Mercure galant, janvier 1694 [tome 1].
Mercure galant, janvier 1694 [tome 1]. §
[Epistre] §
Je ne puis, Madame, commencer à vous écrire dans cette nouvelle année, sans vous parler de celle qui vient de finir. Jamais depuis que le Ciel a donné des Souverains à la terre, on n’en vit une si heureuse pour aucun Monarque, que celle-là l’a esté pour l’Auguste Roy dont nous admirons tous les jours le Regne, qui n’est qu’un enchaisnement continuel de prosperitez. La mer & la terre, l’Allemagne & l’Italie, la Flandre & la Catalogne l’ont vû triompher ; & la nature ayant manqué de produire dans la mesme année tout ce qui estoit necessaire pour la subsistance de ses Peuples, ce Prince, aprés avoir par ses liberalitez soulagé ceux qui avoient le plus de besoin de secours, a pris des soins accompagnez de tant de prudence, & d’une vigilance si exacte, qu’il est enfin venu à bout de remettre l’abondance dans ses Etats. Sa moderation nous promet encore plus pour le repos de l’Europe, dans l’année où nous entrons. Ce n’est point à moy à penetrer plus avant, & il ne m’est pas mesme permis de rien dire davantage, mais peut-estre qu’avant que d’estre obligé de fermer ma Lettre, les évenemens me donneront lieu de m’expliquer d’une autre maniere. Le détail que je vous envoyay le mois dernier, de ce qui s’est passé devant Saint Malo, s’estant trouvé aussi long que curieux, je fus contraint de remettre à vous parler des Ouvrages qui ont esté faits sur le bombardement de cette Place. Je vous les promis, & je vous tiens aujourd’huy parole. L’Epistre que vous allez lire est de Mr Robbe, connu par des Pieces de Theatre, & d’autres Ouvrages qui ont paru avec beaucoup de succés.
A MESSIEURS
de S. Malo.Argonautes fameux, de qui la RenomméeEst par tout l’Univers avec gloire semée ;Vous qui faites trembler deux fieres Nations,Dont l’insolent orgueil depuis longtemps aspire,A tenir sous leurs Loix les humides sillons,Pour exercer sur eux leur tirannique empire,Rendez grace au Tres-Haut du celeste secours,Qui détourna l’effort de l’infernal Ouvrage,Dont un traistre conduit par son brutal courageEsperoit renverser vos redoutables tours.Un boulet meurtrier party de vos murailles,A puny le forfait de son barbare Autheur,Et la Machine mesme a fait au ConducteurRencontrer dans la Mer ses propres funerailles.Un Rocher favorable a brisé le Vaisseau,Qui conduisoit vers vous cet appareil funeste,Les bombes, les boulets, la poudre, & tout le resteTirerent sans effet, ou coulerent sous l’Eau.Ne connoissez vous pas à ces sensibles marques,La main du Tout-Puissant qui protege vos murs,Les fidelles Sujets du plus Grand des MonarquesTrouvent toûjours pour eux ces secours prompts & surs.Pour l’interest du Ciel ce Grand Roy plein de zele,Brave seul les efforts de trente Potentats,Et d’un Roy détrôné soustenant la querelle,Rend pour ses interests les plus justes combats.Les Conquestes qu’il fait ne sont point sans miracles :La valeur des François passe l’esprit humain,Ils triomphent par tout, malgré tous les obstacles,Par le visible appuy d’une invisible main.Sans doute que l’ardeur de vos cœurs intrepidesVous porte à vous vanger de ces peuples perfides,Pour avoir découvert deux chetives maisons,Enfoncé leurs planchers, & cassé quelques vitres ;Ces maux, quoy que legers vont vous servir de titres,Pour vous dédommager sur leurs riches toisons.Mais, croyez-moy, quittez le soin de vos vangeances.De vos nobles projets vous devez le rayer.Nassau, bien mieux que vous sçaura faire payerLe tort qu’on vous a fait par son intelligence.Aucun de vos Bourgeois n’est ny blessé ny mort,Vingt mille francs au plus repareront le tort.Au centuple déja vous avez par avanceFait coûter aux Anglois cette foible dépensePar le riche butin des Vaisseaux pris sur eux.Guillaume sans argent, & tout couvert de blâme,N’avoit pour tout espoir que cette noire trame,Pour vuider les tresors de tous ces malheureux.Quoy qu’il ait échoüé dans sa folle entreprise,Il sçaura profiter de leur credulité.Le seul bruit, quoy que faux, de cet exploit vantéLes fera dépoüiller jusques à la chemise.De cent fois le centuple il sera remboursé ;Les Milords, les Marchands, les Dames, les Bourgeoises,Payeront sur ce pied chaque plancher percé,Chaque panneau de vitre, & chaque cent d’ardoises.Avec vostre valeur, je doute que jamaisVous puissiez vous vanger ainsi de la Tamise ;Qu’ils bombardent nos Ports à ce prix desormais,Ils ne sçauroient plus cher payer la marchandise.
