de feu Mr le Prince de Mekelbourg, & à ses funerailles] §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 96-111.Voir à ce sujet cet article.

 

Ma Lettre du mois d’Octobre dernier vous apprit la mort de Mr le Duc de Mekelbourg, Prince des Wandales. Il faut aujourd’huy vous faire sçavoir de quelle maniere on a transporté son corps dans ses Etats, & les ceremonies qui se sont faites à ses funerailles. Voicy un Extrait de plusieurs Relations qui en ont esté envoyées par differentes personnes à Madame la Duchesse Douairiere de Mekelbourg. Vous connoissez, Madame, avec toute l'Europe le rare merite de cette Princesse, Sœur de Mr le Mareschal duc de Luxembourg, de l'Illustre Maison de Montmorency. Les deferences que feu Mr de Mekelbourg avoit pour elle, accompagnées d'une distinction particuliere, la qualité de Regente de ses Etats qu'elle a gouvernez plusieurs années avec une dépense digne de son rang, & la satisfaction que toute l'Allemagne a marquée de sa conduite, en donnent des preuves incontestables. Il faut aussi vous dire le soin que l'on a pris de luy déguiser l'empressement que le Prince a continuellement témoigné, de la revoir prés de luy, pendant le cours de sa maladie & dont elle n'a esté informée qu'aprés sa mort, luy a donné dans une si grande perte un sentiment de douleur qui ne finira qu'avec la vie, puis qu'elle s'est veuë privée de la consolation de luy rendre ses derniers devoirs. Ce Prince mourut à la Haye le 29. de Juin dernier. Le 15 du mois de Juillet suivant Mrs de Lutzau, de Varnsted, Desperlin & de Drisberg y arriverent en qualité de Deputez de la Regence de Mekelbourg & de Maréchaux de cette Cour, pour prendre le soin d’y transporter son corps, de le garder & de l’accompagner dans tout le voyage. Mr S l’Espagnol, premier Aumônier du défunt Prince, ayant fait les Prieres ordinaires pour les Morts, le 17 à trois heures du matin Mrs les Deputez & les premiers Officers de son Altesse S. porterent son corps jusqu’au plus proche Canal, où estoit une Barque magnifiquement tenduë de deüil, pour le transporter à Amsterdam. Elle y arriva sur les sept heures du soir, & la maison de Mr de Vicquefort, Resident du Prince, donnant sur le Canal, il y attendit les Députez au passage, & leur ayant fait son compliment de condoleance, il leur offrit ses services & son logis. La Barque y demeura attachée pendant toute la nuit, portant le pavillon de Deüil aux armes de Mekelbourg, ce qui attira dans ce quartier-là une foule extraordinaire de Peuple.

Le 18 Mr de Vicquefort qui avoit obtenu les depesches necessaires de Mrs de l'Amirauté, se mit dans la plus belle de leurs Barques avec les Officiers du défunt Prince, & allant devant celle où estoit le corps avec Mrs les Deputez, l'une & l'autre traverserent toute le Ville pour aller au Port, & sur le midy elles arriverent à bord de la fregatte nommée le Mercure, montée de trente pieces de Canon, portant pavillon de deüil, aux armes de Mekelbourg. L'on y mit le corps dans une chambre tenduë de deüil, & on en laissa la garde aux Officiers de leur suitte. Les équipages du Prince & quelques-uns de ses gens furent mis dans un autre Bâtiment, que Mrs de l'Amirauté avoient eu l'honnesteté d'accorder pour aller de conserve avec la Fregate de l'Etat

Le 19. au soir , on mit à la voile pour gagner l’embouchure de la Mer d’Amsterdam. L’on y arriva le 22. & l’on y resta jusqu’au 28. n’ayant pas de vent propre pour en sortir & pour entrer dans la grande Mer. Le 29. au matin on mit à la voile avec un bon vent, & l’on arriva le 31 dans l’embouchure de l’Elbe.

Le 1. jour d’Aoust l’on moüilla l’ancre devant Altena. Le 4. on transporta le corps sur une Barque de Hambourg, tenduë de deüil dedans & dehors & dont tous les gens de l’équipage estoient aussi vestus de deüil. Sur les huit heures du matin, la Fregate ayant fait une décharge de tout son Canon, fit voile du costé de Hollande, & la Barque alla du costé de Hambourg, où l’on sonna toutes les Cloches lorsqu’elle passa devant la Ville.

Le 16. on arriva devant Lawembourg, qui est sur le bord de l’Elbe. Plusieurs Officiers s’y trouverent avec des Carrosses de deüil, tout prests pour transporter le Corps, & pour luy servir de cortege jusqu’au Château de Swrin. On y arriva le 8. & plusieurs Ecclesiastiques, parmy lesquels estoit le Chapelain du Château, allerent avec la Croix & l’Eau benite le recevoir à la premiere porte du Jardin. Ils estoient suivis des premiers Officiers de la Cour, d’un grand nombre de gens qui portoient des Flambeaux, & qui accompagnerent le Corps jusqu’à la Chapelle du Chasteau, où l’on avoit préparé un Mausolée, appellé en ce pays-là Castrum doloris, aussi propre & aussi magnifique, que la disposition du lieu pouvoit le permettre. Depuis ce jour-là jusqu’à celuy qui estoit destiné pour faire les Obseques, on celebra tous les matins plusieurs Messes dans cette Chapelle ardente, & jour & nuit il y avoit quatre Gentilshommes, quatre Pages, six Trompettes, six Valets de Chambre, douze Hallebardiers, souvent d’autres personnes, & toujours quelques Prestres qui faisoient la garde.

Le Mardy 2. de Septembre, jour choisi pour les Obseques, on les commença le matin par un Service de trois Messes consecutives, dont le premier Aumônier dit la derniere, aprés laquelle il fit les prieres & les aspersions accoutumées. Sur les dix heures, le Curé ou Chapelain dit la messe des Morts, qui fut chantée en Musique, aprés laquelle il fit l’Oraison Funebre en haut Allemand, & prit pour texte, par ordre de la Cour, ces paroles tirées du premier Livre du Paralipomene, chap. 29. Et ainsi David, fils d'Isaye, regna sur tout Israël, & les jours qu'il regna sur Israël furent quarante ans. Il regna sept ans en Hebron, & trente-trois ans en Jerusalem, & mourut en bonne vieillesse plein de jours, de richesses & de gloire, & Salomon son Fils regna pour luy.

Un Ministre Lutherien faisoit aussi en même temps l’oraison Funebre, dans une Salle du Chasteau, en presence du nouveau Duc, des Princes & Princesses de la Cour. Elle avoit ordonné qu’on fist la mesme chose dans toutes les Eglises des Etats du Mekelbourg ; & aprés l’Oraison finie, l’on devoit lire la Genealogie & les Alliances des Princes défunts, & recommander aux prieres des Assistans les Princes & Princesses de cette Serenissime Maison, qui sont encore en vie.

Le Mercredy, jour destiné pour transporter le Corps du Prince défunt dans l’Abbaye de Daubren, sepulture des Rois & Princes des Wandales ses Predecesseurs, on dit toujours les Messes du matin ; & ensuite on mit le Cercueil qui estoit venu de la Haye, dans un autre de cuivre doré, magnifiquement travaillé, & sur lequel il y avoit un Crucifix avec la Couronne fermée, ses Supports & ornemens necessaires, le tout d’argent massif. Tout estant prest pour le départ, vingt-quatre Gentilshommes, précedez de quatre Maréchaux de la Cour, & de plusieurs Officiers, tous en grand deüil, transporterent le Corps sur un Chariot, qui estoit au milieu de la court du Chasteau, escorté de vingt-quatre Hallebardiers, & d’un détachement des Gardes du Corps.

