1694

Mercure galant, février 1694 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1694 [tome 2].
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Mercure galant, février 1694 [tome 2]. §

Sonnet §

Mercure galant, février 1694 [tome 2], p. 8-11.

 

Je ne puis mieux commencer ma Lettre que par le Sonnet que je vous envoye. Il convient assez à la situation des affaires d’aujourd’huy.

SONNET.
AU ROY.

Grand Roy, plein de tendresse, & dont la prévoyance
Est sans cesse occupée au bien de ses Sujets,
L’on estoit menacé d’une disette en France,
Et par tout la frayeur grossissoit les objets.
***
L’Etranger attentif, flaté par l’apparence,
Sur ce malheur public formoit de grands projets,
Mais, grace à ton amour, tes soins & ta prudence,
Les Bleds vont devenir moins rares que jamais.
***
Nous voilà delivrez de cette inquietude,
Mais, grand Roy, de l’Hiver la saison estant rude,
Les Peuples ont souffert un nouvel embarras.
***
Ils se sont veus du froid la victime & la proye.
Leurs buchers pour ta gloire, & tes heureux Combats,
Ont esté cette année usez en feux de joye.

Ce Sonnet est de Mr des Lutinieres, Senechal de Bourgueil. Quoy que l’usage & la Poésie autorisent l’espece d’exageration qui s’y trouve, il est neanmoins constant que les Victoires du Roy ayant esté continuelles pendant l’Esté dernier, ont fait chanter plusieurs Te Deum pour les avantages remportez en Allemagne, en Italie, en Catalogne, & sur Mer. Ce sont de ces faits qui doivent confondre ses Ennemis, lors qu’ils s’efforcent de rabaisser la gloire de la France. Si la disette des bleds l’a fait souffrir, les Ennemis n’ont pas l’avantage d’avoir contribué à son mal par la force de leurs armes, estant certain qu’ils ne peuvent se vanter d’avoir remporté aucun avantage sur nous, ny de nous avoir pris un pouce de terre.

L’homme de parole §

Mercure galant, février 1694 [tome 2], p. 119-128.

Tous les Ouvrages de Mr de Vin vous ont fait plaisir. C’est ce qui m’engage à vous en envoyer un nouveau, dont une copie m’est tombée entre les mains.

L’HOMME DE PAROLE.

 Ouy, vous avez raison, Tircis,
 De gouster la douceur tranquille
Qu’offre Arcueil à vos vœux, & d’en faire un asile
Contre les embarras & les cuisans soucis
 Que donnent la Cour & la Ville.
 C’est là que sage & curieux
Vous meditez sans cesse aux divers personnages
Qu’est contraint de joüer un jeune ambitieux,
 Qui d’un Peuple seditieux
Cherche, pour s’élever, à gagner les suffrages.
C’est là que remontant jusqu’aux siecles passez,
Vous voyez que du Trône Herode trop avide,
Par les chemins secrets que son Pere a tracez,
 Y court d’un pas fourbe & perfide ;
 Qu’inhumain & jaloux du rang
Qu’il doit à son fer homicide,
Il immole sa femme, & vit en fratricide,
Et que jusqu’à la fin, tigre alteré de sang,
 Il expire en Infanticide.
C’est là que ruminant au premier des Cesars,
Vous riez de le voir sacrifier sa gloire,
Et de Claude oublier la scandaleuse histoire,
Pour, honoré d’un titre acquis par cent hazards,
Succomber sous les coups de trente-deux poignards.
 Enfin c’est là qu’en Philosophe
 Repassant de ces temps lointains
A ce que nous font voir maintenant nos Voisins,
 Vous pensez à la catastrophe
Que l’injuste Nassau doit craindre des Destins.
 Il est vray que par ses largesses
Turin, Vienne & Madrid uniquement gagnez,
Dans ses vastes projets se sont veus entraisnez ;
Mais comme l’or Anglois tiré par tant d’adresses
 S’épuise & coule moins pour luy,
 S’il en conserve encor l’appuy,
C’est par l’enchantement de ses hautes promesses,
Dont ce rusé Tarquin les amuse aujourd’huy.
 De leur humeur ambitieuse,
 Mercenaire, ou voluptueuse,
Instruit qu’il est, aux uns il promet du bon vin,
Aux autres, des grandeurs le glorieux partage,
A tous pendant l’Hiver, pour le Printemps prochain,
Une Ville d’assaut prise & mise au pillage,
Ou du moins un Combat suivy d’un gros butin,
 Et c’est par là qu’il les engage.
Le piege est fort adroit, & chacun s’y voit pris.
 Mais permettez, mon cher Tircis,
Que je vous en apprenne une burlesque histoire.
 Staremberg aimoit fort à boire,
 Et vous n’en serez point surpris,
Dés que vous aurez sceu qu’il estoit d’Allemagne.
Or un jour chez Nassau convié d’un festin,
Ah ! Prince, luy dit-il, voilà de mauvais vin.
Il est vray, mais avant la fin de la Campagne,
 Répond Nassau le prometteur,
 Assurez-vous, dans la Champagne,
Que je vous en feray boire de bien meilleur.
 Staremberg sur cette parole,
 Du méchant qu’il boit se console,
 Et semblable à ces Curieux,
Qui de Delphes cent fois trompez par l’imposture,
N’en consultoient pas moins cet Oracle des Dieux,
D’en voir bien-tost l’effet, trop credule, s’assure.
De s’y fier pourtant il n’avoit pas grand tort.
 Se voyant joint avec l’Espagne,
Et ses Drapeaux unis à ceux de l’Allemagne,
 Nassau se tenoit le plus fort,
 Et sa formidable puissance
Luy faisoit esperer que son premier effort
Feroit sentir ses coups jusqu’au cœur de la France.
 Ainsi dans cette douce erreur
 Cherchant à s’en ouvrir la voye,
Par les champs de Senef il commence, & déploye En 1674.
Tout ce qu’il eut jamais & d’adresse & de cœur.
Mais par malheur pour luy Condé sur la frontiere
Au passage qu’il tente oppose une barriere,
Et tout foible qu’il est, va de la mesme ardeur
 Qu’autrefois Lens le vit combattre,
 L’insulter, l’attaquer, le battre,
Et semer dans son Camp l’épouvante & l’horreur.
 Sur la vineuse récompense
 Qu’on avoit promise à son sang,
Staremberg dans le choc se mit au premier rang,
 Et dans la vive impatience
 Qu’il eut d’arriver le premier,
Porta trop loin pour luy son insigne vaillance,
 Et se fit prendre prisonnier.
Conduit à Rheims, & là beuvant avec son Hoste
Le plus excellent vin que produise sa Coste,
 Tu ne t’es pas mocqué de moy,
Nassau, s’écria-t-il, & tu tiens tes paroles.
Quelques gens les croyoient & vaines & frivoles ;
 Mais témoin de ta bonne foy
 J’en publieray par tout l’histoire ;
Et jure par ce vin que je suis prest de boire,
 De me fier toujours à toy.
 A ta santé. Cette saillie,
 Ou plûtost cette raillerie
A ceux qui l’écoutoient d’un goust si fin parut,
 Que le grand Condé qui la sceut,
En fit, pour de Senef rafraischir la memoire,
Passer jusqu’à Nassau l’ingenieuse histoire.
Ce qu’il en eut de honte & de confusion,
N’est, & ne fut pour lors que le petit prélude
 De la juste punition
Que le Destin vangeur de son ingratitude
 Prépare à son ambition.