[Sonnets] §
Voicy deux Sonnets dont les Auteurs me sont inconnus.
SUR
LE BOMBARDEMENT
de Saint Malo.Les crimes réunis par les nœuds d’une Ligue,Qui fait tous ses efforts pour soutenir Nassau,Nous sont representez par l’infernal Vaisseau,Qui fait le desespoir d’une nouvelle intrigue.***Rougissez, Alliez, de la haine prodigue,Qui vous fait tout tenter sur la terre & sur l’eau :Est-ce ainsi qu’un Tiran veut estre nostre fleau,Lors qu’en de vains projets sa fureur se fatigue ?***Son Brulot tout fumant, sur le point d’approcher,Au Port de Saint Malo rencontre le rocher ;L’Ingenieur perit, Dieu confond l’entreprise.***Tel sera vostre sort, fameux Usurpateur.LOUIS est le rocher & l’écueil de l’erreur,C’est à luy d’écraser l’Ennemi de l’Eglise.
Sur les differens Bombardemens
de Genes, d’Alger,
& de S. Malo.De Genes & d’Alger un Heros irritéDétruisit les Palais, les fit reduire en cendre.De leurs superbes murs que seroit-il resté,Si LOUIS en couroux n’eust voulu rien entendre ?***Lors que de ses succés il devoit tout attendre,Que la mer & les vents estoient de son costé,Que ses trop justes coups luy faisoient tout prétendre,Par sa propre clemence il se vit arresté.***Pour perdre Saint Malo tu te sers de ses armes,Guillaume, & crois par là nous donner des alarmes,Mais en vain par tes feux tu fais trembler la mer.***Personne ne te craint, quoy qu’armé de la foudre ;La question n’est pas difficile à resoudre,Il faut pour s’en servir le bras de Jupiter.
[Madrigal] §
Le Madrigal qui suit ces Sonnets, est de Mr Diereville.
AU PRINCE D’ORANGE
sur la Machine de S. Malo.Nassau, ton horrible MachineA ses seuls Conducteurs a donné le trépas,Lors que tes foudroyans éclatsDevoient de Saint Malo nous causer la ruine.Les Vaisseaux de LOUIS n’empêchoient point l’effetDe son detestable projet ;Tu l’entrepris à la sourdine,Et cependant tu n’as rien fait.De ton esprit oste le voile,Et reconnois enfin le pouvoir de mon Roy ;Tu vois que ce Heros pour triompher de toy,N’a besoin que de son Etoile.
[Madrigal sur la naissance de Mademoiselle de Valois] §
Vous avez appris par les Nouvelles publiques que Madame la Duchesse de Chartres estoit accouchée le mois passé d’une Princesse, qu’on appelle Mademoiselle de Valois. C’est ce qui a donné sujet à Mr Robinet de marquer son zele à Leurs Altesses Royales, par les Vers que je vous envoye, comme il a coutume de le faire dans toutes les occasions qui se presentent.
A SON ALTESSE ROYALE
MONSIEUR LE DUC
DE CHARTRES,Sur la Naissance de Mademoiselle de Valois
Jeune Heros, qui cherchez de BellonneLes dangereux Lauriers qu’en ses champs on moissonne,Vostre gloire est pleine en ce jour.Aux fameux exploits de la Guerre,Où vous estes un vray Tonnerre,Vous avez joint ceux de l’Amour.On en voit une Grace naistre,Qui fait paroistreQue vous estes, tour à tour,En Guerre, en Amour déja Maistre.A Son Altesse Royale Madame la Duchesse de Chartres.