Les Trompettes qui estoient à leur teste, ayant sonné la marche d’un air fort lugubre, le grand Ecuyer qui la regloit fit avancer les quatre Maréchaux de la Cour, les fit suivre de vingt-quatre Gentilshommes, fit marcher le chariot avec son escorte, & ensuite le premier Ministre d’Etat, le General Major, plusieurs Conseillers d’Etat, & quantité d’autres Officiers suivirent le Corps, faisant une espece de procession dans la Cour du Chasteau. On en sortit dans cet ordre [...].

Epistre §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 134-139.

 

Je vous envoye un Ouvrage de Mr l’Abbé de Maumenet, que vous sçavez avoir remporté le Prix des Vers en plusieurs Academies. C’est une preuve du talent qu’il a pour les bien tourner. Ceux-cy sont adressez à un homme qui en peut juger parfaitement bien, puis que l’on en voit de temps en temps de sa façon, qui sont approuvez de tout le monde. C’est à Mr le President de Montforan, Frere de Mr Brunet, Garde du Tresor Royal. La delicatesse de son esprit répond à la penetration qu’il a pour les affaires. Outre sa Charge de President en la Chambre des Comptes, il est Chef du Conseil de Son Altesse Royale Monsieur, & Conseiller honoraire au Parlement de Paris.

EPISTRE.

Favory des neuf Sœurs, dont l’excellent genie
Connoist de leurs accords la parfaite harmonie,
Et qui sçais dérober à tes Emplois divers,
Des momens consacrez à l’amour des beaux Vers,
Montforan, aujourd’huy que l’An se renouvelle,
Je te viens par ces Vers renouveller mon zele.
L’Interest, qui seduit le cœur des Courtisans,
N’a point de son poison corrompu mon encens ;
Il est pur, & jamais mon cœur qui te revere
N’offrit’à la vertu d’hommage plus sincere.
 Mais quoy ! t’offrir des Vers, quand les biens de l’esprit
N’ont plus aux yeux des Grands d’éclat ny de credit,
Qu’on n’estime plus rien que train & qu’équipage,
Qu’on songe à s’enrichir plus qu’à devenir sage,
Et qu’on croit trop payer les plus brillans Ecrits,
S’il en coûte un seul mot, un clin d’œil, un soûris !
N’est-ce point se flater d’un espoir témeraire,
D’aspirer par des Vers à l’honneur de te plaire,
Et de croire qu’un Don si méprisé des Grands,
Peut paroistre à tes yeux un Don plein d’agrémens ?
Non sans doute. Cheri du Ciel, de la Fortune,
Ton cœur ne marche point dans la route commune ;
Il préfere à l’éclat des fragiles grandeurs
La solide beauté du genie & des mœurs.
Sans elle, à ses desirs l’homme toujours en proye
Ne ressentit jamais de veritable joye.
Indigent au milieu de tous ses vains tresors
Il n’a de l’homme heureux que de pompeux dehors.
Moy, qui content du sort où le Ciel m’a fait naistre,
Borne tous mes desirs à m’en rendre le maistre,
Je ne vais point du Riche, ennemy des beaux Arts,
En servile Client consulter les regards,
Et de ses feux divins la docte Melpomene
Pour de lâches Mortels n’échauffe point ma veine.
Mais pour toy, qui tranquille à l’ombre de tes bois
De mille tendres airs fais resonner Brunois,
Et qui vangeant du sort l’infortuné Titire, *
Fus l’objet de ses chants & le Dieu de sa Lyre,
Tant que mes yeux verront la lumiere du jour,
Montforan, je sçauray signaler mon amour.
Je viens te le jurer cette nouvelle année,
Et si de tes beaux ans l’heureuse destinée
En mesuroit le cours au gré de mes souhaits,
Ainsi que ta candeur tu ne mourrois jamais.
1

Imitation de l’Ode d’Horace, qui commence par Quantum distat ab Inacho §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 140-143.

 

J’ajoûte deux Odes d’Horace, que Mr Faydit de Saint-Bonnet a renduës en nostre Langue.

IMITATION DE L’ODE
d’Horace, qui commence par, Quantum distat ab Inacho.

 Telephe, que te sert d’appliquer tous tes soins
 À chercher en vain dans l’Histoire
 Le Prince qui regna le moins,
Ou celuy qui vécut le plus long-temps en gloire ?
Pourquoy te fatiguer de mettre en ta memoire
Le nom de tous les Rois qui depuis Inachus
Ont regné tour à tour jusqu’aux Antiochus,
Et le moindre détail de leur moindre victoire ?
 Tu sçais combien depuis Belus
 Ont coulé d’ans jusqu’à Cyrus,
Et tu peux de nos jours passer pour la merveille.
J’y consens ; mais répons, combien vaut la bouteille
 De ce bon vin qu’on vante tant ?
Telephe, tu te tais ! tu n’es qu’un innocent.
La plus belle science est de sçavoir bien boire,
 Je ne fais du reste aucun cas.
Ne vante plus Codrus ; & si tu veux m’en croire,
Jette au feu tes écrits, & brûle ton Grimoire,
 Et commençons nostre repas.
Ça, Laquais, qu’on nous serve, & que chacun s’empresse
 A nous verser de ce bon vin ;
 Car je sens que la soif me presse.
 Allons, Telephe, & beuvons plein
 De ce divin jus de la Treille.
 Dans ces neuf verres que tu vois,
 C’est aux Muses à qui je bois.
Une semblable ardeur pour les Graces m’éveille ?
 Ajoûtons-en encore trois.
 C’est maintenant que je veux rire.
 Telephe, va prendre ta Lyre,
Le vin & les chansons s’accordent toujours bien.
 Je hay les gens qui ne font rien.
 Mais pour mieux celebrer la Feste,
De ces bouquets de fleurs couronnons-nous la teste.
 Rions, chantons, que de nos chants
 Le voisinage retentisse ;
Que l’envieux Lycus de colere en pâlisse.
 Amy, vivons toujours contens.
Du vin & de l’amour faisons nostre partage,
Des severes vieillards negligeons les avis.
La sagesse des Grecs est un pur badinage.
 Qui boit le mieux est le plus sage.
Vivons parmy les jeux, les plaisirs, & les ris.
 Profitons de la fleur de l’âge
Aime toujours Chloé, j’aimeray Glyceris.

Autre Imitation d’une autre Ode d’Horace, qui commence par, O nata mecum Consule Manlio §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 144-145.

 

AUTRE IMITATION
d’une autre Ode d’Horace, qui commence par, O nata mecum Consule Manlio.

 Mere des ris & des querelles,
 Dispensatrice du repos,
Source de jeux, d’amours nouvelles,
 Viens, Bouteille, il est à propos.
 Corvin pour ton doux jus soupire.
Haste-toy d’obeir à ses justes desirs.
Si de Caton en luy la vertu l’on admire,
 Il aime à goûter les plaisirs ;
 Et comme luy le bon vin me fait rire.
De ton divin Nectar viens assoupir nos sens.
 La vertu sans toy ne peut plaire.
 L’on voit souvent le plus severe
Venir prendre en ton jus des plaisirs innocens.
Bacchus au plus grossier donne de l’éloquence ;
 Au timide de l’assurance.
 Ce Dieu souvent au plus discret,
Sans user de contrainte, arrache le secret.
Il peut, quand il luy plaist, dissiper nos tristesses ;
 Il donne aux malheureux l’espoir,
Il éleve le pauvre au comble des richesses,
 Rien ne résiste à son pouvoir.
 Viens, Bacchus, amene à ta suite
 Les Ris, les Jeux, les Plaisirs & l’Amour.
 Passons la nuit sous ta conduite,
  Attendant le retour
  Du bel Astre du jour.