[Tout ce qui s’est passé touchant la reception de Mr de Nismes à l’Academie des Ricovrati de Padoue] §

Mercure galant, février 1694 [tome 2], p. 128-138.

Ce n’est pas sans raison qu’on donne à Padouë le surnom de docte, puisqu’elle est fameuse, non seulement par son Université, mais encore par son Academie, qui est aujourd’hui l’une des plus florissantes de toute l’Italie, tant par le merite des personnes distinguées de l’un & de l’autre sexe qui la composent, que par les grands hommes qui en sont sortis. La Sapho du siecle, connuë sous le nom de Mademoiselle de Scudery, l’admirable Madame des Houlieres, la sçavante Madame Dacier, fille de Mr le Fevre, & la spirituelle Madame de Saliez, Viguiere d’Alby, sont de cette fameuse Academie Italienne, qui dans sa derniere assemblée publique a reçû l’illustre Mre Flechier, Evêque de Nismes, l’un des ornemens de l’Academie Françoise, & le digne Protecteur de celle de Nismes. Mr Guyonnet de Vertron, qui écrit l’Histoire du Roy en prose Latine, & qui est Academicien de l’Academie Royale d’Arles, & de celle des Ricovrati de Padouë, a accompagné les Lettres Patentes d’un compliment à Mr de Nismes, qui luy a fait réponse en luy envoyant ce qu’il a écrit à Messieurs ses Confreres. Voicy de fidelles copies de ces honnestetez reciproques que je vous envoye.

A Mr L’EVESQUE
DE NISMES.

Monseigneur.

Paris & Nismes n’auront plus seuls l’avantage de vous avoir dans leurs illustres Academies. Padouë jalouse d’un si grand bonheur, a voulu vous donner une place dans la sienne ; ainsi vous voyez que la France & l’Italie, qui sont les Etats de l’Europe les plus florissans en beaux Esprits, rendent également justice à vostre rare merite. C’eust esté pour moy, Monseigneur, un plaisir tres sensible de vous presenter moy-mesme, au nom de Mrs mes Confreres les Ricovrati, ces premieres marques d’estime & de distinction : mais la distance des lieux me prive de cette satisfaction. Je prie le sçavant Mr Graverol de vous mettre en mains ce nouveau Sceau d’immortalité, que vous meritez par vos éclatantes vertus, par vostre éloquence admirable, & par vos excellens Ecrits. C’est un dépost qui ne m’a esté confié que depuis peu de jours. Pour me consoler de ne pouvoir accompagner ce digne Academicien, agréez que je vous assure de ma joye, & de la continuation de mes respects, non seulement comme Deputé, & en cette qualité ayant l’honneur d’estre vostre Confrere, mais encore comme une personne qui vous honore infiniment, & qui fait sa principale gloire d’estre,

Monseigneur,

Vostre tres-humble &

tres-obeissant Serviteur,

Guyonnet de Vertron.

Voicy la réponse que Mr l’Evesque de Nismes a faite à Mr Guyonnet de Vertron.

Je ne m’estois pas attendu, Monsieur, à l’honneur que m’ont fait Messieurs de l’Academie de Padouë, en m’associant à leur Compagnie. Je connois assez leur merite, pour voir avec plaisir mon nom meslé avec le leur, & je vous prie de leur faire tenir la Lettre de remerciement que je leur écris. Je n’ay receu que depuis peu de jours celles qu’ils ont fait expedier pour ma reception, quoy qu’elles soient datées du mois de Mars. Vous aurez la bonté de leur faire connoistre que je n’ay manqué ny d’exactitude, ny de reconnoissance, & de croire qu’à vostre égard je suis avec une estime, & une consideration particuliere,

Monsieur,

Vostre tres-humble & tres-

obeissant Serviteur, ESPRIT,

Evesque de Nismes.