Jeune & charmante PrincesseIllustre Sang de l’Auguste Louis,Qu’en nostre Cour vous causez d’allegresse !Les cœurs de joye y sont épanoüis.Vous luy faites voir une GracePour premier fruit de vos amours,Avec un Prince en qui le Dieu de ThraceAllume tous ses feux dés ses plus jeunes jours.Par la splendeur du Sang au plus haut rang conduite,On attend de vous dans la suiteLe vray chef d’œuvre de l’Amour.C’est un Fils semblable à son Pere,Comme la Fille est semblable à la Mere.Hastez vous, pressez-vous de le produire au jour.Quelle gloire pour vous ! quel plaisir pour la Cour !A Leurs Altesses Royales
Monsieur & Madame.Augustes Altesses Royales,Quelles prosperitez,Quelles felicitezAux vostres sont égales ?Vous avez tout ce que vous souhaitez,Vous voila Grand-Pere & Grand-Mere.En la saison de vos beaux jours,Vous voyez de vostre HymenéeUne brillante LignéeQui va croistre toujours.Vous y verrez des Graces, des Amours,Des Heros & des Heroines.Veüille le Ciel, à ses faveurs divines,Pour remplir vos souhaits, donner un fort long cours.Le défaut des plaisirs, c’est souvent d’estre courts.
[Histoire] §
Le je ne sçay quoy dans une Personne que l’on trouve aimable, fait quelquefois tout d’un coup des impressions si vives, que quelque effort que l’on fasse pour les affoiblir, il n’est pas possible d’en venir à bout. Un Officier revêtu d’une Charge tres-considerable dans la Robe, en a fait l’épreuve depuis quelque temps. Il estoit dans le dessein de se marier, & l’ayant communiqué à un Amy dont il prenoit les avis en toutes choses, cet Amy luy proposa une Fille de naissance, dont il devoit avoir lieu d’estre content, & pour le bien, & pour la beauté. Le Party luy ayant paru assez convenable de toutes manieres, il ne fut plus question que de sçavoir si la Demoiselle auroit à ses yeux tous les agrémens que son Amy lui donnoit. Comme ce sont de ces choses qui dépendent purement du goust, il voulut voir, avant que de consentir à se declarer, quel effet feroient sur luy les charmes qu’on luy peignoit si touchans. Ce qu’il souhaitoit estant fort juste, son Amy luy apprit l’heure où cette aimable personne alloit tous les jours à une Eglise qu’il luy nomma, & en luy marquant la place où elle avoit accoutumé de se mettre, il ajoûta qu’il luy seroit fort aisé de la connoistre par un Laquais d’une livrée assez singuliere, pour la distinguer sans peine. L’Officier prévenu par son Amy de sentimens favorables pour la Belle, ne manqua pas dés le lendemain d’aller à l’Eglise où il esperoit la voir, & le Laquais de livrée l’ayant frapé, dés qu’il jetta les yeux vers l’endroit marqué, il vit devant le mesme Laquais une jeune Demoiselle d’une taille fine & dégagée, qui répondoit à ce qu’on luy en avoit dit. Il s’avança pour estre en pouvoir d’observer ses traits plus commodement, & il les trouva si doux & si piquans tout ensemble, que ne pouvant se lasser de la regarder, on peut dire qu’il ne vit qu’elle dans toute l’Eglise. Aprés qu’il eut joüy quelque temps de cette charmante veuë, il fut abordé par son Amy, qui luy demanda s’il estoit content. L’Officier l’embrassa avec transport, & luy avoüant qu’il estoit charmé, il l’assura qu’il luy devroit tout s’il faisoit conclurre au plûtost le mariage. Son Amy voulut l’emmener hors de l’Eglise pour conferer avec plus de liberté sur les mesures qui estoient à prendre, & l’Officier répondit qu’il n’estoit pas assez ennemy de son bonheur, pour se priver du plaisir de voir la Belle, tant qu’elle demeureroit dans le lieu où elle estoit. Ces paroles étonnerent son Amy, qui venoit de rencontrer dans la ruë celle qu’il vouloit luy faire épouser ; & sur ce qu’il luy en dit, l’Officier qui ne vit plus de Laquais derriere la Belle qui avoit attiré tous ses regards, fut convaincu qu’il s’estoit trompé, mais la tromperie ne changea rien dans ses sentimens, il conserva tout l’amour qu’il avoit pris, & en priant son Amy de jetter les yeux sur cette belle personne, il luy demanda s’il la connoissoit. Son Amy luy répondit, que ne l’ayant jamais veuë, il ne croyoit pas qu’elle fust de ce quartier, mais quoy qu’il tombast d’accord qu’elle estoit bien faite & avoit de la beauté, il dit