[Histoire] §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 146-181.

 

Il ne faut qu’aimer veritablement pour venir à bout de tout ce qu’on veut. Les entreprises les plus difficiles que le cœur conduit, sont presque toujours suivies d’un succés heureux, & quelques obstacles qu’on y puisse rencontrer, il y en a peu qu’on ne surmonte avec le secours du temps. Un Cavalier, né avec de grands avantages du costé de la Fortune, puisque la mort de sa Mere luy avoit assuré du moins quinze mille livres de rente, outre le bien que son Pere, qui estoit d’ailleurs fort riche, luy devoit laisser, avoit cependant sujet de se tenir malheureux, par l’avarice de ce mesme Pere, qui devant joüir de ce revenu suivant la Coustume de Normandie, tant qu’il ne se remarieroit pas, ne luy en faisoit qu’une fort legere part. Ainsi il auroit manqué de beaucoup de choses, s’il n’eust pas eu un Amy qui estant en possession de deux belles Terres en usoit pour luy sans nulle reserve. Le Cavalier n’en abusoit pas, & pour ne point incommoder son Amy, il moderoit le penchant qu’il avoir pour la dépense, se contentant de pouvoir fournir à celle qu’un honneste homme qui est seur d’avoir du bien, se trouve obligé de faire. L’étroite amitié qui l’unissoit avec cet Amy s’augmentoit de jour en jour, & par les nouveaux secours qu’il en recevoit, & par les sentimens de reconnoissance qui portoient jusqu’à l’excés l’attachement qu’il avoit pour luy. Il le voyoit fort souvent, & ses frequentes visites luy ayant donné un accés fort familier auprés de sa Mere, qui estoit une Femme estimée de tout le monde, & d’une vertu à servir d’exemple à toutes les autres, il se plaisoit aussi à luy rendre d’assez grands devoirs. Elle avoit esté fort belle, & quoy qu’elle eust plus de cinquante ans, elle auroit encore passé pour une jeune Personne, si son Fils qui en avoit plus de trente, n’eust fourny un témoin contr’elle pour prouver son âge. Tous ses soins alloient à bien élever une Fille qu’elle avoit, & en qui elle vouloit que la bonne éducation suppléast par le merite au peu de bien que les Loix de la Province où elle estoit née, luy permettoient d’esperer. Il est vray que si la beauté peut estre comptée pour quelque chose, elle estoit fort riche de ce costé-là, puis qu’elle estoit née avec les Graces, & que les leçons qu’on luy donnoit, & dont elle profitoit avec beaucoup d’avantage, la rendoient de plus en plus une personne accomplie. Sa douceur, son esprit aisé, simple & naturel, & ses manieres toutes engageantes, furent des charmes ausquels le Cavalier ne put resister. L’humeur interessée de son Pere luy faisoit connoistre qu’il ne s’accommoderoit pas d’une Belle Fille dont la fortune estoit des plus mediocres, mais le plaisir de satisfaire son cœur l’emporta sur sa raison, & quand sa passion l’auroit entraîné avec moins de violence, les extrêmes obligations qu’il avoit au Frere, sembloient demander ce qu’il sentoit pour la Sœur. Flatté des raisons qu’il se donnoit à luy-mesme pour autoriser l’engagement qu’il prenoit, à quelques traverses que cet amour le dust exposer, il crut qu’il y alloit de sa gloire de ne le combattre pas, & qu’en s’y abandonnant il remplissoit les devoirs de parfait Amy. À peine eut-il formé ce dessein, qu’il le fit paroistre aux yeux des Interessez. La Mere & la Fille s’en apperceurent d’abord, & l’agrément avec lequel elles répondirent aux premieres marques qu’il leur en donna, l’enflamma de telle sorte, qu’il mit bientost son secret dans les mains du Frere, Il n’eut pas de peine à estre écouté sur les instantes prieres qu’il luy fit, de mettre la chose en état de reussir. La Mere & la Fille estoient toutes disposées à luy accorder le consentement qu’il demandoit, mais ce qu’il y avoit de plus important, c’estoit d’obtenir celuy de son Pere, qui ayant esté instruit de ses assiduitez dans cette maison, luy fit de rudes menaces s’il osoit penser au mariage. Le Cavalier répondit qu’il ne devoit pas estre surpris qu’il vist souvent un Amy qui l’obligeoit en toutes rencontres, & que ne pouvant se dispenser de voir quelquefois sa Mere & sa Sœur, il se croiroit indigne d’estre né ce qu’il estoit s’il manquoit d’honnesteté pour l’une & pour l’autre, mais qu’il bornoit cette honnesteté à des devoirs si indifferens, qu’on n’avoit pas lieu de s’en alarmer, outre qu’en l’estat où il se trouvoit, il s’offriroit inutilement, puis qu’il n’y avoit personne qui le voulust accepter. Son Pere luy dit, qu’il se chargeoit volontiers de son établissement, mais qu’il prist garde à ne le pas obliger à des resolutions qui luy seroient desavantageuses ; qu’il chercheroit un party qui luy feroit faire une agreable figure, & que quand il verroit les choses proportionnées à ce qu’il pouvoit prétendre, il luy remettroit le bien de sa Mere. Cela fut dit d’un ton si imperieux que le Cavalier vit bien qu’il falloit dissimuler, & attendre un temps plus favorable pour voir si son Pere ne changeroit point de sentimens. Il rendit compte de tout à la Belle, à laquelle il fit de nouveaux sermens de mourir plustost que de rien souffrir qui nuisist à son amour. Il voulut mesme que son Amy fust témoin de ces protestations, & comme ils estoient inseparables, il avoit du moins le plaisir de luy parler de la charmante personne qu’il aimoit, quand il n’avoit pas celuy de la voir. Il en eut la liberté toute entiere, par un long voyage que fit son Pere à Paris, pour une affaire qui luy estoit d’une extrême consequence. Il y demeura plus de six mois, & pendant ce temps, les deux Amans qui se voyoient à toute heure, prirent l’un pour l’autre un si fort attachement, qu’il n’y eut plus rien qui pust y donner atteinte. Ils songerent à tous les moyens qu’on pouvoit imaginer, pour gagner l’esprit du Pere, qu’il y alloit de leur interest de ménager, puisque non seulement il étoit en droit de joüir jusqu’à sa mort du revenu de tout le bien de son Fils, mais qu’il pouvoit luy faire grand tort, touchant sa succession, s’il se marioit contre son gré. Cela l’obligeoit à estre plus retenu dans la declaration de ses sentimens, mais si cette contrainte luy estoit fascheuse, il se trouva dans un embarras extraordinaire, lors que son Pere estant revenu, luy fit sçavoir qu’il avoit donné parole pour luy, en le mariant avec une jeune Demoiselle qui luy apportoit cinquante mille écus en argent comptant, outre ce qu’elle pouvoit encore esperer, lors que son Pere viendroit à mourir. Elle estoit Fille d’un homme qui l’avoit servy tres-utilement dans son affaire, & avec lequel il avoit renouvellé une ancienne amitié, contractée par eux dans leur jeunesse. Les Articles estoient arrestez de bouche. Il renonçoit en faveur du Cavalier, à la joüissance du bien de sa Mere, & s’obligeoit, quand ils seroient mariez, à les recevoir chez luy, sans qu’il leur coustast aucune chose. Le Cavalier étourdy du coup, se contenta de luy dire froidement, que l’union des esprits estant necessaire dans le mariage, il devoit apprehender de ne plaire pas à celle qu’il avoit voulu luy choisir pour Femme, & qu’il seroit mieux qu’ils se fussent veus un peu de temps, pour sçavoir, avant que de rien conclure, s’ils se pouvoient assurer d’estre le fait l’un de l’autre. Son Pere luy ferma la bouche, en luy disant, que sur le portrait qu’il avoit fait de son esprit & de son humeur, la Demoiselle estoit fort contente, & que comme elle estoit jolie & fort aimable, il se tenoit seur qu’il ne le seroit pas moins du choix qu’il avoit fait d’elle, qu’ainsi il falloit qu’il se préparast à terminer une affaire qui luy devoit estre si avantageuse, & qu’ils partiroient ensemble un mois aprés pour dégager sa promesse. Dans quel desespoir le Cavalier ne se vit-il pas reduit par un ordre si cruel ? Il fut cent fois tenté d’éclater, & de ne plus cacher à son Pere, que rien au monde ne seroit capable de le détacher de l’amour qu’il avoit pris, mais dans la crainte de fâcher ce qu’il aimoit, il crut ne devoir rien faire que de son consentement. Il alla luy dire tout ce qu’il venoit d’apprendre, & il parut à ses yeux dans un état à faire pitié. La Belle touchée de l’accablement où il estoit, ne pouvoit se par donner d’en estre la cause, & par un pur excés de tendresse, elle vouloit qu’il acceptast un party, qui devoit luy faire une agreable fortune, au lieu que les sentimens qu’il avoit pour elle, s’il osoit les soûtenir, ne feroient que l’exposer au ressentiment d’un Pere, qui estant le Maistre de son bien, le laisseroit toujours malheureux. Il regarda ce conseil comme un outrage qu’on faisoit à sa constance, & se plaignit fortement de l’indifference de la Belle. La Mere & le Frere furent appellez pour regler leur démeslé, & ayant appris l’engagement où son Pere l’avoit mis, ils se trouverent fort embarassez sur les ressorts qu’il falloit faire jouër pour parer ce coup. Le Cavalier, à qui leurs raisonnemens