A Narbonne ce 12.

Décembre 1693.

Avant que de vous parler du Remerciement de Mr Flechier, il faut vous faire part d’un Distique de Mr de Vertron, pour mettre au bas d’un Portrait de cet Illustre Prelat. Ce Distique a du raport à ses noms & à son merite.

Hic vir hic est, pietate suâ qui pectora flectit,
 Atque animos mirâ Spiritus arte movet.

Le remerciment de Mr l’Evêque de Nismes à Mrs de l’Academie des Ricovrati de Padouë, a esté fait en ces termes.

MESSIEURS,

J’ay esté agreablement surpris de me trouver associé à vostre illustre Compagnie par les suffrages de tant de grands Hommes qui la composent. Mr Patin donne volontiers aux Personnes qu’il estime, les loüanges qu’il merite luy-mesme ; & vous croyez aisément le bien qu’on vous dit des autres, parce que l’on n’en sçauroit assez dire de vous. Vous avez écouté favorablement le témoignage qu’il vous a rendu de moy, & je reçois avec beaucoup de reconnoissance la grace que vous m’avez faite. L’inclination que j’ay euë dés mon enfance pour les belles Lettres, m’a toujours fait honorer ceux qui les cultivent, comme vous, avec tant de succés, & tant de gloire. La réputation que vous avez acquise par vostre érudition & par vostre éloquence a passé jusqu’à nous, & la connoissance que nous avons du merite de vostre Academie nous fait voir avec joye nos noms mêlez avec les vostres. Agréez donc, Messieurs, que je vous en fasse mes remercimens, & que je vous assure de l’estime & de la reconnoissance sincere avec laquelle je suis,

Messieurs,

Vostre tres-humble & tres-

obeissant serviteur, Esprit,

Evêque de Nismes.

[Mort de Dom Michel Germain et de Messire Jean Faydit]* §

Mercure galant, février 1694 [tome 2], p. 165-168.

Il ne faut pas oublier parmy les Morts des gens de Lettres, Dom Michel Germain, Religieux Benedictin de S. Maur, ny Messire Jean Faydit, Seigneur de Granville, Conseiller du Roy en la Senechaussée d’Auvergne, & Siege Presidial de Riom, mort à l’âge de quatre vingt-trois ans ; car quoy que ny l’un ny l’autre n’ayent rien écrit de leur chef, ils ont plus contribué qu’aucun Auteur à l’avancement des Lettres & de la Science Ecclesiastique, en servant de Compagnons de Voyages, de Copistes, de Lecteurs, & Secretaires aux deux plus sçavans hommes de ce siecle, je veux dire, aux Peres Jean Mabillon, Benedictin, & Jacques Sirmond, Jesuite, qui ont donné au jour par leur moyen une infinité de beaux Manuscrits, ensevelis auparavant dans l’obscurité. Dom Germain a fait par ordre du Roy, le voyage d’Allemagne & d’Italie avec son Confrere le Pere Mabillon, dont ils revinrent enrichis de tout ce qu’il y avoit de plus curieux dans les Manuscrits & les Bibliotheques de ce Pays-là, quoy qu’on puisse dire qu’ils n’ayent fait que glaner, & ramasser les épics qui avoient échapé à la diligence du Pere Sirmond, & de Mr Faydit son Neveu. Vous avez veu dans la Genealogie de Cosnac une bonne partie de celle de Messieurs Faydit. Celuy cy estoit Frere aîné du Sr Amable Faydit, dont je vous manday la mort par ma Lettre du dernier mois, avec cette particularité, que les Cadets de cette Famille sont depuis trois cens ans Avocats, & que ce dernier a laissé un Fils, & un Petit fils, qui en font la profession avec honneur, & la perpetueront apparemment dans plusieurs âges à venir.

[Compliment fait à Mr le Marquis de Dangeau, de la part de Mrs de l’Academie des Ricovrati] §

Mercure galant, février 1694 [tome 2], p. 180-186.

Je reçois tout presentement nouvelles de la mort du fameux Mr Patin, Medecin de la Faculté de Paris, où il a professé la Medecine, & ensuite à Padouë, lieu de son decés. La Republique de Venise l’avoit pourveu de la Charge de Professeur, & honoré de la dignité de Chevalier de Saint Marc. Il avoit esté longtemps Principe de l’Academie des Ricovrati, c’est à dire Chef ou Directeur. Mr de Vertron, qui est de cette sçavante Compagnie, comme je vous l’ay déja marqué, a esté prié, selon l’usage, de faire son Eloge funebre. Il l’a fait en Langue Latine, & l’a envoyé pour estre lu publiquement dans cette Assemblée. Mr Patin avant que de mourir luy écrivit une Lettre en Grec, éloquente, tendre, & chrestienne, & cette Epistre Academique, qui meriteroit d’estre traduite en toutes sortes de Langues, estoit accompagnée des Lettres patentes d’Academicien, qu’il le prioit de la part de Mrs les Ricovrati de donner à Mr le Marquis de Dangeau, qui, comme vous sçavez, est l’un des quarante de l’Academie Françoise. Vous voyez, Madame, que celle de Padouë a fait en fort peu de temps une perte & des acquisitions tres-considerables, dans les personnes de deux des plus beaux genies du siecle, & tous deux dignes Protecteurs de deux Academies Royales. L’un est ce Marquis, Protecteur de l’Academie d’Arles, & l’autre Mr Flechier, Protecteur de celle de Nismes. Mr l’Abbé Saurin, si connu dans la Republique des Lettres, & si estimé pour tant de belles Traductions, vient de faire celle du Distique Latin de Mr de Vertron, à la gloire de cet illustre Prelat, par allusion à son nom, Esprit Flechier.