que la Demoiselle dont il luy avoit parlé n’en seroit pas effacée, & qu’il vouloit venir avec luy le lendemain dans le mesme lieu pour la luy montrer. L’Officier n’écouta rien. Il avoit l’esprit entierement occupé de celle qu’il trouvoit si digne de son admiration, & la regardant toujours, il s’en remplit tellement le cœur, qu’il fut incapable de penser à autre chose. Dans ce moment, deux Dames d’une qualité fort distinguée vinrent dire quelque chose à l’Officier, & l’honnesteté l’ayant obligé à écouter tout ce qu’elles avoient à luy dire sur une affaire qui les regardoit, il interrompit malgré luy l’application qu’il avoit à tenir les yeux tournez du costé où alloient tous ses desirs, en sorte que quand elles eurent achevé de luy parler, il ne vit plus l’aimable personne qui avoit gagné son cœur. Ce fut pour luy un chagrin inconcevable. Il courut hors de l’Eglise fort asseuré de la reconnoistre s’il pouvoit l’appercevoir, mais comme il y avoit differentes portes, il la chercha d’un costé tandis qu’elle alloit de l’autre. Son empressement à s’informer d’elle chez tous les voisins qui la pouvoient avoir remarquée, parut une chose rare à son amy. Il luy demanda comment il se pouvoit faire qu’il eust pris feu d’une maniere si vive par une premiere veuë, sur tout quand il pouvoit bien s’imaginer, que quelque belle que fust l’Inconnuë, elle n’auroit ny le bien ny la naissance qui se rencontroient dans la Demoiselle qu’il avoit prétendu luy faire voir. L’Officier luy répondit qu’il estoit bon quelquefois de s’abandonner à son étoile, & que la sienne l’entraînoit avec tant de violence, qu’il n’estoit pas en pouvoir de luy resister. Cependant toutes ses recherches ayant esté inutiles, il s’en consola par l’esperance de revoir la Belle dans le mesme lieu d’où elle venoit de luy échaper. Il y retourna le lendemain & les jours suivans, & quelques curieux regards qu’il jetast par tout, il ne put la découvrir. Le malheur de ne l’y pas rencontrer luy fut d’autant plus sensible qu’il faisoit son seul plaisir d’entretenir les idées flateuses qu’il en avoit conservées. Rien, selon luy, n’approchoit de l’Inconnuë. Les plus brillantes beautez luy paroissoient fades lors qu’il en faisoit la comparaison, & il remarqua plus d’une fois la jeune personne pour qui son Amy s’interessoit, sans qu’il luy trouvast un trait dont il pust estre touché. Il avoüoit qu’il n’estoit pas raisonnable, & reconnoissant luy-mesme l’inutilité de ses sentimens, il cherchoit à se défaire d’une passion dont il ne pouvoit attendre qu’un trouble d’esprit continuel, de l’inquietude & du chagrin, mais les combats qu’il rendoit augmentoient sa peine, & ne servoient qu’à le rendre encore plus malheureux. Enfin des Dames de ses parentes, pleines d’esprit, & qu’un enjoüement tout agreable faisoit rechercher de tout le monde, voulant dissiper sa melancolie, l’engagerent à une partie de campagne, où elles devoient passer quelques jours. Il ne consentit à les y accompagner, que parce qu’il crut y estre plus libre à entretenir ses resveries. Quoy qu’elles cherchassent à luy procurer differens plaisirs, il n’aimoit rien tant que les promenades solitaires. C’estoit là qu’il se representoit sans nulle contrainte, les charmes de son aimable Inconnuë, & vous pouvez croire que son imagination s’échauffant, il se la peignoit mille fois plus belle qu’il ne l’avoit veuë. Il y avoit huit ou dix jours qu’il estoit en ce lieu là, lors que ses Parentes furent invitées à une fort grande Feste qui se préparoit dans un Village voisin. Il refusa fort longtemps d’aller prendre part à ce divertissement, & si elles n’eussent usé d’une autorité qui est permise au beau sexe, il seroit demeuré seul abandonné à luy-mesme, ce qui luy auroit fait un fort grand plaisir. On le reçut dans la maison où il fut mené, comme un homme qui tenoit un rang tres considerable, & dont le credit estoit estimé. Chacun s’empressant à luy faire honneur, on luy adressoit toujours la parole, & vous jugez bien qu’ayant l’esprit occupé, il souffroit beaucoup d’une conversation qu’il ne pouvoit interrompre. L’heure du dîné estant venuë, on estoit prest à servir sur table, lors qu’on