paroissoient ne rien produire, prit sa resolution sans balancer. Ce fut, si son Pere s’obstinoit à le vouloir contraindre à partir, de se dérober de luy, & d’aller passer quelque temps en Italie, pendant quoy il employeroit ses Amis pour luy faire entendre qu’il se resoudroit plûtost à ne revenir jamais, qu’à se soumettre à un mariage où il sentiroit son cœur opposé. Il fut jugé à propos de ne consentir qu’à l’extrémité à l’éloignement dont il formoit le dessein ; mais loin qu’il pust reculer l’affaire qui l’obligeoit à le prendre, les nouvelles qu’on receut furent un sujet de l’avancer. Le Gentilhomme qui luy promettoit sa Fille, manda à son Pere, qu’il estoit tout prest de faire le mariage où il s’estoit engagé, mais qu’il ne vouloit point de retardement, ny demeurer plus longtemps dans l’incertitude, parce qu’il s’offroit un homme fort considerable pour qui on le pressoit d’entrer en parole. Le Pere craignant qu’un party si riche ne luy échapast, répondit sur l’heure qu’il partoit incessamment, & en effet il arresta le jour du voyage, mais il le fit inutilement, puis que dés lendemain il fut surpris d’une attaque de goute fort violente, qui le prenoit assez rarement, mais qui luy duroit quelquefois deux mois entiers. Le Cavalier ravi de cet incident, crut gagner beaucoup en gagnant du temps ; mais son Pere qui ne vouloit point hazarder la chose, envoya chercher son Notaire, qui dressa un acte, par lequel il donnoit un plein pouvoir à son Fils pour se marier, en specifiant toutes les clauses dont il estoit convenu avec le Pere de la Demoiselle. Il accompagna cela d’une Lettre qui portoit l’excuse de son incommodité, & en donnant le tout à son Fils, il luy ordonna de partir le jour suivant, Le Cavalier fort content de faire seul le voyage, alla faire ses adieux, & dit à la Fille devant sa Mere & son Frere, qu’elle n’avoit rien à craindre, puis qu’assurément il se feroit refuser, quand il faudroit pour cela declarer l’amour qui le rendoit incapable d’en avoir jamais pour aucune autre, & qu’afin qu’il eust un conseil sincere pour en trouver les moyens, il croyoit que son Amy voudroit bien l’accompagner. Le Frere y consentit avec joye, & tout d’un coup il luy tomba dans l’esprit un expedient auquel ils donnerent tous les mains. On avoit peint la Demoiselle jolie, & cinquante mille écus qu’on luy donnoit en argent comptant accommodoient extrémement ses affaires. Il proposa d’aller l’épouser sous le nom du Cavalier. La Lettre & la procuration du Pere rendoient la chose facile. Sa naissance estoit des meilleures de la Province. Il avoit plus de bien que le Cavalier, à regarder seulement celuy de sa Mere, dont son Pere luy cedoit la joüissance, & il avoit l’esprit si bien fait & l’humeur si complaisante, qu’il se tenoit seur, quand il seroit marié, de gagner assez le Pere & la Fille, pour leur pouvoir découvrir la tromperie, sans qu’ils eussent lieu d’en estre fâchez. Le Cavalier qui embrassa son Amy cent & cent fois dans le transport de sa joye, le crut inspiré du Ciel. Il n’avoit en veuë que le plaisir d’estre dégagé de cette affaire, & s’étant donné rendez-vous sur le chemin, ils se rejoignirent au lieu marqué, sans que l’on sceust qu’ils alloient ensemble. Lors qu’ils furent arrivez, l’Amy seul du Cavalier parut chez la Demoiselle. Ils estoient tous deux de la même taille, tous deux en perruque brune, & on ne pouvoit avoir assez bien marqué les traits du Cavalier, pour craindre qu’on les trouvast differens de ce qu’on avoit pû dire. Ainsi son Amy passa aisément pour luy, & il eut d’autant moins de peine à jouër ce personnage, que la Lettre & l’Acte dont il estoit le porteur, le faisoient paroistre ce qu’il vouloit qu’on le crust. Il se montra si galant, & attaqua le cœur de la Demoiselle par des manieres si vives & si engageantes, que s’en estant fait aimer d’abord, on se rendit avec beaucoup de plaisir à l’empressement qu’il témoigna de conclurre promptement le mariage. Il fit des presens de Noces dont on eut lieu d’estre satisfait, & en prenant la qualité de Mary, il ne quitta point celle d’Amant. Le Pere du Cavalier ayant eu nouvelles que son Fils estoit marié, ne pouvoit assez louër sa soumission à ses volontez, qui luy avoit fait sacrifier une passion dont il avoit eu sujet de craindre les suittes. Ce qu’il y eut de remarquable dans le Cavalier, c’est qu’apprenant tous les jours par son Amy, qu’il devenoit vrayment amoureux, il ne voulut voir la Demoiselle qu’aprés qu’il l’eut épousée ; encore ne la vit il qu’à l’Eglise, se reservant à luy aller faire compliment sur son changement d’état, quand son Amy auroit trouvé à propos de se découvrir pour ce qu’il estoit. Deux mois se passerent dans tout l’agrément que peut avoir le mariage le mieux assorty, & pendant ce temps le Marié fit paroître une humeur si accommodante, & des qualitez si peu communes, que se voyant seur du cœur de sa Femme, & de l’amitié de son Beau-pere, il crut que pour se mettre à couvert de ce qu’il avoit à craindre de quelques personnes qui le connoissoient, & que le hazard luy avoit fait rencontrer, il estoit temps de leur declarer à l’un & à l’autre la tromperie qu’il leur avoit faite. Il tourna la chose si adroitement, que leur ayant parlé d’abord de luy-même, comme d’une personne étrangere, dont il vouloit leur faire connoistre le bien, la naissance, & tout ce qui auroit pû le rendre digne d’obtenir sous son vray nom, ce qui luy avoit esté accordé sous celuy d’un autre, on luy pardonna sans peine ce qu’il avoit fait en faveur de l’amour tendre & constant que son Amy avoit pour sa Sœur. On souhaitta de voir un Amant qui sçavoit si bien aimer, & quoy qu’on luy trouvast beaucoup de merite, on ne fut point fâché de l’avoir perdu, puis que sa perte estoit reparée d’une maniere si avantageuse. On luy promit, non seulement le secret entier auprés de son Pere, mais encore tous les bons offices qu’on pourroit luy rendre pour le faire consentir à son mariage, quand on luy auroit appris qu’il étoit encore en état de le conclure. Cependant par un incident qu’on n’auroit jamais prévû, il n’eut pas besoin de leur secours. Son Pere qui le croyoit marié, & que la crainte de perdre le revenu du bien de ce Fils, s’il se marioit luy-même, ne retenoit plus, eut envie de voir la belle personne à qui il croyoit l’avoir dérobé. Il la trouva tout à-fait aimable, mais comme il ne la put voir qu’il ne vit sa Mere en même-temps, il fut tellement frappé de son merite, qu’il se resolut à l’épouser. Elle convenoit assez à son age, & avoit encore de grands restes de beauté. D’ailleurs, elle s’estoit acquis une si grande réputation par son esprit, sa vertu, & sa sagesse, qu’il regardoit cette affaire, comme la chose du monde qui pouvoit le plus contribuer à luy asseurer une vie douce, & degagée de tous soins. Il fit proposer ce mariage, & la Dame qui comprit d’abord qu’il pourroit faciliter celuy de sa Fille, en écrivit sur l’heure à son Fils, pour en avertir le Cavalier. On tint conseil, & rien ne parut plus avantageux. Ce Mariage asseurant du bien au Cavalier, luy donnoit moyen de tenir parole à ce qu’il aimoit, quand mesme son Pere n’y voudroit pas consentir. On termina la chose en fort peu de temps, & elle ne fut pas si tost concluë, que le Cavalier partit pour aller feliciter son Pere sur cette alliance. Il en fut reçu en Fils dont il avoit tout sujet de se louër, & par son obeissance, & par l’interest qu’il prenoit à son bonheur. Ce fut pour ce Fils un plaisir sensible de trouver chez luy l’aimable personne qui possedoit tout son cœur, & de luy pouvoir parler presque à tous momens. Comme son merite, qui se découvroit tout entier de jour en jour aux yeux de son Pere, avoit fait sur luy de grandes impressions, & que l’amour de son Fils luy paroissoit se renouveller en la revoyant, il ne se put empêcher de dire à sa Mere, soit pour la flater, soit qu’il le pensast ainsi, que s’il eust crû que sa Fille eust esté aussi accomplie qu’il la trouvoit, malgré son peu de fortune, il n’auroit eu nulle repugnance à la recevoir pour sa Belle-Fille. Cette occasion estoit trop belle pour la laisser échaper. La Dame luy demanda, si supposé que son Fils devinst en état de disposer de luy-même, elle pouvoit s’assurer qu’il luy laisseroit épouser sa Fille. Il luy protesta avec un serment si solemnel, qu’il n’y mettroit point obstacle, qu’elle crut devoir luy découvrir tout ce qui s’estoit passé entre son Fils & le sien. Il en demeura surpris, & rêva un peu de temps, mais ayant songé que quand il feroit le difficile, il se broüilleroit avec sa Femme, sans qu’il en tirast aucun avantage, il s’écria tout d’un coup, qu’il voyoit bien que les mariages se faisoient au Ciel. Ainsi il consentit de fort bonne grace à celuy de son Fils avec la Belle, & vous pouvez juger de leur joye aprés les traverses que son opposition leur avoit fait essuyer.