 Digne Successeur des Apostres,
Ta rare pieté fait fléchir tous les cœurs,
Et ton sublime Esprit joint à de saintes mœurs,
Par son art triomphe des nostres.

Aussi tost que Mr de Vertron eut receu le dernier paquet de feu Mr Patin, il mit la main à la plume, & fit un compliment en Italien, pour Mr le Marquis de Dangeau, alla à son Hostel, & à son retour le mit en François, à la priere d’un de ses Confreres. Je vous envoye la traduction de ce compliment, que son Amy m’a donnée.

MONSIEUR,

Ce n’est point comme Député de l’Academie Royale d’Arles, que je viens vous saluër aujourd’huy. Je viens m’acquiter d’une Commission fort agreable. Messieurs les Ricovrati m’ont honoré de leur choix, pour vous presenter ces preuves éclatantes de la distinction particuliere qu’ils font de vostre illustre Personne. La celebre Academie de Padouë en vous donnant une place parmi les grands hommes, & les sublimes Genies qui la composent, n’a point eu égard à la noblesse de vostre sang, à l’éclat de vos Dignitez, à la grandeur de vos emplois, ny au rang élevé que vous tenez dans la Cour la plus polie & la plus auguste du Monde. Elle n’a consideré, Monsieur, que vostre esprit seul, qui peut remplir si dignement toutes les vuës que l’on doit avoir pour former un Academicien parfait. Elle a voulu joindre son estime à celle mesme des Testes Couronnées, qui dans plusieurs occasions ont rendu justice à vos qualitez excellentes. Enfin, Monsieur, ce Parnasse Italien pouvoit se vanter avant vostre reception, d’avoir de grands ornemens, possedant des Muses Françoises, les Scudery, les des-Houlieres, les Dacier, & les Saliez, mais il lui manquoit un Apollon.

[Devises] §

Mercure galant, février 1694 [tome 2], p. 186-190.

Mr Magnin, de l’Academie Royale d’Arles, a fait des Devises pour toutes ces Muses.

POUR MADEMOISELLE
DE SCUDERY.

Le corps est une Aloüette qui s’éleve en chantant vers le Soleil. Le mot ; Et Phoebo scit digna loqui.

Quand cet Astre glorieux
Anime son allegresse,
Elle s’éleve sans cesse,
Et le cherche vers les Cieux.
Depuis le temps qu’elle chante,
Qui ne voit pas aujourd’huy,
Que sa voix douce & touchante
N’est pas indigne de luy ?

POUR MADAME
DES HOULIERES.

La fleur qu’on nomme Amarante, avec ce mot, Non illi mortale decus.

 Le temps qui devore tout
Ternit de mille Fleurs la couleur la plus belle,
 Mais la sienne est immortelle,
 Il n’en peut venir à bout.
 C’est l’illustre des Houlieres,
C’est là de ton merite un fort leger crayon,
Ne pouvant exprimer le fond de tes lumieres,
Ma Muse en cet essay croit en voir un rayon.

POUR MADAME
DE SALIEZ.

L’Imperiale, avec ce mot Italien,

Modesta mostra di suoi tesori.

Où trouve-t-on une Fleur
D’une si noble hauteur ?
Elle efface tout le reste ;
Mais son air humble & modeste
Luy fait encor plus d’honneur.

POUR MADAME
DACIER.

Une branche d’Olivier. Le mot, Donum immortale Minervæ.

Elle couronne la teste
Des Heros en temps de Paix ;
Quand elle conduit la feste,
On ne s’en lasse jamais.
Doctes Sœurs, son fruit conserve
La lampe de vos Autels,
Et la sçavante Minerve
En fit present aux Mortels.

[Histoire] §

Mercure galant, février 1694 [tome 2], p. 234-264.