vit encore entrer quelques Dames qui avoient esté priées de la mesme Feste. Elles avoient fait leur compliment au Maistre de la Maison sans que l’Officier eust jetté les yeux sur elles, & le hazard, sans aucune curiosité les luy ayant fait enfin tourner du costé où elles étoient, il ressentit tout d’un coup une émotion secrete, & crut remarquer la belle personne qu’il avoit cherchée inutilement. La crainte qu’il eut de se méprendre, luy fit avoir une attention extraordinaire à l’examiner, & aprés l’avoir bien regardée, son cœur l’asseura si fortement que c’estoit elle, qu’il n’eut aucun sujet d’en douter. Il crut avoir fait un songe, tant la rencontre luy paroissoit surprenante. Il ne put se rendre maistre de luy-mesme, & s’aprochant d’elle dans le mesme instant, il luy dit qu’il n’y avoit point lieu de s’estonner si elle ne s’estoit pas montrée plustost, puisqu’il estoit juste que les belles personnes se fissent attendre. Elle répondit fort civilement à cette galanterie, & il fit si bien ensuite qu’il se plaça auprés d’elle pour l’entretenir pendant le repas. Ses Parentes, fort éloignées de rien soupçonner de cette avanture, furent bien aises de voir qu’il se dissipoit avec la Belle, qui de son côté trouvoit de la gloire, à recevoir les soins & les complaisances d’un homme de son caractere. Il apprit d’elle qu’elle demeuroit dans ce voisinage de campagne, & ne faisoit à Paris que de courts voyages, logeant chez une Dame de ses Amies dans le quartier où estoit l’Eglise dont l’Officier luy parla. Il s’informa curieusement aprés le repas de toutes les choses qui la regardoient, & si ce qu’on luy donnoit en mariage ne remplissoit pas les prétentions qu’il pouvoit avoir, il avoit au moins tout sujet d’être content du costé de sa naissance. Il demeura toujours auprés d’elle jusqu’à ce que la compagnie se separast, & comme tout plaist dans la personne qu’on aime, elle ne dit rien qu’il n’applaudist. Ses Parentes ayant remarqué le plaisir qu’il avoit pris à l’entretenir, plaisanterent au retour sur la facilité qu’elle avoit euë à le détourner de ses idées amoureuses, & furent fort étonnées quand il leur apprit que cette belle personne estoit la mesme qu’il n’avoit pu oster de son souvenir. Il avoit pris ses mesures pour aller la voir le lendemain & la maniere dont il fut receu luy fit connoître avec combien de distinction on le regardoit. Il dit mille choses obligeantes à la Belle, dont la modestie accompagnée de beaucoup de vivacité dans ses réponses, fut pour luy un nouveau charme, & aprés luy avoir donné de grandes loüanges sur sa beauté, sur la delicatesse d’esprit qu’elle luy faisoit paroistre dans cette seconde conversation, & sur ses manieres engageantes, il pria son Pere de vouloir bien luy permettre de se charger du soin de la marier. La réponse fut qu’il ne pouvoit arriver rien qui ne fust avantageux à sa Fille, s’il daignoit entrer dans ses interests, & qu’il en seroit le maistre quand il voudroit bien penser à son établissement. L’entretien ayant continué sur cette matiere, il demanda si un homme ayant à peu prés son âge, & possedant une charge pareille à la sienne, seroit en pouvoir de la rendre heureuse, & enfin forcé par sa passion, il se declara luy-mesme pour l’Amant qu’il vouloit offrir à cette aimable personne. Il parla d’un ton si serieux qu’on fut obligé de l’écouter serieusement. Il proposa des conditions fort avantageuses pour la Belle, & il ne la quitta point qu’il n’eust pris jour pour le mariage. Cet heureux jour arrive, & jamais affaire ne fut terminée avec tant de joye, ny avec une plus entiere satisfaction des deux parties.
Response touchant l’embarras où se trouve une Dame, à l’égard de son Amant §
Je vous ay marqué dans ma Lettre du mois de May dernier, l’embarras où se trouvoit une fort aimable & spirituelle personne, qui aimant un Cavalier absolument pour luy-mesme, & luy voyant prendre de l’attachement préjudiciable à celuy qu’il avoit fait paroistre long-temps pour elle, ne sçavoit si elle devoit l’en détourner, ou l’abandonner à son panchant, puis qu’il luy faisoit plaisir. Elle a demandé conseil, & voicy ce qu’a pensé là-dessus Mr de la Ferrerie.