A Monsieur le Pelletier de Souzi §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 181-190.

 

Je ne vous diray point, pour vous engager à lire l’Ouvrage qui suit, sur quelle matiere il a esté fait. Je vous diray seulement qu’il est de l’Illustre Madame des Houlieres. Pourriez-vous aprés cela n’avoir pas d’empressement pour cette lecture ?

A MONSIEUR
LE PELLETIER
DE SOUZI.

 Je ne sçaurois m’en empêcher,
 Il faut, Seigneur, que je vous gronde.
Je vous cherche avec soin, mais j’ay beau vous chercher,
 Je ne sçaurois vous approcher,
 Que lors que vostre porte ouverte à tout le monde
Me mesle avec les gens qu’on aime à dépescher.
 Quelque reflexion profonde
Que fasse là-dessus mon esprit alarmé,
Je ne devine point sur quoy cela se fonde,
 Et je n’ay pas accoutumé
 Que dans la foule on me confonde.
Si vous pouviez sçavoir les affligeans discours
Que me tient en secret le plus insurmontable,
 Le plus dangereux des amours,
 Vous seriez moins impraticable.
***
 Vous estes étonné, Seigneur,
 Mais que vostre esprit se rassure.
 Je n’aspire point à l’honneur
D’aucune galante avanture.
L’amour dont je vous parle à luy-mesme est borné ;
Il fait d’un peu d’encens toute sa nourriture.
La raison, la sagesse, en vain l’ont condamné,
 Avec nous cet amour est né,
 Autant que nous cet amour dure.
C’est un foible, il est vray, mais tout examiné,
 C’est un foible que la Nature
 Aux plus grands hommes a donné.
***
 Personne n’est assez sincere
 Pour avoüer, comme je fais,
Tout ce que fait souffrir l’amour propre en colere.
L’un dit, je n’en ay point, l’autre, je n’en ay guere.
 Si de tels discours estoient vrais,
Les Dames craindroient moins qu’on les vist negligées,
De n’avoir pas dormy seroient moins affligées,
 Et n’emprunteroient point d’attraits.
Les Amans, les Guerriers ne romproient point la teste
De leur bonne fortune, & de tous leurs hauts faits.
Messieurs les beaux esprits se feroient moins de feste,
 Et quand ce qu’ils font est mauvais,
 Ils souffriroient du moins en paix
Qu’on fist de leur ouvrage une critique honneste.
Mais que fais-je, & pourquoy dans ma Lettre entasser
 Bagatelle sur bagatelle ?
Seigneur, en la lisant vous pouvez les passer,
 Revenons à nostre querelle.
***
Comme vostre bonté jointe à vostre pouvoir
À beaucoup d’importuns tous les jours vous expose,
Peut-estre croyez-vous que je ne veux vous voir,
 Que pour demander quelque chose.
En ce cas, c’est bien fait d’avoir sa porte close.
Dans un temps de besoins & d’embaras tissu,
Demandeur, quel qu’il soit, doit estre mal receu.
Mais, Seigneur, un Portier doit-il estre barbare,
 Quand on vient pour remercier,
 Et d’un compliment aussi rare
 Doit-on si peu se soucier ?
***
 Ne diroit-on pas à m’entendre
Que le malheur du temps fixe vostre bonté,
Que pour les maux d’autruy vous devenez moins tendre,
Et qu’un remerciment doit par sa rareté
 Agreablement vous surprendre ?
Ah ! si comme chacun a de differens gousts,
 Les raretez pouvoient vous plaire,
 Il faudroit pour vous satisfaire,
Vous faire voir des gens qui se plaignent de vous.
Mais où les rencontrer, quand chacun vous honore,
 Quand de tous costez on n’entend
Que des gens que l’excés de vos bontez surprend,
Qui se disent, personne en vain ne les implore,
Par tout il fait de cœurs une riche moisson ;
Et quoy qu’il serve bien, on ne voit point encore
 De malheureux de sa façon ?
***
Que cet éloge est grand, Seigneur ! toute la gloire
 Qu’au milieu des sanglans combats
 Donne une celebre victoire,
 A beaucoup prés ne le vaut pas.
 D’un si precieux caractere
On a vû la nature avare en tous les temps,
Et mesme dans le cours des emplois éclatans,
Un si beau naturel ne se conserve guere.
 Cependant, moy qu’on ne verra,
Ny juger brusquement d’une chose future,
Ny mettre volontiers mon bien à l’avanture,
 Je gageray ce qu’on voudra,
Que lors que de LOUIS l’équité toute pure
Vous placera, Seigneur, au gré de mes souhaits,
 L’abondance de ses bienfaits,
Dont le parfait merite est toujours la mesure,
 En vous ne corrompra jamais
 Ce qu’a mis de bon la nature,
 Et je gagneray ma gageure.
***
 En attendant cet heureux jour,
Où par une conduite habile, juste & sage,
 Vous ramenerez ce bel âge
Où le monde naissant, du bien & de l’amour
 Faisoit un innocent usage,
Donnez ordre, Seigneur, qu’on ne me dise plus
 Ce qu’on s’accoutume à me dire.
Souffrez que j’aille enfin dans vos momens perdus
Délasser vostre esprit de tout l’ennuy qu’attire
Un penible travail & des soins assidus.
Je ne m’en fieray point à moy seule, & je pense,
 Qu’avec moy je vous meneray
 Des gens de vostre connoissance,
 Horace, Virgile, Terence ;
Et peut-estre avec eux je vous amuseray.