S’il est souvent dangereux de trop écouter son cœur, l’effort qu’on fait pour l’assujettir à la raison, a quelque chose de si rigoureux, qu’il est mal-aisé de ne se pas repentir d’avoir remporté un pareil triomphe. Vous en jugerez par l’avanture dont je vais vous faire part. Une jeune Dame, Veuve depuis deux ans d’un homme d’Epée, qui luy avoit laissé pour tout avantage un nom fort connu, & beaucoup d’affaires, fut obligée d’abandonner la Province, & de venir à Paris, pour donner ordre à de facheux embarras où la mettoient diverses poursuites qui luy estoient faites. Ce n’estoit pas une Femme que l’on pust dire belle regulierement, mais il y avoit, & dans son visage, & dans ses manieres, quelque chose de si vif & de si piquant, que ces charmes soutenus de beaucoup d’esprit, avoient dequoy engager les plus insensibles. Son merite fit bien-tost l’effet qu’elle en avoit attendu. On s’empressa pour la voir, & ceux dont elle voulut bien recevoir les soins, chercherent avec plaisir les occasions de l’obliger. Un jeune Marquis d’une Maison distinguée, se fit remarquer entre tous les autres, par l’ardeur qu’il fit paroistre à luy prouver qu’il estoit veritablement dans ses interests. Comme il avoit de fort grandes alliances qui luy donnoient beaucoup de credit, elle fut bien-aise de le ménager. Il estoit d’une figure à plaire par tout, & marquoit en toutes choses une conduite si sage & si pleine de respect, qu’on ne pouvoit s’empêcher de l’estimer. La Dame avoit trop d’esprit pour ne pas s’appercevoir que ses sentimens alloient à l’amour, & qu’il luy seroit aisé de s’en faire aimer avec excés, pour peu qu’elle voulust luy monstrer de correspondance ; mais le Marquis dépendoit d’un Pere fort riche, encore assez jeune, & qui estoit si avare, qu’il n’en tiroit qu’une fort legere avance pour paroistre dans le monde. Ce Pere estoit d’ailleurs si imperieux & si emporté, que si son Fils eust osé songer à disposer de luy-mesme, il n’y a rien qu’il n’eust deu apprehender. La connoissance qu’elle eut de toutes ces choses l’obligea de resister au panchant qui l’auroit portée à l’écouter. Si-tost qu’il commençoit à l’entretenir de ce qui se passoit dans son cœur pour elle, elle le prioit d’ouvrir les yeux sur l’inutilité de l’engagement qu’il vouloit prendre, puis qu’il ne la trouveroit jamais disposée à rien de ce qui pouvoit avoir la moindre apparence de galanterie, & que dans la dépendance où il estoit, il ne pouvoit luy estre permis de s’abandonner à des sentimens qui convinssent à une personne de son caractere, qu’aucune consideration de toutes celles qui avoient accoutumé de faire des liaisons, ne pouvoit faire manquer à ce qu’elle se devoit. Quelque plaisir mesme qu’elle trouvast à le voir, elle poussa si loin ses scrupules, qu’elle s’obstina à luy défendre des visites assiduës, qui pouvoient porter atteinte à sa réputation. Ce ne pouvoit estre sans se faire violence, mais tout ce que luy disoit son cœur en s’y opposant, luy estoit suspect, & le Marquis fut contraint de se soumettre à ce qu’exigeoit de luy la severité de sa sagesse. L’obstacle qu’il trouva par là à ses desirs ne fit qu’irriter sa passion, & elle devint toujours & plus empressée, & plus violente. Il n’avoit de joye que dans les heures qu’il passoit chez elle, & comme il ne voyoit aucun jour à obtenir de son Pere le consentement qu’il eust souhaité, il se contentoit de l’assurer d’une amitié éternelle, puis qu’il estoit assez malheureux pour n’estre point maistre de sa destinée. Cependant la Dame ne negligeant rien afin de sortir d’affaires, se servit de son credit pour avoir accés auprés du Ministre. Elle eut le plaisir d’en estre écoutée favorablement. La chose dont il s’agissoit, avoit besoin d’une tres-forte application pour en developer les difficultez, & pour bien connoistre l’équité de ses deffenses, & le soin en fut commis à un Financier fort éclairé, qui se chargea de l’approfondir avec le Traitant. Outre la recommandation du Ministre qui témoigna souhaiter que ses raisons fussent bien fondées, elle avoit celle de sa beauté & de son merite, qui fit un fort prompt effet sur l’esprit du Financier. Il alloit souvent luy demander l’éclaircissement qui luy estoit necessaire sur certains articles, & à force de la voir il la trouva toute aimable. C’estoit un homme poly, dont la conversation étoit amusante, & elle le fut d’autant plus pour la jeune Veuve, qu’il y mesloit beaucoup de douceurs qui la flatoient. Le besoin qu’elle avoit de son secours l’obligeant à prendre pour luy les manieres les plus douces & les plus honnestes, elle l’attira puissamment dans son party, & comme elle remarqua que les doutes qu’il sembloit avoir sur son affaire, n’estoient la plus-part que des prétextes pour autoriser ses visites assiduës, elle laissa à ses charmes tous les agrémens qu’ils pouvoient avoir, afin de luy donner de l’amour. Elle y réussit, & plein d’une passion qu’il ne put vaincre, il soustint si bien ses interests, qu’il luy fit avoir satisfaction entiere dans toutes les choses qu’elle demandoit. Si-tost qu’elle fut hors d’embarras, le jeune Marquis, dont l’empressement avoit esté extraordinaire à solliciter le Financier, pria la Dame de luy permettre un voyage auprés de son Pere, qui le pressoit depuis fort long-temps de l’aller trouver. Elle ne put s’empescher de luy répondre qu’elle voyoit bien qu’on le rappelloit afin que l’absence effaçast l’impression qu’elle pouvoit avoir faite sur son cœur, & qu’elle souhaitoit pour son repos que l’éloignement produisist l’effet qu’il en devoit esperer. Ce petit reproche donna sujet au Marquis de luy faire les plus tendres protestations, & de l’asseurer d’une constance dans ses sentimens, que rien au monde ne seroit capable d’ébranler. Il partit, & son départ apprit à la Dame qu’elle l’aimoit plus qu’elle ne croyoit. Elle eut pourtant assez de raison pour estre bien aise d’une separation qui pouvoit d’abord luy faire peine, mais qui devoit la remettre ensuite dans son premier état de tranquillité. Elle en recevoit des Lettres assez rarement, parce qu’apprehendant le poison qu’elles ont pour ceux qui sentent un commencement d’amour, elle avoit reglé la chose de cette maniere. Le Financier continuoit à la voir, & les services qu’il pouvoit luy rendre obligeant toujours la jeune Veuve à la mesme complaisance, plus il jouïssoit de sa conversation & de sa veuë, plus les nouveaux charmes qu’il luy découvroit donnoient de force à sa passion. Elle fut enfin si violente que n’en pouvant devenir le maître, & connoissant que la Dame estoit d’une vertu & d’une sagesse à ne se promettre rien qui fust contraire à sa gloire, il ne se put empescher de luy proposer un mariage. Cette proposition la mit dans quelque embarras. Le Financier estoit riche, & d’un tour d’esprit qui luy convenoit assez, & en l’épousant elle se mettoit dans un état d’opulence qui ne pouvoit que luy faire un fort grand plaisir, mais il luy fâchoit qu’on la vist la Femme d’un homme d’affaires, aprés avoir esté celle d’un Officier distingué, qui luy avoit laissé un rang dans le monde, & combattuë par ces divers interests, elle demanda du temps pour prendre une resolution determinée. L’incertitude où elle mit le bonheur du Financier, l’enflammant de plus en plus, il la pressa si fort de luy dire ce qui en estoit la cause, qu’elle voulut bien luy avoüer, que portant un nom rendu illustre par un grand nombre d’actions fort éclatantes, elle avoit peine à y renoncer. Le