RESPONSE
Touchant l’embarras où se trouve une Dame, à l’égard de son Amant.Pouvez-vous avec tout l’espritQue vous avez, à ce qu’on dit,Paroistre tant embarassêe ?Tircis est insensible, helas !Chassez-le de vostre pensée,Et vous n’aurez plus d’embarras.***Mais puis-je bannir de mon cœurCet aimable & charmant vainqueur,Que j’aime d’une amour si pure ?Plus l’amour a de pureté,Plus il est sensible à l’injureQui vient de l’infidelité.***Il est vray, mais innocemment,Je suis cause du changementDont je me plains, & qui m’offense.Faites sur vous un noble effort,Portez ce mal en patience,Il faut souffrir quand on a tort.***Peut-estre est-ce pour se vanger,Qu’il feint ailleurs de s’engager,Et dans le fond, qu’il est fidelle,Pourquoy donc vous tant chagriner ?Delicate, spirituelle,Vous avez dû le deviner.***Ouy, mais si veritablement,Tircis que j’aime tendrement,Estoit inconstant & volage.Hé bien, changez à vostre tour.On dit que vous estes si sage,Quand on est sage, adieu l’amour,***Helas ! ce conseil est bien dur,Mon engagement est si pur,Et j’ay l’ame ferme & constante.Aimez, souffrez, perseverez,C’est-là d’une parfaite AmanteLe merite où vous aspirez.***Mais n’oserois-je faire voir,Sans faire tort à mon devoir,Combien ce changement me blesse ?Si vous aimiez grossierement,Sans égard, sans delicatesse,Vous le pourriez fort librement.***Helas ! je sens que mon amour,Mille fois plus pur que le jour,Ne peut souffrir nulle foiblesse.Suspendez donc vostre douleur,Et que toute vostre tendresseN’éclate que dans vostre cœur.***Malgré son infidelité,J’ay tant de generosité,Que je le cede à ma Rivale.C’est là beaucoup vous avancer,Vostre tendresse est sans égale,Et rien ne peut la surpasser.***Non, je n’ay point d’autre desir,Que de donner à son plaisirTout ce qui peut le satisfaire.Ce sentiment est genereux,Vous ne pouvez jamais rien faireQui vous soit plus avantageux.***Je ne verray donc plus Tircis,Et tranquille avec son Iris,Il triomphera de ma flame ?C’est à quoy je veux vous porter,Mais consultez encor vostre ameAvant que de l’executer.***Non, non. Je ne me flate pointJe puis en venir à ce point,Sans qu’aucun retour me démente.S’il est ainsi, consolez-vous,Luy content, vous serez contentePlus que s’il estoit vostre Epoux.***C’est donc là vostre sentiment,Que je dois suivre aveuglement,Si je veux conserver ma gloire ;S’il en coûte à vostre vertu,Vous n’aurez jamais la victoireQu’aprés avoir bien combattu.
[Mort de Mre Jean Rochette]* §
La Republique des Lettres a fait une autre perte en la personne de Mre Jean Rochette, Seigneur de Malausat, Tresorier de France dans la Generalité de Rion, fils de noble Maurice Rochette, Seigneur de Malausat, cy-devant Procureur du Roy au Presidial de Rion, & Intendant des Maisons de Mr le Duc de Boüillon & de Mr le Cardinal son frere, & de Marie Faydie. C’estoit un jeune homme plein d’esprit & de sçavoir. Il est l’Auteur de l’éloge historique de Mr Bocager qui a receu une approbation generale de tous les Sçavants. Ce fut luy aussi qui composa l’Almanach galant qui plut si fort à toutes les Dames d’esprit qui le lurent. Il a eu encore bonne part à quantité de pieces fort estimées dans le monde, qui n’ont pas paru sous son nom. Il est mort dans la fleur de sa jeunesse le douziéme de ce mois à Paris, fort regreté de tous ceux qui l’ont connu.
[Lettre en Vers de Madame des Houlières] §
Vous avez raison, Madame, d’estre inquiete de la santé d’une des plus illustres personnes de vostre sexe. Madame des Houlieres, dont on a publié la mort dans vostre Province, est encore pleine de vie ; mais elle est toujours attaquée d’un mal facheux qui alarme ses amis, quoy qu’il y ait tout lieu d’esperer que les remedes & les soins que prennent d’elle des Medecins tres-habiles la retabliront dans sa premiere santé. Comme vous recherchez curieusement tous ses ouvrages, je vous envoye l’Epitre que vous m’avez demandée. C’est une réponse à une Lettre que Madame la Comtesse d’Alegre luy avoit écrite sur l’Epitre à Mr Arnaut, Fermier General, où elle la loüoit de ce qu’elle y avoit mis tous les Tresors des Indes.