[Vers au sujet du Mariage de Madame de Saliez]* §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 196-199.

 

Voicy des Vers qui ont esté faits sur ce Mariage.

 Venez, Plaisirs, venez dans ces heureux moment,
 Venez regner tranquillement
 Dans ces cœurs que le Ciel assemble.
 Et ce que l’on voit rarement,
Amour, & vous, Hymen, soyez toujours ensemble.
Faîtes goûter à ces jeunes Epoux
Tout ce que vous avez de sensible & de doux.
 Que leurs ardeurs soient mutuelles,
 Vives, égales, éternelles.
 Prévenez leurs soins & leurs vœux ;
 Entretenez leurs desirs amoureux ;
Faites que vos douceurs leur soient toujours nouvelles,
 Et que dans leurs plus doux momens,
Ils soient longtemps Epoux sans cesser d’estre Amans.
***
Sur les rives du Tar l’Amour & l’Hymenée,
Ont rassemblé les Jeux, les Ris, & les Plaisirs.
L’Union la plus douce & la plus fortunée,
De deux Amans parfaits va combler les desirs.
Le Berger est charmant, la Bergere est si belle,
Que les moins tendres cœurs ont soupiré pour elle ;
Mais son choix est si beau, qu’il fait dire aux Jaloux,
Qu’elle a gardé son cœur pour le plus digne Epoux.
C’est le Fils de Sapho, cette Nymphe immortelle,
Fameuse par ses Vers avoüez d’Apollon.
Elle forma sa voix dans le sacré vallon,
Aujourd’huy ses Chansons y servent de modelle.
Elle a sceu ménager cet Hymen plein d’appas ;
On dit qu’à le chanter le Parnasse s’appreste.
 Si Sapho ne le chante pas,
Il manquera par là quelque chose à la Feste.

Madame de Saliez, qui n’est pas moins estimée par les soins qu’elle a pris de sa Famille, que par ses Ouvrages en Vers & en Prose, qui luy ont fait meriter une place dans l’Academie des Ricovrati de Padouë, a fait ce qui fuit sur ce même Mariage.

Dans ce jour fortuné qui m’est si précieux,
Oseray-je chanter l’agreable Hymenée
 De deux Amans favorisez des Cieux,
Où la main du Seigneur grava leur destinée ?
D’un Fils qui m’est plus cher que la clarté du jour,
Aujourd’huy couronné par l’Hymen, par l’Amour,
Je vante seulement la passion extrême,
Et chante les appas de la Beauté qu’il aime.
On voit en la voyant cent vertus à la fois.
 Elle est bonne, douce, prudente,
Et l’on voit éclater cette douceur charmante
Dans ses yeux, dans ses airs, dans le son de sa voix.
 Que j’aime en eux ces rares sympaties
 Par qui l’on voit les ames assorties,
 Et cette heureuse égalité
 D’âge, de mœurs, de caracteres,
 Qui des Amans & tendres & sinceres
 Asseurent la felicité !
 Sur cette union fortunée.
Seigneur, daignez verser de durables faveurs.
C’est tout ce que je veux ; cette seule journée
Me dédommage enfin de vingt ans de malheurs.

[Continuation du démêlé à la mode] §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 233-235.

 

Vous me demandez des nouvelles du grand démêlé qui est entre les Auteurs qui prennent le party des Anciens & celuy des Modernes. Je ne vous en diray rien, sinon que ce démêlé dure toujours, & que l’on voit force Epigrammes de part & d’autre. Si je vous en disois davantage, chacun interpretant à sa maniere ce que je dirois soutiendroit que je serois pour les uns ou pour les autres, comme on a déja fait lors que j’ay parlé du Livre de Mr Perrault. Cependant je n’ay jamais eu dessein de me declarer, & mesme je ne le doy pas faire dans la situation où je me trouve, qui ne me permet autre chose, que de rapporter tout ce qui se passe sans faire paroistre mes sentimens. J’aurois à tous momens à juger, & il sembleroit que je m’attribüerois un droit de decider, auquel je ne prétens point. Il est vray que je mets quelquefois dans mes Lettres des Dissertations contre quelques Ouvrages, mais outre que ce n’est point moy qui parle, le champ est ouvert à ceux qui veulent faire des réponses, & il m’est souvent arrivé qu’aprés avoir mis dans un mois une Dissertation contre l’un de ces Ouvrages, je vous ay fait voir une Réponse le mois suivant .

[Mort de Mr Pelisson Fontanier]* §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 280-295.

 