Financier resva quelque temps, & luy dit ensuite qu’il suffisoit qu’il l’aimast pour la vouloir satisfaire en toutes choses, & qu’afin qu’elle pust toujours garder son nom, il n’y avoit qu’à tenir leur mariage secret ; que même beaucoup de raisons qui regardoient sa fortune, l’obligeoient à souhaiter qu’il ne fust point sceu, & qu’ils n’en vivroient que plus heureux, puis que leur amour ayant toujours un air de mystere, en auroit plus d’agrément. La Dame, aprés avoir un peu raisonné, s’accommoda du party. Les sentimens qu’elle avoit pour le Marquis, dont elle n’avoit rien à esperer, s’estant affoiblis par son absence, son cœur luy paroissoit assez libre. Elle demeuroit toujours ce qu’elle estoit à l’égard du monde, & on la tiroit d’inquietude en luy fournissant dequoy soutenir une dépense qu’elle n’eust pû faire sans ce mariage. Il fut conclu si secretement qu’on n’en eut pas le moindre soupçon. Le Financier regloit ses visites selon le temps que luy laissoient ses affaires, & comme ils en retranchoient l’assiduité pour ne point donner de prétexte aux contes, ils évitoient les dégousts que cause ordinairement aux gens mariez la necessité de se voir sans cesse. Aprés deux mois passez de la sorte avec une égale satisfaction de l’un & de l’autre, le Financier parut resveur & chagrin. La Dame luy en fit plusieurs reproches, en luy disant qu’elle apprehendoit que ce ne fust un effet du mariage, qui faisoit moins estimer ce qu’on étoit assuré de ne point perdre. Il rejettoit cette resverie sur l’accablement de ses affaires qui l’empêchoient même de la voir aussi souvent qu’il l’eust souhaité, & son chagrin augmentant toujours, la Dame commença à se chagriner de son costé. Il y avoit des instans où elle se repentoit de son mariage, mais elle en eut un sujet bien plus pressant lors qu’elle y estoit le moins préparée. Elle resvoit seule dans sa chambre, & tout d’un coup, sans en avoir esté avertie, elle y vit entrer le jeune Marquis avec une joye de la revoir qui ne se peut exprimer. Il estoit en deüil, son Pere estoit mort en quatre jours, & il luy venoit offrir sa fortune. Jugez quel étrange contre-temps pour elle, qui ne pouvant accepter ce qui auroit fait tout le bonheur de sa vie, n’avoit aucune raison qui pust justifier son refus. Elle dit d’abord que le Mariage estoit une affaire de trop d’importance, pour s’y engager legerement ; qu’il agissoit en jeune homme remply d’une passion aveugle, qu’il estoit bon qu’il examinast, & que pour luy témoigner combien elle estoit de ses Amies, elle luy donnoit une année entiere, afin qu’il pust s’éprouver sur les grands Partis qui s’offriroient, & qui pourroient tenter sa constance. Le Marquis prit sa generosité pour une injure, & ce qu’il y eut de rare, c’est que n’en pouvant tirer le consentement qu’il demandoit, il alla trouver le Financier qu’il sçavoit toujours de ses Amis, pour l’engager à parler pour luy. Le Financier l’asseuroit que rien ne luy pourroit faire un plus grand plaisir que de luy voir épouser la Dame, & la Dame avoit une double affliction, & du refroidissement que le Financier témoignoit pour elle, & de l’impossibilité où elle estoit de se donner au jeune Marquis. Il estoit toujours chez elle, parce que n’ayant que des veuës tres legitimes, il estoit bien-aise de les publier. Tous les Amis de la Dame condamnoient sa résistance ; & ce qui la surprenoit, c’est que quand elle parloit au Financier de son embarras à empêcher les empressemens du jeune Marquis, il la prioit de le voir sans apprehender qu’il devinst jaloux, la connoissant trop pour ne se répondre pas de sa sagesse. Les choses estoient en cet estat, quand le Financier fut attaqué d’une Fiévre dangereuse. Les accés en furent tres-violens, & le reduisirent à l’extrémité. Les Medecins en desespererent, & la Dame l’estant allée voir comme elle avoit fait dans le cours de sa maladie, celuy qui le disposoit à bien mourir luy vint dire, que ne voulant plus penser aux choses du monde, il avoit prié qu’on ne luy fist voir personne. Comme elle insista sur ce qu’elle avoit des droits que les autres n’avoient pas, l’Ecclesiastique luy répondit qu’il n’estoit pas besoin qu’elle s’expliquast, qu’il sçavoit son mariage, & que pour marque de la sincere amitié que le Financier avoit pour elle, il luy avoit mis entre les mains une somme de dix-mille écus qu’il luy compteroit aprés sa mort. La Dame s’en retourna assez consolée, & ayant veu le Marquis qui ne cessoit point de la presser, elle luy dit que puisqu’il persistoit dans sa passion il faudroit bien se resoudre à la reconnoistre de la maniere qu’il le souhaitoit. Il la conjura de choisir un jour, & elle ne luy demanda qu’un peu de temps pour se consoler de la perte d’un amy, de qui elle avoit receu tant de bons offices. Le Financier demeura trois jours dans un estat qui le faisoit voir tout prest d’expirer, & la nature par un effort qu’on n’attendoit pas, vainquit la malignité d’un mal qui avoit mis tous les Medecins à bout. Dans quels nouveaux embarras cette resurrection ne mit-elle point la Dame ! La certitude qu’elle avoit pu prendre de sa mort pendant plusieurs jours, ayant réveillé toute la tendresse que luy avoit inspirée le jeune Marquis, elle avoit envisagé comme un bonheur souverain, le plaisir de satisfaire son cœur en l’épousant, & non seulement il y falloit renoncer, mais luy manquer de parole, sans qu’elle pust appuyer sur aucune excuse l’inegalité de sentimens qu’elle alloit faire paroistre. Accablée d’un estat si malheureux, elle ne pouvoit sortir de ce labyrinte qu’en luy confiant, quoy qu’avec chagrin, ce que sa gloire vouloit qu’elle tinst toujours caché, & elle prenoit cette resolution, lors que ce mesme Ecclesiastique qui luy avoit parlé des dix mille écus, vint la trouver pour se décharger de son dépost. Elle fut surprise d’un don qu’on ne devoit point luy faire, puisque le Financier se retablissoit dans sa premiere santé, mais l’Ecclesiastique luy apprit d’étranges choses. Son mariage qui luy faisoit perdre le Marquis n’estoit point valable, & le Financier n’estoit tombé dans la dangereuse maladie qui avoit pensé le mettre au tombeau, que par le remords du crime que la violence de sa passion luy avoit fait faire. Il n’avoit pu l’épouser, estant marié depuis dix ans dans une Province fort éloignée, avec une Femme qui par sa mauvaise humeur l’avoit obligé de s’en separer de corps & de biens. Cette femme qui ne pouvoit vivre avec personne, s’estoit retirée dans un Convent, & il estoit venu à Paris où il s’estoit mis dans les affaires sans faire connoistre qu’il fust marié. La Dame sentit vivement l’outrage que le Financier luy avoit fait par sa tromperie, & jura de s’en vanger par toutes sortes de voyes, mais l’Ecclesiastique lui ayant fait voir combien l’éclat étoit dangereux, & qu’elle ne pouvoit poursuivre le Financier sans se donner en spectacle au monde d’une maniere fort desagreable, il l’obligea d’autant plus facilement à déferer au conseil qu’il luy donna de tenir toujours les choses secretes, qu’elle apprehenda que le Marquis ne prist du dégoust pour elle, s’il sçavoit son avanture. Ainsi la negotiation roula seulement sur les interests, qui aprés plusieurs allées & venuës furent reglez à vingt mille écus. Elle toucha cette somme, & n’ayant rien à se reprocher du côté de sa vertu, puis que toute autre eust esté trompée comme elle l’avoit esté, elle ne songea plus qu’à vivre heureuse avec le Marquis, qu’elle épousa quelques jours aprés.