A MADAME
LA COMTESSE
D’ALEGRE.Non, charmante Iris, dans ma Lettre,Je n’ay point employé les précieux tresorsQue l’Inde étale sur ses bords.Quand on veut parler juste, on ne sçauroit les mettreQue dans l’expression des brillantes couleurs,Qui font que les plus vives fleursAvec vostre beau teint n’oseroient se commettre.S’il arrive qu’un jour je chante dans mes VersCe teint toujours vainqueur des plus affreux hivers,Que ne pourray-je point là-dessus me promettre ?***Des roses dont à son réveilLa jeune Amante de CephaleSeme la route du Soleil,Des pleurs dont s’enrichit la Mer Orientale,Lors que son tendre cœur déteste le sommeilD’un vieux Epoux contraint de devenir Cigale,Je prendray la fraischeur, le blanc, & le vermeil,Pour composer un teint à vostre teint pareil,Et je ne feray rien cependant qui l’égale.***Ces précieuses gouttes d’eau,Que la brûlante ardeur du celeste flambeauDurcit dans le sein de la terre,Les Diamans, ces beaux caillouxDu feu de vos regards, ce feu brillant & doux,Plus à craindre par tout que les feux du Tonnerre,Serviront à peindre l’éclat,Et dans la dureté qui leur est naturelle,Peut-estre trouverois-je à faire un paralleleD’un cœur que mille Amans accusent d’estre ingrat.***Pour peindre la beauté de cette tresse blonde,Que les jeunes Zephirs, ces petits imprudens,Rendent quelquefois vagabonde,Je prendray le Soleil, lors qu’au sortir de l’ondeLe bain aura rendu ses rayons plus ardens.Iris, quand je je voudray parler de vostre bouche,Le rouge du Rubis sera d’un grand secours,Ce beau rouge si vif, qu’on craint presque toujoursDe se brûler quand on y touche.***Voilà pour vous, aimable Iris,Ce qu’on peut emprunter sur le Rivage More,Mais à ce riche amas de rayons, de Rubis,De Diamans, de fleurs, qu’on vient de voir éclore,Et de Perles que font les larmes de l’Aurore,Lors qu’elle les répand dans le sein de Thetis,Il manque quelque chose encore.***C’est un esprit solide, agreable, élevé,Qui ne cherche point à paroistre,Et qui par un excellent MaistreFut dés le berceau cultivé.C’est un cœur genereux, sincere, adroit & tendre,Toujours par la vertu conduit & préservéD’un dangereux poison pour les cœurs reservé,Qui d’abord les reduit en cendre.Où tout cela peut-il se prendre ?Iris, quand je l’auray trouvé,Le portrait que pour vous je brûle d’entreprendre,Sera si ressemblant & si bien achevé,Qu’on ne pourra pas s’y méprendre.
[Reception faite au nouveau Curé de Saint Germain l’Auxerrois] §
Mr le Curé de Saint Jacques ayant esté receu Curé de Saint Germain l’Auxerrois, toute la Paroisse en a témoigné une joye qu’il seroit difficile d’exprimer. C’est un Pasteur entierement détaché du monde, & tout appliqué à son Troupeau. Il n’a rien à luy, & donne aux Pauvres tout ce qu’il reçoit, ne se reservant qu’à peine pour vivre, & donnant mesme souvent ce qu’il a reservé pour sa subsistance, lors qu’on vient lui parler de quelques pauvres honteux, qui sont dans une necessité pressante. J’en dirois davantage si je ne craignois de faire souffrir sa modestie. On peut juger avec combien de joye ses nouveaux Paroissiens l’ont receu. L’empressement à lui en doner des marques a esté si grand, que les Enfans mesme de la Paroisse de S. Germain ont esté luy témoigner en Corps, le plaisir qu’ils ont ressenty de l’avoir pour leur Curé. Voicy de quelle maniere Mr l’Abbé Cadot, âgé seulement de dix ans, luy parla à la teste de la Jeunesse, le jour de sa reception. [...]
Mr le Curé ayant répondu à ce compliment par un discours éloquent & plein de tendresse & de charité, finit en disant. Pour remercier Dieu qui m’envoye en cette Royale Paroisse, de tous les miracles qu’il y opere depuis le chef & le premier jusqu’aux plus petits de mes Paroissiens, c’est à dire, depuis la sacrée Personne du Roy, dont la sagesse & la pieté sont sans exemple, jusqu’à cette aimable jeunesse dont le zele innocent m’est d’autant plus agreable qu’il est sans flaterie, & de ce que du nombre de ces enfans j’en viens d’entendre un qui par les talens merveilleux qu’il a déjà fait paroistre en d’autres occasions, est aussi admirable que son innocence, dont son âge répond, & que je prie le Tres-haut de luy conserver, est digne de loüange, disons luy, Te Deum Laudamus.