Le 7. de ce mois, l’Academie Françoise fit une perte tres considerable en la personne de Mr Pelisson Fontanier, Maistre des Requestes, & l’un des quarante dont est composée cette illustre Compagnie. Il estoit né à Castres en 1624. & sa naissance répondoit à son merite. Son Pere estoit Conseiller en la Chambre de l’Edit de Languedoc ; son Grand pere Conseiller au Parlement de Toulouse, & son Bisayeul, Premier President au Parlement de Chambery, auparavant Maistre des Requestes, Ambassadeur en Portugal, & Commandant pour le Roy en Savoye, quand François I. s’en rendit le maistre. N’ayant pas encore plus de treize ans, il prit des degrez en l’Université de Cahors, où il se fit distinguer d’une maniere si fort au dessus de son âge, qu’il fut receu avec des applaudissemens extraordinaires. Il fut Secretaire du Roy en 1652. premier Commis de Mr Fouquet en 1657. & deux ans aprés on le receut Maistre des Comptes à Montpellier, aprés qu’il eut negocié le rétablissement de la Compagnie qui avoit esté interdite. En 1670. il abjura à Chartres la Religion Protestante. L’année suivante il fut Maistre des Requestes, en 1674. Oeconome de Cluny ; en 1675. Oeconome de Saint Germain des Prez ; en 1676. Preposé pour l’administration du tiers des Oeconomats, & en 1679. Oeconome de Saint Denis. Sur le progrés des conversions par l’employ des deniers des Oeconomats qu’il fit voir au Roy en 1681. il porta Sa Majesté à augmenter le fond de ces deniers, de ceux mesme de son Epargne. On peut dire de luy, à le regarder par rapport au monde, qu’il a esté bon Parent, Maistre liberal, Ami fidelle, Serviteur incorruptible, Courtisan droit, Sujet zelé. Sa fortune changea plusieurs fois, mais son cœur demeura toujours le mesme. Ce qui peut abattre, ce qui peut corrompre, luy laissa toute sa fermeté, toute sa droiture. Il avoit de la complaisance sans flaterie. Il sçavoit obliger, mais il ne sçavoit point nuire, incapable de s’avancer aux dépens de son honneur, & d’abaisser les autres pour s’élever sur leurs ruines. Celebrer dignement les grandes actions de son Prince, aimer sa personne d’une tendresse vive & respectueuse, le servir autant par inclination que par devoir, c’estoit sa passion dominante, & son occupation la plus chere aprés l’affaire importante du salut. Si on le considere du costé des belles Lettres, combien d’esprits differens luy trouvera-t-on ? Le Droit, la Poësie, l’Eloquence, l’Histoire, les Langues, tout luy estoit familier. Il avoit en un mesme degré le don de bien parler, & celuy de bien écrire. Il aimoit le travail, il en inspiroit l’amour aux autres, sur tout quand ce travail regardoit la gloire du Roy. Les Prix de Poësie de l’Academie Françoise, dont il faisoit la dépense, en sont une preuve, aussi-bien que l’établissement de l’Academie de Soissons, auquel il contribua autant que personne. Pour les affaires une application forte aux dépens de sa santé même, beaucoup de netteté, de desinteressement, de penetration ; une équité parfaite, un abord facile, des manieres honnestes, nulle prevention, nulle préference des Personnes ; voila son portrait.

À l’égard de la Religion, il refusa d’entrer dans la voye du Ciel par des veuës terrestres, quelque éclatantes que fussent celles qu’on cherchoit à luy donner. Il ferma l’oreille aux tentations de la fortune, & il ouvrit son cœur aux inspirations de la Grace. Les suites de sa conversion, qui fut le fruit d’une étude longue & appliquée de l’Ecriture & des Peres, qu’il fit durant sa détention à la Bastille, ne démentirent point les commencemens. Il quitta tout-à-fait la Poësie, & n’écrivit plus que pour Dieu, & pour le Roy, qu’il avoit loüez dans tous les temps, & dans tous les états de sa vie. Il orna les Temples du Seigneur, & il y alla souvent marquer sa foy pour le Mistere qui en avoit esté longtemps le plus grand obstacle. Tous les ans il celebroit le jour de sa réunion à l’Eglise, en s’approchant des Sacremens. Il les recevoit aussi d’ordinaire à toutes les grandes Festes, & faisoit des retraites frequentes. Modeste, recueilly, prosterné, il assistoit chaque jour au saint Sacrifice avec la simplicité de la Colombe, & non pas avec la prudence du Serpent. Au milieu mesme de ses infirmitez, il ne se dispensa point de ce devoir. Sa charité pour le Prochain égaloit sa fidelité pour Dieu. Depuis sa sortie de la Bastille, il ne laissa point passer d’année sans delivrer quelques Prisonniers. Il estoit le Pere des Orphelins, le soutien des foibles, le protecteur du merite oublié ou inconnu, l’azile assuré de tous les malheureux. Eclairé par la verité, il ne cacha point la lumiere sous le boisseau, il la mit sur le chandelier. Il tâcha de faire pour les hommes ce que le Seigneur avoit fait pour luy. Il écrivit, il sollicita, il redoubla la force de ses sollicitations & de ses écrits par ses pieuses liberalitez.

Mr Pelisson ayant tant de belles qualitez, n’eut pas de peine à s’attirer l’estime glorieuse & les precieuses bontez du plus grand des Rois, ny à acquerir pour Amis l’élite de la Cour, & ce que la Ville, la Province, le monde sçavant, eut de plus poly, de plus raisonnable, de plus éclairé. Ses Ouvrages de Poësie sont quantité de pieces excellentes, dont il y a peu d’imprimées, toutes, ou galantes, ou morales & chrestiennes, ou heroïques, Entre ces dernieres, le Poëme d’Eurimedon de plus de treize cens vers, où le Roy en un petit nombre est loué d’une maniere digne de luy, tient le premier rang. Le mesme homme qui divertit & qui plaist, instruit, édifie, & ne sçait pas moins surprendre & enlever. Ses Ouvrages de Prose sont la Paraphrase des Institutes de Justinien, qu’il fit à l’âge de dix sept ans, où les Sçavans trouvent à apprendre, & les Dames à se divertir en s’instruisant ; l’Histoire de l’Academie Françoise, qui luy procura l’entrée dans cette illustre Compagnie lors qu’il n’y avoit point de place vacante ; le Panegyrique du Roy, prononcé dans la mesme Academie, qui fut si generalement estimé, qu’il a esté traduit en Latin, en Espagnol, en Italien, en Anglois, & mesme en Arabe par le Patriarche du mont Liban, dont l’Original est dans le Cabinet de Sa Majesté ; l’admirable Preface des Oeuvres de feu Mr Sarrasin son intime Amy, & plusieurs pieces détachées qui ne sont pas d’un moindre goust ; les Reflexions sur les Differens de la Religion en quatre Volumes, où la Controverse est traitée sans emportement, sans secheresse, & où l’on voit des éloges du Roy si parfaits, qu’étant charmé de tous, on a peine à convenir lequel merite la préference ; les courtes prieres durant la sainte Messe, où l’on trouve une onction qui ne peut venir que du fond d’un cœur penetré de la foy la plus vive ; quelques Ouvrages à la gloire du Roy qui ne sont pas finis, & un Traité de l’Eucharistie qu’il achevoit, lors qu’au milieu de quelques incommoditez, qui ne l’empêchoient ny de se lever ny d’agir, & qu’il ne croyoit pas dangereuses, il fut surpris d’une mort qu’on appelleroit subite, s’il ne s’y estoit pas disposé depuis longtemps par l’exercice de la plus parfaite charité, par une pieté sincere, par un attachement inviolable à ses devoirs, & par un zele ardent & infatigable pour la vraye Religion. Cet éloge qui convient parfaitement à feu Mr Pelisson, est d’une illustre Amie, celebre par ses Ecrits, qui n’a pu refuser à un Amy si plein de merite, la justice qu’elle rend à sa memoire.

[Divertissemens du Carnaval, ensemble plusieurs Articles concernant le Prince Royal de Dannemark] §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 297-303.