[Détail de tout ce qui s’est passé aux Ceremonies de la Pompe funebre de la Reine de Suede] §

Mercure galant, février 1694 [tome 2], p. 264-304.

Il y a peu d’Etats dans l’Europe où les grandes Ceremonies, comme celles des Mariages, & des Pompes Funebres, se fassent avec plus d’éclat qu’en Suede. C’est ce qui m’a obligé de m’informer avec soin de tout ce qui s’est passé à Stokolm à l’occasion de la mort de la Reine regnante de Suede, afin de satisfaire vostre curiosité sur cet article. Vous trouverez que cette Relation répond à l’attente que vous en avez ; cependant la marche, pour se rendre au lieu ou les Rois de Suede sont enterrez, ne s’est pas faite avec tout l’éclat qui a de coustume d’accompagner ces sortes de Ceremonies, le Roy qui occupe aujourd’huy le Trône ayant jugé à propos d’en retrancher une partie, & voulant servir d’exemple à ses Successeurs & aux Particuliers pour faire moderer les grandes dépenses qui se font dans ses Etats. Je passe à la marche qui a precedé les Ceremonies de l’Eglise. La veille du jour qu’elles se firent, qui estoit le 7. Decembre, plusieurs Herauts d’Armes publierent dans les Places publiques de la Ville & des Fauxbourgs, que l’Enterrement se devoit faire le lendemain. [...]

A deux heures, les Cloches de toutes les Eglises de la Ville & des Fauxbourgs commencerent à sonner, & à trois heures la marche commença du Chasteau à l’Eglise, dans l'ordre suivant. [...]

Si-tost que leurs Majestez, avec le Prince & les Princesses, furent entrées dans l’Eglise, la Musique du Roy commença à se faire entendre d’une maniere lugubre, aprés quoy l’Archevesque d’Upsal prononça l’Oraison Funebre, prenant pour texte le 21. verset du premier chapitre de l’Epistre de S. Paul aux Philippiens.

L’Oraion Funebre finie, la Musique recommença, pendant laquelle le Grand Maistre, & les trois Senateurs nommez pour porter la Couronne, le Sceptre & la Pomme, s’avancerent vers le Mausolée avec les autres Senateurs qui devoient porter le Corps. Ils leverent le Cercueil de l’Estrade où il estoit posé, & le porterent dans le Caveau. Devant le Corps marchoient les quatre Herauts, le Grand Maistre, & les trois Senateurs qui portoient les attributs de la Souveraineté, mais le Grand Maistre descendit dans le Caveau. Quand le Corps y fut posé, on tira deux cens coups de Canon en divers endroits de la Ville. Aprés cela, les Drabans, le Regiment du Roy, la Cavalerie de la Ville, le Regiment des Gardes à pied, les Compagnies de la Bourgeoisie à pied, firent leur premiere decharge ; le Canon tira une seconde fois un même nombre de coups, ce qui fut suivi d’une seconde décharge des Troupes. A la fin de la Ceremonie, l’Evesque de Lincoping donna la benediction. Ensuite les Cloches recommencerent à sonner, & on retourna au Chasteau dans le mesme ordre. Pendant que le Service se faisoit dans l’Eglise où estoit le corps, on faisoit de mesme des Services, & on prononçoit des Oraisons funebres dans toutes les autres Eglises de la Ville & des Faux-bourgs qui estoient éclairées & tenduës de noir. La Ceremonie fut suivie d’un grand Souper. Les Senateurs du Roy, la Noblesse, les Dames, Epouses & Veuves des Senateurs, les autres Dames de la Cour, le Clergé, les Bourgeois & les Paysans, furent tous traitez en differens Appartemens du Chasteau, avec beaucoup de magnificence.