Ce Cantique commencé par Mr le Curé fut chanté par toute l’Assemblée, & suivi des Prieres qu’il fit faire pour Sa Majesté, & de la Benediction qu’il donna à toute la jeunesse de la Paroisse qui estoit devant luy.
[Arlequiniana] §
Je croy que vous recevrez presque aussitost que ma Lettre, un autre Livre intitulé Arlequiniana, qu’on acheve d’imprimer. Vous jugez bien par son titre qu’il doit renfermer tous les bons mots de feu Arlequin, qui pendant un grand nombre d’années ont diverty la Cour & la Ville. On y doit trouver beaucoup de bonnes choses, & une grande varieté, parce qu’ils ne viennent pas d’une seule personne. Les Auteurs qui ont donné des Pieces aux Italiens, en ont trouvé une bonne partie. Arlequin qui estoit estimé, & qui voyoit beaucoup d’honnestes gens, en a ramassé beaucoup dans le monde ; & comme il avoit de l’esprit naturellement, & qu’il s’estoit fait outre cela, un esprit d’acquisition pour ces sortes de choses, parce qu’elles luy estoient utiles à cause de sa profession, il en a luy-mesme trouvé quantité, qui ne cedent point à ceux qui ont paru dans beaucoup de Volumes, quoy qu’ils viennent de personnes qu’on peut appeller Grands hommes, si on les considere du costé de leur érudition. On trouvera aussi dans le mesme Livre quantité de bons mots rapportez par celuy qui a pris le soin de remarquer tous ceux qui composent cet Ouvrage. Ce Livre se debitera chez Michel Brunet, grande Salle du Palais, au Mercure Galant, & chez Florentin & Pierre de Laune, Place de Sorbonne.
Air nouveau §
Les Vers suivans furent faits dans le temps qu'on assiegeoit Charleroy, & ils ont esté mis en Air par un de nos plus habiles Musiciens.
images/1694-01_310.JPGAIR NOUVEAU.
Avis aux Relieurs pour placer les Figures. La Chanson doit regarder la page 310.Loin des fureurs de Mars & de BellonneCherchons, cherchons un doux repos.Armons-nous, chers Amis, de verres & de pots,Campons à l'ombre d'une tonne,Laissons au Grand Loüis & le soin & la gloireDe porter en tous lieux & le trouble & l'effroy.Laissons-luy prendre Charleroy,Tandis que nous prendrons à boire.
[Bal donné par Monsieur] §
Les divertissemens du Carnaval ont commencé au Palais Royal par un Bal que Monsieur a donné à Monseigneur le Dauphin. Monsieur le Duc de Chartres & Mademoiselle ouvrirent le bal, avec la bonne grace qui leur est si naturelle. Leurs habits estoient magnifiques, l’assemblée nombreuse, & fort parée, & s’il s’y trouva beaucoup de Masques. On dança dans la Galerie & dans deux pieces du grand appartement de Monsieur.
Les Démarches du Prince d’Orange §
Vous ne serez pas fachée de voir les Vers que je vous envoye. On leur a donné pour titre,
LES DEMARCHES
du Prince d’Orange.Toujours vaincu, jamais vainqueur,Nassau va son chemin de Flandre en Angleterre,Laisse passer l’hiver, puis revient à la guerre,Quand les prez & les bois ont changé de couleur.Les Alliez las de leur destinée,Et peu contens que chaque année,Par de magnifiques apprests,Il les mene battre à grands frais,Murmurent en secret de l’esperance vaine,Dont sur sa foy chacun d’eux s’est flaté,Guillaume se rit de leur peine,Et ne paroist pas plus hastéA se faire par la victoireUn glorieux nom dans l’HistoireIl décampe en Hiver pour camper en Esté,Et souffre en paix que la Ligue se plaigne ;Il se promene, il se repose, il regne,C’est tout ce qu’il a souhaité.Pour haster ces Milords qui vous font trop attendre,Et vous empeschent de passerL’an prochain de bonne heure en Flandre,Ne sçauriez-vous, Nassau, leur faire entendreQu’il reste à Saint Malo des vitres à casser ?