 

Le Mardy 3. de ce mesme mois, dernier jour du Carnaval, il y eut assemblée de Masques dans le grand Appartement du Roy à Versailles. Le Roy & la Reine d’Angleterre y vinrent, & il ne se trouva dans cette assemblée que ce Prince, cette Princesse, le Roy & Monsieur sans estre déguisez. L’invention, la galanterie & la magnificence se firent remarquer dans tous les habits, dont le nombre alloit à l’infiny, & il seroit mal-aisé de voir rien de plus brillant. Le Roy se retira entre minuit & une heure, & ce ne fut qu’aprés que Sa Majesté fut sortie qu’on permit d’entrer aux personnes masquées, qui n’estoient pas de la Cour. Le Bal dura jusques à cinq heures du matin, que Monseigneur le Dauphin se retira, aprés avoir changé plusieurs fois d’habit. Le Prince Royal de Dannemarck, s’y trouva aussi déguisé. Le jour précedent, ce Prince avoit vû incognito, recevoir Monsieur le Comte de Toulouse Chevalier du Saint Esprit. Il a vû ce qu’il y a de plus remarquable à Paris, & remarqué tout ce que l’Observatoire a de plus curieux & de plus sçavant. Ce Prince a esté pareillement aux Invalides, & n’a pû s’empêcher de paroistre surpris de la grandeur & de la magnificence du Bastiment, du nombre de personnes qui y sont entretenuës, & du bon ordre qui s’y observe. Un Soldat Invalide luy ayant dit qu’il avoit servy dans les Troupes de Dannemarck, & luy en ayant montré un certificat, ce Prince luy fit aussi-tost sentir des marques de sa liberalité. Il alla à la Reveuë que le Roy fit le quatriéme de ce mois dans la plaine d’Oüille, des Regimens des Gardes Françoises & Suisses, à laquelle le Roy & la Reine d’Angleterre se trouverent aussi. Il seroit difficile de voir ensemble encore autant d’hommes d’une grande taille, & aussi bien faits. Le Roy passa dans les rangs, leur fit faire l’exercice, aprés quoy ils défilerent. Le Prince de Dannemarck partit le 21. de ce mois pour s’en retourner par le chemin le plus court. Il devoit aller en Angleterre, & visiter ensuite toute la Hollande & l’Allemagne, & il auroit même fait un plus long sejour en France, mais le Roy son Pere le rappelle auprés de sa personne pour des affaires importantes. Quoy qu’il luy restât encore beaucoup de choses à voir dans les Etats de Sa Majesté, il estoit si remply de tout ce qu’il a vû, qu’il dit avant son départ, que lors que quelque Voyageur racontoit en son Pays toutes les merveilles de France, on ne le croyoit pas ; qu’il alloit confirmer ce qu’on en avoit souvent rapporté, & qu’on ne le croiroit pas luy-même. Ce Prince en s’en retournant a passé par Saint Denis, pour en voir le Tresor & les Tombeaux de nos Rois, & a pris ensuite sa route par Chantilly, où il devoit estre receu par Monsieur le Prince; c’est tout dire.

[Ouverture du Senat de Nice] §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 303-304.

 

Le 15. du mois passé, M. de la Porte, Premier President du Senat de Nice, se rendit au Palais pour la Ceremonie de l’ouverture, suivant l’usage, qui est de la faire en ce temps-là, au lieu de la Saint Martin. Aprés avoir entendu la Messe à la teste de la Compagnie, il fit chanter l’Exaudiat pour le Roy, qu’on n’avoit point accoutumé de chanter auparavant. Il avoit fait élever dans la Sale destinée à cette fonction, un Trône pour Sa Majesté, au dessus duquel estoit sous un Dais le portrait de ce Monarque. Le lieu estoit encore orné des armes de France en plusieurs endroist, de fleurs de Lys, & de Devises. M. le Chevalier de la Fare, Gouverneur du Comté de Nice, M. l’Evesque, M. de Vauban, les Officiers du Chasteau, les Gouverneurs des Places voisines, & les plus considerables de la Noblesse s’y trouverent. M. de la Porte ayant monté à sa place accoutumée, prononça un discours en Latin, remply de beaucoup d’éloquence, & d’érudition. [...]

[Grandes Festes & Divertissemens donnez à Cazal] §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 313-318.

 

Un Blocus de quatre mois pendant la Campagne passée, & les courses continuelles des Allemans jusques aux portes de Casal depuis le commencement de l’hiver, n’ont osté aux François ny l’envie de se divertir, ny les commoditez de la vie. La Feste que Mr le Marquis de Crenan donna aux Dames de la Ville, le Samedy, dernier jour de Janvier, dans le Palais du Duc de Mantouë, en est une preuve. Les appartemens bas furent choisis pour la danse, comme estant plus grands, & plus à portée de ceux qui entroient & sortoient à tous momens, & ceux d’en haut pour le repas, comme plus commodes & éloignez de la multitude. Les Dames s’estant renduës dans la Salle du bas à l’entrée de la nuit, magnifiquement parées, furent rangées sur des échafauts couverts de tapis de Turquie. Le premier rang, élevé de plus d’un pied, laissoit des places libres aux plus galans Cavaliers, pour s’asseoir au dessous d’elles. Mr le Marquis de Crenan commença le Bal avec la Marquise Ludovico, & les Menuets succederent à la Courante. Aprés plus de deux heures de danse, une entrée de quelques Masques surprit toute l’Assemblée. Ce fut un spectacle qu’on n’auroit osé donner en France, mais il est permis en Italie de se masquer sous toutes sortes de figures. Une Squelette qui representoit la mort parut la premiere ; ensuite le Diable tel que les Peintres le dépeignent pour en donner de l’horreur ; & comme il n’y a point en ce pays-là de Mascarade qui plaise si l’on n’y mesle des Arlequins, on ne manqua point d’en mettre dans celle-cy. La Mort & le Diable commencerent une danse en postures ridicules, mais la plupart des Dames en paroissant effrayées, quelques-unes plus foibles s’écrierent que c’estoit un Cattivo augurio, Ainsi l’on congedia ces Masques lugubres, pour faire place à d’autres plus agreables, où il y avoit du dessein. Ce fut Apollon au milieu des neuf Muses. Pendant que la Troupe faisoit le tour de la Salle, l’on porta un Clavessin dans le centre, & d’autres Instrumens avec des sieges autour. Le Dieu & les Muses estant assis, la danse cessa, & un Concert d’une excellente Musique, meslée de Voix & d’Instrumens, divertit fort agreablement l’Assemblée, par des Chansons faites à la loüange du Roy. Aprés que la Musique eut duré une heure, la danse recommença, & pendant ce temps, les appartemens joignant la Salle du Bal, estoient occupez par ceux qui préferoient les plaisirs du Jeu à ceux du Bal. Cependant, le Chocolat & le Café furent prodiguez avec abondance, tant aux Danseurs qu’aux Joüeurs, ainsi que des liqueurs glacées de toutes sortes. Sur le minuit, le Bal fut interrompu par un repas magnifique. On mena les Dames priées à l’appartement d’en haut, où l’on avoit préparé une table longue ; c’estoient les plus belles & les plus jeunes. Elles y furent placées, & ce fut pendant deux heures un spectacle singulier, de voir soixante fontanges haut élevées, & artistement dressées avec des plumes, des aigrettes, des fleurs naturelles, des Perles, & de toutes sortes de Pierreries, se mouvoir dans un alignement de proportion, sans qu’il y eust rien qui les troublast, n’y ayant que les Dames à table avec Mr de Crenan, & quelques-uns des principaux Officiers à l’un des bouts. Le repas fut somptueux, & pendant qu’il se faisoit, deux cens Officiers François, & autant de Gentilshommes Italiens, mangeoient à d’autres tables, grandes ou petites, suivant qu’ils se trouverent de societé. Les plus galans servirent les Dames, & après cela on retourna à la Salle de Bal, qu’on trouva éclairée tout de nouveau, & qu’on l’on dansa jusques au jour.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1693 [tome 2], p. 326-327.

Le choix des Airs nouveaux que je vous envoye, est toujours fait par un fort habile Musicien. Ainsi vous devez estre contente de celuy que vous trouverez icy gravé, & dont voicy les paroles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 327.
Jeune Iris, pourquoy craignez-vous
Que le Berger qui pour vous a des charmes,
Refuse de rendre les armes,
Et ne cede pas à vos coups ?
Découvrez-luy vostre mistere,
Si-tost qu'il sera dans ces lieux,
Et je répons de vostre affaire,
Avec vostre bouche & vos yeux.
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