Au retour le soir, la Cavalerie & l’Infanterie portoient les armes à la maniere ordinaire. Pendant les deux marches on touchoit les tambours & les timbales, mais ils estoient couverts.

[Mort de Madame des Houlières]* §

Mercure galant, février 1694 [tome 2], p. 311-314.

Aprés vous avoir fait esperer par ma Lettre du dernier mois le retour de la santé de Madame des Houlieres, comment vous apprendre qu’elle n’a pu resister à la violence de son mal, qui l’a emportée depuis peu de jours ? Elle estoit d’un merite si distingué & si generalement reconnu, qu’il n’y a qu’à dire que Madame des Houlieres est morte, pour faire entendre à tous ceux qui aiment l’esprit, qu’on a fait une perte irreparable. C’est ce qui a fait dire d’elle,

 Des Houlieres a sceu par mille chants divers
Le bel art de loüer nostre Auguste Monarque,
Ce sera de son zele une éternelle marque,
Et l’on l’admirera toujours dans l’Univers :
 Mais helas ! quel triste revers !
Charon vient de passer cette Muse en sa Barque ;
 Le merite, l’Esprit, les Vers
Ne garantissent point des fureurs de la Parque.

Le Public a témoigné beaucoup de douleur de cette mort. Aussi peut-on dire que Madame des Houlieres estoit la gloire du Parnasse, & de son Sexe, & qu’elle a mis nostre Poësie Lyrique au plus haut point de sa perfection. Elle avoit l’esprit d’une élevation extraordinaire, un stile pur & delicat, & des expressions justes & nobles. Jamais rien de faux ny de rampant n’est sorty de sa Veine, & elle excelloit dans tous les genres. Mais si la nature & l’art s’estoient épuisez pour former la beauté de son esprit, elle avoit l’ame encore plus belle. Elle estoit fidelle & genereuse, & s’interessoit courageusement dans les affaires de ses Amis. Elle en avoit d’illustres, & son merite qui luy en avoit acquis un grand nombre, avoit porté son nom dans toutes les Cours de l’Europe, où ses Ouvrages sont admirez autant qu’en France. Tout estoit charmant en elle. Les graces de l’esprit estoient jointes à celles du corps, & elle a esté belle jusques à sa fin, quoy qu’âgée de cinquante six ans. Elle est morte le 17. de ce mois, aprés une longue maladie, avec une resignation humble & chrestienne, & une constance heroïque, demandant elle mesme tous les secours spirituels, qu’elle a receus dans les sentimens d’une parfaite contrition, d’une foy vive, & d’une ferme esperance.

[Sur le livre intitulé Arlequiniana]* §

Mercure galant, février 1694 [tome 2], p. 328-329.

Le Livre intitulé Arlequiniana dont je vous ay parlé le mois passé, a paru au commencement de celuy-cy. On court l’acheter en foule, & il y a plus de vingt ans que l’empressement du public n’a paru si grand pour avoir un Livre. Ce succés vous doit faire croire qu’on y trouve quantité de bonnes choses, & que cet Ouvrage ne doit pas manquer de Censeurs. Ces deux choses sont inseparables de tout ce qui réussit, & la voix des Critiques a toûjours esté mêlée aux applaudissemens. Quoy qu’on se pust faire honneur d’un pareil Livre, je declare que je renonce à celuy qu’une partie du public me fait, en voulant croire que j’en suis l’Auteur. Je ne m’en suis mêlé en aucune sorte, & n’en ay pas mesme veu une page avant qu’il ait esté imprimé.

[Divertissement du Carnaval] §

Mercure galant, février 1694 [tome 2], p. 329-330.

Le Carnaval s’est passé à l’ordinaire. Monsieur a donné le bal cinq ou six fois au Palais Royal avec la magnificence qui est naturelle à ce grand Prince. Monseigneur le Dauphin s’y est trouvé, & l’affluence des masques y a esté grande. Le Mardy du Carnaval toute la Cour superbement parée se rendit dans le grand Appartement du Roy à Versailles, où il y eut un bal digne de l’éclat de la Cour de France, qui conserve toujours la mesme spendeur.

Air nouveau §

Mercure galant, février 1694 [tome 2], p. 344.

Vous ferez part s'il vous plaist, à vos Amies de l'Air nouveau que je vous envoye. Elles entendent peut-estre souvent ce qui n'est dit icy qu'en Chanson.

AIR NOUVEAU.

L’Air regarde la page 344.
Vous vous plaignez de ma tristesse,
Vous me reprochez ma langueur,
Et j'ay beau soupirer sans cesse,
Rien ne sçauroit toucher vostre paisible cœur.
Vous resistez sans vous contraindre,
Vous immolez mon cœur à vos divins appas.
Cruelle Iris, si je me plains, helas !
Ne suis-je pas encore plus à plaindre ?
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